CAIRN.INFO : Matières à réflexion

Edward W. SAID, Freud und das Nicht-Europäische, Zurich, Dörlemann Verlag, 2004.

1Le livre posthume Freud und das Nicht-Europäische d’Edward Said traite de la question de l’identité et de l’appartenance nationale des personnes exilées. Cet ouvrage se base sur un discours prononcé par Edward Said à Londres en 2003, dans lequel il évoqua la vie de Sigmund Freud et de ses relations par rapport au sionisme et à l’antisémitisme qui émergea en Europe occidentale au début des années 1930. Ce livre fait un parallèle fascinant entre l’auteur, Edward Said – de nationalité palestinienne et né à Jérusalem, il grandit au Caire et habita jusqu’à sa mort aux États-Unis, où il était professeur de littérature à l’Université de Columbia à New York –, et son objet d’analyse, Sigmund Freud, Juif non croyant et exilé à Vienne et Londres jusqu’à sa mort en 1939.

2Non croyant, Freud était très préoccupé par la question de la relation entre le judaïsme-nationalité et le judaïsme-religion : la nationalité juive est-elle compatible avec la non-croyance en Dieu ? Un Juif non croyant comme Freud peut-il avoir un héritage juif ? (p. 36). Freud aborda ces questions dans son livre sur Moïse intitulé Der Mann Mose und die monotheistische Religion [1]. Moïse était d’une nationalité étrangère et reçut une éducation égyptienne. Malgré cela, il devint le symbole de l’identité juive. Ce paradoxe fut aussi analysé par d’autres chercheurs comme Josef Hayim Yerushalmi, ou Jacquy Chemouni [2]. Freud et Yerushalmi montrent encore que la religion juive n’était pas fondatrice du monothéisme, comme on l’a souvent pensé, et que le monothéisme se trouvait déjà chez les Égyptiens à travers la figure du dieu Ikhnaton.

3Si l’on essaie de voir l’importance de ce livre aujourd’hui, on en vient à se poser deux questions :

41 / Quelle est l’identité nationale de l’État d’Israël ? Est-ce un État juif, un État européen ? C’est la question que se posa Sigmund Freud (p. 49). Il est intéressant de noter qu’il répondit « non » à cette question, en raison du mélange des autres peuples de la Méditerranée et de l’héritage culturel méditerranéen [3]. Pour Edward Said, cependant, cette réponse de Freud n’est pas consistante, puisqu’il fit aussi l’argument que le fondateur du peuple juif, Moïse, était Égyptien et, donc, non Européen [4]. Ce paradoxe nous montre qu’il existait déjà une réaction à l’émergence de l’antisémitisme des années 1930 en Europe, une réaction qui affirmait les origines européennes du peuple juif.

5En vue de l’actuelle discussion sur la promotion de la démocratie au Moyen-Orient, il est important de se rappeler que l’État d’Israël est la seule démocratie à ce jour. Ce caractère démocratique d’Israël ne peut pas aujourd’hui être nié, même si l’identité nationale de l’État n’est pas encore déterminée.

62 / Quelle est l’identité nationale juive ? L’exemple de Sigmund Freud et ses réflexions sur Moïse montrent que la réponse à cette question est malléable, ce qui se vérifie d’ailleurs de nos jours en Europe du Sud-Ouest et d’ailleurs [5].

7Ce livre, très intéressant, est fort bien écrit, et nous espérons que la version française aura autant de succès que l’original en anglais [6].

8Rolf SCHWARZ,
Institut universitaire de hautes études internationales,
Genève.

John HIDEN, Defender of Minorities, Paul Schiemann, 1876-1944, Londres, Hurst & Co., 2004 (314 p.).

9John Hiden est depuis de nombreuses années au cœur de la production anglophone sur les Pays baltes. Il vient de l’enrichir d’une biographie de Paul Schiemann, l’occasion de s’arrêter sur la figure de cet homme politique et publiciste letton.

