CAIRN.INFO : Matières à réflexion

1L’impact social de l’entreprise est devenu une préoccupation pour tous les acteurs concernés et sa mesure est un enjeu stratégique majeur. Identifier en quoi l’activité de l’entreprise a un impact sur la société et mesurer les effets, positifs comme négatifs, devient nécessaire pour plusieurs raisons : répondre à des contraintes règlementaires, rendre compte de l’impact auprès des partenaires et des parties prenantes, communiquer et valoriser les politiques mises en œuvre et, plus fondamentalement, pour pérenniser durablement l’activité. L’impact social comprend les effets à la fois positifs et négatifs de l’activité de l’entreprise et sa mesure est indissociable de celle de valeur créée et de la valeur constatée par les bénéficiaires et toutes les parties prenantes. Cet impact est jugé en se référant à ce qu’aurait été la société sans l’activité de l’entreprise. L’impact social de l’entreprise peut être défini comme la somme des différentiels générés par son activité dans les chaînes de valeur de ses parties prenantes directes et indirectes.

2Depuis l’édition par L’ONU d’une charte de 17 objectifs de Développement Durable pour produire un meilleur futur plus pérenne et durable pour l’humanité assortis d’indicateurs de progrès mesurés, les entreprises sont invitées à formuler une stratégie, des enjeux et des objectifs pour orienter et suivre la création de valeur extra-financière relevant du champ du Développement Durable. Elles élaborent un modèle de création de valeur(s) multidimensionnel, au-delà de la seule valeur économique, un système de valeurs positif pour l’espèce humaine et la planète, un sens ou « raison d’être », fédératrice pour le corps social de l’entreprise, ses clients, ses parties prenantes élargies. Dans leur DPEF (Déclaration de performance extra financière), obligatoire en France pour les entreprises de plus de 500 salariés, elles publient une matrice de risques extra-financiers et une matrice de matérialité des enjeux en fonction des attentes des parties prenantes élargies de et du niveau d’importance pour l’entreprise.

3La recherche d’un indice synthétique d’impact s’est traduite en France, depuis 2015, par la création d’un indice de positivité des entreprises. Cet indice est une note annuelle comprise entre 0 et 100, mesurée par 35 indicateurs répartis dans 5 dimensions : empreinte environnementale, conditions de travail, partage positif de la valeur produite par l’entreprise, formation et recherche, vision stratégique de long terme. L’indice est centré sur l’amélioration continue et prend en compte le temps long, puisque pour chaque indicateur, le score de positivité tient compte des progrès accomplis et de la capacité à se projeter dans l’avenir avec des objectifs concrets. Il s’agit d’un outil universel, qui n’intègre pas de critère spécifique dépendant de la taille, du secteur d’activité ou de l’implantation géographique et permettant des études comparatives. Des recherches doivent permettre d’analyser Le lien entre l’indice ainsi calculé et la création de valeur mesurée par les indicateurs classiques.

4Apporter la preuve d’un impact social positif est nécessaire lorsque l’entreprise souhaite être reconnue « entreprise à impact positif ». C’est notamment une condition pour être agréée « entreprise à mission » dans le cadre de la loi PACTE. L’entreprise doit disposer d’outils de mesure valides et pouvoir fournir des données fiables. Les recherches sur la mesure et l’évaluation de l’impact de l’entreprise sur la société ont été stimulées par l’obligation de publier, dans les entreprises de 500 salariés et plus, une DPEF (Déclaration de performance extra financière) comportant des indicateurs de performance (KPI) sociale, sociétale et environnementale intégrés au modèle d’affaires.

5Pour éclairer le débat sur l’impact social et la création de valeur, la revue Question(s) de management a interrogé des experts, praticiens et chercheurs sur la question « Quelle place pour l’impact social (ou sociétal) dans la création de valeur de l’entreprise ? ».

670 experts, enseignants-chercheurs, experts et consultants, dirigeants d’entreprise, DRH, responsables ont apporté leurs réponses.

7Merci à Abdelwahab AÏT RAZOUK, Alain AKANNI, Patrick AMAR, Olivier BACHELARD, Pierre BEAL, Viviane de BEAUFORT, Togba BEHI, Lhachimi BENALI, Laïla BENRAÎSS-NOAILLES, Antoine BERTHEUX, Charles-Henri BESSEYRE des HORTS, Mustapha BETTACHE, Marc BIDAN, Mireille BLAESS, Jean-Pierre BOUCHEZ, Patrick BOUVARD, Romain BUQUET, Marie-Gabrielle CAJOLY, Philippe CANONNE, Nandini COLIN, Alain COUGARD, Thibault CUENOUD, Christian DEFELIX, Cécile DEJOUX, Richard DELAYE-HABERMACHER, Marc DELUZET, Anne-Marie de VAIVRE, Abdelkader DJAMAL, Simon DOLAN, Dominic DRILLON, Jean-Marie ESTEVE, Jean-Marie FESSLER, Damien FORTERRE, Yassine FOUDAD, Jean-Michel GARRIGUES, Lina GENTILE-BAROUHIEL, Alain GOSSELIN, Olfa GRESELLE-ZAÏBET, Amaury GRIMAND, Stefan GRÖSCHL, Delphine GUYARD MEYER, Dalila HAWARI, Arnaud LACAN, Hubert LANDIER, Yves LE BIHAN, Carole LEBLOND, Nathalie LEMIEUX, Hadj NEKKA, Jean-François NGOK EVINA, Raphaël NKAKLEU, Florence NOGUERA, Marc OHANNA, Ewan OIRY, Gwenaëlle ORUEZABALA, André PERRET, Yvon PESQUEUX, Elena de PREVILLE, Camille RICAUD, Olivier ROQUES, Jean-Pierre SEGAL, Natacha SEGUIN, Jean-Dominique SIMONPOLI, Brahim TEMSAMANI, Patrice TERRAMORSI, Oumar TRAORÉ, Gilles VERRIER, Marc VEZZARO, Catherine VOYNNET-FOURBOUL, Romain ZERBIB, Rim ZID.

8Abdelwahab AIT RAZOUK s’interroge sur l’impact social par le développement du capital humain des étudiants du supérieur. Alain AKANNI nous rappelle que l’humain est un être limité nonobstant ses nombreuses prouesses technologiques et scientifiques. Patrick AMAR pose la question de la finalité de l’organisation. Olivier BACHELARD insiste sur le fait que la RSE, même évaluée et quantifiée de manière rigoureuse, notamment sous forme de référentiels ISO, ne représente qu’une partie de l’impact social (ou sociétal) dans la création de valeur de l’entreprise. Pierre BEAL et Anne-Marie de VAIVRE insistent sur l’importance de l’indicateur relatif à la qualité de l’air. Viviane De BEAUFORT revient sur l’importance de mesurer la création de valeur sociétale. Togba BEHI rappelle que les deux choses les plus importantes dans une entreprise n’apparaissent pas dans le bilan : la réputation et les hommes. Lhachimi BENALI et Abdelkader DJAMAL présentent un réseau d’artisanes pour la promotion des femmes rurales en Algérie. Il s’agit d’une information indispensable dans les dispositifs d’évaluation des risques, comme dans les objectifs de performances. Laïla BENRAÎSS-NOAILLES insiste sur l’importance de la bienveillance organisationnelle. Antoine BERTHEUX affirme que la RSE redéfinit le rôle du marketing. Ce dernier qui amenait jusqu’alors à vendre, un produit ou un positionnement, propose désormais à la vente des valeurs permettant au consommateur de revendiquer les siennes au travers de son choix de consommation. Charles-Henri BESSEYRE des HORTS analyse l’impact sociétal de la création de valeur de l’entreprise dans le contexte de la pandémie du Coronavirus. Pour Mustapha BETTACHE, une nouvelle vision économique plus axée sur l’utilité sociale, plus respectueuse des hommes et des femmes et de l’environnement semble prendre le pas. Marc BIDAN revient sur la double logique d’exposition et de notation qui est celle des écosystèmes qui nous entourent désormais. Selon Mireille BLAESS se recentre sur une raison d’être rassure sur l’existence même de l’entreprise sans l’engager de la même manière. On y retrouve certains éléments de l’ère industrielle et du paternalisme d’autrefois. Jean-Pierre BOUCHEZ souligne que cet impact social, sociétal et environnemental en voie de construction s’apparente à la forme d’un socle de biens communs. Il évoque la forme d’un nouveau stade du capitalisme…D’après Patrick BOUVARD, pendre en compte l’impact social et sociétal, c’est considérer que nous ne sommes pas seul au monde et que nous avons la capacité d’améliorer la vie des autres en partageant du sens, des services et des biens avec ceux qui en ont besoin. Romain BUQUET insiste sur le rôle essentiel des entrepreneurs « à impact » dans la cohésion sociale et notre résilience comme civilisation.

9Marie-Gabrielle CAJOLY souligne que le monde économique est bel et bien capable d’altruisme, ce qui n’implique pas que cet altruisme soit désintéressé. Pour Philippe CANONNE, la RSE est désormais au cœur de la promesse de l’entreprise. Peu comme prise de conscience, beaucoup plus comme critère concurrentiel. D’après Nandini COLIN le coronavirus peut représenter le « game changer » qui remettra l’impact social au centre de la création de valeur. Alain COUGARD indique le passage d’un esprit de finance à un esprit de finesse. Selon Thibault CUENOUD et Dominic DRILLON, les entreprises se sont surtout évertués à réduire les coûts financiers. Désormais, elles cherchent davantage à réduire le CO2 émis par l’activité d’une entreprise. D’après Christian DEFELIX, nous sommes passés de la responsabilité sociale déclarée à la responsabilité sociale démontrée, pour dorénavant entrer dans l’ère de la responsabilité sociale perçue. Cécile DEJOUX s’interroge sur la compatibilité entre l’IA et l’impact sociétal. Richard DELAYE-HABERMACHER nous invite à tirer les leçons d’une RSE africaine qui appréhende l’entreprise dans sa fonction sociale et qui doit servir la communauté. Marc DELUZET évoque l’Impact Investing, qui concerne les investissements effectués avec l’intention de générer, en plus du rendement financier, un impact social et environnemental positif. Anne-Marie DE VAIVRE et Lina GENTILE-BAROUHIEL s’intéressent à la « ressource-impact santé ». Jean-Marie ESTEVE souligne que les parties-prenantes sont les sentinelles de la PME. Jean-Marie FESSLER pose la question de l’adaptation de la création de valeur aux impact sociaux et à la santé des liens humains. D’après Damien FORTERRE, confiance et coopération sont deux maîtres mots à inscrire dans la mission des entreprises. Yassine FOUDAD signale que le fait le plus remarquable est que les managers intègrent progressivement les parties prenantes internes (salariés, représentants personnel, cadres, actionnaires) et externes (clients, fournisseurs, associations, médias, institutions publiques et locales), dans la « sphère d’influence » de l’entreprise.

10Jean-Michel GARRIGUES affirme que même un dirigeant autocentré et animé par le profit comprend qu’il ne peut plus faire l’économie d’une exemplarité de façade, pour rassurer les marchés sur son humanité bienveillante. Alain Gosselin s’interroge sur la place de l’humain dans la nouvelle organisation du travail. Alain GOSSELIN s’interroge sur la place de l’humain dans la nouvelle organisation du travail. Olfa GRESELLE-ZAÏBET suggère de repenser un engagement à valeur ajoutée au sein et en dehors des organisations qui permettra de susciter des changements d’état d’esprit et de culture au travail. Amaury GRIMAND suggère que la création de valeur par les RH est aussi une affaire d’arbitrages. Stefan GRÖSCHL insiste sur l’importance du sens et de la finalité comme des sources de creation de valeurs. Pour Delphine GUYARD MEYER, les entreprises qui feront la différence et qui sauront s’adapter, seront celles qui seront capables de rupture. Dalila HAWARI évoque le binôme inséparable impact social/performance. Arnaud LACAN souligne que l’impact sociétal de l’entreprise crée de la valeur pour chaque partie prenante dans une logique de gagnant-gagnant. Hubert LANDIER montre comment les entreprises détruisent de la valeur. Pour Yves LE BIHAN, il ne peut pas y avoir d’impact social positif sans une révolution du leadership. Carole LEBLOND et Nathalie LEMIEUX rappellent qu’il est possible de bien faire financièrement tout en faisant du bien au niveau social et environnemental. Hadj NEKKA indique que quel que soit l’approche retenue pour mesurer l’impact social et sociétal en termes de création de valeur, il faut accorder une place centrale aux considérations économiques et stratégiques. Jean-François NGOK EVINA pense que l’entreprise doit définir et apporter les preuves qu’elle s’engage à répondre au triptyque Stratégie-Culture – Performance. Raphael NKAKLEU en s’appuyant sur divers exemples montre comment les réseaux informels des salariés dans l’entreprise créent de la valeur en Afrique. Florence NOGUERA affirme que la GRH est une fonction clé au cœur du processus de création de valeur de l’entreprise. Marc OHANNA s’interroge sur le rôle des salariés sur l’impact social des entreprises. Ewan OIRY insiste pour que les entreprises intègrent dans leur bilan comptable les impacts sociaux et sociétaux de leurs activités.

11Pour Gwenaëlle ORUEZABALA dans toute démarche d’évaluation d’impact social, le plus important est moins le résultat que les moyens mis en œuvre au service d’une ambition collective d’intérêt général. Selon André PERRET, être à l’écoute des parties prenantes, respecter les partenaires sociaux, avoir réellement conscience de la nécessité d’agir pour le bien collectif, devrait permettre de décupler les forces énergétiques du moteur de l’entreprise, et là, oui, la performance sera au rendez-vous. Yvon PESQUEUX insiste sur l’importance de la modification des enjeux et du contenu du reporting extrafinancier. Pour Elena DE PREVILLE, la détermination de sa mission, peut aider une entreprise à réduire ses coûts et accroitre sa productivité, en augmentant l’engagement de toutes les parties prenantes. Pour Camille RICAUD, c’est au management plus qu’à l’économie, de porter aujourd’hui les aspirations et les espoirs de cette nouvelle génération qui monte et nous crie « OK boomers », expression traduisant la ferme volonté de changer notre modèle de société. Selon Olivier ROQUES La quantification de l’impact social est un casse-tête éternel. Jean-Pierre SEGAL s’interroge sur la réalisation de la promesse faite par le monde managérial anglo-saxon d’unir éthique et profit. Natacha SEGUIN insiste sur la nécessaire complémentarité des actions internes et externes de l’entreprise. D’après Jean-Dominique SIMONPOLI, l’impact social positif est un enjeu de cohésion interne pour l’entreprise et de création d’une identité collective et d’engagement au projet d’entreprise. Brahim TEMSAMANI présente l’impact social sur la chaîne de valeur en s’appuyant sur l’exemple de Renault-Tanger. Patrice TERRAMORSI affirme que les entreprises, ne pourront espérer concilier durablement leur proposition de valeur avec les attentes des parties prenantes que si elles parviennent à faire dialoguer performance et responsabilité. Oumar TRAORÉ se demande si c’est une question de sens ou de mesure. Gilles VERRIER invite à sortir de l’hypocrisie. Marc VEZZARO souligne également que pour créer de la valeur il faut veiller à être reconnu pour son implication dans les évolutions que connaît la Société dans tous ses aspects (écologie, travail des enfants, ISR). L’image sociale et environnementale d’une entreprise est un actif à son bilan. Pour Catherine VOYNET-FOURBOUL, l’impact social suppose le courage de chacun à développer une vie intérieure. D’après Romain ZERBIB, il est devenu impossible de dissocier « création de valeur sociétale » et « création de valeur financière ». Rim ZID et Simon DOLAN présentent les défis de la mesure de l’impact social de la formalisation de l’éthique.

Responsabilité éducative des entreprises : quel impact social par le développement du capital humain des étudiants du supérieur ? Abdelwahab AIT RAZOUK, Enseignant-chercheur, Brest Business School

12Le développement du capital humain par la formation professionnelle des étudiants du supérieur devient une priorité pour les pouvoirs publics et les entreprises. La loi « Avenir professionnel » a donné le « La » notamment par la valorisation de l’alternance et l’apprentissage, devenu une voie d’excellence vers l’emploi pour un bon nombre d’étudiants. Les entreprises jouent un rôle majeur dans l’atteinte de cet objectif au regard de l’investissement engagée dans ce dispositif. Selon les statistiques du projet de finance pour 2019, la contribution des entreprises dédiée à la formation des jeunes par la voie de l’alternance et de l’apprentissage dépasse les 2 milliards d’euros en 2016 (soit 25 % de leurs dépenses pour la formation professionnelle). Au-delà de cet effort considérable pour le financement de la formation professionnelle des étudiants, c’est leur avenir dans le monde du travail de demain qui est en jeu. L’entreprise a par conséquent une responsabilité vis-à-vis des jeunes. C’est ce que certains appellent la « responsabilité éducative des entreprises ». Dans un rapport paru en juin 2018 et rédigé par un ensemble d’auteurs du think tank « Vers le Haut », les entreprises sont appelées à endosser cette mission d’intérêt général longtemps confinée dans le périmètre familiale et éducatif (école). Ce rapport mentionne notamment un ensemble d’indicateurs permettant de mesurer l’impact social des entreprises qui s’engagent dans le développement du capital humain par la formation professionnelle. Il s’agit pour les entreprises de prouver par des actions concrètes comment elles contribuent à la formation initiale, à la diffusion des savoirs, à l’orientation, à l’insertion, etc. Toutefois, certains penseront toujours que la finalité de l’entreprise est de créer de la valeur pour les actionnaires. Mais, l’élargissement récent de l’objet social vers des actions au service de l’intérêt collectif (loi Pacte) peut être une occasion pour les entreprises de prendre les devants en matière d’éducation en plus des autres dimensions de responsabilité sociale et sociétale (RSE). Il s’agit de saisir l’opportunité de se différencier en faisant évoluer la raison d’être vers des engagements forts et cohérents avec les attentes des différentes parties prenantes dont les étudiants du supérieur. Une autre façon de créer un environnement favorable au développement du capital humain.

13Direction du Budget (2018). Formation professionnelle, annexe au projet de finance pour 2019.

14Think tank « Vers le Haut » (2018). Manifeste pour la responsabilité éducative des entreprises. Publié en juin 2018.

L’orientation sociale de l’entreprise : un déterminant de sa prospérité et de sa survie. Alain AKANNI, Professeur, Université Cheikh Anta Diop, Dakar, Sénégal

15Depuis la Révolution industrielle, l’économie mondiale a été caractérisée par une recherche effrénée de gains et de profits, soutenue par une frénésie de consommation et de possession censée apportée du bonheur, mais conduisant au triomphe de la cupidité (STIGLITZ, 2011). La préoccupation essentielle des entreprises, la création de valeur a permis l’enrichissement parfois démesuré des propriétaires et dirigeants. Cette création de richesses tend à s’essouffler en dépit des innovations technologiques et managériales indiscutables. La situation actuelle du monde, la pandémie du Corona virus semble rappeler une vérité délaissée : il n’est de richesse durable que partagée et l’humain est un être limité nonobstant ses nombreuses prouesses technologiques et scientifiques. Ce regard, fondé sur cette vérité comporte deux séquences. D’une part, la création de richesses par l’innovation, la bonne gouvernance et les transformations économiques et sociales source de bien-être est évoquée, d’autre part, la recherche d’une plus grande équité sociale voire un peu plus d’empathie dans le partage des richesses créées serait un moyen de corriger les limites de la conception actuelle de l’approche par la valeur et de sécuriser à terme les gains des bénéficiaires de la création de valeur. 1/ La création de valeur, la finalité ultime de toute entreprise. La création de la valeur pour le créateur est à l’essence de l’entreprise. F. Modigliani et M. Miller (1961,1966) ont conceptualisé la notion de valeur sous l’angle stratégique et économique. La création de valeur résulte de nombreux facteurs : commercial, financier, stratégique, organisationnelle etc. La stratégie de l’entreprise et sa gouvernance agissent sur la valeur créée. Il en est ainsi des modalités de croissance (croissance interne vers us externe), du choix des leviers financiers (les offres de rachat d’actions, la gestion des risques financiers) ; du rôle des dirigeants, des incitations financières, des mécanismes de contrôle et surtout du comportement des dirigeants face à la richesse créée. Leur souci d’équité conforte à terme la pérennité de la firme. 2 / La propension à l’équité : un gage de pérennité et d’un vivre ensemble harmonieux. La littérature énumère de nombreux éléments qui influencent la création de valeur. Ce sont notamment : la rémunération des dirigeants, leur enracinement, leur comportement, la quête de performance sociale, la géographie du capital, le choix des membres des organes de contrôle etc. Cependant, il semble que la recherche permanente du bien-être de tous les acteurs sociaux, le souci du partage équitable et une dose d’empathie source de générosité à l’égard des plus démunis demeure la condition sine qua non de la paix et de la pérennité des organisations.

