CAIRN.INFO : Matières à réflexion

1Avec un volume de primes supérieur à 500 milliards d’euros en 2018, le marché chinois de l’assurance constitue le second plus grand à l’échelle mondiale derrière les États-Unis (environ 1 300 milliards d’euros). D’après la dernière étude sigma du Swiss Re Institute qui fait référence en la matière, il représente environ 11 % du marché mondial de l’assurance. À titre de comparaison, le marché français, pourtant largement développé, ne pèse que 5 %, soit moins de la moitié du marché chinois.

2Toutefois, cela n’a pas toujours été le cas, loin de là. Si l’on remonte quarante ans en arrière, l’activité d’assurance en Chine représentait moins de 1 % du marché mondial. À l’époque, près de 80 % de l’activité d’assurance étaient réalisés dans les pays développés d’Europe et d’Amérique du Nord. De nos jours, la part relative des économies les plus avancées a reculé aux environs de 70 %. Symétriquement, celle du marché chinois a crû de manière exponentielle à la faveur de l’explosion qu’a connue le développement économique de ce pays.

3Et pourtant, si l’on mesure l’importance des activités d’assurance en Chine de manière relative, on s’aperçoit très rapidement que celle-ci demeure assez limitée. En effet, forte d’une population supérieure au milliard d’individus, la prime moyenne par habitant se situe à un niveau étonnamment bas, aux environs de 400 dollars par an, ce qui est bien inférieur à la moyenne mondiale (environ 700 dollars) et particulièrement faible par rapport à des pays avancés comme la France (environ 3 700 dollars) ou encore les États-Unis (près de 4 500 dollars).

Graphique 1
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4La même observation peut être faite quand on rapporte les primes d’assurance au produit intérieur brut. En Chine, elles n’en représentent qu’un peu plus de 4 % à comparer à un niveau de 6 % à l’échelle mondiale. En France, ce même ratio tangente les 9 %, tandis qu’il avoisine les 10 % dans les pays ayant fait le choix de déléguer aux acteurs privés une part plus importante de la gestion de l’assurance santé et/ou retraite.

5L’écart entre ces deux mesures est toutefois notable. Ainsi un citoyen français dépense-t-il en moyenne près de dix fois plus pour s’assurer qu’un citoyen chinois. Pour autant, la part de l’assurance dans le PIB ne représente en France qu’à peine plus de deux fois celle observée en Chine. Outre les écarts notables de PIB par habitant entre les deux pays, cette différence importante est aussi liée à l’importance relative en Chine des activités d’assurance d’entreprises, notamment industrielles, dont on sait qu’elles sont fortement génératrices de matière assurable.

6Symétriquement, cette différence révèle aussi le caractère encore relativement limité de l’assurance des risques de particuliers dans ce pays.

7Si l’on entre à présent dans le détail du marché chinois de l’assurance, on remarque que le poids relatif des activités vie et non-vie est relativement équilibré. En effet, environ 55 % des primes d’assurance souscrites en Chine en 2018 correspondaient à des contrats d’assurance vie et le reste, environ 45 %, à des polices non-vie. Cette situation tranche par rapport à celle des pays les moins avancés en matière de développement des activités d’assurance.

8De fait, on observe souvent pour ces derniers une prépondérance des activités non-vie qui correspondent typiquement à des couvertures obligatoires limitées à quelques risques, tels que la responsabilité civile automobile. Ainsi, le poids relatif de l’activité d’assurance vie est la plupart du temps inférieur à 40 % dans la plupart des pays situés en Amérique latine, en Europe Centrale et Orientale, au Moyen-Orient ou encore en Afrique. De manière intéressante, cette observation ne s’applique pas en Asie du Sud-Est, où le poids relatif de l’assurance vie dépasse généralement le seuil de 50 %, caractérisant ainsi un niveau de développement relativement plus avancé et une culture de la prévoyance davantage établie. Pour autant, c’est dans les économies les plus avancées que le poids relatif de l’assurance vie est le plus important, souvent au-delà de 60 %. Et il est vraisemblable qu’à terme, le marché chinois s’oriente dans cette direction à la faveur de l’enrichissement de sa population et de ses besoins croissants en matière de préparation de la retraite du fait du vieillissement rapide de sa population. Cela est d’autant plus prévisible que les mécanismes obligatoires d’assurance retraite sont encore assez peu développés en Chine, ne laissant espérer pour les vieux jours d’une grande partie de la population qu’une rente correspondant au strict minimum vital.

