CAIRN.INFO : Matières à réflexion

1L’œuvre de Jules Verne est portée par un puissant imaginaire de la communication, que l’on peut considérer dans sa triple dimension. 1) D’abord géographique, car il n’est pas de communication sans présupposition d’une spatialité : le roman de Verne relie les territoires entre eux, rapproche un point du globe à un autre, établit des liens là où il n’y en avait pas encore entre les terres connues et les espaces lointains. 2) La communication recouvre également une dimension technique (appareils optiques et sonores, ainsi que tous les moyens de déplacements qui permettent de surmonter les étendues géographiques). 3/Elle s’incarne enfin dans une dimension médiatique, hantée par les journalistes, par les journaux et par les bruits de la renommée de ses personnages, tout en exploitant intensément les deux éléments précédents : des techniques (le télégraphe, par exemple) et des espaces, incessamment parcourus par les journalistes. C’est à cet aspect médiatique de l’œuvre de Jules Verne que cet article est consacré, prolongeant quelques rares réflexions menées antérieurement par d’autres chercheurs [1]. Il vise à mieux comprendre comment, d’une part, l’écrivain a représenté le monde de l’information et d’autre part, comment il a fondamentalement interrogé, grâce à ces mises en scène romanesques, le contexte de la naissance de la communication médiatique de masse dont il fut l’exact contemporain : en 1863 fut lancé le Petit journal, premier journal populaire à un sou, et publié le premier roman de Verne, Cinq semaines en ballon. Or le lecteur se souvient-il de ce que faisait le héros de cette histoire, Samuel Fergusson, avant de s’élancer au-dessus du continent africain ? « [Il] fut le correspondant le plus actif et le plus intéressant du Daily Telegraph, ce journal à un penny, dont le tirage monte jusqu’à cent quarante mille exemplaires par jour, et suffit à peine à plusieurs millions de lecteurs [2]. » L’Afrique à traverser d’est en ouest, un ballon à la fine pointe de la technologie aérostatique et un ancien journaliste pour le piloter : tout était en place pour lancer la série des romans qui allaient rendre Jules Verne immédiatement célèbre.

Un héros américain

2Il faut le reconnaître d’emblée : replacé dans l’imaginaire journalistique de son époque [3], Jules Verne détonne fortement et opère une série de déplacements fondamentaux. Il ne retient à peu près rien des représentations habituelles du journaliste, qui ont cours depuis Balzac au moins dans la littérature, et abandonne résolument les tourments de l’écrivain-journaliste, façon Lucien de Rubempré. Au contraire de ces nombreux romans qui, tout au long du siècle, ont fait du journaliste la figure allégorique d’une littérature qui s’interroge sur elle-même, chez Verne, le journaliste est ontologiquement « déproblématisé » : il est et s’assume tel, forte affirmation identitaire, sans turpitude ni considérations esthétiques angoissées.

3Indéniablement, l’écrivain est attiré par d’autres sources et par des traditions journalistiques étrangères, anglo-saxonnes au premier chef. Verne a beaucoup contribué à l’importation en France – transfert dont l’histoire reste à faire dans les détails – d’un journalisme « à l’américaine [4] », et dont l’une des origines est peut-être la diffusion des pages que Tocqueville avait rédigées sur la presse dans De la démocratie en Amérique, sous la monarchie de Juillet. Si l’enthousiasme de Tocqueville demeurait mesuré, il n’en appréciait pas moins la force et la vitalité du journal dans la société démocratique américaine [5]. Progressivement, un certain journalisme héroïsé avait gagné la France, profondément associé à un imaginaire du conflit. La guerre de Crimée en fut une étape sans doute cruciale mais encore limitée, voyant émerger la pratique des premiers correspondants de guerre, anglais et français, et de nouvelles représentations qui en découlaient [6]. Qui sait si Jules Verne a pu contempler par exemple cette gravure parue le 9 février 1856 dans L’Illustration, représentant le peintre et photographe Henri Durand-Brager, au fond de la tranchée, en train de croquer pour son journal la scène de combat – hors cadre – qui se déroule sous ses yeux [7] ?

4Mais on sait par contre hors de tout doute que l’écrivain s’est intéressé de près à la guerre de Sécession, qui se déroula de 1861 à 1865 [8]. On se rappellera par exemple que c’est justement de ce conflit que les héros de L’Île mystérieuse sont arrachés, au tout début du roman, et parmi eux le reporter Gédéon Spilett. Moins connu est cet autre reporter fictif, Halliburt, prisonnier lui aussi des sudistes, que Verne imagine alors que la guerre fait toujours rage [9]. Or, pour de nombreux écrivains et journalistes français, les reporters américains étaient les représentants par excellence de tous ceux qui se dévouaient à la cause de l’information, offrant la possibilité d’une affirmation légitime du journalisme, encore balbutiante en France. Ainsi Jules Claretie s’exclamait-il, en 1870 : « Combien de reporters se sont fait tuer durant la guerre de Sécession, en Amérique, cela simplement pour envoyer des informations plus exactes à leurs journaux [10] ! » Et en effet la guerre de Sécession demeure le grand moment héroïque et fondateur du reportage américain [11], annonçant la naissance d’un journalisme attaché aux faits et incarné dans une écriture objective, donnant primauté à l’information et engendrant des pratiques héroïsées [12]. Mitchell Stephens évoque ainsi les conditions difficiles des reporters de guerre, à la course pour la transmission de leurs nouvelles (« rushing to transmit their most newsworthy information over often unreliable telegraph lines[13] »), scènes qui ne sont pas sans faire écho à certains passages d’anthologie chez Verne [14]. Même si les historiens américains débattent sur le moment exact de la naissance de ce journalisme consacré aux faits, qui passe notamment par la pratique de la « pyramide inversée [15] », on peut raisonnablement penser que Jules Verne a été impressionné par le journalisme américain durant la guerre et dans les années suivantes, de même qu’on ne peut mettre en doute le fait qu’il se soit intéressé aux évolutions des technologies de la communication.

