CAIRN.INFO : Matières à réflexion

1 En 1843 paraissait aux éditions Hetzel un livre illustré intitulé Voyage où il vous plaira, signé de trois noms d’auteurs : Tony Johannot, Alfred de Musset et P.-J. Stahl. Si cet ouvrage remporta un succès certain auprès des lecteurs de l’époque [2], il est tombé dans l’oubli depuis, n’intéressant plus que les bibliophiles ou les spécialistes de Musset qui se sont longtemps demandé quelle avait bien pu être la participation effective de l’auteur de Lorenzaccio à cette entreprise [3].

2 La principale raison de ce désintérêt tient peut-être à la facture même de l’ouvrage, à cette forte impression de disparate, d’incongruité, voire d’incohérence, que celui-ci ne manque pas de laisser au lecteur : œuvre rhapsodique, récit plus ou moins bien ficelé, Voyage où il vous plaira déroute par la désinvolture de sa composition, par sa « fantaisie ». C’est le mot qui trône au sommet du frontispice du livre (p. 52), et celui qui revient le plus souvent pour qualifier ce texte. Ainsi Émile Montégut, dans le long article qu’il a consacré à l’ensemble de l’œuvre de Stahl, commente en quelques pages le Voyage, dont il souligne la « poétique fantaisie » (p. 249). Plus loin, il répète que « la fantaisie et la poésie abondent » dans ce livre, et l’auteur lui-même, P.-J. Stahl, insiste dans son manuscrit sur la poésie du style et du ton, et utilise à trois reprises des expressions similaires : « un livre de fantaisie » ; « cette fantaisie charmante » ; « l’œuvre de l’imagination ou pour mieux dire de la fantaisie » (p. 230-232). Or nous savons, comme le rappelle Daniel Sangsue dans Le Récit excentrique, combien les liens entre « fantaisie » et « excentricité » sont étroits : les deux mots sont couramment employés l’un pour l’autre au XIXe siècle, parfois accompagnés de termes sentis comme synonymes, sous la plume de Gautier par exemple [4]. C’est D. Sangsue lui-même qui nous invite à ranger Voyage où il vous plaira (bien que cette œuvre ne fasse pas partie du corpus qu’il étudie), dans la lignée du Voyage sentimental de Sterne (1768), leur père à tous, aux côtés de Voyage autour de ma chambre de Xavier de Maistre (1794), de Voyage autour de mon jardin de Karr (1845), ou encore des Zigzags de Gautier (1845), qui deviendront les Caprices et Zigzags en 1852, et qui rappellent un ouvrage de Töpffer paru en 1843, Voyages en zigzag[5] : autant de voyages originaux rassemblés sous la bannière du « récit excentrique ». Autant d’œuvres qui ont un autre point commun : celui d’avoir subi, après un succès prolongé pour certaines d’entre elles, comme Voyage autour de ma chambre, une longue période d’oubli. C’est donc à travers ce concept d’« excentricité », tel qu’il a été analysé par Daniel Sangsue, que je vais aborder l’originalité de Voyage où il vous plaira et, ce faisant, tenter de préciser les contours de ces deux notions qui ne se recouvrent pas entièrement : la fantaisie et l’excentricité.

3 Sangsue définit le « récit excentrique » à partir des récits parodiques, des anti-romans des XVIIe et XVIIIe siècles : le troisième chapitre de son essai présente ainsi une liste de « Figures du récit parodique [6] » que je vais quelque peu regrouper et compléter par les procédés qui définissent plus spécifiquement le « récit excentrique », abordé dans la deuxième partie de l’ouvrage, et c’est à l’ensemble de ces données que je confronterai Voyage où il vous plaira.

Caractères parodiques et excentriques de Voyage où il vous plaira

4 Bien que le roman n’ait acquis ses lettres de noblesse qu’au XIXe siècle, et qu’il ait largement échappé jusque-là à toute tentative de définition formelle [7], le récit en prose n’en obéit pas moins à un certain nombre de règles, comme le rappelle Sangsue, ou plutôt de conventions tacitement admises, sortes de présupposés esthétiques impliqués par le « bon sens [8] ». Ces critères sont aussi bien d’ordre générique que structurel : le récit de fiction traditionnel, réadaptant pour son propre compte les règles définies par la Poétique d’Aristote, rejette le mélange des genres, obéit à des principes de non-contradiction et répond à des normes de composition : on s’attend à trouver dans tout récit une « progression » avec un début, un milieu comportant un certain nombre de péripéties, et une fin. Il existerait même une règle canonique du récit qui obligerait « de commencer in medias res, comme Homère dans l’Odyssée[9] ». On sait que ce sont précisément contre ces présupposés que s’inscrivent les « anti-romans » ou romans parodiques, qui fleurissent dès le XVIIe siècle. La contestation du genre romanesque est une constante de ce type de récits, qui se plaisent à brouiller les pistes et à rendre problématique leur propre caractérisation générique.

