CAIRN.INFO : Matières à réflexion

1Mallarmé n’a pas toujours été l’auteur du Coup de dés. Ce poème, pourtant publié du vivant du poète, appartient en effet à cette lignée des œuvres littéraires nées posthumes. Si la renommée internationale de ce texte-constellation (trop) rapidement associé aux recherches typogra~phiques et spatiales des avant-gardes, des mots en liberté futuristes aux logogrammes de Christian Dotremont, n’est plus à présenter, il convient par contre de rappeler qu’il n’en fut pas toujours ainsi. Notre familiarité avec le poème ne doit pas nous faire oublier toute la puissance d’étran~geté qu’il contenait en 1897 lors de sa pré-publication en revue, et qu’il garda bien longtemps après.

COSMOPOLIS

2Le Coup de dés paraît en 1897, dans le numéro de mai de Cosmopolis. Cette revue mensuelle, dirigée par Ortmans, publiée de janvier 1896 à novembre 1898, a cette particularité, inscrite dans son titre, d’être diffu~sée dans les grandes capitales lettrées (Londres, Paris, Berlin, Amsterdam, Vienne, Saint-Pétersbourg et New-York) et d’offrir à ces lecteurs des contributions rédigées dans trois langues (le français, l’anglais et l’alle~mand). La critique littéraire était aux mains des deux grands universi~taires français du moment, Émile Faguet et Jules Lemaitre. Les choix éditoriaux de la revue étaient assez variés – le lecteur découvre des pages de Stevenson et de Bourget, des lettres inédites de George Sand et de Nietzsche –, tout en privilégiant, du côté de la critique littéraire française, les tendances les plus conservatrices. Comme le laissait déjà entendre le programme du numéro initial  [1], la première année de la revue négligea la création poétique  [2].

3C’est donc avec le Coup de dés que la poésie fera son entrée à Cosmo~polis. André Lichtenberger  [3], représentant parisien de la revue et ami du directeur Ortmans, sollicita Mallarmé, et cela pour plusieurs raisons. D’une part, il fallait répondre à ces reproches d’une occultation de la poésie française contemporaine  [4]. D’autre part, si l’on en croit le secré~taire de la revue, qui réveilla ses souvenirs trente ans plus tard dans un article répertorié  [5] mais à ce jour encore inconnu de la critique mallar~méenne  [6], il s’agissait aussi de mieux saisir le « cas Mallarmé » :

4

Secrétaire, en 1897, d’une grande revue littéraire internationale, et trouvant curieux le cas Mallarmé, j’allai prier le poète de nous donner un spécimen inédit de sa manière. Très touché de cette requête (sa parfaite modestie ne l’empêchait pas d’être un peu attristé de se voir tenu pour un excentrique), il eut à cœur de me fournir un morceau de choix : Un coup de dé (sic) fut le résidu d’un labeur acharné et scrupuleux de plusieurs mois.  [7]

5Lichtenberger se présente alors comme « l’instigateur et le témoin, quoti~dien et respectueux autant qu’ahuri »  [8] du Coup de dés, qui prend ainsi le statut, à l’instar de nombreux textes mallarméens, de poème de circons~tance, né d’une sollicitation extérieure. C’est ainsi que le numéro de février 1897 pouvait annoncer « des poésies de Stéphane Mallarmé »  [9].

6En choisissant de publier un texte mallarméen, Cosmopolis fit un pas en direction d’une certaine modernité, au risque de heurter son lectorat. C’est la raison pour laquelle la revue dut se justifier en ces termes, à tra~vers une « Note de la rédaction » accompagnant le poème :

7

Désireuse d’être aussi éclectique en littérature qu’en politique et de se justifier contre le reproche qu’on lui fait de méconnaître la nouvelle école poétique française, la rédaction de Cosmopolis offre à ses lecteurs un poème inédit de Stéphane Mallarmé, le maître incontesté de la poésie symboliste en France.  [10]

8La revue, avec le Coup de dés, offrait de la sorte un échantillon du symbo~lisme français, de façon à introduire dans ses pages une matière et une manière qui faisaient défaut, soit tout à la fois, la poésie, la modernité, et Mallarmé. Mais du point de vue de la renommée de la poésie mallar~méenne, la sollicitation de Cosmopolis, revue dotée d’une audience interna~tionale, pouvait aussi s’interpréter comme une forme de démocratisation. Il est alors possible que le poète de « l’action restreinte » ait voulu trouver un compromis entre médiatisation et confidentialité, recentrement grâce à une « grande revue littéraire internationale » et « excentricité » réaffirmée par~delà la « tristesse », en livrant à une large diffusion un texte d’une extrême et radicale nouveauté. Telle sera l’analyse de Gide :

9

Au point où il en était de sa vie, possédant un métier admirable, et favorisé par l’estime de quelques importants amis, il eût été facile à Mallarmé de connaître le succès si seulement ses convictions avaient été moins pro~fondes. C’est au contraire le jour où il fut invité à s’adresser au plus nom~breux public que Mallarmé composa son œuvre la plus mystérieuse, la plus obscure. Je songe à cet ultime poème que publia la revue Cosmopolis.  [11]

10Quoiqu’il en soit, l’audience internationale de la revue ne put que servir la diffusion du poème à l’étranger. C’est ainsi par exemple que le jeune Ezra Pound eut connaissance du poème dans sa version de 1897, lorsqu’il se trouvait à Londres : « Il y avait un exemplaire du premier tirage de Cosmopolis dans l’appartement de ma belle-maman. »  [12] Il faut d’emblée souligner l’importance de cette donnée initiale pour saisir la constitution, sur le long terme, d’une célébrité internationale du texte. Dès 1897, le Coup de dés, graine poétique disséminée dans l’espace mon~dial, existe virtuellement à Londres, à Amsterdam, à New-York, à Saint-Pétersbourg, à Vienne et à Berlin, ainsi qu’en Australie, pour d’autres raisons, comme nous allons le voir plus bas.

11On peut se douter de la teneur de l’accueil immédiat qui fut fait à un tel poème. Lichtenberger, évoquant en 1928 ses souvenirs concernant cette aventure du Coup de dés à Cosmopolis, écrivait en effet :

12

Et pas plus que je n’ai oublié l’avalanche d’injures, de semonces et de protestations que me valut sa publication dans Cosmopolis (« ah ! ça, monsieur, vous vous f… de nous ? »), je n’oublierai l’adorable aveu de l’illuminé me remettant – après combien de remaniements ! – son suprême bon à tirer : « J’ai fait de mon mieux. Mais, évidemment, c’est moins beau qu’une feuille de papier blanc. »  [13]

13Ce témoignage enrichit ainsi la liste des phrases apocryphes du Maître, qui a toute l’apparence de la vraisemblance, malgré les trente années qui séparent la rédaction de ce texte du moment qu’il évoque. Mallarmé se retranchait derrière son habituelle ironie, qui fait ici du blanc sur blanc la limite idéale de tout poème. C’est aussi comme le rappellera Paul Fort dans ses Mémoires, « l’hésitation, l’angoisse presque maladive du poète devant la feuille blanche qu’il craint, comme tant d’écrivains, de trouver moins belle quand il l’aura noircie »  [14].

14Ce rappel d’un esclandre à la rédaction de la revue fait directement écho au cri de stupéfaction mêlée d’indignation qui retentit peu après dans la Maison Didot, aux dires d’Ambroise Vollard, lors de la fabrica~tion de l’édition définitive du poème : « c’est un fou qui a écrit ça »  [15]. Indubitablement, les lecteurs du numéro de mai 1897, pour la plupart, durent réagir de la sorte. Tels ont été ainsi les premiers sentiments devant ce texte para-doxal grevé d’une illisibilité foncière : on y vit sans doute, sinon une œuvre folle, pathologique, morbide, du moins une fumisterie mystificatrice. Cette monstration typographique était un monstre d’encre et de papier, échappant aux catégories de la raison critique. Mallarmé lui-même, si l’on en croit le témoignage célèbre de Valéry, présenta son poème, le sourire aux lèvres, comme un « acte de démence »  [16]. Cette phrase confirmera Fretet dans son diagnostic. Une telle œuvre, enfantée par un cerveau schizoïde, ne pouvait relever que d’un cas typique d’alié~nation poétique[17]. Le Coup de dés, à l’aube de sa réception, fait partie de ces textes classés dans la rubrique « folie littéraire ». Qu’en est-il mainte~nant des réactions publiées dans la république des lettres ?

