CAIRN.INFO : Matières à réflexion

1L’« escroquerie en ligne » [1], entendue comme toutes formes de soustraction frauduleuse de bien d’autrui opérées sur ou par le web, souvent sous la forme de débits effectués sur un compte bancaire, sans l’accord de son propriétaire ou en procédant par une technique d’ingénierie sociale, est une expérience commune, quasiment ordinaire, pour tous les internautes, au moins sous la forme de tentatives. Malgré cela, si on la compare à d’autres problèmes de sécurité, cette forme d’atteinte au bien occupe une place marginale sur l’agenda politique.

2Entre l’État et le citoyen (Robert, 1999), un tel fossé s’est creusé que nous concevons aujourd’hui difficilement la puissance publique comme un acteur central en matière de protection des biens sur le web. L’État limite son action à la répression, laissant aux particuliers la responsabilité de leur protection. Dans un rapport récent coordonné par l’Agence nationale de la sécurité des systèmes d’information (ANSSI), qui laisse imaginer la constitution d’un véritable « État de la sécurité numérique », le gouvernement l’a lui-même reconnu : « Si l’ANSSI est l’interlocuteur étatique identifié en cas d’incident informatique grave affectant les administrations et les opérateurs d’importance vitale, la lisibilité de l’offre publique est nettement moindre en matière d’assistance aux victimes d’actes de cybermalveillance pour les autres acteurs, qu’il s’agisse d’entreprises de taille intermédiaire, de petites et moyennes entreprises, de professions libérales, de collectivités territoriales ou de particuliers [2]. »

3Dans ce contexte spécifique où l’escroquerie en ligne est un phénomène de prédation de masse relativement nouveau pour la Justice [3] et les particuliers, nous nous sommes demandé comment les victimes réagissent et quelles ressources elles mobilisent suite à leur victimation : comment se distribue l’indemnisation à l’escroquerie en ligne dans la population ? Comment les victimes obtiennent-elles réparation aux préjudices qu’elles ont subis ? Dans quelle mesure et pourquoi les victimes portent-elles plainte et se mobilisent-elles en réaction à l’escroquerie en ligne ? En sociologie pénale, l’étude de la réaction des victimes d’infraction s’opère le plus souvent par l’étude du renvoi à partir des données des enquêtes de victimation, c’est-à-dire l’examen des motivations des personnes à signaler leur victimation aux autorités policières (Zauberman et Robert, 1995). En France, depuis les travaux de Davidovitch (1955), qui observait l’escroquerie comme un problème inhérent à notre société moderne, « une maladie de la confiance indispensable au fonctionnement de nos institutions économiques », la fraude est restée complètement inexplorée en sociologie du crime, d’où un manque de connaissance sur l’attitude des victimes de cette infraction.

4Une littérature criminologique internationale émerge autour de l’étude de l’escroquerie liée à Internet (Holtfreter et al., 2008 ; Holt et Graves, 2007 ; King et Thomas, 2009 ; Atking et Huang, 2013) dans laquelle nous avons repéré une seule étude sur les motivations des victimes à alerter la police (Reyns et Randa, 2015). À partir des données de l’enquête nationale américaine de victimation, Reyns et Randa arrivent à des résultats assez triviaux en montrant que le poids de la gravité de l’incident et la connaissance de l’auteur de l’infraction sont les principaux facteurs de signalement à la police. L’enquête de Nicolas Auray (2012) auprès d’un groupe de victimes d’escroquerie sur Internet reste l’apport sociologique principal, mais l’analyse s’est focalisée sur les modalités spécifiques de la « manipulation à distance » sur le web.

5Dans cette étude, qui a un statut exploratoire, nous proposons une sociologie des victimes d’escroquerie en ligne en croisant les approches de l’étude du renvoi développée en France au Centre de recherches sociologiques sur le droit et les institutions pénales (CESDIP) (Zauberman, 1985) et une sociologie de l’action des victimes (Boltanski, 1990 ; Vilain et Lemieux, 1998 ; Lefranc et Matthieu, 2009). Pour ce faire, deux manières différentes d’envisager une sociologie de la réaction des victimes peuvent être articulées: analyser d’une part, les données des enquêtes publiques de victimation en population générale (première partie) et, d’autre part, les traces laissées sur le web par les victimes lorsqu’elles prennent la parole pour demander de l’aide ou dénoncer leur situation (deuxième partie) [4].

6L’objectif principal de ce travail est de confronter ces deux sources de données complémentaires qui offrent deux manières différentes de concevoir la totalité (Desrosières, 1989). Les données d’enquêtes publiques nous permettent d’analyser le phénomène en termes de représentativité et de vue d’ensemble de la victimation et de la réaction qui lui est associée ; les données du web permettent de saisir tout le sens que la victime donne à son engagement. Alors que la première source de donnée permet de calculer le taux de renvoi à l’échelle nationale et de dégager des profils d’attitude de victimes à l’égard des autorités policières, la deuxième, qui correspond à un corpus de fils de discussions de forums de victimes d’arnaques, permet de rendre compte des impératifs de justifications dans lesquels sont prises les victimes et des stratégies qu’elles mobilisent pour trouver réparation.

Enquête publique sur les victimations [5]

7La mesure de l’escroquerie pose un problème de définition. Dans la première enquête nationale de victimation de 1985, les chercheurs du CESDIP ont intégré une question relative à l’escroquerie, mais ils ont par la suite préféré la retirer estimant que « la définition de l’escroquerie est complexe : ou bien on l’élimine, ou bien on court le risque que les enquêtés entendent par là toute attitude peu morale dans une relation d’affaires » (Pottier et al., 2002, p. 8)

8Les administrateurs de l’enquête nationale de victimation ont pensé contourner cette difficulté en collectant exclusivement des données sur les fraudes relatives au moyen de paiement. La fraude est ainsi définie comme « un retrait d’argent sur votre compte effectué sans votre accord en utilisant des informations personnelles comme un numéro de carte bancaire obtenu illégalement, ou encore par le vol ou la falsification de chèque. Ce débit frauduleux peut avoir eu lieu via Internet [6]. »

9C’est sur la base de cette définition que l’INSEE a mis en place, depuis 2011, un module spécifique de collecte des données sur les débits frauduleux [7]. Outre les caractéristiques sociodémographiques des victimes, 16 variables tirées de cette enquête permettent d’identifier les victimations à l’escroquerie bancaire. Deux grandes catégories les regroupent : 1) les caractéristiques de la fraude, c’est-à-dire la découverte du débit frauduleux, l’utilisation d’Internet, le moyen de récupération des données bancaires, le type de procédé utilisé pour la fraude (pays de la fraude, sérialité de la fraude, montant de la série de débits frauduleux) ; 2) le renvoi, c’est-à-dire le signalement en dehors de la banque (raison du dépôt de plainte ou de main courante, objet de la plainte, raisons de non-renvoi, raisons de renoncement à un renvoi après s’être déplacé à la police, suites de la plainte, remboursement, résultats de la plainte).

10L’analyse statistique des données de ce module des trois premières enquêtes de victimation [8] a révélé une nette augmentation du nombre de victimes de ces escroqueries. On estime ainsi que sur la période couvrant les trois dernières enquêtes Cadre de vie et sécurité (CVS) (de 2009 à 2012), un peu plus de 3 millions de ménages ont été victimes d’un retrait d’argent frauduleux sur leur compte – soit à peine 4 % des ménages de France métropolitaine. Ce taux global est certes minime, mais une observation de son évolution nous permet de constater qu’il augmente régulièrement et significativement (marge d’erreur de 1 %) lors de chaque nouvelle enquête CVS, passant de 3 % pour l’enquête de 2011 à 5 % pour celle de 2013. De ces ménages victimes, presque les deux tiers (59 % des effectifs cumulés) le sont d’une fraude sur Internet : leurs données bancaires ont été récupérées sur Internet et/ou le débit frauduleux a été effectué par cette voie. C’est cette victimation particulière qui semble être responsable du mouvement d’augmentation. L’examen des moyens utilisés pour procéder au dernier débit frauduleux nous indique en effet qu’Internet est le seul moyen à être de plus en plus utilisé, les autres semblant se stabiliser, voire être de moins en moins utilisés (figure 3). Si le montant médian annuel reste stable (300 euros), en revanche l’augmentation du montant des débits, en particulier des très grosses sommes, conduit à une croissance fulgurante du montant moyen débité sur les deux dernières années (figure 4).

11Si les enquêtes CVS portent sur une période encore trop brève pour dégager des tendances en matière d’escroquerie bancaire, leurs apports en termes de connaissances se situent pour l’instant essentiellement dans l’analyse du renvoi. Notons d’emblée que les escroqueries appartiennent aux types de victimation qui connaissent le taux de renvoi le plus élevé. Il atteint un ordre de grandeur comparable à ceux du cambriolage et du vol de voiture (figure 1). Entre la première et la troisième enquête, pour toutes les victimes, si on observe une baisse globale de l’ensemble des renvois (déplacement auprès d’un service de police/gendarmerie) qui se répercute sur les plaintes, au contraire, les mains courantes suivent plutôt une tendance ascendante (entre 2009 et 2012). On retrouve à peu près le même schéma, pour les plaintes – toujours entre la première et la dernière enquête – se concentrant sur les renvois d’une escroquerie via Internet, malgré une tendance à l’augmentation pour les taux de l’ensemble des renvois et de main courante (figure 2).