5Que ce soit pour la rédaction de Nord contre Sud (1887) ou de L’Île mystérieuse (1874), Verne s’est documenté sur la Guerre civile. On sait notamment qu’il a consulté l’ouvrage d’Auguste Laugel, Les États-Unis pendant la guerre (1861-1865), publié en 1866 [16]. Au début de Nord contre Sud, l’écrivain livre lui-même cet autre titre important qu’il a lu, Histoire de la guerre civile en Amérique[17]. Or ces ouvrages dessinent assez nettement les contours héroïsés des reporters de guerre, confirmant que cette figure accompagne l’imaginaire du conflit américain. Laugel note ainsi : « Dans les tentes du quartier général de Grant, je vis entrer plus d’une fois les reporters des journaux, familiers avec tous les officiers, toujours en quête de nouvelles et souvent prêts à courir des dangers véritables pour en obtenir [18]. » De son côté le comte de Paris, qui avait été aide de camp du général américain Mac Clellan, est très prolixe sur ces questions. Il évoque le télégraphe et l’héroïsme des correspondants militaires (p. 506-509) ; les ballons (p 510-512) ; la lecture des journaux parmi les militaires (p. 516). Mais il développe surtout un long passage sur la dure réalité des journalistes chargés de couvrir le conflit, dont nous ne livrons qu’un extrait :

6

Recherchés, moins pour leurs opinions abstraites que pour les nouvelles qu’ils donnaient, et ne faisant de propagande politique que par la manière dont ils présentaient les faits, leur but principal était de recueillir le plus d’informations possible et d’être chacun le premier à les offrir au public. [...] Les grands journaux étaient représentés auprès de chaque corps d’armée par un correspondant en titre qui devait tout voir, prendre part de toutes les expéditions et ne laisser passer aucune aventure de guerre sans la raconter. [...] La vie que les circonstances faisaient à ces correspondants exigeait des qualités spéciales, du tact, de l’audace, beaucoup de confiance, encore plus de patience, et une robuste santé. [...] Il [leur] fallait certes, sans parler des dons de l’esprit, un caractère à la fois enjoué et fortement trempé (p. 517-518).

7Faisant écho à de telles représentations, puisant aux sources d’un imaginaire du journalisme décomplexé et énergique, l’origine anglo-saxonne du journaliste chez Verne sera donc très tôt établie et demeurera chez l’écrivain la référence par excellence pour ce type de personnages. Le geste inaugural, après les quelques allusions préparatoires dans certaines œuvres comme Les Forceurs de blocus, Cinq semaines en ballons, ou encore Le Tour du monde en 80 jours[19], se trouve dans L’Île mystérieuse. C’est en effet dans ce roman de 1874 que Verne invente son premier grand personnage de reporter : Gédéon Spilett est un « reporter [20] » chargé de couvrir la Guerre Civile, fait prisonnier – tout comme Halliburt –, s’évadant enfin grâce à un ballon, moyen de transport bien établi dans les mœurs militaires et que tout Français pouvait avoir en tête après le siège de Paris [21]. Fait non négligeable, Spilett est un journaliste du New York Herald : dans l’histoire du journalisme américain et l’essor du reportage, ce journal, fondé par James Gordon Bennett en 1835, jouissait d’une grande réputation [22]. Il est évoqué dans de nombreux romans de Verne comme référence du journalisme à l’américaine, bien informé et professionnel.

8Pour la composition du personnage de Spilett, Verne suit les conseils de son éditeur et ami Pierre-Jules Hetzel, qui lui fait quelques recommandations dans une lettre probablement datée de mai 1873, et qui semble directement reprendre ces gestes d’héroïsation en provenance des États-Unis :

9

Tenez-vous pour dit que ce soit un homme fort et spirituel en même temps, justement aussi on n’envoie pas, on n’emploie pas de simples commis voyageurs en lignes pour des missions comme celles qu’il avait, et pour un journal de l’importance du sien. Il faut des hommes trempés d’acier au moral et au physique. Il faut que ledit reporter soit un voyageur émérite, qu’il ait été partout, qu’il en ait presque vu bien d’autres et qu’il considère cet incident comme une vacance trop prolongée [23].

10Hetzel défend une conception « physique » du reporter, en déplacement continuel, plongé volontairement dans l’aventure, reprenant lui aussi les grands traits stéréotypés du journalisme à l’anglo-saxonne qui ont commencé à circuler en France. La version du roman publiée dans le Magasin d’éducation et de récréation d’Hetzel confirme que Verne a suivi les conseils de son éditeur. Il a consciencieusement exploité les représentations de la corporéité du reporter, souvent mise en danger, qui est l’une des formes récurrentes de la poétique du reportage [24], et qui paraît ici reprendre presque mot pour mot certains passages de l’ouvrage du comte de Paris :

11

Homme de grand mérite, énergique, prompt et prêt à tout, plein d’idées, ayant couru le monde entier, soldat et artiste, bouillant dans le conseil, résolu dans l’action, ne comptant ni peine, ni fatigues, ni dangers, quand il s’agissait de tout savoir, pour lui d’abord, et pour son journal ensuite, véritable héros de la curiosité, de l’information, de l’inédit, de l’inconnu, de l’impossible, c’était un de ces intrépides observateurs qui écrivent sous les balles, « chroniquent » sous les boulets, et pour lesquels tous les périls sont de bonnes fortunes [25].