L’ACCUEIL DU COUP DE DÉS EN 1897

15Dans l’état actuel des recherches, on peut affirmer que l’édition préo~riginale du Coup de dés ne rencontra pas de véritable écho dans le monde où l’on imprime, tant en France qu’à l’étranger, tant de la part des revues littéraires, que des quotidiens. Cette apparente indifférence a de quoi troubler, de prime abord, quiconque connaît la gloire paradoxale et contrastée dont bénéficiait Mallarmé dans le Paris fin-de-siècle  [18]. Pour la caractériser en un mot, signalons cet avis sur l’homme qui venait d’être élu « Prince des Poètes » en janvier 1896 : « M. Stéphane Mallarmé n’a publié jusqu’ici qu’un volume, luxueusement imprimé, et dont les rares exemplaires sont entre les mains d’amis fidèles. Mais son nom est connu de tout l’univers. »  [19] En outre, pour ajouter à la perplexité, comme le rappelle Bertrand Marchal, l’année 1897 est celle de la parution très commentée de Divagations :

16

On peut s’étonner, trois mois à peine après la presse abondante qu’avait suscitée Divagations, de la discrétion des échos qui suivirent la publica~tion d’un poème aussi nouveau que le Coup de dés : tout juste quelques entrefilets dans les journaux, sans commentaire, et un seul véritable article, évidemment très défavorable, d’Henry Lapauze dans Le Gaulois.  [20]

17Bertrand Marchal signale les deux entrefilets suivants :

18

Aussi indépendante en littérature qu’en politique, Cosmopolis, entre le dernier chef-d’œuvre d’Anatole France et les lettres de Tourgueneff à Zola, publie un poème de Stéphane Mallarmé qui est l’essai d’un genre nouveau : une musique faite avec des mots où les caractères typo~graphiques et la position des blancs suppléent aux notes et aux intervalles musicaux.  [21] Cosmopolis de mai est admirable de variété en littérature comme en poli~tique. On y trouvera un curieux portrait de Bonaparte revenant d’Égypte, par Anatole France ; un poème de Stéphane Mallarmé, d’un genre entiè~rement nouveau ; une intéressante étude de M. E. Müntz sur l’anar~chisme dans l’art à l’heure actuelle […]  [22].

19Nous ajoutons trois autres références, qui modifient sensiblement cette vision des choses. Ainsi, le quotidien Le Temps se fit aussi l’écho discret, dans sa rubrique « Librairie », non signée, de la nouvelle livraison de Cosmopolis. Mais il évoqua le texte en des termes qui rappellent ceux du Journal et du Gaulois du 4 mai, sans originalité, si bien que ce ne sera pas ce troisième entrefilet qui modifiera la teneur de l’accueil journalistique, qui demeure fort limité :

20

Signalons dans Cosmopolis une exquise nouvelle d’Anatole France : elle décrit les pensées de Bonaparte revenant d’Égypte et méditant le 18 Bru~maire. Un poème musical d’une forme inconnue de Stéphane Mallarmé. La fin des lettres de Tourguéniev à Zola […]  [23].

21Notons qu’aucun de ces trois entrefilets ne mentionne le titre du poème. Quant à la qualification du texte, elle s’inspire directement de la « note de la rédaction » de la préface du Coup de dés, qu’elle ne fait que démarquer. On pouvait lire en effet dans Cosmopolis de mai 1897, en complément de la préface, ces lignes étrangement limpides :

22

Dans cette œuvre d’un caractère entièrement nouveau, le poète s’est efforcé de faire de la musique avec des mots. Une espèce de leitmotiv général qui se déroule constitue l’unité du poème : des motifs accessoires viennent se grouper autour de lui. La nature des caractères employés et la position des blancs suppléent aux notes et aux intervalles musicaux.  [24]

23Il existe un premier article, dû à Henry Lapauze, qui est un érein~tement en règle, traversé d’ironie mordante :

24

[…] cette revue publie aujourd’hui dix pages de M. Mallarmé. Elles sont d’ailleurs parfaitement incompréhensibles, et c’est par là qu’elles sont tout à fait importantes. Cela s’appelle : Un coup de Dés jamais n’abolira le Hasard. M. Mallarmé a lui-même senti le besoin de nous expliquer son poème : par malheur, le commentaire est d’une obscurité telle que nous devons renoncer à en saisir toutes les beautés mystérieuses  [25].

25Plus loin, le rédacteur du Gaulois fait l’effort de reproduire « une page  [26] prise au hasard en conservant la forme typographique même que lui a donnée l’auteur ». Soulignons que Lapauze perçoit toute l’importance ici d’une citation de ce texte hors-norme. Il faudra voir pour juger. Enfin, il termine en rappelant l’opinion de Tolstoï  [27], qu’il partage désormais sans hésitation aucune : « il nous disait l’an passé ne pas entendre un traître mot de la poésie symbolique et instrumentale de M. Mallarmé »  [28]. Ainsi, le lecteur de cette recension ne saura rien du contenu du texte. La porte du poème, à peine entrouverte sur le seuil de la préface jugée illisible, s’est refermée immédiatement… Il aura seulement entrevu quelques membra disjecta épars sur le blanc de la dernière page du texte, ce qui est déjà quelque chose.

26En outre, nous avons trouvé un second article dans la presse quoti~dienne de l’époque, moins nettement défavorable. Il s’agit d’un texte signé « le Sphinx »  [29], responsable masqué de la rubrique les « Échos » à L’Événement. Voici ce qu’il écrivit le 15 mai 1897 :

27

La dernière trouvaille de M. Stéphane Mallarmé. C’est de la littérature typographique grâce à laquelle l’auteur peut rem~placer par une disposition purement matérielle de mise en pages la gram~maire, la syntaxe, la prosodie ; je ne parle pas de la pensée dont cet infatigable innovateur nous a depuis longtemps montré l’inutilité. L’originalité de cette composition consiste dans l’importance donnée aux « blancs » typographiques aux dépens du texte lui-même et dans la variété des caractères employés, lesquels seront désormais appropriés aux mots qu’ils représentent. Tel vocable s’écrira en lettres d’affiches, tel autre en rondes, celui-ci en italique ou en capitales maigres ou en égyptiennes ou en normandes, etc., etc., le tout sans ponctuation. Voici un échantillon de l’exemple que M. Mallarmé joint au précepte dans le dernier numéro de Cosmopolis. – Il va sans dire que nous ne pouvons rendre que le morceau littéraire lui-même obligés que nous sommes, à notre grand regret, de négliger la disposition typographique, trop compliquée : Un coup de dé (sic) jamais quand bien même lancé dans des circonstances éternelles du fond d’un naufrage soit que l’abîme blanchi étale furieux sous une inclinaison plane désespérément d’aile la sienne par avance retombe (sic) d’un mal à dresser le vol et couvrant les jaillissements coupant au ras les bonds très à l’intérieur résume l’ombre enfoncée (sic) dans la transparence par cette voie (sic) alternative… Cela suffit pour vous donner envie d’essayer, n’est-ce pas ?  [30]

28À la différence du Journal, L’Événement, qui s’en excuse, ne fit pas l’effort de retranscrire la spatialisation du texte, qu’il cite avec des erreurs. Mais cet article eut cependant l’originalité de prendre cet essai littéraire au sérieux, en identifiant toute la nouveauté formelle du dispositif spatial.

29Il faut également souligner l’existence d’un texte que la critique mal~larméenne n’a pas encore exploité. La revue La Plume offrit en effet dans son numéro du 15 août 1897 une « Idylle diabolique » signée Adophe Retté, qui prenait pour cible le tout nouveau poème de Mallarmé  [31]. Nous donnons ici un extrait de ce dialogue parodique où intervient le Coup de dés, morceau brandi par Norbert de Gloussat, à savoir Robert de Souza le glossateur, pour tenter d’initier son interlocuteur incrédule aux « sacro-saints mystères de l’art contemporain » :

