CAIRN.INFO : Matières à réflexion

1 EN RASSEMBLANT des textes de théorie politique de Leonardo Bruni et Francesco Guicciardini ainsi que des contributions susceptibles de les éclairer dans une perspective historique, à commencer par celle de Quentin Skinner, le présent dossier vise plusieurs objectifs [1].

Combler un vide de la recherche

2 Le premier est de combler un vide marquant de la recherche en langue française. Les discussions sur l'humanisme civique ont une longue tradition en Italie, en Allemagne ou dans les pays anglo-saxons. À partir des années 1950, la publication du livre d'Hans Baron, The Crisis of the Early Italian Renaissance : Civic Humanism and Republican Liberty in an Age of Classicism and Tyranny (Princeton, Princeton University Press, 1966 [1re éd. 1955]), dont le centre reposait sur une interprétation nouvelle de l' uvre de Bruni, a suscité de nombreuses controverses. Les progrès de l'historiographie depuis les années 1970 ont permis de nuancer ou de rectifier nombre des arguments en présence, tant du point de vue de l'histoire sociale et politique que de celui de l'histoire des idées. Dans la foulée des ouvrages célèbres de J. G. A. Pocock et de Quentin Skinner, qui retraçaient les filiations entre humanisme civique et républicanisme [2], plusieurs dizaines de livres et des centaines d'articles ont paru sur la question. La France reste de ce point de vue un parent pauvre. Près d'un demi-siècle après la parution de la Crisis, aucun des ouvrages de Baron (1900-1988) n'a été traduit et si la réception de Pocock et Skinner va croissant, de même que la discussion sur le républicanisme, les racines que celui-ci plonge dans l'humanisme civique n'ont guère été analysées. Les études sur Machiavel sont nombreuses, et souvent de grande qualité [3], mais elles demeurent très largement focalisées sur cet auteur et n'abordent généralement que de façon plus sommaire ses prédécesseurs du Quattrocento ou ses contemporains. De plus, le corpus francophone analysant les dimensions sociales et politiques de la Florence républicaine étant très parcellaire, le développement d'une histoire des idées en contexte s'en trouve entravé.

3 Au moment où s'inventaient parallèlement la perspective et ce que Hans Baron appellera plus tard l'« humanisme civique », Leonardo Bruni (1370-1444) était l'intellectuel européen le plus célèbre, à en juger par l'ample circulation de ses écrits : 3 200 manuscrits et près de 200 incunables ont survécu jusqu'à nos jours, soit un nombre sans équivalent pour l'époque [4]. Son  uvre est impressionnante. Elle inclut de nombreuses traductions du grec (et dans une moindre mesure du latin) et un traité [5] qui ont fait date et ont contribué à révolutionner la façon de traduire ; de nombreux écrits sur la littérature et la culture antiques, médiévales et renaissantes, qui ont aidé les contemporains à prendre conscience de l'ouverture d'une ère nouvelle, marquée notamment par l'affirmation de la noblesse des écrits en langue vulgaire [6] ; une Histoire du peuple florentin qui, parce qu'elle pose la première la tripartition antique/médiéval/moderne, qu'elle traite ses sources de façon critique et qu'elle adopte un point de vue entièrement séculier, constitue un ouvrage précurseur de l'historiographie moderne et contemporaine [7] ; et des écrits politiques qui ont poussé Hans Baron à faire de Bruni le fondateur de l'humanisme civique. En sus de ce travail de lettré, Bruni a déployé une intense activité dans la vie publique, d'abord comme membre du cercle de Collucio Salutati (1331-1406), le Chancelier de la République florentine, puis comme secrétaire apostolique au service de la papauté, et enfin en accédant à son tour au poste de Chancelier de Florence ­ une fonction qui impliquait à la fois de piloter la diplomatie et de donner une impulsion intellectuelle à la cité (on sait qu'un siècle plus tard, c'est dans le service de la chancellerie que travailla également Machiavel). Si l'influence de Bruni connut à partir de la seconde moitié du 15e siècle une éclipse croissante, en partie liée au déclin puis à la disparition de la République florentine à laquelle il était intimement lié, un regain considérable d'intérêt s'est manifesté pour son  uvre depuis plusieurs décennies. Ses écrits, qui font l'objet de nombreuses éditions, parfois critiques, parfois de poche, en italien, en anglais ou en allemand, demeuraient largement inconnus en français. Il a fallu attendre 2008 pour que le travail pionnier de Laurence Bernard-Pradelle mette à la disposition des lecteurs francophones un large échantillon de ses textes et offre enfin une présentation globale de l' uvre [8]. Nous livrons ici ses trois textes de théorie politique les plus importants.

4 Un siècle plus tard, Francesco Guicciardini [9] (1483-1540), contemporain et ami de Machiavel, fut avec celui-ci le théoricien politique le plus important du premier Cinquecento. Il était à la fois un homme politique, un grand historien et l'un des principaux analystes de la cité toscane. Son  uvre couvre un champ immense et elle eut un écho durable dans les siècles qui suivirent. Si elle fut longtemps négligée dans l'Hexagone, l'essentiel en est désormais disponible en français, grâce notamment aux traductions et au travail critique de Jean-Louis Fournel et Jean-Claude Zancarini [10]. Penseur réaliste, ses écrits tranchent avec l'idéalisation qui caractérisait souvent les productions de la première Renaissance. Vivant dans une conjoncture fort différente, caractérisée par l'irruption des guerres européennes dans la Péninsule et l'inadéquation croissante des institutions florentines à la nouvelle situation, il hérite d'une partie des thèmes et des problèmes travaillés par les humanistes civiques, mais marque avec l'auteur du Prince un basculement au-delà duquel l'influence de ces derniers sera plus indirecte. Les tensions présentes chez ses prédécesseurs sont chez lui traitées explicitement, à commencer par l'opposition entre tirage au sort et gouvernement représentatif qui fait l'objet du texte que nous publions dans ce dossier. Longtemps partisan d'une république gouvernée par un cercle étroit mais disposant d'une assise populaire, Guicciardini défendit une ligne oligarchique modérée durant une période (1494-1512) qui constitua l'une des apogées du gouvernement populaire florentin. Il s'accommoda cependant de la montée en puissance des Médicis et se mit à leur service durant leur éphémère reprise du pouvoir (1512-1527) puis lorsqu'ils abolirent définitivement la République pour instaurer le Grand Duché (à partir de 1530). Si Guicciardini s'opposa ainsi à un Machiavel plus profondément républicain et partisan résolu du gouvernement populaire, il s'en rapprocha par la lucidité et la profondeur de ses analyses [11]. Celles-ci sont cependant encore loin de faire partie des textes canoniques étudiés par la philosophie et la théorie politiques hexagonales [12].

