1Des avancées majeures ont au cours de ces dernières années transformé radicalement le monde de l’industrie et des services. Parmi celles-ci, la généralisation de l’usage du numérique, avec toutes les ruptures technologiques, sociétales et organisationnelles que cela a entraînées, est probablement une des avancées les plus fondamentales. Plusieurs éléments sont à l’origine de ces ruptures, qui constituent les éléments de base de la compétitivité de notre industrie :
- la disponibilité sous forme numérique de l’ensemble des informations de conception technique avec notamment l’usage généralisé de la maquette numérique, de suivi et de fonctionnement des processus de fabrication et des centres de production, tout au long du cycle de vie en incluant les éléments de suivi, d’aide à la maintenance et la gestion de la fin de vie des produits, ainsi que les informations administratives, financières et commerciales avec la généralisation d’outils de type ERP (Enterprise Resource Planning) et CRM (Customer Relationship Management) ;
- un accroissement très important des capacités de calcul, avec, d’une part, la généralisation des architectures parallèles et, d’autre part, un accès de plus en plus aisé grâce aux technologies cloud et aux nouveaux modèles économiques associés (comme le paiement à l’usage) ;
- le développement de méthodes et d’algorithmes pour le traitement des données et des modèles mathématiques associés ainsi que la disponibilité d’un grand nombre de logiciels de plus en plus simples à utiliser.
De grands enjeux pour l’industrie et les services
2L’usage de plus en plus important des technologies numériques est devenu une nécessité absolue pour tous les secteurs économiques. Cette nécessité apparaît à tous les stades de la vie des produits et à tous les niveaux des entreprises et de leurs relations avec les autres acteurs économiques : simuler pour mieux concevoir, mais aussi pour mieux fabriquer et mieux utiliser.
Tout d’abord, les technologies numériques apportent des gains de compétitivité essentiels à tous les stades de la vie d’un produit
- au stade de la conception en permettant (grâce au prototypage virtuel) un gain de temps important et une réduction significative des coûts d’étude. Aujourd’hui, la disponibilité « dans les temps » d’un produit ou d’une innovation est un gage majeur de prise de marché face à la concurrence mondiale ;
- au stade de la réalisation, d’une part, avec tous les logiciels d’optimisation et de contrôle des différents process industriels (notamment dans les grandes industries manufacturières) et, d’autre part, avec les outils de suivi et d’optimisation du fonctionnement de l’usine ;
- au stade du suivi de la vie du produit, les méthodes numériques permettent de concevoir et de prendre en compte les évolutions nécessaires ou souhaitables. Grâce aux moyens de mesure et, de manière générale, aux données obtenues sur le fonctionnement et l’usage du produit, ces méthodes offrent la possibilité d’une meilleure mise en place des outils de maintenance et garantissent une traçabilité totale du produit. Tous les éléments disponibles au cours de la vie du produit de sa conception jusqu’à son usage permettent également de mieux gérer le processus de fin de vie, en intégrant notamment des éléments relatifs au recyclage.
4Tous ces points sont porteurs de gains très significatifs en termes de compétitivité, face à une concurrence internationale de plus en plus exacerbée.
Un deuxième enjeu, tout aussi important, se situe au niveau des nouvelles capacités d’innovation offertes par la simulation numérique
5Grâce aux techniques de modélisation mathématique et de simulation numérique associées aux méthodes récentes d’optimisation, on peut tester, concevoir et mettre sur le marché rapidement et de manière fiable de nouvelles innovations, souvent de rupture. On peut également optimiser la conception et les méthodes de fabrication et d’assemblage du produit, en valider a priori les performances et disposer d’un outil d’échange d’informations et de données entre les différents intervenants.
6La simulation numérique permet d’analyser et de comparer un grand nombre d’options, d’étudier de nombreux cas d’usage très variés tout en réduisant considérablement le nombre des tests physiques qui sont souvent très coûteux. Cela induit des avantages décisifs en termes de capacité d’innovation, de coût financier et de délais de conception, trois éléments stratégiques pour les entreprises. Ces acquis sont gages d’amélioration, non seulement en termes de performance des produits, mais également en termes de qualité. Pouvoir concevoir et produire un produit de qualité offrant des performances garanties et validées est un élément stratégique déterminant pour une entreprise.
