CAIRN.INFO : Matières à réflexion

Le projet « Atout’Âge »

1 Le Ciste (Carrefour pour l’innovation sociale, le travail et l’emploi) s’inscrit dans le cadre du programme Equal [1], sous le titre « Entreprendre, transmettre, accompagner pour l’emploi ». Il s’agit d’une association paritaire regroupant des organisations patronales, des syndicats de s’intéresse aux discriminations à l’égard des salariés et des demandeurs d’emploi de plus de 50 ans sur le territoire d’un département (Charente-Maritime). Le Ciste fédère et coordonne un réseau d’acteurs et de partenaires en vue de gérer le projet « Atout’Âge ».

2Ce projet est novateur à plus d’un titre. Il se distingue d’abord par la diversité de ses objectifs qui sont à la fois individuels et collectifs. Sur le plan individuel, les actions visées concernent à la fois les représentations, les préjugés associés à l’image des seniors, le suivi des trajectoires personnelles pour faciliter les conditions d’acquisition de la qualification professionnelle à toutes les étapes de la vie au travail, l’amélioration de la qualité de l’emploi et notamment des conditions de travail de fin de carrière. Sur le plan collectif, les objectifs couvrent trois axes de promotion des fins de carrière : l’analyse des politiques salariales dont le coût de l’emploi, le développement de dispositifs de gestion de ressources humaines qui valorisent les seniors en prenant en compte leur savoir-faire et, enfin, la meilleure articulation des temps sociaux dans l’entreprise, de la production à la formation.

3En deuxième lieu, le projet innove par la mobilisation des partenaires qu’il implique. Il ne s’agit pas d’une étude ou d’une formation mais d’un cadre dans lequel les différents acteurs peuvent être mis en mouvement à travers la simple mise en place d’un centre de ressources pour coordonner le travail. L’intérêt de ce projet réside dans les moyens mis en œuvre pour favoriser des concertations entre les entreprises sollicitées par la Caisse d’épargne, les comités d’entreprise mobilisés par un centre régional de documentation (Credes), l’ANPE, d’autres réseaux associatifs (Aract par exemple) et les salariés âgés eux-mêmes. La mise en place de ces échanges peut donc se reproduire dans d’autres localités mais aussi dans le cadre européen.

4L’avantage de ce projet fédérateur est de créer des ponts entre les acteurs responsables des dispositifs de maintien dans l’emploi des seniors et ceux chargés de la promotion de leur employabilité. Le projet a bénéficié à une pluralité de groupes (demandeurs d’emploi, actifs, femmes, publics en difficulté et travailleurs handicapés) et il a mis en lumière la nécessité de sortir de la discrimination fondée sur l’âge à la fois pour les salariés et les chômeurs. Il a en outre ouvert la voie à la négociation de l’accord interprofessionnel sur les seniors. Le projet a aussi débouché sur la production d’un « kit » d’une dizaine d’expériences comportant des études, des analyses et des outils pour des actions futures : la conduite des études sur l’aide au retour à l’emploi, la mobilisation des entreprises sur la gestion des âges, l’adaptation de l’offre de formation, l’utilisation de la communication pour diffuser les travaux, le développement des partenariats plus actifs sur les territoires.

5(Extrait du résumé du rapport sur les projets innovants vis-à-vis des seniors pour le programme Equal, M. Mercat-Bruns)

6Comment la Caisse d’épargne a-t-elle contribué au projet « Atout’Âge »?

7Christine Stivin – L’essentiel du projet a été de travailler, avec plusieurs partenaires d’horizons différents, institutionnels, accord de gestion des carrières pour les seniors mais elle est allée politiques ou économiques, sur un sujet qui nous préoccupait tous : la lutte contre la discrimination en général, et en particulier la lutte contre la discrimination fondée sur l’âge dans les entreprises, les institutions, les associations et les collectivités au sens large.

8La Caisse d’épargne a-t-elle également signé un accord sur la gestion de carrière des seniors ?

9Christine Stivin – Non seulement la Caisse d’épargne a signé un encore plus loin : cet accord concerne en réalité l’ensemble des salariés, leur permettant ainsi d’avoir un entretien de carrière de manière systématique, une fois tous les cinq ans.

10Le projet « Atout’Âge » met en mouvement de nombreux partenaires sur un territoire qui dépasse le strict cadre de l’entreprise (ANPE, Aract Poitou-Charentes, etc.) et a créé un centre de ressources. Quel est l’intérêt de cette initiative et les difficultés de cette démarche ?

11Christine Stivin – Le principal intérêt est né de la réunion de ces gens venus d’horizons parfois très divers : en communiquant ensemble, nous avons découvert combien nos problématiques se ressemblaient. Ainsi, est apparue une notion de partage, de mutualisation des moyens, presque de « communauté », ce qui s’est révélé d’une grande richesse. Par ailleurs, le cadre européen du projet a été très structurant, pour tous les partenaires : les contraintes, les délais, les procédures parfois très administratives ont été particulièrement fédérateurs.

