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Contexte politique au niveau européen sur le vieillissement actif

Données chiffrées

1 Le vieillissement démographique constitue un défi fondamental pour l’avenir de l’Europe. Non seulement le taux de natalitébaisse (1,5 enfant par femme pour l’Europe à vingt-cinq) mais l’espérance de vie augmente (de 73,7 et 80,4 ans pour les hommes et les femmes en 2004 à 80,5 et 85,6 ans en 2050). Cette tendance aura des répercussions significatives sur nos systèmes sociaux, notamment en matière de retraites et de soins, ainsi que sur les évolutions du marché du travail et de la croissance, même si de plus en plus de personnes atteignent un âge avancé en bonne santé.

2Avec la chute du taux de natalité, l’Union européenne risque de perdre quelque 21millions de travailleurs en 2030 et de voir sa croissance économique potentielle diminuer de moitié dans les prochaines décennies. Il est donc vital d’accroître le taux d’emploi des travailleurs âgés (entre 55 et 64 ans) et d’augmenter la participation à la formation tout au long de la vie si l’Union européenne veut utiliser au mieux sa main-d’œuvre vieillissante, accroître sa productivité et atteindre de hauts niveaux de prospérité.

3À cet égard, les progrès dans la situation de l’emploi des travailleurs âgés ont été modestes ces dernières années. Le taux d’emploi des travailleurs âgés au sein de l’Union européenne est actuellement de 42,5% (2005), loin de l’objectif fixé par le Conseil européen de Stockholm (50% d’ici à 2010). Dans plusieurs États membres, le taux d’emploi des travailleurs âgés est en dessous ou aux environs de 30%. Seulement huit États membres sur vingt-cinq ont atteint l’objectif de 50%. De même, l’âge moyen de sortie du travail demeure bas :
60,7 ans (2004). La majorité des États membres sont parvenus à augmenter l’âge de sortie pendant la période 2001-2004. Toutefois, de fortes différences persistent entre les pays : les âges de sortie vont de 56,2 à 62,8 ans, mais aucun n’a encore atteint l’objectif fixé par le Conseil européen de Barcelone (relever de cinq ans, d’ici à 2010, l’âge moyen de sortie du travail, équivalant à une moyenne européenne de 65 ans). Il en est de même pour les taux de participation à la formation où l’écart est important entre les tranches d’âges : en 2005, le taux moyen de participation était de 17,4% pour les 25-34 ans, de 8,6% seulement pour les 45-54 ans et de 5,3% pour les 55-64 ans.

La stratégie européenne pour l’emploi

4 Au Conseil européen de Lisbonne (mars 2000), l’Union européenne s’était fixé un nouvel objectif stratégique pour la décennie à venir : « devenir l’économie de la connaissance la plus compétitive et la plus dynamique au monde, capable d’une croissance économique durable accompagnée d’une amélioration quantitative et qualitative de l’emploi et d’une plus grande cohésion sociale ». Cette stratégie avait été conçue pour permettre à l’Union de regagner progressivement les conditions du plein-emploi, l’objectif général étant d’augmenter le taux d’emploi global de l’Union européenne à 70%. En outre, répétons-le, le Conseil européen de Stockholm avait ajouté en mars 2001 un objectif supplémentaire pour les travailleurs âgés (leur taux d’emploi devait atteindre 50% d’ici à 2010) et le Conseil européen de Barcelone avait, quant à lui, préconisé en mars 2002 de relever de cinq ans, d’ici à 2010 également, l’âge moyen de sortie du travail qui, selon les estimations, était de 59,9 ans en 2001.

5La stratégie européenne pour l’emploi est une composante essentielle de la stratégie de Lisbonne. Elle a été conçue à la fois itique pour assurer la direction et coordonner les priorités de pold’emploi auxquelles les États membres adhèrent au niveau européen. Cette coordination s’appuyait sur un cycle annuel de « lignes directrices » définissant des priorités communes, approuvées par le Conseil, des plans d’action nationaux où les États membres traduisent ces priorités selon leurs spécificités nationales, un rapport conjoint de l’emploi réalisé par le Conseil et la Commission dressant la synthèse des plans d’action nationaux, et enfin des recommandations spécifiques par pays, adoptées par le Conseil. La valeur ajoutée de cette nouvelle méthode de travail, connue sous le nom de « méthode ouverte de coordination » s’appuyait sur les principes clés de la subsidiarité, de la convergence, de l’apprentissage mutuel, de l’approche intégrée et de la gestion par objectifs.