5 Au-delà de ces auteurs, l'histoire sociale et politique de la Florence républicaine reste largement méconnue en langue française. À l'échelle internationale, son historiographie a été radicalement renouvelée durant les dernières décennies, notamment parce que les chercheurs se sont résolument tournés vers les impressionnantes séries d'archives publiques et privées qui ont été conservées jusqu'à nos jours au lieu de s'appuyer seulement sur les chroniqueurs et historiens de l'époque [13]. En France, la lacune est particulièrement accentuée pour le 15e siècle, sur lequel les travaux sont très parcellaires. Outre le nombre réduit de latinistes et d'hellénistes qui se consacrent à cette période, l'une des explications réside dans le découpage des époques historiographiques en vigueur : la première Renaissance italienne y trouve difficilement sa place car les médiévistes se détournent généralement de l'objet tandis que les modernistes travaillent le plus souvent sur des thèmes du 16e siècle (ou ultérieurs). Dans d'autres pays, le fait que la Renaissance constitue une période à part entière rend son étude plus facile. Au-delà, la recherche française a traditionnellement été focalisée sur l'affirmation de l'État absolutiste et de la souveraineté ; les cités-États italiennes du 15e siècle (et dans une moindre mesure du 16e siècle), de même que les théories politiques qu'elles ont nourries, pouvaient difficilement trouver une pleine reconnaissance chez des historiens et des philosophes qui avaient tendance à les considérer comme un résidu attardé de l'époque médiévale. Sur ce point, la réception critique systématique des travaux publiés dans d'autres langues reste encore devant nous.

La controverse sur l'humanisme civique

6 En attendant, le présent dossier vise à donner aux lecteurs des pièces qui permettent de se faire une idée plus précise des controverses sur l'humanisme civique qui ont agité l'histoire des idées depuis les thèses de Baron. Ces dernières eurent un impact considérable, au point où l'un de leurs critiques les plus virulents a pu affirmer qu'elles ont, au 20e siècle, tout autant transformé la vision de la Renaissance italienne que les travaux de Burckhardt au 19e [14]. Comme le retrace en détail Laurent Baggioni dans ce numéro, c'est Hans Baron qui a véritablement créé le concept d'humanisme civique, inconnu à la Renaissance et qui s'est imposé après lui. Il désignait par là la confluence, au début du 15e siècle, du courant humaniste italien avec les idéaux politiques de la République florentine. Selon Baron, la naissance de l'humanisme civique peut être datée contextuellement comme le produit d'une prise de conscience occasionnée par la résistance solitaire de la Florence républicaine devant les visées impérialistes du duc de Milan qui tentait d'unifier l'Italie sous sa coupe. L'univers idéel qui se cristallise alors est en rupture radicale avec la pensée médiévale. L'éloge de la République tourne le dos à l'Empire, la défense du vivere libero implique à la fois la revendication de l'indépendance de la cité par rapport aux puissances extérieures et un système politique fondé sur une participation active des citoyens à la vie civique. L'intellectuel humaniste devient un acteur engagé dans la cité et les vertus qu'il loue, celles de la vita activa, sont mises en rapport avec l'exercice de la citoyenneté et, en particulier, avec l'action au service de la patrie. Cette complète rupture avec l'augustinisme se marque également dans une conception sécularisée de l'histoire. Leonardo Bruni joue un rôle clef dans cette évolution et sa défense du régime florentin, toute pénétrée de philosophie antique et appuyée sur une réinterprétation de l'aristotélisme radicalement différente de celle de la scolastique, débouche sur la constitution d'une véritable école ­ qui se prolonge notamment jusqu'aux Discours sur la première Décade de Tite-Live de Machiavel. Pour Hans Baron, la défense de la liberté, de l'égalité devant la loi, de la participation civique et de l'engagement politique des lettrés à laquelle se livrèrent les humanistes florentins constitua une innovation capitale dans l'histoire européenne, qui prépara les révolutions modernes et peut encore constituer une source d'inspiration pour les contemporains (les deux dernières thèses restent cependant à l'état implicite chez cet auteur) [15].

7 Cette interprétation des humanistes du Quattrocento se basait sur une histoire des idées « en contexte », opposée aux approches purement « internalistes », qui trouvera ensuite ses lettres de noblesse avec l'École de Cambridge. Elle s'est heurtée à divers types de critiques, exposées par Laurent Baggioni dans ce numéro [16], et la plupart de ses arguments, pris isolément, ont été largement infirmés. L'impact de l'événement que constitue la guerre de Florence contre Milan a été fortement relativisé. La nouveauté des idées décrites par Baron comme étant le propre de l'humanisme civique a été mise en question, notamment par Quentin Skinner qui montra que nombre d'entre elles, à commencer par le républicanisme, commencèrent à émerger chez les rhétoriciens ou dans la scolastique du Moyen Âge. Le caractère précurseur de l' uvre de Thomas d'Aquin a été souligné. L'histoire politique a par ailleurs démontré que le tableau de Florence présenté par les éloges et panégyriques de Bruni était en décalage avec la réalité de l'époque, marquée par la monopolisation croissante du pouvoir par un cercle restreint de grandes familles. Les exclus de la citoyenneté florentine, dont Baron ne parle pas, ont été mis en avant, de même que la contradiction existant entre un discours exaltant la liberté et les pratiques impérialistes des Florentins sur les cités qu'ils dominaient. La vision d'une cité harmonieuse dissimulait les luttes de faction et les oppositions entre groupes sociaux qui caractérisèrent de tout temps la politique florentine. La sincérité d'un Bruni rédigeant avec art rhétorique des apologies du régime qui le payait et le couvrit d'honneurs a été fortement questionnée, tandis que le caractère propagandiste de ses écrits politiques était mis à jour. Les continuités temporelles suggérées par Baron ont été remises en cause, et la rupture que représente la pensée de Machiavel par rapport à celle de Bruni a en particulier été relevée. Certains des contradicteurs les plus sévères ont soutenu que l'humanisme civique n'était que l'idéologie de l'oligarchie dominante de l'époque, tandis que d'autres avançaient même que la notion d'humanisme civique constituait un véritable mythe, tout comme les filiations républicaines qu'elle soutenait.

