CAIRN.INFO : Matières à réflexion

1Dans le cadre de l’Exposition universelle se tint à Paris, du 10 au 12 septembre 1900, le quatrième Congrès international des traditions populaires. Chartiste, journaliste, député radical du Doubs, spécialiste du folklore de la Franche-Comté, Charles Beauquier, qui en était le président, déclara triomphalement : « Depuis notre dernier congrès, qui eut lieu à Paris en 1889, les progrès du Traditionnisme sont toujours allés en grandissant ; nous n’étions guère alors qu’une soixantaine de congressistes, aujourd’hui nous comptons cent cinquante adhérents. Et c’est non seulement le nombre de Folk-loristes qui a augmenté, mais en même temps, et suivant une parallèle naturelle, le nombre des publications, des journaux et des revues consacrés aux traditions populaires [1] ». Cent quarante-deux inscrits, vingt-six communications, un banquet de clôture doublé d’un concert où il fut possible d’écouter un cabaret breton accréditent ce discours triomphaliste sur l’existence d’une communauté savante soudée et organisée dans le seul but de produire une science du folklorisme.

2Au nombre des participants figuraient en bonne place des délégués étrangers parmi lesquels huit des dix vice-présidents. Reconnu parmi ses pairs pour sa contribution à la production d’un savoir de plus en plus attractif, Giuseppe Pitrè, le directeur de la revue Archivio per lo studio delle tradizioni popolari, avait adressé, pour l’occasion, un télégramme que la Revue des traditions populaires reproduisit in extenso. Communiant à l’unisson des participants dans l’assomption de « notre science nouvelle et encore jeune [2] », le Sicilien renouvela le vœu qu’il avait naguère transmis au Congrès de Chicago (1893) : « la nécessité d’une œuvre internationale qui serait l’inventaire des publications de la France, de l’Angleterre, de la Russie, etc. [3] ». La neutralité d’un discours appelant à l’unité d’un savoir capable de transcender les frontières étatiques était de bon aloi. Masquant les rapports de force, de légitimité et partant d’autorité, qui s’exprimèrent dans le monde peu stabilisé d’un folklorisme dont l’épanouissement divergea selon les pays [4], ce discours fut au diapason de ce que la multiplication des échanges scientifiques postula in fine[5] : la croyance en une fédéralisation d’un domaine de recherche spécifique.

3Une lecture hâtive des comptes rendus de la rencontre semblerait valider ce que les auteurs eurent à cœur de prouver : l’étape parisienne, marche supplémentaire dans la production d’une « histoire sainte » d’un savoir toujours plus intégré, se devait de consacrer l’affermissement d’une internationale des folkloristes chevillés par un intérêt commun pour des cultures populaires irréductibles à leurs seules identifications nationales. À la tribune, des réflexions sur un jeu héroïque dans une île dalmate voisinèrent avec une analyse de chants scandinaves, tandis que Paul Sébillot, organisateur du Congrès et désormais figure de proue du folklorisme hexagonal, communiquait sur « une carte de l’exploration traditionniste en France [6] ». Quand bien même elle ne suscita guère de questionnements au sein de cette communauté savante, la dimension multiscalaire de l’entreprise est un fait avéré. En guise de caution, les porteurs du projet pouvaient d’ailleurs justifier de ce que des décennies d’accumulation de matériaux avaient trouvé leurs débouchés soit dans des monographies, soit dans des publications – spécialisées (géographiquement, disciplinairement) ou polymathiques – accueillantes à la diversité des focales.

4Et pour cause. Au cœur de la définition par omission qui nourrissait l’ambition scientifique des folkloristes français, le peuple, ce plus petit dénominateur, était aussi, et vraisemblablement avant tout, une monade à géométrie variable [7] dont la localisation dépendait de ce que ces intellectuels, provinciaux pour la plupart, lui demandaient de « révéler » : la pérennité d’une micro-société, les testaments vivants d’une collectivité de haute antiquité (avec, en creux, l’opposition entre Francs et Gaulois), le gage d’une entreprise de patrimonialisation d’un monde supposé en perdition (une ethnologie d’urgence si l’on veut). Tout cela est bien connu [8]. Catégorie aisément universalisable, le peuple était tout autant un révélateur de l’enfance, puis de l’évolution, de l’humanité, obsession partagée par de nombreux acteurs des sciences sociales [9], que cette masse qui, pour de nombreux érudits, vivait à proximité de leur lieu de vie, réel ou idéalisé. Insaisissable dans le cadre d’une définition qui aurait permis de le circonscrire, le peuple ne cessa d’intriguer. Il n’est donc pas étonnant que les trois principales revues – Mélusine (1877), la Revue des traditions populaires (1886), La Tradition (1887) – qui, dans les années 1880, se disputèrent le porte-parolat du folklorisme, eurent à cœur d’être les vitrines d’un savoir dont la justification s’adossa, non pas à un jeu sur les échelles et encore moins à une interrogation sur le bien-fondé de la comparaison, mais à la multiplication et à la typification des cas. Entretenant l’illusion d’une connaissance extensive fondée sur la collection encyclopédique des cultures populaires, ces publications ne cessèrent de véhiculer l’idée d’un folklorisme s’inventant dans le creuset d’une science capable d’emboîter les échelons (du local au mondial). L’image est pourtant trompeuse. En dépit d’une internationalisation de convention, le folklorisme se mua quasi exclusivement en une exploration/exploitation du local. Rien de bien nouveau, arguera-t-on, sauf à suggérer que cette évidence mérite d’être interrogée au vu des justifications qui érigèrent le local en une valeur cardinale au sein d’une communauté savante établie sur une « science par défaut ».