12Quelles sont les actions concrètes de la Caisse d’épargne pour améliorer les conditions de travail des seniors ?

13Christine Stivin – En ce qui nous concerne, l’étape décisive a été, en amont du projet, le recensement de l’ensemble de ces populations : il fallait bien les identifier dès le départ, les connaître et les situer. Nous avons, par la suite seulement, mis en place le processus d’entretien de gestion de carrières, avec l’objectif de découvrir à quel poste de travail ces personnes pourraient le mieux s’épanouir. Aussi, en ce qui concerne l’amélioration des conditions de travail, particulièrement quand nous étions confrontés à des individus qui avaient le sentiment d’avoir « fait le tour » de leur poste ou d’en être fatigués, nous cherchions à concevoir un autre projet, à imaginer quel type de mobilité pouvait être envisagé, qu’elle soit fonctionnelle et/ou géographique, autrement dit à réfléchir sur ce qui leur conviendrait le mieux.

14Le projet a également permis une incitation à la formation des seniors et une réelle adaptation de l’offre de formation. Comment ce type d’adaptation est-il mis en oeuvre ?

15 Christine Stivin – Pour la population senior, nous avons privilégié des formations fondées sur un accompagnement individualisé, soit sous la forme de « coaching », soit sous celle de formations plus ciblées. À titre d’exemple, nous avons créé au sein même du groupe Caisse d’épargne une formation intitulée « Cap 25 », réservée aux personnes ayant vingt-cinq ans d’ancienneté.

16Cette formation repose sur un programme spécifiquement élaboré pour ces personnes, centré principalement sur les évolutions et les changements du groupe afin d’entretenir la motivation et les perspectives des salariés dans un environnement qui se transforme.

17Les accompagner permettait d’améliorer leur situation professionnelle. Par ailleurs, nous avons souhaité tenir compte des besoins propres à ces salariés, en introduisant des modules de diététique, de sport, etc. Ces modules, créés pour les seniors, traduisent le souhait de développer des approches variées du potentiel professionnel, en intégrant une dimension physique, cognitive ou sociologique et une articulation de la vie professionnelle à la vie personnelle.

18S’agissant plus précisément de la discrimination fondée sur l’âge, comment le projet « Atout’Âge », et la Caisse d’épargne en général, ont-ils favorisé une action contre les préjugés liés aux seniors ?

19Christine Stivin – À mon sens, la meilleure des actions est deune personne de 20 ans. La diversification des approches implique

20donner aux salariés les moyens de leur épanouissement et de leurs performances : dans ce contexte, l’âge importe peu.

21La discrimination, qu’elle concerne les jeunes ou les vieux, ou bien encore les handicapés, naît de mauvaises conditions de travail. On ne stigmatise pas les salariés dans l’entreprise quand tout va bien, quand ces derniers voient leur qualification reconnue et qu’ils savent leur évolution possible. Si toutes les conditions sont mises en œuvre pour l’épanouissement au travail, finalement l’âge compte peu. Il y a également une force de l’âge qu’il ne faut pas nier, qu’il faut au contraire valoriser. Elle repose notamment sur la maturité de vie d’une personne de 50 ans que n’aura jamais aussi de valoriser l’expérience personnelle, en offrant la possibilité de transmettre cette « expertise de vie », et non pas uniquement les compétences techniques liées au métier.

22Le projet « Atout’Âge » a permis de mobiliser les entreprises sur la gestion des âges. Au cours des négociations, peut-on se heurter à des problèmes de conflits de générations et de coût de l’emploi des seniors ?

23Christine Stivin – On peut toujours se heurter à des conflits de générations et à cette notion de coût. L’idée est de ne pas toujours considérer le coût, mais aussi les bénéfices. S’il est vrai qu’un junior coûte moins cher qu’un senior, ils ne font pas le même travail. Dès lors, la question dépasse le champ financier, car il s’agit de savoir comment le senior peut être valorisé dans l’entreprise en apportant une réelle valeur ajoutée. Quand un senior, dans une agence, contribue à former des jeunes, à les accompagner dans la relation avec les clients, au-delà de son expertise technique, il apporte un savoir dans beaucoup de situations qu’un jeune ne maîtrise pas la plupart du temps. Il peut aider les jeunes qui s’affolent un peu vite à dominer leur stress, à prendre de la distance, mais aussi à la gestion des événements, de l’organisation, de la planification. Cela permet d’éviter de nombreux conflits dans les agences, les salariés expérimentés contribuant à apaiser les doutes, à trouver plus rapidement des solutions et à comprendre la demande du client et en conséquence à proposer la réponse adaptée. De fait, cette forme de coopération intergénérationnelle a une incidence positive sur la productivité, et permet de changer la représentation du salarié âgé « qui coûte cher ».

24Le projet prévoyait une analyse des politiques salariales qui pouvaient tenir compte du coût de l’emploi des salariés âgés. Comment la Caisse d’épargne a-t-elle appréhendé cette question ?

