CAIRN.INFO : Matières à réflexion

1 Dans un contexte où tous les pays industrialisés sont obligés de réformer leurs systèmes de retraite, l’expérience américaine est d’un intérêt tout à fait particulier, d’autant plus que sa conception de la protection sociale et de l’emploi est différente de celle de la France et de l’Europe. Les articles rassemblés ici nous donnent une information détaillée sur un certain nombre de points précis, spécialement sur les emplois « post-carrière » où coexistent la retraite et l’emploi. Mais à travers ce problème limité, c’est toute une réflexion qui est engagée sur l’ensemble du marché du travail et de la protection sociale, sur son évolution aux États-Unis. La France ne saurait se soustraire à une semblable réflexion, à un moment où elle doit opérer des choix pour la mise en œuvre effective de la réforme des retraites (loi du 21 août 2003) et pour l’augmentation du taux de l’emploi des salariés âgés [1]. De la comparaison des deux pays se dégage-t-il des orientations communes sur des tendances à moyen terme ? Ou bien l’expérience américaine nous aide-t-elle à préciser ce que pourrait être un modèle social européen [2] ?

2Ces questions sont abordées ici sous deux aspects : l’assouplissement desrègles de la retraite et le développement de choix individualisés d’un côté et, de l’autre, la recherche de l’augmentation du taux d’emploi en fin de carrière puisque, à tort ou à raison, l’ensemble des réformes du financement des retraites privilégie les mesures concernant l’allongement de la durée de travail (et de cotisation). Ces aspects renvoient à ce qu’on peut appeler le concept général de la retraite et à ses trois dimensions dont on verra comment chaque pays les décline (Gaullier, 2002,2003): le niveau de vie, c’est-à-dire les revenus des retraités et leur composition (les cinq piliers : les retraites publiques et professionnelles, les revenus du patrimoine, les salaires, l’aide sociale [3] ); les modes de vie, ou la distribution des temps sociaux pendant la deuxième partie de l’existence (la place respective du travail et du « hors-travail »: loisirs, vie familiale, vie sociale et personnelle, en tenant compte de l’espérance de vie et de l’état de santé); le cycle de vie, autrement dit la situation de l’emploi et de la démographie, les trajectoires professionnelles et non professionnelles, l’organisation des âges de la vie. Ces trois dimensions renvoient à des conceptions diverses de l’individu selon les pays et selon les périodes, individu qui est susceptible de plus ou moins de choix et qui de toute façon doit faire face à l’avance en âge.

? Les fins de carrière : quel taux d’emploi, quels emplois, à quel âge ?

3L’importance, en France, de l’emploi des salariés âgés est bien connue. La réforme des retraites repose sur un double pari, celui du plein emploi vers 2010 et celui de l’augmentation, dès maintenant, des taux d’emploi en fin de carrière. Or, la France a un des taux, pour les 55-64 ans, les plus bas d’Europe (32%), alors que la moyenne européenne est de 39%. À plusieurs reprises, le Conseil de l’Europe s’est préoccupé de cette question, que ce soit pour souhaiter que ce taux d’emploi remonte à 50% d’ici à 2010 (Stockholm, 2001), ou pour recommander de relever progressivement d’environ cinq ans l’âge moyen de la sortie effective d’activité, également d’ici à 2010, un âge qui est actuellement de 57,5 ans (Barcelone, 2002).

4Or, après une période de diminution du taux d’emploi des plus de 55 ans, celui-ci, aux États-Unis et au Canada, remonte de façon régulière et permanente depuis 1985. Une étude française compare, pour 2002, le taux d’activité entre la France et les États-Unis selon l’âge : pour les 55-60 ans, 61,3% contre 70,9%; pour les 60-65 ans, 16,2% et 50,8%; pour les plus de 65 ans, 1,3% pour 13,8% (Sterdyniak, 2003). Lesarticles permettent d’analyser ces chiffres plus en détail : un certain nombre de caractéristiques méritent l’attention (Frédéric Lesemann). Ce qui augmente, c’est le taux d’emploi pour les plus de 62 ans, donc pour les plus âgés. À 60 ans, le taux reste faible (68,3% contre 85,9% en 1960); il a même diminué depuis 1985, date à laquelle le taux global des salariés âgés de plus de 55 ans a augmenté. Cela signifie qu’à 60 ans il y a donc un nombre important d’individus sans emploi (31,7%). Enrevanche, à 62 ans et plus, le taux augmente par rapport à 1985 : ilpasse de 50,9% pour les 62 ans à 52,6% en 1997; de 15,9% pour les 70 ans à 21,7%; pour les 72 ans, de 14,9% à 17,3%.

5La participation à l’emploi augmente donc avec l’âge, mais également avec le sexe : l’emploi des femmes entre 55 et 64 ans passe de 41,3% en 1980 à 51,8% en 2000, alors que celui des hommes, au même âge, diminue pendant la même période (72,1% en 1980 contre 67,3% en2000). L’augmentation de l’emploi est donc fortement liée aux comportements féminins.

6Pendant la période 1990-2002, en France, le taux d’emploi des salariés âgés a augmenté de 5,5 points, sans doute en raison de la forte reprise des créations d’emploi en fin de période (Cornilleau, 2003). Mais en comparaison avec les États-Unis, il s’agit de salariés entre 55 et 59 ans et le taux d’emploi des plus de 60 ans a continué de baisser entre 1990 et2002 : on est loin de l’objectif européen de 50%, non pas pour les55-59 ans comme on le pense souvent, mais pour les 55-64 ans. Parailleurs, ces évolutions résultent, pour une part importante, du comportement des femmes, car les taux d’emploi des hommes sont restés stables de 55 à 59 ans et ils ont diminué à partir de 60 ans un peuplus vite que celui des femmes. « C’est donc la tendance à la hausse de l’activité féminine qui explique la remontée des taux d’emploi des seniors beaucoup plus qu’un changement d’attitude à l’égard des plus âgés » (Cornilleau, 2003).