L’illusion internationale

5Les dimensions internationales du folklorisme apparaissent d’entrée de jeu comme constitutives de la communauté savante qui se forma au fil des décennies. Objet attrayant pour des élites lettrées, le folklore fut un trait d’union reliant des acteurs qui se rapprochèrent via des liens personnels fréquemment épistolaires et, le plus souvent, éphémères. Exemples bien connus, l’influence prolongée de l’ossianisme qui irisa le continent grâce à la médiation d’éditeurs, de lecteurs [10], la correspondance des Grimm avec l’auteur du Barzaz-Breiz, Théodore Hersart de la Villemarqué [11], soulignent combien les échanges intellectuels dans l’Europe des folkloristes nourrirent précocement une découverte des cultures populaires. Loin d’être mue seulement par l’exhaussement de ces traditions nationales dont les classes populaires auraient été porteuses par essence, cette découverte orienta ainsi des actions que ne justifiait pas l’accomplissement d’une idéologie nationalitaire. Au cours d’un premier xixe siècle qui vit se développer une anthropologisation de la société par le truchement des enquêtes, des statistiques et de certaines branches du savoir (la Société d’anthropologie de Paris naquit en 1859), le peuple en ses mystères suscita autant d’attrait que le peuple en ses frontières, au demeurant fort peu stabilisées. On ne comprendrait pas sinon le tropisme du Pays basque qui aimanta bien des étrangers [12]. Internationalistes, les folkloristes le furent donc, en apparence tout du moins, au nom d’une idée simple : tout peuple excédait potentiellement les dimensions de la nation.

6Dans le processus d’institutionnalisation du folklorisme qui se manifesta, à la fin des années 1870, avec la parution du premier numéro de Mélusine, il était acquis, si l’on se place du côté de ses promoteurs, que la discipline en devenir n’avait d’autres limites que celles du savoir : « Études sur les vieilles mythologies de l’Orient et des pays classiques […] ; études sur la mythologie des peuples plus jeunes et plus voisins de nous, et aussi sur les croyances des sauvages de l’Afrique et de l’Australie qui continuent devant nous les premiers âges de la pensée humaine [13] », pouvait-on lire dans le premier éditorial de la revue que fondèrent Henri Gaidoz et Eugène Rolland. Le compte rendu flatteur qui fut publié dans la Revue des traditions populaires suite à la tenue du premier Congrès international des traditions populaires, dans le cadre de l’Exposition universelle de 1889 [14], ne dérogea pas à un discours consensuel. Parmi les qualités supposées de l’entreprise furent mentionnés le fait que la France « a[vait] donné l’exemple », l’internationalisation du comité de patronage (trente-quatre noms de « savants étrangers »), la multiplicité des communications (dix-huit) et la variété des thèmes qu’elle avait permis d’aborder [15].

7Par-delà les pétitions de principe qui fixèrent toujours un peu plus le sens commun d’une science dont la vocation affichée était d’être universelle, tandis que le monde savant était gagné par la scissiparité, nombreux sont les indicateurs qui signalent en effet l’inscription du folklorisme hexagonal dans des contours supranationaux. Profitant de ses liens dans les milieux de la Société d’anthropologie de Paris et de ses amitiés littéraires, Paul Sébillot fonda en 1881 chez Maisonneuve et Leclerc une collection, « Les littératures populaires de toutes les nations », où furent publiées une quarantaine de monographies – elles traitèrent aussi bien des folklores du Perche, de la Hongrie, de Lesbos ou de l’Île Maurice. La ventilation des sujets abordés dans la Revue des traditions populaires offrit aussi à ses abonnés de se déplacer exotiquement au sein de chaque numéro, d’un pays à un autre, d’une région à une localité. Au cours de sa première décennie d’existence, trente-neuf articles parlèrent de l’Angleterre (autant d’occurrences pour l’Allemagne), vingt-quatre de l’Afrique et cinq du Niger [16]. Quant à la rubrique des comptes rendus, elle fournit tome après tome son lot de références en provenance de l’étranger. Comparée au processus de fabrication des autres sciences sociales, cette complexion n’a rien d’exceptionnel. Profitant de l’européanisation d’une partie du monde, les géographes utilisèrent abondamment des savoirs coloniaux [17] produits en grande quantité par toutes sortes d’acteurs impliqués dans la conquête puis l’administration des territoires ultramarins [18]. Conçues comme autant de tribunes assurant une police du discours disciplinaire, les longues recensions des publications non francophones fournirent au petit cercle des durkheimiens de L’Année sociologique d’exciper de la légitimité de leur coup de force (fonder une science neuve et prévalente) en commentant une bibliographie conçue à l’extérieur des frontières. Henri Gaidoz procéda d’ailleurs de la même façon. En s’enorgueillissant de s’être fait l’introducteur de la pensée d’Andrew Lang, l’un des grands spécialistes de la mythologie, dans les études folkloristes [19], le très sourcilleux directeur de Mélusine entendit endosser le rôle du passeur éminent.