Figure 1

Renvois par type de victimation – enquêtes cumulées (2009-2012)

Figure 1

Renvois par type de victimation – enquêtes cumulées (2009-2012)

Champ : France métropolitaine
Source : INSEE – CVS
Figure 2

Types de renvois – % par enquêtes

Figure 2

Types de renvois – % par enquêtes

Champ : France métropolitaine
Source : INSEE – CVS

12Pourquoi un taux de renvoi aussi élevé quand on sait que, pour les infractions bancaires, et en particulier celles liées à Internet, les victimes n’ont plus besoin d’aller jusqu’à la plainte ni d’obtenir une inscription en main courante, depuis 2009 [9] ? En effet, les titulaires des cartes de crédit dont les numéros ont été frauduleusement utilisés (cartes contrefaites ou paiement effectué frauduleusement à distance) peuvent contester cet usage auprès de leur banque sans qu’un dépôt de plainte préalable soit nécessaire. Il en va de même pour le phishing[10] depuis 2011. La banque est tenue de rembourser immédiatement le montant de l’opération non autorisée pour ces types de victimation. Comment expliquer ce résultat inattendu ?

Les déterminants financiers du renvoi

13Pour répondre à cette question, nous avons cherché à explorer les données des enquêtes CVS avec l’analyse des correspondances multiples (ACM) qui est un moyen courant pour résumer l’information portée par les nombreuses variables en présence. Elle permet d’en étudier simultanément plusieurs en faisant apparaître les ressemblances et dissemblances entre les individus et aussi d’étudier les liaisons entre variables ainsi que les façons dont s’associent leurs modalités.

14On a inclus dans l’analyse multivariée les différentes questions relatives à la fraude ainsi que les caractéristiques sociodémographiques du ménage et de son individu de référence. Un premier clivage de l’échantillon fait apparaître une opposition familière dans la sociologie des victimations entre renvoi et non-renvoi (figure 7). D’un côté, on observe la dénonciation du débit frauduleux essentiellement par un dépôt de plainte, de la part de ménages qui en ont généralement subi un ou plusieurs, de montants importants (500 à 5 000 euros). De l’autre, on trouve des ménages essentiellement passifs (ni plainte ni main courante, pas de signalement en dehors de la banque, parfois même aucune demande de remboursement auprès de celle-ci), confrontés à des tentatives ou des débits frauduleux de faible ampleur (0 à 500 euros).

15Cinq variables contribuent principalement à la formation de la seconde ligne de clivage : l’usage d’Internet (tant pour récupérer les données bancaires que pour commettre la fraude), les moyens utilisés pour procéder aux débits frauduleux, les types de procédés utilisés pour récupérer les données bancaires, la découverte du débit frauduleux et sa sérialité. D’un côté, on observe une quasi-absence d’Internet comme support de la fraude. Le plus souvent, le ménage victime en est informé par la police, la gendarmerie, le fisc, etc. Ici, on observe des débits plus souvent uniques, mais aux montants élevés (10 000 euros et plus). On voit que la démarche de renvoi n’est pas unanime, mais lorsqu’il y a dépôt de plainte, il porte généralement ses fruits. De l’autre côté, on observe, au contraire, un usage généralisé d’Internet dans le cadre du débit frauduleux. Sa découverte se fait soit par la consultation d’un relevé d’opérations ou par le rejet d’un achat par carte bancaire. Il s’agit ici, plus souvent, de séries de débits frauduleux d’un montant allant de 0 à 5 000 euros. Ces ménages victimes sont partagés à leur tour entre renvoi – surtout pour être remboursés – et non-renvoi. Pour ceux qui vont au bout de leur démarche de plainte, celle-ci n’apporte généralement pas de résultats en termes d’identification, d’arrestation ou de condamnation de l’auteur.

16Ainsi, l’analyse du renvoi au travers de l’ACM, réalisée sur la population des seuls ménages victimes, donne à voir selon quelles configurations concrètes s’organisent les différents aspects de l’escroquerie bancaire (figure 3). Elle met clairement en évidence deux éléments clés dans l’étude de l’escroquerie bancaire : le fait que la fraude passe ou non par le biais d’Internet et la manière dont les ménages victimes gèrent le renvoi. Ces deux variables sont d’ailleurs étroitement liées à l’ensemble des autres variables étudiées. On observe, par exemple, que les séries de débits frauduleux (ou le dernier débit, s’il n’y a pas de série) d’un montant inférieur à 100 euros ne font majoritairement pas l’objet d’un renvoi (figure 4). On peut envisager une sorte de tolérance pour les débits de faibles montants, mais l’hypothèse la plus probable reste que le renvoi n’a pas été nécessaire à la résolution du problème. Au contraire, à partir de 100 euros de perte, le renvoi est significativement majoritaire, atteignant un pic pour des débits compris entre 1 000 et 4 999 euros. Ainsi, au-dessus d’un certain seuil financier, les ménages victimes semblent considérer le renvoi comme un impératif. Par ailleurs, s’il reste majoritaire, le taux de renvoi baisse progressivement dès que la fraude passe le cap des 5 000 euros. S’il est difficile de savoir pourquoi au-dessus de ce montant le taux de renvoi baisse, cette tendance contre-intuitive a le mérite de signaler que les déterminants financiers n’apportent qu’un éclairage partiel à l’explication du renvoi.

Figure 3

Répartition schématique des caractéristiques de la fraude d’après l’analyse des correspondances multiples

Figure 3

Répartition schématique des caractéristiques de la fraude d’après l’analyse des correspondances multiples

Champ : France métropolitaine
Source : INSEE – CVS
Figure 4

Renvoi en fonction des montants des débits frauduleux – enquêtes cumulées (2009-2012)

Figure 4

Renvoi en fonction des montants des débits frauduleux – enquêtes cumulées (2009-2012)

Champ : France métropolitaine
Source : INSEE – CVS

Les victimes de fraude sur Internet : entre persévérance et résignation face à leur droit

17Les informations dégagées via l’ACM sont intéressantes, mais pour comprendre le renvoi dans ses différentes dimensions, il nous faut combiner l’ACM à une méthode de classification typologique des ménages victimes [11]. On arrive ainsi à une représentation plus complexe du renvoi, car l’analyse de classification apporte des éléments de compréhension du renvoi en dégageant des profils de victimes selon leur réaction à la victimation et le contexte de l’escroquerie bancaire. Nous avons retenu le découpage qui permet l’approche la plus fine des différents profils de victimes, soit 3 groupes : les ménages réactifs victimes d’escroqueries hors Internet (22,7 % de l’échantillon) ; les ménages victimes passives (44,7 %) ; les ménages réactifs dont la victimation est liée à Internet (32,3 %).

18Soulignons d’emblée qu’aucune catégorie socio-économique ne caractérise plus particulièrement l’un ou l’autre des groupes, de sorte que pour chaque groupe mis en évidence ces catégories ne sont ni sur- ni sous-représentées et sont également touchées. S’il n’apparaît aucune explication socio-économique dans les déterminants du renvoi, que peuvent nous apprendre en matière de renvoi ces trois profils ?

19Les ménages victimes réactifs dons les victimations ne sont pas liées à Internet se caractérisent par une part très importante de ménages ayant déclaré la fraude à la police/gendarmerie ou à d’autres interlocuteurs que la banque (police municipale, élue ou directement à la justice). Tous se sont déplacés pour signaler l’infraction. Le taux de renoncement au dépôt de plainte ou de main courante, une fois sur place, est le plus faible (1,5 % des ménages du groupe). Les coordonnées bancaires des victimes ont été plus souvent qu’en moyenne récupérées lors d’un retrait à un distributeur automatique, d’un vol ou d’un achat dans un commerce traditionnel. C’est sans doute ce type de procédé qui explique que ce groupe est le seul affichant un taux d’identification de l’auteur par les forces de l’ordre supérieur à la moyenne (12 % vs 3 % dans l’échantillon) et ces victimes ont plus souvent que les autres opté pour un dépôt de plainte, réduisant ainsi à 11 % la part des ménages qui se sont contentés d’une main courante. L’obtention d’un remboursement reste le principal motif du dépôt de plainte, mais, par rapport à l’autre groupe de victimes réactives, les membres de ce groupe sont légèrement moins remboursés. Ce groupe se compose surtout de ménages victimes de débits frauduleux uniques (79 %) et d’au moins 500 euros (56 % vs 40 % en moyenne). La plainte porte donc en majorité sur le dernier débit frauduleux, mais les plaintes sur l’ensemble d’une série de débits frauduleux sont aussi surreprésentées. Au final, c’est surtout le type de procédé qui explique le renvoi.

