CAIRN.INFO : Matières à réflexion

1 – Introduction

1Le processus de prise de décision en matière de remboursement de soins de santé est complexe. Il est de plus en plus évident que les décisions de remboursement ne devraient pas reposer uniquement sur l’application « mécanique » de critères technico-économiques tels que l’efficacité, la sécurité et le coût d’une intervention de santé, mais qu’elles devraient également inclure des critères d’un autre ordre, davantage fondés sur des priorités que la société elle-même veut mettre en avant. Ces priorités peuvent porter sur la qualité de vie, l’allongement de l’espérance de vie, etc.

2Pour être en mesure de prendre en compte des critères aussi différents sans tomber dans la subjectivité – ce qui ferait perdre tout son sens à la démarche –, le processus de prise de décision doit être formalisé et reproductible. Il doit garder sa cohérence en toutes circonstances.

3Dans la pratique, un processus de décision de remboursement en Belgique comporte 3 phases :

  1. une phase d’évaluation de toutes les données scientifiques relatives à l’intervention considérée ;
  2. une phase d’appréciation où ces éléments objectifs sont pondérés, mis en balance, ce qui implique d’établir des priorités parmi les critères pris en compte ;
  3. une phase de décision, sur base des résultats de la phase d’appréciation.

4La première phase, celle de l’évaluation, a pour but de décrire la maladie concernée et de quantifier les impacts cliniques, thérapeutiques et économiques du nouveau produit ou de la nouvelle procédure, en comparaison avec ses alternatives, s’il en existe. Idéalement, cette phase se base sur des chiffres objectifs, issus de méthodologies rigoureuses et reproductibles.

5Durant la phase d’appréciation, un groupe d’experts se prononce sur la plus-value de l’intervention pour la société. Dans un système démocratique, l’idée que cette appréciation devrait idéalement refléter les préférences de la société a fait son chemin et est de plus en plus acceptée. En Belgique, le groupe d’experts est constitué de représentants des milieux scientifique, mutualiste, pharmaceutique, médical et politique. Les citoyens ne sont pas invités à participer aux discussions. Leurs intérêts sont censés être défendus par d’autres acteurs déjà impliqués. Les avis du groupe d’experts débouchent sur la formulation d’une proposition adressée au ministre, qui prend la décision finale (phase de décision).

6Parce que dans le modèle délibératif belge il n’existe aucune instance de consultation des citoyens, ni de procédure de délibération structurée avec leurs représentants, on ne sait pas comment a lieu la prise en considération des préférences des citoyens. De plus, les processus délibératifs incorporent un risque d’inconsistance involontaire dans la manière dont les jugements sont faits entre conditions médicales, interventions et patients (Devlin et Sussex, 2011). Pourtant, deux conditions sont nécessaires pour légitimer un processus de décision : la pertinence des critères (pour la population) et la transparence du processus (Daniels et Sabin, 1997). Pour atteindre la transparence, il faut notamment que l’importance relative que l’on accorde à chaque critère de choix soit préalablement définie, admise et connue de tous. Pour atteindre la pertinence, il faut, entre autres, que cette importance relative soit en phase avec les priorités que se sont choisies les citoyens.

2 – Objectifs

7L’objectif de cette étude est de déterminer les préférences des citoyens concernant l’importance, c’est-à-dire le « poids », de chacun des critères qui doivent être pris en considération dans le processus de décision en matière de remboursements de soins de santé. Le but est de fournir des informations susceptibles d’améliorer les décisions futures, pas de remettre en question les décisions de remboursement déjà prises.

8L’objectif ultime est de développer un outil d’aide à la décision qui permettra aux décideurs de rendre certaines étapes du processus décisionnel plus transparentes et plus en phase avec les préférences sociétales des citoyens belges. Cet outil ne doit pas se substituer au processus de décision mais vise à contribuer à mieux informer les décideurs et à accroître la légitimité des choix qu’ils feront.

3 – Méthodes

3.1 – L’enquête de population

9Afin de cerner les préférences des citoyens belges par rapport aux critères sur lesquels se basent les décisions de remboursement de soins de santé, une vaste enquête de population a été menée entre février et avril 2014 (Cleemput et al., 2014).

10Au départ, 20 000 personnes entre 20 et 89 ans, représentatives de la population belge en termes d’âge et de sexe, ont été tirées au sort à partir du Registre national. De ces 20 000 citoyens, 4 810 ont accepté de participer à l’enquête (taux de participation de 24 %), avec finalement 4 288 questionnaires valablement remplis (21,4 %). Il s’agissait d’une enquête en ligne mais les participants avaient la possibilité d’obtenir un formulaire papier sur demande. Toutes les réponses étaient strictement anonymes ; 91 % des répondants ont utilisé le formulaire en ligne et 9 % le formulaire papier. Trois rappels ont été envoyés aux non-répondants entre février et avril, à deux semaines d’intervalle chacun.

3.2 – Un canevas de départ

11L’enquête se place dans un cadre conceptuel défini visant à apporter une partie des informations nécessaires à nourrir un « canevas » pratique de processus de décision de remboursement des soins de santé par l’assurance maladie obligatoire (le Polain, Franken, Koopmanschap et Cleemput, 2010). Le canevas attaché à ce processus consiste en cinq questions auxquelles les décideurs doivent répondre successivement et de façon hiérarchique : si la réponse à la première question est oui, les décideurs peuvent passer à la suivante, et ainsi de suite (voir tableau 1).