8Capitalisant sur l’abondance des données colligées à une échelle mondiale et un socle d’auteurs européens considérés comme canoniques (les Grimm au premier chef [20]), ambitionnant de fonder une discipline à la hauteur de ses concurrentes (la philologie, l’histoire…), les principaux représentants du folklorisme français ne s’écartèrent pas des règles tacites du jeu scientifique qui impliquaient que son intégration passât par les canaux d’une communauté cosmopolite de savants. Cette perception d’un monde clos et autogéré qui anima les publications spécialisées mérite toutefois d’être pondérée. En 1893, dans une longue interpellation à ses lecteurs, reflet des relations concurrentielles et conflictuelles qui travaillaient cette portion de l’espace intellectuel à intervalle régulier, Gaidoz s’en prit avec véhémence à la « Société internationale d’admiration mutuelle » : « Nous citera-t-on l’Archivio de M. Pitré, où la bibliographie tient une si grande place ? Mais cette bibliographie est volontairement dépourvue de critique, et tous les livres et opuscules dont il y est question, sont accommodés à cette sauce de superlatifs en issimo dont les Italiens sont si prodigues [21] ». Ses critiques redoublèrent avant l’ouverture de la grande réunion parisienne de 1900 [22].

9Tranchant avec un irénisme de façade, ce point de vue iconoclaste renvoie à ce que l’on pourrait définir comme un internationalisme de circonstance [23]. Rendements – autres que symboliques – sinon faibles, à tout le moins difficiles à évaluer en termes de gains de connaissance, sommes de relations interindividuelles plutôt que réseaux constitués, échanges intellectuels amoindris faute de compétences linguistiques – même si le français demeurait une langue couramment pratiquée [24] – constituèrent le cadre bien plus prosaïque des zélateurs du folklore. Mais il y a davantage : l’irrésistible nationalisation des dispositifs scientifiques dont le programme de la Société des traditions populaires, qui tint lieu de premier éditorial, se fit largement l’écho. « Parmi les nations européennes, la France a été une des dernières à s’occuper sérieusement des traditions populaires [25] », constata Sébillot. Sous les auspices de la compétition internationale, il était donc explicitement convenu que l’homologation de la discipline devait passer par la certification du national, ce lieu d’organisation du champ scientifique via les institutions académiques en particulier [26]. Se recommander de l’internationalisation d’un savoir n’empêchait pas que le premier critère d’évaluation scientifique fût la renommée nationale. La juxtaposition des termes « folklore » et « traditions populaires » dans les publications qui abordèrent peu ou prou le sujet au cours des années 1880-1900 vient opportunément le souligner. Si le premier se fraya aisément un chemin dans les catégories utilisées, un signe de l’anglophilie des milieux intellectuels [27], sa réception achoppa toutefois sur une expression concurrente bien française cette fois. Quant aux transferts culturels, indexés sur un travail d’appropriation et de resémantisation [28], on notera, en prenant pour exemple l’ouvrage séminal d’Edward Burnett Tylor, Primitive Culture, traduit deux ans seulement après sa sortie (1871), qu’ils opérèrent à bas bruit, non parce que l’œuvre fut méconnue mais parce qu’elle servit essentiellement de caution à la vieille théorie des survivances [29].

La galaxie folkloriste, chambre d’amplification du local

10À l’orée des années 1890, trois revues spécialisées se disputaient le marché du « traditionnisme ». Opérant une captation d’héritage, la Revue des traditions populaires avec, à travers elle, son chef de file, Paul Sébillot, était en passe de monopoliser le registre de la légitimité dans son domaine. À mi-chemin entre la pureté scientifique incessamment revendiquée dans Mélusine et les accointances littéraires défendues dans La Tradition, la revue, installée au Musée d’ethnographie du Trocadéro, disposa d’autant plus aisément d’une bonne reconnaissance que son directeur œuvra à agréger des intérêts particuliers et à s’assurer des fidélités en publiant beaucoup, en correspondant tout autant et en multipliant les initiatives (des Dîners de Ma Mère l’Oye, rameau d’une commensalité savante, aux congrès internationaux).