L’impact social, créateur de valeur. Patrick AMAR, Directeur Général AXIS MUNDI

16Se poser, comme dirigeant, la question de l’impact social de l’entreprise, c’est aller au-delà de la fonction uniquement ou principalement économique de l’organisation pour questionner fondamentalement sa fonction sociétale. C’est substituer au retour sur investissement qui ne raconte pas toute l’histoire, une mesure plus large de performance, un retour sur investissement économique, social et environnemental. C’est surtout poser la question de la finalité de l’organisation. Dans ce cadre, l’impact social peut avoir une place centrale dans la création de valeurs de l’entreprise. Il amène à se poser la question du sens de notre action qui ne soit pas simplement un sens instrumental, un non-choix où il faut « simplement » battre ou faire au moins aussi bien que la concurrence pour survivre. L’entreprise et ses dirigeants peuvent créer de la valeur en traitant la performance économique comme un moyen et non une fin, au service de quelque chose qui doit idéalement dépasser l’organisation. L’exercice peut être éreintant et périlleux car il nous sort du fonctionnement mécanique et finalement confortable (« pour maximiser mon profil, il me faut faire cela ») – pour nous contraindre à sortir de nous-mêmes et construire un projet avec des finalités, parfois risquées. La psychologie positive qui fait de l’étude du fonctionnement optimal son sujet nous rappelle comment une des clefs du bonheur individuel se situe dans l’investissement et le rattachement à quelque chose de plus grand que soi. La réflexion de l’organisation sur son impact social peut ainsi égoïstement rendre ses membres plus heureux et, in fine plus performants.

« Ceci n’est pas une pipe ». Olivier BACHELARD, Professeur EM Lyon Business School, Directeur des relations institutionnelles, campus de Saint Etienne

17Reprenant la légende de la « Trahison des images » du tableau de Magritte pour le titre de ce « regards croisés », notre intention est proche de la sienne. Alors que le projet du peintre consiste à montrer que, même peinte de la manière la plus réaliste qui soit, une pipe représentée n’est pas une pipe, nous voulons insister sur le fait que la Responsabilité Sociale [ou Sociétale] de l’Entreprise (RSE), même évaluée et quantifiée de manière rigoureuse, notamment sous forme de référentiels ISO, ne représente qu’une partie de l’impact social (ou sociétal) dans la création de valeur de l’entreprise. En effet, en matière d’action sociale des entreprises, il ne faut pas oublier que les cotisations patronales de sécurité sociale représentent la première source de financement des régimes de protection sociale. Il ne faut pas non plus oublier les cotisations de la branche Accidents du Travail Maladies Professionnelles (ATMP) qui financent la santé sécurité au travail des salariés sur une logique actuarielle, (Le taux de cotisation AT/MP de l’entreprise varie en fonction de la taille de l’entreprise et de sa sinistralité), ni les versements au titre du 1 % logement, ni l’emploi des personnes en situation de handicap, ni l’action sociale déployée au bénéfice de leurs salariés. Nous pourrions également prendre en compte la partie patronale de la cotisation salariale pour les mutuelles complémentaires, les jours de congés rémunérés pour les aidants familiaux, voir pour certaines, au nom du pro bono (diminutif de l’expression latine « pro bono publico » qui signifie « Pour le bien public »), de pratiquer un bénévolat de compétences rémunéré sur le temps de travail. Nous pouvons également lister l’action sociale des comités d’entreprises (CSE depuis 2020, CSE qui peut transférer une partie de son budget de fonctionnement aux œuvres sociales). Ce rappel, loin d’être exhaustif, a pour but de pointer la grande diversité des formes d’actions sociales de l’entreprise qui semble curieusement peu prise en compte par les investisseurs, par les diverses parties prenantes, quand il s’agit d’apporter la preuve de leur impact social positif. C’est sans doute une thématique de recherche à creuser pour les chercheurs, que ce soit en matière d’audit social, de RSE mais aussi de Gestion des Ressources Humaines ; un nouveau tableau à réaliser à la manière des impressionnistes (l’ensemble des différentes touches de couleur fini par créer une belle image lorsqu’on prend le recul suffisant).

Impact des entreprises et activités économiques : l’indicateur premier – et sanitaire – de la qualité de l’air. Pierre BEAL, Fondateur et Président de Numtech, Membre du conseil d’administration de Ter@tec, intervenant au Cercle Entreprises et Santé. Anne-Marie de VAIVRE, Fondatrice du Cercle Entreprises et Santé, VP IAS, Partner TITANE ITCWS

18Les investisseurs et les fonds mondiaux de refinancement des grandes entreprises l’ont bien compris : désormais l’un de leurs critères incontournables de choix d’investissement, de décisions de refinancement est lié à l’impact sur la qualité de l’air de l’activité des entreprises et groupes qu’ils financent ou envisagent de financer :

19impact santé – et mise en risque des riverains, impact santé et mise en risque des salariés / travailleurs (y compris co-opérateurs et sous-traitants sur sites), et information claire et traçable sur ce point. Si, pour les territoires et les collectivités voisines, l’impact des activités économiques sur la qualité de l’air est particulièrement vrai et fort pour les sites industriels et sites ‘à risques’, Seveso ou non, – activités de chimie, de raffinerie, de sidérurgie, de traitement de déchets …-, il l’est aussi désormais pour toutes autres activités et toutes entités économiques : les chantiers de construction, les infrastructures, les hôpitaux, les lieux accueillant du public, et aussi le tertiaire ‘de bureau’, scruté aussi dans sa qualité d’air intérieur… La double demande exprimée par les travailleurs, de qualité de l’air, et d’information sur la qualité de l’air, pour la santé et qualité de vie, est émergente et croissante, particulièrement outre-Atlantique : ainsi, les « grandes structures » de soft, les GAFA, en viennent à envisager de « délocaliser » leurs sites et établissements, de déserter les centres villes saturés et pollués, leurs salariés refusant désormais de travailler dans des environnements où la qualité de l’air est insuffisante et jugée dangereuse pour eux-mêmes et leur famille. Il n’est que de voir l’appel récent (janvier 2020) d’ingénieurs de Google refusant de travailler à Pittsburgh dans les locaux de l’entreprise ; ou, à plus large échelle, de regarder les cartes d’implantation des futures « smart cities » conjuguant qualité de vie, qualité de l’air et qualité de services pour les habitants comme pour les travailleurs : l’indicateur « qualité de l’air » / non-pollution y est devenu premier. Certes, mais encore faudra-t-il, pour une prise en compte vraiment judicieuse et « vraie » de l’impact qualité de l’air, bien apprécier les deux dimensions de toute atteinte à la qualité de l’air, i.e. pollution atmosphérique : Œaiguë, ponctuelle, – de crise –, (i.e.Lubrizol) ; mais aussi impact chronique, de long terme…Trop souvent, le temps long et la prévision/prédiction de long terme, pour la (non-)pollution, comme pour la santé en général, ne sont pas vraiment pris en considération, au privilège de seuls indicateurs de dépassement de seuils, indicateurs de crise. Alors que les outils de modélisation et d’intelligence artificielle existent, permettent des alertes précises et des simulations de scénarios bien prédictives, d’ailleurs couplées avec la météo. Permettant une information solide non seulement pour alerter, mais aussi pour guider les décisions et les choix, éviter des erreurs lourdes à terme. La qualité de l’air : au-delà du réglementaire, une information indispensable en même temps qu’un impact à bien prendre en compte dans les dispositifs d’évaluation des risques, comme dans les objectifs de performances. Il en va pour chacun de nos concitoyens de 3 à 7 ans de durée de vie, gagnée ou perdue.

Pourquoi doit-on encore se poser la question de la place de l’impact social (ou sociétal) dans la création de valeur de l’entreprise ? Viviane De BEAUFORT, Professeur ESSEC Business School

20N’est-ce pas évidence que seuls les Talents des femmes et des hommes constituent la valeur d’une l’entreprise, les finances n’étant qu’un outil ? N’est-ce pas évidence que des collaborateurs motivés, heureux dans leurs missions sont créatifs et portent l’entreprise et son développement ? Et pourtant sommes-nous vraiment enfin sortis de ce prisme totalitaire du capital financier ? Les choses évoluent car la guerre des talents a commencé et que bien des jeunes regardent à deux fois la manière dont une entreprise est alignée entre discours et pratiques. Ils ont une vision bien différente de ce qui compte et exigent que l’entreprise porte un projet qui a du sens. Ce qui n’est pas mesurable n’existe pas nous a-t-on enseigné en eco-fi ? Soit, l’impact commence à se mesurer et c’est tant mieux. Les ODD de l’ONU créent un référentiel commun qui permet de travailler sur son impact, de fournir des data, de se fixer des objectifs sociaux et sociétaux, de valoriser le social… Bref, de mesurer la création de valeur sociétale.

Création de valeur au sein de l’entreprise : L’impact social en actions ! Togba BEHI, Directeur Central des Ressources Humaines, Compagnie Ivoirienne d’Electricité

21Dès son origine, l’entreprise a été envisagée comme une activité d’une personne ou d’un groupe de personnes qui travaillent pour fournir des biens ou des services à des clients, en échange d’argent. On peut donc dire, sans risque de se tromper, que la notion de création de valeur est consubstantielle à l’existence de l’entreprise. Ainsi, qui dit création de valeur, dit performance, performance économique et financière, à première vue. D’ailleurs, le statut d’agent économique de l’entreprise s’en trouve bien exaltée. De ce seul point de vue, l’entreprise a eu pour objectif principal de s’intégrer au sein d’un modèle capitaliste, en ayant à rendre compte qu’à ses actionnaires seuls. Et pourtant, l’entreprise n’est pas seule au monde ! Elle évolue dans un environnement sur lequel elle exerce un impact certain. Un environnement qui lui garantit un épanouissement certain ; un environnement d’où elle tire les principales ressources qui fondent et conditionnent son existence. Il est aujourd’hui de notoriété publique que la prospérité et le succès de certaines entreprises leur confèrent un pouvoir économique exorbitant, voire supérieur à celui de certains États. De même, leurs actions ont des répercussions tant dans le domaine social qu’environnemental. C’est à juste titre que les autres parties qui cohabitent avec elle et qui ont intérêt à ce qu’elle existe, attendent que l’entreprise devienne un « citoyen responsable ». Par exemple les salariés qui parient sur l’existence d’un potentiel humain que l’entreprise devra s’engager à respecter et à développer. Il en est de même pour la communauté qui table sur toutes formes de respect et lorgne vers des actions citoyennes (mécénat ou autres) de la part de l’entreprise. Dès lors, l’on se rend compte que l’entreprise joue un rôle important au sein de la société et doit assumer une responsabilité vis-à-vis de celle-ci. Ce qui donne un sens à la notion de Responsabilité Sociale de l’Entreprise (RSE). Selon l’organisation internationale de normalisation, connue sous le sigle ISO qui en donne une définition claire, la RSE s’entend : « la responsabilité d’une organisation vis-à-vis des impacts de ses décisions et activités sur la société et sur l’environnement, se traduisant par un comportement éthique et transparent qui – contribue au développement durable ». Qu’ils soient actionnaires, clients, salariés ou collectivités, la prise en compte des intérêts – de tous ceux qui peuvent influencer ou être affectés, directement ou indirectement, par ses prises de décisions – devient une condition de survie de l’entreprise.

22Par conséquent, la performance attendue d’elle devra aller au-delà des seuls domaines économique, financier et commercial pour s’exprimer également en termes de performance sociale. Dans une approche globale, nous dirons qu’une entreprise est performante si elle crée de la valeur pour ses parties prenantes. En agissant ainsi, l’entreprise assume des responsabilités sociales ou sociétales, dont elle devra continuellement évaluer les conséquences tout en protégeant ses intérêts propres et ceux de ses actionnaires. Evaluer les conséquences de ses actions sur le plan social, cela revient à rechercher, au-delà des résultats, le bénéfice que chaque partie prenante pourrait tirer de l’œuvre de l’entreprise. En d’autres termes, l’on est fondé à se demander quels sont les changements provoqués par une entreprise sur ses parties prenantes et sur la société en général, en guise de retombées et pourquoi pas d’utilité ? S’intéresser à l’impact social généré par une entreprise, c’est aussi et surtout dépasser la dimension uniquement économique de la valeur pour rechercher les autres dimensions de l’impact, notamment humaines, sociétales, environnementales. In fine, l’impact social correspond à « l’ensemble des conséquences d’ordre sociales, sociétales et environnementales des actions d’une entreprise sur ses parties prenantes et sur la société dans son ensemble ». Il est donc révolu ce temps où l’entreprise ne se préoccupait que de ses performances économiques et financières ! Désormais, elle est encline à se montrer de plus en plus soucieuse des changements induits par ses activités. Vu sous cet angle, l’entreprise entre dans un partenariat de type gagnant-gagnant avec la société dans son ensemble, sinon avec ses parties prenantes dans l’intérêt bien compris de chaque partie. L’objectif est clair : il est de plus en plus important pour l’entreprise de placer l’intérêt général au cœur de ses activités. C’est pourquoi, il apparaît essentiel de mesurer cet impact social en se plaçant du point de vue des parties prenantes qui expérimentent les activités de l’entreprise. Elles sont les mieux placées pour rendre compte de l’impact généré. Ainsi, comme on peut le constater aisément, le rôle de l’entreprise a évolué au fil des ans. L’entreprise n’est plus uniquement un acteur économique. Son rôle s’est diversifié et est aujourd’hui beaucoup plus large. La société s’attend, entre autres, à ce qu’elle puisse répondre aux besoins du présent sans menacer la capacité des prochaines générations à pouvoir combler les leurs. Ceci fait référence à la notion de développement durable où l’entreprise doit tenir compte des aspects économiques, sociaux et écologiques dans ses prises de décisions. Le développement durable est un des éléments de la RSE que l’entreprise et ses dirigeants doivent maintenant prendre en compte avant de mener toutes formes d’actions. Du coup, les données extra financières deviennent une réalité tangible dans la marche et la gouvernance de l’entreprise. A ces données, s’intéressent aussi bien les investisseurs – qui les intègrent de plus en plus dans leur analyse – que la communauté dans son ensemble. Elles permettent aux actionnaires et autres parties prenantes une vue plus compréhensible de la position et de la performance globale de l’entreprise que ne pourraient le montrer les informations financières seules. Sur cette base, des agences de notation sociale apparaissent dans l’environnement de l’entreprise en tant qu’acteurs nouveaux. Elles procèdent, régulièrement et à la demande, à une évaluation de l’entreprise qui se fonde sur d’autres critères que ses seules performances financières. Ceux-ci ont trait au respect de l’environnement, au mécénat, aux valeurs sociétales et sociales, pour ne citer que ceux-là. La transparence de ses actions lui permet de conserver un bon positionnement parmi les indices de développement durable. Ainsi, l’entreprise est dite performante dès lors qu’elle est en mesure de créer de la valeur pour ses parties prenantes : valeur économique, valeur financière, valeur sociale…L’image de marque de l’entreprise en dépend, sa réputation et sa marque employeur aussi. Et si la préoccupation du célèbre industriel Henry FORD (1863-1947) selon laquelle « les deux choses les plus importantes dans une entreprise n’apparaissent pas dans le bilan : la réputation et les hommes », trouvait un début de réponse, à travers l’impact social de l’entreprise ?

L’impact d’un réseau d’artisanes pour la promotion des femmes rurales en Algérie. Lhachimi BENALI, DG et expert consultant en stratégie IT. Abdelkader DJAMAL, Consultant Senior

23Il s’agit d’un réseau d’artisanes (par abréviation RES’ART) fondé en 2003 par l’association FEMMES EN COMMUNICATION(FEC) créée en 1995 par un groupe de femmes militantes. Le réseau, présent dans 17 wilayas (départements), regroupe 450 artisanes. La mise en place de ce réseau constitue une réponse au problème du chômage endémique. Les membres interviennent dans trois domaines : la vannerie, la poterie, le tissage. Les artisanes du réseau RES’ART, outre leurs contributions à l’amélioration du pouvoir d’achat de leurs familles, participent à l’économie verte par le biais de la matière première provenant de produits récupérés et qui mettent sur le marché des objets socialement utiles et permettant de faire revivre l’artisanat national mis à rude épreuve par les produits industriels et surtout étrangers notamment asiatiques. Nous avons jugé utile de mettre en lumière un réseau qui parvient à poser et à répondre à l’adéquation de la contribution multiforme de la femme dans une société à la recherche de repères et à s’insérer dans une économie difficile. Beaucoup d’enseignements peuvent être tirés de cet exemple révélateur de ce qui est possible dans un pays ou la femme n’a pas encore la place et le rôle qu’elle mérite. Les produits qu’elles offrent ont un impact positif et perpétuel sur la protection de notre environnement. Ils sont à la fois écologiques par leurs intrants et socialement responsables par leur usage au quotidien.

La bienveillance : un idéal dont l’impact sociétal est bien tangible. Laïla BENRAÎSS-NOAILLES, MCF– HDR, IAE Bordeaux / IRGO – Université de Bordeaux

24La bienveillance organisationnelle signifie l’intérêt qu’une organisation, en tant qu’employeur, porte à son personnel. Une organisation présumée bienveillante, favorise le bien-être des salariés, impacte les comportements de retrait comme l’absentéisme, l’intention de quitter, etc.

25Comment l’employeur peut-il faire preuve de bienveillance à l’égard des employés ? Pour tenter de répondre à cette question, les propos de l’ancien président de l’Institut Français d’Analyse Stratégique (IFAS), Eric Albert, peut guider les entreprises. En 2012, il a déclaré que « la société bienveillante n’existe pas. [La bienveillance est un] idéal jamais totalement atteint, [elle] peut devenir une ligne directrice qui inspire et imprègne les actions de tous au quotidien. » (Les Echos Executives, 23/11/2012). Il a identifié quatre niveaux de bienveillance, auxquels des actions peuvent être associées. Le premier niveau concerne les conditions de travail, qui comprennent tout ce qui peut être fait au sein d’une entreprise pour faciliter la vie des employés (de l’entretien des locaux aux séances de massage). Le deuxième niveau de bienveillance concerne les règles de l’entreprise permettant d’éviter les abus de sollicitation du personnel en dehors des heures de travail (horaires des réunion, courriers électroniques, etc.). Le troisième niveau concerne la qualité des relations entre les parties impliquées. La bienveillance consiste à changer les habitudes de management et à s’éloigner du style normatif consistant à donner des ordres et à s’attendre à ce qu’ils soient respectés. Il s’agit de faire preuve de politesse, de respect et de gentillesse envers les employés, de les écouter et de les encourager à faire des suggestions. Le dernier niveau concerne la gouvernance et la répartition des bénéfices entre les différentes parties prenantes. Une gouvernance saine et transparente peut être considérée comme un indicateur clair de bienveillance organisationnelle. Une organisation bienveillante a à cœur les intérêts de toutes ses parties prenantes et l’impact qu’elle peut avoir sur elles. Il existe de nombreuses façons pour les entreprises de s’assurer que les employés – l’une des parties prenantes – peuvent partager les bénéfices (incitations, participation aux bénéfices, plans d’épargne, actionnariat). Ils pourraient étendre cela d’une manière socialement responsable, en tenant compte de la situation et des besoins des communautés affectées par leurs activités.