7L’autre surprise que suscite la situation américaine concerne les emplois de ses salariés âgés, des emplois « post-carrière » où il y a coexistence entre la retraite et des formes diverses d’emploi, généralement à temps partiel (et le plus souvent dans de nouveaux emplois) ou dans le statut de travailleur indépendant. Ces emplois de transition durent en majorité au moins deux ans et souvent bien davantage. « Dans les années quatre-vingt-dix, ce sont entre 30% et 35% des hommes et entre 45% et 60% des femmes qui recourent aux bridge jobs [4]. » (Frédéric Lesemann).

8L’étude sur le Canada confirme ces orientations. Selon Stéphane Crespo, « ce sont les travailleurs âgés dont les emplois étaient récents qui ont principalement contribué à la remontée du taux d’emploi » et « ce sont les travailleurs qui combinaient des revenus d’emploi à des revenus de retraite qui ont contribué exclusivement à cette remontée ».

9Toutes ces caractéristiques sont surprenantes par rapport aux situations européennes. Elles remettent en question la vision linéaire de l’emploi et de la retraite, l’un et l’autre se suivant et chacun à plein temps. De nouvelles retraites et de nouveaux emplois apparaissent, de « nouveaux parcours » se font jour où les frontières entre l’emploi et la retraite se brouillent. Des paradoxes aussi : pendant longtemps, la retraite a été caractérisée par la coïncidence entre la fin du travail, l’obtention d’une pension et le début des handicaps de la vieillesse. Par la suite, et spécialement en France, on a assisté à la fin de ces coïncidences à cause des cessations d’activité anticipées. En Amérique du Nord, on constate maintenant aussi la fin de ces coïncidences, mais pour des raisons opposées : le travail salarié continue après le départ en retraite. Paradoxe également que cette diversité des retraites précoces, anticipées, au moment où les réformes des retraites repoussent l’âge auquel on peut obtenir une pension à taux plein (de 65 à 67 ans aux États-Unis). Les emplois « post-carrière » sont associés au déclin de l’emploi salarié de très longue durée en tant que parcours de fin de carrière (Stéphane Crespo), à la distinction entre eux et les « emplois de carrière » (c’est-à-dire de longue durée), et au développement d’un marché du travail pour les seniors, y compris à un âge avancé. Il s’agit d’emplois le plus souvent atypiques (mais certains sont à plein temps), liés à une mobilité dans le marché du travail, réversibles et souvent instables. Ils tendent à créer une nouvelle étape dans l’existence, celle d’emplois transitionnels et de retraites partielles entre l’emploi de carrière et la retraite définitive, à plein temps, à un âge plus tardif. Ces emplois sont par définition ambigus. Comme le dit Teresa Ghilarducci : « La question est de savoir si cette tendance marque, pour les travailleurs, un échec et un recul par rapport aux victoires durement acquises, ou si elle est le résultat d’une meilleure santé et d’une vitalité de la population active et de la capacité de l’économie à créer des emplois pour tous ceux qui veulent travailler. »

10De la retraite « événement » à la retraite « processus-graduel »: une transition douce entre la carrière et la retraite définitive du grand âge ou une précarité chronique pendant une longue période ? Une insertion sociale valorisée par l’emploi ou une marginalisation de fait par paupérisation ? Des situations contraintes ou choisies ? De toute façon, dans le contexte américain, ces emplois « post-carrière » sont envisagés comme des décisions individuelles, de l’ordre de la responsabilité personnelle [5], et c’est probablement ce qui explique que dans ces articles qui font le bilan des travaux, il n’y ait rien sur les entreprises [6].

11Aucune mention n’est faite sur le lien de l’embauche et de la gestion despersonnes âgées avec la gestion des entreprises (y compris dans sesaspects contradictoires): recherche de compétitivité et de gains de productivité, souci de rajeunir la pyramide des âges, comportements discriminatoires envers les gens âgés, transformations de la gestion de l’ancienneté [7]. De même, rien sur les avantages d’une main-d’œuvre moins coûteuse, flexible, mobile, ni sur les coûts de l’embauche, de la gestion et des licenciements de la main-d’œuvre âgée; rien sur la concurrence avec les plus jeunes et la question du dumping social. Rien non plus sur les raisons pour lesquelles les individus prennent leur retraite : quelle est l’importance des départs « contraints », liés à des licenciements, des sureffectifs, des délocalisations, des restructurations ? De même, quand les retraités veulent retourner à l’emploi, quelles possibilités le marché du travail leur offre-t-il ? Quelle est l’importance des emplois à temps partiel contraints, faute d’emploi à plein temps ? Autant de questions qui ne sont pas abordées. Il n’y a rien non plus – ou presque – sur la nature du travail à temps partiel : des emplois en entreprise et dans l’administration ou des petits emplois créés par les individus. Au niveau des études, tout se passe comme si le marché du travail et les entreprises étaient sans problème et dotés d’opportunités illimitées, tout dépendant seulement du choix des individus.