12Après ces diverses mises en scène situées dans les années 1870 [26], Verne reviendra régulièrement dans quelques romans secondaires à la figure du reporter américain. C’est le cas du personnage de Harris T. Kimbale, l’un des six personnages du Testament d’un excentrique (paru en 1899 dans Le Magasin), participant à une grande course à travers les États-Unis. « Robuste, figure sympathique, un nez de fureteur, de petits yeux perçants, de fines oreilles faites pour tout entendre, une bouche impatiente faite pour tout répéter », Kimbale est un reporter au Chicago Tribune « vif comme salpêtre, actif, débrouillard, remuant, loquace, endurant infatigable, énergique », « doué d’une volonté persistante », et l’on en passe [27]. Inventé à la fin du siècle, Kimbale est un descendant des reporters de guerre qui, dans le jeu de l’oie géant imaginé par Verne pour ce roman, parcourt en tous sens les États-Unis reconstruits et unifiés.

Questions de poétique

13Au mitan des années 1860, le romancier commence ainsi à construire un extraordinaire imaginaire de l’information de masse. En 1865, De la Terre à la Lune, publié en feuilleton dans le Journal des débats, met en scène un nombre considérable de journaux et d’articles fictifs, qui médiatisent les exploits de la conquête de la Lune : on croirait déjà sentir l’émotion planétaire qui sera celle de la mission Apollo, un siècle plus tard ! Le roman s’ouvre sur une mention de la « guerre fédérale des États-Unis [28] » : le procédé balistique qui sera développé afin de rejoindre la Lune est en effet le résultat de cet « art de la guerre » si bien développé chez les Américains. Or, la mise en scène de la communication de masse dans ce roman a quelque chose d’extravagant. Elle peut être rapportée aux trois éléments qui constituent les fondements d’un imaginaire de la communication, tels que nous les avons identifiés en introduction : une spatialité à conquérir, ici sans équivalent (rejoindre la Lune !) ; une technique à mettre au point (un canon capable de propulser l’obus habité jusqu’au satellite de la Terre) ; enfin, une opinion publique surexcitée par les comptes rendus médiatiques enthousiastes de cette course à l’exploit [29]. Autant d’éléments qui font de ce roman une fable étonnante sur la modernité communicationnelle. Terminées, « ces tentatives que j’appellerai purement littéraires [30] », rappelle Impey Barbican à l’assemblée générale du Gun-Club, évoquant le fait que la Lune n’a été conquise jusqu’à ce jour que par Cyrano de Bergerac, Fontenelle ou encore Edgard Poe. Désormais, la science balistique permettra de relier les deux astres en un « trajet direct » de « 97 heures 20 minutes », comme l’indique le sous-titre du roman. Chez Verne, les représentations de la communication sont accompagnées d’une forme de rêverie sur la ligne droite (qui n’est pas sans rappeler le fil télégraphique qui traverse la Russie dans Michel Strogoff, on y reviendra), sur l’efficacité et la rapidité des liens physiques entre des lieux éloignés les uns des autres (un coup de canon ou un train lancé à pleine vitesse en sont des représentations élémentaires), et sur la mise à distance des chimères souvent embrouillées de la littérature. Portée par une technique complexe mais dominée par l’homme, la communication de la modernité est inambiguë et triomphante. En cela elle caractérise profondément la poétique vernienne, ainsi que Michel Serres l’avait bien noté, écrivant que « tout l’effort de la technologie porte, chez Verne, sur les moyens de communication, non sur les instruments de production [31] ».

14Le personnage du journaliste est le dépositaire de ces nouvelles réalités de la communication : il en incarne les qualités – rapidité, intrépidité, efficacité. Sans forcer l’interprétation et dans le seul but de mieux saisir la nature du personnage, nous aimerions suggérer qu’on pourrait voir dans la manière dont Verne met certains de ses héros journalistes en scène une sorte de figuration poétique de cette nouvelle objectivité du journalisme à l’américaine, qui prend forme à partir des années 1860 [32]. En premier lieu pour des raisons que l’on pourrait qualifier de narratologiques : comme c’est souvent le cas chez les personnages de Verne, nous ne voyons généralement que les « faits » des reporters de fiction, êtres sans grands tourments intérieurs, sans véritable expression sensible ni filtre de subjectivité. Tout se passe comme si ce qui faisait agir fondamentalement le personnage était inspiré des qualités que progressivement on allait réclamer du journalisme d’information, et qui allaient consacrer la gloire du grand reporter [33] : un entêtement du journaliste à se confronter aux « faits » du monde qui l’entoure et à ne pas s’y détourner, un grand détachement [34] malgré tout, notamment face au danger, ou encore un dévouement sans faille pour la cause de l’information. La sympathie habituelle de ces personnages et le caractère primesautier qu’ils conservent au plus fort de la tourmente, alors que tout semble désespéré, ont contribué à forger l’image bientôt récurrente dans la culture populaire du reporter plongé dans le monde mais avec flegme, sans tourments ni états d’âme. Il en ressort que le journaliste vernien s’apparente à une véritable machine de l’information : le lecteur se souviendra des qualités du Français Alcide Jolivet (et de son « appareil optique [...] singulièrement perfectionné par l’usage [35] ») et de l’Anglais Harry Blount (doté quant à lui d’un exceptionnel « appareil auditif »). En ce qui concerne Gédéon Spilett, une relecture attentive de la manière dont Verne le décrit plaide en faveur de ce rapprochement avec l’imaginaire d’une information presque technicienne. Spilett en effet est « de la race de ces étonnants chroniqueurs anglais ou américains, des Stanley et autres », « de ces intrépides observateurs » qui « ne reculent devant rien pour obtenir une information exacte et pour la transmettre à leur journal dans les plus brefs délais » ; « chacune de ses notes, courtes, nettes, claires, portait la lumière sur un point important [36]. » En quelques formules lapidaires, Verne résume les éléments clefs d’un certain journalisme à l’américaine : recherche de l’objectivité et de l’exactitude des faits, primauté de l’observation, transmission efficace de la nouvelle, concision et rapidité d’exécution.