8 Et pourtant, même un critique aussi radical que James Hankins doit reconnaître que le terme d'humanisme civique, à tout le moins, est utile [17]. En effet, tous les humanistes ne se livrèrent pas à un éloge de la république, et tous les républicains ne furent pas des humanistes. Plus substantiellement, il paraît difficile de nier que le début du 15e siècle voit se cristalliser un idéal dont certaines dimensions dataient des siècles précédents mais qui prend alors une consistance nouvelle, ne serait-ce que parce que la rencontre entre l'humanisme et la République florentine recompose les éléments de l'une et de l'autre. L'existence d'un ordre républicain est mise en rapport avec une conception de l'histoire qui est sécularisée et rejette l'idéal de l'Empire comme relevant du Moyen Âge. L'idée que l'ordre civique républicain favorise la vertu des citoyens en stimulant leur désir de briller au service de la patrie et du bien public aura effectivement une large postérité, de même que l'insistance placée sur la création d'une milice citoyenne et le rejet des armées de mercenaires qui dévastaient l'Italie à l'époque. La définition de la florentina libertas comme ayant deux faces, l'une tournée vers l'indépendance par rapport aux puissances extérieures et l'autre qui concerne un ordre politique républicain, avait certes pris forme progressivement au cours du 14e siècle, mais sa reprise par les humanistes civiques lui donna une véritable systématicité [18] et lui assura un écho qui dépassa de loin la longévité de la République florentine. La thématique de l'engagement du lettré dans la cité et l'éloge d'une vita activa intégrant et dépassant la vita contemplativa eurent beau être plus ou moins bien vécues en pratique [19], ils n'en dessinèrent pas moins un idéal à la fois mondain et civique qui eut un fort retentissement.

9 Au total, si les écrits des humanistes civiques ne décrivent guère la réalité des pratiques politiques florentines et s'ils font l'impasse sur nombre des contradictions de celles-ci, ils représentent bien un idéal qu'ils héritent des Grecs et de la République romaine mais qu'ils réinterprètent au regard de l'expérience concrète de la République florentine [20]. Leur impact sur celle-ci et la portée historique de leurs réflexions pour les théories politiques ultérieures ne peuvent être négligés. Les acteurs de l'époque se réapproprièrent en partie au moins ses catégories, et le langage froidement réaliste des discussions politiques que révèlent les archives de la fin du 14e et du 15e siècles se teinte progressivement d'un raffinement, d'un idéalisme et d'une touche rhétorique qui ne leur sont pas étrangers [21]. Les écrits de Bruni et de ses pairs ont bien sûr une fonction de légitimation, et l'on chercherait en vain chez l'auteur de l'Éloge de Florence des jugements négatifs sur l'ordre politique de sa cité (le contraste est sur ce point frappant avec Machiavel et Guicciardini, dont les choix politiques sont marqués par un opportunisme « réaliste » mais qui se comportèrent comme des intellectuels critiques). Cependant, il serait simpliste de réduire l'humanisme civique à une simple idéologie défendant et travestissant les intérêts d'une classe dominante. D'ailleurs, ne constate-t-on pas également un écart important entre théorie et réalité historique lorsque l'on compare les écrits de Constant sur la liberté des modernes et la Restauration, La guerre civile en France de Marx et la Commune de Paris, ou les leçons de sociologies de l'État de Durkheim et la IIIe République ? Les idées ont leur vie propre et une partie au moins des concepts élaborés par les humanistes civiques purent être mobilisés de façon critique à d'autres époques ­ ne serait-ce que dans le programme constitutionnaliste opposé aux Médicis que ceux-ci subvertirent une première fois les institutions républicaines (entre 1434 et 1494) [22], ou dans les Discorsi de Machiavel écrits après leur retour au pouvoir en 1512.

10 L'histoire de la ville toscane fut marquée par une alternance de périodes de démocratisation, où les couches moyennes ou populaires accèdent plus largement au pouvoir (1343-1348, les années Ciompi en 1378-1382, la République du Grand Conseil entre 1494 et 1512, le dernier sursaut républicain entre 1527 et 1530) et de resserrement oligarchique. Au-delà de ces oscillations conjoncturelles, une évolution de fond entraîna le passage progressif d'un système caractérisé par une distribution du pouvoir entre les différentes corporations à des relations sociales où, le poids des guildes déclinant, les clivages sociaux se fondirent davantage sur la richesse et moins sur le statut. Un espace civique plus unifié vit parallèlement le jour. La république médiévale était fondée sur un ordre corporatiste qui était par certains aspects nettement plus populaire que le monde civique dont Bruni fait l'apologie [23]. Prenant appui sur ce constat et mettant l'accent sur le pouvoir de fait exercé par un cercle restreint de grandes familles, certains des contempteurs les plus critiques de Baron en viennent à nier toute différence significative entre la Florence républicaine du 15e siècle et les cités gouvernées par des « tyrans ».