? Retraite et emploi : une dynamique cohérente et multifactorielle

12On cherche souvent à expliquer l’importance des emplois « post-carrière » par l’une ou l’autre raison isolée du reste : la situation économique ou le faible niveau des pensions. Les articles mettent à juste titre en évidence la multiplicité des causes qui permettent de comprendre le phénomène. Burkhauser et Quinn (cf. bibliographie de Frédéric Lesemann) ont insisté sur l’état de l’économie : « La demande d’emplois pour des travailleurs âgés dépend de la vigueur de l’économie ». Une telle raison n’est pas une surprise, mais nous n’avons pas une périodisation précise du rapport entre emplois « post-carrière » et état de l’économie – croissance, stagnation, croissance sans emploi. Quelques éléments sont pourtant significatifs. Teresa Ghilarducci rappelle qu’aux États-Unis : « La sagesse reçue est qu’il faut étoffer l’offre de main-d’œuvre pour préserver la croissance économique ». Stéphane Crespo montre qu’une conjoncture économique favorable permet au Canada le développement d’emplois « post-carrière » à plein temps au lieu de temps partiel (ce qui montre que dans un autre contexte économique les emplois à temps partiel sont plutôt contraints que choisis). Il est également constaté qu’aux États-Unis, en période de récession, il peut y avoir un chômage important parmi les 55-64 ans et plus encore parmi les 65 ans et plus (Teresa Ghilarducci). Mais manifestement la situation économique n’explique pas tout : pendant la période de croissance de 1948 à 1980, le taux d’emploi des personnes âgées a été faible et ce n’est qu’à partir de 1980 qu’il a commencé à s’élever. Il reste pourtant étonnant de voir affirmer plusieurs fois que ces emplois sont appelés à une croissance rapide (Frédéric Lesemann et Stéphane Crespo). Pour quelles raisons ? À cause d’un état de santé qui s’améliore ? À cause du niveau de scolarité qui s’élève (Frédéric Lesemann)? À cause de la faiblesse prévue du niveau des pensions ? Mais qu’en est-il du marché dutravail ? Le nombre et la qualité des emplois « post-carrière » peuvent se modifier selon la conjoncture économique. Et Bovberg se demande avec raison si le marché du travail pourra absorber davantage depersonnes âgées à l’avenir dans un contexte démographique différent (cf. bibliographie Frédéric Lesemann).

13Le développement des emplois « post-carrière » est en réalité fonction de nombreuses transformations autres que celle de l’économie. On peut les résumer ainsi : une diminution croissante des différentes ressources des personnes âgées, une augmentation de leurs dépenses et des modifications concernant les régulations du marché du travail. Les articles analysent en détail les mesures qui contribuent à réduire progressivement les conditions d’octroi et le montant des prestations et celles qui incitent à continuer le travail : une dynamique multiple d’effets (push et pull) (incitations et « contre-incitations », Frédéric Lesemann et Teresa Ghilarducci). Des modifications ont été apportées à la Social Security : la retraite obligatoire à un âge fixe n’a plus cours, l’âge de la retraite à taux plein est progressivement repoussé, un certain cumul entre les prestations de la Social Security et les revenus d’emploi a été autorisé, le report de l’âge de la retraite offre des avantages pécuniaires. Selon les critères américains, la Social Security est devenue age neutral, sans effet sur l’âge de départ, et ces changements augmentent l’attractivité du travail. Les régimes de retraite d’entreprise, déjà caractérisés par leur faible diffusion et le faible montant de leurs prestations, deviennent davantage flexibles par le développement des pensions à contributions définies, sous la responsabilité des individus qui sont libres de les utiliser pour leur retraite quand bon leur semble. Leur plus grande exposition aux risques du marché boursier explique, nous dit-on, la brusque remontée du taux d’emploi de deux points de pourcentage pour les 55-64 ans en 2000-2002 (Frédéric Lesemann et Teresa Ghilarducci). Parailleurs, le coût des soins de santé est tel, compte tenu de la faible protection sociale concernant la maladie, que la perspective de dépenses incite fortement à continuer de recevoir un salaire. L’emploi des personnes âgées est enfin favorisé par la souplesse de la législation du travail, celle concernant par exemple le travail à temps partiel, ainsi que par la loi contre la discrimination par l’âge (1978). L’ensemble des mesures initie ainsi une dynamique cohérente qui diminue dès maintenant les ressources des personnes âgées, et les réduira encore davantage à l’avenir, d’où la nécessité pour beaucoup d’un maintien dans l’emploi ou d’un retour au travail, à condition que le marché du travail le permette.

14L’étude des ressources des personnes âgées et de leur composition précise les conséquences de ces mesures : la diminution de la part des revenus venant des pensions et du patrimoine, l’augmentation de celle venant des salaires qui passe de 13% en 1984 à 20% en 2000. Cette « retraite plurielle », comme nous l’avons appelée (Gaullier, 2003), est un « portefeuille » composé de cinq sources (pensions publiques et professionnelles, revenus du patrimoine, salaires, aide sociale) dont les proportions dépendent du statut socioéconomique. Pour les personnes qui disposent des ressources les plus faibles, la part des pensions est très forte (79%) alors qu’elle est de seulement 24% pour les plus hauts revenus; celle des salaires est pour les premiers très faible (2%) et forte pour les autres (29%). Lorsque les ressources sont faibles, la part desrevenus personnels est de 6% contre 21% pour les autres alors quel’assistance est pour les uns de 8% et les autres de 2% (Teresa Ghilarducci). Les analyses de la composition des budgets par niveaux de revenus sont spécialement intéressantes dans la mesure où dans de nombreux pays, les réformes des retraites s’orientent, d’une façon ou d’une autre, vers une « retraite plurielle »: on sait que plus les revenus des systèmes publics sont importants, plus les inégalités sont faibles. L’enjeu réel est l’importance relative des différentes sources de revenus plutôt que le fait qu’elles soient multiples, ce qui est inévitable. Les inégalités sociales s’expriment là de façon patente.