5 Ces critères généraux utilisés par D. Sangsue pour définir le roman parodique s’appliquent bien à Voyage où il vous plaira, pour lequel la question du « genre » se pose d’emblée. Rappelons rapidement de quelle façon « l’intrigue » est conçue : un jeune homme nommé Franz, qui a la passion des voyages, doit épouser Marie qu’il aime et qui l’aime. La veille de son mariage, pris d’un doute sur ses propres intentions, il décide de brûler tous les récits d’explorateurs qu’il possède, pour éviter la tentation. Peine perdue : Jean Walter, son compagnon d’escapades, fait soudain irruption chez lui et ils partent la nuit même à l’aventure. En chemin, ils rencontrent de nombreux personnages qui viennent relayer la narration à la première personne (le récit est censé avoir été consigné dans le journal de Franz) en racontant des contes merveilleux, ou des épisodes de leur propre vie, comme c’est le cas notamment avec le long récit de « L’homme au grand chapeau ». Du voyage lui-même nous ne saurons à peu près rien, sauf que Franz et Jean ont parcouru toute l’Europe : le seul chapitre qui pourrait rendre compte d’une excursion pittoresque, « Une journée à Londres », se déroule un dimanche, jour où tout est fermé dans la capitale anglaise et où, par conséquent, il n’y a strictement rien à voir. Le récit s’achève sur le topos littéraire d’une tempête en mer et d’un naufrage ; mais, miraculeusement, Franz se retrouve dans sa petite maison des bords du Rhin : tout cela n’était qu’un rêve, et il va épouser sa tendre Marie comme prévu.

6 Si tout récit canonique doit répondre à un certain « but », on peut se demander quel est celui de cet ouvrage, dans la mesure où l’intrigue principale, le voyage des deux protagonistes, disparaît presque sous l’accumulation des récits enchâssés : par un phénomène d’« excentration [10] », « l’histoire » principale se trouve repoussée à la périphérie du texte, remplacée par « des histoires ». Sur les cent soixante-sept pages en effet que comporte le récit dans notre édition, quatre-vingts environ, soit un peu moins de la moitié seulement, concernent les aventures des deux personnages principaux. Le reste est constitué d’un « Avant-propos » (deux pages), d’un prologue précédant le départ (trente-quatre pages), de deux contes narrés par des personnages secondaires (« Les Fleurs des bois » et « Les Amours du petit Job et de la belle Blandine », respectivement sept et treize pages), et de deux récits à caractère autobiographique : l’un relativement court, entrepris par le personnage principal (le récit des étoiles, deux pages), et l’autre beaucoup plus long, narré par le troisième protagoniste rencontré en chemin, l’« Histoire de l’homme au grand chapeau » (seize pages) ; enfin le texte se clôt sur un épilogue de huit pages, relatif au mariage de Franz. Si nous considérons que le « corps » du livre est assuré par le récit du voyage, les « membres » constituent des digressions sensiblement aussi importantes en taille. Or D. Sangsue voit dans la digression l’un des critères essentiels du récit parodique [11], que les récits excentriques, notamment celui de Xavier de Maistre, exploiteront à l’extrême. Si nous ajoutons à cela que le livre contient deux poèmes de Musset, dont l’un accompagné d’une partition musicale, et une série de trente-trois vignettes dans le texte ainsi que soixante-trois planches hors texte, parfois organisées en un ensemble de quatre ou cinq unités qui acquièrent alors une forte autonomie, nous aurons une idée de l’aspect totalement disparate de l’ouvrage : il ne s’agit véritablement ni d’un récit de voyage, ni d’un recueil de contes, ni d’un roman à deux personnages principaux, qui comprendrait un prologue et un épilogue, ni même d’un récit de rêve comme il faudrait l’imaginer, tant cette ficelle qui permet de clore le texte est invraisemblable et incohérente par rapport au récit lui-même [12]. Pas plus que nous ne pouvons imaginer que le Voyage autour de ma chambre de X. de Maistre dure quarante-deux jours, nous ne pouvons admettre que les péripéties de Voyage où il vous plaira aient été intégralement rêvées.

7 Ce mélange, qui rend impossible une définition générique de l’œuvre, apparente donc clairement dans un premier temps Voyage où il vous plaira aux récits excentriques : alors que les anti-romans pouvaient encore être généralement classés parmi les romans, ces textes ne sont plus assimilables à aucun genre précis [13]. De plus, la structure de l’ensemble n’obéit à aucune règle d’équilibre et, comme chez Sterne, la notion de « chapitres » en tant qu’organisateurs du récit est fortement malmenée : alors que les chapitres I, II, III, V et VI comprennent respectivement une, quatre, vingt, quatre et de nouveau quatre pages, le chapitre IV en contient à lui seul cent vingt-cinq, soit quatre-vingts pour cent de l’ensemble. Pour preuve du peu d’importance que les auteurs semblaient accorder à cette organisation, on ajoutera le fait que le chapitre III est intitulé « Journal de Franz », alors que ce titre devrait porter sur l’ensemble des chapitres III et IV, et que la table des matières de l’édition originale de 1843 comportait même une erreur dans la numérotation (p. 43).

