CAIRN.INFO : Matières à réflexion

1On assiste depuis quelques années à un regain d’intérêt pour les littéra~tures coloniales, comme en témoignent des publications de plus en plus nombreuses  [1] qui permettent de mieux mesurer la richesse et la diversité de textes que l’on avait jusqu’alors tendance à identifier à un genre littéraire mort, sans postérité, et souvent servi par des talents médiocres et propagan~distes. Dans son acception la plus précise, la plus technique, la littérature coloniale est étroitement liée à l’expansion européenne, et plus particu~lièrement celle qui marqua la fin du XIXe siècle : découpage chronologique qui convient mieux, il est vrai, à la deuxième colonisation française, depuis les débuts de la Troisième République jusqu’à l’apogée de l’entre-deux-guerres lorsque, comme en écho aux ambitieux projets de mise en valeur des territoires d’Outre-mer par Albert Sarrault  [2], l’on vit des romanciers non dénués de talent, certains, par leur métier, administrateurs et hauts fonction~naires de l’Empire, exposer dans des romans de facture réaliste les profondes transformations provoquées, surtout en Afrique, par la présence française  [3]. Jacques Weber résume bien ce problème de périodisation, en constatant que si « la littérature coloniale est aussi vieille que la colonisation, le roman colonial proprement dit apparaît tardivement »  [4], et triomphe surtout entre 1920 et 1940, au moment où l’Empire prend « une place dans la vie des Français qu’il était loin d’occuper avant 1914 »  [5]. Mais à y regarder de plus près, c’est moins le roman colonial lui-même, si toutefois on le définit avec la rigueur des Leblond  [6], qui marque profondément la création roma~nesque et la littérature d’idées que la thématique impériale dans son ensemble. Il est en effet évident que la plupart des écrivains français de l’entre-deux-guerres, sans être toujours personnellement engagés dans le processus politique de la colonisation, ont abordé dans des œuvres extrê~mement diverses la question coloniale. Ce sont tantôt des essais, des récits de voyage, tantôt des romans ou des écrits polémiques, qui embrassent d’ailleurs la totalité des sensibilités politiques de l’époque. De Roland Dor~gelès à Paul Nizan, de Jean-Richard Bloch à Paul Morand, d’Henry de Montherlant à Louis Aragon et André Malraux innombrables sont les œuvres qui n’envisagent plus les problèmes contemporains du seul point de vue de la France, ou de l’Europe, mais dans une perspective plus large, plus « mondiale », quelles que soient au demeurant les leçons qu’ils tirent de ce qu’il faut bien appeler un « décentrement » qui conduit à un renouvellement sensible des problématiques comme des géographies culturelles. Certes, l’exotisme  [7], que l’on situe parfois, ce qui est contestable, en amont des lit~tératures coloniales elles-mêmes, avait procédé depuis longtemps à un tel décentrement, et sa quête de paysages et d’espace nouveaux contribua sans nul doute à enrichir l’imaginaire européen, loin de certaines caricatures que l’on en donne parfois. Mais il est incontestable que la deuxième vague colonisatrice va accentuer des mouvements culturels puissants, depuis long~temps perceptibles au plus profond de l’histoire littéraire européenne.