? La distribution des temps sociaux : quel contrat social ?

15Il est fréquent de n’envisager le problème des retraites que comme une question financière, celle de l’équilibre des régimes et celle du niveau des pensions reçues par les retraités. En fait, le débat sur les retraites implique toujours, de façon explicite ou implicite, des choix sur la répartition des temps sociaux, sur les rapports entre le temps de travail et le temps hors travail dans la deuxième partie de l’existence et tout au cours de la vie. Et ce choix est d’abord un conflit entre les acteurs concernés : les pouvoirs publics, les entreprises, les individus. La retraite apparaît ainsi comme une « banque du temps » dont le fonctionnement s’exprime dans un « contrat social » qui évolue et se redéfinit selon les périodes et les rapports de force (Gaullier, 2003). C’est une réflexion dans cette perspective qu’amorce Teresa Ghilarducci en analysant de façon critique les politiques américaines qui incitent au travail, et en proposant une réflexion sur les rapports entre l’emploi et les « loisirs », c’est-à-dire le temps hors travail aux âges avancés. Cette réflexion sur le temps, ou plutôt sur les temps, doit probablement beaucoup à une influence des sciences politiques sur l’auteur.

16On se rappelle que la réforme des retraites en France, en 2003, a donné lieu à des débats du même ordre sur la façon de concilier la durée de la vie active et les gains d’espérance de vie. Pour certains réformateurs, l’allongement de la durée de cotisation aurait dû correspondre au gain d’espérance de vie et cela aurait été acceptable, pensaient-ils, dans la mesure où la durée de la retraite resterait la même compte tenu de l’allongement de l’espérance de vie. Beaucoup de salariés, en revanche, non seulement refusaient un allongement important de la durée de cotisation mais privilégiaient un temps libre de retraite le plus tôt possible pour pouvoir mieux « profiter de la vie » en étant en bonne santé. Finalement, la loi a garanti que le rapport, constaté à la date d’adoption de la loi, entre la durée d’assurance et la durée moyenne de retraite, resterait constant jusqu’en 2020. En gros, deux tiers à l’assurance et un tiers au versement de la retraite.

17Teresa Ghilarducci constate que « les seniors américains travaillent dans une proportion jamais observée depuis l’avènement du marché du travail moderne ». Elle montre l’importante place du travail en comparant la situation actuelle avec celle des années 1970-1985, où la durée du travail était beaucoup plus faible aussi bien pour les personnes âgées que tout au long de la carrière professionnelle (soit 1966 heures de travail par an actuellement, la durée la plus longue de tous les pays industrialisés). Et elle s’attaque à l’argument qui affirme que l’allongement de la durée du travail est compensé par le gain d’espérance de vie : « Avec un temps de travail qui augmente de 30% et une espérance de vie de 16%, [les Américains âgés] perdent donc, en moyenne, 14% d’inactivité. » Elle précise alors les inégalités qui existent dans la durée du temps de loisir en fonction de l’espérance de vie (et des morts prématurées), de l’état de santé et du temps de travail (lié au niveau des pensions), selon les catégories professionnelles, le sexe et la « race ». D’où un certain nombre d’approches intéressantes : il n’est pas évident que ceux qui partent en retraite plus tard soient ceux qui vivent plus longtemps; il n’est pas évident qu’une retraite précoce signifie plus de loisirs. Il est nécessaire, dans l’analyse, de tenir compte de façon détaillée de multiples variables.

18On pourrait prolonger cette approche par les temps sociaux en l’appliquant aux emplois « post-carrière ». Ce serait un objet d’étude important dans la mesure où, non seulement les sources de revenu se diversifient, nous l’avons vu, mais où les relations entre les temps sociaux se transforment par l’importance du travail à temps partiel. Cela signifie une durée d’emploi plus courte que pendant l’emploi de carrière, et donc de nouveaux rapports avec le temps familial, les loisirs, la vie sociale et la vie personnelle. Les temps sociaux, mais les âges aussi, se définissent autrement : la période des emplois « post-carrière » qui, aux États-Unis, va approximativement de 60 à 70 ans (ou plus) détermine une étape dans l’existence qui n’est plus celle de la retraite à plein temps, avec ce que l’on a souvent appelé comme mode de vie : le troisième âge. Les individus ont ici à faire face à l’avancée en âge en devant trouver de nouveaux équilibres entre les différentes activités de l’existence (la « pluriactivité ») et entre des appartenances plus diverses : des « identités plurielles » qui se distinguent de celles de la vie professionnelle à temps plein en amont du grand âge ou en aval.