15Cela dit, la représentation du journaliste chez Verne et le point de vue qu’il propose, à travers lui, de la culture médiatique, ne sont pas totalement figés dans cette typologie héroïque. Plus tardivement, l’auteur des Voyages extraordinaires a exploré un déplacement poétique important. Il a lieu dans un roman intitulé Claudius Bombarnac, publié en feuilleton dans Le Soleil en 1892, œuvre qui n’est pas de celles que la postérité a retenues, avec raison, mais qui présentent pour notre réflexion un intérêt tout particulier. Répondant « aux exigences du reportage, aux nécessités si modernes de l’interview [37] », Bombarnac mène une enquête à bord d’un train qui l’emporte vers Pékin. Le roman s’inspire du voyage de Paul Nadar au Turkestan, dont les échos dans la presse avaient été nombreux [38], et se nourrit de l’imaginaire de ce voyage lointain que Verne envisageait de transposer dans son roman, grâce à la figure du correspondant intrépide. La grande nouveauté de ce roman, sous-titré « Carnet d’un reporter », est que l’ensemble du dispositif narratif est confié au reporter fictif. Lancé à travers l’Asie centrale et la Chine par chemin de fer, le reporter raconte ses aventures dans un récit qui se présente comme une forme de pré-reportage, un texte noté sur le vif préparant la rédaction du reportage proprement dit. Le procédé a beau sembler banal, replacé dans le contexte de son émergence il est exceptionnel : à notre connaissance il s’agit de la toute première manifestation en France de l’entière délégation de la narration d’un roman à son héros journaliste. Verne n’hésite pas à offrir au journaliste de sa fiction l’orchestration du récit, cela jusqu’à fondre en lui l’instance énonciatrice. « Pourquoi m’en cacher ? Je suis de ceux qui pensent qu’ici bas tout est matière à chronique, que la terre, la lune, l’univers, ne sont faits que pour fournir des articles de journaux [39] », proclame l’auteur-narrateur dans cet hymne à la gloire du reportage. Prêtant sa voix aux héros de l’information et loin du modèle classique du roman de l’écrivain-journaliste, lequel préservait une saine distance entre le héros, souvent écrivain malheureux, et une narration hétérodiégétique surplombante [40], Jules Verne est de ceux qui ont beaucoup fait évoluer l’imaginaire médiatique, renouvelant en profondeur le personnel romanesque et le cadre de son action.

Irkoutsk ne répond plus

16Au début de La Terre à la Lune, Barbicane, rappelant l’importance de garder en tout temps un lien de communication – visuelle – avec le boulet lancé vers la Lune, avait affirmé qu’« il ne suffit pas d’envoyer un projectile et de ne plus s’en occuper ; il faut que nous le suivions pendant son parcours jusqu’au moment où il atteindra son but [41]. » Mais les romans de Verne, dès lors qu’ils ont affirmé fortement, comme ici, le désir de la communication et son impérieux besoin, sont prompts à en montrer tout à coup les limites. Dès après la mise à feu du canon qui propulse Michel Ardan et ses amis vers la Lune, le lien des Terriens avec le boulet devient précaire, incertain. « On ne pouvait plus l’apercevoir, et il fallait se résoudre à attendre les télégrammes de [l’observatoire] Long’s-Peak [42]. » Le temps s’est couvert, sous l’effet de la gigantesque détonation, et même dans les Rocheuses le télescope est soudain voilé, « ce qui porta au paroxysme l’exaspération publique [43] ». Le roman paraît se conclure sur une note moins positive. Le directeur de l’observatoire, ayant rétabli le contact visuel avec le boulet, « restait en perpétuelle communication avec ses trois amis, qu’il ne désespérait pas de revoir un jour [44] ». Mais voilà : ce contact sera désormais très limité et à sens unique. Il se pourrait bien que le triomphe de la communication chez Verne ne soit pas complet, malgré l’exploit technique (le canon a fonctionné) et la distance vaincue (le boulet a quitté la Terre). Tout se passe comme si la limite était plutôt d’ordre médiatique : dans de pareilles circonstances, les hommes n’ont pas les moyens de communiquer et ne disposent pas de médiations qu’ils pourraient avoir en partage, assurant leur interaction malgré la distance.