11 Une telle perspective aplatit par trop l'ordre politique sur les hiérarchies sociales et méconnaît que l'opposition au gouvernement despotique pouvait surgir y compris dans les milieux aristocratiques. Elle néglige le fait qu'à Florence, les puissants se devaient de convaincre le popolo, dont le soutien était en particulier requis ­ et loin d'être acquis ­ dans les conseils législatifs. Des siècles après les Grecs et les Romains, les communes italiennes du Moyen Âge avaient redécouvert la politique ­ entendue non au sens d'une lutte de différents groupes pour le pouvoir, qui existe dans toutes les sociétés ou presque, mais dans celui d'une mise en discussion publique des choses de la cité [24]. Les humanistes civiques et, à leur suite, des figures comme Machiavel ou Guicciardini, surent trouver un langage qui fit passer dans l'ère moderne cette réinvention. Des thèmes comme la liberté de parole, l'engagement au service de la cité, la priorité du bien public sur les intérêts particuliers ou l'égalité devant la loi y trouvèrent du coup un écho différent ­ et eurent une tout autre postérité que la république fédérative des corporations. Si la pensée des humanistes civiques n'était pas démocratique, elle était bien républicaine. Cette thématisation était porteuse d'une alternative par rapport à l'univers médiéval, mais aussi par rapport au pouvoir absolutiste qui commençait à s'affirmer. La Florence renaissante eut un rayonnement qui n'était pas seulement culturel ou commercial. Cette autre modernité vaut la peine d'être mieux étudiée, en particulier en France ou la fascination pour l'État souverain marque encore fortement les pensées. Elle fut militairement écrasée, mais elle constitua un terreau d'expériences dans lequel les révolutions ultérieures plongèrent certaines racines. Elle recèle des potentialités qui aujourd'hui encore méritent d'être explorées : la théorisation de l'ordre républicain comme gouvernement mixte, qui s'esquisse chez Bruni et sera pleinement développée par la suite, ne constitue-t-elle pas notamment une piste intéressante pour qui veut éviter le grand écart entre les théories normatives de la souveraineté populaire et la science politique dite « réaliste » [25] ?

Un ou des républicanismes ?

12 Encore faut-il affirmer qu'au-delà de certains thèmes communs, il n'y a pas un mais des républicanismes, pour paraphraser le titre d'un ouvrage de Serge Audier [26]. Les travaux de Pocock, de Skinner et de ceux qui travaillent dans une optique similaire ont eu l'incontestable mérite de souligner que les racines idéologiques des révolutions modernes ne se résumaient pas au libéralisme, et de souligner l'importance des penseurs florentins [27]. Beaucoup plus problématique est la tendance à parler « du » républicanisme comme d'un héritage européen commun [28] ou de « la » philosophie républicaine qui, née avec l'humanisme florentin, se retrouverait dans des contextes aussi différents que l'Angleterre du 17e siècle et la IIIe République française [29]. Historiquement et philosophiquement, il est douteux qu'il existe quelque chose comme une tradition « euro-atlantique » cohérente qui se différencierait du conservatisme, du libéralisme et du socialisme. Et lorsque cette tradition unifiée, au-delà de quelques traits génériques, est superposée avec la théorie de la non-domination énoncée par Philip Pettit [30] et globalement reprise par Skinner à partir des années 1990 [31], pour être opposée « sans concession » à l'idéal d'autogouvernement [32], la construction intellectuelle d'une filiation menace de dégénérer en mystification.
La mise en regard des textes de Bruni, Guicciardini et Skinner dans ce dossier fait clairement apparaître des conceptions divergentes du républicanisme. Trois clivages corrélés méritent en particulier d'être mentionnés.

13 Le premier, qui est sans doute le plus discuté, porte sur la place du conflit dans la République. Leonardo Bruni s'inscrit sur cette question dans une tendance tendue vers l'harmonie de la cité et dont l'hégémonie est écrasante. Ce postulat normatif renvoie à des motifs philosophiques profonds, hérités de l'Antiquité et du Moyen Âge ; à une réflexion sur les luttes de factions qui minent les cités-États italiennes et dont les chroniques et histoires se font les analystes assez précis ; mais aussi aux peurs des couches dominantes de la République florentine (couches auxquelles appartenaient les humanistes civiques) devant les revendications des couches populaires, constantes durant la période républicaine. En faisant pour sa part l'éloge du conflit, la pensée de Machiavel est au contraire d'une originalité remarquable, soulignée par de nombreux analystes. Certes, Machiavel n'est pas un schmittien avant la lettre : lorsqu'il compare Rome et Florence, il valorise le fait que la première savait résoudre les conflits par des lois, en les transformant en « disputes » et en sachant trouver un équilibre entre les différents groupes sociaux en présence, tandis qu'il blâme Florence parce que les luttes entres les grands et le peuple y dégénèrent en guerre civile et en victoire totale d'un parti sur un autre [33]. Cependant, son appréciation positive de la dynamique portée par les conflits sociaux et, plus particulièrement par les mobilisations extraconstitutionnelles de la plèbe romaine, pointe en direction d'un républicanisme bien différent de celui des humanistes civiques ou de Guicciardini. Or, cette différence capitale est assez peu interrogée dans les reconstructions des historiens des idées et des philosophes contemporains [34].

14 Une seconde série d'oppositions affleure dans les écrits de Bruni ici réunis et est abordée explicitement dans son Histoire du peuple florentin. « Du mode d'élection aux offices dans le Grand Conseil », de Guicciardini, l'illustre de façon paradigmatique, et elle occupe une place centrale dans les textes de Machiavel. Elle concerne la place des groupes dominés dans la République ­ ou plus exactement des couches populaires, car il faudra attendre longtemps pour que l'exclusion politique des femmes soit thématisée dans une perspective républicaine [35], et davantage encore pour que la domination exercée sur les populations conquises soit remise en cause [36]. Deux groupes sociaux étaient concernés. Le plus à la marge était celui des travailleurs manuels urbains [37], le popolo minuto ou plebe, qui n'étaient pas organisés en corporation et n'accédèrent à la citoyenneté que lors de la révolte des Ciompi, durant l'été 1378. Trois nouvelles corporations furent alors créées, qui permirent d'ajouter près de 13 000 personnes aux 6 000 à 7 000 citoyens que Florence comptait alors, mais la mesure fut rapidement révoquée [38]. Bruni et Guicciardini condamnèrent sans appel cet épisode et si Machiavel fit preuve de plus de compréhension pour les émeutiers, il fut loin de défendre leur inclusion dans la cité [39] : même l'auteur des Discorsi n'était pas démocrate au sens où nous l'entendons. On sait que cette exclusion de la « populace » marqua bien d'autres républiques : en Angleterre, du milieu du 17e au milieu du 18e siècle, 4 à 5 % seulement de la population bénéficiait du statut d'électeur [40]. Le fameux discours d'un leader Ciompi reconstruit par Machiavel dans ses Histoires florentines est républicain à sa manière, mais il s'oppose radicalement aux conceptions de la plupart des théoriciens canoniques du républicanisme, à Florence comme ailleurs : l'article de Skinner traduit dans ce dossier montre bien comment une question similaire divisa les Niveleurs.