2Ces mouvements, il est bien évident qu’ils ne se laissent pas enfermer dans des catégorisations scolaires trop étroites. Il y a eu, bien avant la lit~térature coloniale stricto sensu, une littérature de l’ère des Empires, qui inclut l’exotisme mais ne s’y réduit pas, et accompagne ce qu’une équipe d’historiens réunie par Pierre Léon appelait dans un livre publié il y a déjà trente ans l’« ouverture du monde »  [8] et résumait dans une belle for~mule : « des univers à l’univers ». L’aventure portugaise, outre-mer, fut sur ce point décisive, et il faut rappeler que, au cœur du XVe siècle déjà, Lisbonne fut une capitale mondialisée : « Lisbonne devient bientôt un musée oriental. À son port affluent régulièrement les cargaisons d’épices : le poivre et le gingembre du Malabar, la cannelle et les émeraudes de Ceylan, le clou de girofle des Moluques, le camphre de Bornéo, le ben~join de Sumatra, le santal de Timor, mais aussi l’ivoire de Guinée et du Mozambique (…) les paravents du Japon et les porcelaines de Chine. » Le beau livre dont sont extraites ces lignes  [9] analyse ces flux de marchan~dises sans omettre de les relier aux changements culturels eux-mêmes, aux thématiques poétiques, aux récits de voyage. Comme vient de le montrer Serge Gruzinski dans un ouvrage appelé à faire date, Les quatre parties du monde. Histoire d’une mondialisation[10], la découverte de la diversité des langues et des cultures, et d’une réalité humaine beaucoup trop vaste et complexe pour être ramenée à un seul centre marqua pro~fondément les mentalités européennes dès la première mondialisation ibérique, malgré, bien sûr, toutes les prétentions à un Empire universel capable d’unifier la planète dans un ensemble cohérent. Ce n’est point un hasard sans doute si les historiens, plus que les littéraires, ont été sen~sibles à ce double mouvement contradictoire et disjonctif : occidentalisa~tion du monde, mais aussi irruption, au cœur de l’Occident, d’une réalité africaine, chinoise, indienne, qui tend peu à peu à métisser l’imaginaire européen lui-même. E.J. Hobsbawm, dans sa synthèse L’ère des empires, 1875-1914 a bien montré la complexité de ces interinfluences au seuil du monde contemporain : « La densité même des réseaux de communica~tion et la facilité avec laquelle on avait désormais accès aux terres loin~taines et étrangères accrurent, directement ou indirectement, non seulement les heurts, mais aussi les influences réciproques entre l’Occident et le monde exotique. »  [11] Ce sont ces « influences réciproques » qui préoccupent aujourd’hui beaucoup d’historiens de la culture  [12] et elles définissent assez bien le territoire topique d’un imaginaire (et d’une littérature) de l’ère coloniale qui a été depuis toujours sensible à ces ren~contres et ces mélanges, même si, dans la plupart des textes, l’idéologie déclarée est celle d’une hégémonie culturelle à partir d’un « centre » euro~péen. Un exemple parmi tant d’autres de cette capacité qu’eurent les écri~vains de l’ère coloniale de percevoir leur époque comme le moment privilégié d’un vaste processus de décloisonnement des mondes, à partir duquel s’établissent partout des connexions et des interdépendances : en 1936, Gaston Pelletier et Louis Roubaud publient chez Plon un essai incisif, Empire ou colonies, qui s’ouvre par une citation de Paul Valéry, « de notre temps, l’histoire d’un monde fini commence ». Les deux auteurs constatent que l’ère des Empires est celle d’un monde où les dif~férentes parties de la terre « ont des cloisons, non des clôtures », et quand ils s’efforcent de saisir l’originalité profonde du monde qui est le leur, ils y reconnaissent un « double caractère de particularisme et de connexion (qui) marque un ordre de choses nouveau et sans précédent dans l’his~toire »  [13]. Par rapport à l’ère de l’hégémonie ibérique, c’est bien sûr la révolution technique et scientifique, l’accélération du cours de l’histoire, l’invention d’une nouvelle temporalité, qui bousculent partout les rythmes anciens chers à la sensibilité exotique, décrivant ainsi les points forts d’une modernité « coloniale » dont Roubaud avait pu observer quelques exemples éclatants au Maroc  [14]. Il y a bien sûr dans ce livre tout un héritage saint-simonien sur lequel il est inutile d’insister. Mais ce thème est un véritable lieu commun dans la littérature des années 1920-1940, qu’il conduise à une exaltation des rythmes nouveaux  [15] ou au contraire à une déploration romantique de la disparition des mondes anciens. En 1925, dans le chapitre de conclusion de Derniers reflets à l’Occident, André Chevrillon s’était souvenu de ses lectures anglaises (Burke, Carlyle, Ruskin) au moment de tracer le panorama d’un fantas~tique changement d ‘époque qui voit partout triompher un nouveau principe d’organisation du réel, pragmatique, utilitariste, désenchanté, contredisant toutes les cultures jusqu’alors connues sur le globe, et qui toutes s’étaient fondées sur « une certaine représentation de l’absolu » : « C’est la première fois que l’on voit de grandes sociétés muer toutes en même temps, dans le même sens, parce qu’un travail spontané de l’esprit ruine en chacune ses antiques idées directrices pour la soumettre au nou~veau principe rationaliste et utilitaire. »  [16] On entend dès lors partout les « craquements » d’un monde millénaire, d’Istanbul à Fès, de Marrakech à Bombay et c’est là le cœur, pense Chevrillon, de la réalité de l’ère impé~riale. Cette réalité, faite de bouleversements culturels jusqu’alors inédits, les littératures de l’époque ont-elles su en mesurer toute l’ampleur ? Au~delà de l’illusion exotique dont la grande tentation est de figer les cultures dans leurs miroitements esthétiques, ont-elles pu exprimer l’historicité profonde de leur temps ? À l’évidence, les grands textes de l’ère coloniale, ceux qui ne s’enferment pas dans le poncif et l’ethnotype, ont tous été sen~sibles au « phénomène nouveau, sans analogue dans l’histoire humaine » dont Chevrillon analyse la « rapidité, qui s’accélère toujours »  [17]. Certes, les réactions au nouveau cours des choses sont infiniment variées : cela va de la nostalgie d’un Loti, qui, dans son beau récit de 1890, souhaitait que le vieux Maroc oriental puisse échapper, comme miraculeusement, à une main mise européenne qui lentement le banaliserait, à l’exaltation « cons~tructiviste » des grands récits coloniaux classiques (Robert Randau, Louis Bertrand, Robert Delavignette, Oswald Durand, André Demaison), qui adhérent, avec plus ou moins de réserves, à l’intention modernisatrice du nouvel ordre impérial. D’autre part, la sensibilité exotique survit dans les romans et les récits des années trente (Odette du Puigaudeau en est un bel exemple), et n’est nullement détruite par un roman colonial aux visées plus réalistes et historicistes. Le roman colonial lui-même (Robert Delavignette) se laisse souvent aller à une nostalgie exotique que ne parvient jamais à détruire complètement l’état d’esprit pionnier et conquérant qu’exalteront un Robert Randau ou un Jean d’Esme  [18].