Tableau 1

Cadre conceptuel pour le processus d’appréciation en matière de décision de remboursement d’une intervention de santé dans le système belge

Tableau 1
Niveau de décision Question 1. Nécessité thérapeutique et sociétale L’intervention proposée cible-t-elle un besoin thérapeutique ou sociétal ? 2. Acceptation du principe de consacrer une part du budget public à la prise en charge de ce type d’affection Notre société accepte-t-elle de financer publiquement une intervention quelconque qui remédie à une affection de ce type ? 3. Acceptation de la prise en charge d’un traitement spécifique par le budget public Notre société accepte-t-elle de financer publiquement cette intervention en particulier, sachant que l’acceptation de prendre en charge ce type d’affection est acquise dans son principe ? 4. Acceptation de payer davantage pour ce traitement spécifique Sachant que notre société accepte de financer publiquement cette intervention spécifique, acceptons-nous de payer davantage pour cette intervention que pour le meilleur traitement alternatif ? 5. Acceptation de payer un prix déterminé Quel montant sommes-nous disposés à payer pour cette intervention en particulier, au moyen de deniers publics ?

Cadre conceptuel pour le processus d’appréciation en matière de décision de remboursement d’une intervention de santé dans le système belge

Source : le Polain et al., 2010.

12D’après ce cadre conceptuel, pour qu’un nouveau traitement soit éligible à un remboursement, il faut qu’il existe au moins un besoin thérapeutique et/ou sociétal pour l’indication à laquelle il s’adresse (sauf s’il s’avère que ce nouveau traitement est au moins aussi efficace que l’existant, mais moins cher). Toutefois, l’affirmation de ce besoin ne suffit pas ; il faut ensuite que le nouveau traitement soit convaincant par rapport à d’autres critères jugés importants, qui font l’objet de la question suivante. Et ainsi de suite.

13Pour chaque question, la réponse doit comporter des critères de décision explicites, qui doivent être pertinents et pondérés, et donc tenir compte de l’importance relative qu’y accordent les citoyens.

14C’est cette importance qui a été mesurée par l’enquête. L’avantage de ce modèle « multicouches » est de ne comporter que quelques critères par niveau, étant donné que la littérature montre qu’il est quasi impossible, en pratique, de considérer plus de six critères à la fois. C’est donc une manière de « simplifier la complexité » en la structurant.

3.3 – Élaboration du questionnaire

3.3.a – La sélection des critères pertinents

15Une recherche dans la littérature scientifique a permis d’établir une liste étendue des différents critères de décision utilisés à l’étranger pour alimenter le processus de décision ; après discussion avec un panel d’experts, cette liste a été réduite (Cleemput et al., 2014). Elle reprend les critères sur lesquels l’exercice de pondération par les citoyens semblait le plus faisable et le plus pertinent dans le contexte belge.

16Ces critères sont regroupés dans les trois questions suivantes :

  • Existe-t-il une nécessité thérapeutique ? (Est-ce que les patients avec la maladie en question ont besoin d’un meilleur traitement que celui qui existe actuellement et qui est remboursé ?)
  • Existe-t-il une nécessité sociétale ? (Y a-t-il un besoin, pour l’ensemble de la société, d’un meilleur traitement que celui qui existe actuellement – et qui est remboursé – pour la maladie en question ?)
  • Notre société accepte-t-elle de financer ce traitement en particulier ? (Quelle est sa valeur ajoutée par rapport au traitement existant et déjà remboursé ?)

Tableau 2

Critères inclus dans l’enquête

Tableau 2
Nécessité therapeutique •Qualité de vie avec le traitement existant •Impact de la maladie sur l’espérance de vie, malgré le traitement existant •Inconfort lié au traitement existant Nécessité sociétale •Dépenses publiques par patient liées à la maladie et son traitement •Prévalence de la maladie Valeur ajoutée du nouveau traitement •Impact sur la qualité de vie •Impact sur l’espérance de vie •Impact sur l’inconfort lié au traitement •Impact sur les dépenses publiques par patient, liées à la maladie •Impact sur la prévalence de la maladie

Critères inclus dans l’enquête

17Le questionnaire aborde donc séparément les critères liés à l’individu, ceux liés à la société et ceux liés au traitement. Les critères repris pour évaluer l’importance de la valeur ajoutée correspondent à l’impact d’un nouveau traitement sur les critères considérés comme pertinents pour déterminer les nécessités sociétale et thérapeutique.

18Par rapport à une maladie donnée, il y a nécessité thérapeutique quand il n’existe encore aucun traitement ou que les traitements disponibles n’ont qu’une efficacité modérée. La nécessité thérapeutique est utilisée de préférence à la nécessité médicale, qui représente le besoin absolu de traitement pour une maladie donnée, indépendamment de l’existence ou non d’autres traitements. La nécessité médicale dépend essentiellement de la gravité de la maladie mais ce n’est pas parce qu’une maladie est grave qu’elle représente un besoin thérapeutique important : par exemple, le diabète est une maladie grave mais il existe des traitements efficaces. Par contre, la mucoviscidose est aussi une maladie grave, mais elle n’a pas de traitement efficace. Par ailleurs, se focaliser sur la nécessité médicale comporte le risque de mener à des dépenses importantes pour des maladies pour lesquelles il existe déjà de bons traitements. En effet, il arrive que les traitements innovants proposés pour ces maladies n’apportent que des bénéfices cliniques relativement limités, mais à un prix toujours croissant.

19Les dépenses publiques par patient, déterminant en partie la nécessité sociétale, comprennent le coût des soins ainsi que la perte de productivité, la perte de salaire, etc.

20L’âge du patient n’est pas considéré comme un critère pertinent en soi dans cette étude. Ce paramètre a toutefois été introduit dans l’intitulé des questions sur la nécessité thérapeutique, pour aider les participants à approcher la caractéristique de l’espérance de vie. Il est en effet difficile d’imaginer l’importance que représente le fait de perdre 5 ans de vie sans connaître l’âge du malade.