6Début 2005, les objectifs de la stratégie de Lisbonne étaient loin d’être atteints. Il a donc été décidé de recentrer celle-ci sur la croissance et l’emploi et de présenter un ensemble intégré de lignes directrices pour l’emploi et de grandes orientations de politiques économiques (Gope). Dans les lignes directrices intégrées pour l’emploi 2005-2008 [1], les objectifs de plein-emploi, de qualité et de productivité du travail ainsi que la cohésion sociale se traduisent par des priorités claires : attirer et retenir un plus grand nombre de personnes sur le marché du travail, augmenter l’offre de main-d’œuvre et moderniser les systèmes de protection sociale, améliorer la capacité d’adaptation des travailleurs et des entreprises, investir davantage dans le capital humain en améliorant l’éducation et les compétences. Alors que précédemment, la promotion du vieillissement actif était une ligne directrice en tant que telle, dans les nouvelles lignes directrices 2005-2008, l’approche est plus globale et intégrée dans le cycle de vie. La ligne directrice 18 prévoit ainsi de « favoriser une approche fondée sur le cycle de vie à l’égard du travail » : le soutien du vieillissement actif, y compris les conditions de travail appropriées, un meilleur état de santé au travail et des mesures adéquates favorisant le travail et décourageant la retraite anticipée. De même, la ligne directrice 23 invite les États membres à « établir des stratégies efficaces d’apprentissage tout au long de la vie offertes à tous […] en vue d’augmenter la participation à la formation continue et en entreprise tout au long de la vie, en particulier pour les travailleurs peu qualifiés et âgés ». Enfin, la ligne directrice 24 engage les États membres à « adapter les systèmes d’éducation et de formation [aux nouvelles] compétences » requises pour tous les âges.

Le cadre juridique

7 Ajoutons que la directive du Conseil n° 2000/78/CE du 27 novembre 2000 [2], portant création d’un cadre général en faveur de l’égalité de traitement en matière d’emploi et de travail, couvre tous les champs de la discrimination, dont l’âge [3].

Les réponses de la pratique du terrain au défi du vieillissement : l’initiative communautaire Equal

8 Dans le cadre du Fonds social européen, instrument financier de la stratégie européenne pour l’emploi, l’initiative communautaire Equal vise à lutter contre toutes les formes de discriminations dans la sphère du travail et de l’emploi, et notamment contre la discrimination fondée sur l’âge.

Un laboratoire d’expérimentations

9 Equal [4] permet la mise en œuvre de projets innovants et transnationaux dans le but de réduire les inégalités pour une meilleure cohésion sociale en explorant des domaines insuffisamment développés dans les dispositifs publics nationaux et les programmes européens classiques. Il constitue en cela un laboratoire d’expérimentations permettant d’alimenter la réflexion des praticiens et des décideurs et de proposer de nouvelles pistes pour l’égalité et la diversité. Equal propose également une méthodologie particulière, ancrée dans l’identification d’un problème précis, la recherche d’une solution innovante, la mise en place de partenariats nationaux et transnationaux réunissant tous les acteurs compétents pour concourir à la résolution du problème.

10La contribution communautaire en provenance du Fonds social européen pour Equal s’élève à environ 3,2 milliards d’euros et est complétée par les financements publics nationaux à hauteur de 2,2 milliards d’euros. De 2001 à 2004, les quinze États membres plus la Hongrie et la République tchèque ont participé à Equal. Les vingt-cinq États membres participent actuellement au second tour d’Equal pour la période 2004-2008. Le nombre total de programmes s’élève à vingt-sept, la Belgique et le Royaume-Uni en ayant deux.

11Actuellement, un peu plus de 3400 projets sont en chantier, dont 1371 pour le premier tour et 2053 pour le second.