10Né à Riga en 1876, Paul Schiemann vit ses années de formation dans l’univers des Allemands de la Baltique, anciens maîtres des provinces baltiques dont l’heure passe lentement sous la pression des mouvements nationaux baltes et de la « russification » impériale. Fils d’un Litteraten et neveu de l’historien et conseiller de Guillaume II Theodor Schiemann, Paul vit ses années de formation entre l’Allemagne et l’Empire russe. Critique de théâtre à Tallinn en 1905, il utilise le journalisme comme tremplin à son activité littéraire et politique. Or sa personnalité détonne dans le petit milieu des clubs allemands de Tallinn. D’esprit libéral, il est attaché à la démocratie alors que son univers est dominé par la vision conservatrice des Ritterschaften. Arc-boutés sur un statut en péril et regardant vers l’Allemagne impériale comme vers une patrie du cœur, ces descendants de la noblesse rurale ne lui pardonnent pas le jugement sans concessions qu’il porte sur eux. Ayant fait l’expérience de la russification et de la vigueur du sentiment national estonien ou letton, Schiemann stigmatise en effet la mentalité de noblesse assiégée des Allemands de la Baltique. Il refuse la stratification sociale entre Allemands et Baltes mais aussi le combat entre Ritterschaften, Litteraten et artisans au sein de la communauté allemande. Déjà, son réflexe est de chercher le compromis, et il brise les premières lances avec sa propre communauté. Ostracisé, il n’en continue pas moins de souligner la situation précaire des Allemands de la Baltique, leur aveuglement, et de les appeler à reconnaître l’ « évolution naturelle » qui fera bientôt d’eux une minorité parmi d’autres dans les États baltes.

11En 1907, Schiemann s’installe à Riga, alors la plus grande ville des provinces baltiques. Il continue à parler du devoir pour les Allemands de s’impliquer dans la politique des provinces baltiques, insistant aussi sur leur droit à pratiquer leur langue et leur culture. Engagé dans l’armée russe en 1914, décoré, il fuit en 1918 le bolchevisme, mais aussi les brimades d’une autorité d’occupation allemande dans les provinces baltiques acquises aux Ritterschaften. Il se lie à Berlin avec des cercles libéraux, influençant les conceptions de Max de Bade sur la nécessité de reconnaître des États baltes indépendants.

12Fin 1918, il rentre à Riga devenue la capitale de la Lettonie indépendante. Il se consacre au journalisme mais aussi et surtout à l’action politique au sein du Parti démocrate des Allemands de la Baltique. Sa grande œuvre est alors le système d’autonomie culturelle pour les minorités. Demandant aux minorités allemandes mais aussi juives ou russophones de s’intégrer, il place aussi les États baltes indépendants au défi de leur autoriser en retour une autonomie culturelle et linguistique. La réflexion théorique est ici au cœur de l’action : vision d’un État « a-national », choix culturels conçus comme des choix individuels, etc. Concrètement, le système instaure un réseau d’assemblées culturelles qui, par le biais d’un impôt, donnent une assise financière aux institutions culturelles des minorités, en particulier les écoles.

13Mais ce travail est fragile. Les oppositions à l’idée même sont féroces parmi les Allemands de la Baltique, sensibles à la politique hitlérienne d’utilisation des Auslanddeutschen, alors que les nationalistes lettons et estoniens jouent auprès des populations baltes d’un sentiment anti-allemand toujours latent. Cette hostilité ira en augmentant dans les années 1930. Schiemann agit toujours en médiateur mais se retrouve de plus en plus isolé entre la frustration des Allemands et l’hostilité des Baltes. Il fait aussi l’expérience de la déception au Congrès européen des nationalités, un organe qu’il a contribué à créer pour porter la cause des nationalités et de l’autonomie culturelle et qu’il ne peut empêcher de devenir un relais de la politique hitlérienne envers les Auslanddeutschen. Un des multiples intérêts du livre de Hiden est du reste son éclairage de la politique de Weimar, puis d’Hitler envers les États nés de l’effondrement des empires et les communautés allemandes en Europe de l’Est.