8 La conduite du récit semble relever de l’« aléatoire », autre critère retenu par Sangsue [14]. Cela est dû en partie au fait que le livre, avant d’être publié, fut vendu en trente-trois livraisons de quatre pages environ, et que ce principe s’accommode fort bien d’une part d’improvisation, comme en témoignent le « prospectus » et « l’avis » (p. 227-229). De plus, la place primordiale accordée à l’illustration – Johannot étant à l’origine du projet avec une série de vignettes qu’il présenta à Hetzel (p. 20-21) – peut expliquer aussi les fluctuations d’un récit qui n’hésite pas à se mettre au service des images, renversant ainsi la hiérarchie traditionnelle entre les deux moyens d’expression. Le lecteur peut donc être surpris par la façon désinvolte dont est mené ce pseudo-récit de voyage, car non seulement nous ne savons rien des lieux traversés, mais il nous est impossible de reconstituer le trajet suivi : le seul renseignement que nous possédions est une liste de pays, présentés dans un ordre aléatoire (p. 196-197). La liste, autre dispositif utilisé dans les récits parodiques, abondamment exploité dans ce monument excentrique qu’est l’Histoire du Roi de Bohême et de ses sept châteaux, produit un effet d’éclatement du sens : « Le dispositif de la liste, écrit D. Sangsue, cristallise le parasitage du syntagmatique par le paradigmatique [15]. » Dans Voyage où il vous plaira, comme dans l’ouvrage de Nodier, il s’agit aussi parfois de « compenser l’absence des éléments constituants [de l’histoire] par une munificence énumérative [16] » et surtout, dans le livre de nos trois auteurs, par une munificence illustrative. Or l’abondance des vignettes dans ces deux œuvres, fruit d’un même esprit créatif, celui de Johannot, introduit un rythme de lecture particulier et implique, pour le lecteur, un autre regard sur la page [17]. Ajoutons enfin l’utilisation systématique des épigraphes, qui ont souvent une valeur parodique dans les récits excentriques – on pense, dans notre livre, après une référence à Calderón, à une citation comme « “Tout arrive” (idem) » (p. 212) – et qui induisent aussi un autre niveau de lecture (dû à une typographie différente, à l’effet de titre, à la fonction programmatique ou conclusive plus ou moins hermétique ou ironique de l’épigraphe sur laquelle le lecteur est amené à s’interroger, etc.). Le « parasitage » de la linéarité narrative par ces facteurs internes ou externes au récit écrit s’accompagne d’incongruités, concernant la chronologie des événements : « C’est en causant ainsi, et encore autrement, que peu à peu nous fîmes le tour de l’Europe », apprend-on au détour d’un paragraphe, pour lire immédiatement après que les personnages viennent juste de franchir le Rhin (p. 159), c’est-à-dire de partir de chez eux.

9 Quant aux récits « secondaires », qui constituent une part essentielle du livre, comme nous l’avons vu plus haut, ils ne semblent pas davantage répondre à un ordre quelconque. Ils se distinguent par leur autonomie, et pourraient facilement être déplacés, voire retranchés ou réutilisés ailleurs, comme ce fut le cas pour plusieurs passages de l’Histoire du Roi de Bohême de Nodier ou des Faux Saulniers de Nerval [18] : Stahl puisera dans Voyage où il vous plaira pour ses ouvrages futurs comme Bêtes et gens, Morale familière, ou encore pour certains numéros de son Magasin d’éducation et de récréation. Dans Morale familière, notamment, deux épisodes du Voyage seront repris et placés dans un ordre différent [19]. Il nous semble, en définitive, que tout comme le narrateur de Sterne, celui de Voyage où il vous plaira aurait pu dire : « Je ne conduis pas ma plume, elle me conduit [20]. »

10 Voyage où il vous plaira, comme les textes étudiés par D. Sangsue, trouve sa place naturelle dans la lignée des romans parodiques, des anti-romans. En l’occurrence, c’est contre un type précis de récits qu’il s’élabore : les récits de voyage. Ces ouvrages, devenus une véritable mode en France depuis le XVIIIe siècle, sont fréquemment parodiés et Nodier, entre autres, a ironisé sur leur prolifération [21]. Dans Voyage où il vous plaira, s’ajoute au refus du narratif dont on parlait plus haut un refus du descriptif – que l’on peut apparenter aux pages blanches de Sterne – et qui est un autre critère défini par Sangsue [22]. De même que les Caprices et zigzags de Gautier dénoncent les poncifs des récits de voyage, notre histoire accumule les lieux communs, et se limite à des énumérations tautologiques [23] ; à l’instar de Sterne qui refuse de décrire Calais, Stahl renonce à nous faire visiter Londres. L’excursion en Italie, quant à elle, se limite à une anecdote futile, celle du brigand italien (breton en réalité) que l’on vient de capturer.

11 Nous n’en savons pas davantage sur les différents personnages de l’histoire, car le refus du descriptif s’applique aussi aux portraits écrits, absents dans l’ensemble du texte : il nous est impossible de nous représenter Marie, ni même Franz, autrement que par les vignettes de Johannot. En fait, ce n’est pas par leur physique ni par leurs caractéristiques psychologiques que se déterminent les personnages des récits parodiques, mais par d’autres éléments qui leur sont propres. Le protagoniste s’inscrit par rapport à un type littéraire, se plaçant dans une intertextualité nettement marquée, et en lui se cristallise aussi une autre fonction parodique, le « héros » étant souvent un « anti-héros » : « Deux traits caractérisent les personnages principaux dans le récit parodique : leur “profil” intertextuel et métaleptique ainsi qu’une qualification largement anti-héroïque [24]. » Nous reviendrons plus loin sur les aspects métaleptiques, mais remarquons que les deux autres adjectifs s’appliquent bien au personnage de Franz qui, comme ses congénères, « voit la vie selon la littérature » (p. 74) [25]. Celui-ci se définit en effet, dès le début, par rapport aux récits de voyages et à leurs héros, et son acte d’autodafé a aussi pour conséquence d’introduire le livre en tant qu’objet dans le récit, ce qui est également une tradition du roman parodique [26] : on pense bien sûr, dans Don Quichotte, à l’épisode où l’on brûle tous les livres du pseudo-chevalier. Quant au caractère intertextuel de l’ensemble, c’est un des faits les plus notoires de ce récit, qui accumule citations et allusions littéraires, sans oublier « la » référence des auteurs excentriques [27], Sterne, que Stahl cite dans son manuscrit (p. 230) et auquel plusieurs passages font penser. De même, c’est plutôt du côté des anti-héros qu’il faudrait placer Franz, qui laisse agir son compagnon quand il faut sauver un homme qui se noie, ou qui est effrayé et se croit saisi par des monstres aquatiques, lorsqu’il se retrouve dans l’eau après une chute de cheval, et que ce même camarade n’est pas là pour le secourir.