3André Chevrillon (1864-1957), aujourd’hui bien oublié – alors qu’il fut, avant 1914 et jusqu’en 1936 – un auteur très lu et respecté, mérite un détour : son œuvre fut en effet au cœur de toute une série d’interrogations historiques, philosophiques, esthétiques et elle a su voir avec acuité un certain nombre de problèmes cruciaux soulevés par l’expansion impériale. Chevrillon connaissait d’autant mieux toutes ces questions complexes que sa double culture, française et anglaise (il fut agrégé d’anglais en 1887), faisait de lui un témoin averti de la réalité impériale de l’Europe. Ce neveu d’Hippolyte Taine (qui veilla sur son éducation après la mort prématurée de son père) eut d’autre part l’opportunité, durant toute sa jeunesse, de fréquenter un milieu pari~sien érudit et très informé des grands problèmes de politique coloniale. Il sera toute sa vie bien introduit dans le groupe influent des artisans de la colonisation. En 1905, il entreprit un premier voyage au Maroc  [19] où il fut accueilli par son beau-frère Georges Saint-René-Taillandier, Ministre de France à Tanger. Celui-ci l’avait déjà reçu à Beyrouth en 1894. En 1913, puis en 1917, il voyagera à nouveau au Maroc, invité par Lyautey qui était très attentif à soigner ses relations avec les écri~vains et les intellectuels. Il sera élu à l’Académie française en 1921, et siégera aussi à l’Académie des sciences coloniales. Son œuvre  [20] fut mar~quée dès son premier grand récit de voyage, Dans l’Inde (1891), par la conviction d’être le témoin de l’un des grands bouleversements du monde, et du cours nouveau que le renforcement des politiques impé~riales – particulièrement en France – allait imprimer à l’histoire de l’Europe. De ce point de vue, le premier récit, Dans l’Inde, est particu~lièrement intéressant, y compris dans certaines de ses naïvetés (Che~vrillon commença à le rédiger dans sa vingt-quatrième année). Il fut publié douze ans avant celui de Pierre Loti, L’Inde sans les Anglais (1903) qui pourtant l’éclipsera dans la mémoire littéraire. La conquête complète du pays par les Anglais était chose effective depuis 1819-1820. Par ailleurs, la culture européenne avait approfondi depuis la fin du XVIIIe siècle sa connaissance des textes sacrés de l’hindouisme : en 1784, la traduction anglaise de la Bhagavad-Gîtâ par Wilkins eut un retentissement européen  [21], et Chevrillon avait pu prendre connaissance de l’édition parrainée à Oxford par Max Müller des Sacred books of the East, qui comportera en tout cinquante volumes, de 1879 à 1910. Si c’est l’Inde « métaphysique » qui l’attire (ce qui l’inscrit incontesta~blement dans le sillage d’un certain orientalisme romantique), il fut cependant très attentif au phénomène impérial en tant que tel, et consacra de nombreuses pages curieuses au processus de modernisation technique que l’Empire britannique encourageait. Il sut décrire aussi avec un sens de l’observation souvent très ironique les colons anglais transplantés en Inde, commerçants, fonctionnaires, militaires, et qui souvent y transportaient leurs habitudes les plus insulaires. Le tableau de l’Inde tend dès lors à devenir une sorte de diptyque : il y a d’un côté l’Inde moderne, saisie dans un tourbillon de transformations, ouverte au commerce et aux échanges, que symbolise surtout Bombay. Et à côté d’elle, certainement en dehors d’elle, et très loin dans le temps même si leurs espaces peuvent se juxtaposer quelquefois, l’Inde « indienne », comme il l’écrit lorsqu’il arrive à Bénarès.

4Dès le début de son voyage, Chevrillon fut sensible à ce clivage de l’espace, qui pose, au-delà de l’anecdote, un certain nombre de ques~tions brûlantes. Sur le bateau déjà, avant même d’aborder à Ceylan (et de s’imprégner alors d’atmosphères qu’il dépeint comme purement « exotiques »), le jeune voyageur éprouve un certain malaise : « (…) on est las de faire les cent pas avec des connaissances de voyage, d’échanger des lieux communs à propos du général Boulanger ou de M. Glads~tone, de subir toutes les banalités de cette civilisation »  [22]. Par la suite, le récit confirmera cette ligne de partage entre un climat exotique et un climat colonial. Le premier renvoie davantage à des sociétés qui ont su, au cours des siècles, perpétuer les intuitions premières qui les ont vues construire des styles architecturaux et des spiritualités. Leur essence est religieuse, et le sacré bouddhiste qui règne à Ceylan comme la spiritua~lité hindouiste de Bénarès sont aux antipodes du climat colonial moderne, tout entier tourné vers le monde matériel et l’utilité.