20La typologie dessine un groupe de ménages victimes qui se caractérisent essentiellement par une extrême passivité face au débit frauduleux (100 %). Ce groupe est majoritairement victime d’un ou plusieurs débits frauduleux sur Internet (58 %). Les victimes qui n’ont pas subi de tels débits atteignent 28 %. La distribution des fraudes hors et sur Internet dans ce groupe est donc la même que celle que l’on retrouve dans la population générale (figure 9). On peut donc avancer que la victimation sur Internet n’est pas un facteur de passivité, cette dernière étant provoquée par un ou plusieurs autres facteurs.

Figure 5

Répartition des fraudes accompagnées d’un usage d’Internet (récupération et utilisation des données bancaire) – enquêtes cumulées (2009-2012)

Figure 5

Répartition des fraudes accompagnées d’un usage d’Internet (récupération et utilisation des données bancaire) – enquêtes cumulées (2009-2012)

Champ : France métropolitaine
Source : INSEE – CVS

21Les individus de l’échantillon qui ne se sont pas déplacés dans un commissariat ou une gendarmerie pour signaler la fraude appartiennent presque exclusivement à ce groupe. Parmi les quelques individus qui se sont déplacés, aucun n’a finalement porté plainte ou même demandé une inscription de l’incident en main courante. Ce groupe est donc entièrement constitué de non renvoyant. En l’état actuel des données disponibles, il est difficile de comprendre les ressorts de ce non-renvoi. Notons néanmoins que la passivité de ces victimes est de fait toute relative puisque la majorité d’entre elles ont demandé un remboursement à leur banque et que parmi ces personnes qui alertent leur banque, les demandes de remboursement sont plus souvent refusées qu’en moyenne. Il existe donc des situations où, malgré leur action auprès des banques, les victimes peinent à trouver des ressources pour obtenir réparation.

22Dans le groupe des ménages victimes réactifs dont la victimation est liée à Internet, tous les membres déclarent s’être déplacés pour signaler la fraude. Notons que 3 fois sur 4, le ménage a découvert le débit frauduleux sur un relevé d’opérations bancaires. Si le taux de renvoi à la police nationale ou à la gendarmerie atteint ici 95 % (contre 56 % dans l’échantillon), la démarche est très infructueuse dans la mesure où l’auteur de la fraude est encore moins souvent identifié que dans l’ensemble de l’échantillon (99 % vs 97 % en moyenne). Parmi ces ménages réactifs, quelques-uns ont finalement renoncé à déposer une plainte ou à demander une inscription en main courante après s’être déplacés (5 % des ménages du groupe). Sans doute ont-ils appris au moment du signalement à la police que le dépôt de plainte n’était pas nécessaire. En très grande majorité, ces victimes ont opté pour un dépôt de plainte, mais quelques ménages lui ont préféré une main courante (16 % des ménages du groupe), sur les conseils de la police dans un peu plus de la moitié des cas. C’est avant tout l’espoir d’un remboursement qui pousse à la plainte (environ deux fois sur trois), alors même que les banques, rappelons-le, n’ont pas le droit de conditionner le remboursement des sommes débitées frauduleusement (dans la plupart des cas lors d’une opération par Internet) à un dépôt de plainte de leur client. Les données des enquêtes de victimation ne permettent pas de comprendre pourquoi ces victimes passent par la plainte, mais il semble que ce passage « obligé » permet le remboursement. Tout compte fait, les victimes de ce groupe sont remboursées par leur banque neuf fois sur dix. On peut ainsi faire l’hypothèse que les plaintes s’inscrivent dans un contexte où les banques refusent de reconnaître leur responsabilité. En matière de fraude sur Internet, le taux de renvoi pourrait donc être un indicateur de l’ampleur des mesures dissuasives des banques à l’égard de leur client pour obtenir un remboursement. Cette situation n’étonnerait pas les avocats spécialistes du droit bancaire qui estiment qu’« il est rare que les banques remboursent automatiquement les victimes de fraudes. Les clients sont contraints d’engager des contentieux devant la justice pour espérer se faire rembourser [12]. Néanmoins, les banques vont rarement jusqu’aux contentieux devant la justice. Elles sont en fait très souvent responsables de ne pas avoir pris les mesures nécessaires pour vérifier la conformité d’opérations inhabituelles sur les comptes de leurs usagers. Ainsi donc, dans ce contexte où la règle juridique n’est pas appliquée en pratique, ce groupe de victimes développerait-il des compétences pratiques pour forcer l’application de la règle ? On peut aussi se demander si certaines victimes d’escroquerie sur Internet ne seraient pas touchées par des fraudes qui ne relèvent pas de fraudes à la carte bancaire, mais qui procèdent bien de transactions bancaires. Une étude de l’Union fédérale des consommateurs (UFC) Que Choisir [13] montre qu’une part importante du montant total des fraudes procédant d’un débit frauduleux n’est pas supportée par les banques, en particulier dans les situations où aucune règle juridique évidente ne protège les victimes. Pour ces cas, les victimes seraient donc aussi contraintes de développer des compétences spécifiques, de s’engager dans une action et de se mobiliser pour faire reconnaître leur statut de victime et trouver réparation.

23L’enquête de victimation est d’un intérêt limité pour comprendre en profondeur les actions menées par les victimes, que ce soit celles du groupe de victimes passives qui ont néanmoins fait une démarche auprès de leur banque, ou celles des victimes très réactives d’une fraude sur Internet pour qui la plainte semble un point de passage stratégique ou obligé.

Analyse des données du web

24L’énigme posée par l’exploration des données de l’enquête de victimation n’étant pas entièrement résolue, la question demeure : que signifie ce taux de renvoi relativement élevé pour les fraudes bancaires en général, et celles sur Internet en particulier ? Dans un contexte où les données des enquêtes de victimation sont insatisfaisantes pour répondre entièrement à cette question, nous nous sommes tournés vers une autre source d’informations : les données du web, en espérant que celles-ci nous permettent de détecter des victimes de fraudes qui s’expriment sur leur victimation.

25Pour construire notre corpus web, nous nous sommes adressés à l’institut d’étude du web social Linkfluence qui archive quotidiennement et automatiquement le web à l’aide de robots d’indexation pour « capter en temps réel les prises de parole des consommateurs, des marques et de l’ensemble des médias ». À partir d’un jeu de mots clefs relatifs à la fraude en ligne [14], l’équipe de Linkfluence a extrait pour cette étude sur sa base de données un corpus composé de publications issues de Twitter, de sites web, de médias, de commentaires, de blogs et de forums. Un corpus nous a été fourni via le logiciel Radarly qui fournit un tableau de bord analytique qui permet une activité de veilles sur les médias sociaux.

Figure 6

Capture d’écran de l’interface du Logiciel Radarly – à gauche le fil des publications, à droite la time line de 1er octobre 2014 au 31 septembre 2015 en fonction des types de plateforme

Figure 6

Capture d’écran de l’interface du Logiciel Radarly – à gauche le fil des publications, à droite la time line de 1er octobre 2014 au 31 septembre 2015 en fonction des types de plateforme

26Comment explorer ce corpus hétérogène et y détecter les victimations ? Le corpus récolté étant de petite taille, on peut naviguer simplement dans les différentes plateformes à l’aide du tableau de bord analytique. La méthode mobilisée est dite quali-quantitative (Venturini, 2014) : elle opère dans un premier temps par un zoom arrière afin de voir le corpus dans son ensemble ; puis, dans un deuxième temps, par un zoom avant afin d’obtenir un cadrage plus serré sur des situations où les victimes prennent la parole.

27L’analyse de ces prises de parole permet d’élargir la notion de renvoi (la simple déclaration à la police) à celle d’expression publique de l’état de victime sur Internet. Si le renvoi s’adresse directement à l’acteur institutionnel, ne pourrions-nous pas admettre qu’il existe une stratégie de « renvoi » d’une autre nature qui relève du voice (Hirschman, 1970), une forme de réaction où la victime passe par l’annonce ou la dénonciation publique ? C’est ce que les données du web nous ont permis de découvrir. Les plaintes apparaissent dans un processus complexe plus large de l’engagement des victimes. Celles-ci trouvent sur le web un ensemble de ressources informationnelles non institutionnelles (conseils de forums) qui permettent d’orienter les victimes, de solliciter une solution concrète et parfois de susciter une mobilisation collective.

Zoom arrière sur le corpus : une offre de discussions consuméristes

28Radarly permet une vue d’ensemble du corpus en indiquant la distribution du nombre de publications selon les supports médiatiques. Avec un volume atteignant 30 %, les « forums » contiennent le plus grand nombre de publications, devant Twitter (24 %), les sites web (21 %), les médias (18 %) et les commentaires qui leur sont associés (2,7 %), les blogs (3,9 %) et Facebook (0,5 %) [15]. Toutes ces plateformes fournissent les applications permettant les échanges et les prises de parole, ce qui fait du web un aspirateur potentiel des expressions personnelles des victimes ou, plus généralement, des personnes ordinaires qui s’intéressent aux problèmes de sécurité numérique.