12 Comme les romans parodiques et leurs descendants, les récits excentriques, Voyage où il vous plaira présente donc bien une contestation des principaux éléments constitutifs du récit traditionnel, tant du point de vue générique que structurel ou thématique. C’est par une inscription dans le monde même des textes, par une surabondance des liens intertextuels que se caractérise surtout cette œuvre qui nous offre, bien plus qu’un récit de voyage, un voyage dans les récits. Si les anti-romans, comme les récits excentriques, entretiennent en permanence un dialogue avec le monde des textes, ils ne se privent pas non plus d’établir une communication avec le lecteur, par laquelle ils rompent l’illusion romanesque – sous le prétexte, qui peut sembler paradoxal, du réalisme – et de refuser ce pacte de lecture que le récit traditionnel signe avec son lecteur. Une des particularités essentielles de ce genre d’ouvrages, qui va être exploitée à outrance par les récits excentriques, c’est l’omniprésence du discours métanarratif, le texte se montrant en train de se faire. Or, cette particularité est quasi absente de Voyage où il vous plaira, et c’est sur cette nouvelle singularité que nous allons à présent nous interroger.

Aux portes de l’excentricité

13 Un certain nombre d’autres critères énoncés par Sangsue pour définir les récits parodiques et excentriques relèvent du discours métanarratif : il s’agit des intrusions de l’auteur dans son texte (« la parabase [28] »), des changements de niveaux narratifs, c’est-à-dire du mélange des niveaux diégétique et extradiégétique (« la métalepse [29] »), ou encore du jeu avec le lecteur dont on se moque, ou que l’on prend à témoin (« le lecteur parodié/parodiste [30] »). En montrant les dessous du texte, en exhibant et en commentant son propre travail, en jouant avec l’attente du lecteur, l’auteur vient briser l’illusion et empêche ce dernier de « croire » à l’histoire. Il faut donc relier l’utilisation de ces différents procédés à une attitude plus générale de démystification du romanesque. Les récits excentriques procèdent ainsi systématiquement à « la mise en question de l’appareil démarcatif [31] », c’est-à-dire au rejet de toutes ces inventions jugées artificielles et qui permettent, dans le récit traditionnel, de « faire entrer » le lecteur dans l’histoire.

14 A priori, Voyage où il vous plaira relèverait de nouveau de cette catégorie, et même plus nettement qu’aucun autre ouvrage, puisque la parabase et la métalepse s’y affichent dès le titre : non seulement le dialogue avec le lecteur s’instaure par la présence du pronom « vous », supposant donc un auteur qui s’adresse directement à lui, mais le verbe au futur semble nous octroyer la possibilité de créer notre propre voyage, et de lire le livre en toute liberté, en palliant tous les manques narratifs et descriptifs par notre imagination, si nous le désirons. On s’attendrait donc à trouver, dans la suite, un emploi récurrent de ce dispositif. Il n’en est rien. Si le narrateur s’adresse à plusieurs reprises à un narrataire, il s’agit le plus souvent de formules rhétoriques insignifiantes, comme « lecteur bienveillant » (p. 208), « cher lecteur » ou encore « ah ! lecteur » (p. 214), accompagnées éventuellement du pronom « vous ». Quelquefois le narrataire se trouve davantage impliqué, comme lorsque Franz s’adresse à lui pour lui expliquer son acte insensé (p. 89), pour justifier ses sentiments (p. 131), pour le louer de rester chez lui au lieu d’entreprendre un périlleux voyage (p. 196) ou pour lui donner un conseil (p. 149). Enfin, le texte se clôt sur une remarque métanarrative, par laquelle Franz abandonne son récit : « je m’arrête ici cher lecteur » (p. 215), le bonheur ne pouvant se raconter. Mais toutes ces adresses au lecteur sont le fait du personnage narrateur qui, rappelons-le, est censé rédiger son journal. Elles sont donc parfaitement vraisemblables, Franz pouvant supposer que quelqu’un lira son texte. En aucun cas, elles ne constituent des métalepses narratives, car elles n’entraînent pas une confusion entre les deux niveaux, diégétique et extradiégétique. Quant aux autres adresses au lecteur qui précèdent le journal de Franz, elles se situent à deux reprises dans « L’avant-propos » (p. 55) – c’est-à-dire dans le paratexte, où il est normal de les y rencontrer – au début des chapitres I et II (p. 59, 61), ainsi qu’à la fin du chapitre II (p. 62). Cette dernière occurrence ne relève pas de la métalepse, mais tout au contraire de la mise en place de « l’appareil démarcatif » du texte que rejettent, précisément, les récits excentriques, puisqu’il s’agit de faire croire au lecteur que l’histoire qu’il va lire a été confiée à un narrateur hétérodiégétique, sous la forme d’un journal, par Franz lui-même juste avant de se marier : c’est le principe, surexploité au siècle précédent avec toutes ses variantes possibles, du manuscrit trouvé. Quant à l’adresse au lecteur placée au début du chapitre I, elle relève d’une simple formule rhétorique comme celles que nous trouvons dans le journal de Franz. Seul le passage introduisant le chapitre II évoque immanquablement les métalepses des romans parodiques :

15

Son nom était Franz. [§] Celui de sa fiancée ? – je ne puis vous le dire. Si vous le voulez, nous lui donnerons le nom, – le nom si doux de celle que vous aimez. Mais quoi ! Vous n’avez point, vous n’avez plus d’amie ? Alors, choisissez, entre ceux-ci, le nom qui vous plaira : voulez-vous Marguerite, ou Lolotte, ou Juliette, ou Héloïse, ou Laure, ou Julie ? Si dépourvu qu’on soit, on a toujours bien qui aimer parmi ces glorieuses filles de la Poésie. [§] Pour moi, je l’appellerai Marie, si vous le permettez, parce que j’aime ce nom. (p. 61)

16 Non seulement l’auteur dialogue librement avec le lecteur dans ce passage, feint de lui accorder un pouvoir sur l’identité des personnages, mais il inscrit aussi son texte, par l’intermédiaire des héroïnes citées, dans un vaste réseau intertextuel. C’est cependant le seul moment du livre qui apparente directement Voyage où il vous plaira aux récits excentriques du point de vue de ces critères essentiels que sont la parabase et la métalepse narrative : nous aurons à nous demander pourquoi Stahl ne poursuit pas plus loin dans cette voie.