La grande distribution, vous reprendrez bien un peu d’éthique ? Antoine BERTHEUX, Co-fondateur de F&F Beverages, DBA in progress (IMSG)

26L’invention des grands magasins en 1852 a redimensionné et réorienté la société, en créant des lieux privés, dynamiques, mobiles… réelles places d’expression, de consommation et d’identification. Depuis 2019, les magasins font face à une mutation du système de consommation : une arrivée massive d’une concurrence digitalisée, couplée par la quête de sens dans la consommation. Ces mutations sont induites par la prise de conscience du consommateur de la responsabilité incombant à la grande distribution dans l’environnement social (comme la détérioration du système agricole français évoquée par S. Papin, ancien CEO System U, 2012) qui a toujours eu la réputation de s’enrichir depuis des années en bafouant les règles morales dans leurs exploitations. A mesure que le terme RSE prenait de l’importance dans la société, les magasins ont décidé d’assortir leur offre de valeurs. Sous l’impulsion du café de Max Haavelar, le producteur de café en commerce équitable, nous connaissons une course à l’élégance sociale qui recouvre même la rationalité du produit. « Le commerce équitable c’est une construction collective de la vie en société, il permet aux producteurs de prendre en main leurs destins par la reconnaissance de leur travail. » (Jean Pierre Blanc – Directeur Général des Cafés Malongo). Le consommateur ne consommerait plus, aujourd’hui, un produit, mais sa valeur d’apparence. La RSE devient donc un outil marketing aux vertus identificatoires. Les acheteurs de la grande distribution (Franprix, Monoprix, Auchan) m’ont tous dit, en guise d’introduction de nos rendez-vous, leur volonté de sourcer des produits « Éthiques ». Si l’Éthique devient une tendance de marché, nous pouvons nous questionner sur l’honnêteté de la démarche dans cette course à la « RSE commerciale et marketée » qui n’est peut-être, créée, ici, uniquement, que pour flatter notre personne et nous donner l’impression que nous participons à une lutte contre les inégalités. Car, quoi de plus valorisant pour soi même que ce sentiment altruiste ? Nous pouvons donc affirmer que la RSE redéfinit le rôle du marketing. Ce dernier qui amenait jusqu’alors à vendre, un produit ou un positionnement, propose désormais à la vente des valeurs permettant au consommateur de revendiquer les siennes au travers de son choix de consommation.

L’impact sociétal de la création de valeur de l’entreprise dans le contexte de la pandémie du Coronavirus. Charles-Henri BESSEYRE des HORTS, Professeur Emérite HEC Paris, Président de l’AGRH

27A l’heure dramatique de la pandémie du Coronavirus, la question de l’impact sociétal dans la création de valeur de l’entreprise se pose de façon très aigue à l’égard de ses parties prenantes : tout d’abord, vis-à-vis des collaborateurs par (1) la préservation des emplois directement menacés par la chute dramatique de l’activité, (2) le maintien des rémunérations à un niveau acceptable (en s’appuyant notamment sur l’aide de l’Etat), (3) la conciliation des exigences entre le travail et une vie familiale rendue difficile par la crise, (4) une réorganisation des activités en donnant plus d’autonomie et de responsabilité notamment par le télétravail quand il est possible. Mais c’est également vis-à-vis des fournisseurs que l’entreprise peut réduire l’impact de la chute dramatique de l’activité en honorant, dans la mesure du possible, les commandes passées et en payant bien sûr les factures dans un délai raisonnable.

28Symétriquement, vis-à-vis des clients, l’entreprise peut assurer la continuité des livraisons des commandes passées et même en prendre de nouvelles pour maintenir un niveau minimum d’activité. C’est aussi vis-à-vis de la communauté locale, et de la Société en général, que l’entreprise peut apporter une contribution importante comme le montrent les exemples des entreprises ayant modifié totalement des lignes de fabrication pour produire en masse des produits de protection (masques, gel hydro-alcoolique, gants, blouse….). C’est enfin vis-à-vis des actionnaires que l’entreprise peut démontrer que la création de valeur financière à moyen et long terme passe nécessairement par des efforts à court terme de leur part en acceptant une baisse sérieuse de la rentabilité voire un renoncement temporaire à leurs dividendes.

La création de valeur : entre actionnariat et innovation sociale. Mustapha BETTACHE, Professeur titulaire en relations industrielles, Département des relations industrielles, Université Laval-Québec

29La question de l’impact social (ou sociétal) dans la création de valeur de l’entreprise se pose avec acuité de nos jours, non pas seulement à travers le prisme monétaire, consistant à accroître la productivité d’une entreprise pour mieux rémunérer les investisseurs, mais plutôt en termes de développement de ressources et de valorisation de facteurs sociaux. C’est par exemple le cas de la protection de l’environnement et des investissements à y consentir pour la survie de l’humanité. L’intérêt de la question posée semble résulter d’un constat, très largement partagé, selon lequel les buts lucratifs et la vision marchande sont aujourd’hui à la base des modèles économiques, ces derniers réservant une très faible part aux aspects sociaux et sociétaux. Une telle vision est aujourd’hui en questionnement car elle considère les projets sociaux comme étant non viables économiquement. S’il est vrai que l’évaluation de l’impact social à travers une chaine de valeurs peut s’avérer être une opération plutôt complexe, voire coûteuse et nécessitant une réflexion en profondeur notamment sur le plan méthodologique qui devra « faire sens », il n’en demeure pas moins qu’une telle démarche nécessite d’être validée dans les milieux de recherche car il s’agit de faire valoir l’intérêt commun (social et sociétal) en tant que vecteur de développement social inclusif et répondant aux intérêts de toutes les parties prenantes. Il importe alors de développer des méthodes de mesure de l’impact social défini comme une source de valeur et de valoriser le capital immatériel de l’entreprise, encore mal représenté dans les bilans d’entreprises. C’est dans cet esprit que l’impact social et sociétal pourrait être, à travers une chaine de valeurs, évalué non seulement sur une dimension financière mais aussi sociale, entendue dans le sens de la préservation et du renouvellement des ressources, voire plus généralement de la qualité de vie des citoyens(e)s. Cette vision s’inscrit dans ce qu’il est convenu de qualifier aujourd’hui d’économie sociale et solidaire (ESS), définie comme une voie d’exploration et d’évaluation des impacts sociaux à travers des chaines de valeurs globales (CVG), et ce, dans l’esprit de valider l’utilité de ces impacts, dans une perspective d’innovations sociales et d’institution de politiques publiques plus soucieuses de l’intérêt général, voire de l’ensemble des parties prenantes. À l’heure d’une économie financiarisée, une nouvelle vision économique plus axée sur l’utilité sociale, plus respectueuse des hommes et des femmes et de l’environnement semble prendre le pas. S’agit-il d’un nouveau paradigme pérenne ? Tout porte à le croire.

Vers la mesure de la mesure. Marc BIDAN, Professeur, Université de Nantes

30Dans la double logique d’exposition et de notation qui est celle des écosystèmes qui nous entourent désormais, les entreprises cherchent d’une part à avoir un impact social qui soit positif (pour l’exposition) et d’autre part à pouvoir – dans l’éventualité où il est réellement positif sinon il sera souvent glisser sous le tapis – le mesurer et le communiquer (pour la notation). La question principale pour toute entreprise – et pour ses parties impliquées – sera donc celle de bien avoir en tête que si mesure il y a, elle doit être positive in fine sinon la mesure sera contre-productive et nuira à la création de valeur de l’entreprise ! La question secondaire sera dès lors celle de la conception, du déploiement de facto, de l’acceptation et de la validation d’un dispositif ou d’un instrument de mesure de cette « valeur sociale ajoutée » liée à l’activité de l’entreprise. La « mesure des mesures » est en effet l’un des chantiers qui motivent depuis quelques années le travail sur le terrain, assez loin des discours communicationnels, de la Commission européenne, de moult ONG, de fondations orientées éco-responsabilités et de nombreux bailleurs de fonds institutionnels. Ce chantier est également au cœur des travaux de la récente prix Nobel 2019, Esther Duflo, lauréate aux cotés de Abhijit Banerjee et Michaël Kramer pour leurs travaux sur et contre la pauvreté. A ce propos, son combat pour la mesure de la pauvreté – pour mieux l’identifier puis la combattre – l’amène à souligner qu’il faut bien savoir mesurer les mesures et que c’est toujours sur le terrain (en Inde notamment dans les plus petits des villages) que l’impact de la mesure prise sera le plus aisé à « mesurer ». L’entreprise sera souvent défiée voire contestée dès lors, comme toutes les institutions au premier rang desquels nous retrouvons les politiques et les scientifiques – la terrible crise du covid-19 en est une bien triste illustration – il lui faudra relever le gant. Il lui faudra surtout retrouver la confiance de ses parties prenantes, personnels, partenaires et clients en leur proposant d’embarquer avec elle sur un beau et fier vaisseau dont les cales sont pleines de projets positifs et créatifs. Certes, mais pour cela, il lui faudra prouver non pas sa bonne volonté (c’est facile, cela s’appelle « l’exposition ») mais sa réalité et son effectivité (c’est plus difficile et cela s’appelle la « note »). Tout repose donc in fine sur la crédibilité – l’acceptation sociale – de l’instrument qui évaluera l’impact des mesures prises « pour faire le bien » (label, critère, norme, certification, etc.). Paradoxalement plus la mesure sera lisible et modeste, plus elle aura de chance d“être visible et mesurée. Comme le souligne d’ailleurs Ester Dufflo à propos des innovations modestes (liées à l’éducation des enfants, à l’alimentation en eau, à la sécurité, etc.) qui souvent sont les plus impactantes socialement, « l“innovation c’est souvent de mettre ensemble des éléments qui existaient déjà pour en faire quelque chose de nouveau”. L’entreprise gagnera donc souvent à mettre ensemble ses (micro)mesures qui existent déjà, pour produire une (macro)mesure qu’elle pourra quantifier afin de soit valoriser son action sociale soit se réfugier dans le silence !

Intérêt financiers et réseaux sociaux … de l’entreprise paternaliste à aujourd’hui ? Mireille BLAESS, VP Human Capital, VSLS

31Depuis longtemps aux Usa la notion de mission statement explique le pourquoi de l’entreprise, pourquoi celle-ci existe et quel est son rôle. Cette approche évolue désormais avec l’intervention de financiers. Par exemple, le DG de Black Rock dans sa lette annuelle 2019 « Purpose & profit » aux dirigeants d’entreprises évoque l’importance du « purpose » pour guider la stratégie d’entreprise. La prise en compte de l’ensemble des parties prenantes dans les décisions qui sont prises devient une norme. Ceci intègre la prise en compte des dimensions environnementale et sociétale dans la Société et ne s’inscrit pas comme une rupture mais bien comme une évolution.

32Les réseaux sociaux avec leurs rôles d’amplificateur, voire de déformateur, renforcent l’attention sur ce qui est communiqué. L’entreprise doit rester attractive pour survivre dans un monde où chacun donne désormais son avis sur tout sans qu’il soit forcément éclairé. Dans un environnement mouvant dans lequel les stratégies à 5 ans ou 10 ans deviennent complexes à présenter, se recentrer sur une raison d’être rassure sur l’existence même de l’entreprise sans l’engager de la même manière. On y retrouve certains éléments de l’ère industrielle et du paternalisme d’autrefois. Ceci conduit aussi à être attentif à l’attractivité de l’entreprise, à la noter à travers Glassdoor ou autre comme on note le dernier restaurant que l’on a découvert. La fonction RH développe alors une dimension marketing indispensable à la gestion de la marque employeur. D’autant que les assemblées générales des actionnaires montrent, à travers les questions posées, l’intérêt croissant pour la politique de gestion des hommes et femmes de l’entreprise. Qui mène le bateau ? En 1938, Archibald Bowan pointait déjà l’importance de ceux qui dirigent pour faire la valeur de l’entreprise. “Though your balance – sheet’s a model of what a balance sheet should be, […] And the auditor’s certificate shows everything OK ; One asset is omitted – and it’s worth I want to know The asset is the value of the men who run the show.” Jack Welch, récemment disparu, l’avait lui aussi clairement expliqué à travers son ouvrage « Ma vie de patron ». Alors quelque chose a-t-il changé sur ce sujet à part l’amplification par les réseaux sociaux et l’intérêt des financiers ? Probablement peu si ce n’est l’impact de la communication qui est faite sur pourquoi l’entreprise existe et quel est son rôle.

Quelle place pour l’impact social, sociétal et environnemental : vers un nouvel stade du capitalisme ? Jean-Pierre BOUCHEZ, Consultant, Directeur Recherches et Innovation, IDRH

33Une mise en perspective succincte de l’histoire récente du capitalisme s’impose pour bien saisir les enjeux de l’impact social, sociétal et environnemental de la création de valeur dans l’entreprise. Depuis les années 1930, des auteurs américains (Adolphe Berle, Gardiners Means) ont mis en exergue la notion de « capitalisme managérial », en réaction pour partie à la crise de 1929, qui avait été largement délégitimé par le pouvoir de la bourse et les « propriétaires » après la crise de 1929. La « main visible » des managers (Alfred Chandler) s’est ensuite déployée dans la plupart des pays industrialisés, dont l’apogée a été caractérisée par les « Trente Glorieuses » et le prestige des grandes organisations, dans le cadre d’un contrat social de type fordien. La progression régulière du pouvoir d’achat des travailleurs constituant l’impact social visible et primordial, permettant d’absorber des conditions de travail souvent éprouvantes. A partir du mitan des années 1970, un nouveau basculement s’opère sous l’effet de phénomènes combinés. Qu’il s’agisse notamment : d’une conjoncture mondiale et monétaire fortement secouée (chocs pétroliers et effondrement des accords de Breton Woods), de l’apparition nouvelles bases doctrinales (théorie de l’agence, travaux de l’école de Chicago autour de Milton Friedman) et politiques (révolution conservatrice anglo-saxonne de la décennie 1980). Ces phénomènes convergent pour légitimer le retour de nouveaux propriétaires (tels les investisseurs institutionnels) et le repositionnement des actionnaires. Le capitalisme financier et sa « main invisible », s’impose alors avec tous les excès que l’on connait. Les impacts négatifs se traduisent notamment par le contrôle puissant des dirigeants par leurs propriétaires et de la multiplication des plans sociaux (incluant les cadres dans les années 1990). Très loin donc des impacts sociétaux… Ce cycle s’épuise légitimement à son tour en effet, au sens où le critère dominant (pour ne pas dire exclusif) de l’impact financier apparait terriblement réducteur et notoirement insuffisant pour rendre compte de la performance d’une organisation. Un nouveau cycle émerge alors progressivement ces dernières années, sous les effets conjugués mais relativement convergeant des pressions émanant d’un nouvel écosystème. Celui-ci *comprenant notamment pèle mêle : des ONG et des militants associatifs, des actionnaires, salariés et consommateurs éclairés, des dispositifs législatifs et réglementaires, etc. Cet impact social, sociétal et environnemental en voie de construction s’apparente au fond, à la forme d’un socle de biens communs qui ferait peu à peu consensus parmi les acteurs socio-économique d’avant-garde. Deux limites distinctes restent cependant à surmonter : le piège de la communication à bon compte et la difficulté de définir et d’évaluer des critères pertinents de ce nouvel impact. Il n’en reste pas moins vrai, que le basculement s’amorce. Même s’il peut sembler encore prématuré d’évoquer la forme d’un nouveau stade du capitalisme…

On obtient de meilleurs résultats si on partage ! Patrick BOUVARD, Rédacteur en chef de RH info, le Media RH d’ADP France

34Lorsqu’on parle de l’impact social d’une entreprise, nombre de dirigeants rétorquent que « la philanthropie n’entre en rien dans les objectifs d’une entreprise économique ». Mais… quel est le rapport ? Ils ne semblent pas conscients que la performance de leur entreprise passe par la performance individuelle et collective de ses salariés, et que cette performance est liée tout autant à la qualité de leur travail qu’à la qualité de la vie qui leur est possible ! Qu’elle le veuille ou non, l’entreprise, en tant que corps social, a un impact sur l’Environnement global, humain autant qu’écologique ! Elle ne peut plus se considérer uniquement comme une source autonome de profits financiers. Elle doit aujourd’hui envisager d’avoir un impact réellement positif, d’inaugurer des modes de fonctionnement qui nous fassent passer de la logique du « toujours plus » – qui s’obtient le plus souvent aux dépends des autres – à celle du « mieux » – qui ne saurait se concevoir sans les autres. C’est une différence fondamentale. C’est surtout une voie de créativité et d’innovation. Prendre en compte l’impact social et sociétal, c’est considérer que nous ne sommes pas seul au monde et que nous avons la capacité d’améliorer la vie des autres en partageant du sens, des services et des biens avec ceux qui en ont besoin. Paradoxalement, cela sert la compétitivité ! Ce n’est pas de la philanthropie : c’est comprendre que dans notre monde contemporain, on obtient de meilleurs résultats si on partage.

De l’impact du virus, au virus de l’impact. Romain BUQUET, IMPACT Campus, chercheur entrepreneur, ESCP EUROPE

35Alors que 80 % de la production mondiale des masques chirurgicaux se fait dans la province de Wuhan, des entrepreneurs comme Christophe Chevalier (Archer) se battent pour réindustrialiser la France. Alors que les autorités sanitaires appellent au confinement et à limiter les contacts, des entrepreneurs comme Diane Dupré La Tour (Les Petites Cantines) s’emploient à recréer du lien social. Alors que l’Etat doit prendre en charge le salaire de ceux qui gardent leurs enfants confinés, des entreprises comme Airbus encouragent depuis longtemps des pratiques de télétravail, de flexibilité et d’autonomie. Alors que l’hôpital, déjà exsangue, est frappé par un afflux de patients, des entrepreneurs comme Nolwenn Febvre (Les P’tits Doudous) innovent pour améliorer le soin aux patients. Alors que ce sont les personnes âgées ou malades qui paient le plus lourd tribut dans cette crise, des entrepreneurs comme Jean-Marc Borello (Groupe SOS) ont de longue date inclus des publics fragiles dans leur chaine de valeur comme bénéficiaires, employés, etc. Espérons que cette effrayante crise du coronavirus que nous traversons permette une prise conscience globale : la valeur créée par les entreprises ne se limite pas au compte de résultat. Des entrepreneurs « à impact » jouent un rôle essentiel dans la cohésion sociale et notre résilience comme civilisation.

Oubliez le devoir moral, pensez stratégie et gouvernance. Marie-Gabrielle CAJOLY, Consultante RSE, CorporatEngagement.com, DBA in progress (IMSG)

36Qu’elle qu’en soit la dénomination – citoyenneté, responsabilité sociale ou développement durable – la démarche d’impact social d’une organisation vise à maximiser les effets bénéfiques et à minimiser les effets négatifs de ses activités sur les êtres humains et l’environnement tout en assurant sa rentabilité et sa profitabilité. Il ne s’agit donc plus de privilégier l’un (le dernier) aux dépends des deux autres mais d’assurer une orchestration juste, harmonieuse et mesurée de ses ressources humaines, naturelles et financières dans le but de servir l’intérêt général. C’est le concept de « tripple bottom line » cher à Michael Porter et Mark Kramer et selon lequel la « valeur ajoutée » de l’entreprise est la « valeur partagée » qu’elle crée. « Business for social good ». La formule n’est plus nouvelle. Et pourtant, les motivations invoquées restent encore trop souvent liées à un discours moral (voire moralisateur) dans le meilleur des cas, ou coercitif dans le pire des cas. Or, l’injonction est d’une autre nature : s’engager pour le bien social se traduit non seulement en valeur créée par l’entreprise mais aussi pour l’entreprise. Pour une bonne conduite de ses affaires, il faut tout d’abord à l’entreprise connaître, analyser et prioriser les besoins de ceux auxquels son avenir est lié : ses parties prenantes. C’est un véritable exercice de dialogue et de transparence au cœur de la démarche de RSE. C’est aussi son sésame pour être reconnue en tant que « partenaire d’affaires privilégié » et garantir l’acceptation de ses activités par les acteurs sociaux et économiques qui sont en position d’influer directement ou indirectement sur leur bonne marche (employés, syndicats, sources de financement, régulateurs, opinion publique, médias, etc.). Il s’agit de la « social licence to operate ». Et ce n’est pas tout. S’il est conduit dans les règles de l’art, l’exercice consiste à croiser les principaux sujets d’intérêt des parties prenantes avec ceux de l’entreprise. Il en résulte une perception à 360 degrés des risques sociaux et des sujets prioritaires de l’entreprise. Cette analyse de matérialité, comme on l’appelle, n’est rien de moins qu’un formidable outil stratégique d’aide à la décision pour l’entreprise qui s’outille ainsi d’une feuille de route sur quoi, où, quand et comment concentrer ses efforts et ses ressources. Enfin, dans sa grande exigence, la RSE implique que l’entreprise se penche non seulement sur ses pratiques mais aussi celles de ses sous-traitants et intermédiaires tout au long de sa chaîne d’approvisionnement. Ceci donne le vertige à beaucoup ! Et pourtant, il n’en faut pas moins occulter une réalité avantageuse : c’est là un extraordinaire outil de contrôle et de gouvernance qui permet à l’entreprise d’identifier les failles possibles de son système, d’y remédier, et in fine d’augmenter la qualité et l’innovation de son offre de produits et/ou de services. Pour celle qui décide de s’emparer de la contrainte et d’en faire une opportunité, il y a des gains d’efficience et de compétitivité à la clé. N’en déplaise à Adam Smith, il n’est plus possible de penser que le monde de l’économie est incapable d’altruisme et que le bien social n’est le propre que de l’individu agissant sous la pression d’un « supposé spectateur impartial (…) grand juge et arbitre de notre conduite2. De même, il n’est plus satisfaisant – car peu efficace – d’aborder l’engagement social de l’entreprise sous le prisme de la morale. Le capitalisme n’est ni moral, ni immoral, mais « amoral » comme l’a écrit André Comte-Sponville. Le monde économique est bel et bien capable d’altruisme, ce qui n’implique pas que cet altruisme soit désintéressé, ni qu’il doive l’être pour être efficace et bénéfique pour la société. La RSE est un outil de stratégie et de bonne gouvernance de l’entreprise, une unité de mesure supplémentaire de sa valeur, et désormais une condition sine qua non de sa pérennité. Qui s’étonnera alors de la lettre ouverte de Larry Finkc, PDG de BlackRock, aux PDGs de 2020 : « En fin de compte, le sens est le moteur de la rentabilité à long terme », résume-t-il.