29Néanmoins, alors que celles-ci ont de nombreuses possibilités de prendre la parole en public, la masse d’informations détectées par le radar de Linkfluence est composée en majeure partie de publications marchandes, de discours d’experts et d’articles de journalistes (près de 70 % du corpus). La presse traditionnelle traite de l’escroquerie essentiellement sous la forme d’une information généraliste ou de « fait divers ». Dans ce contexte où l’information produite est uniforme et sans analyse, aucun sens des publics (Céfaï et Pasquier, 2003) n’est possible, d’où une très faible proportion de commentaires (2,7 %). Twitter a tout pour fournir un carburant symbolique aux conversations ordinaires (Granjon, 2014), et partant, se constituer comme un baromètre de l’opinion. On trouve en effet quelques tweetos en colère qui adressent publiquement à leur banque un message pour s’en plaindre et la dénoncer – par exemple : « @CreditAgricole et vos obligations en cas de fraude à la carte vous en faites quoi ?! Aucun respect du client !!! » Détecter et estimer l’ampleur de ce type de plainte sur le réseau apporteraient une riche source d’information complémentaire aux enquêtes de victimation, mais, en l’état actuel de notre corpus, ces tweets apparaissent dans une trop petite proportion pour qu’on puisse en dégager une analyse statistique significative. Les publications de tweeters apparaissent le plus souvent comme des relais de l’actualité, parfois détournées par les tweetos en messages d’alerte. Enfin, pour ce qui relève des blogs, à la fois outils d’autocommunication et de communication collective (Cardon, 2008), on observe une part minime du corpus global composé majoritairement de blogueurs spécialistes fournissant une information détaillée, parfois critique, sur les technologies de protection ou les problèmes de « cybersécurité ».

30Sur le plan quantitatif, les supports perçus comme professionnels (média et blog d’experts) restent les éléments majoritaires de notre corpus, ce qui inviterait à adhérer aux constats précurseurs de Matthew Hindman (2008) sur les limites de la démocratie digitale. Néanmoins, les victimes ne sont pas pour autant absentes de l’espace public numérique. On les trouve concentrées sur les « forums », l’un des plus anciens dispositifs d’Internet permettant l’échange d’information et le dialogue sur un thème donné (Akrich, 2012). Les forums offrent en effet la plus grande marge d’actions aux victimes et fournissent la plus riche source d’information pour notre étude (tableau 1).

Tableau 1

Liste des forums en ordre décroissant qui contiennent au moins 10 fils de discussion

Tableau 1
Forum Fils de discussions Forum Fils de discussions http://droit-finances.commentcamarche.net/forum 295 http://forum.quechoisir.org 80 http://forum.lesarnaques.com 294 http://forum-auto.com 75 http://jeuxvideo.com/forums 286 http://60millions-mag.com/forum 72 http://communaute.orange.fr 188 http://fr.custplace.com 64 http://forum.doctissimo.fr 147 http://forum-juridique.net-iris.fr 54 http://aufeminin.com/forum 141 http://legavox.fr/forum 31 http://commentcamarche.net/forum 112 http://experatoo.com 26 http://forum.hardware.fr 92 http://forum.chronomania.net 20 http://lafourmiliere.fr 81

Liste des forums en ordre décroissant qui contiennent au moins 10 fils de discussion

En gris foncé, les éditeurs de contenu ; en gris clair les forums de protection des droits de consommateur ; en blanc les plateformes communautaires des marques

31Cette situation privilégiée des forums tient à la mise en place d’une offre importante de dispositifs participatifs sur le web qui provient, pour l’essentiel, de trois types de fournisseurs d’espaces de discussion : les éditeurs de contenu (comme droit-finances.commentcamarche.net ou doctissimo.fr), les marques qui mettent sur pied des plateformes communautaires (comme communaute.orange.fr ou lafourmiliere.fr) et les associations de protection de consommateurs (lesarnaques.com, quechoisir.org et 60millions-mag.com). Sur ces espaces, les victimes participent à la production d’une information qui occupe une bonne place dans l’organisation du débat public sur la fraude en ligne : cette information produite par les forums est assez bien référencée par les moteurs de recherche. En cherchant une information très spécialisée sur une fraude, les victimes sont orientées en priorité vers les informations laissées par les forums. Ainsi, ces derniers offrent un espace de visibilité aux victimes de fraude en ligne qui donnent à leur propos un véritable caractère public – soulignons-le au passage, c’est un aspect de la victimation (l’action publique des victimes) qui n’a fait l’objet d’aucune étude dans la sociologie pénale française qui jusqu’à présent a étudié les victimes d’infraction dans leurs rapports directs aux institutions pénales.

32Cette mise en publicité des plaintes des victimes n’apparaît pas au hasard de l’arsenal des dispositifs discursifs sur le web. Nous l’avons vu, les prises de parole des victimes se concentrent sur les forums ; une minorité de ces forums concentre la majorité des publications ; ces publications relèvent essentiellement de forums spécifiques (éditeur de contenu, communauté de marques et protection des consommateurs) et non pas de forums d’opinion ou de forums de victimes d’infractions pénales.

33En définitive, les prises de parole des victimes qui intéressent cette étude se concentrent dans des espaces « consuméristes », c’est-à-dire des lieux qui donnent un rôle actif au consommateur et qui lui permettent d’exprimer ses intérêts (Bouille, 2015). Si la structure même de l’univers marchand de la fraude en ligne fait de cette infraction un sujet cohérent pour les forums consuméristes, cet aspect de la fraude ne suffit pas pour expliquer cette concentration. Celle-ci tient plutôt à l’abondante et écrasante offre d’espace de prises de parole sur le web dans le champ consumériste, comparativement au champ de l’assistance des victimes d’infraction pénale. L’État et les associations locales d’assistance aux victimes qui lui sont liés continuent de privilégier le canal téléphonique, alors que les marques de consommations de masse (Raimond, 2010) et les mouvements du consumérisme politique (Bouillé, 2015) ont investi depuis plusieurs années le web en développant des forums d’entraide entre consommateurs, qui permettent aux internautes de se dépanner, de s’informer entre eux, parfois avec l’intervention de professionnels (les représentants des produits ou des activistes du consumérisme politique). Dans ce contexte où l’État n’organise pas sur le web la possibilité de prise de parole des victimes, celles-ci se tournent vers les espaces du consumérisme, ce qui a pour effet de placer la victime davantage dans une logique de relation de service client plutôt que de service public.

34Que les victimes participent à la discussion sur ces forums ou qu’elles y trouvent seulement de l’information en consultant les échanges archivés, la réaction de certaines victimes est liée à l’espace du web. Dans quelle mesure le taux de renvoi, analysé dans la première partie, doit-il à la manière dont le statut de la victime de fraude en ligne s’institutionnalise dans les dispositifs participatifs mis à disposition sur le web ? Et dans quelle mesure l’espace informationnel offert par la critique consumériste offre-t-il de nouveaux moyens de pratiquer le recours légal ?

Zoom avant sur le forum Lesarnaques.com

35Pour répondre à ces questions, nous nous concentrons, par commodité pour l’analyse, sur un seul de ces forums : Lesarnaques.com, l’un des forums contenant le plus de fils de discussion. Créé en février 2002 par « un groupe de bénévoles qui veulent rendre l’(e)-commerce plus transparent, avec comme objectif principal la médiation entre les parties », le forum Lesarnaques.com est animé par une petite association qui regroupe sur son site plus de 3 000 membres. En un peu moins d’une quinzaine d’années, l’association est devenue un acteur important du consumérisme politique sur le web, mais elle occupe une place spécifique dans ce champ. Alors que les associations généralistes de protection de consommateurs tels que UFC-Quechoisir ou 60 millions de consommateurs ont pour vocation première « de faire évoluer la loi et les comportements des professionnels », le forum est « avant toute chose un site d’entraide et de médiation ». Les internautes qui y prennent la parole peuvent y trouver une aide concrète étant donné que les membres actifs de l’association cherchent la résolution des litiges en contactant les professionnels partenaires du forum (certains services clients des marques et des plateformes de e-commerce) ou, dans certains cas de figure, en organisant des recours collectifs en transmettant les plaintes au procureur de la République. En raison de ces caractéristiques, le forum Lesarnaques.com apparaît comme un bon candidat pour analyser les actions concrètes menées par les victimes pour trouver réparation.

36Lorsqu’on parcourt pour la première fois les 173 fils de discussion [16], on est surpris par la variété des situations. Pour en réduire la diversité, une codification du corpus a été réalisée à partir de variables descriptives. Quels sont les problèmes rencontrés ? On peut catégoriser les fils de discussion en trois grandes catégories de situation : ceux qui portent sur des pratiques commerciales qualifiées comme des escroqueries par les victimes (d’où leurs présences dans le corpus) (20 %) ; ceux qui traitent de situations d’escroqueries comme le piratage de numéro de carte bancaire (par exemple, le phishing), l’arnaque au sentiment (40 %) (cf. plus bas pour mieux distinguer ces deux catégories) ; et toute une série de fils de discussions d’une autre nature (40 %), souvent des litiges commerciaux ou des erreurs de la banque, des fils de discussion que nous avons choisi de sortir du corpus. Tous les fils ne sont pas ouverts par des victimes : 28 % des discussions sont des messages d’alerte de personnes qui ont vu venir une tentative d’escroquerie ou une pratique commerciale déloyale ; 11 % des fils représentent des messages de personnes doutant et demandant confirmation au sujet d’une potentielle arnaque en ligne ou d’une pratique commerciale déloyale ; 7 % des fils sont des échanges sur la fiabilité des technologies de sécurisation des paiements en ligne ou par carte bancaire en général. Nous avons choisi de ne pas tenir compte de ces fils de discussion.

