CAIRN.INFO : Matières à réflexion

1 Une douzaine d’années après la fin pacifique de la guerre froide, la place de la guerre dans les relations internationales contemporaines pose toujours une question d’actualité à nos contemporains.

2 Non à cause des guerres civiles, ethniques, ou même des attentats terroristes, car depuis l’après-guerre froide, l’accord prévaut pour estimer que le bel avenir de la guerre appartient aux conflits identitaires et autres chocs de civilisations. Plutôt parce que le constat de la persistance, sinon de la multiplication, de la violence intraétatique et transnationale, allait généralement de pair avec la thèse de la fin de l’histoire, synonyme de disparition progressive du recours à la force armée comme moyen de règlement des différends entre États. Loin d’être imputable au seul libéralisme voyant dans la diffusion de la démocratie de marché et le triomphe des valeurs post-modernes des facteurs de pacification, l’idée de l’obsolescence des guerres interétatiques était surtout corroborée par les recherches empiriques qui concluaient à une diminution lente mais régulière des guerres entre unités étatiques dans le long terme (c’est-à-dire depuis l’émergence de l’État-nation comme forme privilégiée d’organisation politique des sociétés), mais aussi sur le court terme, depuis l’après-Seconde guerre mondiale, alors même que le nombre d’entités souveraines avait pratiquement quadruplé.

3 Davantage, ces mêmes études statistiques notaient une tendance à la baisse de l’implication dans les guerres contemporaines des grandes puissances, parties prenantes à la moitié des guerres sur l’ensemble de la période connue sous le nom de système westphalien.

4 Or, ces certitudes ont été bouleversées à partir des années quatre-vingt-dix, avec l’opération « Tempête du désert » visant à rétablir la souveraineté du Koweït, les interventions menées au nom du droit d’ingérence humanitaire en Bosnie et au Kosovo, les bombardements de l’Afghanistan des Talibans en représailles aux attentats du 11 septembre, enfin l’opération « Liberté en Irak »… Les recours à la force armée entre États se sont multipliés, qui impliquent souvent les États-Unis, le plus puissant des monstres froids. Comment interpréter ce retour en grâce de la guerre à Washington moins d’une génération après le syndrome vietnamien ; comment expliquer la dernière expédition punitive menée contre Bagdad ?

5 À contre-courant de l’opinion dominante française, Stephen Launay propose une réponse stimulante à la première question : confrontés aux nouvelles menaces qu’ils doivent affronter en matière de terrorisme, et chargés des nouvelles missions qu’ils ont décidé d’assumer en matière de maintien de la paix et de la sécurité internationales, les États-Unis sont en train d’élaborer une nouvelle grande stratégie, succédant à la défunte doctrine de l’endiguement, et fondée sur une reformulation de la doctrine de la guerre juste elle-même enracinée dans la culture politique américaine. S’inscrivant davantage dans la discipline des relations internationales, Thomas Lindemann souligne tout autant le rôle de l’identité américaine, mais, dans une approche constructiviste, il note que cette identité est surtout façonnée par la perception que les États-Unis ont de l’image qu’ils estiment être la leur aux yeux d’autrui : plus que la culture politique interne, et plus que les seuls rapports de force matériels internationaux, les guerres américaines contemporaines s’expliquent par les valeurs intersubjectives que partagent les États du fait des interactions internationales de l’après-guerre froide.

6 Le débat sur l’impact probable de l’action « Liberté en Irak » sur l’ordre international de demain est tout aussi ouvert. Selon Dario Battistella, le recours américain à l’unilatéralisme et à la guerre pré-ventive est susceptible de signifier le retour à l’état de guerre hobbien, en lieu et place de la gouvernance multilatérale d’inspiration grotienne, à supposer que l’actuelle politique américaine ne soit pas imputable à quelques entrepreneurs néo-conservateurs tirant profit de la fenêtre d’opportunité ouverte par les attentats du 11 septembre. C’est très exactement l’idée défendue par Michel Fortmann et Jérémy Gomand, qui s’interrogent sur la validité, quinze ans après sa naissance, de la thèse de l’obsolescence des guerres majeures due à John Mueller. Ces auteurs estiment que « Liberté en Irak » paraîtra aux yeux des historiens du futur une simple exception confirmant la règle de la baisse tendancielle de la guerre comme moyen de règlement des conflits entre États.

7 Au terme de ces réflexions, une seule certitude semble devoir s’imposer, soulignée par Arnaud Mercier dans son analyse des rapports entre guerres et médias : lors de la guerre en Irak aussi, la première victime a été la vérité. ?

Dario Battistella
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