17 Il se trouve, en réalité, que d’autres critères plus ponctuels permettant d’identifier le récit excentrique sont également exclus du Voyage. Bien que la division en chapitres y soit peu pertinente, comme nous l’avons vu plus haut, les titres donnés par Stahl n’ont pas ce caractère parodique et déroutant qu’ils peuvent avoir chez Sterne (« Qui n’a pas besoin de titre », « Indéfinissable », « Où l’on raconte ce que l’on y verra »...). Les titres des chapitres de Voyage où il vous plaira, ou des récits secondaires inclus dans ceux-ci, au contraire, contiennent des informations sur le contenu et remplissent leur rôle : « Journal de Franz », « Les Fleurs des bois », « Histoire de l’homme au grand chapeau »... Le livre dans son ensemble ne se présente pas comme un objet dont on discute, et que l’on remettrait en cause par une mise à distance, une ironie ou une dérision permanentes : le procédé de mise en abyme souvent utilisé dans les récits parodiques, qui permet au livre de s’exhiber en tant que livre – on pense à la deuxième partie de Don Quichotte, lorsque le héros découvre le récit de ses propres aventures – n’a pas été retenu par Stahl. Dans les récits excentriques comme ceux de Nodier, au contraire, le procédé de mise en abyme conduit à « une mise en procès de la notion même de livre [32] ». D’autre part, alors que les récits excentriques refusent la linéarité du récit [33], pratiquent la « suspension [34] », commencent des histoires sans les terminer (sur le modèle d’un autre roman parodique célèbre, Jacques le Fataliste), nous constatons que tous les récits entrepris dans Voyage où il vous plaira se déploient intégralement jusqu’à leur conclusion et forment, chacun d’entre eux, un tout parfaitement cohérent. Enfin, le personnage principal ne répond pas à l’ensemble des caractéristiques du « héros » parodique : d’une part il n’en assume pas la fonction métaleptique, d’autre part il n’est pas lui-même un « excentrique » ; ce serait même le moins excentrique des trois personnages, l’un passant son temps à courir le monde sans savoir ce qu’il cherche, l’autre sachant ce qu’il cherche mais ayant décidé, au contraire, après un séjour dans un hôpital psychiatrique dont il s’est enfui, d’attendre que l’homme qui lui a volé sa cervelle croise de nouveau son chemin. Franz, en revanche, va trouver un bonheur simple et raisonnable auprès de celle qu’il aime.

18 Il faut donc, pour tenter de comprendre pourquoi Stahl ne pousse pas la logique – si l’on peut dire – de l’excentricité jusqu’au bout, replacer Voyage où il vous plaira dans un contexte plus général qui est celui des années 1840, et envisager la façon dont Hetzel, l’homme, l’éditeur, et pas seulement l’écrivain, tente de se positionner à cette époque.

Les raisons d’un choix d’écriture

19 Il n’est peut-être pas inutile, tout d’abord, de rappeler la part autobiographique du récit : P.-J. Stahl s’est représenté en partie sous le personnage de Franz (p. 31), et a donné à la fiancée de celui-ci le prénom de sa propre fille, Marie ; les origines rhénanes de Hetzel et de Johannot se retrouvent dans le choix du lieu ; quant à Musset, il apparaît par certains traits sous le personnage de Jean Walter (p. 31-32). Or c’est Jean qui est à l’origine du départ, qui pousse Franz à abandonner celle qu’il aime, et qui incarne donc la tentation brûlante du voyage qui couve sous les braises du mariage. Sorte de double quelque peu diabolique du personnage principal – il est né le même jour que lui (p. 99) – il incarne une force centrifuge, une tentation proprement « excentrique » : Franz cède à sa puissance maléfique, quitte son village et ceux qu’il aime, son foyer, son « centre ». Envoûté par Jean, il cède une dernière fois à l’appel du large : Voyage où il vous plaira, c’est aussi l’histoire fantasmée d’un enterrement de vie de garçon, et pour Franz une dernière échappée belle vers l’inconnu, avec pour seul guide sa bonne étoile, sa bonne Fortune, en quête peut-être de quelque ultime bonne fortune [35]... Hetzel, jeune père de famille (il n’a pas encore trente ans en 1843), lié très tôt à une femme qu’il ne quittera jamais, farouche défenseur des valeurs conjugales, n’aurait-il pas subi lui-même, aux côtés de ce coureur de jupons qu’était Musset, la tentation de l’excentricité ? Cette hypothèse semble du reste corroborée par certains témoignages : une lettre de Musset, précisément, à son frère Paul, laisse entendre que Hetzel n’était pas insensible aux charmes de la fille de Nodier, qui se prénommait... Marie [36], et l’épouse de l’éditeur eut semble-t-il parfois à se plaindre des incartades de son mari (p. 251). Tout cela reste certainement très anecdotique, mais cette tentation de l’excentricité, qui est celle de Franz, fut peut-être aussi celle de P.-J. Hetzel lui-même [37].