9Il est donc raisonnable d’anticiper le fait que la forte croissance enregistrée au cours de ces dernières années par le marché chinois de l’assurance n’est pas près de s’interrompre. Celle-ci devrait s’appuyer sur le maintien d’un fort taux de croissance pour les activités d’assurance non-vie, notamment en raison de la croissance de l’économie, mais aussi de la grandissante aversion au risque que l’on observe généralement chez les ménages qui deviennent propriétaires d’une automobile et/ou d’un logement. De plus, la survenance récurrente de catastrophes d’origine humaine ou naturelle au cours de ces dernières années est de nature à dynamiser ce segment de marché. Enfin, le vieillissement de la population, déjà évoqué, devrait stimuler l’activité d’assurance des personnes aussi bien sous forme de contrats d’épargne que de prévoyance. Sous réserve que ces hypothèses se vérifient, la Chine pourrait représenter près de 20 % du marché mondial de l’assurance dans dix ans d’après le Swiss Re Institute et ainsi combler une grande partie de son écart avec le marché américain.

Graphique 2

Parts de marché des plus grands assureurs chinois (2017)

Graphique 2

Parts de marché des plus grands assureurs chinois (2017)

(source : S&P Global Ratings)

Un marché concentré et fortement régulé

10Le marché chinois de l’assurance est découpé entre, d’une part, un nombre limité de très grands assureurs et, d’autre part, de nombreux acteurs de taille petite ou moyenne. Ainsi, sur le marché de l’assurance vie, les deux premiers assureurs (China Life et Ping An Life) détiennent conjointement plus du tiers du marché et le poids relatif des dix premiers acteurs est d’environ 70 %. En non-vie, la concentration du marché est encore plus grande, puisque les deux premiers acteurs (PICC et Ping An) pèsent pour plus de la moitié de l’encaissement du secteur.

11La concurrence entre les différents types d’intervenants est intense et tend à s’accroître du fait des évolutions à la fois réglementaires et technologiques. Par ailleurs, la volatilité des marchés financiers ne facilite pas leur activité sans pour autant compromettre leurs fortes perspectives de croissance qui reposent sur une demande grandissante de couvertures.

12L’importance relative des acteurs étrangers reste marginale, même s’il faut signaler que dans la liste des quinze plus grands assureurs non-vie figure AXA Tianping, depuis peu filiale à 100 % du groupe AXA, qui dispose d’une part de marché d’environ 1 %. De plus, on peut aussi remarquer la présence de groupes étrangers au capital de certains grands assureurs chinois, en tant qu’actionnaires minoritaires. C’est le cas de Taiping Life, détenu à 25 % par le groupe d’assurance Ageas et qui dispose d’une part de marché significative d’environ 5 % sur le marché vie. C’est aussi le cas d’ICBC-AXA détenu à près de 28 % par le groupe AXA.

13En matière réglementaire, une étape importante a été franchie en 2018 avec la finalisation du rapprochement des autorités de contrôle en charge du secteur des banques et de celui des assurances. Ainsi, l’avènement de la CBIRC (China Banking and Insurance Regulatory Commission) concrétise l’importance grandissante qu’accordent les autorités chinoises à la stabilité du système financier.

14Pour évaluer la solidité financière du secteur, un outil réglementaire mesurant la solvabilité ajustée des risques a été introduit dès 2016. Depuis lors, les assureurs sont régulièrement tenus de communiquer leur ratio C-ROSS (China Risk-Oriented Solvency System) au régulateur, ce qui a constitué une évolution majeure pour l’ensemble des acteurs concernés.

15Comme c’est le cas dans d’autres pays, une certaine vigilance devra toutefois être maintenue compte tenu de la taille relative plus importante des banques par rapport aux assureurs, et cela afin que la réglementation applicable à ces derniers corresponde bien à leurs enjeux spécifiques. En effet, les assureurs chinois ont un rôle particulièrement important à jouer face aux grandes évolutions que connaît le pays à l’heure actuelle : vieillissement de la population, accroissement des besoins en matière de soins de santé, urbanisation galopante et, enfin, une aversion grandissante des ménages aux risques.

16Afin de faire face à ces nombreux enjeux, il est indispensable que les assureurs chinois fassent porter leurs efforts sur le développement d’une offre de produits plus large, sur la mise en place de stratégies de multidistribution et, enfin, sur un meilleur contrôle des frais et des risques souscrits. Pour les assureurs de taille moyenne, il est en outre crucial qu’ils améliorent leur capacité à satisfaire les besoins des segments de clientèle sur lesquels ils opèrent, et cela afin de se différencier par rapport aux leaders des marchés.