17De fait, dans les romans de Verne qui mettent les journalistes et les médias en scène, tout se passe comme si à travers eux la société de l’information sécrétait le fantasme de son envers. La fuite hors de l’omniprésence médiatique et la rupture de communication permettent au romancier de questionner poétiquement le pouvoir de l’information ; au héros reporter revient paradoxalement la tâche d’incarner ce déplacement fascinant et improbable aux marges d’un monde hypermédiatisé. L’hypothèse, que nous n’avons pas la prétention de vérifier entièrement ici, pourrait se formuler de la manière suivante : l’ère de la communication imprimée de masse s’est constituée sur un imaginaire hybride, tendant à la fois à la proclamation d’une communication triomphante, se jouant de l’espace et du temps, et à la formation de récits qui offrent une certaine résistance à cet enthousiasme [45]. L’une des grandes qualités de l’œuvre de Verne à cet égard serait donc qu’elle parviendrait à maintenir cette hybridité en tension : chez elle s’entrelacent l’admiration pour les grandes entreprises de presse anglo-saxonnes et la rupture du lien de communication, la circulation instantanée de l’information et l’attente d’une nouvelle qui ne vient jamais, ou encore la communion universelle autour des grandes nouvelles et la solitude du héros reporter. Verne décrit ainsi, dans ses romans, une communication médiatique qui n’est pas exempte de failles, de défaillances et de contradictions.

18Michel Strogoff est une fiction qui porte essentiellement sur un problème de communication et sur l’isolement des journalistes. Cette question semble avoir fasciné Jules Verne, puisqu’il s’agit de la prémisse qui sous-tend l’ensemble du roman. Celui-ci s’ouvre alors que la nouvelle se répand au palais du Tsar que le télégraphe a été coupé à Tomsk :

19

— Ainsi reprit [le tsar] après avoir conduit le général Kissof dans l’embrasure d’une fenêtre, depuis hier nous sommes sans communication avec le grand-duc mon frère ?
— Sans communication, Sire, et il est à craindre que les dépêches ne puissent bientôt plus passer la frontière sibérienne [46].

20Michel Strogoff sera envoyé aux confins de la Russie pour rétablir le lien, flanqué des deux journalistes. Ceux-ci sont bien plus que les adjuvants du héros : ils incarnent l’enjeu de cette communication défaillante sur laquelle le roman est fondé. Non sans jubilation, l’auteur plonge alors ses héros dans un monde que l’on pourrait qualifier de « démédiatisé », d’où parviennent des informations rumorales, déformées par une immense bouche à oreille à travers la Russie. Une série d’expressions caractéristiques reviennent en boucle : « le bruit se répandit [47] », « le bruit courait [48] », « nous n’en savons que ce qu’on en disait [49] », on a « entendu dire [50] », « on le dit [51] », etc. D’où également les références, innombrables, aux sens, conformément en cela à la poétique du grand reportage [52], plus importants que jamais puisque la technique fait défaut : l’ouïe et la vue exceptionnelles des reporters, la fausse cécité de Michel Strogoff, ou encore les « cent yeux, cent oreilles [53] » de l’espionne Sangarre, à la solde du traître Ivan Ogareff. D’où enfin la beauté presque solennelle du déplacement des héros à travers les grandes étendues, longeant la ligne du télégraphe afin de rétablir le lien rompu : « [La] steppe ne présentait aux regards d’autre saillie que le profil des poteaux télégraphiques disposés sur chaque côté de la route, et dont les fils vibraient sous la brise comme des cordes de harpe [54]. »

21L’Île mystérieuse pousse encore plus loin cette sortie hors du monde médiatisé, car elle confronte le reporter à la rupture complète de la communication. Quel choix étonnant de la part de l’écrivain, lorsqu’on y songe, que d’avoir imaginé un personnage de reporter pour ce roman du « blackout » complet ! Mais aussi, pour quelle autre raison Jules Verne l’aurait-il fait, sinon que pour créer un puissant contraste entre la figure du journaliste-machine et l’isolement que suppose la robinsonnade ? Verne renouvelle ce motif universel grâce à l’opposition qu’il creuse entre le monde perdu de la civilisation et un en dehors médiatique sans cesse rappelé : « Ah ! qu’un journal eût été le bienvenu pour les exilés de l’île Lincoln ! Voilà onze mois que toute communication entre eux et le reste des humains avait été rompue [55]. » Façonnant l’espace vierge de leur île pour le rendre habitable, les personnages de ce roman semblent ne manquer de rien, sinon de cette sociabilité médiatique qui caractérise en profondeur la nouvelle identité sociale des hommes de la modernité. Il est d’ailleurs remarquable que le roman précise que les deux seuls objets que Gédéon Spilett a récupérés de la chute du ballon sont « un carnet et une montre [56] », ce qui permettra au reporter de rédiger le journal des exilés et de mesurer le temps, rétablissant une forme de salutaire périodicité au sein de la microsociété insulaire. Chez Verne, les romans de reporters questionnent ainsi poétiquement le pouvoir de l’information, sa capacité – ultimement confirmée – à se jouer des frontières les plus éloignées et des mondes les plus isolés ; les lieux de l’héroïsme se situent hors de toute influence médiatique et supposent l’arrachement du héros à ces espaces désormais trop familiers qui sont couverts par les journaux.