30

NORBERT DE GLOUSSAT J’ai là le plus récent poème de notre éponyme : le prodigieux grand prêtre Alfane Malbardé… (sévère). Ce nom ne vous rappelle rien ? MAÎTRE PHANTASM, haussant les épaules. Attendez… Ah ! si : cela me rappelle un tortionnaire qui fit subir d’hor~ribles tourments au génie de la langue. […] Allons : lisez votre papier. NORBERT DE GLOUSSAT, mystérieux. Un préambule est nécessaire. – En effet, il ne s’agit pas, dans ce poème, d’une suite d’idées pareilles à celles que de fâcheuses habitudes d’esprit nous obligèrent d’admirer chez les grands écrivains de notre race. Ici, la littérature s’assimile à la musique. Suivant l’expression du génial auteur que je vous impose en ce moment, « les blancs assument l’importance ». Ce sont les blancs, c’est-à-dire l’intervalle entre chaque mot et chaque membre de phrase, qui déterminent le sens. Dès lors toute ponctuation devient superflue ; la phrase principale pose le thème et pour cette rai~son, elle est écrite en très gros caractères ; les propositions incidentes viennent s’y rattacher et, bien entendu elles sont écrites en caractères plus petits d’après leur valeur. Je vais tâcher de vous faire saisir la chose par la déclamation. MAÎTRE PHANTASM Marchez ! NORBERT DE GLOUSSAT, ouvrant une bouche énorme et hurlant. UN COUP DE DÉS JAMAIS !… GRYMALKIN Ne criez paz si fort, vous allez casser les vitres. NORBERT DE GLOUSSAT, impérieux. Je pose le thème. MAÎTRE PHANTASM, résigné. Posez ! NORBERT DE GLOUSSAT UN COUP DE DÉS JAMAIS (il baisse un peu la voix) QUAND BIEN MÊME LANCÉ DANS DES CIRCONSTANCES ÉTERNELLES (un silence) DU FOND D’UN NAUFRAGE SOIT (il baisse encore la voix) que l’abîme blanchi étale furieux sous une inclinaison plane désespé~rément d’aile la sienne par avance retombée d’un mal à dresser le vol et couvrant les jaillissements coupant au ras les bonds très à l’intérieur résume l’ombre enfouie dans la transparence par cette voile alternative jusqu’adapter à l’envergure sa béante profondeur en tant que la coque d’un bâtiment penché de l’un ou l’autre bord LE MAÎTRE hors d’anciens calculs où la manœuvre avec l’âge oubliée surgi inférant jadis il empoignait la barre de cette conflagration à ses pieds de l’horizon una~nime que se prépare s’agite et mêle au poing qui l’étreindrait comme on menace un destin et les vents le nombre unique qui ne peut pas en être un autre esprit pour le lancer dans la tempête en reployer l’âpre division et passer fier hésite tout chenu cadavre par le bras écarté du secret qu’il détient plutôt que de jouer en maniaque [une note de la rédaction indique que le texte est tiré du numéro de mai de Cosmopolis]… MAÎTRE PHANTASM, abasourdi. Assez ! Assez ! Quarante roues de moulin me tournent dans la tête […].  [32]

31La scène se poursuit par un lazzi de « l’abeille », animal qui se venge de ne pas être connu du grand Norbert de Gloussat ; ce dernier, piqué, finit par quitter les lieux. Les deux hérétiques se réjouissent alors d’avoir pu s’amu~ser avec « un spécimen du grand Art de l’époque », présenté par « un citoyen de Cosmopolis », cette cité qui ressemble à la « tour de Babel »  [33].

32À l’origine de cette charge satirique, il y a deux faits d’inégale impor~tance : une polémique autour d’un vers de Robert de Souza (« Tes petites mains d’abeille travailleuse »), ridiculisé par la Plume et défendu par son auteur dans une lettre que la revue publia, pour s’en moquer, dans son numéro du 1er août  [34], et… la parution du Coup de dés, dont il ne sera pas fait d’autre mention dans la revue. Avec ce titre, « idylle diabolique », Retté s’inscrit ironiquement dans la tradition parodique de l’époque des Déliquescences, qui contenait en effet une réécriture de la fin de Prose pour des Esseintes, intitulée « idylle symbolique »  [35]. Ainsi, son dialogue bouf~fon renoue avec les procédés du duo Vicaire-Beauclair : Étienne Arsenal devient ici Alfane Malbardé. La Plume retrouve le ton de Lutèce pour épingler un texte qui incarne à nouveau le comble de l’hermétisme. L’incongruïté du poème de Cosmopolis appelle irrésistiblement le rire du travestissement burlesque qui retourne la Cité Cosmique en Cité babé~lique, livrée au chaos linguistique de l’incommunicabilité, comme si le Coup de dés, à lui seul, dans un grand concert typo-cacophonique, parlait toutes les langues de cette revue internationale et polyglotte. Ainsi, après avoir été un symptôme à la rédaction de Cosmopolis, ou dans les ateliers de Didot, le poème mallarméen, tout à la fois monstrum horrendum et locus horribilis, devint avec Retté un grotesque, une curiosité ridicule pro~clamant de son propre chef un sonore nunc est ridendum.

33Malgré tout, il faut souligner que le jeu parodique et polémique se double d’une mise en avant des potentialités nouvelles du texte. Comme toujours, le bon pasticheur se révèle excellent lecteur, et excellent critique. Retté met en œuvre les indications de la préface qui légitiment éventuellement, « pour qui veut lire à haute voix »  [36], une oralisation expressive du poème. La bouffonnerie de la scène ne fait alors que révéler la dimension musicale et théâtrale du poème, dont la variation typo~graphique peut fonctionner à la manière d’une « partition », comme le précise Mallarmé, voire d’une suite de didascalies implicites. Avec cette « déclamation » se trouvait ainsi posée involontairement, pour la pre~mière fois, la question délicate de la transposition scénique du Coup de dés, qui resurgira en particulier en 1919 avec le projet du groupe « Art et Action »  [37].

34Ainsi, on peut constater, avec l’existence de ce texte, que le Coup de dés a trouvé une petite place dans les revues littéraires. Or, La Plume, autour de 1895, constitue un organe des plus actifs du monde des lettres parisiennes. Comme le précise André Maurel en 1896, elle est « la plus vivante et la plus intéressante des revues de jeunes »  [38]. Quel rôle ce texte de Retté joua-t-il dans la publicité du Coup de dés ? Visiblement, son influence fut très limitée. En effet, le Mercure de France, en la personne de Robert de Bury, dans sa recension des revues de septembre 1897  [39], revint brièvement sur cette « Idylle diabolique » mettant en scène le double parodique de Robert de Souza ; mais il ne commenta pas le sort réservé au Coup de dés, se limitant à citer un calembour dirigé contre les attardés du Parnasse  [40]. Ajoutons que la Revue naturiste ne dit rien du Coup de dés alors qu’elle avait consacré en long article à la parution de Divagations[41]. Cependant, comme le Mercure de France, elle ne manqua pas de relever la piquante « Idylle diabolique » de l’ami Retté. Mais de nouveau, cet écho des revues ne fut pas rédigé dans l’intention d’évoquer le poème de Cosmopolis ; on se borne à noter qu’un confrère « met en scène et raille impitoyablement un de nos meilleurs grotesques, Norbert de Gloussat, l’homme des abeilles aux pattes en formes de cuiller »  [42]. Il ressort donc de ces lignes que l’attention fut curieusement centrée sur la personne de Robert de Souza, principale cible vivante de la satire, tandis que le tout récent poème mallarméen, texte inédit à tous les sens du terme, pourtant glosé et cité, n’éveilla visiblement pas la curiosité.

35Ainsi, tout cela montre bien qu’il n’y eut pas, c’est le moins qu’on puisse dire, de « bataille du Coup de dés ». La parodie de Retté aurait pu déclencher une réaction en chaîne faite de protestations, qui aurait de la sorte mis au devant de la scène cet étrange poème. Or, comme à son habitude, Mallarmé ne répondit pas aux attaques, et son Coup de dés s’enveloppa de silence, loin de toute polémique.

LES RAISONS DE CE SILENCE RELATIF

36La discrétion de l’accueil s’explique à nos yeux par des raisons d’ordre circonstanciel, matériel et esthétique. Tout d’abord, la conjoncture évé~nementielle n’est pas du tout favorable à l’accueil d’un poème, fût-il signé de la main du Socrate de la rue de Rome, fût-il inouï. Le Coup de dés joua peut-être de malchance. L’actualité française retentissait en effet d’un « grand fait divers » dont se saisit toute la presse, qui fit peut-être diversion. C’est ce que souligne plaisamment Bertrand Marchal :

37

[…] le poème eut en effet le malheur de paraître la veille du fait divers le plus tragique de la dernière décennie du siècle, l’incendie du Bazar de la Charité, qui, pendant plusieurs semaines accapara dans les journaux l’essentiel de la place. Et lorsque l’émotion fut un peu retombée, l’infor~tuné Coup de dés qui n’avait pu abolir le hasard de l’actualité était déjà retourné s’ensevelir dans un oubli dont il ne ressortirait que bien long~temps après la mort de Mallarmé  [43].

38Ainsi, feu contre feu, l’incendie tristement célèbre du Bazar de la Charité aurait éclipsé la pyrotechnie symbolique du Coup de dés. On savait que l’événement de la rue Goujon avait ensanglanté les débuts de l’histoire du cinématographe ; on peut ajouter qu’il ne fut peut-être pas sans ombrage sur l’histoire littéraire, celle de la réception de cette autre machine optique que constitue à sa manière le poème typographique de Mallarmé. En outre, une certaine presse se fit aussi l’écho de la mort du duc d’Aumale à Palerme le 7 mai, autre événement à sensations, contempo~rain de la parution du Coup de dés, qui accapara également une grande partie de l’attention. Les journaux, en ce printemps 1897, donnaient plus dans le nécrologique que dans le poétique.