15 Le rôle des membres des corporations inférieures, les « couches moyennes » de l'époque, fut par contre l'objet de luttes sociales constantes durant toute l'histoire de la République florentine. Elles se traduisirent par des oppositions entre partisans du governo largo et du governo stretto. À Florence, contrairement à Venise, ce groupe social bénéficiait de la citoyenneté. Les contemporains opposaient en conséquence les deux Républiques et la référence à Venise, si fréquente dans la politique florentine à partir de la seconde moitié du 15e siècle, était le plus souvent connotée d'une prise de partie en faveur d'un governo stretto[41]. Alors que les républicains élitistes entendaient réduire le gouvernement à un cercle étroit, les partisans du « gouvernement populaire » entendaient donner une place privilégiée à ce « petit peuple ». Ils pouvaient en cela jouer sur l'ambiguïté sémantique de deux des notions emblématiques de la République : le popolo florentin avait alors (tout comme « demos » en grec et « peuple » dans le français contemporain) une double acception : légalement, il renvoyait à l'ensemble des citoyens ; socialement, il désignait par contre les couches sociales inférieures de ces mêmes citoyens [42]. De même, le vivere libero typique de la république pouvait soit être réduit au gouvernement des lois et à l'existence d'une sphère publique républicaine, soit impliquer nécessairement une égale participation de tous les citoyens à cette sphère publique (c'est en ce sens qu'argumente le second orateur dans le texte de Guicciardini que nous publions ci-dessous). Or, cette opposition qui fut politiquement et théoriquement tout à fait centrale ne constitue pas un clivage structurant dans la plupart des reconstructions de « la » tradition républicaine. Le troisième clivage recoupe en partie le second, sans toutefois s'y superposer. Il touche à la définition de la participation politique et de la liberté. Il demeure sous-jacent dans les deux premiers textes de Bruni, mais perce dans la « Constitution des florentins » et éclate avec « Du mode d'élection aux offices dans le Grand Conseil », le dialogue mis en scène par Guicciardini. Dans une première approche, la liberté est réduite pour l'essentiel au gouvernement des lois, à l'égalité juridique des citoyens, à la liberté de parole et au contrôle des gouvernants par les gouvernés : tels sont les traits fondamentaux de la « sécurité » évoquée par le premier orateur de Guicciardini, ou de la liberté comme non-domination que Skinner analyse chez certains Niveleurs du 17e siècle et que Pettit établit en théorie générale du républicanisme. La participation politique se réduit alors au consentement exprimé à travers l'élection des représentants et à la possibilité d'exprimer publiquement ses opinions contraires au gouvernement, en bref aux traits typiques de ce que nous appelons aujourd'hui le gouvernement représentatif.

16 La seconde approche développe une conception beaucoup plus exigeante de la participation politique. Bien au-delà du contrôle des gouvernants par les gouvernés, elle implique un véritable autogouvernement. La vera libertas tend alors à étendre l'égalité des citoyens à la négation, ou du moins à la relativisation, de la différence entre gouvernés et gouvernants [43]. Certes, le cercle des personnes susceptibles d'y participer pouvait être plus ou moins large et la République florentine vit constamment s'opposer des conceptions plus populaires ou plus oligarchiques de l'autogouvernement, mais même ces dernières ne sauraient être confondues avec le gouvernement représentatif. La première forme permettant de concrétiser cet autogouvernement, commune à Athènes et qui se retrouva des siècles plus tard dans les town meetings de la Nouvelle Angleterre, passait par l'assemblée générale des citoyens. À Florence, celle-ci ne fut que faiblement institutionnalisée : réunie à intervalles irréguliers, elle n'était pas régie par une procédure formalisée et avait surtout un rôle acclamatif et plébiscitaire. La seconde forme passait par l'exercice des magistratures par chacun, à tour de rôle. Dans cette optique, le couplage entre rotation rapide des charges publiques et tirage au sort représentait un outil particulièrement efficace, qui fut utilisé tant à Athènes qu'à Florence [44]. Dans celle-ci, à l'époque de la première Renaissance, le nombre de citoyens accédant à des charges publiques avait été élargi en vue d'assurer un certain consensus : en 1411, quelques années après l'écriture de la Laudatio, plus de 5 000 citoyens (soit environ 2 sur 3) furent jugés aptes à candidater pour les charges publiques les plus importantes (nominati) et plus de 1 000 virent à l'issue du scrutin leur nom placé dans des bourses (imborsati) afin d'être ultérieurement tiré au sort. Ces chiffres s'élevèrent respectivement à 6 354 et 2 084 en 1433, juste avant la première prise de pouvoir par les Médicis, pour une population réduite à environ 70 000 habitants sous les coups des guerres et de la peste noire [45]. Cet ordre constitutionnel pouvait être subverti par les pratiques réelles, beaucoup plus oligarchiques [46], mais la norme officielle du gouvernement libre restait encore celle de l'autogouvernement.

17 Si Leonardo Bruni prend acte du recours au tirage au sort dans « De la constitution de Florence », il condamne sans ambages la pratique dans son Histoire du peuple florentin. L'argument qu'il donne est doublement méritocratique : le tirage au sort favorise des personnes peu compétentes et il éteint chez les citoyens « le zèle pour la vertu » et l'envie de se distinguer au service de la République pour gagner les suffrages populaires. En conséquence, il se prononce résolument pour l'élection, citant Rome en exemple [47]. Près d'un siècle plus tard, ce sont ces arguments que reprend le premier orateur de Guicciardini dans « Du mode d'élections aux offices dans le Grand Conseil », en ajoutant Venise aux côtés des Romains. Le second orateur, qui se livre lui-aussi à un discours « républicain », défend par contre résolument le recours à la sélection aléatoire.