14Schiemann doit en 1933 quitter la Lettonie pour l’Autriche d’où il ne peut qu’observer le tournant autoritaire des Pays baltes et la perte de signification du système d’autonomie culturelle. En 1938, il rentre en Lettonie pour échapper aux nazis. Il refuse, après le pacte germano-soviétique d’août 1939, d’être réinstallé dans les territoires pris sur la Pologne. Pendant la guerre, il survit à Riga aux occupations allemande et soviétique, sa santé dégradée ne l’empêchant pas, avant sa mort en 1944, de cacher Valentina Freimane, une jeune Juive.

15Les réflexions de Paul Schiemann sur la place des minorités culturelles et linguistiques dans les États modernes, test de l’ordre et de la paix, et sur les relations entre communautés, restent d’une grande actualité. En proposant un État « a-national », il critique l’État-nation tel qu’il peut être conçu par exemple en France depuis la Révolution. De même, sa critique du bolchevisme et l’image qu’il dresse en creux d’un socialisme démocratique, éducateur, visant à résoudre sans violences les tensions socio-économiques, le rapprochent de Léon Blum. Enfin, John Hiden ouvre le débat des minorités russophones dans les Pays baltes post-soviétiques, en notant leur difficulté à passer le « test de Schiemann » : oublier l’URSS et trouver dans les Pays baltes une patrie où s’intégrer. Un point important, bien qu’on puisse souligner également les efforts déjà consentis et les manquements encore importants dans ce domaine des politiques officielles baltes.

16Louis CLERC,
Doctorant, Université Robert-Schuman, Strasbourg,
Chercheur, Université de Turku, Finlande.

Yves SANTAMARIA, Le pacifisme, une passion française, Paris, Armand Colin, coll. « L’Histoire au présent », 2005.

17Yves Santamaria, dans l’étude qu’il consacre au pacifisme français depuis 1870, a raison d’évoquer « l’extraordinaire plasticité » (p. 8) de l’idée de paix. Outil malléable à souhait, tout le monde s’en réclame à un moment ou à un autre. Est-on pacifiste pour autant ? Il nous semble que l’appellation, par souci de clarté, devrait être limitée à celles et ceux qui s’opposent systématiquement à la violence. Santamaria, de son côté, a choisi de faire entrer dans cette catégorie tout type d’opposition à la violence (nous reviendrons sur cette décision en conclusion, car cela nous semble une faiblesse de l’ouvrage). L’historien justifie ainsi son choix en prenant appui sur la nature trouble du sentiment pacifique français, ce dernier étant défini, comme il est annoncé en quatrième de couverture, comme une « position circonstanciée » de refus de la violence. C’est ainsi que le « pacifiste » peut s’opposer à une guerre et en appeler par ailleurs à la résistance armée ; un autre peut faire l’apologie de la violence dans le cadre de la lutte des classes, de laquelle découlera naturellement, une fois celle-ci menée à terme, la paix. D’horizon d’espérance, la paix, devenue épiphénomène du politique, se subordonne alors à l’ordre que tel ou tel idéologue se propose d’instaurer.

18Renvoyant soit à une éthique, soit à un but qui ne s’encombre pas des moyens, la paix a donc de multiples visages. Nombreux sont les chercheurs qui ont réfléchi à une typologie idoine, une des plus stimulantes, à notre avis, étant celle de Martin Ceadel [Thinking about Peace and War]. Celle en huit points élaborée dans les années 1950 par Max Scheler, retenue en partie par Raymond Aron et faite sienne par Santamaria, rend compte de cette plurivocité : elle distingue entre autres pacifisme de conviction et, a dit Scheler, « idéologies d’intérêt ». Le pacifisme étudié ici se retrouve dans la seconde catégorie, et Santamaria, historien du PCF, centre l’essentiel de sa description sur la lutte pour la paix menée par la gauche. Très actif en France et sans doute le plus instrumentalisé, le « pacifisme » communiste a évolué au gré de la politique interne et des directives de Moscou. C’est pour une bonne part la raison pour laquelle cette opposition circonstanciée à la guerre a toujours souffert d’un déficit de crédibilité parmi les observateurs, dont Aron, souvent cité dans cet ouvrage.