3.3.b – La technique des choix discrets

21La méthode des choix discrets (DCE ou discrete choice experiment) a été utilisée pour mesurer les préférences de la population. Les participants à l’enquête devaient choisir entre deux scénarios dont chacun est défini par une série de caractéristiques. Ces caractéristiques (par exemple, les critères définis dans le tableau 2) sont identiques dans les deux scénarios, seul leur ordre de grandeur varie en fonction de valeurs prédéfinies. Les valeurs prédéfinies pour chaque critère dans chaque domaine sont présentées dans le tableau 3.

Tableau 3

Domaines, critères et niveaux

Tableau 3
•Inconfort lié au traitement existant •Les patients … ‐ trouvent le traitement très contraignant ‐ trouvent le traitement peu contraignant •Qualité de vie avec le traitement existant •Les patients … ‐ ont actuellement une qualité de vie de 8 sur 10 ‐ ont actuellement une qualité de vie de 5 sur 10 ‐ ont actuellement une qualité de vie de 2 sur 10 •Impact de la maladie sur l’espérance de vie •Les patients… ‐ ne mourront plus de la maladie ‐ mourront 5 ans plus tôt que les personnes qui n’ont pas cette maladie ‐ mourront presque immédiatement à cause de la maladie •Âge du patient •Les patients… ‐ ont plus de 80 ans ‐ ont entre 65 ans et 80 ans ‐ ont entre 18 ans et 64 ans ‐ ont moins de 18 ans Nécessité thérapeutique : caractéristiques de la maladie, malgré le traitement existant •Prévalence de la maladie •La maladie… ‐ est très rare, elle touche moins de 2000 personnes en Belgique ‐ est assez rare : elle touche entre 2000 et 10 000 personnes en Belgique ‐ est assez fréquente : elle touche entre 10 000 et 100 000 personnes en Belgique ‐ est très fréquente, elle touche plus de 100 000 personnes en Belgique •Dépenses publiques par patient liées à la maladie et son traitement •‐ Chaque personne malade coûte peu à la société ‐ Chaque personne malade coûte cher à la société Nécessité sociétale : caractéristiques de la maladie Valeur ajoutée du nouveau traitement comparée avec le traitement existant •En comparaison avec le traitement qui est déjà remboursé, le nouveau traitement… •[Impact sur l’inconfort lié au traitement] ‐ présente moins de contraintes pour le malade ‐ présente autant de contraintes pour le malade ‐ présente plus de contraintes pour le malade •[Impact sur la qualité de vie] ‐ diminue la qualité de vie des malades ‐ ne change rien à la qualité de vie des malades ‐ améliore la qualité de vie des malades •[Impact sur l’espérance de vie] ‐ augmente la durée de vie des malades ‐ ne change pas la durée de vie des malades •[Impact sur la prévalence de la maladie] ‐ guérit plus de personnes ‐ guérit autant de personnes ‐ guérit moins de personnes •[Impact sur les dépenses publiques par patient, liées à la maladie] ‐ diminue le coût de chaque malade pour la société ‐ ne change pas le coût de chaque malade pour la société ‐ augmente le coût de chaque malade pour la société

Domaines, critères et niveaux

22Le choix des participants confrontés à plusieurs séries de scénarios permet de dégager l’importance relative attribuée à chaque critère. Dans la première section du questionnaire, les participants devaient choisir, parmi deux scénarios, celui pour lequel le besoin d’un meilleur traitement par rapport à un traitement existant leur semblait prioritaire pour les individus (nécessité thérapeutique). Un exemple de question est repris dans le tableau 4.

Tableau 4

Exemple de question dans la section « nécessité thérapeutique »

Tableau 4

Exemple de question dans la section « nécessité thérapeutique »

23Dans la deuxième section, les participants devaient choisir, parmi deux scénarios, celui pour lequel le besoin d’un meilleur traitement par rapport à un traitement existant leur semblait prioritaire pour la société (nécessité sociétale).

24Dans la troisième section, les participants devaient choisir, parmi deux nouveaux traitements pour la même maladie, celui auquel ils préféraient accorder le remboursement (valeur ajoutée).

25L’enquête comprenait également un « exercice de raisonnement moral » préalable, conçu à titre d’échauffement, pour permettre aux participants de réfléchir aux choix en matière de soins de santé. Il est en effet prouvé que ce genre d’exercice préalable améliore la validité des réponses dans les enquêtes basées sur la méthode des choix discrets.

26Enfin, une série de questions démographiques (âge, sexe, état civil, niveau d’éducation, statut professionnel, ayant des enfants ou non) ont été ajoutées au questionnaire, ainsi que des questions personnelles relatives à d’autres critères potentiellement influents, comme le fait d’être soi-même malade ou d’avoir des proches malades, la capacité de payer ses soins de santé ou non.

27Le processus de développement du questionnaire comprenait une phase de pré-test, un test pilote et une phase de test-retest. Les deux premières avaient pour but de peaufiner la formulation, la compréhension, la présentation et la faisabilité des questions. Le test-retest, auquel 42 individus ont pris part, montrait une bonne validité globale (coefficient Kappa de Cohen = 0.7, approx. 95 % CI : 0.62–0.77). Au travers de tous les sets de choix, la majorité des répondants a choisi la même alternative dans le test et dans le retest, même si la correspondance variait entre les questions.