11Discipline en trompe-l’œil au début du xxe siècle [30], le folklorisme pâtit non seulement de l’absence de relais académiques [31], mais aussi de l’incapacité dont firent preuve ses principaux acteurs d’engendrer un paradigme mobilisateur et unificateur, moyennant quoi la théorie des survivances, « réinitialisée » par Tylor, se trouva consacrée faute de mieux. La division du travail et la professionnalisation qui transformaient les règles du jeu scientifique en dévalorisant la figure du profane [32] contribuèrent par ailleurs à sa disqualification progressive. Domaine de faibles compétences, avatar d’un collectionnisme [33] critiqué par ses contempteurs pour son mirage de la complétude, le folklorisme souffrit en effet de l’absence d’une ligne de partage clairement établie entre quelques spécialistes et une myriade d’amateurs. En privilégiant le nombre (quelque 1 000 affidés en 1894 [34]) à la « vertu » (un protocole savant), ses donneurs d’ordre, à l’exception de Gaidoz, ne cessèrent de le condamner à n’être qu’une tentative d’ordonnancement raisonné des curiosités.

12Ne lui restait dès lors que le local, qui n’était certes pas une idée neuve [35]. Le folklorisme suivit par exemple la même pente que la préhistoire, qui s’inventa comme une science d’amateurs parce que le quadrillage du territoire impliquait mécaniquement une prime à la localisation de la recherche [36]. Parce qu’il se modela sur les contours mouvants d’une communauté arborescente et constitutivement inclusive, ce label, qui recouvrait de nombreuses façons de s’y affilier (le plus fréquemment à temps très partiel à la suite de l’écriture d’un article), participa, de fait, à la surrection du local. Le local ne devint toutefois pas un artefact scientifique pour une entreprise de disciplinarisation qui échoua. Il devint bien davantage une valeur en soi auprès des spécialistes et des érudits dont la dissémination dans le pays accrut automatiquement sinon la réputation, à tout le moins le déploiement des études « traditionnistes ».

13Que représenta le folklorisme pour Camille Fraysse (1866-1936) ? D’origine lotoise, ce clerc de notaire, qui fut ensuite secrétaire de la sous-préfecture et percepteur, avait épousé en 1892 une jeune femme du Maine-et-Loire où il était installé. Le fonctionnaire, qui consacra une partie de ses loisirs à consigner les « vestiges » d’un pays conçu comme une « terre des merveilles [37] », fit paraître en 1906 un Folk-Lore du Baugeois. L’introduction reprenait les topoï que plus de vingt années d’entreprises éditoriales avaient fini par installer dans la pratique et la conscience de certains polygraphes éloignés de l’épicentre parisien : « L’ensemble des traditions populaires d’un pays constitue ce que l’on appelle le Folk-Lore ; ce mot semble barbare, mais, une fois connu, il a l’avantage de tout embrasser […]. Cette science nouvelle, à laquelle il faut accorder enfin la place qui lui revient, est depuis longtemps en faveur dans les pays étrangers ; elle occupe une chaire dans les Universités d’Helsingfors et de Christiana ; mais c’est à peine encore si chez nous le grand public en soupçonne l’existence [38] ». Dans ses écrits très factuels et fort peu référencés, Fraysse ne mentionna jamais les travaux de Tylor ou de Lang. Concernant ses liens avec le noyau dur du folklorisme hexagonal, une vingtaine de contributions publiées dans la Revue des traditions populaires entre 1904 et 1906 attestent qu’il fut forcément en contact avec Sébillot. Rien de plus.

14À l’instar de la très grande majorité de ses contemporains qui combinèrent étude des cultures populaires et centres d’intérêt autrement variés, l’homme du Beaugeois ne fut qu’une particule dans un ensemble réticulaire dont la plasticité n’eut d’égal que le très faible arbitraire disciplinaire qui lui tint paradoxalement lieu de doxa. Publier dans une revue spécialisée, pouvoir se réclamer du folklorisme, c’était donner de la cohérence, à peu de frais, à une démarche de proximité en projetant sa condition d’érudit localisé dans une collectivité virtuelle et internationalisée. Cette extrapolation d’une condition somme toute banale dans une France que maillaient des centaines de sociétés savantes [39] ne se traduisit toutefois pas par des interférences culturelles. On fera même l’hypothèse du contraire. Le folklorisme « initiatique » des grandes revues, dans l’affichage des études intercontinentales que valorisèrent ses principaux promoteurs, crédita en fin de compte le local d’une charge toujours plus puissante. En étalant dans leurs colonnes une multiplicité de cas, en couronnant la variété des situations, en hypertrophiant la singularité d’une situation ethnographique, toutes choses que rendait plus visible le volet international de ces bulletins de liaison, la discipline contribua paradoxalement à produire de l’idéologie localiste [40].

15Débouché aisément accessible pour des amateurs, le folklorisme était d’autant plus rentable qu’il ne demandait qu’un investissement succinct et qu’il entrait en résonance avec l’« habitus local » – cet avers de l’« habitus national [41] ». On sait combien la réfraction du national dans le local, qui guida la quête des savants régionalistes appelés à vérifier que chaque petite patrie était une synecdoque de la France, ou les innombrables discours qui participèrent à la promotion du canevas des « gigognes patriotiques [42] » ne cessèrent de valider la relation dialectique entre deux niveaux d’appartenance constitutifs du pacte républicain [43]. On soulignera aussi que la valeur positive imputée au local bénéficia d’une configuration qui favorisa son émancipation comme une catégorie légitime : sous le double effet de la caractérisation des pièces de la mosaïque nationale (de la production des « figures paysagères de la nation [44] » aux guides de voyage, de la scénarisation de la province dans la peinture à l’émergence des cuisines régionales) et d’une intensification de la marqueterie rurale, l’apogée de la France des terroirs facilita, entre autres, sa manifestation.