19Perçus comme des idéalistes plutôt inoffensifs avant la Première Guerre mondiale, les promoteurs de la paix, bien analysés par Verdiana Grossi [Le pacifisme européen, 1889-1914], apparaissent, dès le déclenchement du conflit, au mieux comme des défaitistes, au pire comme des individus soupçonnés d’intelligence avec l’ennemi. Déjà, en 1914, l’essentiel des militants se retrouve à gauche. Pourtant une grande majorité décide de se rallier à l’effort de guerre et entre dans l’Union sacrée, tandis que seule une frange s’oppose à ce qu’elle considère être une guerre capitaliste et impérialiste dictée par la bourgeoisie. Cette scission affectera doublement le mouvement. D’une part, la volte-face patriotique des « professionnels de la paix » (p. 44) soudain va-t’en-guerre montre la minceur du vernis anti-guerre. D’autre part, le lien étroit entre pacifisme, socialisme et, plus tard, bolchevisme est ainsi noué et sera difficile à défaire.

20Cependant, l’horreur de la Grande Guerre agit comme un véritable révélateur, au grand bénéfice des promoteurs de la paix. Toute une population, à gauche comme à droite, éprouve dans les années 1920 et 1930 une « horreur religieuse de la guerre », selon le mot de Léon Blum (p. 128). La popularité du pacifisme, relayé par les associations de vétérans magistralement étudiées par Antoine Prost, est alors indéniable et « la rhétorique pacifiste, note Santamaria, est désormais un ingrédient indispensable à l’homme politique en mal d’élection » (p. 91-92). Mais l’affaire de Munich et le régime de Vichy associeront le pacifisme à la soumission face à l’Allemagne nazie. Inconstance et gauchisme avant la guerre ; aplatissement munichois et collaboration à partir des années 1930 ; inféodation au PCF après 1945 : voilà la sombre filiation d’un mouvement qui, en France, n’a pas connu la destinée de son pendant anglo-saxon.

21Il était temps qu’un historien choisisse d’étudier sur le long terme le pacifisme français. Santamaria a choisi de débuter son analyse après 1870 pour la faire se terminer au lendemain du refus de la France de se joindre à la coalition dirigée par les États-Unis contre l’Irak de Saddam Hussein. On se demande toutefois si l’auteur n’aurait pas mieux fait de stopper son analyse plus tôt, après la chute du mur de Berlin par exemple, tant la toute dernière partie du livre, trop actuelle, le pousse à renoncer à sa retenue historienne pour aborder les récents développements de la politique française. On y trouve pêle-mêle une critique acerbe de l’altermondialisme et des formules peu amènes sur l’islam à la sauce Tariq Ramadan et qui nous semblent hors de propos.

22Il faut, à notre avis, revenir sur le sens que donne Santamaria au pacifisme tout au long de cet ouvrage au titre quelque peu déconcertant. Car, à moins qu’il ne s’agisse d’un clin d’œil au travail de Jean-Noël Jeanneney [Le duel, une passion française, 2004] ou d’une manœuvre éditoriale, le lecteur se demande bien, au terme de l’ouvrage, ce qu’il en est de cette prétendue « passion » française. Le simple fait de m’opposer, pour mille raisons, à un conflit armé, fait-il de moi un pacifiste ? Simone Signoret et Yves Montand, qu’on voit en page de couverture déambulant lors d’une manifestation anti-Vietnam, étaient-ils avant tout des pacifistes, ou simplement des sympathisants PCF ? Quand un manifestant, derrière les deux vedettes, brandit une pancarte où il est écrit « Paix et indépendance au Vietnam », exprime-t-il avant tout son pacifisme ou plutôt son anti-américanisme ? Pourquoi donc appeler pacifisme ce qui est visiblement autre chose ?