19Face à la diversité des revenus, des emplois et des temps sociaux, face à celle concernant les niveaux de vie, les modes de vie et les cycles de vie, la question de Teresa Ghilarducci, dont nous avons déjà parlé, demeure : les emplois « post-carrière » sont-ils des situations positives et choisies par les individus ou à l’inverse subies et contraintes pour des raisons pécuniaires ? Les études distinguent trois groupes : les « précaires », les « compétitifs », les « protégés » (Frédéric Lesemann). Le premier résultat est que, dans cette nouvelle situation, les inégalités sont importantes : la majorité est constituée de précaires qui sont obligés de travailler (push); les compétitifs sont une minorité, volontaire et attirée par le travail (pull), minorité représentant une part importante des individus ayant les mêmes caractéristiques économiques et sociales. « Ce sont les plus éduqués, les plus riches et les plus en forme qui travaillent le plus aux âges avancés. » Et donc les plus susceptibles d’être réemployés. Ils sont motivés par desraisons non-économiques (attachement et satisfaction au travail), même si les revenus des emplois « post-carrière » sont faibles (Frédéric Lesemann). D’autres raisons sont plus ambiguës qu’il n’y paraît : les femmes par exemple, on l’a vu à plusieurs reprises, ont tendance à accorder plus d’importance à des facteurs non-économiques, comme la flexibilité dans l’emploi, plutôt qu’aux raisons financières (Elizabeth T. Hill), mais ces « préférences » risquent bien d’être en réalité contraintes par des motifs personnels et familiaux. De même, une ambiguïté réside dans la notion de travail « choisi », dans la mesure où le travailleur âgé accepte un emploi plus précaire quand il souhaite réduire son activité et partant, ses responsabilités (Frédéric Lesemann). Mais la situation n’est pas seulement caractérisée par ces deux catégories d’emplois « post-carrière »: restent les « protégés » qui partent en retraite de façon précoce et qui ne retournent pas au travail pendant la retraite. Ils représentent en fait la continuité du modèle antérieur de retraite : le travail, puis ensuite la retraite, et à plein temps. Leur situation est d’autant plus intéressante qu’ils ont, sur de nombreux points (scolarité, revenus, etc.), des caractéristiques semblables à celles des compétitifs, mais ils ne sont pas attirés par des raisons non-économiques qui les inciteraient au travail. Ilsemble qu’ils aient effectué leur carrière dans le secteur public (ou dans de grandes entreprises), où les cursus professionnels sont continus et stables, avec une forte protection sociale, une protection contre les aléas du marché. Les salariés favorisés ont donc des comportements différents face aux emplois « post-carrière ».

20L’analyse des trois groupes est en fait l’analyse d’itinéraires, de trajectoires pendant toute la carrière : les groupes s’expliquent par la situation du moment (nous en avons vu les caractéristiques) mais également par les expériences de travail passées. En effet, l’importance des temps sociaux ne concerne pas seulement leur durée respective en liaison avec la diversité des espérances de vie, ni leur articulation pendant la période des emplois « post-carrière », mais aussi leur contenu pendant le cycle de vie. Les différences dans les emplois « post-carrière » renvoient en fait tant aux atouts d’origine (le niveau de scolarité par exemple) qu’au déroulement des carrières. La situation des précaires correspond à des carrières irrégulières et à des conditions de travail pénibles; leur activité s’inscrit dans un processus de mobilité descendante. Les compétitifs, eux, ont profité d’avantages matériels et symboliques pendant leur emploi de carrière; ils leur permettent d’avoir, pendant la période des emplois « post-carrière », des revenus et des satisfactions au travail importantes. Cela se vérifie pour les hommes comme pour les femmes.

21Les trois groupes sociaux, avec leurs spécificités concernant les temps sociaux et le cycle de vie, différencient la situation des individus qui ont des emplois « post-carrière ». De telles catégories (précaires, compétitifs, protégés) permettraient d’analyser la situation d’ensemble des États-Unis (Reich, 1991). On pourrait également appliquer ces catégories à d’autres pays, que ce soit pour les fins de carrière ou pour l’ensemble de la vie professionnelle.

? Retraite et emplois : demain en France

22Quand on compare les retraites aux États-Unis avec ce que nous avons connu en France ces dernières années, tout semble différent, qu’il s’agisse du niveau de vie, des modes de vie ou du cycle de vie. On a parlé de « l’âge d’or » des retraites pendant lequel les ressources des retraités sont majoritairement fournies par les systèmes publics; l’âge des départs est rigide et se concentre à deux âges (60 ans et 65 ans); la retraite est pratiquement toujours à plein temps et la modification des carrières professionnelles a lieu avant la retraite et non après; les gains d’espérance de vie ont été reportés uniquement sur la durée des retraites et celle-ci a également profité des départs anticipés [8]. Et puis les attitudes face à la retraite sont elles aussi différentes : aux États-Unis, 80% des baby-boomers déclarent avoir l’intention de travailler lorsqu’ils seront à la retraite (Frédéric Lesemann); en France, cette même génération aspire en moyenne à partir cinq années plus tôt que les dispositifs ne le leur permettent et ils n’envisagent en aucune façon de prolonger à temps partiel leur activité professionnelle (ILC-France, 1998 ; Rochefort, 2000). Dans la situation actuelle, il est clair que tout oppose les deux pays et l’on comprend les raisons qui motivent le rejet de toute comparaison.

23L’avenir, en revanche, nous incite à nous interroger sur l’évolution des retraites, de l’emploi et de l’articulation des deux. De toute façon, qu’on le veuille ou non, la récente réforme des retraites et le comportement des entreprises vont transformer à moyen terme la situation française. Si l’on admet qu’aucun statu quo n’est possible, vers quel avenir allons-nous ? Vers de nouveaux rapports entre la retraite et l’emploi, vers des « retraites plurielles », vers une étape dans l’existence entre 50 et 70 ans qui ne ressemblera plus à ce que nous avons connu jusqu’à maintenant ? Cet avenir sera modulé par l’évolution de l’emploi, chômage de masse ou plein emploi, et se trouve dès maintenant caractérisé par un certain nombre d’incertitudes. Afin d’anticiper l’avenir, notre premier objectif doit être le rendez-vous de 2008, prévu par la loi Fillon, pour adapter l’évolution de la durée de cotisation à la situation économique et démographique.