16Mais il y a plus. Baignant dans un univers de références qu’il leur était d’ailleurs facile de mobiliser compte tenu de leurs goûts et de leur parcours scolaire (contes de Perrault, travaux de l’Académie celtique, romans « rustiques » de George Sand, instructions d’Ampère en vue de la formation du Recueil des poésies populaires de la France suite au décret Fortoul du 13 septembre 1852), les folkloristes contribuèrent à tirer avantage du « petit pays » pour deux raisons au moins : parce qu’ils avaient intériorisé ce qui lui était afférent, un principe d’organisation de la société ; parce qu’il était convertible en une ressource a minima destinée à les conforter dans leur propre identité sociale et culturelle. Tributaire des « savoirs romantiques [45] » et des héritages de la bourgeoisie antiquaire qui s’était taillé ses prés carrés au cours des deux premiers tiers du siècle [46], le folklorisme consista, pour cette classe qui avait préempté l’idée du local, en un discours de réassurance sur l’existence et les fonctions de ce territoire d’élection. À ce titre, l’urbain n’eut rien à envier au rural (que l’on songe à l’invention du « vieux Paris [47] » ou à la distinction de la « personnalité » lyonnaise [48]), tant l’entreprise de description des sociétés dépendit moins de cette division de plus en plus instituée que de l’ambition de montrer le lien intangible entre une communauté et l’« esprit d’un lieu ».

Le folklorisme, savoir déprécié

17En facilitant l’identification du local, à portée de regard, aux traditions populaires et inversement, les folkloristes concoururent, compte tenu des prétentions disciplinaires de leurs porte-parole, à la dépréciation de leur entreprise. Deux dynamiques l’expliquent en partie. La première concerne l’intrication d’une opération folkloriste (entendue comme une opération cognitive) et d’une opération de folklorisation (entendue comme une utilisation du folklore à d’autres fins que de connaissance) dont les retombées consistèrent en une valorisation (économique, culturelle) de la petite patrie et, concomitamment, en un appauvrissement de la réflexion scientifique sur la pertinence de l’échelon de référence dans la saisie du monde social. La seconde dynamique a trait à la littérarisation du folklorisme. Dans la Revue des traditions populaires, en 1889, le compte rendu d’un roman de Léon Séché, dont l’intrigue se situait entre Nantes et Angers, fit écrire à son recenseur : « Nous n’analyserons pas le livre […]. Nous nous contenterons de lui emprunter les traditions, légendes, proverbes et dictons qui ont une couleur locale particulière et par cela même intéressent le public de cette Revue[49] ». Un an après, procédant à une analyse des contes populaires qui convoquait les interprétations de nombreux savants étrangers, Loys Bruyere avertit : « Quant à la trame même du récit, sa couleur locale, les noms et les parentés des personnages […], les énumérations, s’ils constituent l’agrément littéraire du conte, le folkloriste n’a pas à son point de vue spécial à en tenir compte. On peut être folkloriste et lettré, mais il ne faut pas l’être au même moment [50] ». Au tournant du siècle, le débat n’était pas tranché parce que le débat n’avait pas vraiment eu lieu. Il serait trop long de revenir sur les conditions de la littérarisation du folklorisme et ses répercussions. Retenons qu’en évitant de faire du local leur apanage scientifique tout en lui octroyant une valeur ajoutée, les folkloristes purent enrôler sous une même bannière des acteurs qui, en passant d’un univers (la littérature) à un autre (un domaine dorénavant identifié), brouillèrent à ce point les pistes que le folklorisme se réduisit à un savoir déprécié, disponible pour toutes sortes d’utilisations. Des auteurs qui n’avaient pas réussi à se faire une place dans le champ littéraire central comprirent d’ailleurs tout l’intérêt qu’il y avait à s’en emparer. Contemporain de ces notables qui « inventèrent » trois Bresse [51], Gabriel Vicaire fut de ceux-là. Honoré par certains pour sa contribution à la littérature française, loué par d’autres pour ses travaux sur les traditions populaires de l’Ain, le poète des Émaux bressans incarna un exemple de ces intellectuels qui, dans leurs productions, se trouvèrent à rebours de ce que les sciences sociales cherchaient : une langue pour s’écrire et se dire [52]. Alors même que le folklorisme aurait pu devenir un discours « autorisé » sur le local, il ne fut qu’une énième instance de sa validation.

