Le 28 février 1848, alors que les autorités municipales de Romilly-sur-Seine, petite commune bonnetière de l’Aube, parcourent la ville pour annoncer l’avènement de la République, un groupe d’ouvriers s’assemble, aux cris de « A bas les métiers circulaires ! ». Profitant de la vacance du pouvoir, la population attaque les métiers récemment introduits dans la ville ; près d’une centaine sont détruits, pour un montant total évalué à 40 000 francs. Pour les travailleurs de Romilly, la destruction de ces machines apparaissait comme une conséquence logique de la proclamation du droit au travail et de la République démocratique et sociale. Pour légitimer les violences commises et maintenir la fiction d’une justice populaire en acte, les ouvriers recourent à un discours moral et légal. Ils répètent qu’ils n’en veulent qu’aux métiers circulaires et qu’ils ne toucheront pas aux autres biens. Ce discours semble efficace puisque, pendant les destructions, « les spectateurs applaudissaient dans la rue ». Selon le commissaire de police, témoin impuissant de ces événements, « parmi tous ceux que le tambour avait attiré comme curieux, la plupart approuvaient la destruction des métiers et disaient qu’on devait laisser faire ».
Cette condamnation apparente des machines invite à questionner l’outillage mental à partir duquel le machinisme et l’industrie sont pensés, dans le contexte de crise politique et sociale du milieu du XIXe siècle. Les catégories permettant de penser le monde économique sont bouleversées par l’événement révolutionnaire, qui modifie brutalement les lunettes pour voir et les mot…