39Mais l’actualité en question n’explique ici que le silence de la presse d’information, et encore, puisque Le Gaulois et L’Événement ont pu faire cohabiter des pages consacrées à la catastrophe de la rue Goujon, et des lignes dévolues au Coup de dés. Il ne faudrait donc pas majorer l’importance du fait divers puisque les rubriques « lettres » ou « littéra~ture » ont leur spécificité d’une part, et que les colonnes des revues litté~raires d’autre part, par définition, étaient en mesure d’accueillir des propos relatifs à la parution d’un poème inédit. Or, mis à part La Plume, aucune d’entre elles n’en fit mention. La Revue blanche, grande tribune de la poésie mallarméenne, qui avait publié en 1895-1896 la série des « Variations sur un Sujet », qui non seulement accueillit des textes de Mallarmé jusqu’en février 1897 (« Sur l’influence des lettres scandi~naves »), célébra Divagations avec Thadée Natanson, mais encore reçut le sonnet À la nue accablante tu en février 1898, resta muette sur le compte du Coup de dés. Fait remarquable, le numéro du 15 mai 1897 contient un article d’Alfred Atys consacré au poème en prose ; son auteur évoque la pratique mallarméenne du genre en des termes qui pourraient faire penser au travail mis en œuvre dans le Coup de dés. Mallarmé est présenté comme « un géomètre expert qui aurait longuement analysé cet autre espace, l’écriture »  [44] ; mais rien ne sera dit du tout récent poème publié par Cosmopolis… De même, dans sa recension du 15 novembre 1897, Gustave Kahn prend le soin d’éreinter la Doublure (« au temps où l’on cherche à écrire le vers synthétique et autant que possible serré et de poé~sie pure, M. Raymond Roussel s’attache à le rendre prosaïque et plat, et c’est à cela seul qu’il a réussi »  [45]), alors qu’il aurait été simple, à l’inverse, de louer cet idéal de synthèse nouvellement incarné dans le Coup de dés. De même, le Mercure de France qui, dans son numéro de mai 1897, se fait pourtant le défenseur de Mallarmé face aux attaques des Retté et des Saint-Jacques, en la personne de Robert de Souza, passe complètement sous silence la tentative de Cosmopolis. Un même silence se trouve éga~lement dans l’article de Vielé-Griffin, « Le rôle de Stéphane Mallarmé », paru dans L’Ermitage en mars 1898.

40Aux raisons circonstantielles vues précédemment s’ajoutent alors des raisons matérielles liées à la disponibilité même de la revue Cosmopolis. Cette idée semble ressortir du témoignage de Camille Mauclair : « cette hypothèse de transformation typographique, […] Mallarmé ne l’essaya, ou du moins ne nous en fit part, que dans le poème dont j’ai parlé pré~cédemment, et dont la critique n’a pas reçu d’exemplaires. C’est peut-être son dernier travail terminé »  [46]. Le Coup de dés n’a pas été dévoilé dans une revue parisienne. Doit-on voir ainsi dans ce silence décidément très loquace, une volonté de ne pas faire de publicité pour une revue rivale ? On peut ajouter à cela que le statut quelque peu hybride du texte mallarméen, situé entre le poème et le livre, ne facilitait pas la recension littéraire ou journalistique accoutumée à classer par rubriques bien défi~nies, dans la mesure où les sections des revues intitulées « les poèmes » ou « poésie » n’évoquent que des livres.

41Mais pour compléter la réflexion sur la teneur de cet accueil, il fau~drait aussi évoquer des raisons d’ordre esthétique, ce qui nous amène à dresser un bref panorama de l’état de la poésie française en 1897, auquel il convient d’ajouter quelques remarques sur la position de Mallarmé dans le champ littéraire du moment.

L’HORIZON DATTENTE DE 1897 : LE SYMBOLISME ENTRE REFLUX ET RENOUVEAU

42Le Coup de dés, publié en mai 1897, apparaît dans un champ littéraire alors en complète recomposition, marqué par ce que Michel Décaudin a appelé « l’élan naturiste »  [47], qui caractérise cette période de l’histoire litté~raire située entre 1895 et 1898. Mais plus largement, il doit aussi s’envisa~ger comme un texte surgissant au moment où s’appronfondit cette « crise des valeurs » qui affecte, et pour longtemps, le symbolisme conquérant des années 1880  [48]. Par ailleurs, le regard porté sur l’œuvre de Mallarmé, depuis la parution de Divagations en janvier 1897, se modifie aussi.

43Les tendances à la dissidence amorcées depuis 1891 avec l’évolution d’un Moréas et d’un Ghil s’accentuent à partir de 1895. Ainsi s’affirme une nouvelle sensibilité poétique, perceptible dans le silence des œuvres individuelles – des Jeux rustiques et divins de Régnier à la Naissance du Poète de Jammes, en passant par les Nourritures terrestres gidiennes et les Ballades de Paul Fort – comme dans le tintamarre des écrits théoriques des Naturistes, et l’éclat soufré des brûlots incessants d’un Retté et d’un Saint-Jacques dans les colonnes de la Plume, ou d’un Le Blond dans la Revue naturiste. On le sait, cette réaction anti-symboliste opère un ren~versement des valeurs, qui tend désormais à faire primer le Dehors sur le Dedans, le Réel sur le Rêve, la Nature sur l’Artifice, la Vue sur la Vision, la Communauté sur l’Individualité, la Clarté sur le Mystère, la poésie lyrique sur la poésie critique. Ce reflux de la vague symboliste s’accom~pagne de la consécration nouvelle de la notion de Vie, mot-drapeau désormais substitué à la notion de Symbole. C’est dans ce climat que sur~git le poème de Cosmopolis.

44L’année 1897 avait débuté par la publication dans les colonnes du Figaro du « Manifeste naturiste » rédigé par Bouhélier ; une querelle s’en suivit, qui accapara une partie des revues littéraires jusqu’à l’été  [49]. Le Coup de dés parut donc, il faut le souligner, en pleine polémique natu~riste. Tandis que la préface de Cosmopolis s’achevait sur un credo poé~tique éminemment réflexif (« la Poésie – unique source »  [50]), et que le poème finissait sur l’aphorisme de la pensée pensante et pensée (« Toute Pensée émet un Coup de dés »), la sensibilité naturiste, au même moment, cherchait à retremper le poème dans le grand bain sensoriel de la Vie. Écoutons Saint-Georges de Bouhélier : « la littérature, qui s’était détourné de la vie et de la nature devait s’y retremper sous peine de des~sèchement »  [51]. Tandis que le narrateur des Nourritures enseignait à jeter le livre, Mallarmé jetait les dés dans une œuvre que l’on aura tôt fait d’assimiler à un fragment du fameux Livre. Tandis que Mallarmé déployait le double « abîme » du naufrage noir et de la page blanche, Gide, dans une lettre à Ruyters de septembre 1896, appelait de ses vœux l’ouverture d’un « abîme de sensualisme »  [52].

45Ainsi, il n’est pas insignifiant ici de voir la Revue blanche, en la per~sonne de Léon Blum, recenser, en juillet 1897, à défaut de l’introuvable Coup de dés, les Nourritures terrestres. Contrairement à ce que Gide déclara dans sa préface de l’édition de 1927, son « manuel d’évasion » ne rencontra pas « l’insuccès total ». La phrase « aucun critique n’en parla » pourrait très bien s’appliquer en fait au Coup de dés… Il serait alors fort suggestif d’esquisser une étude de réception comparée de ces deux textes exactement contemporains, et novateurs chacun dans leur genre. On ver~rait que les réactions suscitées par le texte gidien ont été beaucoup plus nombreuses que celles provoquées par le poème mallarméen. Il recueillit en particulier trois articles substantiels rédigés par Léon Blum comme on l’a dit, ainsi que par Edmond Jaloux et Henri Ghéon. Une revue provin~ciale comme L’Œuvre salua les Nourritures terrestres comme un livre figu~rant « parmi les plus admirables de l’année »  [53].