12Ces projets sont mis en œuvre sur la base de six principes clés :
partenariat et participation active, intégration du genre dans les politiques, approche thématique, innovation, intégration dans les politiques et dispositifs publics (ou mainstreaming ) et transnationalité. En ce qui concerne ce dernier principe, la règle veut qu’au moins deux projets s’articulent à un plan de travail commun. Ainsi, pour le premier tour, 487 accords de coopération transnationale et, pour le second tour, 630 ont été conclus. Les échanges entre projets de différents États membres permettent aux acteurs d’enrichir leurs pratiques en les comparant à celles des autres ou d’adapter des outils existant ailleurs. Lors du premier tour, 102 projets ont concerné la gestion des âges, 94 s’y intéressent dans le cadre du second.

Bilan d’Equal sur la gestion des âges

13 De nombreuses réunions tant au niveau national qu’européen ont permis aux porteurs de projets de mettre en commun outils, astuces, questions, incertitudes aussi et de capitaliser les expériences. Il s’est agi aussi bien de réseaux nationaux de partage d’expériences, de groupes de travail au niveau européen ou encore d’événements de grande envergure réunissant à la fois les projets et tous les acteurs impliqués dans la gestion des âges :
décideurs politiques, partenaires sociaux, ONG, chercheurs académiques. Ainsi en a-t-il été de l’agora « L’expérience est capital(e)» [5] qui a été organisée par la Commission européenne et le ministère français de l’Emploi, de la Cohésion sociale et du Logement, en juin 2005 à Paris. De ce travail de capitalisation et des analyses préliminaires des projets du second tour, on peut dégager les enseignements d’Equal sur la gestion des âges : des acquis méthodologiques tout d’abord et quatre idées-force ensuite.

Des acquis méthodologiques

14 • La mixité des approches curative et préventive : l’approche curative vise à traiter la question de l’âge en soi; l’approche préventive tend à considérer les générations au travail d’une manière globale, en dépassant les trois temps classiques (formation, travail, retraite) pour promouvoir la formation tout au long de la vie et l’articulation des temps sociaux. Il est clairement apparu qu’une seule approche ne suffit pas. >La combinaison des deux est nécessaire.

15• Des moyens pour une ingénierie de la gestion des âges :
le travail d’Equal a abouti à la conclusion qu’il n’y avait pas de recette universelle ni de mesures à toute épreuve mais plutôt une alchimie de personnes, de stratégies, de moyens et d’outils. Il s’agit d’une véritable ingénierie partant de l’analyse d’une situation précise, pour établir un diagnostic et élaborer une stratégie portée par un partenariat. La conception d’une telle ingénierie a nécessité des moyens humains et financiers importants et a mobilisé des ressources d’origines publique et privée.

Quatre idées-force

16 • La nécessité de changer les attitudes des employeurs vis-à-vis de l’âge : de nombreux projets Equal se sont focalisés sur la prise de conscience, par les employeurs, des mythes et des clichés qu’ils entretiennent à travers leurs propres attitudes envers leurs employés. À cet effet, ils ont utilisé diverses méthodes telles que les études, les diagnostics, les conférences de presse, les films, les portails Internet, etc. Sur la base de l’expérience pratique acquise par les projets Equal auprès des entreprises, il s’est avéré que l’âge n’était pas un problème en soi, mais devait être envisagé en corrélation avec d’autres paramètres comme l’ancienneté, les compétences ou la mobilité. Dans certains États membres, comme l’Irlande ou le Royaume-Uni, les employeurs ont été amenés à considérer l’âge comme faisant partie du concept plus global de la diversité, l’âge étant une variable comme une autre à l’instar du sexe ou de l’origine ethnique. Des « kits d’outils » ont été mis à la disposition des employeurs pour les aider à surmonter leurs préjugés à l’encontre du recrutement de travailleurs âgés, en les persuadant de tenir compte des compétences plutôt que de l’âge lorsqu’ils engagent du personnel.

17• La prise en compte de l’ensemble du cycle de vie : les projets Equal ont concrétisé l’approche préconisée par les nouvelles lignes directrices intégrées 2005-2008 (voir supra ) en mettant en valeur la nécessité de passer d’une gestion de l’âge à la gestion de tous les âges. Cette transition des politiques et des pratiques a été reconnue indispensable afin de traiter dans leu ensemble les questions que posent les différentes générations au travail. L’idée d’un « pacte entre générations » a été avancée, reposant sur des responsabilités partagées. Des outil novateurs pour l’apprentissage intergénérationnel ont été développés et appliqués : plate-forme d’apprentissage permettant aux nouvelles recrues et aux travailleurs âgés d’échanger et de transférer leurs expériences, séances de « coaching » pour faire émerger les « connaissances tacites », c’est-à-dire le savoir non formalisé acquis par les travailleurs âgés, lequel a été ensuite mis en forme (passeports et portefeuilles de compétences). Ce processus de validation des compétences informelles a été pratiqué surtout en Finlande.