22D’où enfin ces effets poétiques fondés sur un décalage que l’œuvre de Verne s’emploie à construire depuis l’origine. Au début des Anglais au Pôle Nord, publié à partir du 20 mars 1864 dans le numéro inaugural du Magasin d’éducation et de récréation, l’écrivain suggérait cette sortie hors du monde médiatisé en « publiant » la nouvelle du départ des aventuriers :

23

« Demain, à la marée descendante, le brick le Forward, capitaine K.Z., second Richard Shandon, partira de New Prince’s Docks pour une destination inconnue. » Voilà ce que l’on avait pu lire dans le Liverpool Herald du 5 avril 1860 [57].

24Le feuilleton situait les débuts de l’aventure dans le cadre d’une médiatisation fictive mais bientôt rompue, dispositif subtil qui ne devait pas manquer de frapper ses lecteurs, les romans de la rupture de communication étant pour la plupart prépubliés en journal. Par effet de contraste et mise en scène de la sortie du monde médiatique, Verne accentuait ainsi l’impression poignante d’isolement du voyage au long cours [58].

25Accompagnant le développement de la culture médiatique, Verne multiplie pourtant les éclairages en direction de son extériorité, inventant des fictions de journalistes séparés de leurs journaux, des télégraphes défectueux et même des télescopes voilés. Certes, la défaillance n’a qu’un temps, et à la coupure de communication succède le rétablissement de la « connexion ». Sylvain Venayre a bien exploré le « motif du retour » chez Verne, insistant sur le fait que le romancier, chantant « un hymne à la communication entre les hommes [59] », utilisait en abondance ces scènes de médiatisation du retour des héros où les moyens modernes de l’information sont représentés, victorieux. La scène conclusive de la « remédiatisation » est d’autant plus saisissante qu’elle a été précédée d’un long silence médiatique. Dans Une ville flottante, prépublié dans le Journal des débats en 1870, alors que les passagers de l’immense transatlantique approchent des côtes américaines, une goélette vient déposer à bord « une liasse de journaux sur lesquels les passagers se précipitèrent avidement. C’étaient les nouvelles de l’Europe et de l’Amérique. C’était le lien politique et civil qui se renouait entre le Great-Eastern et les deux continents [60] ». Ainsi, les romans dont il a été question dans cet article appartiennent à un âge médiatique évolué : voyages et robinsonnades ne sont pas la reprise innocente de motifs intemporels, mais leur réactivation à l’ère de l’information.