5Tout au long du récit, Chevrillon analyse ce que nous appellerions aujourd’hui des phénomènes de globalisation (par le commerce et les routes maritimes, par la technique et les chemins de fer) qu’il oppose à la sacralité des sociétés closes, tournées vers elle-même, et certainement un certain enchantement des origines. Les sociétés ouvertes banalisent, les sociétés traditionnelles maintiennent partout la chaleur et la ferveur du mythe et du récit légendaire. La globalisation est omniprésente, dans sa réalité sociale et économique, sans être nommée en tant que telle (Chevrillon parle plutôt d’une « généralisation » des principes uti~litaristes qui sont au fondement des sociétés modernes). On la retrouve d’abord dans la grande salle de réception du navire qui traverse l’océan indien : « C’est ici comme un grand buffet posé au carrefour des grand’routes de la terre. À ces tables se rencontrent des voyageurs partis des points opposés du globe… passagers du Paramatt qui fait route demain pour l’Australie et la Nouvelle-Zélande, militaires français, passa~gers du Calédonien qui continuent ce soir vers Singapour et Saïgon, Chi~nois qui vont visiter l’Europe, Civilians anglais qui vont administrer l’Inde. »  [23] Il y a ainsi un début de brassage – à défaut de véritable métissage – qui va par la suite caractériser toutes les atmosphères colo~niales que décrit Chevrillon. À Bombay (et nous sommes alors à la fin du voyage), ce brassage provoque même un sentiment de confusion, en même temps qu’il inquiète comme la préfiguration possible d’une société future où les grandes cultures auraient toutes perdu leur style et leur singu~larité : « Décidément, j’ai du mal à comprendre la physionomie de cette Bombay, trop diverse et trop confuse. (…). Partout, à toute heure du jour, le ruissellement de la foule, plus dense qu’à Bénarès, une foule bigarrée où se confondent tous les costumes de l’Asie, où se coudoient tous les types de l’humanité, Européens en jaquette, Arabes en fez, Per~sans, Afghans, nègres lippus, grêles Malais, Cinghalais féminins, Parsis, Juifs, Chinois en robes de soie. Probablement, depuis Alexandrie, il n’y a pas eu un tel raccourci de toute l’humanité, de ville aussi cosmopo~lite. Il y a ici des coins de Londres, des coins de Bénarès, des coins de Shangaï. »  [24] En ce sens, Bombay est bien une grande ville d’Empire, à la différence de Bénarès l’impénétrable  [25].

6Ces « coins de Londres », Chevrillon les retrouvera partout en Inde  [26] mais il ne cessera de poser une question qui est à ses yeux essen~tielle : jusqu’à quelle profondeur l’influence anglaise est-elle parvenue : imprégnation véritable ou simple vernis de surface ? Dès le début de son voyage, il avait rencontré des hindous anglicisés, qui souvent l’ont laissé perplexe, surtout lorsqu’ils lui tiennent des propos favorables à la colonisation. À Kandy, il avait déjà engagé dans le train une conversa~tion étonnante avec un « gentleman cinghalais » qui prenait à son compte toute l’argumentation anglaise en faveur de la modernisation du pays tout en exprimant son mépris pour l’« ignorance et l’idolâtrie » du « pauvre paysan cinghalais » comme s’il était lui-même « un colon anglais »  [27]. Mais Chevrillon objecte toutefois qu’une « copie aussi par~faite n’est pas naturelle », et en observant que « cet étalage européen jure avec sa jupe blanche », il se demande si l’« imitation va plus loin que la surface »  [28] : ce qui est en cause, c’est bien sûr la résistance des cultures au processus d’occidentalisation. En Inde, et, comme il le constatera par la suite, au Maroc  [29], la pénétration occidentale entraîne tout d’abord une démoralisation, une destruction des mœurs anciennes et de l’ordre – surtout symbolique – qu’elles construisaient. Il faut noter que cette inquiétude se retrouve dans plusieurs récits de l’ère coloniale, et avec une force toute particulière dans La Fête arabe de Jérome et Jean Tharaud  [30], constat amer et paradoxal de la destruction par le processus colonial de l’ancienne culture bédouine, porteuse de valeurs morales et sociales puissantes vouées, semble-t-il, à une impla~cable érosion.

7Il y a chez Chevrillon le même doute sur les bienfaits ultimes d’un décloisonnement des mondes qui se traduit d’abord par la destruction d’équilibres anciens et civilisateurs. On comprend dès lors sa fascination pour les espaces les plus préservés, au cœur de Ceylan ou à Bénarès. Ceux-ci lui enseignent que l’Europe façonnée par la science et une conception positiviste du monde, n’est qu’« un petit coin du globe où se poursuit un développement local et particulier de l’humanité »  [31] : voyager, au cœur des Empires, permet de prendre cette juste mesure des choses. Le paradoxe est bien dans un processus colonial qui rapproche les cultures et en même temps les relativise et les particularise : l’Europe, en voulant s’imposer comme le seul centre du monde, découvre qu’elle est environnée, comme noyée, dans de vastes univers culturels qui jusqu’à présent ont su se passer d’elle. L’occidentalisation se contentera-t-elle d’être technique, commerciale, financière, sans toucher aux profon~deurs religieuses de cultures qui sont fondées « en dernière analyse, sur une certaine représentation de l’absolu »  [32] ? Quelques années plus tard, au Maroc, face à l’Islam, l’interrogation restera la même, et encore, dans les années trente, au Mzab, en Algérie. Dans tous ces livres de Chevrillon, il est évident que la question de l’espace – culturel plus que géographique – est centrale en même temps que celle de la rencontre de mondes qui parfois vécurent entièrement séparés, jusqu’au moment où les vastes Empires coloniaux vinrent les désenclaver  [33]. Bertrand Badie rappelle, dans La Fin des territoires, que la notion d’Empire diffère de celle d’État-nation ou de colonies sur ce point précis de la vision poli~tique de l’espace : « Il est certain que le projet culturel qui fonde la construction impériale est peu compatible avec le principe de territoria~lité. Il suppose extension, rayonnement et diffusion ; il est à ce titre, rebelle à tout bornage. L’Empire ne connaît en fait qu’une identité, celle de la culture qu’il promeut et qu’il a pour objectif d’universali~ser. »  [34] Mais dans le projet colonial lui-même, il y a bien sûr la vision d’extension du principe de territorialité (le cas exemplaire fut l’Algérie), bien plus que l’invention d’une forme politique nouvelle « dotée de son propre usage du territoire qui se distingue de l’État-nation pour oppo~ser, aux vertus de l’unicité, de la fixité et de la frontière, celles de la multiplicité, de la souplesse et des limes »  [35]. Il y a bien, en ce sens, depuis la deuxième colonisation française, une littérature d’Empire, sensible à l’ouverture mondiale des voies de communication et d’échange, à la multiplicité des cultures et des « centres », à la coexis~tence des imaginaires, et une littérature coloniale, davantage préoccu~pée par les « territoires » et les frontières. Les récits de voyage et d’aventure illustrent parfaitement la première alors que la seconde relève davantage d’une volonté coloniale constructiviste et assimilationniste. Une rapide comparaison entre André Chevrillon et Ernest Psichari permettra de mieux comprendre cette ligne de partage qui ne recoupe pas exactement la distinction classique littérature coloniale/littérature exotique.