18• Le renouvellement de la formation et une autre manière de « penser » la gestion des ressources humaines : l’éducation et la formation doivent concerner les travailleurs, tous âges confondus, ce qui entraînera davantage de possibilités de formation pour les travailleurs âgés. Et cela va de pair avec le concept de solidarité intergénérationnelle. Faire travailler ensemble travailleurs jeunes et plus âgés, avec un clair transfert de compétences des plus âgés vers les jeunes et réciproquement (notamment dans le domaine des nouvelles technologies), contribue à l’accroissement de la productivité et de la croissance. Au sein d’Equal, des dispositifs de transfert croisé des compétences ont été mis en place et ont permis de renouveler entièrement les pratiques du tutorat et du parrainage. De plus, la gestion des ressources humaines doit être « pensée autrement »: pour rendre positif l’allongement de la vie professionnelle, des outils ont été envisagés pour redynamiser les secondes parties de carrière : outils d’orientation et de positionnement professionnel et nouveaux rôles et fonctions de travail, tels que formateur, tuteur-référent et parrain.

19• La mobilisation de tous les acteurs : le partenariat, l’un des principes d’Equal, revêt une valeur évidente et indéniable.

20Le travail sur le terrain de tous les acteurs pertinents accroît les chances d’obtenir le résultat recherché. Par exemple, un projet polonais, ayant pour objectif d’augmenter l’employabilité des travailleurs de plus de 45 ans, a mobilisé le principal syndicat OPZZ, les employeurs dans le domaine des soins de santé, la chambre de commerce, une ONG qui travaillait avec les femmes, des organismes de formation, des organismes de recherche, créant ainsi un large réseau permettant d’atteindre le public cible. De même, grâce à l’aide de médiateurs et de consultants qui ont jeté un pont entre la direction et les salariés, les employeurs ont participé à de nombreux projets.

21Ceux qui ont expérimenté le tutorat ont admis à l’unanimité qu’un dialogue continu entre la direction, les consultants et les travailleurs âgés était essentiel au succès. Dans le domaine de la santé, des médecins du travail, des ergonomes et des chercheurs ont été mobilisés. Enfin, les travailleurs eux-mêmes ont été parties prenantes du processus par le biais d’un support personnalisé, de l’évaluation de leurs besoins de formation, de la validation des compétences ou de démarches collectives.

Notes

  • [1]
    Journal officiel L 205 du 6 août 2005, p.21.
  • [2]
    Journal officiel L 303 du 2 décembre 2000, p.16.
  • [3]
    Voir à ce sujet « La jurisprudence européenne sur les discriminations fondées sur l’âge » par Mathieu Brisse, p.292 de ce numéro.
  • [4]
    Communication de la Commission aux États membres du 14 avril 2000, établissant les lignes directrices de l’initiative communautaire Equal concernant la coopération transnationale pour la promotion de pratiques nouvelles de lutte contre les discriminations et les inégalités de toute nature en relation avec le marché du travail, Journal officiel C 127 du 5 mai 2000. Communication de la Commission établissant les lignes directrices du second tour de l’initiative communautaire Equal concernant la coopération transnationale pour la promotion de nouvelles pratiques de lutte contre les discriminations et inégalités de toute nature en relation avec le marché du travail – Libre circulation des bonnes idées CCOM (2003) 840 (non publié au JO ). Voir sur Internet : http ://ec.europa.eu/employment_social/equal/index_fr.cfm.
  • [5]
    Voir sur Internet : http ://ec.europa.eu/employment_social/equal/news/200512-agora-actes_fr.cfm.
Michèle Thozet
Commission européenne
Cette publication est la plus récente de l'auteur sur Cairn.info.
Mis en ligne sur Cairn.info le 01/07/2007
https://doi.org/10.3917/rs.051.0274
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