3.3.c – Sélection des scénarios retenus pour l’enquête

28La combinaison des différents niveaux de tous les critères dans chaque domaine (nécessité thérapeutique, nécessité sociétale et valeur ajoutée) aboutit à un certain nombre de scénarios possibles. Le nombre de combinaisons deux à deux est égal à ce nombre au carré. Par exemple, pour la nécessité thérapeutique, il y a 72 scénarios possibles (3x2x4x3), qui doivent ensuite être comparés entre eux deux à deux, ce qui aboutit à 5 184 (72x72) combinaisons possibles. Introduire autant de combinaisons dans l’enquête est évidemment impossible. Afin de réduire le nombre de sets de choix et être malgré tout en mesure d’estimer les interactions du modèle deux à deux, les sets dominants ont été écartés et les chevauchements entre scénarios ont été réduits d’une façon optimalisée (Goos et Jones, 2011).

29Un bon équilibre entre l’efficience de réponse et l’efficience statistique a été recherché. L’efficience statistique consiste dans le fait de minimaliser les intervalles de confiance autour des estimations du paramètre du modèle pour une taille d’échantillon particulière. L’efficience des réponses représente quant à elle la mesure de l’erreur due aux caractéristiques du répondant, comme la fatigue, l’inattention, ou l’incompréhension. Ces deux aspects entrent souvent en conflit quand il s’agit d’arrêter le nombre de sets de choix par répondant ou le nombre de combinaison de critères. Étant donné la nature plus abstraite et générale du sujet de l’enquête, nous avons plutôt favorisé l’efficience de réponse au détriment de l’efficience statistique.

30Vingt-quatre versions du questionnaire ont finalement été créées et administrées de manière égale entre les groupes d’âge et de sexe. Chaque questionnaire comportait une combinaison de scénarios sur la nécessité sociétale, 3 combinaisons de scénarios sur la nécessité thérapeutique, 4 combinaisons de scénarios sur la valeur ajoutée et une combinaison comprenant un scénario de choix dominant, identique dans toutes les versions. En effet, chaque questionnaire comportait un scénario de choix dominant pour tester la crédibilité des réponses. Un choix dominant est un scénario qui doit susciter l’adhésion car toutes ses caractéristiques présentent un niveau supérieur à toutes les caractéristiques de l’autre scénario. Logiquement, le participant doit donc choisir la réponse correspondant à ce choix dominant. Les questionnaires pour lesquels ce choix dominant n’avait pas été choisi ont été exclus de l’analyse.

3.4 – Analyse des données

31Premièrement, un modèle de régression logit multinomial sans terme constant a été estimé. Les variables du modèle étaient les critères des ensembles (sets) de choix. Tous les effets principaux ont été inclus dans le modèle.

32Deuxièmement, un algorithme log-likelihood a été utilisé pour le calcul des poids relatifs. Ceci implique (1) le calcul du log-likelihood pour le modèle complet, (2) le calcul du log-likelihood pour le modèle moins une des variables spécifiques alternatives, qui représente le critère d’intérêt (= le modèle réduit), (3) tester si le modèle réduit est statistiquement égal au modèle complet avec le test de rapport de vraisemblance (likelihood ratio), et (4) le calcul de la différence de log-likelihood entre le modèle complet et chaque modèle réduit comme mesure de l’importance relative du critère. Ce dernier a été converti en une proportion.

33Les poids relatifs des différents critères ont été calculés pour l’ensemble de l’échantillon, ainsi que pour les sous-groupes de répondants. Nous avons défini des sous-groupes par catégorie d’âge autodéclarée, par l’état de santé autodéclaré et le nombre de rappels reçus.

34Pour la catégorie d’âge autodéclaré, nous avons utilisé les niveaux tels que présentés aux répondants. Pour l’état de santé autodéclaré, nous avons réduit les cinq niveaux d’origine comme suit : « très mauvais », « mauvais » et « médiocre » ont été regroupés comme « pas en bonne santé », tandis que « bon » et « très bon » ont été étiquetés « en bonne santé ».

4 – Résultats

35Environ 66 % des répondants ont rempli le questionnaire en néerlandais, et 34 % le questionnaire en français. La proportion d’hommes et de femmes correspondait à celle de la population belge (graphique 1) ; par contre, la ventilation par tranches d’âge montrait une légère sous-représentation des femmes de 70 ans et plus.

Graphique 1

Distribution de l’âge et du sexe dans l’échantillon par rapport à la population belge

Graphique 1

Distribution de l’âge et du sexe dans l’échantillon par rapport à la population belge

4.1 – La nécessité thérapeutique

36Les résultats du modèle multinomial sont présentés dans le tableau 5.

Tableau 5

Nécessité thérapeutique : résultats du modèle multi-nomial**,***

Tableau 5
Critère Niveaux Coefficient estimé Erreur standard t-value p-value Signification statistique Âge >80 -1.298 0.029 65 – 80 0.005 0.023 0.237 0.813 18 - 64 0.604 0.029 20.634 <0.001 *** <18 0.689 0.029 23.587 <0.001 *** Qualité de vie avec le traitement existant 8 sur 10 -0.311 0.026 5 sur 10 0.063 0.020 3.133 0.002 ** 2 sur 10 0.249 0.019 13.424 <0.001 *** Espérance de vie, avec le traitement existant La maladie n’a pas d’impact sur l’espérance de vie -0.188 0.020 Les patients meurent 5 ans plus tôt à cause de la maladie 0.096 0.022 4.279 <0.001 *** Les patients meurent presque immédiatement à cause de la maladie 0.093 0.020 4.5448 <0.001 *** Inconfort lié au traitement existant Peu -0.241 0.019 Beaucoup 0.241 0.014 17.3997 <0.001 ***

Nécessité thérapeutique : résultats du modèle multi-nomial**,***

** significatif au niveau 1 % de signification
*** significatif au niveau 0.1 % de signification

37De façon générale, c’est le critère de la qualité de vie avec le traitement existant qui a été considéré comme le plus important pour déterminer la nécessité thérapeutique. Celle-ci est considérée comme la plus élevée quand la qualité de vie est mauvaise et quand l’inconfort du traitement est important, et ce d’autant plus quand il s’agit d’une maladie létale. À l’autre extrémité, la nécessité thérapeutique est perçue comme étant la plus basse quand la qualité de vie est bonne avec le traitement existant, quand ce traitement n’occasionne pas beaucoup d’inconfort et quand la maladie n’est pas létale.