18Parmi les approches qui offrent au folklorisme du xixe siècle de connaître un regain d’intérêt depuis une bonne vingtaine d’années, il en est une qui s’attache à objectiver, à juste titre, le substrat « traditionniste » du « projet culturel de Vichy [53] » dont les racines plongent dans une « République raciale » bâtie en partie sur « l’ethnicisation de l’identité nationale [54] ». Associant folklorisme, conservatisme, localisme et nationalisme, l’équation au fondement de cette perspective quelquefois téléologique [55] tend à figer le premier dans une dimension éminemment matricielle [56] alors qu’il ne fut qu’un « signifiant flottant » pour beaucoup de ceux qui s’en réclamèrent avant la Grande Guerre. Que les folkloristes aient participé aux inventions des traditions ne fait évidemment aucun doute. Qu’ils aient contribué à l’amplification du schème national non plus [57]. La préface que donna Paul Sébillot à son grand œuvre, Le Folk-lore de France, somme en quatre volumes publiée entre 1904 et 1907, invite toutefois à être plus circonspect. Ambitionnant de fournir une synthèse des matériaux accumulés depuis plusieurs décennies, le fervent républicain des années 1870 conçut le succès de son entreprise moins en fonction de l’exacerbation d’une identité française qu’au nom de la reconnaissance de la pluralité des traditions locales et au nom de la nécessité de voir son pays se doter d’une science équivalente à celle qui lui semblait prospérer dans certains pays européens. Un vœu pieux. À la différence de la sociologie durkheimienne qui bénéficia du soutien des milieux républicains, le folklorisme hexagonal ne devint pas un savoir de la République. Plusieurs hypothèses méritent considération : allergie d’un régime rationaliste à une érudition tendue vers une exploration de pratiques jugées archaïques ; refus de cautionner une galaxie par trop conservatrice (nombreux furent pourtant les « traditionnistes » qui professèrent leur républicanisme) ; mal considération liée à une position médiane entre deux disciplines universitaires : une certaine conception du passé qui fut réservée aux historiens ; un diagnostic des transformations sociales qui fut confié aux sociologues. Aux grands récits de l’émancipation humaine, le folklorisme n’avait qu’à opposer la trame des traditions populaires, à l’universalisation de la « grande nation » les rémanences de la petite patrie. Investi de toutes parts, le local aurait pu être d’autant plus sa voie de secours que son objectivation pouvait relever en partie d’un jeu sur les échelles, la dimension internationale – bien réelle – du projet scientifique offrant de renouveler le regard sur la notion de proche. Il n’en fut rien au point que le local ressembla bien davantage à son hypothèque.