8Une génération sépare Ernest Psichari (1883-1914) d’André Chevrillon, mais ce petit-fils de Renan vécut comme l’auteur de Dans l’Inde au cœur des élites républicaines de la France d’avant 1914, lut souvent les mêmes écrivains que lui et conçut une œuvre profondément marquée par le processus colonial. La différence essentielle est de tempé~rament d’abord (la jeunesse de Psichari fut tourmentée et parfois chao~tique), mais tient aussi aux engagements personnels et aux carrières. Psichari fut un colonial classique, hormis sa sensibilité littéraire à fleur de peau, sa culture raffinée, et ses talents de plume, caractéristiques que l’on retrouve ailleurs  [36], mais qui prirent chez lui un relief bien parti~culier[37]. D’abord engagé dans l’armée de terre, il rejoignit, en décem~bre 1905, le 1er régiment d’artillerie coloniale, à Lorient. Cela lui permit d’intégrer l’équipe de la Mission du Haut-Logone, dirigée par le com~mandant Lenfant, entre les bassins du Tchad et du Congo. Les buts de la Mission relèvent d’une territorialité coloniale des plus classiques : « Quand Psichari arrive en Oubangui-Chari, la présence française y est très faible et la résistance africaine vivace. Il reste à prendre véritablement possession de la colonie, à en déterminer les contours pour en maîtriser l’espace », comme l’écrit Frédérique Neau-Dufour  [38]. Durant toute la Mission, Psichari tint un Journal qui est un document de première importance pour comprendre de l’intérieur ce que fut la vie quotidienne en même temps que les préoccupations scientifiques d’une expédition africaine comme il y en eut alors beaucoup. En 1908, Psichari publia à Paris chez Calmann-Lévy un livre qui lui valut l’admiration de quelques grands noms des lettres françaises de l’époque (entre autres Charles Péguy) : Terres de soleil et de sommeil, dont la « première jetée », pour reprendre l’expression d’Henriette Psichari, fut offerte au public à titre posthume dans l’édition des Œuvres complètes de 1948 sous le titre de Carnets de route[39].

9La vision « territorialisante » de l’Afrique est frappante dans ces deux livres. Il s’agit bien sûr de faire reculer le plus possible la part d’ombre et d’inconnu d’un continent encore mystérieux et opaque : répertorier et identifier les populations, dresser des cartes, fixer avec une précision par~fois maniaque le cours des fleuves, envisager la possibilité de nouveaux tracés de routes, établir le lexique des langues africaines, essayer de com~prendre leur religion, leurs coutumes, leur organisation sociale. Dans le récit qu’il fit en 1909 de cette Mission  [40], le commandant Lenfant résuma en quelques phrases lapidaires, et sans doute excessivement optimistes, ce désir colonial de contrôle et d’inventaire de l’espace géographique comme culturel : « Les races ont été pénétrées et décrites, le mystère est éclairci sur leur compte (…). La Mission a soulevé l’un des derniers voiles de ténèbres qui recouvraient encore ces régions du Continent noir ». Psi~chari n’émettra jamais de réserve à cet égard, mais il aura une manière beaucoup plus littéraire d’inscrire l’Afrique dans l’imaginaire européen et français, et donc de réduire son étrangeté et sa distance. Il faut relire dans cette perspective les belles pages qu’il consacre, dans Carnets de route, au « romantisme » de l’Afrique, qui est sans cesse décrite en référence à des œuvres occidentales : « De larges vallées boisées nous entourent, et nous nageons ici dans le Lamartine le plus pur. Nullement exempt de mystère, ce Nao, farouche et lumineux Walhalla ! Ici, Wotan et Brunnehilde aux yeux glauques habitèrent peut-être avant l’exil dans la brume. »  [41] Dans Terres de soleil et de sommeil, le monde antique est invoqué à longueur de pages pour faire de l’Afrique contemporaine une sorte de miroir de cet univers perdu : un enfant gonflant ses joues ressemble à un triton, ailleurs, on se retrouve dans des atmosphères homériques, mais le drapé des femmes peut aussi bien renvoyer à l’Orient, un Orient qui n’est jamais perçu comme totalement étranger à l’Europe, puisque la Grèce en est l’un des visages. Certes, tout comme dans les récits de Chevrillon que Psichari avait sans doute lus, il arrive que l’on éprouve un sentiment plus inquiétant : celui d’être face à des réalités impénétrables que l’on a peut-être l’illusion de pouvoir expliquer. Mais pour l’essentiel, le devoir du colonial est de créer de la ressemblance, en inscrivant la réalité africaine dans des frontières stables, en la fixant et la déterminant.