17Cela est particulièrement vrai pour les acteurs qui opèrent dans l’assurance de dommages. En effet, sur ce marché, la concurrence est particulièrement exacerbée et contraint les assureurs à devoir rémunérer les intermédiaires à des niveaux très élevés afin de maintenir leurs parts de marché. À ce titre, il sera intéressant d’observer les conséquences qu’aura l’assouplissement annoncé des modalités de déduction des commissions versées aux apporteurs d’affaires dans le calcul du résultat fiscal des assureurs. En effet, jusqu’à présent, ces commissions n’étaient fiscalement déductibles au maximum qu’à hauteur de 15 % pour les assureurs de dommages et de seulement 10 % pour les assureurs vie. Ces taux ont récemment été portés par le ministère des Finances chinois à un niveau uniforme de 18 %, ce nouveau taux applicable à compter du 1er janvier 2019 ayant un effet rétrospectif pour l’exercice 2018. Dans un premier temps, cette mesure favorisera incontestablement les assureurs en réduisant leur base de résultat taxable. Toutefois, dans un second temps, cette mesure pourrait avoir pour conséquence de créer un effet inflationniste sur les commissions, dont on sait l’importance fondamentale dans la stratégie des assureurs pour gagner de nouvelles parts de marché.

Des réseaux de distribution étendus et onéreux

18La distribution des polices d’assurance en Chine repose largement sur les réseaux d’agents. À l’image du gigantisme de ce marché, ils ne sont pas moins de 8 millions à exercer leur activité sur l’ensemble du territoire : un effectif à rapprocher des 12 000 agents exerçant en France, chiffre auquel il faut cependant ajouter les points de vente détenus en propre par les assureurs, essentiellement mutualistes. Par ailleurs, la distribution de produits d’assurance via les réseaux bancaires gagne aussi du terrain. Ce modèle d’affaires bien connu en Europe s’est développé en Chine à la faveur du succès rencontré par les contrats d’assurance vie épargne qui présentent beaucoup de points communs avec des produits bancaires. Toutefois, en raison d’évolutions réglementaires et d’une performance financière déclinante, la nature des polices vendues devrait graduellement évoluer au bénéfice des produits de prévoyance. Cela devrait favoriser les réseaux d’agents mieux à même de commercialiser ces polices plus sophistiquées et nécessitant donc un rôle de conseil plus important. En cela, les réseaux d’agents devraient être de plus en plus actifs du fait des efforts importants réalisés par les assureurs en matière de technologie. Ceux-ci en retour pourraient ainsi améliorer leurs coûts de fonctionnement et donc compenser partiellement l’inflation prévisible de leurs frais de distribution qui résulte de la rareté des talents, notamment en zone urbaine.

19En assurance de dommages, on observe depuis peu une moindre croissance des primes qui s’explique notamment par le ralentissement du marché automobile. En effet, le segment de l’automobile continue de peser pour plus de 60 % du marché chinois de l’assurance non-vie, alors qu’en France, par exemple, il n’en représente qu’environ 40 %. Cette différence s’explique notamment par le développement plus important des autres branches, au premier rang desquelles figure l’assurance habitation.

20L’activité d’assurance non-vie en Chine se caractérise par une modeste rentabilité technique, que reflète un ratio combiné proche de 100 % au cours des cinq dernières années. Cette absence d’évolution est cependant trompeuse du fait qu’elle masque des tendances inverses non négligeables pour les deux composantes de ce ratio. En effet, comme nous l’avons déjà mentionné, le poids des frais rapportés aux primes a crû au cours de ces dernières années du fait notamment de l’inflation des coûts de distribution. À l’inverse, le ratio de sinistres a connu une évolution favorable, principalement en raison de la diminution des fréquences des sinistres. Ainsi, sur un échantillon établi par S&P Global Ratings se composant des quinze plus grands assureurs non-vie, le ratio de sinistres a reculé d’environ 4 points depuis 2013 pour se situer aux environs de 60 %. Symétriquement, le ratio de frais a parcouru le chemin inverse en augmentant de 4 points pour atteindre un niveau proche des 40 %. Afin de contenir cette tendance difficilement soutenable sur le moyen terme, la CBIRC a mis en place depuis le mois d’août 2018 des mesures réglementaires visant à contenir le niveau de rémunération des intermédiaires d’assurance, notamment sur le segment de l’automobile. Les effets bénéfiques attendus de ces mesures pour les assureurs devraient graduellement se superposer à ceux générés par les évolutions technologiques, notamment l’utilisation des données de masse. La réglementation sur la protection des données étant encore limitée en Chine, les assureurs bénéficient d’une grande flexibilité dans la collecte et l’utilisation de ces dernières et peuvent ainsi affiner leur politique tarifaire. Malgré les efforts entrepris ces dernières années, ils disposent encore d’une marge substantielle de progression dans ce domaine.