24Les incertitudes actuelles concernent les pouvoirs publics (loi de mobilisation pour l’emploi, décrets d’application de la réforme des retraites), mais aussi les entreprises (face aux fins de carrière) et les salariés (face aux nouvelles situations de l’emploi et de la retraite). Il y a là des possibilités de réflexion et de décision sur les évolutions en cours, sur ce qui est inévitable et sur ce qui est modifiable. Allons-nous nous orienter vers un modèle de type américain ou vers autre chose ?

25Le financement des retraites repose, nous l’avons vu, sur un double pari : l’un portant sur le plein emploi, l’autre sur les salariés âgés. La loi ajoute une série de mesures qui donnent une certaine liberté pour le départ en retraite. L’ensemble concerne ainsi trois aspects de la deuxième partie de l’existence : non seulement les départs en retraite, mais en amont les fins de carrière et en aval les activités pendant la retraite. L’application de la loi mènera à une grande diversification dans les retraites et dans l’emploi, et à une importante transformation pour au moins deux décennies du cycle de vie.

26Face à des départs en retraite qui jusqu’ici ont été peu diversifiés, la réforme comporte un certain nombre de mesures pour assouplir ces départs, comme aux États-Unis (Gaullier, 2004): bonification pour le travail pendant la retraite, diminution des pénalités pour les départs anticipés, assouplissement des règles de cumul, possibilité de retraite progressive et de rachat d’années d’études, retraites anticipées pour les longues carrières et demain pour les carrières pénibles. Création aussi de dispositifs d’épargne individuelle et collective (Perp et Perco) qui influenceront les modalités de départ. Si l’âge de 60 ans reste une référence, les âges effectifs de la retraite seront multiples et la notion de retraite à taux plein sera atténuée, puisqu’il sera possible d’avoir plus que ce taux plein. La loi introduit ainsi des possibilités importantes d’individualisation et de diversification; leur mise en œuvre sera liée à l’évolution de l’emploi. Elles pourront engendrer des situations très variables, et très inégales, comme aux États-Unis.

27Les mesures concernant l’emploi aboutiront également à une diversification des situations. La loi envisage le travail après 60 ans et incite à prolonger les activités par un certain nombre de dispositifs que nous avons déjà cités (cumul, retraite progressive, bonifications, etc.). Cette perspective rejoindrait la notion d’emplois « post-carrière » des États-Unis. Pour la France, elle est une proposition à moyen terme, car elle implique, pour se développer réellement, une amélioration de la situation de l’emploi, mais elle est envisagée comme une situation à favoriser. Dans l’immédiat, la réforme prend des décisions importantes concernant le taux d’emploi des salariés âgés et tout d’abord celle de réduire le nombre des dispositifs favorisant les cessations anticipées d’activité et à en limiter l’accès. Les préretraites aidées sont ainsi recentrées sur deux dispositifs seulement : un dispositif « pénibilité » pour les cessations anticipées d’activité des travailleurs salariés (Cats), et un dispositif « plans sociaux ». Les préretraites progressives et le volet des Cats non lié à la pénibilité sont supprimés. Les préretraites d’entreprises sont pénalisées (une taxe de 23,85%), les mises à la retraite à l’initiative de l’employeur sont repoussées à 65 ans (au lieu de 60 ans). Toutes ces mesures diversifient les situations en fin de carrière, tendent à freiner les politiques « passives » d’indemnisation et à renvoyer le problème des taux d’emploi aux entreprises par des mesures de désengagement des pouvoirs publics, par des dispositifs « désincitatifs » et pénalisants (pour les 55-59 ans). Si les fins de carrière dépendent des entreprises, cela signifiera, là aussi, une diversité des opportunités pour les salariés âgés, en fonction de la situation économique des entreprises et de leur politique de main-d’œuvre.

28Un défi est lancé aux entreprises par la réforme : faire passer l’âge moyen de départ de 57,5 ans à 59 ans avant 2008. Sinon, l’allongement de ladurée de cotisation et le financement des retraites seraient remis enquestion (Moreau, 2003). Or, ce défi, les entreprises semblent incapables de le relever. D’abord parce que les entreprises ont peu d’initiatives en faveur des seniors (Minni, Topiol, 2002) et parce que les raisons qui ont expliqué les préretraites depuis trente ans restent les mêmes : productivité jugée relativement faible des salariés âgés, volontéde rajeunir la pyramide des âges, compétitivité générale de l’entreprise et déstabilisation des marchés internes qui permettaient des carrières complètes dans l’entreprise (Gautié, 2002). À part quelques cas exceptionnels [9], les études montrent que les entreprises continuent à pratiquer d’une façon ou d’une autre des politiques de rejet des salariés âgés. Les mesures à prendre par les entreprises sont connues depuis longtemps : l’amélioration des conditions de travail, la formation, l’aménagement du temps de travail et de la deuxième partie de la carrière. Mais ces mesures sont en réalité difficiles à mettre en place, coûteuses et efficaces seulement sur le long terme; elles sont souvent à contre-courant de la tendance actuelle (par exemple l’intensification des conditions de travail). Certains attendent la solution pour l’emploi des salariés âgés de la démographie : les départs massifs en retraite à partir de 2006 de la génération du baby-boom devraient provoquer une pénurie de main-d’œuvre et donc le maintien dans l’emploi des âgés. Mais l’analyse de la situation montre que cette pénurie ne favorise pas automatiquement les salariés âgés : l’embauche peut se porter en priorité sur d’autres populations (femmes, jeunes, etc.); les employeurs peuvent préférer délocaliser leur production ou faire appel à des travailleurs étrangers. Le rejet des salariés âgés risque de perdurer même dans une situation de quasi plein emploi.