20 Beaucoup plus intéressantes sont les raisons littéraires qui, en l’occurrence, rejoignent des impératifs commerciaux. N’oublions pas, en effet, que l’écrivain P.-J. Stahl et l’éditeur P.-J. Hetzel ne font qu’un, et que celui-ci n’a certainement pas l’intention de tomber dans ce côté excédant du Roi de Bohême de Nodier, en faisant de son Voyage un autre « texte paroxysme où toutes les excentricités [...] se concentrent », illisible pour un large public [38].

21 Après le succès de son premier ouvrage collectif, Scènes de la vie privée et publique des animaux[39], Hetzel s’est en effet nettement orienté vers une certaine catégorie de livres, pour un public ciblé. Ses œuvres s’adressent à des amateurs éclairés qui apprécient les qualités littéraires autant que la beauté de l’objet, et qui ont les moyens de s’offrir des ouvrages de luxe que l’on peut feuilleter en famille : les enfants sont attirés par les vignettes, tandis que les adultes lisent les contes signés par des noms prestigieux, Sand, Musset, ou Balzac. Ce public, on s’en doute, n’est pas vraiment porté à l’excentricité : Voyage où il vous plaira, bien qu’offrant à Hetzel beaucoup plus de liberté que ses grands ouvrages collectifs, ne peut se permettre de heurter trop violemment les goûts de ceux qui ont souscrit à l’ouvrage précédent, et c’est bien sur la fidélité de ses lecteurs que Hetzel fait la promotion du livre (voir le « prospectus », p. 227-228). La fantaisie aura donc ses limites, et ne se métamorphosera pas en excentricité absolue. L’auteur affirme lui-même que « le style [...] n’a rien de commun avec le hasard », et que si « l’imagination commande souvent [...] le bon sens n’est pas loin pour en réprimer les écarts » (p. 252). Refusant les originalités typographiques des « excentriques », qui n’hésitent pas non plus à malmener la phrase, c’est plutôt au cri de « paix à la syntaxe » de son futur ami Hugo que Stahl se rallie, conservant une écriture classique, jamais confuse ni hermétique, se permettant tout au plus un emploi fantaisiste des guillemets et des tirets. C’est donc, en définitive, à la définition même de l’excentricité donnée par Nodier que Hetzel refuse d’adhérer :

22

J’entends ici par un livre excentrique un livre qui est fait hors de toutes les règles communes de la composition et du style, et dont il est impossible ou très difficile de deviner le but, quand il est arrivé par hasard que l’auteur eût un but en l’écrivant [40].

23 On pourrait considérer que les exigences commerciales de l’éditeur Hetzel, qui ne voulait pas se saborder, ont ainsi bridé la tentation excentrique de l’écrivain Stahl, mais ce serait, je crois, attribuer à ce dernier une conception de l’écriture qui ne sera jamais la sienne. Tout au long de sa carrière il conservera, au contraire, une certaine vision « classique » de la littérature, dans le sens où celle-ci ne saurait être uniquement l’expression originale d’une individualité : elle a pour lui une mission beaucoup plus haute à remplir, qui est de plaire mais aussi de se rendre utile. Le « conteur moraliste », comme le surnomme Montaigut, n’aurait pu atteindre son but en cédant à l’excentricité. Et c’est là que les exigences littéraires rejoignent un contexte politique et social en dehors duquel il serait également difficile de concevoir l’œuvre de Stahl. Le récit excentrique, qui a connu sa plus grande vitalité juste après la révolution de 1830 [41], est à la fois le « produit d’une rupture historique[42] », celle de 1789, et de « l’avènement du moi [43] » romantique, et ces deux facteurs combinés le différencient des romans parodiques précédents. Ainsi dans ces récits, le discours politique, comme les autres discours, volet-il souvent en éclats, et Nodier lui-même a souligné avec lucidité que « la perturbation des “règles communes de la composition et du style” est le pendant de la désagrégation politique [44] ». Là encore, Hetzel va prendre ses distances. Si, pour lui, la littérature a un objectif moral, elle doit être aussi la manifestation d’un désir de construction et non de destruction : en 1843, Hetzel est déjà depuis plusieurs années engagé dans le combat politique avec Paulin et les journalistes du Républicain, et il atteindra aux plus hautes fonctions de l’État en 1848 aux côtés de Lamartine et de Bastide, avant de poursuivre son combat en dehors des frontières, comme Hugo, son complice de l’exil ; et comme pour le jeune Hugo frénétique de Han d’Islande, l’excentricité littéraire chez Stahl ne fut bien qu’une tentation : la littérature a une plus haute mission à remplir, elle ne peut se limiter ni à une parodie destructrice, ni à l’expression égocentrique d’une conscience en mal de rupture.

Vers une fantaisie contrôlée

24 Voyage où il vous plaira peut donc se lire comme une œuvre au troisième degré, parfaitement consciente de ses choix et de ses moyens. Alors que les récits excentriques, comme leurs aînés, les récits parodiques, trouvent leur existence par rapport à une certaine littérature qu’ils dénoncent et dont ils se moquent, le texte de Stahl s’inscrit à son tour en regard de ces récits dont il veut se démarquer : la fantaisie, pleinement assumée, revendiquée, ne conduit pas à cette autodestruction du récit, à ce suicide du livre que constituent les récits excentriques dans leurs tentatives extrêmes. Voyage où il vous plaira nous fournit donc un excellent exemple des limites que se fixe la fantaisie, en se distinguant de l’excentricité : non seulement la fantaisie ne constitue pas un sabordage en règle du récit, mais elle s’accommode même fort bien d’une part de réalisme [45], comme l’a expliqué Jean-Louis Cabanès :

25

Pour que celle-ci [la fantaisie] s’affirme dans l’évocation des rêves, des cauchemars, encore faut-il qu’elle n’omette pas de laisser aux lecteurs, ou aux personnages, des portes de sortie. Dans sa rencontre avec l’univers onirique, la fantaisie, qui peut être alors réputée « sérieuse », tend à associer « fancy » et « phantasie » et, peut-être même, à prêter à quelques personnages des fantasmes, mais si elle disjoint le plus souvent le réel de l’onirique, elle établit toujours des démarcations, des points de repère qui lui permettent ainsi de courir d’un lieu à l’autre sans jamais se laisser enfermer dans un huis clos angoissant [46].