23Santamaria répondra qu’il s’agit justement d’étudier comment l’appel massif à ce sentiment a participé de stratégies politiques. Cependant, à utiliser une aussi large définition du pacifisme, il ne peut éviter deux écueils. D’une part, celui du trop-plein politique, car, à trop enfoncer le clou de l’instrumentalisation, son objet d’étude se transforme en un long récit du débat politique français face aux questions intérieures et extérieures. D’autre part, qu’en est-il des pacifistes de conviction dont parlait Scheler ? Il en existe bien un ou deux au pays de l’abbé de Saint-Pierre ! Des initiatives individuelles pour la paix sont passées sous silence – pensons à celles du mondialiste Robert Sarrazac, pensons aussi aux dizaines de citoyens qui ont écrit, pendant et après la Grande Guerre, sur les perspectives d’une paix durable –, car l’accent placé sur les querelles de pouvoir empêche de porter son attention sur les hommes et les femmes, utopistes nous en convenons, mais qui ont sincèrement été animés par les valeurs de la paix. C’est bien du rapport entre les valeurs et les intérêts dont il est question. Il est dommage que cet ouvrage ne centre son analyse que sur le deuxième terme du rapport.

24Carl BOUCHARD,
Université du Québec à Montréal.

Représentations du Maroc et regards croisés franco-marocains, textes réunis par Jean-Claude ALLAIN, Paris, L’Harmattan, 2004, 270 p.

25À la suite d’un colloque organisé à Paris en octobre 1999 par la Commission française d’histoire militaire à l’initiative de, et en étroite coopération avec, la Commission marocaine d’histoire militaire, à l’occasion de l’année du Temps du Maroc en France, le Pr Jean-Claude Allain (Sorbonne Nouvelle) a réuni 16 communications d’universitaires, de chercheurs et de spécialistes français et marocains, sous le titre Représentations du Maroc et regards croisés franco-marocains. Ces textes sont regroupés sous quatre rubriques.

26La première – L’espace marocain – regroupe trois exposés. Ahmed El Gharbaoui présente l’œuvre du géographe Al-Idrissi dont la grande encyclopédie géographique achevée en 1154 a été utilisée dans le monde entier pendant au moins trois siècles. Jean-Pierre Renaud décrit comment trois voyageurs – le capitaine Burel, envoyé au Maroc en 1808 ; Gerhard Rohlfs, qui se rend au Maroc en 1862, en 1863 et en 1864 ; enfin, Charles de Foucauld, qui parcourt le sud du Maroc en 1883-1884 – font progresser la connaissance de ce pays. Dans « Regards d’aviateurs sur le Maroc avant 1914 », Marie-Catherine Villatoux rappelle les descriptions remarquables de la géographie du pays par des pilotes comme Armand de la Morlais, en dépit de conditions climatiques difficiles (vents violents, brouillards) et d’un matériel mal adapté.

27La seconde rubrique concerne les communications portant sur La relation officielle entre la France et le Maroc. Celle-ci commence très tôt : traités de 1631, de 1682 puis traité de paix, d’amitié et de commerce en 1767. Jean-Claude Allain montre bien que cette relation paritaire en principe reste déséquilibrée du fait de l’absence d’échanges équivalents et de représentation marocaine en France, alors que la France a des consuls au Maroc. La conquête de l’Algérie change fondamentalement les données de la relation franco-marocaine. Par ailleurs, l’insertion forcée du Maroc dans le concert international conditionne de plus en plus cette dernière. Des voyageurs marocains en mission font part de ce qui les a frappés lors de leur voyage en France : Al-Saffar, dans les années 1840, s’intéresse particulièrement aux moyens de transport, aux habitudes de loisir et au statut de la femme (Abdelouahab Benmansour). Muhammad al-Saffar, notaire de Tétouan qui accompagne le gouverneur de cette ville dans sa mission auprès de Louis-Philippe, est scandalisé par la découverte des crucifix. Tout en déplorant l’idolâtrie des Français et leur croyance en la divinité de Jésus, il reconnaît qu’ils sont puissants et prospères (Abdefattak Kilito). Le prince de Joinville mène une brève campagne navale canonnant Tanger, puis Mogador, pendant que le général Bugeaud culbute l’armée marocaine à partir de l’Algérie (Michèle Battesti). De 1912 à 1956, les troupes marocaines faisant partie de l’armée française possédaient une symbolique bien particulière avec notamment l’emploi des couleurs verte et rouge ainsi que l’étoile à cinq branches (Christian Benoît).