Notes

  • [1]
    Voir Christian ROBIN, « Jules Verne et la presse », dans Jean-Pierre PICOT et Christian ROBIN (dir.), Jules Verne, cent ans après. Actes du colloque de Cérisy, Rennes, Terre de brume, 2005, p. 87-108, ainsi que Christian DELPORTE, « Jules Verne et le journaliste. Imaginer l’information du XXe siècle », Le Temps des Médias, n4 (printemps 2005), p. 201-213. Ce dernier se concentre sur La journée d’un journaliste américain en 2889, nouvelle d’anticipation que l’on laissera donc de côté dans le cadre du présent article.
  • [2]
    Jules VERNE, Cinq semaines en ballon, Flammarion, coll. « GF », 2005 [1863], p. 49.
  • [3]
    À ce propos, je me permets de renvoyer à mon ouvrage : Guillaume PINSON, L’Imaginaire médiatique. Histoire et fiction du journal au XIXe siècle, Paris, Classiques Garnier, coll. « Études romantiques et dix-neuviémistes », 2013.
  • [4]
    Sandrine GUILLERM, « Regards français sur le journalisme en Amérique (1880-1890 », dans Roger BAUTIER, Élisabeth CAZENAVE et Michael PALMER (dir.), La Presse selon le XIXe siècle, Paris, Université Paris-III-Université Paris-XIII, 1997, p. 62-71.
  • [5]
    Alexis DE TOCQUEVILLE, De la démocratie en Amérique, Paris, Pagnerre, 4 vol., 1848.
  • [6]
    Voir Hélène PUISEUX, Les Figures de la guerre. Représentations et sensibilités, Paris, Gallimard, 1997.
  • [7]
    On retrouvera cette magnifique illustration, toute vernienne, dans le catalogue de l’exposition « La presse à la Une », Bibliothèque nationale de France, 2012, p. 62.
  • [8]
    Voir Christian ROBIN, « Verne et la Guerre de Sécession », Revue Jules Verne, n15, 2003, p. 31- 38.
  • [9]
    Personnage très secondaire toutefois, mais qui constitue l’enjeu de cette nouvelle puisqu’il s’agit pour les héros de se rendre à Charleston pour le libérer. Rédigé en 1864 d’après Christian ROBIN, Les Forceurs de blocus parut en octobre et novembre 1865 dans le Musée des familles.
  • [10]
    Jules CLARETIE, L’Illustration, 6 août 1870, cité par Véronique JUNEAU, Poétique et fictionnalisation du reportage de guerre sous le second Empire, Mémoire de maîtrise, Université Laval, 2011, p. 56.
  • [11]
    Parmi une abondante bibliographie à ce propos, voir notamment Words at War. The Civil War and the American Journalism, David B. SACHSMAN, S. Kittrel RUSHING and Roy MORRIS (dir.), West Lafayette, Purdue University Press, 2008.
  • [12]
    David T. Z. MINDICH, Just the Facts. How « Objectivity » came to define American Journalism, New York et Londres, New York University Press, 1998.
  • [13]
    Mitchell STEPHENS, A History of News, New York, Vicking, 1988, p. 253-254.
  • [14]
    Dans le célèbre chapitre « Verset et Bible » de Michel Strogoff (chap. 17, 1er partie), les deux reporters se disputent le télégraphe pour transmettre à leur journal les dernières nouvelles des combats entre Russes et Tartares.
  • [15]
    Voir notamment le 3e chapitre de l’ouvrage de David T. Z. MINDINCH, Just the Facts, qui résume les débats sur la naissance de la pratique de la « pyramide inversée » ; elle semble prendre forme à la toute fin de la guerre, mais sa pratique s’étend surtout au tournant du siècle.
  • [16]
    La récente édition (2012) de L’Île mystérieuse dans la Pléiade, Jean-Luc STEINMETZ (éd.), mentionne cette source (voir p. 1158-1159), ainsi que l’ouvrage de L. CORTAMBERT et F. de TRANALTOS, Histoire de la guerre civile américaine (1860-1865), Paris, Amyot, 1867.
  • [17]
    M. le comte de Paris, Histoire de la guerre civile en Amérique, Paris, Michel Lévy, 1874. Voir Nord contre Sud, Paris, Hetzel, 1887, p. 29.
  • [18]
    Auguste LAUGEL, Les États-Unis pendant la guerre (1861-1865), Paris, Germer-Baillière, 1866, p. 278 ; le mot « reporter » est souligné par Laugel.
  • [19]
    S’il n’y a pas de reporter dans ce roman, il faut néanmoins noter que Phileas Fogg est un grand lecteur de journaux (le roman s’ouvre alors que Fogg est au club, absorbé par la lecture rituelle des quotidiens), et que c’est la lecture d’un article du Morning Chronicle qui lui donne l’idée d’effectuer son tour du monde. Voir Jules VERNE, Le Tour du monde en 80 jours, Paris, Livre de poche, 1976 [1872], p. 23.
  • [20]
    Le terme est tout à fait banal dans ce texte, il est utilisé 226 fois par Verne selon le moteur de recherche de Gallica dans l’édition numérisée du roman.
  • [21]
    Sur les représentations médiatiques du ballon lors de la guerre de 1870, voir Michèle MARTIN, « La couverture internationale du siège de Paris dans la presse illustrée », dans Guillaume PINSON et Marie-Ève THÉRENTY (dir.), L’invention du reportage, Autour de Vallès, n40, p. 73-86.
  • [22]
    James L. CROUTHAMEL, Bennet’s New York Herald and the Rise ofthe Popular Press, Syracuse, Syracuse University Press, 1989.
  • [23]
    Correspondance inédite de Jules Verne et de Pierre-Jules Hetzel (1863-1886), Olivier DUMAS, Piero GONDOLO DELLA RIVA et Volker DEHS (éd.), t. 1 [1863-1874], Genève, Slatkine, 1999, p. 199.
  • [24]
    Voir Marie-Ève THÉRENTY, « Dante reporter. La création d’un paradigme journalistique », Autour de Vallès, n38, 2008, p. 57-72.
  • [25]
    Jules VERNE, L’Île mystérieuse, Paris, Livre de poche, 2002 [1874], p. 19-20.
  • [26]
    Notamment en 1878, dans Un capitaine de quinze ans, où le romancier s’amuse à mettre en scène le fameux reporter Stanley, du New York Herald, et sa mythique rencontre de 1871 avec le docteur Levingston (Paris, Livre de poche, 2002 [1878], p. 473-475).
  • [27]
    Jules VERNE, Le Testament d’un excentrique, Paris, J. Hetzel et Cie, 1899, p. 46.
  • [28]
    Jules VERNE, De la Terre à la Lune, Paris, J. Hetzel et Cie, 1868 [1865], p. 1.
  • [29]
    Le roman abonde en effet d’éclats médiatiques, de débats entre les revues scientifiques et plus généralement d’une perpétuelle « émotion universelle » (p. 162, parmi de nombreuses expressions semblables) sans cesse relayée et entretenue par les journaux.
  • [30]
    Ibid., p. 14.
  • [31]
    Michel SERRES, Jouvences sur Jules Verne, Paris, Éditions de Minuit, 1974, p. 13.
  • [32]
    Voir David T. Z. MINDICH, Just the Facts, ouvr. cité.
  • [33]
    Voir notamment Marc MARTIN, Les grands reporters. Les débuts du journalisme moderne, Paris, Audibert, 2005, ainsi que Myriam BOUCHARENC, L’Écrivain-reporter au cœur des années trente, Villeneuve d’Ascq, Presses Universitaires du Septentrion, coll. « Objet », 2004.
  • [34]
    Comme l’explique Mindich, le détachement (detachment) est l’une de ces qualités de l’objectivité journalistique qui sera très tôt associée à une bonne pratique : voir le premier chapitre de son ouvrage, p. 15-39.
  • [35]
    Jules VERNE, Michel Strogoff, Paris, Livre de poche, 2008 [1876], p. 6.
  • [36]
    Jules VERNE, L’Île mystérieuse, ouvr. cité, p. 11. Nous soulignons.
  • [37]
    Jules VERNE, Claudius Bombarnac. Carnet d’un reporter, Paris, Hetzel, 1911 [1893 pour la première édition en volume], p. 2.
  • [38]
    Voir Anne-Marie BERNARD et Claude MALÉCOT, L’Odyssée de Paul Nadar, 1890, Paris, Éditions du Patrimoine, 2007.
  • [39]
    Jules VERNE, Claudius Bombarnarc, ouvr. cité, p. 6.
  • [40]
    Sur la confrontation des deux modèles de romans, celui de l’écrivain-journaliste et celui du reporter, je me permets de renvoyer à mon article : « De Lucien de Rubempré à Gédéon Spilett, scénarios et contre-scénarios », dans Björn-Olav DOZO, Anthony GLINOER et Michel LACROIX (dir.), Les imaginaires de la vie littéraire, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 2012, p. 203-216.
  • [41]
    Jules VERNE, De la Terre à la Lune, ouvr. cité, p. 39.
  • [42]
    Ibid., p. 164.
  • [43]
    Ibid., p. 165.
  • [44]
    Ibid., p. 169.
  • [45]
    Ce ne serait pas le propre de la culture de l’imprimé du XIXe siècle. Cette hybridité se vérifierait sans doute dans le monde analogique, et plus encore numérique, comme l’a montré tout récemment Milad DOUEIHI (voir Pour un humanisme numérique, Paris, Seuil, 2011, p. 11 et suiv.).
  • [46]
    Jules VERNE, Michel Strogoff, ouvr. cité, p. 10-11.
  • [47]
    Ibid., p. 73.
  • [48]
    Ibid., p. 97.
  • [49]
    Ibid., p. 139.
  • [50]
    Ibid., p. 140.
  • [51]
    Ibid., p. 223.
  • [52]
    Voir à ce propos Marie-Ève THÉRENTY, « Les “vagabonds du télégraphe” : représentations et poétiques du grand reportage avant 1914 », Sociétés et représentations, n°21, 2006, p. 101-115.
  • [53]
    Jules VERNE, Michel Strogoff, ouvr. cité, p. 247.
  • [54]
    Ibid., p. 156.
  • [55]
    Jules VERNE, L’Île mystérieuse, ouvr. cité, p. 384.
  • [56]
    Ibid., p. 63.
  • [57]
    Jules VERNE, Aventures du capitaine Hatteras, Paris, Gallimard, coll. « Folio », 2005 [1864], p. 29.
  • [58]
    L’Île mystérieuse est publié dans le Magasin d’éducation et de récréation du 1er janvier 1874 au 15 décembre 1875, Michel Strogoff du 1er janvier au 15 décembre 1876. De nombreux autres romans publiés en feuilleton mettent en scène la rupture de communication accentuée par la médiation initiale de l’aventure : le cas exemplaire est encore une fois celui de l’épopée lunaire, publiée dans le Journal des débats en 1865.
  • [59]
    Sylvain VENAYRE, « Les motifs du retour dans les voyages extraordinaires », dans Jules Verne ou les inventions romanesques, Christophe REFFAIT et Alain SCHAFFNER (dir.), Amiens, Encrage Université, coll. « Romanesques », 2007, p. 226.
  • [60]
    Jules VERNE, Une ville flottante, Paris, Éditions Hetzel, 1884 [1870], p. 138 ; je remercie Maxime Prévost de m’avoir signalé ce passage. Parmi les nombreuses scènes de « remédiatisation conclusive », celle de Cinq semaines en ballon est aussi très suggestive : « Les journaux de l’Europe entière ne tarirent pas en éloges sur les audacieux explorateurs, et le Daily Telegraph fit un tirage de neuf cent soixante-dix-sept mille exemplaires le jour où il publia un extrait du voyage » (p. 318).
Français