29L’étude des entreprises montre finalement que, contrairement à ce qui est souvent affirmé, il n’y aura pas de retour pour tous les salarié âgés à une carrière linéaire et continue dans la même entreprise jusqu’à l’âge d’une retraite à taux plein (Gaullier, 2003). Cela signifie que toute politique concernant les seniors devrait avoir une triple dimension et qu’il ne suffit pas de prôner une « activation » des mesures. Il y a besoin d’un filet de sécurité pour les salariés âgés usés par une carrière pénible ou ayant un état de santé défectueux, de mesures incitatives pour pousser les entreprises à maintenir dans l’emploi ces salariés âgés et à développer les dispositifs de mi-carrière qui favorisent la mobilité et l’employabilité. Il faudrait aussi, ce qui est plus nouveau, inciter les entreprises à dynamiser le marché du travail des seniors et à développer les opportunités d’emploi. Favoriser la mobilité et l’employabilité impliquerait de prendre au sérieux les approches en termes de « marchés transitionnels de l’emploi » et de les adapter aux fins de carrière : non seulement « équiper les gens pour le marché », mais plus encore « équiper le marché pour les individus » (Gazier, 2003; Schmid, 2001), ycompris avec des emplois atypiques qui ne sont pas forcément synonymes de précarité, comme on le voit au Québec [10].

30Faute de telles politiques, une longue période de précarisation de l’emploi et de la retraite risque de se développer en fin de carrière, d’autant plus que la durée de cotisation pour une retraite à taux plein augmentera progressivement. Une période qui ressemblerait à la situation des États-Unis, mais commencerait à un âge plus précoce. Outre le fait de démultiplier les effets de la pénibilité du travail pour ceux qui auront un emploi jusqu’au bout de leur vie professionnelle, le chômage, notamment de longue durée, se développera comme nous l’apprend l’expérience des dernières décennies : il augmente quand les préretraites aidées sont freinées. Cela pourra aller de pair avec des « petits boulots » et des « emplois vieux » au Smic pour les plus de 55 ans. Et la tentation pourrait être grande pour des salariés arrivant en fin de droits de liquider leur retraite avant de réunir les conditions d’une pension à taux plein, ce qui signifie décote et pénalisation pendant toute la durée des retraites [11]. Le scénario est pessimiste mais, nous l’avons vu, les entreprises n’ont pas réellement amorcé une inversion de leur politique concernant les fins de carrière et, de façon générale, une période où l’emploi manque n’est pas favorable à des politiques publiques qui tendraient à inciter au travail les salariés âgés. L’inertie aurait pourtant des conséquences sur le financement des régimes de retraite et sur le niveau des pensions, des conséquences qui s’ajouteraient à celles suscitées par la réforme Balladur. Un cercle vicieux. L’évolution pourrait mener à une situation semblable à celle des États-Unis, c’est-à-dire à la constitution de trois groupes d’individus : les compétitifs, les protégés (le secteur public) et les précaires, ceux-ci représentant un pourcentage important de l’ensemble.

31Dans tous les pays, les systèmes de retraite sont en voie d’être redéfinis. Le trait commun de la situation est la fin d’un modèle qui a été caractérisé par l’importance des régimes publics et le bon niveau des pensions, par des retraites à âge fixe qui séparent une carrière continue à temps plein d’une retraite elle aussi à temps plein, par des cycles de vie composés de trois âges nettement définis : la jeunesse, la vie adulte, lavieillesse. Ce modèle, que les économistes nomment le « fordisme » (Gautié, 2003), doit faire face maintenant à de nouvelles façons de gérer l’économie et la démographie, l’emploi et la protection sociale, le niveau de vie, les modes de vie et les cycles de vie. Quelles voies pour l’après-fordisme ? Les États-Unis, dans une perspective libérale et dans un contexte de croissance économique, individualisent et diversifient l’emploi et la protection sociale, créant des inégalités importantes. Les pensions publiques diminuent et les sources de revenu des retraités se diversifient : l’emploi et la retraite se combinent pendant une longue période, après une carrière de plus en plus mobile. Tout renvoie à la responsabilité de l’individu, censé être autonome et prévoyant, vendant ses compétences sur un vaste marché. Face à cette forme d’après-fordisme, la France est à la croisée des chemins. Une loi a été votée, des choix ont été faits, mais ils s’inscrivent dans un processus politique de long terme où des évolutions assez différentes peuvent avoir lieu (Moreau, 2003): des marges de manœuvre existent par les décrets d’application, par le caractère évolutif de la loi, par son caractère partiel [12], et surtout par sa dépendance à l’égard de l’emploi qui, sous certaines conditions, pourrait s’améliorer. Un modèle plus libéral ou plus social peut se mettre en place à travers l’évolution du taux de remplacement et l’importance respective des différentes sources de revenu, par l’évolution de l’emploi et l’utilisation des libertés de choix données par la réforme; et également par des parcours professionnels mobiles et des transitions sécurisées, par l’articulation des différents temps sur la journée, la semaine et toute la vie. L’enjeu est de savoir si l’avenir sera fait d’emplois précaires et de retraites au rabais, ou d’emplois de qualité et de pensions satisfaisantes, et quelle sera la répartition de ces situations entre les individus et les groupes sociaux. Detoute façon, il n’y aura pas de retour au modèle antérieur, et une nouvelle étape dans la deuxième partie de l’existence émergera qui ne ressemblera pas à celle des trente glorieuses.