38Une exploration plus poussée de ces résultats montre également d’autres points intéressants :

  • Les citoyens ne semblent pas faire de différence entre « mourir immédiatement de la maladie » et « mourir 5 ans plus tôt que les personnes n’ayant pas la maladie ». Ces deux caractéristiques ont un impact équivalent sur la nécessité thérapeutique. Ceci suggère que, parmi les citoyens, les répondants confrontés à un tel choix ont tendance à dichotomiser les maladies en « létales » et « non létales » (alors que les deux propositions indiquent en fait une mort prématurée et donc une maladie létale).
  • Quand tout le reste est égal par ailleurs, les citoyens établissent leur préférence en fonction de l’âge moyen du groupe de patients concernés. Par exemple, entre deux populations confrontées à des maladies létales, avec une mauvaise qualité de vie mais peu d’inconfort lié au traitement, la préférence va au groupe le plus jeune. Ceci peut s’expliquer par le fait que les patients les plus jeunes perdent davantage d’années de vie s’ils sont atteints d’une maladie létale, et que l’on escompte dès lors que la durée des bénéfices d’un nouveau traitement pour leur santé (en termes d’espérance de vie) sera plus longue. Toutefois, les citoyens ne semblent pas faire de différence explicite entre les jeunes (<18) et les adultes en âge de travailler (18-64) pour ce qui est de la nécessité thérapeutique, si les autres caractéristiques restent égales.
  • Les citoyens considèrent qu’il est plus grave de perdre de la qualité de vie si celle-ci est bonne au départ, que de la voir s’aggraver (dans les mêmes proportions) quand elle est déjà déficiente au départ.
  • Les citoyens semblent faire des arbitrages entre la qualité de vie et l’espérance de vie. Par exemple, ils estiment que la nécessité thérapeutique est similaire pour des patients atteints d’une maladie qui les fait mourir 5 ans plus tôt et qui ont une qualité de vie de 5/10 et pour des patients dont la qualité de vie est de 2/10 mais qui ne mourront pas prématurément. En d’autres mots, la combinaison d’une qualité de vie médiocre et d’un impact faible sur l’espérance de vie est considérée comme une nécessité thérapeutique similaire à une meilleure qualité de vie mais avec un impact important sur l’espérance de vie.

39Les pondérations par critère pour déterminer la nécessité thérapeutique sont présentées dans le tableau 6.

Tableau 6

Nécessité thérapeutique : pondérations par critère

Tableau 6
Impact de la maladie : Pondération des citoyens Sur l’espérance de vie, avec le traitement existant 0.14 Sur la qualité de vie, avec le traitement existant 0.43 En termes d’inconfort lié au traitement existant 0.43

Nécessité thérapeutique : pondérations par critère

4.2 – La nécessité sociétale

40Les résultats du modèle multinomial sont présentés dans le tableau 7.

Tableau 7

Nécessité sociétale : résultats du modèle multinomial***

Tableau 7
Critère Niveaux Coefficient estimé Erreur standard t-value p-value Signification statistique Prévalence Rare -0.683 0.043 Pas fréquent -0.216 0.038 -5.660 <0.001 *** Assez fréquent 0.329 0.037 8.793 <0.001 *** Très fréquent 0.570 0.039 14.528 <0.001 *** Dépenses publiques par patient Peu -0.521 0.024 Beaucoup 0.521 0.019 27.448 <0.001 ***

Nécessité sociétale : résultats du modèle multinomial***

*** significatif au niveau 0.1 % de signification

41Les résultats montrent que les citoyens attachent davantage d’importance à l’impact d’une maladie sur les dépenses publiques qu’à sa prévalence (tableau 8).

Tableau 8

Nécessité sociétale : pondérations par critère

Tableau 8
Impact de la maladie Pondération des citoyens Sur les dépenses publiques par patient 0.65 Prévalence 0.35

Nécessité sociétale : pondérations par critère

42Un examen plus approfondi des résultats détaillés permet de conclure que le meilleur traitement serait celui qui diminuerait les dépenses publiques par patient et/ou la prévalence de la maladie. On remarque également que les citoyens considèrent que le besoin sociétal le plus élevé correspond aux maladies très fréquentes qui coûtent beaucoup à la société.

4.3 – La valeur ajoutée des nouveaux traitements

43Les résultats du modèle multinomial sont présentés dans le tableau 9.