37Finalement, nous avons limité notre corpus aux seules situations de victimation, soit 110 fils de discussion. Nous avons considéré comme « victimation » toutes les situations où les personnes se considèrent victimes d’une infraction, que celle-ci relève d’une pratique commerciale ou d’une escroquerie dans le sens pénal du terme. Nous avons codé « pratique commerciale » les situations dans lesquelles les personnes ont souscrit à un service (il s’agit en principe d’un service et non pas d’un produit) et que l’auteur de la victimation ressentie possède un service de relation client. Dans ce cas, la pratique commerciale semble trompeuse. Pour les escroqueries, il s’agit des situations où les personnes sont trompées par des manœuvres frauduleuses.

38Nous avons classé ces 110 fils de discussion en nous demandant si, dans le message d’ouverture du fil de discussion, la personne se présente comme un « être singulier », qui ne parle qu’en son nom, ou comme un « être collectif », qui parle à un degré de généralisation plus élevé (en s’exprimant au nom de toutes les victimes, de la communauté, voire de toute l’humanité) [17].

39Dans un contexte où il est conseillé aux consommateurs victimes d’arnaque de présenter la situation de la manière la plus factuelle possible, la majorité des prises de parole mobilisent un registre argumentatif pratiquement « neutre », ce qui implique de prendre la parole plus souvent pour soi que pour le collectif : 62 % des personnes s’expriment à titre strictement personnel. Le registre neutre des fils de discussion pour soi ne signifie pas pour autant que les victimes qui s’expriment sur le forum prennent une initiative strictement privée. Prendre la parole sur un forum comme les arnaques est un acte consumériste en soi. Passer par l’intermédiaire d’une association de protection des consommateurs pour trouver réparation est une forme d’engagement, même si cet engagement reste circonstanciel et si le forum impose une prise de parole publique la plus factuelle possible, par exemple, ce message au sujet d’une fraude à la carte bancaire et d’une difficulté de remboursement de la banque :

40

« Bonjour, il y a 1 mois 1/2 je me suis aperçue de prélèvements frauduleux. Plusieurs achats effectués sur le NET avec mon numéro de CB (AMAZON, LA REDOUTE, CANAL+, DIGICEL…). Petites sommes par petites sommes, cela se chiffre à plus de 400 euros, ajoutés à cela des frais de banque à cause du découvert que cela a engendré. Ce qui m’a réellement alerté, c’est que je ne suis ni cliente chez Digicel ni chez canal+… Et surtout que 2 autres personnes de mon entourage professionnel sur la même période ont elles aussi été victimes de cette fraude. Bref, j’ai tout de suite contacté ma banque, puis je suis allée déposer plainte à la gendarmerie de mon lieu d’habitation puis au commissariat de mon lieu de travail (je vous passerai les détails, mais un vrai parcours du combattant où la banque et la gendarmerie se sont renvoyé la balle). Après plusieurs mails à ma conseillère, puis à sa direction, j’ai obtenu le remboursement des frais de découvert. Maintenant, je suis dans l’attente du remboursement des achats, normalement c’est un mois, mais ce délai n’est pas respecté et ma banque ne me répond pas (j’habite à plus de 7 000 km de mon agence…). Que faire? Merci. »

41Notons au passage que 38 % des fils de discussion concernent une difficulté de remboursement par la banque ou l’intermédiaire de paiement et que l’essentiel de ces fils de discussion indique un dépôt de plainte. L’importance du taux de renvoi observé à partir des enquêtes de victimation pourrait s’expliquer en partie par cette difficulté qu’ont les victimes à faire reconnaître leur victimation auprès des banques. La plainte apparaît bien dans ce cas de figure comme un moyen pour faire pression sur la banque. Mais le renvoi n’est qu’une des étapes du long processus de production statutaire de la victime d’escroquerie. Comprendre la condition de victime doit passer par l’analyse du contraste entre ce type de situation où l’internaute vient demander de l’aide et de l’information pour lui-même avec celui où les victimes s’expriment en mobilisant un collectif plus large. Il apparaît que les fils de discussion collectifs concernent de façon égale les escroqueries et les pratiques commerciales (on ne trouve pas de corrélation statistique significative). Par contre, les fils de discussion pour soi font majoritairement référence à des escroqueries (une liaison statistique extrêmement significative dans ce cas de figure).

42En essayant d’expliquer ce lien entre le degré de généralisation et l’origine du mécontentement, on découvre une situation en apparence paradoxale : les personnes victimes d’escroquerie ont tendance à se plier davantage à la logique du forum en essayant de faire valoir leur victimation comme une cause consumériste (d’où la « neutralité » qui est le meilleur moyen pour les victimes de rendre leur victimation légitime du point de vue de l’espace d’action du forum), alors que les victimes de pratiques commerciales débordent du cadre du forum et incriminent les auteurs de ce qu’ils considèrent être une infraction pénale [18].

43Ce transfert de catégorie de représentation dans les registres de la réparation – les pratiques commerciales traitées sur un registre pénal d’un côté et les escroqueries traitées sur un registre consumérisme de l’autre – relève de deux stratégies différentes des victimes pour obtenir indemnisation et gagne cause. Pourquoi en arrivent-elles à procéder de cette manière ? Observons une à une ces deux stratégies qui donnent à voir les compétences des victimes et les attitudes morales qui leur sont associées.

Consumérisme pénal

44

ATTENTION !!! ALERTE !!! FRAUDE A LA CARTE BANCAIRE = VOL SANS CODE ORGANISME CONCERNE : http://WWW.CASTING.FR

45Le début du message de cet internaute insatisfait du site Casting.fr (une plateforme payante qui rassemble des annonces de casting dans des domaines artistiques variés) illustre bien ces pratiques commerciales traitées sur un registre pénal – ce que nous qualifions de consumérisme pénal. La victime de Casting.fr s’explique dans la suite de son message : il s’estime trompé par le site, car il ne trouvera aucune annonce correspondant à son secteur géographique, sans doute à raison, car le site promet dans son bandeau publicitaire des annonces sur toute la France. Les pratiques commerciales de ce type, qui apparaissent comme trompeuses dans le fil de discussion, sont les « situations » qui suscitent l’indignation la plus vive, bien plus encore que les escroqueries. L’exemple des internautes qui dénoncent le site bestparticuliers.com (JFC communication), dont « le but est de faciliter la mise en relation et la vente de biens immobiliers entre particuliers », illustre bien ce type de situation. Les personnes qui se plaignent de ce type de site évoquent toutes un scénario similaire : après avoir fait paraître une annonce de vente sur un site spécialisé, elles sont contactées par téléphone par une personne se présentant comme mandataire immobilier pour des clients en recherche de biens immobiliers et, partant, prétendant avoir un acquéreur potentiel pour leur bien. Moyennant un forfait de 359 €, présenté comme un dépôt de garantie et à payer exclusivement par carte bancaire, elle assure un rendez-vous avec l’acheteur et fixe immédiatement une date et une heure. Le litige (l’escroquerie pour les internautes) tient au fait que le rendez-vous de visite n’est jamais honoré et que les internautes ont des difficultés à obtenir le remboursement de la somme de 359 € alors qu’ils utilisent le délai de rétractation. L’enjeu pour le consommateur est alors de faire admettre, auprès des services de police ou de gendarmerie et de leur banque, que cette pratique commerciale relève d’une véritable fraude. Comme le montre bien l’extrait ci-dessous, dans un contexte où la transaction marchande procède d’un virement bancaire, le consommateur peut renvoyer un « débit frauduleux » :

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« Bonjour. J’ai contacté par mail la société JFC Communication leur disant que j’allais porter plainte à la gendarmerie pour fraude à la carte bancaire. Ils m’ont répondu qu’ils avaient pris en compte ma rétractation, mais qu’il leur restait un mois pour me rembourser. Depuis, nada ! J’irais porter plainte et on verra bien ce que la banque peut faire pour fraude. Je n’attends pas grand-chose, mais je vous tiens au courant. Bon courage à tous et luttons contre ces [censuré] ! »

47Alors même « qu’il n’attend pas grand-chose », cet internaute s’engage pour dénoncer cette pratique. D’autres fils de discussions, sur le même cas, relèvent du même degré élevé de généralisation :