26 L’écriture de Voyage où il vous plaira témoigne de cette compatibilité entre fantaisie et réalisme (et l’on pourrait ajouter qu’en ce qui concerne Hetzel, être réaliste signifie aussi avoir le sens des réalités), tout comme les vignettes de Johannot, qui reflètent parfaitement ces deux tendances : à la monstruosité de nombreux personnages, illustrations de la tentation de l’excentricité, s’oppose le réalisme sentimental des dessins du début, de la fin, et des idylles heureuses. Le « réalisme » écarte ainsi l’excentricité qui n’est plus qu’une tentation contrôlée, vaincue par la fantaisie, seule capable de donner forme au récit : à y regarder de près, Voyage où il vous plaira concrétise la rencontre parfaite d’une forme et d’une intention.

Notes

  • [1]
    This work was supported by the Sogang University Research Grant of 2011.
  • [2]
    Voir le « Bulletin bibliographique » de L’Illustration du 25 mars 1843, qui affirme que Voyage où il vous plaira obtient « dès à présent un grand et légitime succès » (p. 244 ; les numéros des pages qui figureront désormais après la citation renvoient à mon édition du texte : Voyage où il vous plaira, Paris, Classiques Garnier, 2010).
  • [3]
    Pour tout ce qui concerne la genèse de ce livre, voir la préface (p. 20-34). Nous savons que le texte a été presque entièrement rédigé par le seul P.-J. Hetzel, alias P.-J. Stahl.
  • [4]
    Daniel SANGSUE, Le Récit excentrique, Paris, Corti, 1987, p. 283-284. Pour une approche exhaustive des différents sens du mot « fantaisie » au XIXe siècle, je renvoie à l’article de Bernard VOUILLOUX, « Éléments pour l’archéologie d’une notion », dans La Fantaisie post-romantique, Jean-Louis CABANÈS et Jean-Pierre SAÏDAH dir., Toulouse, Presses universitaires du Mirail, 2003, p. 19-58. Rappelons que l’acception « esthétique du terme » est d’abord « une spécification [...] d’une signification plus générale [...] anthropologique, celle d’“imagination” » (art. cité, P. 25), et que le terme, dans son sens esthétique, est en premier lieu réservé aux domaines de la peinture et de la musique. Les différentes définitions au XIXe siècle « lient la fantaisie, en tant qu’imagination créatrice, au caprice ; [...] mettent l’accent sur l’absence de règles ; [...] induisent une sorte de primauté de la peinture et de l’image » (ibid., p. 22). C’est par contamination sémantique avec le terme allemand Phantasie, qui est cependant un « faux-ami », que l’acception esthétique du terme va s’élargir à la littérature à l’époque romantique, tout en conservant « des liens privilégiés avec le visuel » (ibid., p. 47-48).
  • [5]
    Daniel SANGSUE, ouvr. cité, p. 165.
  • [6]
    Ibid., p. 84-128.
  • [7]
    C’est le « genre indéfini » pour Marthe Robert (Roman des origines et origines du roman, Paris, Gallimard, 1972, 1re partie), ou la « fausse fenêtre » pour Genette, la case laissée vide par Aristote dans sa Poétique, celle qui correspondrait au narratif inférieur (Fiction et diction, Paris, Le Seuil, 2004, p. 48).
  • [8]
    Daniel SANGSUE, ouvr. cité, p. 53 et p. 56-59.
  • [9]
    Paul RICŒUR, La Configuration dans le récit de fiction (Temps et récit II), Paris, Le Seuil, 1984, p. 19.
  • [10]
    Daniel SANGSUE, ouvr. cité, p. 237.
  • [11]
    Ibid., p. 87-93.
  • [12]
    Voir la préface, « Aux sources du Voyage » (p. 47).
  • [13]
    Cette indécision générique se ressent très nettement à la lecture des commentaires faits sur le livre à l’époque de sa publication : les critiques ont bien du mal à définir l’objet de leur discours (voir le dossier, p. 244-250).
  • [14]
    Daniel SANGSUE, ouvr. cité, p. 85-86.
  • [15]
    Ibid., p. 257.
  • [16]
    Ibid., p. 259.
  • [17]
    Ibid.
  • [18]
    Ibid., p. 237 et p. 268.
  • [19]
    Voir dans le dossier les variantes des passages repris (p. 234-242).
  • [20]
    Laurence STERNE, Vie et opinions de Tristram Shandy, Paris, Flammarion, « GF », 1982, p. 375.
  • [21]
    Daniel SANGSUE, ouvr. cité, p. 166.
  • [22]
    Ibid., p. 125-127.
  • [23]
    Voir notamment la liste des pays visités, dont on ne retient que des clichés (p. 196-197).
  • [24]
    Daniel SANGSUE, ouvr. cité, p. 123.
  • [25]
    Cette inscription des personnages des récits parodiques dans un hypertexte s’expliquerait selon Sangsue par le fait qu’ils ont besoin de s’inventer une paternité (ibid., p. 55-56). Le texte développe alors le paradoxe d’une discontinuité formelle qui cherche à s’inscrire dans une continuité hypertextuelle.
  • [26]
    Ibid., p. 115-118.
  • [27]
    Voir Daniel SANGSUE, p. 22 et sq.
  • [28]
    Ibid., p. 83-85.
  • [29]
    Ibid., p. 93-98. Rappelons que la « parabase » caractérisait dans la tragédie antique les moments où le chœur expliquait ou commentait l’intrigue. Ce terme s’applique plus généralement aux intrusions de l’auteur dans son texte. Quant à la « métalepse narrative », elle désigne « [...] toute intrusion du narrateur ou du narrataire extradiégétique dans l’univers diégétique [...] ou inversement ». Par la métalepse, la narration raconte « en changeant de niveau » (Gérard GENETTE, Figures III, Paris, Le Seuil, 1972, p. 244).
  • [30]
    Daniel SANGSUE, ouvr. cité, p. 98-101.
  • [31]
    Ibid., p. 108-112. Cette notion d’« appareil démarcatif » a été employée par Philippe Hamon dans un article intitulé « Texte littéraire et métalangage », Poétique, 31, 1977, p. 266 et sq.
  • [32]
    Daniel SANGSUE, ouvr. cité, p. 213.
  • [33]
    Ibid., p. 106.
  • [34]
    Ibid., p. 101.
  • [35]
    Les Bonnes Fortunes parisiennes, c’est le titre que donnera Stahl à un recueil de nouvelles (Paris, Hetzel, 2 vol. 1862 et 1866).
  • [36]
    « J’ai fait aussi plusieurs sonnets pour Mme Mennessier [la fille de Charles Nodier] qui m’en a renvoyé deux très jolis. Hetzel en est pâle. » (Alfred DE MUSSET, Correspondance (1827- 1857), établie par Léon SÉCHÉ, Paris, Société du Mercure de France, 1907, lettre de Musset à son frère Paul en Italie, 22 mai 1843, p. 229-230).
  • [37]
    Cette excentricité, Hetzel l’affichait au moins dans ses vêtements, et Édouard Grenier se souvient de lui lorsqu’ils fréquentaient ensemble le salon de Nodier dans les années 1840 : « Sa tenue était un peu trop personnelle et frisait la singularité [...] il tenait alors beaucoup à échapper aux conventions mondaines » (Souvenirs littéraires, Paris, Lemerre, 1894, p. 234 ; cité par Vincent LAISNEY, L’Arsenal romantique, Paris, Champion, 2002, note 78, p. 506).
  • [38]
    Daniel SANGSUE, ouvr. cité, p. 231.
  • [39]
    Scènes de la vie privée et publique des animaux, Paris, Hetzel, 2 vol. 1841 et 1842.
  • [40]
    « Bibliographie des fous. De quelques livres excentriques », Bulletin du bibliophile. Suppl. aux nos 21 et 23, Paris, Techener, nov. 1835, p. 19-20.
  • [41]
    « [...] ces textes [les récits excentriques] se distribuent sur une plage temporelle remarquablement homogène : 1830 à 1840, avec une densité exceptionnelle de 1830 à 1834 (les deux tiers des ouvrages cités) » (Daniel SANGSUE, ouvr. cité, p. 27).
  • [42]
    Ibid., p. 221.
  • [43]
    Ibid., p. 194.
  • [44]
    Cité par Daniel SANGSUE, ibid., p. 221.
  • [45]
    Dans La Fantaisie post-romantique, Daniel Sangsue confronte également « fantaisie », « excentricité » et « réalisme ». S’il montre qu’il existe aussi des liens (autres) entre réalisme et excentricité, il affirme que « le pouvoir de transgression de l’excentricité [...] est autrement plus marqué que celui de la fantaisie » (« Fantaisie, excentricité et réalisme chez Champfleury », dans La Fantaisie post-romantique, ouvr. cité, p. 191-206).
  • [46]
    Jean-Louis CABANÈS, « La Fantaisie dans la Revue fantaisiste : ethos, tonalités, genres », dans La Fantaisie post-romantique, ouvr. cité, p. 128.
Français