Tableau 9

Valeur ajoutée : résultats du modèle multinomial***

Tableau 9
Critère Niveaux Coefficient estimé Erreur standard t-value p-value Signification statistique Impact sur les dépenses publiques Augmente les dépenses publiques par patient -0.366 0.020 Ne change pas les dépenses publiques par patient 0.066 0.018 3.641 <0.001 *** Réduit dépenses publiques par patient 0.300 0.022 13.897 <0.001 *** Impact sur la qualité de vie Réduit la qualité de vie -0.826 0.024 Ne change pas la qualité de vie -0.006 0.018 -0.363 0.717 Améliore la qualité de vie 0.832 0.021 39.129 <0.001 *** Impact sur l’espérance de vie Ne change pas l’espérance de vie -0.409 0.013 Augmente l’espérance de vie 0.409 0.013 31.205 <0.001 *** Impact sur l’inconfort du traitement Plus d’inconfort que le traitement existant -0.353 0.018 Autant d’inconfort que le traitement existant 0.030 0.019 1.611 0.107 Moins d’inconfort que le traitement existant 0.323 0.018 18.192 <0.001 *** Impact sur la prévalence Guérit moins de patients -0.886 0.026 Guérit autant de patients que le traitement existant 0.082 0.018 4.667 <0.001 *** Guérit plus de patients 0.804 0.021 38.350 <0.001 ***

Valeur ajoutée : résultats du modèle multinomial***

*** significatif au niveau 0.1 % de signification

44Les résultats présentés dans le tableau 10 montrent que l’appréciation de la valeur ajoutée est principalement influencée par les changements dans la qualité de vie. En deuxième position, les diminutions de prévalence semblent revêtir une importance presque aussi grande.

45Une analyse plus approfondie des résultats permet de conclure que, pour des traitements qui améliorent la qualité et l’espérance de vie, les citoyens accordent une valeur ajoutée plus grande à ceux qui permettent de soigner un plus grand nombre de personnes, même s’ils sont plus coûteux et génèrent plus d’inconfort.

46Par ailleurs, on constate que l’effet négatif de l’augmentation des dépenses publiques est plus important que l’effet positif d’une diminution des dépenses publiques. En d’autres termes, selon les citoyens, il est plus intéressant – en termes de valeur ajoutée – d’éviter une intervention qui augmente les dépenses de X millions d’euros que de privilégier une intervention qui permet d’économiser les mêmes X millions. Il en va de même pour les aspects relatifs à l’inconfort du traitement ou à la prévalence de la maladie. Ceci va dans le sens d’une loi générale en économie qui dit que la perception d’une perte est toujours considérée comme plus importante que celle d’un gain, même si les deux ont la même valeur absolue.

47Pour la qualité de vie, les choses sont moins claires : le gain associé à l’augmentation de la qualité de vie est du même ordre de grandeur que la perte associée à sa diminution, indépendamment de la qualité de vie actuelle des patients.

Tableau 10

Valeur ajoutée d’un nouveau traitement : pondérations par critère

Tableau 10
Impact du nouveau traitement… Pondération des citoyens sur la qualité de vie 0.37 sur la prévalence 0.36 sur l’espérance de vie 0.14 sur l’inconfort du traitement 0.07 sur les dépenses publiques pour chaque patient 0.06

Valeur ajoutée d’un nouveau traitement : pondérations par critère

4.4 – Poids par sous-groupes de la population

48Lorsque les sous-groupes définis par catégorie d’âge du répondant sont comparés, on observe que les répondants âgés de 80-89 ans ont clairement des préférences différentes de celles des autres groupes d’âge. En ce qui concerne le « besoin thérapeutique », les répondants entre 80 et 89 ans donnent beaucoup plus d’importance au critère de l’inconfort de traitement actuel et moins au critère de la qualité de vie avec le traitement actuel que les autres groupes d’âge. Pour juger le « besoin sociétal », les 80 à 89 ans donnent un poids supérieur à la prévalence plutôt qu’aux dépenses publiques, contrairement à tous les autres groupes d’âge. Quant à l’appréciation de la valeur ajoutée de nouveaux traitements, les changements dans le confort de traitement sont plus importants que les changements dans l’espérance de vie pour les 70 à 79 ans et pour les 80 à 89 ans, à la différence des autres groupes d’âge. Cela signifie que ces groupes d’âge accordent plus de valeur à vivre mieux que vivre plus longtemps, pour autant qu’une « vie meilleure » soit définie par une meilleure qualité de vie ou moins d’inconfort de traitement. Les répondants du groupe d’âge le plus jeune (de 20-29 ans) donnent plus de poids à la réduction des dépenses publiques par rapport aux autres groupes d’âge, bien que ce critère pour ce même groupe d’âge reste le moins important pour évaluer la valeur ajoutée d’une nouvelle intervention.

49Pour juger de la nécessité thérapeutique, les répondants qui se déclarent actuellement en bonne santé donnent un peu plus de poids à la qualité de vie qu’à l’inconfort du traitement actuel. Ceux qui déclarent ne pas être en bonne santé trouvent plus important de réduire l’inconfort de traitement que d’augmenter la qualité de vie globale. Les deux sous-groupes donnent le poids le plus faible à la réduction de l’espérance de vie en raison de la maladie.

50Pour tous les autres critères dans tous les domaines, les poids étaient très similaires dans les différents sous-groupes.

4.5 – Comment prendre en compte les pondérations dans le processus de décision ?

51La mesure de l’importance relative des différents critères utilisés dans les choix en matière de remboursement d’interventions de santé ne constitue pas l’objectif final de notre travail de recherche. Si l’on veut que les décisions restent cohérentes les unes avec les autres malgré la multiplicité de paramètres, et qu’elles tiennent compte des préférences des citoyens, il faut mettre sur pied une manière d’y arriver qui soit stable et reproductible. La « multi-criteria decision analysis » ou analyse multicritère (MCDA) est une méthode qui permet de rendre explicite le poids relatif de chacun des critères (parfois contradictoires) pris en compte dans les décisions (Devlin et Sussex, 2011). Les pondérations mesurées dans cette étude y seraient l’un des éléments à prendre en compte.

52Selon ce processus MCDA, il serait demandé aux experts d’attribuer, pour chacun des critères envisagés, un « score » exprimant la manière dont l’intervention satisfait à ces critères. Ce score serait établi sur base des données objectives existantes. Puis, les préférences révélées des citoyens détermineraient le poids relatif de chacun de ces scores dans la décision finale.