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« Dans quel monde vivant nous !!! En qui peut-on faire confiance !!! J’espère que mon message pourra vous aider à prévenir et lutter contre ce genre de pratique. » Ou encore : « J’aviserai différents organismes ou je m’associerai à des clients floués pour aboutir à un résultat ou pour permettre que cela s’arrête. »

49On retrouve cette même forme de dénonciation pour les pratiques commerciales qui sont plus simplement décevantes, mais que les personnes suspectent d’être de véritables « arnaques organisées ». Ce cas de figure est observable avec les « cartes prépayées », ces cartes de paiement rechargeables qui permettent de disposer d’un moyen de paiement électronique sans ouverture de compte bancaire. Il arrive souvent que, sur certaines cartes, les fonds soient bloqués (à cause du temps long de la procédure de validation) ou que les paiements soient rejetés malgré la provision. En matière de cartes prépayées, nombreuses sont les dénonciations publiques où la déception du consommateur tourne à la suspicion de victimation :

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« Voilà, ne faites pas la même erreur j’ai perdu 300 euros, j’ai déposé plainte pour [censuré] apparemment d’après ce que la gendarmerie m’a dit il y aurait beaucoup de plaintes en cours contre eux. UNE HONTE PRENNENT ARGENT DES CLIENTS LES VIREMENTS NE SONT JAMAIS CREDITE SUR LES CARTES À FAIRE SAVOIR À TOUS NE VOUS FAITE PAS AVOIR COMME MOI !!! et d’après les différent forum de client ce plaignant comme moi il y a toujours une personne qui viens les défendre avec de belle parole ne vous fier pas c’est une personne du site qui viens essayé de sauver leur peau pour continuer à pouvoir voler les pauvre gens comme moi, d’ailleurs son message ici ne devrai pas tardé CORPEDIA FINANCIAL FUIR [censuré] CC Désolé si faute d’orthographe. »

51Alors que les responsables de la relation client de l’entreprise accusée d’« escroquerie » semblent être intervenus sur le forum pour tenter de régler le litige, cet internaute persiste à signaler un cas d’escroquerie. Ce qui est intéressant, c’est qu’il n’est pas le seul à réagir de cette manière. Les pratiques déloyales (souvent trompeuses) et les déceptions de consommateurs prennent des formes hétérogènes, mais ont le point commun de susciter une prise de parole très virulente. Pour des montants parfois ridicules (une dizaine d’euros), certains n’hésitent pas à lancer un fil de discussion, à porter plainte, et il arrive même que la police ou la gendarmerie enregistre la plainte. Au final, la pratique déloyale est finalement étiquetée comme une infraction pénale par les services de police ou de gendarmerie. On voit bien ici comment l’incrimination relève d’un acte politique.

La victime consommatrice de sécurité

52Alors que pour les pratiques commerciales considérées comme déloyales, la prise de parole sur le forum est une manière pour les personnes « de faire scandale », de rendre leur affaire publique et de générer de la mauvaise publicité, les « véritables » infractions d’escroqueries suscitent des réactions plus mesurées, davantage tournées vers la recherche de solution pratique pour être indemnisée. La lecture des fils de discussion montre que les réactions aux escroqueries procèdent rarement d’une indignation publique. Les victimes d’escroquerie interviennent sur le forum pour faire la preuve de leur victimation, se déresponsabiliser et déclencher une action publique. On va voir que ce déclenchement dépend de l’endroit où se placent le curseur de la responsabilité de la victime et son corollaire, la faille de sécurité. Trois cas permettent de montrer les différents degrés de responsabilité et ce qu’ils impliquent en matière d’action collective : les sites frauduleux (arnaque par la vente en ligne), les escroqueries entre particuliers (sites de petites annonces) et les victimes d’escroquerie par abus de faiblesse (les arnaques au sentiment sur les sites de rencontre). Respectivement, ces trois exemples impliquent des degrés de responsabilisation de la victime différents, qui vont de la déresponsabilisation totale à la culpabilité totale. Observons respectivement ces trois cas.

53En novembre 2014, plusieurs personnes commencent à s’inquiéter de ne pas avoir reçu leurs articles commandés sur le site de vente en ligne Achat-Exclusif. Plusieurs fils de discussion sont lancés en même temps sur le forum. Lors des premiers échanges, les personnes doutent de la réalité de leur victimation : s’agit-il d’un retard de livraison généralisé ou d’une véritable arnaque organisée ? Le doute demeure un temps. Contrairement aux sites frauduleux classiques qui utilisent une technique similaire à celle du fishing (un faux site), Achat-Exclusif a diffusé un message publicitaire sur plusieurs grandes stations de radio françaises en annonçant des produits de mode à des prix très attractifs. Le site possède un service client qui répond au téléphone pendant une semaine. Au bout d’une quinzaine de jours, le site disparaît de la toile et le service client avec. Les clients du site estiment alors avoir été victimes d’une arnaque [19]. Plusieurs fils de discussion s’ouvrent dans lesquels les victimes échangent sur la marche à suivre pour être remboursées le plus rapidement possible. Certains pensent pouvoir se retourner vers leur banque pour demander le remboursement de la commande non honorée, mais seules les victimes qui ont souscrit à une assurance avec leur carte bancaire peuvent espérer une indemnisation. Nombreux sont ceux à vouloir se retourner contre les radios qui auraient « cautionné » ce professionnel malveillant. D’autres, cherchant une solution immédiate, veulent en découdre directement à l’adresse du gérant. Face à l’agitation sur le forum, l’association Lesarnaques.com propose de rassembler les plaintes pour les faire enregistrer au service compétent du Procureur de la République de Paris. Elle dépose plus de 500 plaintes. Un autre groupe constitué sur Facebook en dépose davantage (il est compté près de 6 000 victimes au total). Ce type de recours collectif, possible depuis 2014, s’avère une bonne initiative pour faire reconnaître ce type de victimation et trouver réparation auprès de l’État. En effet, en rendant compte de l’ampleur de l’escroquerie, la dimension collective du recours a poussé la Direction départementale de la Protection des populations (chargée de la répression des fraudes) à se saisir du dossier. Une véritable mobilisation de victimes d’une fraude collective prend forme, mais aucun fil de discussion ne laisse apparaître un argumentaire sur un registre consumérisme s’exprimant dans l’intérêt général. Si ce n’est pas a priori pour une « cause publique », à quoi tient le rassemblement de ce groupe circonstanciel de victimes (Vilain et Lemieux, 1998) ? Pour que le groupe se constitue collectivement sur le site, il faut que leur victimation s’inscrive dans le cadre de la cause défendue par l’association : toujours celle de la protection des consommateurs, en l’occurrence ici les clients d’un site marchand, et non pas les victimes d’un faux site de fishing. Nul ne peut dire encore aujourd’hui s’il s’agit d’une véritable arnaque organisée ou d’une faillite d’Achat-Exclusif. Seule la justice pourra se prononcer sur le degré d’intention du gérant. Ici la cause défendue est moins la sécurité numérique que la consommation de vente en ligne en général. Dès lors, ce qui se joue de prime abord, c’est le degré de responsabilité de la victime. Cet extrait résume bien la rigueur des critères exigés pour qu’un consommateur puisse être considéré comme une victime légitime au regard de la cause défendue :

54

« Je suis allée à la gendarmerie déposer plainte et ensuite faire opposition sur ma carte bleue, car maintenant qu’ils ont le numéro rien ne les empêche de s’en servir.
Je tiens également à dire que je suis HYPER-vigilante, et qu’avant de commander j’ai fait tout ce qui était possible.
  • vérif du petit “s” dans l’adresse, signe “normalement” sécurisé
  • vérif sur sites légaux français si le site est déclaré frauduleux
  • visite des forums (censuré)
  • lecture des conditions générales et du site, aucune faute d’orthographe, info complètes
  • téléphone et adresse en France
Donc vous voyez, si certains d’entre vous culpabilisent, arrêtez, on s’est fait avoir par des pros de l’[censuré].
Espérons que notre plainte collective aboutira….
Merci pour cette initiative qui nous laisse un peu d’espoir. »

55Pour que le forum puisse jouer pleinement son rôle, il faut que les victimes parviennent à démontrer l’absence totale de responsabilité. Dans un espace consumériste, l’infraction pénale et la victimation qui lui est associée sont d’abord jugées à l’aune de la responsabilité civile de la victime. Seul le consommateur « HYPER-vigilant » peut espérer trouver de l’aide pour constituer un recours collectif. C’est ce qui explique que, sur un forum dont la cause première est le consumérisme, le recours collectif ne prend pas pour toutes les escroqueries.