25Christine Stivin – La réflexion de la Caisse d’épargne ne s’est pas fondée sur le constat du coût potentiellement élevé d’un salarié âgé, mais sur l’anticipation nécessaire du papy-boom : en effet, 30% de nos effectifs partiront à la retraite dans un horizon assez proche (2010). L’idée était donc que la question des coûts se résorberait naturellement avec les embauches de personnes plus jeunes qui permettront une forme de « lissage » de la masse salariale. En revanche, dans l’immédiat, il fallait absolument se préoccuper des salariés de 50 ans et, plus exactement, de les aborder comme les autres, tant en termes d’avantages salariaux que de politique de formation. Ce n’est pas parce qu’on a atteint un certain âge que les possibilités d’évolution dans l’emploi n’existent plus, ni que l’on doive inévitablement être moins performant ou ne plus bénéficier d’augmentations. L’équilibre économique de la masse salariale sera rétabli ultérieurement.

26 La contribution du programme Equal a-t-elle été décisive dans cet projet ?

27 Christine Stivin – La contribution du programme Equal a été décisive dans le sens où, comme je le disais précédemment, elle a fourni un cadre qui a fortement structuré notre travail et nos actions, par des plannings et des engagements à respecter.

28En bénéficiant de cette structure du programme européen, nous avons certainement gagné dans l’organisation et la rapidité de la mise en place de notre projet. De plus, par l’intermédiaire d’Equal, nous avons eu l’opportunité de participer à des projets autres, colloques ou séminaires auxquels nous avons été conviés mais aussi au sein desquels nous avons été acteurs à part entière. Ces différentes manifestations se déroulant en France comme àl’étranger, nous avons pu creuser ou élargir notre réflexion sur la démarche des âges, notamment au niveau européen. Cetteexpérience nous a également permis de réaliser un projet régional, commun aux demandeurs d’emploi de plus de 50 ans et aux entreprises qui recrutaient. Cette démarche de rapprochement a donc abouti à la mise en place d’une journée de recrutement, sorte de bourse à l’emploi qui a permis de faire se rencontrer les entreprises et les seniors.

29 Quel était le résultat du partenariat transnational entre « Atout’Âge » et le programme « Genera » du syndicat professionnel allemand IG Metall ?

30Christine Stivin – En fait, les principaux résultats ont pris la forme de transferts et de mutualisation de pratiques. Nous avons pris conscience, là aussi, qu’appartenir à des secteurs différents ne nous empêchait pas d’être confrontés à des problématiques identiques : des actions menées dans différents chantiers pouvaient donc être transférées entre les uns et les autres. Une fois encore, je retiendrai donc de cette expérience collective une notion de partage et sa traduction concrète en transferts de pratiques.

31En définitive, à la Caisse d’épargne comme dans les autres entreprises, le projet « Atout’Âge » a-t-il bénéficié à une pluralité de groupes en difficulté, au-delà des seniors ?

32Christine Stivin – En effet, le dispositif de gestion de carrière tel qu’il a été conçu à l’origine visait les seniors. Une fois mis en œuvre, il s’est avéré que pouvoir être reçu, pouvoir prendre du recul par rapport à un parcours professionnel, constituaient une ressource considérable pour les personnes concernées. Il a donc été décidé d’étendre ce dispositif de gestion de carrières à d’autres catégories du personnel, si bien qu’aujourd’hui, il est ouvert à l’ensemble des salariés. Attendre d’avoir 50 ans pour commencer à s’interroger nous est finalement apparu comme trop tardif. Grâce à l’extension du dispositif, accompli tout au long de la vie professionnelle, les salariés peuvent alors adopter des pratiques, poser des questions qui permettent de travailler sur les transitions professionnelles à tous les âges et d’éviter ainsi des fins de carrière stigmatisées.

33Nous avons donc également travaillé sur des populations de salariés juniors, en renforçant la complémentarité intergénérationnelle dont j’ai parlé auparavant : la mixité des âges nous a apporté une intensification de la créativité et du partage.

34À partir d’un projet circonscrit aux seniors, nous avons accompli un travail beaucoup plus large, qui a pris une ampleur ? caractéristiques supposées de son âge. exceptionnelle, si bien qu’aujourd’hui on ne parle plus d’entretien de gestion de carrière « seniors » mais d’entretien de gestion de carrière « tout court ». Bien entendu, cela ne signifie pas qu’il se déroule de la même façon, car l’entretien varie selon le parcours de chacun. Mais avoir une approche globale de gestion des ressources humaines permet de ne pas renforcer les discriminations qui pourraient apparaître et d’apporter des réponses adaptées à la problématique de l’individu et non aux

Notes

  • [1]
    Pour un bilan du programme européen Equal, voir rubrique « Le point sur » de M.Thozet, p.280 de ce numéro.
Christine Stivin
DRH, Caisse d’épargne Poitou-Charentes, réalisé par Marie MERCAT-BRUNS, Cnam, chaire de droit social
Cette publication est la plus récente de l'auteur sur Cairn.info.
Mis en ligne sur Cairn.info le 01/07/2007
https://doi.org/10.3917/rs.051.0234
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