46D’autre part, du côté des fidèles, il est possible de percevoir une réo~rientation de la réception mallarméenne. Mallarmé théoricien aurait pris le pas sur Mallarmé poète, comme le remarque Bertrand Marchal, qui explique ainsi en partie le silence autour du Coup de dés : « cela prouve sans doute, pour une part, que la question mallarméenne s’était depuis longtemps déjà insensiblement décentrée, de la poésie à une forme d’esthétique générale »  [54]. Une telle saisie de la trajectoire mallarméenne apparaît clairement dans le portrait que Mauclair offre de son Maître, en novembre 1897 ; Mallarmé devient à ses yeux :

47

[…] la figure la plus significative de l’hégélianisme appliqué à l’art. Cette conception est ce que l’homme devrait pouvoir faire, mais ce qu’il ne pourra jamais faire. M. Mallarmé, allant jusqu’au bout de sa logique d’un esprit intuitif a pour ainsi dire renoncé à produire dans ces conditions, et s’est présenté beaucoup plutôt (sic) comme un esthéticien que comme un créateur  [55].

48Toujours est-il que les deux articles qu’il consacre aux acquis du symbo~lisme dans la Nouvelle Revue[56], pourtant riches de longues allusions à l’œuvre de Mallarmé, ignorent complètement le Coup de dés. Il est signi~ficatif de voir Mauclair insister sur la fidélité mallarméenne au vers régu~lier (« la contestation, souvent amicale, de poètes fidèles aux traditions, comme M. de Hérédia, M. Sully-Prudhomme, et j’y insiste, M. Mal~larmé »  [57]), en omettant le cas singulier du Coup de dés, qui ne semble pas compter à ses yeux. Nous retrouvons sans doute ici les réticences qu’il avait émises dans sa lettre à Mallarmé du printemps 1897, que nous allons aborder plus loin.

PASTICHE ET SIDÉRATION : LES PLIS DE LA CORRESPONDANCE

49Si le poème de Cosmopolis ne suscite pas beaucoup d’échos dans la presse, il trouve ses premiers commentaires dans l’entourage immédiat du poète, ainsi que l’attestent les correspondances de l’époque. On sait grâce aux lettres de Mallarmé que des jeux d’épreuves du Coup de dés furent envoyés à Valéry, Mauclair, Kahn, Édouard Gravollet, et sans doute à d’autres, comme Dujardin qui servit d’intermédiaire entre la maison Didot et Mallarmé.

50La première trace écrite d’un commentaire relatif au Coup de dés se trouve sous la plume de Gide. Voici ce qu’il écrivit au Maître, dès la parution du texte qu’il découvrit pour la première fois, semble-t-il, dans Cosmopolis :

51

[…] Je ne peux m’empêcher de vous écrire (comme on applaudit irrésis~tiblement) en lisant longuement – à présent à Florence – dans Cosmopolis – qui vient d’arriver – votre poème très attendu. C’est d’une audace littéraire si admirablement et simplement prise ; – il semble arriver là comme un promontoire avancé étrangement, très élevé, après lequel il n’y a plus que la nuit – ou la mer et le ciel plein d’aube. La dernière page m’a glacé d’une émotion très semblable à celle que donne telle symphonie de Beethoven (certes je ne vous apprends rien). Mais après ces cris Excepté peut-être une constellation. le dégringolement de tout l’orchestre en la série des participes Veillant, doutant, roulant, brillant, et méditant… Et la grandeur pacifiée de la dernière phrase, comme l’accord parfait final. Cela est admirable.  [58]

52En qualifiant le poème de « très attendu », Gide nous apprend que Mal~larmé a dû l’évoquer à maintes reprises lors de sa gestation, dans dif~férents contextes. Qui donc attendait ce poème ? Cette formule accroît notre perplexité quand on confronte l’attente fiévreuse au silence de l’accueil, et qu’on souligne, comme le fait Bertrand Marchal, que le poème semble avoir été conçu « dans le plus grand secret »  [59]. La corres~pondance, si l’on excepte bien évidemment les lettres à Lichtenberger, d’ailleurs aujourd’hui perdues sauf une, reste en effet particulièrement muette sur le sujet ; Mallarmé n’évoque son poème qu’une fois détenteur d’épreuves, très allusivement, et ne le commente véritablement qu’une fois publié dans Cosmopolis.

53Par ailleurs, Gide constate ici la radicale nouveauté d’un texte qui vient déplacer l’horizon d’attente du moment. À travers la métaphore du promontoire – idée que l’on retrouvera sous sa plume en 1913 lors de la conférence sur « Verlaine et Mallarmé » qu’il donnera au Théâtre du Vieux-Colombier – il fait du Coup de dés une œuvre-limite qui s’avance en direction d’un espace littéraire encore inexploré. L’alternative nuit/ aube montre son hésitation devant une expérience radicale qui tient tout à la fois du terme et du germe, de l’extrême-occident et de l’orient. Avec ce poème, Mallarmé aurait élaboré une sorte de finis terrae littéraire, qui confronte la Poésie à son Dehors. Il y a semble-t-il dans cette page fer~vente, toute bruissante d’admiration devant la réussite formelle d’un poème symphonique d’un nouveau genre, à côté de ce ralliement sans réti~cences, la mise en évidence d’une création au bord du gouffre, et le sen~timent d’une fin de la Poésie.

54Puis Valéry lui-même, gratifié d’un jeu d’épreuves de l’édition Cosmo~polis commente à son tour le poème pour André Fontainas :

55

Je possède depuis mardi les épreuves du poème de Stéphane. Extraordi~naire. Pas bon. Mais cet homme a un courage de lion. Vous n’avez pas idée de la disposition de ça. J’approuve et je me délecte – il continue à rendre plus hardie son expérience vitale. – Il me dit en me le donnant : « Ne croyez-vous pas que je suis fou ? C’est un coup de démence ». J’ai répondu comme il faut je crois. Si j’avais à le défendre comme l’orage nécessaire qui va rouler, je sortirais des abîmes le spectre de Faraday.  [60]

56Comme Gide, Valéry ne peut que souligner le radicalisme de la tentative, qui se voit corroboré par les mots de Mallarmé lui-même, si l’on en juge par sa lettre à Valéry du 29 mars 1897 : « Je vous enverrai, quand j’en aurai de bonnes, les épreuves d’un poème, bizarre, pour votre avis. »  [61] La métaphore de l’orage succède à celle du promontoire, pour décrire un même phénomène extrême, accident géologique ou cosmique. Malgré tout, ce « pas bon » ne manque pas d’étonner, puisqu’il est suivi d’un « j’approuve ». L’alternative gidienne nuit/aube trouve-t-elle ici son cor~respondant dans l’antithèse première d’un avis juxtaposant l’éloge et le blâme (extraordinaire/pas bon) ? Faut-il mettre cela au compte de la stu~péfaction, vertige qui affole la boussole du jugement, mimé par un tour~niquet des axiologies ? Nous sommes donc loin ici de la célébration sans faille du poème, rédigée en 1920 au moment du projet d’« Art et Action » et de la controverse des Marges, à une époque où Valéry jettera les bases d’une véritable mythologie du Coup de dés.

57Un autre type de réaction immédiate a pu exister, si l’on en croit cette lettre de Mallarmé à Gide qui se fait l’écho d’un propos de Valéry : « Valéry que j’eus dimanche et vous pensez si votre nom revint, m’apprend qu’on voit, surtout, en enviant ce truc, dans l’espacement du texte, un moyen de majorer le prix coûtant du Poème. »  [62] Qui se cache derrière ce « on » ? À défaut de noms précis, il s’agit d’esprits jaloux et malveillants qui, aux yeux de Mallarmé, réduisent des recherches esthé~tiques à des préoccupations mercantiles. Cette boutade anonyme a le mérite de rappeler qu’il existe aussi, à côté d’une poétique, une économie du blanc.