Après le Bio, en attendant le Vegan, la RSE un business comme les autres. Philippe CANONNE, DRH

37Les entreprises ont découvert la RSE quand elles ont dû y consacrer un paragraphe de leur Rapport annuel. Celles qui ont cru que c’était du Social l’ont confié à leur DRH, les autres au DAF comme tous les sujets sérieux. Peu ont vu du premier coup qu’un business émergeait. Le plus simple c’est de jurer l’importance qu’on attache au Développement durable, comme on jure depuis trente ans que l’Humain est au centre de l’entreprise. Ça ne mange pas de pain. Dans le meilleur des cas on nomme un Chief Sustainable Development, un budget de Com et le tour est joué. Peu ont vu tout de suite qu’il y avait là du business à faire. C’est comme les dates limites de consommation, une obligation devenue une manne. Un nouveau filon. Annoncer que vos appareils sont réparables, reprendre les vieux matériels, produire des cosmétiques qui n’irritent pas, vendre des produits sans huile de palme, autant de nouveaux moyens d’attirer le consommateur. Ça devrait aller de soi mais comme on ne le faisait pas… Et ça marche, tout le monde s’engouffre dans le créneau. La RSE est un puissant argument Marketing pris très au sérieux. D’autant plus intéressant que la Vertu justifie le prix auprès de Clients en mal de bonne conscience. La Responsabilité sociétale est désormais au cœur de la promesse de l’entreprise. Peu comme prise de conscience, beaucoup plus comme critère concurrentiel. Aujourd’hui la RSE n’est plus chez les DRH, elle est à la Stratégie.

Le coronavirus est-il le « game changer » qui remettra l’impact social au centre de la création de valeur ? Nandini COLIN, Partner, Directrice Transformation RH SOPRA STERIA CONSULTING

38Il aura fallu une pandémie inédite pour prendre la mesure des effets de plusieurs décennies de stratégies certes profitables à court terme, mais créatrices de dépendances multiples, voire destructrices de valeur sur le long terme. On voit l’impact de la localisation de 80 % de la production mondiale de masques dans la province de Wuhan en Chine, pays dans lequel se trouve aussi 70 % de la production de smartphones. Nous redécouvrons aujourd’hui le sens complet du mot valeur, qui vient du latin valor, valeur, dérivé de valere, valoir, avoir de la valeur, avoir de la vertu. En 2018, en mesurant le capital humain de chaque pays et en le comparant à celui qu’il possédait en 1990, avec un indicateur qui combine les compétences, les expériences et le savoir d’une population avec son état de santé, une étude menée par l’Institute for Health Metrics and Evaluation, publiée en septembre 2018 dans la revue scientifique The Lancet, a conclu à une corrélation entre les investissements en matière d’éducation et de santé et une meilleure croissance du PIB. A l’échelle de l’entreprise, on a mesuré plus d’une fois au XIXe siècle les effets de la recherche de profit à tout prix, depuis le scandale Enron en 2000, jusqu’à récemment la plus grave crise que Boeing ait traversé en 104 ans d’histoire avec le crash du Boeing 737 MAX d’Ethiopian Airlines. Les choix d’investissements des entreprises comme des Etats contribuent ou non au bien commun. Il y aura sans doute un « avant » et un « après » coronavirus, qui poussera les Etats comme les entreprises à repenser leur stratégie et leur raison d’être.

De l’esprit de finance à l’esprit de finesse. Alain COUGARD, Président Odyssées

39Je me souviens des propos d’un client, une entreprise importante dans la région de Toulouse, qui me racontait cette étonnante anecdote. Nous sommes au début des années 90, période de crise pour l’aéronautique : la maison mère américaine exige une réduction drastique des effectifs (1/3 environ) et le maintien du niveau de résultat. Une gageure ! Mon client discute et obtient que l’américain renonce au plan de réduction des effectifs pourvu que le résultat soit préservé. Retour au pays, mon client réunit son comex, annonce l’objectif et donne à ses directeurs quelques jours pour identifier le maximum de sources d’économie. Chacun invité à travailler en mode strictement confidentiel. Deux semaines plus tard, même propos, même demande cette fois à l’attention du comité d’entreprise… Dans les jours qui suivent, effervescence à tous les étages pour trouver chaque source d’économie et éviter la « casse sociale ». La mobilisation du personnel est telle que mon client dira plus tard qu’il n’imaginait pas en « avoir autant sous le pied » en matière d’économie. Mais les faits sont là : au bout de l’année, le rapport aux américains expose que, sans casse sociale (mais quelques départs ou programmés ou volontaires), l’objectif de résultat est atteint. Surprise : le directeur financier du groupe interpelle alors mon client : tu imagines un peu le résultat si tu avais réduit le personnel comme nous le demandions ? Qu’en pensez-vous ? Il faut ainsi aujourd’hui imaginer quel horizon peut permettre de mobiliser à ce niveau un collectif d’entreprise. Si créer de la valeur pour l’actionnaire, c’est exclusivement s’intéresser au résultat (à court terme), la mobilisation du personnel n’est pas le bon levier et s’il advenait qu’il fonctionnât, attention : c’est un fusil à un coup. De nos jours, la responsabilité sociale et environnementale de l’entreprise recèle sûrement davantage d’horizons mobilisateurs. Le souci de la planète est une valeur montante et partagée. A court ou moyen terme, c’est un vecteur de sens pour les salariés ; et chaque jour un marqueur fort pour toujours plus de clients. Il se traduit dans la nature et la qualité des produits mais aussi dans les comportements, le « care » comme on dit. Car on n’aura garde d’oublier qu’une mobilisation réelle des équipes suppose un sentiment partagé de justice sociale. La reconnaissance vis-à-vis des salariés est un préalable, au même titre et autant qu’une offre de sens. Ce que notre client toulousain avait bien compris.

Entreprise : réduis ton CO2 ou c’est l’asphyxie ! Thibault CUENOUD, Professeur associé & Dominic DRILLON, HDR, Professeur, Excelia Group

40L’impact social s’inscrit dans le concept de modèle comptable d’une entreprise (partie double) où celle-ci y est représentée par son activité, son patrimoine et les événements économiques traversés. Le fonctionnement du système économique et les représentations qui en sont faites par les théories économiques générales influencent sa représentation tirée de la comptabilité. Il façonne la firme autant qu’il est un modèle de l’organisation (Hopwood, 1987). Cette construction (comptable) était basée sur une approche strictement quantitative (modèle classique) proche de la physique ou des mathématiques. La mesure se réduit à un processus d’attribution de valeurs numériques. Pendant des décennies, on a cherché à maximiser les profits surtout par une réduction des coûts. Plus récemment, probablement face aux dégâts sociaux engendrés par ces politiques ou à une prise de conscience plus large sur la finalité d’une entreprise, cette représentation a été remise en question. Les conditions socio-économiques qui fondent le modèle comptable ne sont pas neutres, elles correspondent aux enjeux économiques et sociaux du moment. « L’ancien » modèle était incapable de traduire les aspects qualitatifs de l’activité des entreprises et leur intégration dans leur environnement. Désormais, il faut prendre en compte les actifs immatériels, la comptabilité sociale et/ou sociétale… Si depuis la fin du XXe siècle on s’était évertué à réduire les coûts (financiers), désormais, on cherche davantage à réduire le CO2 émis par l’activité d’une entreprise. Nous sommes passés progressivement d’une recherche maximale de profits (rentabilité financière) à une recherche d’utilité pour la société (impact social positif). Face à ce contexte, les dirigeants ont cherché à arbitrer entre la maitrise des coûts d’un côté (afin de minimiser les dépenses inhérentes à l’activité de l’entreprise) et la valorisation de leurs propres avantages comparatifs de l’autre (afin de renforcer l’effet de différenciation). In fine, on va jouer sur l’optimisation de la marge opérationnelle (diminution des coûts de fonctionnement et maximisation des prix de vente). L’impact social s’inscrit dans cette démarche, lorsque celle-ci tend à renforcer la création de valeur d’une entreprise. La création de valeur est définie comme la détermination d’un avantage concurrentiel d’une entreprise à travers la construction d’une combinaison optimale de ses activités (Porter, 1985). Nous avons eu tendance à observer des dichotomies dans « les pratiques sociétales » au sein même des entreprises à la recherche d’une performance globale. Certaines ont cherché à se différencier via une création de valeur de montée de gamme. Elles ont ainsi conforté leur avantage compétitif à travers des offres de qualité, de fiabilité, de solidarité… (justifiant une augmentation du prix de vente in fine). D’autres ont mis en place des pratiques via une création de valeur minimisant leurs coûts de production (diminution de leur consommation de ressources énergétiques, justifiant la baisse de leur empreinte carbone par exemple). La création de valeur de l’entreprise était étroitement liée à la viabilité de l’organisation avant tout (la normalisation comptable confortant cette approche). Aujourd’hui, nous aurions « dépassé » cette création de valeur quantitative dans le sens où elle n’est plus suffisante pour la société dans son ensemble. L’impact social ne peut plus se limiter à la création de valeur pour l’entreprise. Elle doit aller bien au-delà de l’entreprise elle-même.

Le poids de la responsabilité sociale perçue des entreprises pour attirer les talents en 2020. Christian DEFELIX, Professeur, directeur Grenoble IAE – Grenoble INP, Université Grenoble Alpes

41La création de valeur par l’entreprise a bien des facettes différentes : valeur comptable ou financière, valeur d’usage des produits ou des services pour le client, valeur du patrimoine matériel… Une dimension non négligeable de cette création de valeur est la proposition de valeur pour les employés (PVE), symétrique en interne de la proposition de valeur pour le client. Cette PVE agrège en quelque sorte la rémunération, le statut social mais aussi la motivation intrinsèque que les futurs employés auront. Les entreprises en quête de talents ont compris depuis longtemps l’importance de cette PVE : elles investissent dans la communication recrutement ou cherchent à acquérir des labels. Mais ont-elles pris la mesure, ces dernières années, de l’importance décisive que prend, aux yeux des candidats, la responsabilité sociale telle qu’ils la perçoivent, et non telle que l’entreprise la proclame ? « Pas question d’accepter le greenwashing », « Je rejoindrai une entreprise, grande ou petite, qui a de vraies pratiques responsables », « Je veux que mon travail ait un impact positif sur la société »… Tous ceux qui accompagnent ou forment les futurs jeunes cadres sont frappés d’entendre de telles professions de foi fortes et réaffirmées. Même si ces exigences pourront s’émousser à l’épreuve du temps, il y a là un signal fort. Après la responsabilité sociale déclarée puis la responsabilité sociale démontrée, bienvenue dans l’ère de la responsabilité sociale perçue.

L’IA et l’impact sociétal et social sont-ils compatibles ? Cécile DEJOUX, Professeur des universités au CNAM et affiliée à l’ESCP Europe

42L’IA bouleverse déjà les modèles économiques des organisations quelques soit leurs secteurs d’activités et leurs formes. Elle substitue les modèles de planification aux décisions en temps réel. Elle déplace les politiques collectives de gestion des emplois vers une individualisation de la carrière et de la reconnaissance du collaborateur. Elle remet en cause les modèles de stock pour valoriser les modèles de flux. Dans ce contexte, que dire de son impact sociétal et social ? Au niveau sociétal, elle sera à l’origine de « green smart cities », d’économie d’énergie, de nouveaux circuits de transactions financières avec la blockchain et peut-être d’un nouveau modèle de partage de la valeur des données avec ceux qui les créent etc. Au niveau social, son impact risque d’être dual. A la fois, elle facilitera le recrutement de profils diversifiés, elle permettra la diffusion des savoirs utiles, en temps réel et de façon individualisée mais elle ne sera bénéfique qu’à ceux qui acquerront rapidement à la fois des compétences pour travailler et performer avec l’IA mais également des « compétences de centrage », c’est-à-dire des compétences spécifiquement humaines comme l’attention, la mémoire, la gestion du temps, du stress et le développement de son unicité. C’est dans cet équilibre entre être « IA compatible » et « centré sur ses spécificités humaines » que l’homme pourra rester employable, ne pas subir le progrès et avoir encore un impact positif sur le monde.

La Terre d’ébène, un exemple de sagesse… Richard DELAYE-HABERMACHER, IMS Geneva

43S’il est un lieu où l’impact social a une existence indéniable, c’est bien en Afrique Noire. J’ai, du reste, toujours considéré que la RSE était née en Afrique car, pour ma part, et cela peut porter à sourire, je la trouve, sur ce continent, beaucoup plus « responsable ». En effet, à côté d’une RSE occidentale, normée, formalisée, plutôt ethnocentrée, on retrouve une RSE « africaine » qui appréhende l’entreprise dans sa fonction sociale et qui doit servir la communauté. C’est également le constat d’Alexandre Wong et Urbain Kiswend-Sida Yameogo, dans leur livre blanc sur les RSE en Afrique francophone. Mille-feuilles de croyances et pratiques coutumières viennent interagir avec le management tel qu’il est enseigné dans les Business Schools occidentales et chinoises. Le traditionnel et le moderne qui, loin de s’opposer, viennent créer une véritable valeur, une valeur humaine, globale. Mon ami Pierre Dinassa-Kilendo, directeur général d’une Business School au Congo me disait un jour que « l’on ne peut pas licencier cette personne, elle a une famille à nourrir … » Yvette Ikolo, directrice générale d’une autre institution éducative située sur l’autre rive du fleuve Congo me tenait un discours identique à l’endroit d’un salarié parti à la retraite alors qu’il avait encore onze enfants à charge…en réalité c’est l’école qui la lui assurait, même après son départ. Tous deux se sentaient responsables et m’ont démontré qu’ils transformaient les paroles en actes soit par l’instauration de politiques redistributives visant à pallier des systèmes étatiques souvent déficients, soit en maintenant dans l’emploi un salarié afin d’éviter un drame personnel. Quand on sait qu’un salaire fait vivre dix personnes, l’impact social serait négativement désastreux. Mais ces deux dirigeants, véritables chefs de village, empreints de sagesse ont surtout changé mon regard sur ce que pouvaient être la dimension sociale d’une entreprise, avec une création de valeur certainement pas uniquement orientée performance financière, mais également, et surtout profondément humaine. Un contrat moral/social plutôt qu’un contrat purement économique n’est peut-être pas si utopique que cela.

L’impact sociétal positif : un remède efficace à la récession économique. Marc DELUZET, Délégué général OSI

44Dans la période de crise sanitaire et de récession qui vient de s’ouvrir, il est difficile de savoir précisément la place que l’impact social ou sociétal de l’entreprise prendra dans la création de valeur. Cependant, ces dernières années, la montée en puissance des débats sur la raison d’être des entreprises (leur « purpose » de l’autre côté de l’Atlantique) et sur la contribution qu’elles apportent au développement humain marque une rupture. Ce changement montre que l’impact sociétal positif de l’entreprise structure la stratégie des entreprises les plus dynamiques et nourrit leur rentabilité. De nouvelles disciplines apparaissent, comme l’ « Impact Investing », qui concerne les investissements effectués dans des entreprises, des organisations et des fonds, avec l’intention de générer, en plus du rendement financier, un impact social et environnemental positif. La Commission Impact de France Invest réunit les principaux acteurs français de l’Impact Investing. Par ailleurs, en matière d’indicateurs de performance sociale et économique, le travail doit porter sur des pistes et sur des modèles qui sont aujourd’hui disruptifs, comme la comptabilité triple capital, qui valorise à la fois le capital matériel classique avec le capital environnemental et le capital sociétal. Ces pistes nouvelles peuvent être des leviers de sortie de crise efficaces dans la récession qui s’annonce.

« Impact–santé » et « ressource-santé » des activités économiques et des entreprises : pour une meilleure prise en compte de la valeur fondamentale « santé citoyenne ». Anne-Marie DE VAIVRE, Fondatrice du Cercle Entreprises et Santé, VP IAS, Partner TITANE ITCWS. Lina GENTILE-BAROUHIEL, Spécialiste en Santé au travail, Médecin du Travail, membre des commissions nationales Affaires sociales Pénibilité, RPS

45En cette année 2020, l’économie mondiale et l’ensemble des entreprises, activités et chaines de valeur, sont atterrées, au sens propre, par une pandémie, atteinte sanitaire humaine d’ampleur aujourd’hui incommensurable dans ses impacts, humains, sociaux, sociétaux, économiques… Démontrant à l’envi que santé économique, santé publique, santé individuelle, santé au travail… sont inexorablement et inextricablement liées. A côté de dizaines de milliers de vies humaines perdues, demain peut davantage encore, les coûts économiques prévisibles immédiats de la crise sanitaire en cours ont été chiffrés par nos gouvernants en milliards, en trillions – mais peut-on seulement les prévoir en ce début de crise ? Depuis 2006, le Cercle Entreprises et Santé lit et lie ces préoccupations en « santé intégrée », à l’aune internationale de l’évolution et de l’avenir de la relation au travail, et des impacts réciproques Santé – Travail – Environnement, pour redonner à la santé toute sa place dans la création de valeur de l’entreprise. Pourtant, les tendances majoritaires des dernières décennies étaient à enclaver la Santé au Travail, perçue comme une contrainte réglementaire voire judiciaire dans un monde du travail de plus en plus tertiarisé, aboutissant à diluer la nécessité de la prévention, pourtant mieux active antérieurement dans le monde industriel. Avec la crise pandémique que nous connaissons, la réalité de la santé et du risque sanitaire s’est brusquement imposée pour tout un chacun, citoyen, travailleur, dirigeant, gouvernant : à tous au quotidien, par confinement et révolution de modes de vie, et aux dirigeants dans leurs choix, en éthique comme en décisions organisationnelles et opérationnelles, voire vitales, pour la vie de leurs salariés, comme de leur entreprise. A tous comme valeur précieuse et unique, fondatrice de toute activité humaine, sociale, économique et professionnelle.

  • Et si la qualité de santé, la ressource-santé et l’impact santé étaient (enfin) perçus comme des facteurs primordiaux dans tout fonctionnement socio-économique, dans toute performance d’entreprise ou organisation, publique ou privée ? Une nouvelle conscience collective, individuelle, institutionnelle est en train de naître en ce sens.
  • Et si, pour mieux maîtriser l’impact comme pour mieux maîtriser la ressource essentielle de ce que l’on appelle le « capital humain », l’on profitait de cette crise pour inciter les organisations/ macro (gouvernements) – méso (secteurs, territoires) – micro (entités professionnelles)…/ à mieux et continûment prendre en compte, suivre, tracer l’état de santé de nos concitoyens, – leur vulnérabilité et leur résilience –, dans l’environnement, et dans les conditions de travail qui sont les leurs, en aidant et incitant les personnes à connaître elles-mêmes, suivre et tracer leur état de santé, pour individuellement, et collectivement, mieux prévenir et faire face aux crises et accidents possibles ?