53En pratique, chaque score établi par les experts pour chaque critère serait multiplié par la pondération correspondante, pour obtenir un score pondéré. Par exemple, pour la nécessité thérapeutique, le score X attribué à la qualité de vie avec le traitement existant serait multiplié par 0.43, le score Y pour l’espérance de vie avec le traitement existant serait multiplié par 0.14 et le score Z lié à l’inconfort du traitement existant serait multiplié par 0.43.

54Les scores pondérés des différents critères seraient alors additionnés pour arriver à un score pondéré total pour la nécessité thérapeutique (dans notre exemple : 0.43X + 0.14Y + 0.43Z), un autre pour la nécessité sociétale, et un troisième pour la valeur ajoutée.

55L’avantage de ces trois scores pondérés totaux serait d’apporter à chacune des trois questions une réponse qui tient en un seul chiffre, malgré la complexité des questions. Ce chiffre unique tiendrait donc à la fois compte des données objectives et des préférences – subjectives (mais mesurées de manière objective) – des citoyens belges. Les pondérations doivent rester constantes quelles que soient les interventions à évaluer, c’est-à-dire que les mêmes pondérations seront toujours appliquées aux mêmes critères.

56En effet, étant donné que les pondérations ont été établies pour des maladies ou des interventions « génériques », virtuelles – l’enquête ne comportait aucun exemple concret –, ces pondérations sont en principe valables pour toutes les demandes de remboursement. Ceci permettra d’arriver, à force de répétition de l’exercice, à une certaine généralisation. Les valeurs qui seront déterminées au cours de l’exercice MCDA ne seront jamais absolues, mais relatives. C’est la répétition de l’exercice qui permettra d’« étalonner » progressivement et d’aboutir, au fil du temps, à un classement des interventions et des types d’affections classés par ordre de priorité.

57Ainsi, on peut décomposer et visualiser les quatre cas de figure possibles (tableau 11).

Tableau 11

Matrice d’évaluation de la disposition à payer (plus) pour une nouvelle intervention

Tableau 11

Matrice d’évaluation de la disposition à payer (plus) pour une nouvelle intervention

58L’axe horizontal représente les nécessités thérapeutiques et sociétales prises ensemble, qui définissent le besoin existant dans la société vis-à-vis d’une nouvelle intervention. L’axe vertical représente la valeur ajoutée globale de l’intervention considérée.

59Dans le quadrant supérieur droit, le remboursement est le plus probable, en théorie du moins, car cela dépend également du budget disponible et du prix demandé, qui entrent en ligne de compte plus loin dans le processus de décision.

60Dans le quadrant supérieur gauche, le remboursement peut être envisagé mais c’est alors le coût qui sera décisif : il faudra qu’il soit du même ordre (ou plus bas) que le traitement de référence.

61Dans le quadrant inférieur droit on envisagera éventuellement le remboursement en fonction d’autres critères. Dans de tels cas, il semble sage de définir des conditions pour ce remboursement et d’exiger une réévaluation après un certain temps.

62Dans le quadrant inférieur gauche, il n’y a donc pas de raison d’accorder un remboursement.

63Une fois la localisation de la nouvelle intervention sur le schéma, les experts pourraient vouloir faire intervenir des arguments supplémentaires, spécifiques, qui ne sont pas repris dans les critères de base de la MCDA, mais qui proviennent par exemple d’une volonté politique, comme mettre l’accent sur la valeur préventive de certaines interventions. Il est important que la prise en compte de ces arguments supplémentaires soit bien documentée et n’induise pas de modifications dans les scores et pondérations attribués lors de l’exercice MCDA.

64En respectant ce principe, il sera toujours possible de justifier la décision prise devant les citoyens, même si elle est le fait d’une exception par rapport au processus établi. Plus le processus est explicite, plus les éventuels arbitrages qui seront faits seront légitimes.

5 – Discussion

65La MCDA doit être vue comme une aide à la décision, un outil destiné à structurer les processus délibératifs, à exercer le jugement, et non comme une méthode à appliquer mécaniquement (Klein, 1993). L’avantage majeur de la MCDA est donc qu’elle accroît la transparence et la cohérence des processus de décision. En identifiant et en pondérant de façon explicite et reproductible les critères qui entrent en ligne de compte, elle permet aux décideurs d’assumer plus ouvertement leurs choix face à l’opinion publique.

66La littérature décrit plusieurs listes de critères plus ou moins extensives, développées dans d’autres pays, mais leur pondération n’est que rarement (voire jamais) basée sur les préférences des citoyens (Marsh, Lanitis, Neasham, Orfanos et Caro, 2014). De plus, ces critères ne sont généralement pas structurés de manière hiérarchique comme le sont ceux de notre canevas. Au contraire, les critères sont souvent introduits tous ensemble dans le modèle de décision. L’avantage de notre modèle « multicouches » est de ne comporter que quelques critères par niveau, étant donné que la littérature montre qu’il est quasi impossible, en pratique, de considérer plus de six critères à la fois (Ryan et al., 2001).

67Une prochaine étape importante est le développement de règles de notation pour les critères de l’outil MCDA. Ceux-ci devront inclure des moyens pour faire face à des preuves manquantes ou de faible qualité. Ces règles de cotation devraient être suivies par tous les comités qui utilisent l’outil, pour assurer la cohérence. Plus la MCDA sera utilisée dans les décisions, plus utile elle deviendra. En effet, il sera alors possible de se référer à des applications de l’outil antérieures lors de l’examen du niveau de besoin pour un meilleur traitement et du niveau de la valeur ajoutée d’un nouveau traitement.