58Nous disposons en outre d’un autre commentaire du poème proposé par un proche de Mallarmé, glissé dans une lettre réagissant à l’envoi, cette fois, d’un jeu d’épreuves de l’édition Vollard-Didot. Ainsi, Camille Mauclair a pu lui aussi livrer un avis sur le texte. Nous donnons la quasi intégralité de sa réponse, très rarement citée :

59

Je crois, mis à part la valeur elle-même du poème, qu’il est impossible d’aller plus absolument au bout d’une théorie, et de l’expliquer plus « enfantinement » à ceux qui ne veulent même pas réfléchir et qui ont besoin de précisions d’enfant pour comprendre. L’évidence typographique des divers ordres de la phrase, ici, suffit à tout. J’imagine pourtant que personne ne pense jamais, d’abord, à ce qui est évident. Au fond, vous n’avez jamais cessé une minute d’être logique jusqu’à l’évidence axioma~tique dans vos écrits, et de vous comme de votre poème, on peut dire « qu’il n’y a qu’à voir ». […] J’ai une si singulière façon de comprendre les vers libres que je ne puis vraiment vous donner ma pensée nette sur le mécanisme des vôtres. Je crois que c’est à peu près ce que je recherche, quant à la musicalité inté~rieure, et je me sers des muettes et des assonances comme vous des blancs, des tirets et des caractères différents. […] Mais je crains qu’on ne voie dans votre œuvre non un poème mais l’exposé de l’armature d’un poème. Claudel aussi, n’est-ce pas ? dans Tête d’Or, avait été très-voisin de cette déclamation. Mais il la fondait sur la respiration autant que sur le sens et sur le mouvement du discours. Moi, c’est sur le battement du cœur, si je puis dire, et sur le pur instinct, encore que je n’applique cela qu’à des lieds brefs. […] Me trompé-je en disant que vous vous fondez sur l’expression syntaxique avant tout, et après sur le mouvement du dis~cours ? Je crois aussi que les diverses grosseurs des lettres ne sont pour vous que des « exemples », et qu’il est souhaitable que tout soit écrit de même, et que la place et le sens du mot suffisent à en décréter l’impor~tance, à « le faire voir plus gros » au public. Ceci viendra évidemment, quand la lanterne n’aura plus besoin d’être éclairée. Je serais vraiment curieux de savoir l’avis de nos amis sur votre tentative, tant elle prend la question à un point de vue dissemblable du leur !  [63]

60On l’aura compris, nous quittons, ici, l’enthousiasme admiratif de Gide. Mauclair, même s’il en comprend la nécessité – la Foule éclairée fait défaut en ces temps d’interrègne – semble regretter malgré tout, par~delà le constat, le caractère trop explicite d’un poème qui prend le lecteur par la main. Certes, la visibilité se mue ici en évidence cartésienne, celle de la démonstration et des idées simples, qui n’est pas sans évoquer le « c’est clair comme le jour »  [64] des notes du « Livre ». Mais si l’on associe ce constat d’évidence aux dernières remarques de cette lettre, il apparaît que Mauclair se montre plutôt réticent devant cet usage nouveau de la typographie. Il ne voit dans cette mise en scène et en espace de la phrase qu’un procédé didactique et illustratif. Mallarmé livrerait un texte qui s’apparenterait au poème à thèse, programmatique et démonstratif, logique et théorique. Cette « armature intellectuelle » que le poète souhaitait « dissimulée » se trouverait ici exhibée de manière patente, sans que Mau~clair perçoive pour autant une rupture dans l’esthétique mallarméenne. La poétique primerait sur le poétique. Cette lecture, majorant la dimen~sion argumentative du texte aux dépens de la « fiction », en insistant sur la clarté intellectuelle, prend cependant le contrepied de ce qui deviendra un lieu commun critique, à savoir l’obscurité insondable du Coup de dés. Quant au mode de composition du poème, Mauclair pointe l’importance de la syntaxe, qui l’emporte selon lui sur ce qu’il nomme, de manière un peu confuse, le « mouvement du discours » : le Coup de dés s’affirme comme un poème plus grammatical que rhétorique.

61Voyant dans ce texte des vers libres, il note également l’élaboration d’une prosodie autre, fondée sur le noir typographique et le blanc paginal. Mais ce principe nouveau de variation typographique se voit contesté dans ses fondements : Mauclair préfère valoriser le Mot par le style. Enfin, sou~lignons l’idée selon laquelle le Coup de dés viendrait rompre avec l’esthé~tique dominant dans l’entourage du Maître. Mallarmé se singularise avec ce « point de vue dissemblable ». Il apparaît clairement ici que les vers libres du poème de Cosmopolis ne sont pas des vers libres comme les autres…

62Par ailleurs, pour compléter ce panorama, notons qu’il existe un échange de lettres très révélateur entre Valéry et Fontainas durant le prin~temps 1897, éditées depuis peu, qui atteste du pouvoir de fascination que le Coup de dés a pu receler dès son dévoilement. Le texte, si novateur, fait événement ; pendant quelques jours, il va occuper les esprits et servir de comparant ou de référent privilégié. Tout à la fois jeu de société et machine à écrire, il stimule le travestissement ludique :

63

[…] ce mot même qu’est le vers une conversation variable et longue, ce hasard fut par nul coup de dés, – c’est la loi encore, aboli – Bailly sorcier, selon toujours, melliflu et jeteur de sort […]  [65]

64De même, on file la métaphore de l’alea – celle de la loterie génétique viendra plus tard – pour dire les surprises de la Vie :

65

Je vous félicite de votre Gabriel (et surtout la maman). Vous dissimulez en vain une émotion sous divers coup de dés. Eh ben ! un enfant ! ça n’est-il pas un fameux Coup de dés ? Le principal sans doute, et dirait un idéaliste – l’Unique (car enfin…).  [66]

66Il est en outre intéressant de noter que le poète australien Christopher Brennan  [67], admirateur de Mallarmé, avec qui il échangea quelques lettres à partir de 1893, passeur de littérature qui fit connaître le symbolisme dans son pays – ses conférences furent à l’origine d’une lignée d’éminents mal~larmistes australiens (Davies, Austin) – composa deux pastiches du Coup de dés en langue anglaise, plus élaborés que les jeux épistolaires rencontrés sous la plume de Fontainas et de Valéry. Aigri par l’accueil très réservé qui accompagna la parution de son recueil Towards the Source (1897), Bren~nan, peu après la parution du Coup de dés dans Cosmopolis, utilisa la forme contrapuntique du texte de Mallarmé pour déverser son ironie sur l’incom~municabilité entre le poète moderne et le public de son temps. Il présentait son œuvre à un ami comme étant « an exposition in English of the new Mallarméan poetic-musical form »  [68]. Ces textes, intitulés « Prose-Verse-Pos-ter-Algebraic-Symbolico-Riddle-Musicopoematographoscope », et « Pocket Musicopoematographoscope », ne furent publiés qu’en 1981 aux Presses Universitaires de Melbourne par le biographe de Brennan, Axel Clark  [69].

UN SILENCE ÉQUIVOQUÉ

67Que conclure de ces remarques ? Sur le plan esthétique, le changement d’horizon d’attente lié à la crise du symbolisme a pu jouer un certain rôle, privant le poème d’une visibilité qu’il aurait pu avoir cinq ans plus tôt. En outre, au regard des réactions de l’entourage du Maître, il appa~raît que le texte a engendré l’extrême perplexité, et le désir éventuel de rester en retrait d’une pareille tentative qui faisait vaciller toutes les certi~tudes, en particulier la position de l’auteur de Crise de vers vis-à-vis de la pratique du vers libre. Il faut ainsi noter qu’au sein même du groupe lit~téraire de Mallarmé, on perçut un écart par rapport à la norme poétique établie, un effet de dé-familiarisation qui ne pourra que s’amplifier chez des lecteurs hostiles aux expérimentations nées dans les parages du sym~bolisme et des recherches vers-libristes. Le dispositif formel inédit fondé sur la variation typographique, l’unité nouvelle de la double page, la majoration de l’espace entre les mots, la disposition en escalier des unités, incompris chez un proche de Mallarmé comme Mauclair, voire refoulé et dénié, provoque critiques et réticences. Fait capital, le Coup de dés contredit l’horizon d’attente de « l’avant-garde » poétique elle-même : il se présente comme une rupture dans la rupture, un écart second par rapport à un écart premier. Au vu des réactions immédiates équivoques d’un Gide, d’un Valéry, d’un Mauclair, il n’est peut-être pas absurde de penser que Mallarmé était allé trop loin dans l’innovation formelle pour être suivi par les siens. On hésita peut-être à manifester un soutien explicite et visible, écrit noir sur blanc dans les pages des revues, à une époque où les fusées anti-mallarméennes n’avaient pas attendu l’hapax générique du Coup de dés pour partir.

68Par ailleurs, les aléas du projet du Coup de dés, marqué par le passage d’une version destinée à un périodique à une version prenant place au sein d’une édition de luxe accompagné de lithographies de Redon, et sur~tout conforme aux intentions véritables de Mallarmé, peuvent aussi expliquer la discrétion de l’accueil. Comme le soulignait « l’observation » de Cosmopolis, il ne s’agissait que d’un « état »  [70] du texte, échantillon indi~catif proposé dans l’attente d’une réalisation pleine et entière. Dès lors, ce relatif silence devient beaucoup moins énigmatique. Le groupe littéraire de Mallarmé savait sans doute que le Maître travaillait à une édition défi~nitive du poème, qui était imminente. Les commentaires durent se tenir en réserve. Dans cette perspective, pour ce qui est des revues littéraires, on peut alors penser qu’il n’y eut pas indifférence, mais latence. C’est ce qui semble ressortir de ces lignes écrites par Thadée Nathanson à la mort de Mallarmé :

69

L’œuvre où durera son génie poétique peut attendre, sûre de mêler aux feux des lettres françaises le sien, qui leur manquait. Non plus seulement un vers, un poème, neuf, dont il allait les doter, nous verrons bien si des feuillets qu’il laisse, il se précise mieux qu’entre les lignes des Divagations, ou dans un essai récent : si, par fortune, comment l’espérer ? un est prêt.  [71]

70Cet essai récent mentionné ici doit faire allusion au Coup de dés, inconnu de la plupart des lecteurs du moment, non nommé, considéré comme un chantier, comme l’esquisse de quelque chose qui aurait dû aboutir par la suite, mais que la mort a interrompu.