10Il est sans doute possible de relire beaucoup de textes de l’ère de l’expansion à partir de ces deux postures, qui, certes, ne sont pas toujours séparées de façon trop tangible. Il s’agit plutôt dans l’un et l’autre cas d’une sensibilité, d’une tonalité dominantes que laissent s’exprimer les textes. L’imaginaire territorial des littératures coloniales, dans l’acception stricte et précise de ce mot, voisine avec des représentations plus fluides des cultures et des espaces, où les thèmes de l’éloignement, de la diversité, de la pluralité des centres s’accommodent plus facilement de l’héritage culturel de l’exotisme. L’imaginaire colonial est sans doute l’expression, historiquement très datée, d’un imaginaire impérial autrement vaste, où s’expriment avec sans doute davantage de force les enjeux – aujourd’hui éclatants – d’une littérature mondiale dont nous percevons désormais qu’elle est la lointaine conséquence d’un processus fort ancien de décloi~sonnement des mondes : et surtout le creuset, de nos jours, de toutes nos modernités culturelles.

Notes

  • [1]
    (1) À titre indicatif : Jean-Marie Seillan, Aux sources du roman colonial (1863-1914). L’Afrique à la fin du XIXe siècle, Karthala, 2006 ; Jacques Weber (dir.), Littérature et Histoire coloniale, Les Indes savantes, 2005 ; Jean-François Durand et Jean Sévry (dir.), Regards sur les littératures coloniales, 3 vol., L’Harmattan, 1999. Roger Little dirige depuis 2002 une collection de réédition de textes de l’ère coloniale (L’Harmattan, coll. « Autrement Mêmes ») qui en est, à ce jour à son quarantième volume (entre autres Lucie Cousturier, Pierre Mille, Lafcadio Hearn, Roland Lebel, Jean d’Esme, Robert Randau, Georges Hardy, Maurice Delafosse…). Une société savante, fondée à Montpellier en 2002, la Société internationale d’étude des littératures de l’ère coloniale (SIELEC : www.sielec.net) publie ses travaux annuels aux éditions Kailash, Paris-Pondichéry : Littérature et colonies (2003), Nudité et sauvagerie, fantasmes coloniaux (2004), Fait religieux et resistance culturelle dans les littératures de l’ère coloniale (2005), L’usage de l’Inde (2006).
  • [2]
    La Mise en valeur des colonies françaises, Payot, 1922.
  • [3]
    On retiendra parmi les œuvres classiques qui reprennent (non sans nuances parfois), le thème de la modernisation coloniale, Robert Delavignette, Les Paysans noirs, Stock, 1931 et Oswald Durand, Terre noire, Préface d’André Demaison, Éditions L. Fournier, 1935. Dans sa Préface, Demaison oppose un « vrai » exotisme, qui correspond en fait à la visée réaliste des lit~tératures coloniales, à l’« exotisme de convention » qu’il pense trouver chez Chateaubriand, Ber~nardin de Saint-Pierre et Pierre Loti.
  • [4]
    Littérature et Histoire coloniale, ouvr. cité, p. 15.
  • [5]
    Ibid., p. 17.
  • [6]
    Marius-Ary Leblond, Après l’exotisme de Loti, le roman colonial, Valdrasmussen, 1926. Voir aussi Roland Lebel, Histoire de la littérature coloniale, Larose, 1921 et Eugène Pujarniscle, Philoxène ou la littérature coloniale, Firmin Didot, 1931.
  • [7]
    Voir la mise au point de Jean-Marc Moura, « Littérature coloniale et exotisme », dans Regard sur la littérature coloniale, t. I, L’Harmattan, 1999, p. 21-39. Le fait colonial, 2008-1
  • [8]
    L’ouverture du monde. XIVe-XVIe siècles, volume dirigé par Bartolomé Bennassar et Pierre Chaunu, t. I de l’Histoire économique et sociale du monde de Pierre Léon, Armand Colin, 1977. Plus récemment, C.A. Bayly a proposé une synthèse historique, mais plus en prise sur l’évé~nement contemporain, de ce vaste processus de désenclavement des mondes, La Naissance du monde moderne (1780-1914), Le Monde diplomatique-Les Éditions de l’Atelier, 2006 (1re éd. Oxford, 2004). Un chapitre entier aborde les problèmes de la globalisation dans « le monde des arts et de l’imagination » (p. 414-441).
  • [9]
    Luis de Matos, L’Expansion portugaise dans la littérature latine de la Renaissance, Lisbonne, Fondation Calouste Gulbenkian, 1991, p. 41-42.
  • [10]
    La Martinière, 2004.
  • [11]
    Fayard, 1989, p. 109-110 (1re éd. Londres, 1987). Le chapitre 9 est consacré au thème des « arts renouvelés » à l’ère des Empires.
  • [12]
    Edward Saïd remarque dans Culture et Impérialisme : « En partie à cause de l’impéria~lisme, toutes les cultures s’interpénètrent, aucune n’est solitaire et pure, toutes sont hybrides, hété~rogènes, extrêmement différenciées et sûrement pas monolithiques » (p. 29). Ce constat est le point de départ du bel essai de Homi K. Bhaba, Les Lieux de la culture. Une théorie postcoloniale, trad. fr. Payot, 2007 ; 1re éd. américaine Routledge, 1994.
  • [13]
    Pages 4 et 5.
  • [14]
    Mograb, Grasset, 1934.
  • [15]
    Ces nouveaux rythmes fascinent bien sûr les écrivains voyageurs de l’époque, comme Paul Morand. André Demaison, dans La Revanche de Carthage (Paris, Les écrivains français, 1934) voyait quant à lui dans l’avion le symbole d’une modernité impériale qui introduisait dans l’histoire une nouvelle dimension spatio-temporelle. Le chapitre II de son livre s’intitule de manière significative « Les routes de l’air ». Le fait colonial, 2008-1