46L’on se rend compte aujourd’hui que des data de santé accessibles et traçables sont indispensables, – pour anticiper et gérer les situations de crise et d’urgence, mais aussi, en vitesse de croisière, pour la prévention et le suivi individuel efficace des personnes, comme pour les études épidémiologiques en grandeur réelle nécessaires pour éclairer les politiques de santé publique, de santé globale. Partout dans le monde, les dispositifs sont mis en place, sont en train de se structurer, sur la base aussi de nouveaux outils de suivi IT – IA. Qu’en est-il en France ? De quels outils dispose-ton pour analyser et suivre la « ressource-impact santé », en dehors des études scientifiques médicales et épidémiologiques par cohortes, – par définition sur échantillons ? • Côté « santé civile », le DMP, le Dossier Médical Partagé, – instauré théoriquement depuis des années et relancé fin 2018 –, peine à s’inscrire dans la réalité : 9 millions de dossiers ouverts à fin février 2020… pour 67 millions de citoyens ; avec combien de dossiers réellement opérationnels ? Le DMP parait pourtant indispensable, à encourager et systématiser, pour précisément tracer l’évolution de l’état de santé des personnes, et en tirer, au niveau de la personne, comme en épidémiologie, les enseignements nécessaires. Un « dossier pharmaceutique » existe bien déjà… pour 40 millions de personnes, – récemment encouragé par le rapport 2020 de la Cour des Comptes, mais c’est un dossier ‘fermé’, accessible aux seuls professionnels et instances de la pharmacie, institutions de contrôle, et aux industriels de la pharmacie. • Côté « hospitalier », par lequel risque malheureusement de passer une foultitude de nos concitoyens pris dans cette pandémie, les dossiers des patients hospitalisés sont de plus en plus interopérables entre établissements et autres dossiers spécialisés (imageries et analyses médicales). Pourtant, même après la loi Kouchner (2002), les informations et data de ces dossiers ne sont pas aisément accessibles aux citoyens… et pas du tout aux médecins du travail. • Côté « santé travai », existe légalement pour chaque salarié, depuis 1970, un DMST, Dossier Médical en Santé Travail, pour la visite médicale d’embauche, les aptitudes-inaptitudes, les visites médicales ou infirmières périodiques tout au long de la vie professionnelle : peu ou prou doivent exister légalement des DMST pour les 24 millions de travailleurs : 18 millions pour les salariés « de droit commun », – suivis pour 16,5 millions par les Services Inter-entreprises de santé au travail, pour un peu plus d’un million par les Services Autonomes des plus grandes entreprises – ; et pour 5 à 6 millions par les services de santé au travail des fonctions publiques… avec un grand vide, souvent, pour les travailleurs indépendants dont la population est croissante. Mais où en est-on exactement ? A-t-on jusqu’à présent écouté et aidé suffisamment les médecins et professionnels de ces services de santé au travail pour rendre ces dossiers effectifs, utiles au-delà des certificats d’aptitude et inaptitude ? Des bilans, ou des points d’étape sectoriels seraient bien nécessaires.

47En vision santé « citoyenne », santé-globale des personnes, dont les gouvernants aujourd’hui et autorités sanitaires comme tout un chacun touchent du doigt le côté indispensable, les efforts de coordination des analyses de risques-santé et des diagnostics-santé sont à intensifier, en intégrant mieux les éclairages, les apports et les données de santé-travail : l’état de santé des personnes, des travailleurs de tous statuts en tant que personnes, mérite bien un vrai suivi, global et coordonné par tous professionnels de santé, médecins et praticiens de ville, médecins et praticiens hospitaliers et spécialisés, médecins et infirmiers du travail. Et si la voie de l’avenir, pour préserver au mieux cette « ressource-impact » qu’est la santé globale, essentielle pour la société et les sociétés, était celle d’une vision citoyenne et intégrée des approches en santé, et d’une vraie coordination entre acteurs ? Médecine/ santé « de ville » et médecine / santé – travail, médecine santé hospitalière et médecine-santé de laboratoires…, en utilisant, aussi de façon intégrée, les ressources des traitements en IA des données massives en santé permises par cette coordination. C’est à la fois un dialogue opérationnel qu’il convient aujourd’hui de légitimer et de pratiquer, entre professionnels de santé au travail, et professionnels de santé « civile », hospitalière, et environnementale, et c’est une interopérabilité des sources de données, DMP, DMST … qu’il faudrait aussi faciliter par la mise en place d’outils numériques partagés et élaborés autour d’un cahier des charges co-construit en santé globale. Au plan européen, neuf programmes de recherche sont en train de se mettre en place autour du concept d’exposome – la ‘somme des expositions à risques de santé’ qu’aura pu vivre un individu au cours de son existence, expositions à risques environnementaux, risques professionnels… qui vont définir son profil personnel de vulnérabilité et de résilience, à côté du génome, son profil génétique. Au niveau de la recherche, les visions intégrées de la santé progressent : il serait bien qu’il en soit de même au plus tôt, sur le terrain, pour la santé quotidienne des personnes et pour la santé « citoyenne » globale. En bout de chaine du traitement et de la valorisation-recherche et valorisation-guidage des données massives de santé, le Health Data Hub France récemment créé à fin 2019 devra permettre cette coordination sécurisée des data.

Les parties-prenantes, sentinelles de la PME. Jean-Marie ESTEVE, Gérant de société, Chercheur associé Labex Entreprendre, Montpellier Recherche Management

48En quoi, les PME du low et middle-tech, terrain de l’immédiateté et de vive concurrence, ont intérêt à ancrer leur stratégie sur le triptyque économique environnemental et sociétal ? L’expérience menée pendant dix ans dans une PME du BTP a montré que l’impact social positif consécutif à une création de valeur réfléchie est multidimensionnel. Du bien être des salariés au rapport constructif avec les parties-prenantes externes, cet impact social positif a contribué à consolider un capital/confiance entre ces acteurs. Alors, comment le dirigeant initie-t-il et fait-il perdurer le cercle vertueux de création de valeur ? Un des moyens retenus, est la valorisation continue des salariés sensibilisés à la RSE, soit la formation, l’implication et la reconnaissance collective à cette dimension. Ce capital immatériel est devenu peu à peu un déterminant essentiel de la création de valeur responsable et de l’impact social positif auprès des parties prenantes. Cette démarche n’a pas été initiée naturellement dans la PME ; elle a été provoquée, évaluée et suivie. Pour cela, le dirigeant de PME, homme-orchestre, a mis en avant son engagement avec les valeurs intrinsèques de la RSE. Il a ainsi dopé l’engagement des collaborateurs par un effet de mimétisme. Dès lors, les parties-prenantes externes ont observé, dans l’action, l’implication des salariés de la PME qui expriment le savoir-être et le savoir-faire issus d’une valorisation continue. Ce sont ces parties-prenantes qui gratifient la PME, pour son impact social sur son territoire, par un comportement bienveillant envers elle. Ce rapport positif (gagnant-gagnant) constitue alors pour la PME concernée un avantage concurrentiel. L’attitude inverse est également possible et redoutable. La PME, dépourvue d’outils de mesure, est attentive au feed-back des parties-prenantes qui jouent ainsi un rôle de sentinelles de son impact social.

Soigner les maladies du lien. Jean-Marie FESSLER, Docteur en éthique médicale et en économie de la santé, ancien directeur d’hôpital, des établissements de soins de la MGEN et conseiller de son président, enseignant pour l’ESSEC, les Arts & Métiers et Stanford University

49La pandémie met en évidence déséquilibres et perversions dans les systèmes de révélation des valeurs relatives, entre le spéculatif artificiel et le vital. Qu’il soit permis à un hospitalier et mutualiste français de souhaiter qu’on emprunte enfin des voies autrement réalistes et respectueuses que celles des dégradations subies du fait du numerus clausus instauré par la loi en 1971 et drastiquement appliqué de 1984 à 2003 et de la tarification à l’activité appliquée par la loi en 2004 et brutalement généralisée en 2008, sous surdité volontaire aux alertes et propositions d’amélioration. Si, à la remorque d’idéologues de la gouvernance par les textes et les nombres, la valeur sociale des associations, coopératives, mutuelles, fondations, entreprises sociales et celle des 3 millions d’entreprises françaises, dont le taux de création est remarquable mais qui n’ont 250 salariés et plus que pour 0,2 % d’entre elles et qui n’exportent que dans 4 % des cas, se réduisait à devoir prouver par des formalismes inappropriés, ce serait un échec. Echec d’autant plus grave au pays qui a la pression fiscale et le nombre d’impôts et taxes le plus élevé des pays de l’OCDE et où l’action publique est seule considérée d’intérêt général. Est-il maintenant envisageable que la création de valeur et ses mesures s’adaptent à leurs impacts sociaux et à leur contribution à une meilleure santé des liens humains ?

La prégnance sociétale dans la création de valeur de l’entreprise. Damien FORTERRE, Enseignant-Chercheur, Innovation Opérations et Management, ESCP-Europe

50Une entreprise ; agile combinaison de ressources et compétences polymorphes ; dispose d’un paradigme singulier mobilisé pour atteindre les objectifs inscrits dans sa mission. Une valeur originelle, plurielle y réside de facto et l’enjeu primaire consiste à l’identifier, l’exploiter, la valoriser de manière pérenne pour la démultiplier sous des formes diverses. La mesure de ses conséquences, ses incidences sur des écosystèmes de plus en plus complexes et interdépendants où les actions affectent par capillarité un nombre croissant de domaines, de parties prenantes s’est imposée progressivement aux managers. Cette configuration systémique et incertaine conduit à utiliser désormais le prisme sociétal. Voir comment la création de valeur de l’entreprise peut irriguer, influencer, impacter à intensités différentes les strates, niveaux interconnectés, de manière volontaire, autonome, partagée ou non. Une approche constructiviste, collective mobilisant l’analyse de l’ensemble des acteurs devient nécessaire pour estimer de façon incrémentale et attentive les répercussions de la création de valeur et implications sur les environnements. En raisonnant ainsi de manière globale et responsable, les externalités négatives sont d’autant mieux anticipées, minimisées et permettent de se rapprocher in fine d’une valeur holistique. Bref, confiance et coopération, deux maîtres mots à inscrire dans la mission des entreprises. Les parties prenantes peuvent-elles créer un impact positif.

Intégrer toutes les parties prenantes. Yassine FOUDAD, Consultant RH, Président AAAS, Enseignant RSE à l’ENSM d’Alger

51De récents scandales internationaux dans la construction automobile, la confection, l’industrie pétrolière ont alerté l’opinion publique grâce au travail des mass médias et des ONG. Ces scandales ont eu des conséquences financières et boursières négatives. Depuis, les entreprises intègrent la gestion des risques économiques, environnementaux et sociétaux dans leurs activités et leur reporting extrafinancier. Mais le fait le plus remarquable est que les managers intègrent progressivement les parties prenantes internes (salariés, représentants personnel, cadres, actionnaires) et externes (clients, fournisseurs, associations, médias, institutions publiques et locales…) dans la « sphère d’influence » de l’entreprise. Cette intégration se fait par plusieurs moyens (enquêtes de satisfaction, sondages, réunions périodiques, évènements…) pour prendre en compte les attentes de l’environnement socioéconomique dans les activités de l’entreprise. Autant dans les scandales cités ci-dessus les intérêts des parties prenantes avaient été négligés et occasionné des impacts négatifs, autant l’intégration de celles-ci dans le « management responsable » a permis d’améliorer l’image de marque des entreprises ainsi que la satisfaction des salariés et principaux intervenants dans la chaine de valeur tant en amont qu’en aval.

Le bal des nazes. Jean-Michel GARRIGUES, RH et Développement, BLB Associés

52« L’impact social est tendance, comme la raison d’être. La tectonique des plaques est en plein mouvement : les pionniers prosélytes restent aux avant-postes, mais ils se font rattraper, a minima, par les opportunistes, tandis que restent en queue de peloton les boudeurs, les sceptiques, les délateurs. Pourquoi ces mouvements ? Parce que la mouvance sociétale imprègne les acteurs du jeu social, et les fameuses parties prenantes. Même un dirigeant autocentré et animé par le profit comprend qu’il ne peut plus faire l’économie d’une exemplarité de façade, pour rassurer les marchés sur son humanité bienveillante. Si les résultats annuels, si le cours de l’action, sont impactés par une stratégie insuffisamment volontaire, par une évaluation sociale médiocre, alors haro sur les vieilles habitudes démoniaques, et gloire aux démarches angéliques. Même le patron de Blackstone écrit que l’impact social devient une composante de sa stratégie, c’est dire ! Mais, au fait, est-ce si préoccupant ? Que les meilleurs supporters de la béatitude sociétale soient pour la plupart de purs artifices, gros bobo ou même pas mal ? En fait, pourquoi pas ? Qu’importe le flacon, pourvu qu’on ait l’ivresse, alors qu’importent les pensées si les actes sont avérés, et si le rapport annuel peut lister tous les efforts de l’entreprise vers les compétences élargies : parité, diversité, minorités, inclusion, mais aussi l’imposition du droit à l’erreur, la fuite des pressions indignes, l’émergence du principe de subsidiarité. Les doubles discours seront peut-être remis en cause, l’harmonisation gagnera peu à peu les strates internes, de manière à ce que chacun, dans son quotidien, constate vraiment la présence des valeurs affichées en permanence sur les murs des lieux de travail. Sincérité, générosité, confiance, voici les maîtres-mots d’un impact social constaté, et non proclamé. Le chemin reste encore long, mais ceux qui ne voudront pas l’emprunter résolument, de gré ou de force, de conviction ou d’intérêt, ressembleront bientôt aux danseurs mondains de la salle de bal du Titanic en plein naufrage… ».

Quelle place pour l’humain dans la nouvelle organisation du travail ? Alain GOSSELIN, Professeur honoraire, HEC Montréal

53La question du repositionnement des milieux de travail est déjà sur la table des dirigeants. La crise actuelle (pandémie et pertes économiques) vient accélérer et orienter leur prise de décision. L’humain est plus à risque que jamais de perdre sa place encore dominante au profit d’algorithmes de plus en plus sophistiqués et performants qui apparaissent comme la solution à bien des casse-tête de gestion. Attirer, satisfaire, faire performer, maintenir les compétences à niveau et fidéliser les personnes n’a jamais été facile. Pour les dirigeants, la tentation est donc grande de se simplifier la vie et de réduire le risque en misant davantage sur une main-d’œuvre plus contractuelle (Uberization) et sur une technologie perçue comme plus fiable, moins coûteuse et ayant des capacités de performance inaccessibles aux personnes. Nous sommes toujours à une étape de « pré-changement » dans la plupart des organisations. Il est donc urgent que les experts des ressources humaines se mobilisent pour réduire les angles morts des dirigeants dans les décisions concernant quelle technologie implanter, à quel rythme et quels rôles laisser aux personnes, au-delà des extrêmes (emplois dévalorisés et emplois créatifs). L’accent doit être mis sur le futur désiré et viable pour tous pour ensuite déterminer à rebours les choix optimaux que les dirigeants devraient considérer.

Vers un dialogue social de qualité ? Impacts multidimensionnels… Olfa GRESELLE-ZAÏBET, MCF, LIRSA-HESAM, CNAM Paris

54Accélération des changements organisationnels, incursion du sociétal dans l’entreprise et légitimité des IRP : trois impacts sociaux s’inscrivant dans une temporalité donnée et noyau dur d’un dialogue social de qualité. Ce dernier devient une réalité multidimensionnelle…Dimension législative : D’une part, un contexte historique des relations sociales en France entre alourdissement et complexification notamment en matière de respect des obligations d’information et de consultation des partenaires sociaux. Et d’autre part, un contexte législatif en mutation entre simplification et renforcement dans l’entreprise et les branches et sécurisation des relations du travail. Dimension économique : Facteur d’efficacité économique et de progrès social grâce aux compromis qu’il permet de réaliser entre les intérêts, parfois divergents, des acteurs du monde du travail et leur prise en compte dans les dynamiques de changement. Dimension opérationnelle : Orienté vers la productivité et la performance organisationnelle en adaptant les outils et pratiques de ressources humaines. Dimension stratégique : Manière de conduire le changement avec une orientation vers la création de valeur(s) : concertation ou soumission des acteurs sociaux ? Dimension humaine et durable : Entre enrichissement et destruction, la place du sociétal devient fondamentale pour avoir une vision globale de cette réalité. Orienté vers la RSE avec d’une part, la prise en compte du développement durable et des valeurs humaines (justice, équité, parité, solidarité : une nouveauté en la matière). Et d’autre part, un accompagnement aux transitions numérique et écologique avec de profonds impacts. La conception étroite du travail – coût ou risque – n’intègre pas ses impacts positifs en matière de création de valeur et de développement des individus. Repositionner le travail en interaction entre enjeux économiques, sociaux et sociétaux devient primordial afin d’anticiper les obstacles liés aux risques psychosociaux. L’enjeu global devenant ainsi l’émergence de nouveaux compromis, fruit d’une intelligence collective entre acteurs sociaux, gage de cohérence et de sincérité. Enfin, repenser un engagement à valeur ajoutée au sein et en dehors des organisations permettra de susciter des changements d’état d’esprit, de culture au travail (contenu, méthodes et management) et de concrétiser une dynamique d’apprentissage collaboratif et durable vers un sens commun …

Prise en compte de l’impact social dans la création de valeur : une gestion des paradoxes ? Amaury GRIMAND, Professeur des Universités, IAE Nantes

55La création de valeur par les ressources humaines et les modalités de prise en compte de l’impact social / sociétal dans cette création de valeur constituent un enjeu central non seulement pour la pérennité des organisations mais aussi pour une fonction RH appelée à démontrer sa légitimité. Cet enjeu se double de deux questionnements particulièrement sensibles : – Quel horizon temporel pour juger de la création de valeur dans sa dimension sociale / sociétale ? On prendra acte en effet de ce que la plupart des décisions RH (en matière de formation, de transformation des modes d’organisation du travail, de culture, etc.) produisent rarement des effets à court terme ; – Impact social du point de vue de quelles parties prenantes ? Si pour le salarié la création de valeur s’apprécie, entre autres, à l’aune du rapport contribution / rétribution ou de la perception d’équité, bien d’autres parties prenantes sont en jeu : actionnaires, dirigeants, managers, partenaires sociaux, mais aussi fournisseurs, clients, sous-traitants, ou bien encore communautés locales. L’extension des démarches GPEC à l’échelle du territoire montre ainsi que la création de valeur par les RH ne peut plus être circonscrite aux frontières de l’organisation. L’institutionnalisation croissante des démarches RSE signale, pour sa part, l’inscription de la valeur dans des enjeux sociétaux plus larges (inclusion et diversité, prévention des RPS, nouvelles formes du travail, etc.) touchant la communauté dans son ensemble. Cette diversité des parties prenantes, animées parfois par des enjeux contradictoires, suggère que la création de valeur par les RH est aussi une affaire d’arbitrages (court terme versus long terme, coûts du capital humain versus gestion des talents, personnalisation croissante des pratiques RH versus cohérence d’ensemble, etc.) tout en gardant présent à l’esprit la nécessaire cohérence interne des pratiques RH et leur alignement avec la stratégie.

Purpose driven, value led: For a greater societal impact. Stefan GRÖSCHL, Professor, Department of Management, Founding Co-Chair Leadership and Diversity, ESSEC Business School

56Considering the global and imminent challenges societies are facing, it is imperative for companies to consider the impact they have on society and the environment. Companies’ societal impact is driven by their mission, led by their values and put into action by their managers and front line employees. Companies need to shift toward doing business as unusual with a dual focus on societal impact and the bottom line. This includes key challenges such as decoupling economic growth from the use of natural resources, and addressing global socio-economic inequalities. Doing good by doing well is not easy. But more and more shareholders and numerous other company stakeholders are pushing companies toward developing more sustainable business models in which the financial ends become means that server greater societal and environmental goods and the well-being of our planet. For business leaders and their businesses that means a clear vision, strong values, greater self-awareness, critical reflection and creativity ; with various frames of reference ; and an openness toward, and confidence in engaging in changes needed to address global challenges in a sustainable and responsible way.

Et s’il était encore temps de faire de la place à de nouveaux équilibres ? Delphine GUYARD MEYER, Consultante RH & management, Equation RH

57Si nous avions réfléchi, plus globalement, aux impacts sociaux, sociétaux et environnementaux de nos choix financiers et industriels il y a maintenant 30 ans, le monde ne serait peut-être pas confronté, aujourd’hui, à une crise d’ampleur mondial. L’avenir sera à d’autres choix ou… ne sera pas ! La seule prise en compte de la valeur ajoutée financière a désincarné l’entreprise, en mettant de côté une réflexion globale sur les impacts des décisions business sur le système « terre ». Comment faire de cette crise une opportunité de transformation qui invite nos organisations à penser et concrétiser un second souffle ? Ce nouveau cadre de référence, qui pourra partir de la raison d’être de l’entreprise, mettrait la mesure de l’impact social, sociétal ou environnemental au centre des préoccupations. La valeur ajoutée serait dans la recherche de nouveaux équilibres qui profitent à tous : humains, animaux, régénération de la terre. Les entreprises qui feront la différence et qui sauront s’adapter, seront celles qui seront capables de rupture : donner du sens à leurs activités grâce à un projet qui donnera toute sa place à la performance durable ; c’est l’orientation responsable mais aussi tactique que les entreprises devront prendre pour générer de la fierté et de l’engagement chez les collaborateurs, de l’intérêt et du comportement d’achat chez les clients. C’est ce qui conditionnera leur survie. Alors, on change ?