Un troisième avantage apporté par ces outils numériques se situe au niveau des échanges de données et d’informations, et des possibilités de travail en réseau
7Grâce à la numérisation de l’ensemble des informations (descriptif du produit et de ses composants, caractéristiques des matériaux utilisés, techniques de fabrication ou d’assemblage…), chaque entreprise intervenante est capable d’échanger avec tous ses partenaires et sous-traitants. Cela est désormais une obligation pour la réalisation de grands projets, notamment dans l’ingénierie, l’aéronautique ou la construction automobile. Les sociétés qui ne maîtriseront pas ces outils seront exclues de ces projets qui nécessitent la mise en œuvre de tous les outils de l’ingénierie collaborative.
8Si ces méthodes et ces outils sont aujourd’hui largement diffusés dans les grands groupes industriels, leur utilisation au niveau des PME et des ETI constitue un enjeu considérable, tout particulièrement en France où l’on ne peut que constater un retard certain sur ce point par rapport à la plupart des grands pays industriels. Ce constat a amené les pouvoirs publics à lancer, dans le cadre des actions du programme d’investissements d’avenir et de celles de la direction générale des Entreprises (DGE) une grande initiative, SiMSEO, qui vise à promouvoir l’usage de la simulation numérique auprès des PME et des ETI. Placée sous la responsabilité du pôle européen de calcul haute performance TERATEC et de GENCI, cette action est menée en partenariat avec les pôles de compétitivité Systematic et Advancity, ainsi qu’avec le Centre scientifique et technique du bâtiment (CSTB) et l’Institut de recherche technologique (IRT) SystemX. Ce programme ambitieux, qui a pour objectif d’étendre l’usage de la simulation numérique à 600 entreprises en trois ans, intervient à trois niveaux :
- la sensibilisation/formation à l’usage des technologies de simulation,
- la mise en place d’offres de services sectorielles adaptées aux besoins spécifiques des entreprises : deux premiers secteurs ont déjà été identifiés, l’industrie manufacturière et le bâtiment,
- la création, via des plateformes régionales, de prestations de haut niveau auprès d’entreprises souhaitant passer à un stade avancé de l’usage de la simulation numérique.
9Des aides financières spécifiques pour les entreprises participant à ce programme ont été mises en place par les pouvoirs publics. L’ensemble de ce programme est décrit en détail sur le site www.simseo.fr
Des enjeux technologiques majeurs
10Dans ce contexte, il est stratégique pour un pays comme la France d’avoir la maîtrise technologique complète de toute la chaîne de la simulation numérique tant pour assurer son indépendance nationale en la matière que pour favoriser la compétitivité de ses entreprises et pour permettre la création d’emplois et de valeur.
11Les principaux enjeux technologiques peuvent se résumer comme suit :
- maîtriser les technologies permettant de disposer, dans les cinq ans à venir, d’architectures parallèles possédant une puissance de calcul exaflopique (milliards de milliards d’opérations par seconde). Les enjeux portent à la fois sur les composants et sur les architectures elles-mêmes : réduire drastiquement les coûts énergétiques, disposer de systèmes de refroidissement adaptés, avoir des systèmes optimaux de gestion des flux de données… À côté de la puissance de calcul elle-même, il est également nécessaire de disposer de systèmes de stockage de données de très grandes capacités et de systèmes de sécurité adaptés. Enfin, il est indispensable de mener en amont des travaux sur les technologies appelées à prendre le relai. Parmi celles-ci, il convient de citer tout particulièrement les calculateurs quantiques ;
- concevoir et développer l’ensemble des couches logicielles « de base » permettant une exploitation maximale du parallélisme qui soit aussi aisée que possible. Ce point comporte notamment les éléments suivants : une gestion optimale des flux de données, des outils d’aide au développement d’applications parallèles incluant la composante « langage de programmation », des outils d’aide à la parallélisation de codes existants, des algorithmes et bibliothèques scientifiques optimisés pour ces nouvelles architectures ;
- mettre au point et développer la nouvelle génération des grands logiciels applicatifs capables d’exploiter de manière optimale ces nouvelles architectures hautement parallèles. Il s’agit là d’un travail considérable qui est susceptible de remettre en cause les positions des grands éditeurs de logiciels et qui ouvre donc des opportunités très intéressantes pour de nouveaux entrants. Ce point, à l’intersection des mathématiques et de l’informatique, nécessite à la fois la conception de nouvelles méthodes numériques et un savoir-faire spécifique permettant une implémentation optimale de celles-ci. Parmi les méthodes, il convient d’insister sur deux points particulièrement importants :
- d’une part, l’usage de plus en plus important qui est fait de méthodes reposant sur des approches probabilistes, par exemple les méthodes de Monte-Carlo ou des méthodes d’optimisation, telles que les algorithmes génétiques ;
- d’autre part, le développement très rapide d’outils d’analyse et de traitement de grandes masses de données connus sous le nom générique de HPDA (High-Performance Data Analytics). Parmi ceux-ci, les méthodes s’appuyant sur le concept de réseaux neuronaux sont tout particulièrement importantes pour des secteurs tels que le traitement d’images ou pour la modélisation de systèmes complexes.