56Le cas de Gilflo illustre bien la difficulté pour certaines victimes d’escroquerie à remplir tous ces critères, monter un groupe et se mobiliser collectivement. Gilflo est un internaute victime d’une arnaque sur le bon coin qui vient chercher sur le forum, comme beaucoup d’autres vendeurs sur les sites de petites annonces, une solution à l’arnaque dont il a été victime dans un contexte où PayPal le responsabilise entièrement et, dans le même temps le pénalise. Le fil de discussion ouvert par Gilflo titré « Agir contre PayPal » illustre bien ce type de situation où les victimes cherchent, pour faire reconnaître la responsabilité de l’intermédiaire de paiement, à engager une action collective :

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« J’ai été victime d’une [censuré] toute simple sur PayPal. J’ai eu la faiblesse de remettre l’objet que je vendais en main propre, puis le lendemain, après que j’ai viré l’argent de la vente sur mon compte, l’acheteur a déclaré un litige disant qu’il n’avait pas l’objet. PayPal s’abrite derrière ses conditions générales de vente (CGV), rembourse l’achat à l’acheteur puisque je ne peux pas fournir de preuve d’envoi postal, et me demande maintenant de renflouer mon compte. La société se lave les mains des [censuré] et se retourne vers l’[censuré], c’est un comble. Ces CGV ne sont jamais rappelées au vendeur occasionnel et la société ne met aucun avertissement à propos de ces [censuré] hyper-simples. Donc je ne vois qu’une solution : j’essaie de monter un dossier sur actioncivile.com [un site d’action collective pour la défense des consommateurs]. J’ai l’impression que de nombreux vendeurs sont dans mon cas. »

58Si Gilflo a préféré remettre en main propre le produit qu’il vendait, c’est parce qu’il a déjà eu une mauvaise expérience avec un colis envoyé en recommandé par la poste, mais qui n’est jamais arrivé à l’acheteur. En croyant sécuriser sa transaction, il n’a pas respecté les conditions générales de vente de PayPal. Il se retrouve entièrement responsabilisé au regard des règles commerciales de PayPal, comme le lui rappelle non sans sarcasme un membre du forum :

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« J’ose espérer que vous allez aussi attaquer en justice tous les constructeurs de voitures parce qu’ils vous ont vendu une voiture qui vous aura valu un procès-verbal pour excès de vitesse. Puisque ce sera leur faute que vous n’avez pas respecté les règles. C’est la même chose pour PayPal. Ces derniers proposent une assurance avec leurs services. Elle comporte des conditions. Vous ne les avez pas respectées. Voilà les conséquences. »

60Quelques vendeurs rejoignent le fil de discussion pour partager leur désarroi, mais la mobilisation collective tentée par Gilflo ne prend pas. Nombreux sont les membres du forum à tenir les vendeurs comme Gilflo pour responsables, alors même qu’ils n’ont pas suscité ni recherché la situation dans laquelle il se trouve. Peut-être que Gilflo a trouvé davantage de succès sur un autre forum par lequel les équivalences d’une victimation et une mobilisation ont pu être construites autrement.

61Sur le forum Lesarnaques.com, la situation est encore plus désespérée si l’intermédiaire de paiement est absent dans la transaction frauduleuse. C’est le cas des arnaques aux sentiments sur les sites de rencontre. Le cas de cette victime d’une « arnaque sentimentale », dont la victimation dépasse les 11 500 euros, montre bien comment, dans ce type de situation où la victime a été manipulée et dupée, les personnes cherchent d’abord à se constituer un dossier pour faire reconnaître leur victimation, avant même toute forme d’indignation publique :

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« […] Donc mon compte est bloqué avec une dette de 11 500 €. Ma banque me signale d’aller à la Banque de France pour signaler mon surendettement. Je prends conscience que je me suis fait arnaquer. Je vais déposer une main courante à la police et déposer un dossier de surendettement à la Banque de France. De mon côté, j’ai gardé tous les mandats et tickets PCS. J’ai aussi tout l’historique de notre conversation sur Skype. Aujourd’hui, je n’ai plus de compte et plus un sou pour vivre. Que dois-je faire de plus ? Votre aide, conseils, me seront les bienvenus. Merci. Cordialement. »

63La politesse du message laissé par cette internaute contraste avec les formules agressives des victimes d’une pratique commerciale déloyale qui pour 3 euros peuvent chercher à lier toute l’humanité à leur cause (on voit bien ici que les déterminants financiers du renvoi restent une mauvaise explication). Ici la gravité de la situation impose le renvoi au service de police, mais n’implique pas d’invoquer le collectif. C’est que pour les arnaques sur les sites de rencontre, la faille de sécurité vient d’abord de la victime elle-même, du moins d’un point de vue consumériste. Dès lors, le forum Lesarnaques.com ne peut pas faire grand-chose pour ce type de victime qui stratégiquement imite la figure du consommateur lésé en postant un message des plus épurés. Dans un espace consumériste, la victimation d’une escroquerie est évaluée d’abord en fonction des responsabilités commerciales. Autrement dit, si la responsabilité relève d’un service commercial, alors l’association peut aider la victime à faire valoir ses droits de consommateur de sécurité, mais seulement sous ces conditions. Si les modérateurs ont le réflexe de l’orienter vers des espaces spécialisés [20] ou des associations locales de protection des victimes du réseau de la Fédération nationale d’aide aux victimes et de médiation (INAVEM), l’attitude morale de la victime pourrait changer de nature – le registre de la discussion deviendrait celui de la vulnérabilité de la victime et des conséquences psychosociales de la victimation. Mais l’offre de prise de parole sur le web est dominée par l’espace consumériste et les victimes d’escroquerie ont, tout compte fait, des possibilités de prise de parole en public très limitées. Ce transfert de catégorie stratégique que font les victimes d’arnaque aux sentiments en allant sur le forum Lesarnaques.com pour prendre la parole montre que l’efficacité de l’attitude morale des victimes dépend de l’espace social dans lequel celles-ci prennent la parole.

L’emprise de l’escroquerie s’étend dans l’espace social de la réparation

64Ces quelques cas de figure prélevés dans notre corpus peuvent être analysés avec le concept de prise développée par Bessy et Chateauraynaud (1995) : avoir prise sur l’escroquerie implique de pouvoir faire correspondre l’expérience de l’escroquerie et les catégories de représentation désignant cette escroquerie. Ce concept nous permet de comprendre les difficultés d’ajustement de la victimation, dans sa matérialité (la procédure de la fraude) et la classification qui lui est attribuée. Le choix d’une classification n’est pas totalement arbitraire : pour les victimes, c’est une stratégie pour essayer de trouver une prise d’abord sur l’arnaque, puis sur l’espace social dans lequel se déploient les aides pour trouver réparation. C’est la double condition de l’efficacité de la prise. Dans de nombreux cas de figure, la prise sur l’escroquerie est simple à réaliser, car la matérialité de la fraude est bien connue et standardisée. Il suffit aux victimes de décrire la situation de la manière la plus épurée afin que les membres de l’association puissent faire au mieux leur travail de protecteur des consommateurs (en principe tout rentre assez vite dans l’ordre). Or, nous l’avons vu, dans 40 % des cas du corpus Lesarnaques.com, cette condition est difficile à remplir, car l’escroquerie prend une forme tellement singulière qu’il devient laborieux pour la victime de trouver des repères et se plier à sa victimation. C’est le propre de l’escroquerie que de se constituer à partir d’une série d’informations trompeuses qui invite malicieusement la victime à faire fausse route pour agir contre elle. Nicolas Auray (2012) l’a montré dans son article sur les victimes de spams, l’escroquerie procède d’un entraînement de la victime dans « un régime d’emprise » (Chateauraynaud, 2015). Ce que nous observons sur le forum Lesarnaques.com, c’est que l’emprise de l’escroquerie ne se limite pas au moment du passage à l’acte de l’escroc. Elle étend son territoire à l’espace social de la réparation. Les victimes essaient à leur tour de créer le trouble pour se défendre en inversant le jeu des qualifications (l’incrimination pour les pratiques commerciales et le consumérisme pour l’infraction pénale). Elles imitent en quelque sorte les arnaqueurs en opérant un déplacement. En fait, l’arnaque, lorsqu’elle n’est pas encore codifiée (par la police ou d’autres experts qui catégorisent régulièrement la diversité des escroqueries), procède d’une innovation qui désarme l’indignation et, partant, les victimes prises dans un impératif de justification pour trouver réparation. L’inversion des catégories de représentation est la manifestation d’une forme de désengagement moral de la victime, une sorte de dissonance cognitive stratégique, qu’il faut prendre au sérieux pour comprendre la réaction des victimes. Tout se passe comme si les victimes avaient besoin de feinter à leur tour pour contrer la ruse de l’escroquerie dont elles découvrent avec effroi toute l’étendue.

Conclusion

65Qu’apporte cette mise en regard de ces deux sources de données différentes ? Aucune comparaison directe n’est possible entre l’enquête de victimation et l’étude numérique, la première mesure le renvoi, la deuxième détecte les prises de parole des victimes. Observons néanmoins qu’elles sont complémentaires : derrière le taux de renvoi relativement élevé et la persévérance des victimes de fraude sur Internet, on découvre par les données du web tout l’effort que les victimes doivent déployer pour se déprendre de leur victimation.