71Pour conclure sur cette question, il faudrait souligner que, contrai~rement à l’idée communément admise, le Coup de dés ne parut pas dans l’indifférence la plus complète. S’il n’y eut ni « affaire », ni « bataille », le texte suscita malgré tout une série de réactions au statut divers, ténues et minimes, pour ce qui est des textes publiés, vives et fortes dans le cercle étroit des jeunes disciples du poète, qui reçurent des épreuves corrigées du texte. Cette présence confidentielle du poème, germe d’une tradition éventuelle, par sa seule existence, rendit possible la survie du texte, qui bénéficia ainsi de quelques passeurs (Gide et Valéry surtout). On peut seulement dire que l’accueil fut anormalement discret, compte tenu de la position de Mallarmé dans le champ littéraire en 1897. Un tel silence relatif trouve son explication dans un faisceau de causes, tant esthétiques (le changement d’horizon lié à l’élan naturiste et la radicale nouveauté d’un texte véritablement anomal), qu’empiriques (le fait divers sanglant et le caractère expérimental d’un texte perçu comme un essai, en attente de sa réalisation définitive). Le poème, à défaut de faire événement, était lancé dans l’aventure. Il fallut donc jeter les dés à nouveau : ce fut l’œuvre du premier groupe de la Nouvelle Revue Française, à partir des années 1910.

72Dès 1912, Albert Thibaudet établit un rapprochement entre le Coup de dés et la Bouteille à la mer de Vigny  [72]. La préface de 1897, évoquant « l’avenir qui sortira d’ici, rien ou presqu’un art », posait explicitement la question de la réception, indissociable de celle de l’inscription générique (« le genre, que c’en devienne un comme la symphonie »  [73]). Sans se lais~ser réduire à cela, la typographie libre de ce poème de l’alea inscrivait l’idée même de réception dans son contenu comme dans sa forme, en méditant sur la précarité et les incertitudes de l’acte créateur comme de l’acte de lecture. En 1897, le Coup de dés fit mauvaise fortune : rien n’en sortit. Mais puisque l’œuvre contenait en elle son possible désœuvrement contingent, cette réception quasi nulle restait un fait programmé par le texte lui-même, moment prémédité, propre au « Jeu suprême » de la Poé~sie, nécessaire. Le rien, comme toujours chez Mallarmé, se renversait en quelque chose. Ironie dernière, le silence flottant autour de l’œuvre appar~tenait encore à cette œuvre dont « les blancs assument l’importance ».