28La troisième rubrique, Culture et société, comprend six communications. Les poétesses de l’époque du protectorat, selon Abderrahman Tenkoul, restent fidèles au « discours de l’idéologie coloniale qui se réclame d’une civilisation supérieure dont les valeurs ne peuvent être qu’imposées et non contestées ou remises en cause ». Dans la presse féminine du protectorat de 1912 à 1934, la femme française est décrite comme l’auxiliaire « officielle » de l’administration et de la politique coloniales tandis que la femme marocaine est décrite de façon « exotique et superficielle » (El Hassane Chafai El Alaoui). L’ouvrage que l’écrivain Pierre Loti a consacré au Maroc est à la fois son premier récit de voyage et le premier ouvrage à ne pas être une œuvre de fiction. Le Maroc qu’aime Pierre Loti est un pays figé dans une sorte de léthargie dont il ne devrait pas sortir (Jean-Claude Berchet). Dans un genre totalement différent, Roger Le Tourneau, professeur au collège Moulay-Idriss de Fès puis à la Faculté des lettres d’Alger en 1947 avant de gagner Aix-en-Provence en 1957, étudie particulièrement le nationalisme marocain, l’histoire économique, sociale, culturelle et religieuse du Maroc. Son œuvre essentielle porte sur « Fès avant le protectorat » (Mohammed Bekraoui). Examinant l’image du Maroc dans la presse française entre 1950 et 1956, Jamaä Baida distingue quatre grandes tendances : « Le conservatisme colonial de L’Aurore, l’anticolonialisme doctrinaire de L’Humanité, le réformisme du Figaro et du Monde, le conformisme de France Soir. »

29La quatrième rubrique s’intitule Regards d’artistes. Mohammed Essaouri insiste sur l’esprit pictural à partir des récits et des toiles de peintres français (Delacroix, Regnault) ou de voyageurs marocains (Mohamad As-Saffar, Tahar al Fassi, Driss ben Driss admiratifs du réalisme et de la minutie d’exécution de tableaux découverts en Europe). Jean Arrouye, dans sa communication sur « le regard second du photographe Flandrin » insiste sur les intentions symboliques des photographies de ce dernier. Flandrin, oppose souvent la société traditionnelle et la société moderne. Jamal Mahssani commente l’œuvre photographique de Gaëtan Gatian de Clérambault qui, au cours de sa convalescence de blessé de la Grande Guerre passée à Fès, s’est attaché à l’esthétique du drapé. Fasciné par le Haïk, habit traditionnel des femmes marocaines, il le fixe par des photographies ou des croquis. Clérambault donne un cours sur l’esthétique du drapé arabe à l’École des Beaux-Arts de Paris de 1924 à 1934.

30Les 16 contributions des participants au colloque d’octobre 1999 témoignent de la variété et de la richesse des contacts interculturels entre la France et le Maroc depuis plusieurs siècles.

31Yves-Henri NOUAILHAT,
Université de Nantes.

Notes

  • [1]
    Sigmund Freud, Der Mann Mose und die monotheistische Religion. Studienausgabe, Bd. IX, Frankfurt am Main, S. Fischer Verlag, 1974.
  • [2]
    Josef Hayim Yerushalmi, Freuds Moses. Endliches und unendliches Judentum, Berlin, Verlag Klaus Wagenbach, 1992 ; Jacquy Chemouni, Freud et le sionisme : terre psychoanalytique, terre promise, Malakoff, Solin, 1988.
  • [3]
    Freud, op. cit., p. 538-539.
  • [4]
    Ibid., p. 49-50.
  • [5]
    Cf. Maria Todorova, Imagining the Balkans, Oxford, 1997 ; Eric Hobsbawm and Nicolas Renger, The Invention of Tradition, Cambridge, 1984.
  • [6]
    La traduction française est parue sous le titre « Freud et le monde extra-européen » (Paris, Serpent à plumes, 2004). L’original en anglais est parue à Londres : Edward W. Said, Freud and the Non-European, London, « Verso », 2003.
Mis en ligne sur Cairn.info le 01/12/2008
https://doi.org/10.3917/ri.125.0117
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