Impact social et performance : un binôme inséparable. Dalila HAWARI, Gérante HAWARI Firm

58La performance économique ne s’oppose nullement à la notion de développement du volet social et sociétal de l’entreprise. Au contraire, ces leviers sont communs dès lors que l’on décline une vision à moyen terme, non seulement financière. Les entreprises qui veillent au respect du concept de la responsabilité sociale / sociétale et environnementale n’ont pas plus de dépenses que celles qui le méconnaissent. Le Maroc est un pays qui a choisi l’ouverture et la compétition sur le marché mondial. Les filiales des multinationales implantées dans le pays sont comptables de la responsabilité sociale de leurs maisons mères. Il en est de même pour les entreprises de taille moyenne, qu’elles soient exportatrices ou bien sous-traitantes des grandes firmes, car leur sélection est favorisée par l’importance qu’elles accordent aux bonnes pratiques sociales et environnementales. La responsabilité sociale dans l’entreprise Marocaine aujourd’hui doit se décliner dans sa dimension interne, les conditions de travail, le respect des textes en vigueur, les assurances sociales etc. ; Autrement dit, il ne faut pas croire que l’on ne peut se battre qu’en se soustrayant aux charges sociales et fiscales. Ce n’est que par la valorisation du capital humain que l’entreprise Marocaine peut se développer. La responsabilité sociale, sociétale et environnementale n’est pas l’ennemi de la compétitivité.

L’impact sociétal des entreprises : le pacte social des parties prenantes de l’entreprise pour une création de valeur plurielle. Arnaud LACAN, Professeur KEDGE Business School, Titulaire de la Chaire AGIPI KEDGE « Le travail indépendant et les nouvelles formes d’entrepreneuriat »

59Dans une approche gestionnaire de la théorie des biens communs l’entreprise est aujourd’hui appréhendée comme un écosystème de parties prenantes. Les clients, les actionnaires, les dirigeants, les collaborateurs, les fournisseurs… sont autant de stakeholders qu’il faut désormais satisfaire dans la création plurielle de « valeurS » de l’entreprise : valeur client, valeur collaborateur, valeur actionnariale… Cette démarche holistique est nécessaire pour générer de la performance et l’entreprise doit apporter la bonne réponse à chaque partie prenante pour conserver un avantage concurrentiel.

60Cette nécessaire création de valeurs ne peut se trouver pour une partie prenante au détriment des autres et c’est un équilibre global qu’il faut chercher. L’impact sociétal semble aujourd’hui faire consensus et permet à l’entreprise de répondre favorablement aux attentes légitimes mais exigeantes de toutes ses parties prenantes, et ceci parce que la préoccupation sociétale s’est imposée et que tous les acteurs de l’entreprise se rejoignent sur la nécessité d’y répondre. Tout comme si ces parties prenantes, unies dans un pacte social d’entreprise, acceptaient l’impact sociétal de leur entreprise comme leur plus petit dénominateur commun. En pleine crise sanitaire du Covid-19, LVMH a pu ainsi informer fabriquer gratuitement du gel hydroalcoolique en grande quantité au profit de l’Assistance Publique – Hôpitaux de Paris (AP-HP) et d’autres institutions publiques, tandis que SANOFI annonçait des essais cliniques à partir de l’un de ses médicaments susceptible de soulager les malades les plus graves du Covid-19, promouvant ainsi son action sociétale en faveur d’un vaccin. Dans ces deux cas, l’impact sociétal de l’entreprise crée de la valeur pour chaque partie prenant dans une logique de gagnant-gagnant.

Comment les entreprises détruisent de la valeur. Hubert LANDIER, Expert indépendant, vice-président de l’Institut international de l’audit social et professeur émérite à l’Académie du travail et des relations sociales (Moscou)

61En quoi consiste la valeur ? Valeur d’usage, valeur d’échange, valeur travail : les économistes en discutent depuis deux siècles. Pour s’en tenir à l’entreprise, il me semble qu’il convient de distinguer « valeur actionnariale », « valeur partenariale » et valeur globale ». La création de valeur actionnariale constitue l’objet, même s’il est encadré par la nécessité pour elle de respecter un certain nombre de prescriptions légales, de la société commerciale. Mais elle est susceptible d’aller à l’encontre des intérêts des autres parties prenantes de l’entreprise, ceux des salariés notamment, comme du contexte humain et environnemental de son activité. Nombre d’entreprises créent de la valeur actionnariale, précisément quantifiée par leur comptabilité, tout en détruisant de la valeur globale, cette destruction n’apparaissant pas dans leurs comptes et n’étant pas prise en considération. Et c’est ainsi qu’elles contribuent à détruire la planète, souvent en proclamant par ailleurs leur attachement aux principes de la responsabilité sociale de l’entreprise. La prise en compte de la création ou, plus souvent, de la destruction de valeur globale nécessiterait des instruments d’évaluation nouveaux par rapport à ceux que nous fournissent les normes comptables et qui ne portent que sur la création de valeur actionnariale. En attendant, la plupart des entreprises continuent de contribuer au réchauffement de la planète. Et les nobles intentions qu’elles mettent en avant risquent bien souvent de faire office de prétexte pour ne rien changer.

Pas d’impact social positif sans une révolution du leadership ! Yves LE BIHAN, Chercheur associé Chaire ESSEC du Changement, Président de l’Institut Français du Leadership Positif

62Roland Lescure, Député et Rapporteur Général de la loi PACTE, invité de notre dernière NUIT de l’entreprise positive partageait, très pédagogiquement, les 3 étages de cette loi. On pourrait en ajouter un 4ème : une invitation douce à aligner les styles de leadership avec les hautes ambitions sociales des entreprises. Parmi les chantiers que notre Institut va explorer en tant que membre de la toute nouvelle Communauté des Entreprises à Mission : en quoi la prise de conscience de sa propre raison d’être en tant que dirigeant accélère la transformation vers l’entreprise à mission ? En quoi un leadership porteur de sens motive davantage la transformation vers l’entreprise à mission ? Quelles qualités du dirigeant (alignement, authenticité, courage, attention(S), empathie, altruisme, humilité… ?) pour convaincre les parties prenantes ? Peut-on cultiver ces qualités ?

63Les dirigeants sont les rouages clés et le moteur entre le Conseil d’administration, les actionnaires, les salariés dans la mise en œuvre de l’entreprise à mission. Quelles zones de vigilance ? Comment le leadership peut être un frein/accélérateur de la transformation en Entreprise à impact ? Quels sont les outils de l’intelligence collective les plus puissants pour accélérer vers l’entreprise for good ? Comment éviter la dissonance entre les discours externes « marketés » et idéalisés et la réalité interne des entreprises à impact social ? Force est de constater qu’à ce jour, les vieux modèles de leadership de type Predict-Command-Control ou Matriciel + Contrôle = Complexité perdurent encore. La véritable révolution est donc à venir, silencieuse, douloureuse parfois mais impérieuse, celle où les dirigeants opéreront leur propre transformation au service de causes qui les dépassent.

Bien faire ET faire du bien. Carole LEBLOND, Candidate à la maîtrise ès sciences de la gestion ESG UQÀM. Nathalie LEMIEUX, Professeure ESG UQÀM, Montréal, Québec

64De plus en plus d’entreprises innovent non seulement pour faire des profits mais aussi pour avoir un impact positif sur les gens, la planète et leur organisation. Au-delà de la simple prise en compte des externalités négatives, certaines vont même jusqu’à changer leur modèle d’affaires afin d’atteindre une performance globale à la fois économique, sociale et environnementale. L’enjeu demeure pourtant pour ces entreprises vertueuses de convaincre leurs parties prenantes internes et externes du bien-fondé et des bénéfices de leur démarche. Le défi est de taille, surtout parmi ceux qui n’ont pas encore de responsabilité sociale (RSE) dans leur ADN comme les actionnaires qui n’accordent aucune prime à la RSE. Cependant il importe dans cette nécessaire transition d’intégrer des pratiques durables à la culture organisationnelle, ce qui demande du temps. Or, on mesure généralement les résultats extra-financiers des objectifs RSE sur une base annuelle, tout comme leur performance financière. Il faut donc que les entreprises se mobilisent pour infuser du bien commun, favoriser le dialogue au sein de leurs organisations afin d’avoir un effet d’entrainement auprès des dirigeants et des actionnaires qui n’osent pas encore investir dans une telle opération de changement durable. Rappelons-le, il est possible de bien faire financièrement tout en faisant du bien au niveau social et environnemental. Ça ne devrait pas être l’un ou l’autre. Laissons-nous le temps d’en faire la preuve !

L’impact social (ou sociétal) dans la création de valeur de l’entreprise : la pertinence des méthodes n’a pas la priorité. Hadj NEKKA, MCF HDR, Université d’Angers (IUT-GRANEM)

65Une telle question apparaît conforme au projet des sciences de gestion, voire même nécessaire lorsqu’il s’agit du domaine de la responsabilité sociale et sociétale de l’entreprise. Si la question d’impact est essentielle, nous nous interrogeons ici non pas uniquement sur les démarches mobilisables à cette fin mais aussi les soubassements des activités dans une réelle perspective de création de valeur. Certes pour que les études d’impact soient réellement propices à la création de valeur dans les entreprises, nous devons questionner bien entendu simultanément les diverses méthodes de mesure. D’une part, nous voyons dans les méthodes d’évaluation quantitatives un support indispensable à des stratégies efficaces de communication. Et, d’autre, nous supposons que les besoins de création de valeur pour l’entreprise sont mieux satisfaits par la mobilisation de méthodes d’évaluation qualitatives plus critiques.

66Au-delà de la question des méthodes, il faut aussi reconnaître l’importance des processus de création de valeur. Ces processus sont complexes, les entreprises ne sont pas à l’abri de comportements divers qu’ils soient normaux ou anormaux. Un comportement anormal est le résultat d’actions de création de valeur qui s’avère utiles pour des parties prenantes externes mais destructrices de valeur pour les parties prenantes internes. Les erreurs relevant des stratégies d’impartition illustrent bien cette situation et donc l’existence de comportements négatifs pour la création de valeur de l’entreprise. Quant aux comportements normaux, nous sommes parfois face au pire, c’est-à-dire qu’ils sont parfois à l’origine des comportements anormaux. Nous considérons qu’un comportement normal de création de valeur consiste soit à protéger la valeur habituelle soit à en créer une valeur nouvelle. En protégeant sa valeur, l’entreprise peut favoriser la création de valeur de ses concurrents et compromettre sa propre valeur future. Quel que soit l’approche retenue pour mesurer l’impact social et sociétal en termes de création de valeur, il faut accorder une place centrale aux considérations économiques et stratégiques. Une réussite à ce niveau conditionne la capacité de l’entreprise à mener des politiques volontaristes, ce qui permet de mesurer ensuite leur impact en étant capable de procéder à des ajustements inévitables.

La création de valeur à la croisée des chemins : entre évidence et défiance. Jean-François NGOK EVINA, Professeur Titulaire Cames, Agrégé en Sciences de Gestion, Université de Douala Cameroun

« N’allez pas où va le chemin. Allez là où il n’y en a pas encore, et ouvrez la route ».
Ralph Waldo Emerson

67La création de valeur est un thème qui suscite aujourd’hui un intérêt croissant dans différents domaines des sciences de gestion : management stratégique, finance, comptabilité, audit/contrôle de gestion, gestion des ressources humaines, marketing, entrepreneuriat. Considérant la multitude de crises (financière, économique, écologique, sociale, sociétale), Roudaut considère que le concept de création de valeur touche à sa fin. Au moment où ces différentes crises frappent les entreprises, celles-ci doivent reconsidérer leurs modes de pensée et d’action stratégiques. La création de valeur pour l’entreprise aura un impact considérable tant sur les actionnaires que sur toutes les parties prenantes de l’entreprise. En effet, faire rêver les parties prenantes de l’entreprise (primaires ou secondaires) au moment où les marchés empêchent les investisseurs de dormir n’est pas à la portée de tout le monde. Plus l’entreprise ne parvient pas à atteindre ses objectifs, moins elle créera de la valeur. Afin de relever ce défi, les dirigeants d’entreprise vont devoir mettre en avant leur savoir, leur savoir-faire, leur savoir-être, leurs valeurs. Ces valeurs auront un sens si et seulement si l’entreprise s’adapte à l’environnement eu regard aux défis écologiques, sociaux, philosophiques et économiques à relever. Il s’agira plutôt de définir et d’apporter les preuves que l’entreprise s’engage à répondre au triptyque Stratégie, Culture, Performance. C’est fort de cet engagement que l’entreprise répondra favorablement aux intérêts divergents de toutes ses parties prenantes.

Quand les réseaux informels des salariés dans l’entreprise créent de la valeur en Afrique. Raphael NKAKLEU, professeur, CERAME, ESSEC, Université de Douala

68Les pays africains se distinguent des pays occidentaux par l’importance des relations sociales fondées sur la solidarité mécanique et l’entraide. Dans le cadre de nos missions de conseils auprès des filiales des firmes multinationales, des grandes entreprises et des petites et moyennes entreprises locales dans plusieurs pays africains (notamment au Cameroun, au Gabon ou en Côte-d’Ivoire), il m’a été donné de constater que des salariés recrutés au travers des canaux formels et/ou informels créent et développement des réseaux informels d’échanges parallèlement à l’organisation formelle. Ces réseaux sociaux prennent diverses formes : mutuelles, tontines d’entreprises, associations à but non lucratif. Les réseaux informels de relations interpersonnelles dans les entreprises africaines encouragent leurs membres à s’entraider dans les relations au travail ; ceci se traduit par l’entraide dans la résolution des difficultés au travail. Ils mènent des actions sociales en faveur des membres, telle l’assistance lors des évènements heureux (mariage, naissance, anniversaire des enfants) et malheureux (décès, maladie). Ils mènent également des actions sociales en faveur des populations défavorisées (assistance financière, remise des cadeaux aux enfants orphelins, aux enfants de la rue), ainsi que des écoles et des structures de santé. Ces actions sociales qui sont soutenues par certaines entreprises (tels le Groupe SABC, Orange Cameroun, filiales des FMN françaises ; MTN Cameroun filiale de l’entreprise de téléphonie sud-africaine, UBA Cameroun filiale d’une banque nigériane ; UCB une grande entreprise camerounaise, le Groupe BGFI Bank au Gabon et ses filiales) ont un impact positif sur l’engagement des salariés et sur l’amélioration du bien-être des populations. Par conséquent, elles attirent et fidélisent les clients internes (personnel) et les clients externes. Toutes choses qui créent de la valeur.

La GRH, une fonction clé au cœur du processus de création de valeur de l’entreprise. Florence NOGUERA, Professeur, Université Paul Valéry Montpellier 3

69L’étude du processus de création de valeur fait l’objet depuis plusieurs années d’études approfondies en sciences de gestion, comme celle de Porter sur le concept de chaîne de valeur, ou bien celle de Copeland, Koller et Murrin sur la stratégie de la valeur. Aujourd’hui, le thème de la création de valeur rythme la vie des entreprises et des organisations. Le processus de création de valeur d’une entreprise peut être défini au sens large comme l’ensemble des activités contribuant à la survie à court terme de l’entreprise (notion de résultats immédiats) et à son développement (notion de création de potentiel et de résultats futurs). Les modèles dominant de mesure de la création de valeur négligent trop souvent le rôle clé de la gestion des ressources humaines dans la création de valeur, en particulier pour des motifs implicitement normatifs. Le capital social (humain) joue pourtant un rôle déterminant dans les phénomènes d’apprentissage, individuels et collectifs, dans la construction d’un avantage concurrentiel durable, et peut constituer un levier dans le processus de création de valeur. Le capital technique constitue un facteur inerte tant qu’il n’est pas activé par le facteur humain, d’où le caractère stratégique de la gestion des ressources humaines de l’entreprise.

Et si les salariés contraignaient leur entreprise à avoir un vrai impact social ? Marc OHANNA, Professeur à KEDGE Business School, Bordeaux

70Depuis l’avènement du concept du triple bilan (triple bottom line), il est convenu que les entreprises ne se préoccupent plus uniquement de leurs profits mais également de la planète et des êtres humains. L’entreprise a bien sûr une dimension économique mais également des dimensions environnementales et sociales. Parmi ces trois dimensions, l’aspect social est sans doute le parent pauvre des entreprises, ne serait-ce que du fait de la difficulté de sa mesure. L’impact social fait partie néanmoins des principales considérations des entreprises contemporaines. Lorsque le social ne fait pas partie des motivations premières des entrepreneurs et dirigeants, l’environnement de l’entreprise agit naturellement pour rappeler à l’ordre ceux qui oublieraient cette facette essentielle à l’existence même de l’entreprise. Les consommateurs de plus en plus exigeants éthiquement et les investisseurs soucieux de la réputation et des valeurs des entreprises auxquels ils contribuent font subir une pression qui a poussé les organisations à avoir une dimension sociale. Mais la plus grosse pression que pourraient subir les entreprises pourraient bien être interne. En effet, les collaborateurs s’en soucient de plus en plus. Tous les sondages d’opinion montrent que l’aspect social de l’entreprise dans laquelle ils travaillent est un élément crucial du jugement de leur employeur. Cela est d’autant plus vrai avec les nouvelles générations pour lesquels les valeurs de l’entreprise sont un élément déterminant de leur choix de carrière. Un bon impact social implique un plus grand attachement à l’entreprise de la part des salariés. Ils apprécient le côté éthique en soi de leur employeur, sont fiers d’appartenir à leur organisation et sont rassurés sur les agissements qu’ils pourraient recevoir de leur entreprise. Un impact social positif est devenu un formidable outil d’attraction, de fidélisation et de développement des collaborateurs. Il est donc temps pour les dirigeants de laisser exprimer leur volonté d’avoir un impact social car le retour sur investissement sera largement positif. Quant aux employés, être exigeant avec l’impact de son entreprise est bon pour cette dernière. Il ne faut donc plus hésiter !

Les impacts sociaux et sociétaux des entreprises existent, ils ne sont pas difficiles à mesurer, ils doivent être pris en compte dans la création de valeur des entreprises. Ewan OIRY, Professeur en GRH, ESG-UQAM, Montréal, Québec

71Bien que de nombreuses personnes tentent d’argumenter que les entreprises ont comme seul impact de faire du profit, une analyse détaillée démontre rapidement que « faire du profit » a toujours des impacts sociaux et sociétaux majeurs. A strictement parler, il n’existe pas de profit qui se fasse sans impacts – positifs et négatifs – sociaux et sociétaux. Ces impacts touchent l’ensemble de la société. Ils concernent les employés dans l’organisation (ils gagnent leur salaire, parfois leur identité sociale grâce à leur travail, ils peuvent aussi y perdre leur santé). Ces impacts existent également pour les employés lorsqu’ils sont à l’extérieur de l’entreprise (par exemple, leur travail constitue une des influences majeures de leur comportement en tant que citoyens). Ces impacts sont également réels pour l’ensemble de la société. Les citoyens sont clients ou fournisseurs de cette entreprise ou, plus largement, ils partagent des ressources (environnementales, structurelles – comme les réseaux routiers, etc.) avec ces entreprises. Ces impacts sont multiples et difficiles à quantifier mais la recherche en comptabilité a démontré qu’ils ne sont pas difficiles à inscrire dans les bilans comptables des entreprises. C’est la fonction même de la comptabilité de quantifier des phénomènes difficiles à quantifier. C’est lorsque le décompte est difficile que la comptabilité est utile. Il n’y a pas d’obstacle fondamental qui empêcherait la quantification de ces impacts sociaux et sociétaux. Le bilan comptable d’Apple contient un actif majeur, ce que les comptables appellent le « goodwill », c’est-à-dire combien « rapporte » à Apple la « bonne » réputation de cette entreprise et de ses produits… Ce goodwill varie à la hausse ou à la baisse. Il n’est bien sûr pas facile à évaluer (encore moins dans ses variations !) mais les comptables sont parvenus à construire un compromis acceptable pour tous sur la manière dont cet actif peut être pris en compte dans le bilan comptable de cette entreprise. Il est donc parfaitement envisageable de procéder au même type de mesure et d’analyse pour l’ensemble des impacts sociaux et sociétaux – positifs comme négatifs – des entreprises. Le travail est imposant mais, en commençant par les impacts les plus importants, rien ne l’empêche. Il demande de la réflexion et du travail mais il est réalisable. C’est donc une volonté politique des entreprises (et/ou des Etats ?) qui est aujourd’hui nécessaire : les entreprises peuvent – et doivent – intégrer dans leur bilan comptable les impacts sociaux et sociétaux de leurs activités !