Contemporaine de la naissance de la culture médiatique, l’œuvre de Jules Verne est portée par un imaginaire enthousiaste de la communication. En témoignent le personnage du reporter ainsi que les procédés romanesques souvent originaux dont use Verne, comme la délégation de la narration à un reporter fictif (Claudius Bombarnac). Mais le romancier interroge aussi les possibilités d’un en-dehors médiatique, comme si à travers ses romans la société de l’information secrétait le fantasme de son envers. D’où les scènes de la rupture de communication : ligne télégraphique coupée (Michel Strogoff), télescope voilé (De la Terre à la Lune), étendue géographique insurmontable (L’Île mystérieuse). L’ère de la communication imprimée s’est peut-être ainsi constituée sur un imaginaire hybride, tendant à la fois à la proclamation d’une communication triomphante et à la formation de récits qui en dévoilent les limites.

English

Abstract

Jules Verne’s work, which is contemporary with the birth of the media culture, is carried by a wave of imagination enthusiastic for the world of communications. Witness the character of the reporter, as well as the often-original fictional devices used by Verne, such as the delegation of narrative voice to a fictitious journalist (Claudius Bombarnac). But the novelist is also interested in the possibilities of a world outside the media, as if through his novels the information society were fantasizing its negation. Thus the many scenes where communications break down : cut telegraph wire (Michael Strogoff – Michel Strogoff), a shadow on a telescope (From the Earth to the Moon – De la Terre à la Lune), impassable geographical distance (The Mysterious Island – L’Île mystérieuse). The era of printed communication has thus perhaps build itself up on a hybrid imagination, which tends both to proclaim the triumph of communication and to invent stories showing its limits.

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Guillaume Pinson
(Université Laval)
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Mis en ligne sur Cairn.info le 15/01/2013
https://doi.org/10.3917/rom.158.0083
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