12Tous ces points nécessitent que l’effort de Recherche et Développement soit poursuivi à un niveau important, et ce, tant au plan national qu’au plan européen. La France a la chance d’être un des rares pays au monde à disposer de compétences importantes sur toute la chaîne technologique, tant au niveau des organismes de recherche qu’à celui des industriels offreurs de technologies. Cette analyse a amené les autorités nationales et européennes à lancer des initiatives de grande ampleur pour nous permettre de nous maintenir au meilleur niveau mondial.
13Parmi les plus importantes, on peut citer :
- l’association Teratec : elle a été créée en 2005 à l’initiative du CEA et de grands utilisateurs du secteur pour assurer la maîtrise et la promotion du High Performance Computing (HPC). Après un peu plus de dix années d’existence, elle regroupe l’ensemble des grands acteurs mondiaux du secteur et permet à la France de jouer un rôle majeur sur la scène internationale, notamment européenne. Grâce à la construction de la première technopole européenne entièrement dédiée au HPC et au HPDA, elle réunit sur un même site – le seul en Europe –, à Bruyèresle-Châtel (dans l’Essonne), le Très grand centre de calcul (TGCC) du CEA et le Campus Teratec, qui regroupe de grands laboratoires industriels et de nombreuses sociétés de technologie. Teratec est également à l’origine du FORUM Teratec qui, autour d’une exposition et de nombreux ateliers technologiques, réunit tous les ans plus de 1 200 participants. À l’occasion de ses dix ans d’existence, Teratec a édité un ouvrage de synthèse sur les grandes orientations technologiques et applicatives, intitulé « HPC – Les clefs du futur ».
- dans le cadre de ses plans de la Nouvelle France industrielle, l’État a retenu cette thématique comme un des axes majeurs de son action. Le plan correspondant mis en place repose sur quatre volets : le développement et la maîtrise des technologies de base, les logiciels de base, les logiciels applicatifs et les nouvelles applications et, enfin, la formation. Grâce aux différents appels à projets et aux initiatives financées dans le cadre du programme d’investissements d’avenir (PIA) et par la DGE, ce plan a permis notamment le lancement de grands projets collaboratifs, la mise en place d’un important laboratoire industriel dédié aux matériaux, la création à Orléans du projet de développement AgreenTech Valley dédié aux technologies numériques pour le végétal, et le lancement du programme SiMSEO ;
- au niveau européen, les technologies HPC et HPDA ont été reconnues comme stratégiques au plus haut niveau politique : cela a conduit à la création de la plateforme technologique ETP4HPC (European Technology Platform for High Performance Computing) : constituée en 2012 à l’initiative de la France, elle regroupe tous les acteurs industriels européens du domaine (fournisseurs et utilisateurs), ainsi que les grands leaders internationaux. De la même manière, plusieurs États européens (dont la France) travaillent au lancement (qui devrait être annoncé prochainement) d’un Projet important d’intérêt européen (IPCEI), appelé à regrouper d’importants moyens nationaux et européens pour assurer la maîtrise et le développement des technologies nécessaires au calcul intensif et au traitement des données de masse (Big data).
14À côté de ces points technologiques, il est également important de signaler des évolutions fortes au niveau des modalités d’accès et des modalités économiques associées, telles que :
- le développement du cloud computing et la mise en place de plateformes de services associés au nouveau modèle économique du paiement à l’usage (SaaS, pour Software as a Service) qui rendent accessibles à tous ces capacités sans nécessiter de lourds investissements initiaux (comme cela était le cas auparavant),
- la disponibilité de plus en plus grande de logiciels open source très largement diffusés et de grande qualité qui entraîne elle aussi une modification profonde du secteur de l’édition de logiciels.
15Ces deux points sont très structurants pour le marché en fort développement de la simulation numérique.
