CAIRN.INFO : Matières à réflexion

Le 15 décembre 2004, l’entreprise Google annonce son projet Google Books de numérisation de 15 millions de livres en six ans, en partenariat avec les plus importantes bibliothèques américaines (University of Michigan, New York Public Library, Stanford University, ...). Trois mois plus tard, le président d’alors de la Bibliothèque nationale de France (BnF), Jean-Noël Jeanneney, lance un vibrant plaidoyer en faveur d’une bibliothèque numérique européenne. Jacques Chirac enfourche alors ce cheval de bataille et, avec cinq autres chefs d’État (Allemagne, Espagne, Hongrie, Italie, Pologne), écrit au président de l’Union européenne pour promouvoir le projet. À l’époque, celui-ci soulevait un grand enthousiasme parmi nos concitoyens – le pouvoir politique français y voyait, quant à lui, l’occasion de redorer sa propre image et celle de l’Europe à la suite de l’échec du référendum sur la Constitution européenne, en mai 2005.
Trois ans plus tard (en novembre 2008), un premier site voit le jour sous le nom d’Europeana (www.europeana.eu). Le démarrage est laborieux : mal dimensionné par rapport au nombre d’accès, le site est fermé dès son ouverture, et ce pendant plusieurs semaines. Un des principaux atouts de Google est justement le nombre de ses serveurs et la rapidité de traitement des requêtes adressées au moteur. Le site Europeana fonctionne maintenant, mais c’est un simple catalogue et non une bibliothèque dans laquelle on peut visualiser directement un ouvrage. L’internaute est renvoyé, après trois ou quatre clicks, aux sites des bibliothèques de chaque pays, avec des dispositifs de visualisation (liseuse ou visionneuse de livres numérisés), auxquels il doit s’adapter à chaque fois : la visionneuse de Gallica (bibliothèque numérique de la BnF), celle de la Bayerische Landesbibliothek, celle de la Gent Bibliotheek, etc…

Français

Pourquoi les grands projets informatiques portés politiquement au plus haut niveau de l’État deviennent-ils quelques années plus tard des échecs consommés, dans une indifférence quasi générale inversement proportionnelle à la mobilisation politico-médiatique qui avait présidé à leur annonce ? Le dossier médical personnel, lancé médiatiquement en mai 2004 et inscrit dans la loi d’assurance maladie d’août 2004, en est un exemple : chaque Français devait disposer d’un dossier médical sur Internet au 1er janvier 2007 – qui s’en souvient [1] ? À l’instar de ce projet, alors présenté comme la pièce maîtresse de la réduction des dépenses d’assurance-maladie, la bibliothèque numérique européenne, annoncée urbi et orbi en mai 2005, était censée contrer ce qui était vu comme une hégémonie culturelle de Google dans le domaine de la diffusion des connaissances sur Internet. Que la montagne ait là aussi accouché d’une souris nous invite à une réflexion sur l’efficacité du discours politique et de l’action publique, au niveau français comme européen.

English

A digital European library: From utopia to reality

A digital European library: From utopia to reality

Why do big plans for data processing that are announced with political support from the highest level in the government turn out, a few years later, to be wasteful failures in a context of widespread indifference that is inversely proportional to the mobilization of the media and politicians at the time of the announcement? The project for “personal medical records” – launched in the media in May 2004, presented as the key to curbing health insurance costs, and included as part of a Social Security act in August 2004 – provides an example. Every French person was to have a medical record on the Internet by 1 January 2007 – but who still remembers? Like this project, the digital European library, announced urbi et orbi in May 2005, would supposedly counter what was seen as Google’s cultural hegemony over the diffusion of knowledge on the Internet. This anticlimax leads us to turn our thoughts to the effectiveness of political words and public deeds in France and the EU.

Deutsch

Die europäische digitale Bibliothek : von der Utopie zur Wirklichkeit

Warum werden aus den großen Informatikprojekten, die auf höchster staatlicher Ebene beschlossen werden, einige Jahre später totale Fehlschläge, die überdies mit einer quasi allgemeinen Gleichgültigkeit aufgenommen werden, die in einem umgekehrt proportionalen Verhältnis zur vorausgehenden Mobilisierung in Politik und Medien steht ? Die elektronische Patientenakte, die im Mai 2004 über die Medien angekündigt und im August 2004 im Krankheitsversicherungsgesetz festgeschrieben wurde, ist ein Beispiel dafür : jeder Franzose sollte am 1. Januar 2007 über eine medizinische Akte im Internet verfügen – wer erinnert sich noch daran ? Nach dem Beispiel dieses Projekts, das als wichtiger Schritt zur Reduzierung der Ausgaben für die Krankenversicherung vorgestellt wurde, sollte die europäische digitale Bibliothek, die im Mai 2005 der ganzen Welt verkündet wurde, dem entgegentreten, was als kulturelle Hegemonie von Google auf dem Gebiet der Wissensvermittlung im Internet angesehen wurde. Dass auch hier der Berg kreißte und eine Maus gebar, lässt es fraglich erscheinen, ob politischer Diskurs und politisches Handeln auf französischer wie auch auf europäischer Ebene immer effizient sind.

Español

Biblioteca digital europea, de la utopía a la realidad

¿Por qué los grandes proyectos en tecnologías de la información sustentados políticamente al más alto nivel del Estado se convierten unos años más tarde en completos fracasos, en una indiferencia general inversamente proporcional a la agitación político-mediática que había presidido su anuncio? El expediente médico personal, lanzado ante los medios de comunicación en mayo de 2004, que se inscribía en la ley de la seguridad social de agosto de 2004, es un ejemplo perfecto. En teoría cada francés debería tener un expediente médico en Internet a partir del 1 de enero 2007, ¿quién se acuerda de ello? Al igual que este proyecto, presentado como la pieza central para reducir los costes de la seguridad social, la biblioteca digital europea, anunciada Urbi et Orbi en mayo de 2005 debía contrarrestar la “hegemonía cultural” de Google en el campo de la difusión de conocimientos en Internet. El hecho de que haya habido mucho ruido y pocas nueces nos invita a reflexionar sobre la eficacia del discurso político y la acción pública en Francia y Europa.

Alexandre Moatti [*]
Ingénieur en chef des Mines au Conseil général de l’économie, de l’industrie, de l’énergie et des technologies, Alexandre Moatti (www.moatti.net) est chercheur associé à l’Université Paris VII-Denis Diderot (laboratoire SPHERE UMR 7219). Il est également l’auteur d’ouvrages de vulgarisation et d’histoire des sciences (voir son blog : www.maths-et-physique.net). Depuis 2007, il est membre de l’association Wikimédia France, dont il est un ancien administrateur.
  • [*]
    Ingénieur en chef des Mines (Conseil général de l’Économie, de l’Industrie, de l’Énergie et des Technologies), chercheur associé à l’Université Paris-VII Denis-Diderot (laboratoire sphere UMR 7219), ancien Secrétaire général du comité « Bibliothèque numérique européenne » (sept. 2005- mars 2006). Voir www.moatti.net
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Mis en ligne sur Cairn.info le 10/09/2013
https://doi.org/10.3917/rindu.124.0043
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