18 Machiavel était quant à lui plus sceptique. Dans ses Histoires florentines, il n'envisage l'introduction du tirage au sort lors des réformes constitutionnelles de 1328 que sous l'angle de la résolution des conflits entraînés par la compétition pour les charges publiques ­ une méthode adoptée « faute d'en avoir trouvé une meilleure » et d'une efficacité limitée [48]. Dans son activité politique, il n'hésita pas à préconiser le recours à cette méthode, mais toujours en tant qu'instrument vecteur d'impartialité [49]. Dans son court traité proposant une réforme du système politique florentin, alors qu'il était condamné à l'éloignement par le retour des Médicis au pouvoir et qu'il espérait revenir dans le jeu politique, il laissa la question dans l'ombre [50] : sur le fond, il ne semblait guère intéressé par la question du mode de scrutin. Cependant, les Discours sur la première Décade de Tite-Live ne laissent aucun doute sur le fait que la mobilisation politique de la plèbe romaine dont il faisait l'éloge allait bien au-delà d'une théorie du consentement et du gouvernement représentatif.

19 Les différents sens que revêt l'éloge de la participation civique chez les penseurs florentins se reflètent en partie dans les interprétations divergentes de Pocock et Skinner. Insistant sur la filiation aristotélicienne du « moment machiavélien », le premier s'inscrit dans une problématique assez proche de celle d'Hannah Arendt et valorise une participation active des citoyens (tout en ne thématisant que de façon assez ambigüe l'émergence progressive du gouvernement représentatif). Le second, privilégiant les racines cicéroniennes de ce qu'il appellera dans un second temps le courant « néo-romain », écarte globalement l'idée d'autogouvernement de la conception de la liberté qu'il s'attache à remettre à jour pour se focaliser sur la constitution de l'État. Au-delà de ces différences historiographiques, les courants républicains postérieurs à l'expérience florentine se répartiront entre deux pôles. Le premier mettra l'accent sur le gouvernement représentatif et sur un État protecteur et paternaliste, donnant parfois aux élus le monopole de la définition de l'intérêt général. Le second s'efforcera de traduire l'idéal d'autogouvernement, ou du moins de participation active des citoyens, dans les conditions nouvelles qui seront celles des républiques contemporaines. Les hybridations de ce type de républicanisme avec des tendances socialistes, libérales de gauche ou libertaires seront nombreuses. Sous des formes bien sûr complètement transformées, ce débat est loin d'être clos [51] et la polarité entre deux formes de gouvernement, l'un basé strictement sur la délégation par les citoyens de leur pouvoir effectif à leurs représentants, l'autre impliquant une participation civique active, conserve une certaine pertinence aujourd'hui ­ beaucoup plus que le débat sur les conceptions individuelles du bien qui verrait s'opposer la reconnaissance libérale (et républicaine à la manière de Pettit ou du second Skinner) du « fait du pluralisme » et un néo-aristotélisme pour lequel la vertu civique serait forcément première.

20 Si actualité de l'humanisme civique il a, ce n'est sans doute pas en ce que Leonardo Bruni et ceux qui lui succédèrent auraient inauguré une tradition « républicaine », celle de la liberté comme non-domination, dont le fil pourrait être déroulé jusqu'à aujourd'hui. Dans le siècle qui sépare le temps de Bruni de celui de Machiavel et Guicciardini, entre filiations et discontinuités, la politique que Florence avait réinventé commença à trouver les mots et les concepts de la modernité. Confrontée à des problèmes théoriques et politiques brûlants, elle fut une matrice où se forgèrent des oppositions durables. Certaines sont oubliées, mais d'autres peuvent encore susciter un écho dans les débats contemporains.