66La spécificité de l’escroquerie est d’étendre son emprise sur l’espace de la réparation. Cette spécificité n’a pas été intégrée dans l’enquête de l’INSEE qui mesure le renvoi en matière de débits frauduleux comme elle le fait pour n’importe quelle autre forme d’atteinte au bien. Les données du web ont permis d’échapper aux catégories préconstruites du questionnaire de l’INSEE. Elles permettent de repenser ces catégories en apportant des éléments de connaissances essentielles pour la refonte d’un autre questionnaire : d’abord, de manière simple, le questionnaire gagnerait à intégrer des questions relatives aux interactions entre les victimes et les banques. Il devrait aussi mieux situer le contexte du paiement sur Internet en permettant de comprendre le rôle des intermédiaires du commerce en ligne qui assurent les transferts d’argent entre banque et acheteur, tout en proposant un service d’assurance des transactions (comme PayPal par exemple). Ensuite, mais la tâche est plus complexe, il faut trouver le moyen de situer la nature de la fraude pour distinguer la pratique commerciale considérée comme un débit frauduleux, car elle est perçue comme déloyale, de l’escroquerie qui se transforme en litige entre la victime, sa banque, son assurance et l’intermédiaire de paiement.

67L’étude numérique apporte plus qu’un point de méthode. Elle montre que l’escroquerie relève moins d’une question pénale que commerciale. En effet, la macroscopie du web, réalisée grâce au logiciel Radarly, montre que le public réactif de l’escroquerie se constitue dans l’espace du consumérisme. Autrement dit, si les prises de parole de ces communautés de victimes sur le web conduisent à un engagement social et politique qui dépasse l’engagement numérique, elles restent majoritairement cadrées par une logique consumériste, et non pas dans la logique des associations locales des victimes d’infractions pénales (INAVEM) ou de celle des associations spécialisées en matière d’escroqueries (comme l’AVEN, mentionnée plus haut). Cette offre d’espace de discussion limite dans le même temps la possibilité de la formulation d’un projet politique qui poserait la question des conditions d’accès pour tous à la protection.

68L’insécurité numérique ne se pose pas dans le registre classique de la sécurité publique qui s’est historiquement imposée comme le lien fondamental entre l’État et le citoyen. L’État, débordé par l’ampleur des débits frauduleux, transfère la responsabilité sur les banques, les assurances et le secteur marchand, alors que l’escroquerie procède d’une innovation, sans cesse renouvelée, dont le principe même est de semer le trouble dans la recherche des causes et des responsabilités. Dans bien des cas, lorsque l’innovation frauduleuse est bien ficelée, le modèle marchand et assurantiel protège mieux les banques et les intermédiaires du commerce en ligne que les victimes ordinaires. Une sociologie de l’escroquerie en ligne par la description des asymétries de prise (Chateauraynaud, 2015) reste à faire.

Notes

  • [1]
    Le Code pénal définit l’escroquerie comme le fait de tromper une personne physique ou morale et de la déterminer ainsi, à son préjudice ou au préjudice d’un tiers, à remettre des fonds, des valeurs ou un bien quelconque.
  • [2]
    Rapport de l’ANSSI : Stratégie nationale pour la sécurité numérique : une réponse pour les nouveaux enjeux des usages numériques, http://www.risques.gouv.fr/sites/default/files/upload/20151014_snsn_fr_web_v1x.pdf, consulté le 27/04/2016.
  • [3]
    Sur ce point, il faut consulter le rapport récent du magistrat Marc Robert (2014) qui met en avant le besoin de protection des internautes.
  • [4]
    Dominique Boullier (2015) a conceptualisé ces deux générations de sociologie qui procèdent de conventions différentes. Alors que les enquêtes de victimation de l’Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE) collectent les expressions individuelles, filtrent et domestiquent les prises de parole des victimes en les cadrant dans les questionnaires, les études numériques captent les traces laissées par les internautes sur les plateformes en saisissant la parole des victimes sans qu’on la leur demande.
  • [5]
    Une version plus détaillée de cette première partie est consultable en ligne dans la revue Questions pénales (Benbouzid et Peaucellier, 2016).
  • [6]
    Il s’agit de la définition du « débit frauduleux » donnée aux répondants de l’enquête CVS au moment où les enquêteurs posent la question : « Est-il arrivé qu’un débit frauduleux soit effectué sur l’un de vos comptes bancaires ? »
  • [7]
    Les enquêtes nationales de victimation réalisées par l’INSEE (dites enquêtes cadre de vie et sécurité) interrogent chaque année un échantillon de population (16 600 individus en moyenne) sur les infractions dont ses membres disent avoir été victimes au cours des deux années précédentes. L’enquête CVS se dote en 2011 d’un nouveau module de 52 questions entièrement consacrées aux escroqueries bancaires.
  • [8]
    La base d’étude est constituée des résultats cumulés des exercices 2011, 2012 et 2013 de l’enquête CVS. L’effectif total de la population interrogée s’élève ainsi à 45 145 ménages.
  • [9]
    Article L133-19 du Code monétaire et financier en son paragraphe II, en application de la directive européenne Sepa (Single Euro Payments Area – Espace unique de paiement en euros) entrée en vigueur le 1er novembre 2009.
  • [10]
    Le phishing (ou hameçonnage en français) est une technique utilisée par des fraudeurs pour obtenir des renseignements personnels. Elle consiste à faire croire à la victime qu’elle s’adresse à un tiers de confiance – banque, administration, etc. – afin de lui soutirer des renseignements personnels : mot de passe, numéro de carte de crédit, date de naissance, etc.
  • [11]
    En mobilisant la méthode de classification ascendante hiérarchique, une typologie des ménages victimes a pu être construite à partir des résultats de l’ACM, de façon à les regrouper en fonction de leurs ressemblances dans des groupes les plus homogènes possible. À chaque groupe correspond un profil moyen, dressé à partir des caractéristiques les plus partagées par les membres du groupe.
  • [12]
    Le Parisien, « Alerte à la fraude au crédit mutuel et à la banque postale »,19 mai 2014. http://www.leparisien.fr/espace-premium/actu/alerte-a-la-fraude-au-credit-mutuel-et-a-la-banque-postale-19-05-2014-3852357.php, consulté le 27/04/2016.
  • [13]
    Fraude à la carte bancaire sur Internet : l’UFC-Que Choisir donne les codes pour une sécurité renforcée ! http://image.quechoisir.org/var/ezflow_site/storage/original/application/83f4417e31338af6bb5499bf735ebb0d.pdf, consulté le 27/04/2016.
  • [14]
    La requête utilisée est la suivante : “phishing” OR “hameçonnage” OR “skimming” OR “arnaque*” OR “escroquerie*” OR “filouterie*” OR “filoutage*” OR “fraude*” OR “contrefaçon* de carte*” OR “vol* de carte*” OR “Arnaque à la nigériane” OR “Fraude* nigériane*” OR “Smishing” OR “usurpation d’identité” OR “ransonware” OR “winwebsec” OR “yes card*” OR “yescard*”.
  • [15]
    Le score obtenu pour Facebook par Radarly n’est pas représentatif, car l’accès est limité à une petite portion de comptes publics.
  • [16]
    Des 294 fils de discussion détectés par Radarly, nous avons pu reconstituer entièrement 173 fils de discussion à partir du site Lesarnaques.com. Les 121 fils de discussions manquants ont pu être effacés entre-temps par les modérateurs du forum.
  • [17]
    Pour réaliser ce codage, nous nous sommes inspirés du travail de Sandrine Barrey (2002) qui a analysé un corpus de lettres de consommateurs adressées au service clients d’une grande enseigne commerciale.
  • [18]
    On est au cœur de la tension qui sous-tend le forum Lesarnaques.com : régulièrement accusé de diffamation par les marques, le forum a dû fermer son site en février 2016 pour en ouvrir un autre appelé cette fois litige.
  • [19]
    Ce site frauduleux aurait causé un préjudice total de 1,2 million d’euros et aurait dupé plus de 6 000 personnes en proposant des produits de mode à des prix très attractifs. Cf. la couverture médiatique de cette affaire par RTL.
  • [20]
    Comme le site de l’association des victimes d’escroquerie à la nigériane et d’usurpation d’identité (AVEN), mais cette association ne propose pas de forum de discussions.
Français

L’escroquerie en ligne est un phénomène de prédation de masse relativement nouveau pour la justice et les particuliers. Comment les victimes réagissent-elles et quelles ressources mobilisent-elles suite à leur victimation ? En traitant les données des enquêtes nationales de victimation, nous avons découvert un taux de renvoi relativement élevé qui a soulevé une question : pourquoi un tel niveau quand on sait que, pour les infractions bancaires liées à Internet, les victimes n’ont plus besoin d’aller jusqu’à la plainte ? Une analyse des prises de parole sur des forums de discussion en ligne montre que la plainte n’est qu’une des étapes d’un long processus de production statutaire des victimes d’escroquerie en ligne durant lequel celles-ci sont contraintes de développer des compétences spécifiques, de s’engager dans une action et de se mobiliser pour trouver réparation.

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Bilel Benbouzid
UPEM, LISIS
Sophie Peaucellier
Université Versailles-Saint-Quentin-en-Yvelines, CESDIP
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Mis en ligne sur Cairn.info le 06/07/2016
https://doi.org/10.3917/res.197.0137
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