Une diffusion dans l’ensemble des secteurs économiques
16Ces ruptures technologiques influencent de manière considérable tous les secteurs de l’industrie et des services, et de manière générale l’ensemble de l’économie. Aucun secteur industriel ne peut plus aujourd’hui prétendre rester en dehors de cette évolution. Nous présentons ci-après quelques exemples qui illustrent ce phénomène.
Les grands secteurs initiaux
17Historiquement, le premier secteur à avoir été à l’origine du développement du calcul scientifique est le secteur des grandes industries manufacturières : aéronautique, automobile, énergie, ingénierie. Il est donc logique qu’aujourd’hui la simulation numérique soit intensivement utilisée dans ces secteurs. À titre d’exemple, on peut citer, dans le secteur automobile, tous les calculs simulant le crash d’un véhicule, les calculs aérodynamiques pour le comportement sur route des véhicules, mais aussi tous les calculs acoustiques permettant un meilleur confort de conduite. L’usage de ces technologies a permis de réduire considérablement le temps de conception d’un nouveau véhicule, tout en en améliorant ses performances.
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« La simulation numérique est amenée à jouer un rôle majeur dans le secteur de la santé, notamment avec l’explosion des données disponibles. »
18L’aéronautique, elle aussi, utilise massivement toutes les possibilités offertes par ces technologies numériques tant pour la conception et le pilotage de l’avion lui-même que pour la conception des réacteurs (calculs de structure et comportement des matériaux, écoulement des fluides et thermique, électromagnétisme…) ; les exemples d’applications sont nombreux.
19Deux autres grands secteurs exploitent massivement les capacités de la simulation numérique et du calcul intensif. Il s’agit :
- de l’énergie (et, tout particulièrement, l’énergie nucléaire), qui est à l’origine de très nombreux codes largement diffusés. Il faut, bien entendu, mentionner le très grand programme de simulation du CEA-DAM (Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives – Direction des Applications militaires), qui est dans une très large mesure à l’origine de la redynamisation du secteur en France et de l’excellent positionnement des industriels français dans ce secteur,
- de l’industrie pétrolière, tant au niveau de la recherche de nouveaux gisements qu’à celui de leur exploitation. Ce domaine est un des secteurs qui dispose des capacités de calcul parmi les plus importantes, et l’exploitation des possibilités offertes par le Big data a encore accru l’usage par ce secteur des puissances de calcul.
Les nouveaux secteurs
20Après ses applications dans les secteurs indiqués ci-dessus, la simulation numérique s’est diffusée dans l’ensemble des secteurs économiques, devenant un élément stratégique pour la politique industrielle des grands pays. À titre d’exemples, nous présentons ci-après deux secteurs dans lesquels ces technologies seront amenées à jouer un rôle majeur :
- le secteur de la santé, notamment avec l’explosion des données disponibles, est un domaine où ces technologies seront de plus en plus stratégiques. Parmi les exemples d’usage, on peut citer : la génomique et la protéomique, avec comme premier objectif la recherche de nouvelles molécules et l’étude des nouveaux traitements associés, la médecine personnalisée, l’imagerie médicale et la chirurgie assistée, la conception de nouvelles prothèses… ;
- le secteur de l’agriculture, à tous les niveaux de la chaîne de production : sélection variétale, aide à la conduite culturale, prédiction de rendements, transformation des matières premières… Ces applications sont devenues un enjeu majeur pour le secteur, notamment face aux exigences en termes de productivité, de respect des contraintes environnementales et de gestion des ressources naturelles.
21Mais ce ne sont là que deux exemples parmi bien d’autres : on pourrait aussi citer le secteur du bâtiment, avec le développement du Building Information Modeling (BIM), le secteur du multimédia et de l’image de synthèse, le secteur du commerce…
22Bien entendu, le calcul numérique joue aussi un rôle considérable dans tous les secteurs de la recherche scientifique : changement climatique, domaine des hautes énergies, astronomie…
Conclusion
23La simulation numérique est aujourd’hui un secteur stratégique majeur pour le développement économique de la France tant en termes de compétitivité des entreprises qu’en termes de création de valeur et d’emplois. La France dispose de nombreux atouts pour lui permettre de jouer un rôle de tout premier plan dans ce domaine en très fort développement. Elle doit se saisir au mieux de ces nouvelles opportunités. C’est une nécessité. Mais c’est aussi, et surtout, une chance unique pour notre pays.