Notes

  • [1]
    Je remercie Marie Gaille, Jean-Louis Fournel et Pasquale Pasquino, dont les réflexions ont nourri une partie des idées exposées dans les lignes qui suivent. Sans le soutien du Centre Marc Bloch (Berlin), du CRESPPA (CNRS/Université de Paris 8), de l'Université de Neuchâtel et de l'École Française de Rome, la constitution de ce dossier n'aurait pas été possible.
  • [2]
    J. G. A. Pocock, The Machiavellian Moment... : Florentine Political Thought and the Atlantic Republican tradition, Princeton/Londres, Princeton University Press, 1975 ; Quentin Skinner, The Foundations of Modern Political Thought, Cambridge, Cambridge University Press, 1978.
  • [3]
    Voir récemment Serge Audier, Machiavel, conflit et liberté, Paris, Vrin/EHESS, 2005 ; Marie Gaille, Machiavel et la tradition philosophique, Paris, PUF, 2007.
  • [4]
    Lucia Gualdo Rosa et Paolo Viti (dir.), Per il censimento dei codici dell'Epistolario di Leonardo Bruni, Rome, 1981, cité in James Hankins, « The “Baron Thesis” after Forty Years and some Recent Studies of Leonardo Bruni », Journal of the History of Ideas, vol. 56, no 2, avril 1995, p. 319 ; Laurence Bernard-Pradelle, « Introduction », in Leonardo Bruni Aretino, Histoire, éloquence et poésie à Florence au début du Quattrocento, textes choisis, édités et traduits par Laurence Bernard-Pradelle, Paris, Champion, 2008, p. 17.En ligne
  • [5]
    « De interpretatione recta. Sur la traduction correcte », in L. Bruni Aretino, Histoire, éloquence et poésie à Florence au début du Quattrocento, op. cit., p. 613-679.
  • [6]
    L'italien de Florence fut proclamé par Bruni comme l'égal des langues antiques, même s'il écrivait lui-même davantage en latin, alors lingua franca de l'Europe occidentale, pour favoriser la diffusion de sa pensée.
  • [7]
    J. Hankins, « Introduction », in L. Bruni Aretino, History of the Florentine People, traduit et édité par J. Hankins, Cambridge (Mass.)/Londres, Harvard University Press, 2001.
  • [8]
    L. Bruni Aretino, Histoire, éloquence et poésie à Florence au début du Quattrocento, op. cit.
  • [9]
    En France, son nom était autrefois francisé en François Guichardin et cette graphie se retrouve encore dans certains travaux.
  • [10]
    On peut citer Jean-Louis Fournel et Jean-Claude Zancarini (trad. et dir.) : Avertissements politiques (1512-1530), Paris, Cerf, 1988 ; Histoire d'Italie, Paris, Laffont, 1996 (2 vols.) ; Écrits politiques : Discours de Logroño, Dialogue sur la façon de régir Florence, Paris, PUF, 1997 ; Lucie De Los Santos (trad. et dir.), Considérations à propos des discours de Machiavel sur la première décade de Tite-Live, Paris, L'Harmattan, 1997 ; voir aussi J.-L. Fournel et J.-C. Zancarini, La politique de l'expérience, Savonarole, Guicciardini et le républicanisme florentin, Alessandria, Edizioni dell'Orso, 2002 et La Grammaire de la république. Les langages de la politique chez Francesco Guicciardini, Genève, Droz, 2010.
  • [11]
    Felix Gilbert, Machiavel et Guichardin. Politique et histoire à Florence au 16e siècle, Paris, Seuil, 1996.
  • [12]
    L'une des exceptions les plus marquantes est celle de Bernard Manin, Principes du gouvernement représentatif, Paris, Flammarion, 1996.
  • [13]
    Pour une synthèse grand public sur l'ensemble de la République florentine, voir Gene A. Brucker, Florence, six siècles de splendeur et de gloire, trad. de l'angl. par Bernard Blanc et Dominique Brotot, Paris, La Martinière, 1999. Voir également Jean Boutier, Sandro Landi, Olivier Rouchon (dir.), Florence et la Toscane, 14e-19e siècles. Les dynamiques d'un État italien, Rennes, PUR, 2004.
  • [14]
    John Najemy, cité in J. Hankins, « The “Baron Thesis” after Forty Years », op. cit.
  • [15]
    H. Baron, The Crisis of the Early Italian Renaissance, op. cit. ; In Search of Florentine Civic Humanism. Essays on the Transition from Medieval to Modern Thought, Princeton, Princeton University Press, 1988, 2 vol. Cette problématique rejoignait largement celle que développait en Italie Eugenio Garin (1909-2004).
  • [16]
    Pour un bon panorama de celles-ci, voir également J. Hankins (dir.), Renaissance Civic Humanism, Cambridge, Cambridge University Press, 2000.En ligne
  • [17]
    J. Hankins, « Introduction », in L. Bruni Aretino, History of the Florentine People, op. cit., ix.
  • [18]
    Nicolai Rubinstein, « Florentina libertas », Rinascimento, Florence, Leo S. Olschki, 1986, p. 3-26.
  • [19]
    Cf. l'analyse de la correspondance privée de Bruni in P. Viti, Leonardo Bruni e Firenze. Studi sulle lettere pubbliche e private, Rome, Bulzoni, 1992.
  • [20]
    Nicolai Rubinstein, « Il Bruni a Firenze : retorica e politica », in Leonardo Bruni Cancelliere della Repubblica di Firenze, Florence, Leo S. Olschki, 1990, p. 18-19.
  • [21]
    G. A. Brucker, The Civic World of Early Renaissance Florence, Princeton, Princeton University Press, 1977, p. 283 et suiv.
  • [22]
    N. Rubinstein, The Government of Florence Under the Medici (1434 to 1494), Oxford/New York, Clarendon Press/Oxford University Press, 1997, en particulier p. 178 et suiv.
  • [23]
    John N. Najemy, Corporatism and Consensus in Florentine Electoral Politics, 1280-1400, Chapel Hill, The University of North Carolina Press, 1982.
  • [24]
    Moses I. Finley, L'invention de la politique, Paris, Flammarion, 1985 ; Cornelius Castoriadis, Domaines de l'homme, Paris, Seuil, 1986.
  • [25]
    Sur l'opposition entre gouvernement mixte et théorie de la souveraineté, voir, dans une optique un peu différente, M. Gaille-Nikodimov (dir.), Le gouvernement mixte. De l'idéal politique au monstre constitutionnel en Europe (13e-17e siècle), Saint-Étienne, Publications de l'Université de Saint-Étienne, 2005. Pour l'utilisation du concept de gouvernement mixte pour l'analyse des sociétés contemporaines, cf. B. Manin, Principes du gouvernement représentatif, op. cit.
  • [26]
    S. Audier, Les théories de la république, Paris, La Découverte, 2004. Voir également Claudia Moatti et Michèle Riot-Sarcey (dir.), La République dans tous ses états, Paris, Payot, 2009 et Samuel Dennis Glover, « The Putney Debates : Popular versus Elitist Republicanism », Past and Present, vol. 164, août 1999, p. 47-80.
  • [27]
    Sur les différences épistémologiques entre Pocock et Skinner, voir M. Gaille-Nikodimov, « L'annexion républicaine de Machiavel dans la pensée anglo-saxonne : principes, finalités, effets interprétatifs et tensions internes », in Xavier Tabet et Paolo Carta (dir.), Machiavel aux 19e et 20e siècles, Padoue, CEDAM, 2007, p. 287-308.
  • [28]
    Martin van Gelderen et Quentin Skinner (dir.), Republicanism. A Shared European Heritage, 2 vols., Cambridge, Cambridge University Press, 2002.
  • [29]
    Jean-Fabien Spitz, Le moment républicain en France, Paris, Gallimard, 2005.
  • [30]
    Philip Pettit, Republicanism : A Theory of Freedom and Government, Oxford/New York, Oxford University Press, 1997.
  • [31]
    Q. Skinner, Liberty Before Liberalism, Cambridge, Cambridge University Press, 1998.
  • [32]
    J.-F. Spitz, Le moment républicain en France, op. cit., p. 10.
  • [33]
    Machiavel, Histoires florentines, in uvres, Paris, Gallimard, 1952, III, 1, p. 1066-1067.
  • [34]
    La « démocratie de contestation » de Philip Pettit n'en offre qu'une version très aseptisée.
  • [35]
    Les hésitations analysées par Skinner dans l'Angleterre du 17e siècle pèsent finalement assez peu au regard de ce non-dit. Cette question constitue d'ailleurs l'un des points les plus faibles de M. van Gelderen et Q. Skinner (dir.), Republicanism. A Shared European Heritage, op. cit. Cf. par contraste Joan W. Scott, La citoyenne paradoxale. Les féministes françaises et les droits de l'homme, Paris, Albin Michel, 1998.
  • [36]
    Jamais les populations conquises ne purent bénéficier de la citoyenneté de la ville-centre. La contradiction entre les proclamations des florentins sur la défense de la liberté et leur impérialisme fut d'ailleurs critiquée par leurs adversaires. Cette contradiction se retrouve dans bien d'autres républiques et la question coloniale est totalement absente de la reconstruction de l'idéologie de la IIIe République proposée par Jean-Fabien Spitz (Le moment républicain en France, op. cit.).
  • [37]
    Les paysans du territoire environnant Florence, le contado, étaient eux-aussi exclus de la citoyenneté.
  • [38]
    John N. Najemy, Corporatism and Consensus in Florentine Electoral Politics, op. cit., p. 236, 270 ; G. A. Brucker, « The Ciompi Revolution », in N. Rubinstein (dir.), Florentines Studies. Politics and Society in Renaissance Florence, Evanston, Northwestern University Press, 1968, p. 336.
  • [39]
    L. Bruni Aretino, History of the Florentine People, op. cit., p. ix ; Francesco Guicciardini, Cose fiorentine, II, cité in Francesco Guicciardini, Antimachiavelli, Gian Franco Berardi (dir.), Rome, Riuniti, 1984, p. 137-148 ; Machiavel, Histoires florentines, op. cit., III, 13. Sur les Ciompi, cf. Alessandro Stella, La révolte des Ciompi, Paris, Presses de l'EHESS, 1993.
  • [40]
    Patrice Gueniffey, Le nombre et la raison, Paris, Presses de l'EHESS, 1993, p. 97 et J. H. Plumb, « The Growth of the Electorate in England from 1600 to 1715 », Past and Present, vol. 45, novembre 1969, p. 111.
  • [41]
    F. Gilbert, « The Venetian Constitution in Florentine Political Thought », in N. Rubinstein (dir.), Florentines Studies, op. cit., p. 463-500.
  • [42]
    Plus exactement, il pouvait selon les contextes s'appliquer uniquement aux membres des corporations inférieures ou inclure également le popolo minuto exclus de la citoyenneté (G. A. Brucker, The Civic World of Early Renaissance Florence, op. cit., p. 259).
  • [43]
    N. Rubinstein, « Florentina libertas », op. cit., p. 12.
  • [44]
    B. Manin, Principes du gouvernement représentatif, op. cit. ; Yves Sintomer, Le pouvoir au peuple, Paris, La Découverte, 2007.
  • [45]
    J. N. Najemy, Corporatism and Consensus in Florentine Electoral Politics, op. cit., p. 177 et 275 ; G. A. Brucker, Florence, six siècles de splendeur et de gloire, op. cit. ; G. A. Brucker, The Civic World of Early Renaissance Florence, op. cit., p. 253.
  • [46]
    Le chroniqueur Giovanni Cavalcanti, qui estimait à 70 personnes environ le cercle restreint du pouvoir, concluait quelque peu désabusé : « Il me semblait que la République sombrait dans la tyrannie et n'était plus un gouvernement libre (politico vivere), et que le gouvernement de la République s'administrait en dehors du Palais [...] La cité était davantage gouvernée lors des soirées privées et dans les bureaux des grands négociants que dans le Palais ; et que beaucoup étaient élus aux offices tandis que peu exerçaient le gouvernement » (Giovanni Cavalcanti, Istorie Fiorentine, Milan, Ed. di Pino, 1944, II, 1, cité in G. A. Brucker, The Civic World of Early Renaissance Florence, op. cit., p. 251).
  • [47]
    L. Bruni Aretino, Histoire du peuple florentin, op. cit., vol. 2, V, 80-81, p. 72-73.
  • [48]
    Machiavel, Histoires florentines, op. cit., II, 28, et III, 24.
  • [49]
    Cf. par exemple le décret pour instituer la magistrature chargée de superviser la mise en place de la milice (1506), in Edmond Barincou (dir.), Toutes les lettres de Machiavel, Paris, Gallimard, 1955, II, p. 73-75.
  • [50]
    « Discours sur la réforme de l'État à Florence » (1520), ibid., p. 331-341.
  • [51]
    Sur les continuités et les décalages entre l'autogouvernement florentin et les formes contemporaines de démocratie délibérative à partir de la question du tirage au sort, voir Y. Sintomer, « Random Selection and Deliberative Democracy », Constellations, à paraître en 2010.
Français

