Comment les sciences sociales ont-elles étudié le temps du chômage traditionnellement ?
La notion de temps est au centre des premières enquêtes sur les expériences du chômage dans les années 1930. À cette époque, le chômage émerge comme un fait social majeur dans le contexte de la crise économique et de la codification du salariat, qui fait de la perte d’emploi un état nouveau. Plusieurs enquêtes sociologiques s’intéressent alors à la manière dont les chômeurs vivent cette situation, et la question du rythme de la vie des chômeurs y prend une place centrale. Celle menée par l’équipe de Marie Jahoda et Paul Lazarsfeld dans la ville autrichienne de Marienthal est la plus connue (Jahoda, Lazarsfeld et Zeisel, 1933). Au début des années 1930, cette ville est durement frappée par le chômage : la plupart des usines ferment et les travailleurs sont mis à la porte. En faisant le décompte des activités journalières des chômeurs et du temps qu’ils leur consacrent, l’enquête montre une perte de repères temporels et une baisse des activités personnelles, familiales et collectives, ainsi qu’un repli sur soi et des formes d’apathie. Les auteurs mettent en lumière la déstructuration du temps quotidien entraînée par le chômage, ainsi qu’une déliquescence des rythmes de vie collectifs et individuels.
À la même époque, Edward Bakke mène une autre enquête sur les chômeurs à Greenwich, dans la banlieue londonienne (Bakke, 1933). Le contexte est assez différent : un niveau de chômage plus faible, des formes de chômage plus diversifiées, avec notamment du chômage intermittent, et un système d’assurance chômage qui donne droit à quinze semaines d’indemnisation…