Voyage où il vous plaira, livre illustré écrit en 1843 pour l’essentiel par P.-J. Hetzel sous le pseudonyme de P.-J. Stahl, connut un succès certain puis tomba dans l’oubli. Il est possible d’expliquer cette désaffection par la fantaisie déroutante du livre, voire par une certaine « excentricité » : c’est à travers ce concept, tel qu’il a été défini par Daniel Sangsue dans son essai intitulé Le Récit excentrique, que Voyage où il vous plaira est abordé dans cette étude. Si ce livre présente bon nombre des caractéristiques définies par D. Sangsue, il n’est cependant pas assimilable aux récits excentriques qui fleurirent surtout au début des années 1830, et ne franchit pas les portes d’une fantaisie revendiquée et totalement assumée par ailleurs. Tenter de comprendre les raisons d’un choix d’écriture effectué par l’auteur revient alors à confronter ces deux notions proches, mais qui ne se recoupent pas entièrement : la fantaisie et l’excentricité.

English

Voyage où il vous plaira, an illustrated book mainly written in 1843 by P.-J. Hetzel under the pseudonym of P.-J. Stahl, has been a popular work but has become almost forgotten in 20th century. This lack of recognition could be explained by its disconcerting fancy, or even its “eccentricity” : it is through this concept, as defined by Daniel Sangsue in Le Récit excentrique, that Voyage où il vous plaira is examined in this article. Although this book contains many characteristics defined by Sangsue, it is different from the eccentric stories which were particularly numerous in the 1830’s, and should rather be called a work of fancy. The article tries to understand the reasons of a writing choice made by the author, and therefore to set the limits between these two notions, close but not similar : fancy and eccentricity.

Gilles Castagnès
(Université Sogang, Séoul)
Mis en ligne sur Cairn.info le 27/01/2012
https://doi.org/10.3917/rom.154.0133
Pour citer cet article
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