Impact social : une culture de moyens plutôt que de résultat ? Gwenaëlle ORUEZABALA, Maître de Conférences HDR, Université de Nantes

72S’intéresser à l’impact social généré par une entreprise revient à dépasser la seule dimension économique de la valeur et à rechercher les conséquences sociales et environnementales des processus et activités qu’elle met en œuvre. Toutefois, ces activités constituent son objet social, inscrit dans ses statuts. Et si l’objet social de l’entreprise change, le mode d’évaluation de sa création de valeur change également car il n’est dès lors plus possible de mesurer les conséquences des décisions prises sur de simples critères financiers ni de se satisfaire de cette culture du résultat. Les objectifs poursuivis étant de nature différente, leur réalisation s’inscrit dans une perspective collective et de long terme. L’impact social consistant selon le Conseil Supérieur de l’Economie Sociale et Solidaire en un ensemble d’évolutions, d’inflexions, de changements et de ruptures des activités d’une organisation, tant sur les parties prenantes internes qu’externes, la temporalité du processus de création de valeur s’apparente davantage à une culture de moyens.

73Ce sont ces interactions d’une organisation avec ses parties prenantes et l’implication des différents acteurs qui coproduiront à terme des effets sur les individus, sur l’environnement et sur la société en général. Finalement, dans toute démarche d’évaluation d’impact social, le plus important est moins le résultat que les moyens mis en œuvre au service d’une ambition collective d’intérêt général.

L’impact social (sociétal) ? Pas juste une question de carrosserie ? André PERRET, Vice-Président DEVER, rédacteur en chef de MAG.RH

74Parler d’impact au premier degré sans autre qualificatif, correspond souvent à un dommage et aux traces qu’il laisse, en particulier par suite d’un choc. C’est donc, par défaut, plutôt négatif. Pour ne laisser aucun doute l’impact doit être qualifié de positif pour être reconnu comme tel. Maintenant les « bonnes pratiques sociales » d’une entreprise vont faire bouger en plus ou en moins des indicateurs révélateurs pour plusieurs parties prenantes … : Un élément d’évaluation de la valeur financière de l’entreprise. En cas d’entrée en bourse ou de fusion/acquisition, c’est forcément utile ; – Un ajout à la quantification de la RSE dans les annexes au bilan ; – Un supplément de poids à la marque employeur, ça ne peut pas faire de mal… ; – Un argument supplémentaire pour la rétention des talents ; – Un laisser-passer vis-à-vis des ONG et « influenceurs écologistes ». Et bien d’autres encore… A chacune de ces lignes vous pouvez inscrire des « euros » puisque la valeur de l’entreprise s’en trouve modifiée. Des valeurs certes, mais UNE valeur ? Le comportement de l’entreprise sur ces sujets n’est pas qu’une question de carrosserie. Gommer une rayure, assurer le débosselage, repeindre la portière n’a jamais permis à la voiture d’avancer plus vite. En revanche être à l’écoute des parties prenantes, respecter les partenaires sociaux, avoir réellement conscience de la nécessité d’agir pour le bien collectif, devrait permettre de décupler les forces énergétiques du moteur de l’entreprise, et là, oui, la performance sera au rendez-vous.

Un premier signal de la place faite à l’impact social dans la création de valeur de l’entreprise : la modification des enjeux et du contenu du reporting extra-financier. Yvon PESQUEUX, Professeur du CNAM – Chaire « Développement des Systèmes d’Organisation », Hesam Université

75Au-delà de la confiance et de la réputation qui en étaient les enjeux, il s’agit maintenant de donner la preuve d’un engagement tangible et significatif en matière de développement durable. Et au-delà des catégories classiques du reporting (aussi bien financier que non financier) – compliance (conformité au Droit, normes, codes de conduite), explanation (crédibilité des explications aux parties intéressées) et accountability (fiabilité des informations, neutralité de l’audit, comparabilité) – s’ajoutent maintenant trois principes – inclusiveness (consensus à obtenir sur les objectifs avec les « parties intéressées », où l’accent est mis sur la diversité), responsiveness (réactivité et crédibilité des réponses aux « parties intéressées », incluant des indicateurs) et surtout materiality (classement des informations selon le degré d’influence de l’activité sur les « parties intéressées ») qui repose sur la détermination de la pertinence et de la portée d’un enjeu pour un organisme et ses « parties intéressées ». C’est surtout le principe de matérialité qui, avec la formulation d’une matrice de matérialité : – identification des enjeux des « parties intéressées » internes et externes et des impacts matériels de l’activité sur ces enjeux, – spécification et évaluation des risques, – évaluation du niveau d’attente des « parties intéressées » (hiérarchisation des thèmes ESG (environnement, social, gouvernance) que se trouve matérialisée la question des impacts en RSE aujourd’hui. C’est un signal important qui remet en cause son fondement (la RSE des initiatives volontaires) et la manière d’en rendre compte, au-delà de la métrologie et du jeu social de l’audit comptable.

Entreprises à mission, sont-elles les meilleures entreprises POUR le monde ? Elena de PREVILLE, Consultante-formatrice, Chercheur associée à la Chaire ESSEC du changement

76La phrase « on ne veut pas être les meilleures entreprises AU monde mais les meilleures entreprises POUR le monde » citée par Julia Lemarchand, dans son article, publié en novembre 2019 dans L’Echo Start, nous instruit sur ce qui régit le fonctionnement des entreprises, certifiées B Corp, dont le nombre en France atteint une centaine en 2020, comprenant une grande diversité : de start-up aux multinationales. Selon Ning Ly, fondateur de la startup Typologie, la mission première de son entreprise est « l’ambition d’impact ». Une autre entreprise française, la « Camif », dont nous a parlé Catherine Petillon dans l’émission « La bulle économique » (« France culture », mars 2018), stipule pour sa mission : « exercer son activité au bénéfice de l’homme et de la planète ». Ainsi, la « Camif » défend la production locale et responsable, réalisée avec du bois issu de forêts gérées durablement, donc il s’agit d’une mission, dite générique, selon la typologie proposée par K. Levillain (2017). On peut aussi citer cette entreprise comme un exemple de mobilisation des « consommateurs, collaborateurs, fournisseurs, actionnaires et les acteurs des territoires » dans la quête pour l’innovation « de nouveaux modèles de consommation, de production et d’organisation ». La valeur ajoutée de cette mobilisation est vaste, divers auteurs l’ont déjà souligné, voir par exemple Smith et Bumb (article du 24 juillet 2019 sur FSG), notamment, selon eux il s’agit de soutien par les consommateurs des marques qui tentent d’atteindre un objectif en lequel elles croient, ou entre autre l’engagement des employés et leur productivité trois fois plus importante dans les entreprises à mission. La croyance, selon laquelle, le fait d’avoir un but sociétal détourne les entreprises de la recherche de la maximisation du rendement des actionnaires, est en train de changer. Les entreprises qui réfléchissent sur la façon de s’engager sur des questions sociétales, sont de plus en plus nombreuses. La mission, en tant que concept de gouvernance original, comme cela était justement noté par Battistelli (2019), « résonne particulièrement avec l’actualité ». La détermination de sa mission, peut aider une entreprise à réduire ses coûts et accroitre sa productivité, en augmentant l’engagement de toutes les parties prenantes : des investisseurs, des actionnaires, des partenaires, des clients, des collaborateurs, des fournisseurs…, autrement dit, de tous ce qui s’intéressent aux défis sociaux ou environnementaux des temps modernes.

« OK boomers »*, une nouvelle internationale ? Camille RICAUD, MCF, Université de Pau et des pays de l’Adour

77La question sociale ne peut évidemment plus être éludée face aux défis majeurs qui se dessinent pour nos sociétés et nos entreprises. Le formidable développement du néolibéralisme depuis ces 40 dernières années a engendré une triple crise démocratique, inégalitaire et climatique dont les trois aspects sont étroitement liés et les critiques de plus en plus nombreuses. La démocratie d’entreprise semble dans une impasse et le diktat de la rentabilité maltraite les collectifs de travail. La crise inégalitaire, engendrée aussi bien par des politiques d’austérité ou de stagnation salariale menées depuis des années, consacre une mauvaise répartition de cette valeur créée. Enfin, la production de valeur rime parfois avec la destruction irréversible des ressources naturelles et la crise climatique accentue ainsi les deux premières. D’Occupy Wall Street à Greta Thunberg en passant par le mouvement des gilets jaunes ou celui des étudiants de Hong Kong, le social se bat pour son avenir. Par répercussion, le management des entreprises fait face aujourd’hui face à une très forte pression sociale. La place de l’impact social devient donc centrale au moment même nous vivons une pandémie mondiale affectant les économies comme les populations associés à une inquiétante crise sur les marchés financiers. Ainsi, c’est peut-être au management plus qu’à l’économie, de porter aujourd’hui les aspirations et les espoirs de cette nouvelle génération qui monte et nous crie « OK boomers », expression traduisant la ferme volonté de changer notre modèle de société.

78A l’Ouest, rien de nouveau.

L’impact social : une question de survie pour l’Occident. Olivier ROQUES, Maître de Conférences HDR, Aix-Marseille Graduate School of Management – IAE

79Essentiel ! Ou plutôt, il devrait l’être. L’impact social n’est pourtant par facilement mesuré d’un point de vue financier. Les hommes et les femmes qui travaillent restent une source de coût dans le compte de résultat et le « bilan » social n’a jamais réussi à peser dans la balance pour équilibrer les résultats. La quantification de l’impact social est un casse-tête éternel depuis que les marchands italiens du XIIIe siècle utilisent des comptes en partie double. C’est l’impact social perçu qui fait l’attractivité des entreprises pour les candidats au recrutement. En 2020 la France est pratiquement dans une situation de plein emploi pour les cadres. La concurrence pour attirer les talents est forte. Le futur va se jouer dans la génération millénium qu’il convient de séduire pour se doter des nouvelles compétences de la révolution numérique. C’est en étant capable de valoriser leur impact social que les entreprises françaises peuvent transposer la concurrence sur un autre terrain que celui des coûts. Le consommateur serait-il indifférent au fait que le produit ou le bien qu’il achète a été produit par des salariés travaillant 35 h ou 70 h par semaine ? Qu’ils sont couverts par une assurance maladie et chômage ? Que leur entreprise se préoccupe ou pas de leur qualité de vie au travail ? Je pense qu’il est largement temps d’intégrer des critères sociaux au champ de la concurrence. C’est une question d’éthique ; c’est aussi une question de survie économique.

Ethique et profit marchent-ils d’un même pas ? Jean-Pierre SEGAL, Professeur à l’École nationale des ponts et chaussées de Paris

80L’anecdote date un peu, mais la morale de l’histoire vaut toujours. Nous sommes au tout début du millénaire. La DG Entreprise de la Commission européenne réunit à Bruxelles un groupe de travail sur le thème de la responsabilité sociale des petites et moyennes entreprises. L’objectif est de produire un document mobilisateur que viendraient illustrer des exemples de bonnes pratiques pris dans chacun des pays membres. Sur quelle base, se demandent les experts, choisir les entreprises à donner en exemple ? Un tour de table est organisé. « Très facile ! s’exclame le représentant irlandais issu d’une confédération patronale. Choisissons les PME ayant connu ces dernières années la plus forte croissance et fait les profits les plus élevés ! Ce sont forcément elles qui ont le mieux servi leurs clients et leur environnement social ! Ce sont donc elles qu’il convient de sélectionner ! ». L’excellent homme n’osa pas ajouter « Le bon Dieu, lui, les a récompensées » mais ce n’est sûrement pas lui faire injure que d’imaginer qu’il ait pu le penser. La morale de l’histoire ? Le monde managérial anglo-saxon, d’où nous vient aujourd’hui l’idée qu’un lien fort doit unir création de valeur et « social impact », reste fidèle à ses convictions. Ethique et profit ne peuvent dans le long terme que marcher d’un même pas. Les Latins que nous sommes demandent quand même à voir pour croire.

Impact social/sociétal : la complémentarité des actions internes et externes de l’entreprise. Natacha SEGUIN, Chargée d’études, Centre Etudes & Prospective, Groupe ALPHA

81Si la question de l’impact social/sociétal des entreprises n’est pas nouvelle (cf. philanthropie, paternalisme, mécénat…), son acuité a changé de nature. Ce n’est plus seulement un choix moral, soumis à leur bonne volonté, mais une exigence normative, qu’elle provienne de normes issues du droit dur (loi sur le devoir de vigilance des sociétés mère et des entreprises donneuses d’ordre, loi sur la transparence en matière de performance extra-financière, loi sur l’impact des investissements…) ou du droit mou (codes de conduite, chartes d’engagements, accords-cadres internationaux,…). Mais pour qu’une norme se diffuse, il faut qu’elle soit comprise dans son utilité, sa légitimité, sa mise en œuvre et ses résultats. Ce qui pose la question des moyens engagés à cet effet : information et formation ? Consultation en amont sur la mise en œuvre de la norme ? Contribution à la définition des moyens et des indicateurs de suivi ? Ethique du manager ? Protection des lanceurs d’alerte ? Il faut donc s’assurer de la cohérence des pratiques sociales, écologiques internes avec les engagements sociétaux externes pris par l’entreprise. Sur ces bases seulement, les parties constitutives de l’entreprise, et les parties prenantes externes, pourront concilier la création de valeur pour l’entreprise et la création ou la préservation de valeur de l’entreprise pour la société.

Impact social positif : un enjeu pour l’entreprise, un défi pour le dialogue social. Jean-Dominique SIMONPOLI, Directeur Général Association Dialogues

82Au même titre que les questions économiques, industrielles ou environnementales, la question de l’impact social positif dans les entreprises tient une place de plus en plus prégnante dans la création de la valeur de l’entreprise et est regardée comme telle par les investisseurs et les agences de notations. C’est donc une dimension essentielle pour l’entreprise tant en interne qu’à l’externe. Agir pour l’environnement, proposer des dispositifs d’épargne socialement responsable, offrir des situations d’emplois au plus démunis, créer des services pour l’amélioration de la vie quotidienne, offrir des formations pour faciliter l’accès à l’emploi, sont autant d’actions d’une liste non exhaustive recherchées par les entreprises, par le biais de la constitution de fondations, associations ou autres dispositifs, bien au-delà du simple reporting auquel elles sont tenues pour afficher à l’extérieur leurs engagements responsables.

83Cette démarche volontaire des entreprises nécessite de progresser sur la compréhension des enjeux par les parties prenantes de l’entreprise et devrait constituer un formidable levier pour dynamiser le dialogue social dans les entreprises. C’est donc aussi, un enjeu de cohésion interne pour l’entreprise et de création d’une identité collective et d’engagement au projet d’entreprise.

Impact social sur la chaîne de valeur de l’entreprise : Cas de Renault-Tanger-Exploitation. Brahim TEMSAMANI, Enseignant-chercheur

84Il y a quelques années, ce sont les sociétés humanitaires, les fondations, les organismes de bienfaisance, les coopératives… qui étaient à l’origine de la création de la valeur sociale ou sociétale. Aujourd’hui, les entreprises privées et à but lucratif sont jugées non seulement sur leur performance financière, mais également suivant leur performance sociale ou sociétale et surtout à travers leur impact social. Par ailleurs, la question fondamentale qui se pose à ce niveau, consiste à savoir : « Quelle place pour l’impact social (ou sociétal) dans la création de la valeur de l’entreprise ? » Mais, avant de répondre à cette question, il est intéressant de se mettre d’accord sur la définition de l’impact social et la chaine de valeur de l’impact. En effet, l’impact social désigne l’ensemble des conséquences généré par une activité (principale ou secondaire) sur toutes les parties prenantes d’une organisation ou d’une entreprise. C’est également l’ensemble des changements qui sont enclenchés par une organisation et qui ont des conséquences directes ou indirectes sur les porteurs d’enjeu et la société dans son ensemble. En revanche, la chaine de valeur de l’impact désigne un processus par lequel un ensemble de Ressources (humaines, financières, matérielles et immatérielles) est mobilisé pour lancer des Activités afin d’achever des Réalisations tout en obtenant des Résultats satisfaisants par rapport aux objectifs préalablement fixés et générant, de ce fait, des Conséquences sociales, économiques environnementales, etc. Subséquemment, l’impact social généré par une organisation ne se limite pas uniquement à la dimension économique, mais il la transcende pour s’ouvrir sur d’autres directions aussi importantes que les dimensions humaines, politiques, sociétales…A ce propos, et pour ne citer qu’un seul exemple, j’évoquerai le cas de Renault-Tanger-Exploitation (RTE) qui depuis quelques années a lancé un projet structurant et innovant qui s’intitule « Renault Management Way » (RMW). Il s’agit, effectivement, d’une formation de longue durée qui va toucher tout le personnel de l’entreprise, avec un seul et unique objectif : Avoir un code de conduite pour tout le personnel de Renault. L’impact de ce projet sur le comportement du personnel de Renault était extraordinaire dans la mesure où Renault Management Way est devenu le langage commun et harmonisé de tous les managers du groupe Renault partout dans le monde.

85De même, chaque manager avait intégré un comportement de Leader, Coach et Eclaireur. Un Leader, est celui qui va contribuer à l’élaboration de la stratégie de son secteur d’activité, et chemin faisant, participer à la Business Strategy de l’ensemble du groupe Renault ; Un Coach, est celui qui va accompagner ses équipes, les former et les aider à solutionner leurs problèmes au quotidien ; Un éclaireur, est celui qui va faire monter en compétence les membres de ses équipes et les guider afin qu’ils puissent atteindre leurs objectifs individuels, collectifs et organisationnels. Ainsi, l’impact de Renault Management Way sur les Ressources Humaines du groupe Renault était fort intéressant et très significatif puisque tous les managers, et sans exception, géraient les problèmes, animaient les équipes, prenaient les décisions stratégiques et opérationnelles… de façon homogène, commune et normalisée. Ils suivaient, d’ailleurs, les mêmes indicateurs et tableaux de bord pour mesurer et évaluer leur performance, et ce, quels que soient leurs lieux d’affectation ou leurs positions hiérarchiques ou fonctionnelles.

Le renard et la cigogne. Patrice TERRAMORSI, MCF, Université de Corse

86Avec un montant estimé à 502 milliards de dollars (GIIN, 2019), l’encours des fonds à impact ne cesse de croitre. Des entreprises, toujours plus nombreuses, vont alors chercher à attirer ces capitaux. Pour cela, ces dernières sont conduites à orienter leurs choix d’investissements et leurs processus de gestion afin de démontrer leur impact positif sur la société. Finalité, modalités, moyens, tout semble réunis pour relever les défis du développement durable. Cependant, comme l’enseigne la fable du renard et de la cigogne, les propositions les plus attrayantes produisent bien souvent des résultats opposés à ceux espérés. A l’instar du renard, faisant mine d’offrir un repas à grands frais, tout en s’assurant que son invitée ne puisse y accéder, les entreprises, ne pourront espérer concilier durablement leur proposition de valeur avec les attentes des parties prenantes que si elles parviennent à faire dialoguer performance et responsabilité (Hatchuel, 2019). Dans le cas contraire, érigeant une réalité pour soi en réalité en soi, elles devront, tôt ou tard, tel compère renard, s’attendre à la pareille.

Question de sens ou de mesure ? Oumar TRAORÉ, Managing Partner, Optimum International, (Côte d’Ivoire)

87Les entreprises sont tenues d’avoir un impact positif d’un point de vue éthique et sociétal en créant de la richesse bénéficiant au triptyque économie-environnement-société. Les valeurs éthiques constituent la composante centrale de l’identité institutionnelle de l’entreprise. La valeur sociale permet à l’entreprise de s’adapter à son univers, à ses responsabilités et à ses pratiques pour la création de valeurs distinctives et durables pour l’entreprise. En s’inscrivant dans cette dynamique, toute entreprise contribue au développement durable. Loin de constituer un effet de mode, l’indispensable mesure d’impact social d’un engagement sociétal est de créer à la fois de la valeur économique et de la valeur sociale. L’impact sociétal résultant de cet engagement ne relève pas d’une définition unique mais peut être perçu comme un effet, un changement ou un résultat. Les difficultés en matière de mesure de création de valeur, d’évaluation, d’appréciation, constituent une faiblesse donnant la latitude à l’entreprise de choisir le critère qui la met mieux en valeur. En amont, c’est une vision globale, systémique et citoyenne de la santé, et une vraie coordination des données, des pratiques et des acteurs de santé qu’il est nécessaire de faciliter et d’organiser : les institutions, à la base comme au sommet, ont leur rôle à jouer, et aussi, au sein des entreprises et organisations, les partenaires sociaux, employeurs comme organisations syndicales.