68Des études pilotes de test de la MCDA pour les décisions de remboursement dans d’autres pays ont montré que les décideurs perçoivent généralement la technique comme une aide utile à la décision, et en particulier, la prise en compte systématique et de manière pragmatique de critères multiples de décision. De même, ils rapportent que la méthode améliore les décisions. Valutazioni Tecnologie Sanitarie-Health Technology Assessment (VTS-HTA), l’agence HTA de Lombardie (Italie) qui met en œuvre les décisions de remboursement (principalement des dispositifs médicaux et diagnostiques) utilise actuellement systématiquement un cadre MCDA dans son processus de décision de remboursement.

69Notre étude a démontré qu’il faudrait mener plus de recherches quant aux méthodes de calcul de la pondération des critères. Différentes méthodes peuvent donner des poids différents. Cet écart a déjà été mis en évidence par d’autres chercheurs. Parce que la MCDA n’est pas une science exacte, l’estimation ponctuelle des poids est moins importante que leur importance relative ou rang parmi l’ensemble des critères. Mais si différentes méthodes donnent différents classements de critères, il faudra développer la recherche afin de déterminer quelle méthode donne les meilleurs résultats en termes d’acceptation de la maladie et des classements résultant de leur application des interventions.

6 – Conclusion

70Les citoyens belges sont d’avis que la qualité de vie est le critère qui doit peser le plus sur les décisions de rembourser ou non un nouveau traitement. L’impact sur l’espérance de vie reste également un critère important à leurs yeux mais ils le mettent en balance avec la perte de qualité de vie.

71Il n’existe pas de solution simple, et encore moins de solution purement « technique », à des questions aussi sensibles et complexes que celles du choix des remboursements de soins de santé. Les préférences des citoyens peuvent apporter des indications concrètes pour orienter les décisions des représentants politiques. Il ne s’agissait donc pas de développer un processus de décision prescriptif, mais bien de rendre le processus existant plus transparent et plus reproductible, deux qualités indispensables pour assurer sa légitimité.

Notes

  • [1]
    Nous remercions Karin Rondia et Christian Léonard d’avoir rédigé un résumé en français de notre rapport anglais, résumé qui nous a servi de point de départ pour rédiger cet article.
  • [2]
    Expert économiste senior KCE.
  • [3]
    Expert data analyst et Data Manager KCE.
  • [4]
    Expert en analyse sociologique au KCE et assistante chargée d’exercises à l’ULB.
  • [5]
    Expert data analyst KCE.
  • [6]
    Expert économiste senior KCE et professeur à la KUL.
Français

Les décisions en matière de remboursement de soins de santé sont complexes : les critères de décision sont nombreux, variés et parfois difficilement conciliables. Dans un système démocratique, la légitimité des décisions exige que les décideurs politiques tiennent, au moins en partie, compte des préférences des citoyens. L’étude présentée ici vise à mesurer l’importance relative, aux yeux des citoyens belges, des critères utilisés pour évaluer les demandes de remboursement de nouvelles interventions de santé. Une enquête a été réalisée dans le grand public en utilisant la méthode des choix discrets (discrete choice experiments, DCE) pour déterminer le poids relatif des critères de décisions. Les réponses de 4 288 participants du grand public ont été utilisées pour l’analyse. Une analyse de régression logistique multinomiale a été réalisée pour analyser les données. Les résultats montrent que les citoyens estiment que la qualité de vie est le critère qui doit peser le plus sur l’évaluation de la nécessité thérapeutique et sur les décisions de rembourser ou non un nouveau traitement. L’impact sur l’espérance de vie est également un critère important mais il est mis en balance avec la perte de qualité de vie.
JEL Classification : D71, D81, I13, I18

Mots-clés

  • préférences sociétales
  • couverture de soins de santé
  • remboursement
  • prise de décision

Bibliographie

  • Cleemput, I., Devriese, S., Kohn, L., Devos, C., van Til, J., Groothuis-Oudshoorn, K., & Van de Voorde, C. (2014), « Incorporating societal preferences in reimbursement decisions. Relative importance of decision criteria according to belgian citizens », KCE Reports, vol. 234, Bruxelles, Belgian Health Care Knowledge Centre (KCE).
  • En ligneDaniels, N. & Sabin, J. (1997), « Limits to health care : Fair procedures, democratic deliberation, and the legitimacy problem for insurers », Philos Public Aff, 26(4), pp. 303-350.
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  • le Polain, M., Franken, M., Koopmanschap, M., & Cleemput, I. (2010), « Drug reimbursement systems : International comparison and policy recommendations », Health Services Research (HSR), vol. KCE Reports 147C, Bruxelles, Belgian Health Care Knowledge Centre (KCE).
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  • En ligneRyan, M., Scott, D. A., Reeves, C., Bate, A., van Teijlingen, E. R., Russell, E. M., & Robb, C. M. (2001), « Eliciting public preferences for healthcare : A systematic review of techniques », Health Technol Assess, 5(5), pp. 1-186.
Irina Cleemput [2]
  • [2]
    Expert économiste senior KCE.
Stephan Devriese [3]
  • [3]
    Expert data analyst et Data Manager KCE.
Laurence Kohn [4]
  • [4]
    Expert en analyse sociologique au KCE et assistante chargée d’exercises à l’ULB.
Carl Devos [5]
  • [5]
    Expert data analyst KCE.
Carine Van de Voorde [6]
  • [6]
    Expert économiste senior KCE et professeur à la KUL.
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Mis en ligne sur Cairn.info le 30/06/2015
https://doi.org/10.3917/rpve.534.0035
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