Résumé

L'enjeu du dossier est d'abord de combler un vide de la recherche francophone, qui ne s'était jusqu'ici que peu penchée sur Leonardo Bruni ou l'humanisme civique et qui continue de sous-estimer l'importance de Francesco Guicciardini. Les thèses séminales de Hans Baron ont pour une large part été infirmées, mais elles restent stimulantes : si les textes de Bruni sont loin de refléter la réalité de l'ordre politique florentin, ils n'en sont pas moins porteurs d'un idéal civique qui systématise et reformule le républicanisme. La réinvention de la politique qui avait commencé un siècle plus tôt dans la cité toscane put ainsi avoir un impact considérable sur le développement de la pensée politique moderne. L'examen des textes montre cependant qu'il existe plusieurs républicanismes, qui s'opposent notamment sur la question sociale et sur l'alternative autogouvernement vs. gouvernement représentatif.

Yves Sintomer
Yves Sintomer est professeur dans le département de sciences politiques de l'Université de Paris 8, chercheur au CRESPPA et chercheur invité dans les Universités de Neuchâtel et Lausanne. Il a publié de nombreux travaux sur la question démocratique, traduits dans une douzaine de langue, dont, récemment, Le pouvoir au peuple. Jurys citoyens, tirage au sort et démocratie participative, Paris, La Découverte, 2007, et Les budgets participatifs en Europe, Paris, La Découverte, 2008.
Mis en ligne sur Cairn.info le 11/02/2010
https://doi.org/10.3917/rai.036.0005
Pour citer cet article
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