Sortir de l’hypocrisie. Gilles VERRIER, Directeur Général d’Identité RH

88La prise de conscience des enjeux auxquels l’humanité est désormais confrontée s’est accélérée. Or parmi les 100 principales entités du monde en termes de revenus, 69 sont des entreprises. Si, comme l’y invitait Milton Friedman, l’entreprise se limite à créer de la valeur pour l’actionnaire en maximisant son profit, elle ne prend pas en compte les externalités négatives qu’elle génère. La question posée est celle de sa contribution au « bien commun », concept introduit par le Prix Nobel d’économie Jean Tirole. Il ne s’agit pas de philanthropie. Créer de la valeur sociétale s’inscrit dans l’intérêt de l’entreprise puisqu’elle garantit ainsi sa pérennisation. Les agences de notation accordent d’ailleurs une place croissante à l’extra-financier. Développer une entreprise sociétale et responsable. Ne sommes-nous pas en train de réinventer la RSE ? « Les démarches de RSE n’ont pas encore montré leur capacité à rétablir un meilleur équilibre entre les parties prenantes. » écrit l’Institut de l’Entreprise. L’ampleur des défis suppose une approche post-RSE ou une politique de RSE augmentée.

89La réflexion sur la finalité de l’entreprise doit s’accompagner de changements dans ses choix stratégiques. Tout projet doit être analysé en amont au regard de ses conséquences pour les parties prenantes. Les indicateurs de gestion ont à être repensés. En prenant en compte ses impacts sociétaux, l’entreprise adoptera une approche centrée sur le développement de la personne au travail, à l’opposé de la notion de salarié-Kleenex.

Politique sociétale et Pay back. Marc VEZZARO, Chef d’entreprise, administrateur OCIRP VIE, président du conseil d’administration COPERNIC

90Oui les politiques sociale et sociétale sont au cœur de la préoccupation des dirigeants d’entreprises. Ces « patrons » ne sont pourtant pas, généralement, reconnus pour leur altruisme. Leurs raisons d’agir comme ils le font doivent donc être recherchées. Par définition un investisseur investit pour en obtenir un retour. De manières historique et classique un investissement est capitalistique en monnaie sonnante et trébuchante et permet la constitution d’un moyen de production. Depuis quelques récentes années l’objectif reste inchangé sur l’accroissement du profit mais les moyens d’y arriver se sont enrichis de deux notions : « L’homme » est devenu un capital, « l’image » est un atout. Elle est surtout désastreuse en cas d’altération. Pour créer de la valeur il faut donc aussi aujourd’hui : – Attirer et conserver les meilleurs collaborateurs avec une politique séduisante qui n’est plus traduite maintenant que par les seuls salaires, – Veiller à être reconnu pour son implication dans les évolutions que connaît la Société dans tous ses aspects (écologie, travail des enfants, ISR, développement durable). L’image sociale et environnementale d’une entreprise est un actif à son bilan.

L’impact social suppose le courage de chacun à développer une vie intérieure. Catherine VOYNET-FOURBOUL, Maître de conférences HDR à l’Université Panthéon-Assas Paris II, Directrice du Master Executive du Ciffop

91Si l’entreprise a pour vocation a minima de fournir un retour à l’effort consenti par ses actionnaires, ses efforts tendent à une certaine durabilité et pour cela elle s’appuie sur l’action humaine organisée. Le fait même que des personnes puissent collaborer ensemble au travers d’opérations extrêmement variées et servir des objectifs de survie, de développement, de mission de l’organisation constitue en soi la base d’un impact social. Parce que les gens se côtoient et opèrent ensemble, parce qu’ils se coordonnent dans des projets, parce qu’ils créent ensemble, ils ont de très nombreuses occasions d’influencer et d’être influencés les uns par les autres dans cet ensemble organisationnel. Cet impact peut être néanmoins plus ou moins profond, plus ou moins intense. Lorsque les entreprises se fondent principalement sur les routines et la formalisation comme il a été observé dans les bureaucraties, on peut observer des personnes en quête de conformité qui parfois développent une rigidité compulsive les soustrayant à la réalité. Cela les conduit à se reconnaître par l’apparence, par l’extériorité, elles sont esclaves de la conformité par manquement du développement d’une vie intérieure comme le souligne Soren Kierkegaard. L’impact social sera plus important lorsque les personnes en entreprise comprendront qu’il est question d’être plus vivant, plus alerte et de sortir de leur zone de confort en lâchant prise de la certitude du contrôle, en refusant de vivre dans la peur, la protection, la défensive et en s’ouvrant à des possibilités créatrices. Cet impact est lié à l’évolution d’un leadership qui caractérise moins l’incarnation d’un leader et résulte davantage d’un processus social par lequel une nouvelle coordination, des buts, des objectifs, des comportements et le changement émergent. Or les conditions d’un impact social sont d’autant plus favorables que les personnes disposent d’espaces de liberté et d’improvisation au sein de l’organisation. Cela souligne l’avènement de mutation profonde impliquant la libération des statuts ; les personnes doivent être affranchies de la nécessité de conserver leur statut et ne pas rechercher à être à tout prix créditées des bonnes idées de leurs équipes. Cela suppose également des conversations libres, des communications permettant que l’on puisse se poser des questions et alimenter un disensus provisoire.

L’impact sociétal, un levier de valeur. Romain ZERBIB, Enseignant-chercheur HDR au Lara/ICD BS, rédacteur en chef de la « Revue des Sciences de Gestion » (RSG)

92Il apparaît aujourd’hui de plus en plus délicat de dissocier « création de valeur sociétale » et « création de valeur financière ». Et ce, pour au moins une raison simple. La vigilance accrue des parties prenantes conjuguée à la puissance des médias sociaux impose à l’entreprise d’établir un lien formel entre son récit, son activité et ses externalités. Sa longévité dépend d’une telle cohérence. Une éventuelle désynchronisation et c’est une crise potentielle. Il est en outre essentiel pour capter les meilleurs talents, les engager et les fidéliser de pouvoir objectiver, démontrer et monitorer un impact sociétal différenciant. Il incarne l’identité de l’entreprise, sa légitimé et son positionnement. Un marché concurrentiel ne saurait tolérer un éventuel impensé dans l’articulation entre création de valeur et impact sociétal. La vision de l’entreprise et son impact sociétal constituent en effet les deux extrêmes d’un même continuum stratégique : celui de la création de valeur.

Quels sont les défis de la mesure de l’impact social de la formalisation de l’éthique ? Rim ZID, Chargée de cours à l’Université de Montréal. Simon DOLAN, A future shaper, a researcher, a consultant, a coach, a global speaker and books writer, President of the board of trustees Global Future of Work Foundation

93Les scandales d’Enron, de Nestlé, de Foxconn, de WorlCom, ou encore la crise économique de 2008-2009, dont nous ressentons encore les conséquences, ont grandement marqué les esprits. Hantés par les scandales et les pratiques non éthiques, la confiance des parties prenantes à l’égard des organisations est profondément ébranlée. Afin d’institutionnaliser et d’intégrer l’éthique dans la culture organisationnelle et dans les pratiques, les organisations mettent en place une panoplie de moyens qui les aident dans cette transformation. L’institutionnalisation de l’éthique n’est pas une panacée, mais bien au contraire un travail de longue haleine qui nécessite que quelques conditions absolument indispensables soient réunies, dès le départ, pour que le changement ait la chance de se mettre en place. Il convient également d’évaluer l’impact social de ses différentes initiatives et de ne pas seulement se préoccuper de la performance économique et financière. Les entreprises soucieuses de se transformer devraient montrer à ses parties prenantes la valeur créée par ses différents programmes de formalisation de l’éthique. La mesure de l’impact social est importante et pertinente, mais elle peut être difficile et complexe en absence de méthodes, d’outils, d’indicateurs, de référentiels et aussi en absence de spécialistes qui accompagneront les décideurs dans cette démarche de mesure de l’impact social.

  1. Responsabilité éducative des entreprises : quel impact social par le développement du capital humain des étudiants du supérieur ? Abdelwahab AIT RAZOUK, Enseignant-chercheur, Brest Business School
  2. L’orientation sociale de l’entreprise : un déterminant de sa prospérité et de sa survie. Alain AKANNI, Professeur, Université Cheikh Anta Diop, Dakar, Sénégal
  3. L’impact social, créateur de valeur. Patrick AMAR, Directeur Général AXIS MUNDI
  4. « Ceci n’est pas une pipe ». Olivier BACHELARD, Professeur EM Lyon Business School, Directeur des relations institutionnelles, campus de Saint Etienne
  5. Impact des entreprises et activités économiques : l’indicateur premier – et sanitaire – de la qualité de l’air. Pierre BEAL, Fondateur et Président de Numtech, Membre du conseil d’administration de Ter@tec, intervenant au Cercle Entreprises et Santé. Anne-Marie de VAIVRE, Fondatrice du Cercle Entreprises et Santé, VP IAS, Partner TITANE ITCWS
  6. Pourquoi doit-on encore se poser la question de la place de l’impact social (ou sociétal) dans la création de valeur de l’entreprise ? Viviane De BEAUFORT, Professeur ESSEC Business School
  7. Création de valeur au sein de l’entreprise : L’impact social en actions ! Togba BEHI, Directeur Central des Ressources Humaines, Compagnie Ivoirienne d’Electricité
  8. L’impact d’un réseau d’artisanes pour la promotion des femmes rurales en Algérie. Lhachimi BENALI, DG et expert consultant en stratégie IT. Abdelkader DJAMAL, Consultant Senior
  9. La bienveillance : un idéal dont l’impact sociétal est bien tangible. Laïla BENRAÎSS-NOAILLES, MCF– HDR, IAE Bordeaux / IRGO – Université de Bordeaux
  10. La grande distribution, vous reprendrez bien un peu d’éthique ? Antoine BERTHEUX, Co-fondateur de F&F Beverages, DBA in progress (IMSG)
  11. L’impact sociétal de la création de valeur de l’entreprise dans le contexte de la pandémie du Coronavirus. Charles-Henri BESSEYRE des HORTS, Professeur Emérite HEC Paris, Président de l’AGRH
  12. La création de valeur : entre actionnariat et innovation sociale. Mustapha BETTACHE, Professeur titulaire en relations industrielles, Département des relations industrielles, Université Laval-Québec
  13. Vers la mesure de la mesure. Marc BIDAN, Professeur, Université de Nantes
  14. Intérêt financiers et réseaux sociaux … de l’entreprise paternaliste à aujourd’hui ? Mireille BLAESS, VP Human Capital, VSLS
  15. Quelle place pour l’impact social, sociétal et environnemental : vers un nouvel stade du capitalisme ? Jean-Pierre BOUCHEZ, Consultant, Directeur Recherches et Innovation, IDRH
  16. On obtient de meilleurs résultats si on partage ! Patrick BOUVARD, Rédacteur en chef de RH info, le Media RH d’ADP France
  17. De l’impact du virus, au virus de l’impact. Romain BUQUET, IMPACT Campus, chercheur entrepreneur, ESCP EUROPE
  18. Oubliez le devoir moral, pensez stratégie et gouvernance. Marie-Gabrielle CAJOLY, Consultante RSE, CorporatEngagement.com, DBA in progress (IMSG)
  19. Après le Bio, en attendant le Vegan, la RSE un business comme les autres. Philippe CANONNE, DRH
  20. Le coronavirus est-il le « game changer » qui remettra l’impact social au centre de la création de valeur ? Nandini COLIN, Partner, Directrice Transformation RH SOPRA STERIA CONSULTING
  21. De l’esprit de finance à l’esprit de finesse. Alain COUGARD, Président Odyssées
  22. Entreprise : réduis ton CO2 ou c’est l’asphyxie ! Thibault CUENOUD, Professeur associé & Dominic DRILLON, HDR, Professeur, Excelia Group
  23. Le poids de la responsabilité sociale perçue des entreprises pour attirer les talents en 2020. Christian DEFELIX, Professeur, directeur Grenoble IAE – Grenoble INP, Université Grenoble Alpes
  24. L’IA et l’impact sociétal et social sont-ils compatibles ? Cécile DEJOUX, Professeur des universités au CNAM et affiliée à l’ESCP Europe
  25. La Terre d’ébène, un exemple de sagesse… Richard DELAYE-HABERMACHER, IMS Geneva
  26. L’impact sociétal positif : un remède efficace à la récession économique. Marc DELUZET, Délégué général OSI
  27. « Impact–santé » et « ressource-santé » des activités économiques et des entreprises : pour une meilleure prise en compte de la valeur fondamentale « santé citoyenne ». Anne-Marie DE VAIVRE, Fondatrice du Cercle Entreprises et Santé, VP IAS, Partner TITANE ITCWS. Lina GENTILE-BAROUHIEL, Spécialiste en Santé au travail, Médecin du Travail, membre des commissions nationales Affaires sociales Pénibilité, RPS
  28. Les parties-prenantes, sentinelles de la PME. Jean-Marie ESTEVE, Gérant de société, Chercheur associé Labex Entreprendre, Montpellier Recherche Management
  29. Soigner les maladies du lien. Jean-Marie FESSLER, Docteur en éthique médicale et en économie de la santé, ancien directeur d’hôpital, des établissements de soins de la MGEN et conseiller de son président, enseignant pour l’ESSEC, les Arts & Métiers et Stanford University
  30. La prégnance sociétale dans la création de valeur de l’entreprise. Damien FORTERRE, Enseignant-Chercheur, Innovation Opérations et Management, ESCP-Europe
  31. Intégrer toutes les parties prenantes. Yassine FOUDAD, Consultant RH, Président AAAS, Enseignant RSE à l’ENSM d’Alger
  32. Le bal des nazes. Jean-Michel GARRIGUES, RH et Développement, BLB Associés
  33. Quelle place pour l’humain dans la nouvelle organisation du travail ? Alain GOSSELIN, Professeur honoraire, HEC Montréal
  34. Vers un dialogue social de qualité ? Impacts multidimensionnels… Olfa GRESELLE-ZAÏBET, MCF, LIRSA-HESAM, CNAM Paris
  35. Prise en compte de l’impact social dans la création de valeur : une gestion des paradoxes ? Amaury GRIMAND, Professeur des Universités, IAE Nantes
  36. Purpose driven, value led: For a greater societal impact. Stefan GRÖSCHL, Professor, Department of Management, Founding Co-Chair Leadership and Diversity, ESSEC Business School
  37. Et s’il était encore temps de faire de la place à de nouveaux équilibres ? Delphine GUYARD MEYER, Consultante RH & management, Equation RH
  38. Impact social et performance : un binôme inséparable. Dalila HAWARI, Gérante HAWARI Firm
  39. L’impact sociétal des entreprises : le pacte social des parties prenantes de l’entreprise pour une création de valeur plurielle. Arnaud LACAN, Professeur KEDGE Business School, Titulaire de la Chaire AGIPI KEDGE « Le travail indépendant et les nouvelles formes d’entrepreneuriat »
  40. Comment les entreprises détruisent de la valeur. Hubert LANDIER, Expert indépendant, vice-président de l’Institut international de l’audit social et professeur émérite à l’Académie du travail et des relations sociales (Moscou)
  41. Pas d’impact social positif sans une révolution du leadership ! Yves LE BIHAN, Chercheur associé Chaire ESSEC du Changement, Président de l’Institut Français du Leadership Positif
  42. Bien faire ET faire du bien. Carole LEBLOND, Candidate à la maîtrise ès sciences de la gestion ESG UQÀM. Nathalie LEMIEUX, Professeure ESG UQÀM, Montréal, Québec
  43. L’impact social (ou sociétal) dans la création de valeur de l’entreprise : la pertinence des méthodes n’a pas la priorité. Hadj NEKKA, MCF HDR, Université d’Angers (IUT-GRANEM)
  44. La création de valeur à la croisée des chemins : entre évidence et défiance. Jean-François NGOK EVINA, Professeur Titulaire Cames, Agrégé en Sciences de Gestion, Université de Douala Cameroun
  45. Quand les réseaux informels des salariés dans l’entreprise créent de la valeur en Afrique. Raphael NKAKLEU, professeur, CERAME, ESSEC, Université de Douala
  46. La GRH, une fonction clé au cœur du processus de création de valeur de l’entreprise. Florence NOGUERA, Professeur, Université Paul Valéry Montpellier 3
  47. Et si les salariés contraignaient leur entreprise à avoir un vrai impact social ? Marc OHANNA, Professeur à KEDGE Business School, Bordeaux
  48. Les impacts sociaux et sociétaux des entreprises existent, ils ne sont pas difficiles à mesurer, ils doivent être pris en compte dans la création de valeur des entreprises. Ewan OIRY, Professeur en GRH, ESG-UQAM, Montréal, Québec
  49. Impact social : une culture de moyens plutôt que de résultat ? Gwenaëlle ORUEZABALA, Maître de Conférences HDR, Université de Nantes
  50. L’impact social (sociétal) ? Pas juste une question de carrosserie ? André PERRET, Vice-Président DEVER, rédacteur en chef de MAG.RH
  51. Un premier signal de la place faite à l’impact social dans la création de valeur de l’entreprise : la modification des enjeux et du contenu du reporting extra-financier. Yvon PESQUEUX, Professeur du CNAM – Chaire « Développement des Systèmes d’Organisation », Hesam Université
  52. Entreprises à mission, sont-elles les meilleures entreprises POUR le monde ? Elena de PREVILLE, Consultante-formatrice, Chercheur associée à la Chaire ESSEC du changement
  53. « OK boomers »*, une nouvelle internationale ? Camille RICAUD, MCF, Université de Pau et des pays de l’Adour
  54. L’impact social : une question de survie pour l’Occident. Olivier ROQUES, Maître de Conférences HDR, Aix-Marseille Graduate School of Management – IAE
  55. Ethique et profit marchent-ils d’un même pas ? Jean-Pierre SEGAL, Professeur à l’École nationale des ponts et chaussées de Paris
  56. Impact social/sociétal : la complémentarité des actions internes et externes de l’entreprise. Natacha SEGUIN, Chargée d’études, Centre Etudes & Prospective, Groupe ALPHA
  57. Impact social positif : un enjeu pour l’entreprise, un défi pour le dialogue social. Jean-Dominique SIMONPOLI, Directeur Général Association Dialogues
  58. Impact social sur la chaîne de valeur de l’entreprise : Cas de Renault-Tanger-Exploitation. Brahim TEMSAMANI, Enseignant-chercheur
  59. Le renard et la cigogne. Patrice TERRAMORSI, MCF, Université de Corse
  60. Question de sens ou de mesure ? Oumar TRAORÉ, Managing Partner, Optimum International, (Côte d’Ivoire)
  61. Sortir de l’hypocrisie. Gilles VERRIER, Directeur Général d’Identité RH
  62. Politique sociétale et Pay back. Marc VEZZARO, Chef d’entreprise, administrateur OCIRP VIE, président du conseil d’administration COPERNIC
  63. L’impact social suppose le courage de chacun à développer une vie intérieure. Catherine VOYNET-FOURBOUL, Maître de conférences HDR à l’Université Panthéon-Assas Paris II, Directrice du Master Executive du Ciffop
  64. L’impact sociétal, un levier de valeur. Romain ZERBIB, Enseignant-chercheur HDR au Lara/ICD BS, rédacteur en chef de la « Revue des Sciences de Gestion » (RSG)
  65. Quels sont les défis de la mesure de l’impact social de la formalisation de l’éthique ? Rim ZID, Chargée de cours à l’Université de Montréal. Simon DOLAN, A future shaper, a researcher, a consultant, a coach, a global speaker and books writer, President of the board of trustees Global Future of Work Foundation
Soufyane Frimousse
MCF-HDR, IAE Université de Corse. Rédacteur en chef adjoint de Question(s) de management.
Jean-Marie Peretti
Professeur, ESSEC Business School.
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Mis en ligne sur Cairn.info le 07/05/2020
https://doi.org/10.3917/qdm.201.0091
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