  • [16]
    Derniers reflets à l’Occident, t. II, p. 238,243.
  • [17]
    Page 242.
  • [18]
    Robert Randau, Les Colons, Sansot, 1907 (rééd. par Raïd Zaraket, L’Harmattan, coll. « Autrement mêmes », 2007) et Les Algérianistes, Sansot, 1911 ; Jean d’Esme, Les Défricheurs d’Empires, Les éditions de France, 1937. Louis Bertrand avait, dès 1899 avec Le Sang des races, Paris, Ollendorff, proposé une vision épique de la colonisation.
  • [19]
    Il visita l’Inde une première fois en 1888, puis en 1902 avec un détour par Ceylan et la Birmanie. En 1892, il découvrit l’Égypte et la Judée. Il parcourut plusieurs fois le Maroc, entre autres en 1905,1913 et 1917, puis l’Algérie en 1923 et 1925. Il fut aussi un analyste attentif de l’évolution de la société américaine.
  • [20]
    Parmi les titres les plus importants : Dans l’Inde, Hachette, 1891 ; Terres mortes, Thé~baïde Judée, Hachette, 1897, rééd. Phébus, 2002 ; Études anglaises, Hachette, 1901 ; Sanctu~aires et paysages d’Asie, Hachette, 1905 ; Un crépuscule d’Islam, Casablanca, Eddif, 1999 ; La Pensée de Ruskin, Hachette, 1909 ; Nouvelles Études anglaises, Hachette, 1910 ; Marrakech dans les palmes, Calmann-Lévy, 1919, rééd. Aix-en-Provence, Edisud, 2002 ; L’Enchantement breton, Plon, 1925 ; Derniers reflets à l’Occident, Plon, 1925 ; Les Puritains du désert, Plon, 1927 ; Taine, formation de sa pensée, Plon, 1932 ; Visions du Maroc, 1933 ; Kipling, Plon, 1936.
  • [21]
    Sur tous ces points, voir Raymond Schwab, La Renaissance orientale, Payot, 1950. Le fait colonial, 2008-1
  • [22]
    Dans l’Inde, p. 7.
  • [23]
    Page 16.
  • [24]
    Page 281. Voir de même les descriptions de Darjeeling p. 74 et surtout p. 81 : « On arrive préparé par le voyage pour les grandes émotions, et l’on trouve une ville de plaisance anglaise ».
  • [25]
    Dans ses récits marocains, Chevrillon retrouvera ce contraste à travers l’opposition Fès, ou Marrakech/Casablanca. Il consacre des pages remarquables dans Marrakech dans les palmes à l’expansion « californienne » de Casablanca, sur fond de spéculation immobilière et de dérè~glements boursiers : « J’imagine que la Californie, le Klondyke ont ainsi commencé. Dans un cadre hétéroclite où la vieille misère indigène, ailleurs si touchante et si grave, s’avilit, je ne voyais que les désordres de la Bourse et de la fête. Bourse et foire aux terrains, à tout moment et partout… » (rééd. Edisud, 2002, p. 18).
  • [26]
    Il note par exemple à Calcutta : « Rien de bizarre comme ce mélange d’Asie et de Londres… par instant, on se croirait dans le West-End, près d’Hyde-Park. Mêmes larges rues droites, mêmes maisons monumentales, mêmes porches à colonnes grecques, même ampleur des trottoirs, mêmes squares ceints de grilles, mêmes statues anglaises à tous les coins de rue » (Dans l’Inde, p. 67).
  • [27]
    Page 20. Le fait colonial, 2008-1
  • [28]
    Page 21.
  • [29]
    Le Maroc passionna Chevrillon parce qu’il demeura longtemps fermé à la pénétration occidentale, du moins dans ses masses continentales. Le traité de Fès ne fut signé qu’en 1912, et le pays ne fut véritablement « pacifié » qu’à la veille du second conflit mondial. La littérature abordant ces problèmes est considérable, de Charles de Foucauld à Eugène Aubin, de Walter Harris à Maurice Le Glay et Saïd Guennoun, d’Étienne Nolly à René Euloge.
  • [30]
    Émile-Paul, 1912.
  • [31]
    Dans l’Inde, p. 68.
  • [32]
    Derniers reflets à l’Occident, ouvr. cité, p. 238. On reconnaîtra une influence de Car~lyle : pour un individu comme pour une communauté, « the thoughts they had were the parents of the action they did ; their feelings were parents of their thoughts : it was the unseen and spi~ritual in them that determined the outward and actual ; their religion, as I say, was the great fact about them », On Heroes, Hero-Worship and the Heroic in History, Londres, Chapman and Hall, 1893, p. 3.
  • [33]
    Vision certes réductrice qui ne tient pas compte d’une histoire complexe au cours de laquelle les routes et les voies d’échange existaient bien sûr, mais souvent vers d’autres géogra~phies que celle de l’Europe.
  • [34]
    La Fin des territoires, Fayard, 1995, p. 21.
  • [35]
    Ibid., p. 27.
  • [36]
    Voir André Le Révérend, Un Lyautey inconnu. Correspondance et journal inédits, 1874-1934, Librairie Académique Perrin, 1980 et Lyautey écrivain, Ophrys, 1976. Le fait colonial, 2008-1
  • [37]
    Voir le portrait tout en nuances qui se dégage de la biographie de Frédérique Neau-Dufour, Ernest Psichari, l’ordre et l’errance, Éditions du Cerf, 2001.
  • [38]
    Ibid., p. 136. Voir aussi ma réédition des Carnets de route, L’Harmattan, coll. « Autrement mêmes », 2008.
  • [39]
    Tome I des Œuvres Complètes d’Ernest Psichari, Éditions Louis Conard, Librairie Jacques Lambert.
  • [40]
    La Découverte des grandes sources du centre de l’Afrique, Hachette.
  • [41]
    Œuvres complètes, t. I, p. 64-65. Le fait colonial, 2008-1
Français