Notes

  • [1]
    Le propos des réflexions qui suivent n’est pas d’analyser l’ensemble du système de retraite aux États-Unis, ni de faire référence à la littérature sur ce sujet mais, de façon beaucoup plus modeste, de réagir d’un point de vue français aux articles de ce numéro en restant proche des questions qu’ils abordent.
  • [2]
    Il doit être clair que nous ne cherchons en aucune façon à trouver aux États-Unis de « bonnes pratiques » qui pourraient être utiles en France. Une telle approche tendrait à ignorer les contextes spécifiques et la non-transférabilité des mesures prises par un pays. Ici, il s’agit de réfléchir sur le fonctionnement global de systèmes spécifiques, dont la logique et les résultats sont porteurs d’enseignements.
  • [3]
    Pour être complet, il faudrait ajouter les ressources venant de l’économie domestique et de l’économie informelle, y compris le travail au noir. Il n’en sera pas question ici.
  • [4]
    Le mot bridge job est ambigu dans la littérature américaine : il peut désigner des emplois « post-carrière » ou des emplois atypiques avant la retraite. Ici, il est toujours pris au sens de « post-carrière ».
  • [5]
    Voir par exemple, dans l’article de Frédéric Lesemann, ce qui est dit sur l’idéologie du rational choice et de la culture du travail.
  • [6]
    Les auteurs des articles ont confirmé que le manque de références à des travaux sur les entreprises ne tient pas à leur choix, mais reflète bien l’état des études existantes.
  • [7]
    Une étude publiée par l’Insee dans le numéro d’Économie et statistique de décembre 2003, n°366, affirme que, sur la période 1975-2000, en France, « la hausse de l’insécurité s’est concentrée sur les salariés de moins de dix ans d’ancienneté et sur les salariés de plus de 55 ans ». L’ancienneté limiterait donc le chômage et resterait un vecteur de protection des 30-49 ans. Ce qui, selon l’étude, tranche nettement avec la situation aux États-Unis. Selon une étude d’un chercheur américain, Robert Valetta, le rôle protecteur de l’ancienneté aux États-Unis aurait diminué de 60% en moyenne, entre 1976 et 1992, traduisant des relations d’emploi moins sûres. Les managers américains favorisent une tranche d’âge plus jeune, moins stable mais plus flexible.
  • [8]
    En trente ans, la durée de la retraite a augmenté de dix ans, cinq années grâce au gain d’espérance de vie, cinq autres à cause des départs anticipés.
  • [9]
    Voir par exemple : Thales, Arcelor, Air France, Boiron, BNP Paribas, La Caisse d’Épargne, la métallurgie (Renault), la Fédération du commerce et de la distribution. Ces accords et mesures montrent bien la diversification et la sélection en cours dans la situation des salariés âgés.
  • [10]
    M. D’Amours, « Le passage de l’emploi salarié typique à des formes de travail atypiques après 45 ans », Les Cahiers québécois de démographie, 2003. L’auteur analyse les différentes formes que prennent ces emplois atypiques et les cinq trajectoires auxquelles elles donnent naissance.
  • [11]
    Voir le débat autour des propositions sur le cumul emploi-retraite pour une seconde carrière entre 55 et 70 ans. Sterdyniak H., op. cit.; Chassard Y., « Retraites la seule façon d’en sortir », Le Monde, 17 décembre 2002 ; Euzéby C., « La retraite à la carte : une nécessité », Le Monde Initiative, février 2004.
  • [12]
    La réforme ne prend en compte que 40% des besoins de financement; elle devra donc être complétée.
Français

Dans cet article, l’auteur reprend les principaux axes des quatre contributions précédentes. Il conclut qu’actuellement, tout oppose la situation française et la réalité nord-américaine et que celle-ci ne saurait être transférable à la France. Toutefois, la comparaison entre les deux constitue une invitation à s’interroger, presque un an après l’adoption de la loi Fillon, sur les évolutions possibles des retraites, de l’emploi et sur leur articulation. En ces domaines, les incertitudes sont nombreuses et tiennent aux comportements futurs des entreprises et des salariés, la réforme de 2003 faisant le pari d’un retour au plein emploi en 2010 et d’une augmentation, dès maintenant, des taux d’emploi en fin de carrière. La France se situe aujourd’hui à la croisée des chemins, au début d’un processus de long terme qui est susceptible de configurations différentes. Des marges de manœuvre existent par les décrets d’application, le caractère évolutif de la loi et surtout par sa dépendance à l’égard de l’emploi qui, sous certaines conditions, pourrait s’améliorer. Un modèle plus libéral ou plus social peut donc se mettre en place. L’enjeu est de savoir si l’avenir sera fait d’emplois précaires et de retraites au rabais, ou d’emplois sécurisés et de pensions satisfaisantes, et quelle sera la répartition de ces situations entre les différents groupes sociaux. Quoi qu’il en soit, il n’y aura pas de retour à la situation antérieure et la deuxième partie de l’existence ne ressemblera pas à celle des trente glorieuses.

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Xavier Gaullier
Centre national de la recherche scientifique, Paris
Cette publication est la plus récente de l'auteur sur Cairn.info.
Mis en ligne sur Cairn.info le 01/01/2007
https://doi.org/10.3917/rs.042.0111
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