Notes

  • [1]
    « Cosmopolis publiera tous les mois des nouvelles et des contes inédits signés des écri~vains les plus illustres des trois pays. Cosmopolis publiera également des correspondances, des mémoires » (Cosmopolis, n° 1, janvier 1896).
  • [2]
    Un seul article (Cosmopolis, n° 9, septembre 1896), signé Émile Faguet, esquisse un court bilan de la poésie française depuis la mort de Verlaine. Le nom de Mallarmé n’apparaît bien évi~demment pas dans ce panorama.
  • [3]
    Il ne s’agit donc pas du germaniste Henri Lichtenberger, traducteur de Nietzsche, comme le pensait encore L. J. Austin en 1983 (Mallarmé, Correspondance, éd. L.J. Austin, Gallimard, 1983, t. IX, p. 194).
  • [4]
    Voir Ch. G. Millan qui, dans Mallarmé. A Throw of the Dice. The Life of Stéphane Mal~larmé (Londres, Secker & Warburg, 1994, p. 308), renvoie à une lettre adressée par Lichtenber~ger à Mallarmé le 21 octobre 1896 (coll. privée). Cette idée se retrouvera dans la « Note de la rédaction » accompagnant le poème en mai 1897.
  • [5]
    Il est mentionné par H. Talvart et J. Place dans leur Bibliographie des auteurs modernes de langue française (1801-1956) (Éditions de la Chronique des lettres françaises, 1956, t. 13).
  • [6]
    L’article de Lichtenberger (« L’Effort vers le néant », Victoire, 5 juin 1928) réagit à la conférence de Valéry donnée à l’Université des Annales le 18 novembre 1927, et publiée dans Conferencia le 20 mars 1928. Voir Valéry, Œuvres, éd. J. Hytier, Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », 1957, t. I, p. 774-784 et p. 1789. L’ancien secrétaire de Cosmopolis commence par ironiser sur celui qui, « lorsqu’il daigne ne point s’exprimer en acrostiches, est un esprit délié et charmant », avant de livrer ses propres souvenirs relatifs au Coup de dés, comme s’il fallait contre-balancer l’autorité de Valéry en la matière…
  • [7]
    A. Lichtenberger, art. cité.
  • [8]
    Ibid.
  • [9]
    Cosmopolis, n° 14, février 1897.
  • [10]
    Mallarmé, Œuvres complètes, éd. B. Marchal, Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », 1998, t. I, p. 392. Cette édition, qui nous servira de référence, sera désormais abrégée en OC. Le tome II, édité par B. Marchal, est paru en 2003.
  • [11]
    Gide, « Verlaine et Mallarmé », Essais critiques, éd. P. Masson, Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », 1999, p. 504.
  • [12]
    E. Pound, lettre à Augusto de Campos du 7 avril 1955, citée dans A. de Campos, « Pound made (new) in Brazil », Ezra Pound, Les Cahiers de l’Herne, 1965, t. I, p. 278.
  • [13]
    A. Lichtenberger, art. cité.
  • [14]
    P. Fort, Mes Mémoires (1872-1943), Flammarion, 1944, p. 61-62.
  • [15]
    Voir A. Vollard, Souvenirs d’un marchand de tableaux, Albin Michel, 1937, p. 287.
  • [16]
    Valéry, « Le Coup de dés. Lettre au Directeur des Marges » (1920), Œuvres, éd. citée, 1957, t. I, p. 625.
  • [17]
    J. Fretet associe « la facilité des bouts-rimés avec la stérile recherche de l’explication orphique du monde et la typographie du Coup de dés » (L’Aliénation poétique, Janin, 1946, p. 76).
  • [18]
    Sur cette question voir Stéphane Mallarmé, éd. B. Marchal, Presses de l’Université de Paris-Sorbonne, coll. « Mémoire de la critique », 1998.
  • [19]
    A. Brisson, « Sur un sonnet de Stéphane Mallarmé », La Revue illustrée, 15 février 1897, cité dans Stéphane Mallarmé, ouvr. cité, p. 423.
  • [20]
    B. Marchal, préface à Stéphane Mallarmé, ibid., p. 15.
  • [21]
    « Échos de Paris », Le Gaulois, 4 mai 1897, cité dans Mallarmé, ibid., p. 449.
  • [22]
    Pontaillac (alias Alexandre Hepp), « Nos échos », Le Journal, 4 mai 1897, cité dans Mallarmé, ibid., p. 450.
  • [23]
    « Librairie », Le Temps, 4 mai 1897.
  • [24]
    OC, t. I, p. 392.
  • [25]
    H. Lapauze, « Un poème de M. Stéphane Mallarmé (Cosmopolis) », Le Gaulois, 1er mai 1897, cité dans Mallarmé, ouvr. cité, p. 447.
  • [26]
    Il s’agit de la dernière page du poème, celle de la constellation, donnée dans son intégra~lité, dans une leçon entièrement fidèle à l’original publié.
  • [27]
    Lapauze avait fait un voyage en Russie au cours duquel il avait rendu visite à Tolstoï. Paru dans le Gaulois (12 juin 1896), le contenu de son entretien avec l’écrivain révélait toute son hostilité à la poésie incompréhensible de l’auteur de « M’introduire dans ton histoire ».
  • [28]
    Ibid., p. 448.
  • [29]
    Nous n’avons pas réussi à soulever le masque.
  • [30]
    Le Sphinx, « Échos. Arts et lettres », L’Événement, 15 mai 1897.
  • [31]
    Voir M. Décaudin qui signale cette « glose ridicule » du Coup de dés dans La Crise des valeurs symbolistes. Vingt ans de poésie française.1895-1914 (Slatkine, 1981[1960], p. 70).
  • [32]
    A. Retté, « Idylle diabolique », La Plume, 15 aôut 1897, p. 539-540.
  • [33]
    Ibid., p. 541.
  • [34]
    R. de Souza écrivait en effet : « Depuis quand, en poésie, le sens strictement analytique cesserait-il d’être donné pour sens psychologique ? » (« Tribune libre », La Plume, 1er août 1897, p. 535). Cette distinction cérébrale, jointe au motif de l’abeille, alimenta « l’idylle diabolique » du numéro suivant.
  • [35]
    Les Déliquescences. Poèmes décadents d’Adoré Floupette, avec sa vie par Marius Tapora (1885), éd. N. Richard, Nizet, 1984, p. 59-60.
  • [36]
    OC, t. I, p. 391.
  • [37]
    Sur ce projet et cette « affaire », qui mériterait à elle seule tout un article, voir en parti~culier M. Corvin, Le Théâtre de recherche entre les deux guerres : le Laboratoire Art et Action, Lausanne, L’Âge d’Homme, 1976, passim.
  • [38]
    « M. Stéphane Mallarmé Prince des Poètes », Le Figaro, 10 février 1896, cité dans Mal~larmé, ouvr. cité, p. 357.
  • [39]
    R. de Bury, « Journaux et revues », Mercure de France, septembre 1897, p. 553.
  • [40]
    Il choisit, sans commentaire, de citer le passage suivant, réplique sur le mot due à « Maître Phantasm » : « Lard pour lard, dites-vous ? S’agit-il d’un commerce de porcs ? Arrivez-vous de Chicago dans l’intention de réformer la poésie française ? » (A. Retté, art. cité, p. 538).
  • [41]
    M. Le Blond, « Les Divagations de M. Stéphane Mallarmé », La Revue naturiste, mars 1897.
  • [42]
    J. Tissier, « Bulletin des revues », Revue Naturiste, septembre 1897, p. 19.
  • [43]
    B. Marchal, préface à Mallarmé, ouvr. cité, p. 15.
  • [44]
    A. Athys, « Sur le poème en prose », La Revue blanche, 15 mai 1897, p. 592.
  • [45]
    G. Kahn, La Revue blanche, 15 février 1897, p. 299.
  • [46]
    C. Mauclair, « L’Esthétique de Mallarmé », La Grande Revue, novembre 1898, p. 210. Cette phrase reprend une idée déjà formulée plus haut dans l’article, Mauclair écrivant à propos du poème, que c’est une œuvre « dont je ne pense pas que la critique ait eu communication » (p. 194).
  • [47]
    M. Décaudin, ouvr. cité, p. 25-97.
  • [48]
    Sur cette question, voir le livre pionnier de Marcel Raymond, De Baudelaire au surréa~lisme (1933), éd. augmentée, Corti, 1952 (« Romanisme et Naturisme », p. 58-62), ainsi que l’étude de référence monumentale due à Michel Décaudin, La Crise des valeurs symbolistes (ouvr. cité). Nous renvoyons également, pour des aperçus synthétiques plus récents, à B. Mar~chal (Lire le Symbolisme, Dunod, 1993, p. 60-63) et à J.-N. Illouz (Le Symbolisme, Le Livre de Poche, 2004, p. 69-82).
  • [49]
    Voir M. Décaudin, « L’affaire du manifeste », ouvr. cité, p. 66-70.
  • [50]
    OC, t. I, p. 392.
  • [51]
    Saint-Georges de Bouhélier, Le Printemps d’une génération, Nagel, 1946, p. 298.
  • [52]
    Lettre citée par Y. Davet, Autour des « Nourritures terrestres ». Histoire d’un livre, Gal~limard, 1948, p. 22.
  • [53]
    Fr. Cattard, « Chronique des livres », L’Œuvre, juillet 1897, p. 14.
  • [54]
    B. Marchal, préface à Mallarmé, ouvr. cité, p. 15.
  • [55]
    C. Mauclair, « Souvenirs sur le mouvement symboliste en France », La Nouvelle Revue, 1er novembre 1897, p. 81-82.
  • [56]
    L’autre texte, premier volet de ce diptyque, avait paru dans le numéro du 15 octobre.
  • [57]
    C. Mauclair, « Souvenirs sur le mouvement symboliste en France », art. cité, p. 83.
  • [58]
    Gide, lettre à Mallarmé du 9 mai 1897, cité par H. Mondor, La Vie de Mallarmé, Galli~mard, 1941, p. 770.
  • [59]
    Mallarmé, ouvr. cité, p. 15.
  • [60]
    Valéry, lettre à Fontainas du 4 avril 1897, Paul Valéry-André Fontainas, Correspon~dance (1893-1945), éd. A. Lo Giudice, Le Félin, 2002, p. 109.
  • [61]
    Mallarmé, lettre à Valéry du 29 mars 1897, Correspondance, ouvr. cité, t. IX, p. 119-120.
  • [62]
    Mallarmé, lettre à Gide du 27 mai 1897, ibid., p. 209.
  • [63]
    C. Mauclair, lettre à Mallarmé du 7 octobre 1897, ibid., p. 287-288.
  • [64]
    OC, t. I, p. 608.
  • [65]
    Valéry, lettre à Fontainas du 16 juin 1897, ibid., p. 112-113.
  • [66]
    Valéry, lettre à Fontainas du 18 juin 1897, ibid., p. 114.
  • [67]
    Sur Ch. Brennan, voir A. Clark (Christopher Brennan. A Critical Biography, Melbourne University Press, 1980) et S. Kadi (Christopher Brennan, L’Harmattan, 2005).
  • [68]
    Ch. Brennan, lettre à O’Reilly, n. d. (septembre 1897 ?), cité par A. Clark, Christopher Brennan (ouvr. cité, p. 109-110).
  • [69]
    Pour une recension de l’édition de ce texte difficile à trouver, voir L.J. Austin, « The Unk~nown Brennan », Quadrant, avril 1982, p. 51-53. Ajoutons que François Boisivon en a donné une traduction dans la revue le Nouveau Recueil (n° 56, septembre-novembre 2000, p. 46-61).
  • [70]
    OC, t. I, p. 392.
  • [71]
    T. Natanson, « Stéphane Mallarmé. Médaillon selon sa manière », La Revue blanche, octobre 1898, p. 195.
  • [72]
    A. Thibaudet, La Poésie de Stéphane Mallarmé, Gallimard, 1926 (1912), p. 423.
  • [73]
    OC, t. I, p. 392.
Français

Même si elle reste à écrire, l’histoire des réceptions successives du Coup de dés à partir des avant-gardes historiques a fait de ce poème un emblème moderniste des plus visibles. Pourtant, c’est dans le silence d’un accueil des plus discrets qu’a paru le poème en mai 1897. Après avoir présenté ce corpus très réduit des recensions, nous nous interro~geons sur les raisons d’une telle discrétion, que nous expliquons par des considérations d’ordre empirique et esthétique. Mais notre recherche offre aussi le regard porté sur le Coup de dés par les membres du groupe littéraire de Mallarmé, ce qui modifie la teneur de cette réception publiée. Le poème, dont les épreuves circulent, se voit en effet discuté, commenté et pastiché. Sa parution semble constituer alors un petit séisme confidentiel, dont l’existence rendra possible son exhumation quelques années plus tard, par les soins du premier groupe de la NRF.

English

Even if it has not been written yet, the history of successive receptions of Un Coup de Dés has made this poem a modernist emblem among the most visible. However, the text’s publication in May 1897 could not have been more discreet. After revealing the few comments available, we are wondering why such a silent has follown the poem’s birth. Some explanations could be found taking into account empirical and aesthetical reasons. Our study reveals also how the members of Mallarmé’s literary group received Un Coup de Dés, which modifies the nature of the published reception. Poem’s proofs actually circulate; one gives commentaries, one writes pastiche of it. This private reception appears definitively as a confidential seism, which makes possible for the poem to be unearthed few years later through the medium of the first NRF group.

Thierry ROGER
(Paris)
Dernière publication diffusée sur Cairn.info ou sur un portail partenaire
Mis en ligne sur Cairn.info le 01/01/2010
https://doi.org/10.3917/rom.139.0133
Pour citer cet article
Distribution électronique Cairn.info pour Armand Colin © Armand Colin. Tous droits réservés pour tous pays. Il est interdit, sauf accord préalable et écrit de l’éditeur, de reproduire (notamment par photocopie) partiellement ou totalement le présent article, de le stocker dans une banque de données ou de le communiquer au public sous quelque forme et de quelque manière que ce soit.
keyboard_arrow_up
Chargement
Chargement en cours.
Veuillez patienter...