Après la défaite de Sedan la France s’engage dans la construction d’un vaste domaine colonial qui occupera aussi une place de plus en plus importante dans l’imaginaire cultu~rel du pays. C’est dans les années trente que le roman colonial, au sens strict de l’expres~sion, atteint son apogée. Par roman colonial il faut entendre une littérature de facture réaliste, très souvent propagandiste, qui s’efforce de faire connaître et aimer les nouveaux territoires où s’exerce l’hégémonie de la métropole. Les notions de territoire, d’espace, de géographie, de frontières sont déterminantes dans ce type d’écrits. Mais le concept de lit~térature coloniale, dans ce qu’il a de précis et d’étroit, ne rend pas compte de l’extrême diversité, de l’hétérogénéité des textes qui accompagnent, parfois précèdent, l’expansion de l’Europe. C’est pourquoi les notions de littératures de l’ère coloniale ou de littératures d’Empire peuvent lui être préférées pour saisir l’infinie richesse d’esthétiques qui, du récit de voyage au roman, de l’autobiographie au compte rendu de mission déploient une sen~sibilité aussi bien exotique et lyrique que réaliste et documentaire, adhèrent au processus d’expansion ou au contraire le critiquent et le déplorent. Les littératures d’Empire sai~sissent toute l’ampleur d’un vaste processus de décloisonnement des mondes et si l’idéo~logie coloniale s’y retrouve, elles ne s’y laissent pas réduire. Deux auteurs, André Chevrillon et Ernest Psichari permettront d’illustrer cette distinction, essentielle sur le plan de l’approche critique des textes.

English

After the defeat of Sedan, France starts building up a vast colonial empire that will occupy more and more space within the culture and the imagination of the nation. The colonial novel, as such, reaches its climax in the thirties. By colonial novel, we mean a realistic variety of literature, very often close to propaganda, which endeavours to spread among its readers a better knowledge and a liking for the new territories where the home country is now esta~blishing its domination. In this form of literature, such key notions as territory, space, geogra~phy or frontiers are of paramount importance. But the very concept of colonial literature, in its precise and limited meaning cannot account for the great variety, or the diversity of texts which go along with and at times precede the expansion of Europe. That is why the concepts of Literatures of the Colonial Era or Literatures of Empire are more suitable to catch the vast aesthetic riches which ranging from travelogues to novels, from autobiographies to mission reports, display various feelings in terms of exotic, lyrical, realistic or documentary writings which are in agreement with the general process of expansion, or on the contrary criticize and denounce it. The Literatures of Empire take into account the vast process of an opening of dif~ferent worlds, and if colonial ideology can be traced there, they nonetheless go beyond this. Two authors, André Chevrillon and Ernest Psichari will enable us to illustrate this distinction, so important for a critical approach to such texts.

Jean-François DURAND
(Université Paul-Valéry, Montpellier III)
Mis en ligne sur Cairn.info le 01/01/2010
https://doi.org/10.3917/rom.139.0047
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