Notes

  • [1]
    Charles Beauquier, « Discours d’inauguration », dans Congrès international des traditions populaires tenu à Paris du 10 au 12 septembre 1900, Paris, Librairie Lechevalier-Librairie Leroux-Librairie Maisonneuve, 1902, p. 6-12, p. 6.
  • [2]
    Paul Sébillot, « Congrès international des traditions populaires (10 au 12 septembre 1900) », Revue des traditions populaires, t. 15, n° 9, 1900, p. 433-453, p. 436.
  • [3]
    Ibid.
  • [4]
    Giuseppe Cocchiara, The History of Folklore in Europe, Philadelphie, Institute for the Sudy of Human Issues, 1981 [1952].
  • [5]
    Elizabeth Crawford, Nationalism and Internationalism in Science, 1880-1939, Cambridge, Cambridge University Press, 1992, p. 29.
  • [6]
    Ibid., p. 444.
  • [7]
    Marcel Maget, « Problèmes d’ethnographie européenne », dans Jean Poirier (dir.), Ethnologie générale, Paris, Gallimard, 1968, p. 1247-1338, p. 1279-1298.
  • [8]
    Jean Cuisenier, L’Héritage de nos pères. Un patrimoine pour demain ?, Paris, La Martinière, 2006.
  • [9]
    Adam Kuper, The Invention of Primitive Society. Transformations of an Illusion, Londres, Routledge, 1988.
  • [10]
    Howard Gaskill, « Introduction : “ Genuine poetry… like gold ” », dans Howard Gaskill (dir.), The Reception of Ossian in Europe, Londres, Thoemmes Continuum, 2004, p. 1-20.
  • [11]
    Bärbel Plotner, « La correspondance entre Hersart de la Villemarqué et un savant allemand, Jacob Grimm », La Bretagne linguistique, n° 6, 1990, p. 7-44.
  • [12]
    Des réflexions que Wilhelm von Humboldt condensa dans son ouvrage Die Vasken après qu’il y eut séjourné en 1800, aux travaux des érudits anglais de la fin du siècle (dont le Basque legends de Wentworth Webster publié en 1877), la bascologie devint un sous-champ de l’étude des cultures populaires au point que l’enchevêtrement des discours produits ne cessa d’accentuer la singularisation d’une « identité ». Voir Pierre Bidart, La Singularité basque. Généalogie et usages, Paris, PUF, 2001, p. 85 et sq.
  • [13]
    « Au lecteur », Mélusine, tome 1, 1878, p. 1.
  • [14]
    Astrid Swenson, The Rise of Heritage. Preserving the Past in France, Germany and England, 1789-1914, Cambridge, Cambridge University Press, 2013, p. 187-236.
  • [15]
    Alphonse Certeux, « Le Congrès international des traditions populaires », Revue des traditions populaires, n° 8-9, 1889, p. 496-499.
  • [16]
    Paul Sébillot et Alexandre Tausserat-Radel, Table analytique et alphabétique des dix premières années de la Revue des traditions populaires (1886-1895), Paris, Émile Lechevalier-Ernest Leroux, 1897.
  • [17]
    Ces savoirs coloniaux favorisèrent par ailleurs l’élaboration d’une ethnographie dont certains folkloristes, à l’instar d’Arnold Van Gennep, nourrirent leurs travaux. Voir Emmanuelle Sibeud, Une science impériale pour l’Afrique ? La construction des savoirs africanistes en France, 1878-1930, Paris, Éditions de l’EHESS, 2002, p. 165 et suiv.
  • [18]
    Vincent Berdoulay, La Formation de l'école française de géographie (1870-1914), Paris, Éditions du CTHS, 1995 [1981].
  • [19]
    Henri Gaidoz, « Bibliographie », Mélusine, t. 8, 1896-1897, p. 23.
  • [20]
    Jack Zipes, The Brothers Grimm. From Enchanted Forests to the Modern World, New York, Palgrave Macmillan, 2003 [1988], p. 135-151.
  • [21]
    « À nos lecteurs », Mélusine, t. VI, 1892-1893, p. 1.
  • [22]
    « Nous n’avons pas ouï dire que nos études aient dû le moindre progrès au “Congrès” de 1889 ; on peut se demander si celui de 1900 aura plus de mérite et d’utilité. Les Congrès de ce genre ne sont en général qu’une occasion de rencontre entre personnes s’occupant des mêmes études. » (Henri Gaidoz, « Le Congrès des traditions populaires de 1900 », Mélusine, t. IX, 1898-1899, p. 288).
  • [23]
    Voir Anne Rasmussen, L’Internationale scientifique (1890-1914), thèse d’histoire (Jacques Julliard, dir.), 2 vol., EHESS, 1995.
  • [24]
    Anne Rasmussen, « À la recherche d’une langue internationale de la science », dans Roger Chartier et Pietro Corsi (dir.), Sciences et langues en Europe, Paris, Éditions de l’EHESS, 1996, p. 139-155, p. 143.
  • [25]
    « Programme & but de la Société des traditions populaires », Revue des traditions populaires, n° 1, 1886, p. I-IV, p. I.
  • [26]
    Johan Heilbron, « Qu’est-ce qu’une tradition nationale en sciences sociales ? », Revue d’Histoire des Sciences Humaines, n° 18, 2008, p. 3-16, p. 7-9. En ligne
  • [27]
    Michel Espagne, Le Paradigme de l’étranger. Les chaires de littérature étrangère au xixe siècle, Paris, Le Cerf, 1993.
  • [28]
    Michel Espagne, « La notion de transfert culturel », Revue Sciences/Lettres, n° 1, 2013, p. 1-9 (http://journals.openedition.org/rsl/219).
  • [29]
    Le concept de survivance renvoie à la pérennité de traces archaïques au sein des sociétés dites modernes.
  • [30]
    Laurent Le Gall, Une discipline en trompe-l’œil. La galaxie folkloriste (1877-1914), Paris, CNRS Éditions, à paraître en 2018.
  • [31]
    Voir la définition que donne Gérard Lenclud de la notion de discipline, « L’anthropologie et sa discipline », dans Jean Boutier, Jean-Claude Passeron et Jacques Revel (dir.), Qu’est-ce qu’une discipline ?, Paris, Éditions de l’EHESS, 2006, p. 69-93, p. 90.
  • [32]
    Pierre Bourdieu, Science de la science et réflexivité, Paris, Raisons d’agir, 2001.
  • [33]
    Dominique Pety, Poétique de la collection au xixe siècle. Du document de l’historien au bibelot de l’esthète, Paris, Presses Universitaires de Paris Ouest, 2010.
  • [34]
    Chiffre obtenu à partir de l’étude de l’Annuaire des traditions populaires, Paris, Émile Lechevalier-Ernest Leroux, 1894.
  • [35]
    Stéphane Gerson, The Pride of Place. Local Memories and Political Culture in Nineteenth-Century France, Ithaca, Cornell University Press 2003.
  • [36]
    Nathalie Richard, Inventer la préhistoire. Les débuts de l’archéologie préhistorique en France, Paris, Vuibert, 2008, p. 111 et sq.
  • [37]
    Camille Fraysse, Le Folk-Lore du Baugeois. Recueil de Légendes, Traditions, Croyances et Superstitions Populaires, Baugé, Imprimerie Baugeoise R. Dangin, 1906, p. II.
  • [38]
    Ibid., p. I.
  • [39]
    Jean-Pierre Chaline, Sociabilité et érudition. Les Sociétés savantes en France, xixe-xxe siècles, Paris, Éditions du CTHS, 1998, p. 51.
  • [40]
    François Ploux, Une mémoire de papier. Les historiens de village et le culte des petites patries rurales (1830-1930), Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 2011.
  • [41]
    Norbert Elias, Studien über die Deutschen : Machtkämpfe und Habitusentwicklung im 19. und 20. Jahrundert, Francfort-sur-le-Main, Suhrkamp, 1989.
  • [42]
    Anne-Marie Thiesse, Ils apprenaient la France. L’exaltation des régions dans le discours patriotique, Paris, Éditions de la MSH, 1997, p. 15.
  • [43]
    En témoigne, par exemple, la grande loi municipale du 5 avril 1884.
  • [44]
    François Walter, Les Figures paysagères de la nation. Territoire et paysage en Europe (xvie-xxe siècle), Paris, Éditions de l’EHESS, 2004.
  • [45]
    Daniel Fabre, « D’une ethnologie romantique », dans Daniel Fabre et Jean-Marie Privat (dir.), Savoirs romantiques. Une naissance de l’ethnologie, Nancy, Presses Universitaires de Nancy, 2011, p. 5-75.
  • [46]
    Odile Parsis-Barubé, La Province antiquaire. L’invention de l’histoire locale en France (1800-1870), Paris, Éditions du CTHS, 2011, p. 371 et suiv.
  • [47]
    Ruth Fiori, L’Invention du vieux Paris. Naissance d’une conscience patrimoniale dans la capitale, Wavre, Mardaga, 2012.
  • [48]
    Pierre-Yves Saunier, L’Esprit lyonnais, xixe-xxe siècle. Genèse d’une représentation sociale, Paris, CNRS Éditions, 1995.
  • [49]
    Raoul Bayon, « Extraits et lectures », Revue des traditions populaires, n° 7, 1889, p. 426-429, p. 426-427.
  • [50]
    Loys Brueyere, « L’inventaire des contes », Revue des traditions populaires, n° 1, 1890, p. 36-42, p. 39.
  • [51]
    Annie Bleton-Ruget, La Bresse bourguignonne. Les dynamiques d’un territoire, xviiie-xxie siècle, Paris, L’Harmattan, 2014.
  • [52]
    Wolf Lepenies, Les Trois Cultures. Entre science et littérature, l’avènement de la sociologie, Paris, Éditions de la MSH de Paris, 1990 [1985].
  • [53]
    Christian Faure, Le Projet culturel de Vichy, Lyon/Paris, Presses Universitaires de Lyon/Éditions du CNRS, 1989.
  • [54]
    Rogers Brubaker, Citoyenneté et nationalité en France et en Allemagne, Paris, Belin, 1997 ; voir aussi Gérard Noiriel, Les Origines républicaines de Vichy, Paris, Hachette, 1999.
  • [55]
    Régis Meyran, Le Mythe de l’identité nationale, Paris, Berg International, 2009, p. 97-98.
  • [56]
    Voir David Hopkin, « Folklore beyond nationalism : identity, politics and scientific cultures in a new discipline », dans Timothy Baycroft et David Hopkin (dir.), Folklore and Nationalism in Europe During the Long Nineteenth Century, Leiden, Brill, 2012, p. 371-415.
  • [57]
    Miroslav Hroch, Social Preconditions of National Revival in Europe. A Comparative Analysis of the Social Composition of Patriotic Groups among the Smaller European Nations, New York, Columbia University Press, 2000, p. 178 et sq.
Français