Graphique 3
Graphique 3

21Au-delà de l’automobile, d’autres segments de l’assurance de dommages progressent de manière visible. C’est notamment le cas de l’assurance responsabilité civile et de celle des risques agricoles. Leur développement ne s’effectue cependant pas sans une certaine prise de risque pour les assureurs concernés. Ainsi, la multiplication des catastrophes naturelles a généré des pertes significatives pour le segment de l’assurance agricole au cours de ces dernières années. De même, l’urbanisation galopante que connaissent les grandes agglomérations de la façade maritime de l’Est de la Chine expose les assureurs à des cumuls d’exposition grandissants, notamment pour ce qui concerne le risque lié à la formation de typhons. Sans surprise, ces activités d’assurance très spécialisées requièrent un niveau de fonds propres parmi les plus élevés dans le modèle C-ROSS.

22Cet accroissement dans la prise de risque est d’autant plus préoccupant que la souscription de ce type d’expositions nécessite une expertise et des compétences sophistiquées, qui ne sont pas encore aisément disponibles sur le marché chinois. Par ailleurs, les activités de prêts entre particuliers qui font elles aussi l’objet d’une assurance-crédit vendue par certains acteurs, connaissent des difficultés croissantes, en lien avec la détérioration de l’environnement économique.

23Pour l’ensemble de ces raisons, nous observons un certain tassement des marges de solvabilité des assureurs non-vie chinois. Ceux-ci ont par ailleurs eu tendance à s’endetter et à prendre davantage de risques dans leurs activités d’investissement afin de contrer la diminution des rendements et ainsi maintenir leur capacité à servir des dividendes à leurs actionnaires. Il conviendra donc de garder un certain degré de vigilance pour mesurer l’évolution de la qualité de crédit des assureurs chinois dans les années à venir.

Français

Après avoir progressé de manière très importante, le marché chinois de l’assurance est aujourd’hui le deuxième plus grand à l’échelle mondiale derrière les États-Unis. Pour autant, la prime d’assurance moyenne par habitant ainsi que la part de l’assurance dans le PIB chinois demeurent très en deçà des niveaux observés dans les pays développés. Cela laisse donc augurer des perspectives de développement toujours très fortes au cours de la décennie à venir.
À ce stade, le marché chinois de l’assurance est relativement équilibré entre les secteurs vie et non-vie, ce qui démontre sa maturité grandissante. Il est aussi fortement régulé et dominé par un nombre réduit d’acteurs disposant de fortes parts de marché. Les assureurs étrangers ne représentent pas un poids significatif. Malgré la forte croissance dont ils bénéficient, les assureurs chinois se heurtent à de nombreux défis, tels que le coût des réseaux de distribution, la nécessité d’adapter leur gamme de produits aux besoins changeants des assurés et, enfin, l’impact grandissant des catastrophes naturelles.

English

Insurance in China

The Chinese insurance market has thrived and become the second biggest worldwide, behind the United States. However the average insurance premium per inhabitant and the share of the insurance industry in China’s GDP are still far below the levels observed in developed countries. This suggests still very strong prospects for growth during the coming decade. At present, the Chinese market is relatively balanced between life insurance and other types of insurance, this being evidence of its growing maturity. It is also strongly regulated, and a small number of players with large market shares are dominant. Foreign insurance companies are not very significant. Despite their strong growth, Chinese insurance companies have encountered several problems : the cost of distribution networks, the need to adapt their product line the policyholders’ changing needs, and the rising costs of natural catastrophes.

Marc-Philippe Juilliard [1]
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Marc-Philippe JUILLIARD est directeur au sein de l’équipe en charge de la notation des sociétés d’assurance chez S&P Global Ratings à Paris. Il est aussi maître de conférences associé au Conservatoire national des Arts et Métiers et enseigne à l’École nationale d’assurances.
Diplômé de l’Université Paris Dauphine en finance d’entreprise, il a réalisé l’essentiel de sa carrière à Paris et à Londres en tant qu’analyste crédit au sein de plusieurs grandes agences de notation financière, successivement en charge des secteurs banque et assurance. Il a aussi été analyste « buy side equity » responsable du secteur européen des assurances chez Allianz Global Investors.
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    Les propos tenus dans cet article n’engagent que son auteur et en aucun cas ses employeurs.
Cette publication est la plus récente de l'auteur sur Cairn.info.
Mis en ligne sur Cairn.info le 03/02/2020
https://doi.org/10.3917/rindu1.201.0058
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