L’impossible disciplinarisation du folklorisme hexagonal qui, faute de relais académiques, se fit de plus en plus un savoir valétudinaire propice à de nombreuses utilisations à compter des années 1900, suggère que l’étude des traditions populaires confinerait « par essence » à une exaltation de la petite patrie. Les choses furent bien plus complexes, à la fois parce que nombre de folkloristes investirent le local d’une charge bien plus « patrimoniale » que politique et parce que son absolutisation n’obéra pas forcément les volontés de constituer un savoir « universel ». L’article rend compte des tensions qui nourrirent une galaxie érudite dont l’apparent repli sur le local ne saurait être compréhensible qu’à l’aune des intérêts que ses principaux acteurs trouvèrent dans l’affirmation d’un savoir transnational ou dans la constitution d’un pré carré régionalisé et sanctuarisé.

English

The impossible transformation into a discipline of the folklore of the French hexagon, a folklore which, because it lacked academic anchorage, became increasingly an amateur’s preserve subject to a number of different uses from the beginning of the 20th century onwards, suggests that the study of poplar customs and traditions confines by its very “nature” to the exaltation of the small state. Things were in reality much more complex, both because a number of students of folklore invested the “local” with the values of patrimony rather than of politics, and because its absolutisation did not necessarily obliterate the will to create “universal” knowledge. The paper describes the tensions which fed the erudite galaxy whose apparent concentration on the local can only be understood in relation to the interests its main stars found in the affirmation of a transnational body of knowledge or the establishment of a regionalised and sanctuarised preserve.

Laurent Le Gall
(Université de Bretagne occidentale)
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Mis en ligne sur Cairn.info le 11/09/2018
https://doi.org/10.3917/rom.181.0085
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