CAIRN.INFO : Matières à réflexion

1Accessible même à ceux qui n’ont pas été initiés à l’étude de la publicité, aux étudiants en début de parcours universitaire ou aux professionnels du domaine de la communication et aux curieux de toute sorte, l’ouvrage explore les différents enjeux économiques, sociaux, culturels et politiques associés aux pratiques et aux discours publicitaires. Il envisage la publicité « en tant que phénomène communicationnel au carrefour entre commerce, culture et société » (p. 5). Présentant de manière claire et concise les principales approches théoriques et méthodologiques en sciences de l’information et de la communication ainsi que les apports d’autres sciences humaines et sociales (sciences du langage, sociologie, anthropologie, psychologie sociale, sciences économiques, marketing, sciences de gestion, droit, littérature, histoire de l’art, etc.), Simona De Iulio retrace les temps forts de l’étude de la publicité à partir des années 1950 jusqu’à maintenant et définit ainsi des « parcours » transdisciplinaires pour l’appréhension de l’univers publicitaire.

2Afin de circonscrire la publicité en tant qu’objet de recherche, l’auteure introduit l’ouvrage en abordant l’évolution sémantique du terme publicité et de ses dérivés tels publicitaire et pub ainsi que les mutations associées aux pratiques publicitaires, qui sont parfois restreintes à la diffusion des messages brefs sur des espaces médiatiques déterminés et payants, parfois élargies à « l’ensemble des techniques de communication employées pour faire connaître et faire valoir un produit, un service, une organisation ou une idée » (p. 7). Le livre est organisé en trois grands chapitres consacrés respectivement à la publicité en tant que message et artefact, à la publicité en tant qu’industrie et à ses mutations plus récentes à la fois en termes socio-économiques, discursifs et culturels.

3Le premier chapitre est guidé par une question initiale empruntée à Roland Barthes : « Comment le sens vient aux messages publicitaires » ? Il décrit trois tournants de l’étude de la publicité : sémiotique, contextuel et pragmatique. En synthétisant les apports de la première phase du tournant sémiotique, débutant à la fin des années 1960, Simona De Iulio met en lumière les contributions d’auteurs incontournables comme Roland Barthes et Umberto Eco, ainsi que celles de chercheurs moins connus en France comme Varda Leymore – qui montre que le discours publicitaire obéit aux règles gouvernant les mythes – ou encore Judith Williamson – qui explore l’imaginaire publicitaire et interroge les relations des individus avec leurs objets. De la seconde phase du tournant sémiotique durant les années 1980, l’auteure retient les travaux de Jean-Marie Floch qui, inspirés du structuralisme greimassien, analysent les schémas narratifs et les systèmes de valeurs constitués au sein des messages et dont les grilles analytiques sont reprises dans le cadre d’autres recherches en communication et marketing. Simona De Iulio souligne que les études sémiotiques ont permis d’attribuer une fonction culturelle à la publicité, en tant que vecteur de valeurs associées à l’idéologie capitaliste, dépassant ainsi une approche psycho-sociale très répandue dans la période de l’après-guerre qui envisageait la publicité comme un outil obscur de manipulation.

4À partir des années 1990, une attention particulière est portée aux contextes (médiatiques, discursifs, sociaux) dans lesquels les messages publicitaires se manifestent, marquant ainsi ce que l’auteure appelle le tournant contextuel. Ce dernier a permis d’envisager la publicité comme résultant d’une coproduction de sens entre énonciateur et énonciataire, de penser le « contrat de communication » publicitaire ainsi que d’observer le message publicitaire non seulement comme le résultat d’un processus interprétatif mais aussi « comme un espace où des phénomènes sociaux sont façonnés » (p. 30). Enfin, inspiré des travaux du philosophe anglais John L. Austin, le tournant pragmatique de la fin des années 1990 questionne la dimension performative des messages publicitaires : comment ces messages agissent-ils ? Simona De Iulio montre que, au-delà des mécanismes rhétoriques, l’approche pragmatique, quand elle est combinée à une perspective sociologique d’héritage goffmanien, permet d’envisager la consommation comme un rituel social, le discours publicitaire encourageant l’identification des consommateurs à ce récit marchand et à ses personnages. En ce sens, la communication publicitaire légitime le système de production, rassure les consommateurs et consiste en un « dispositif agissant » qui lie l’offre à la demande. Ce chapitre ne montre pas seulement les différentes approches théoriques qui se sont intéressées aux parcours interprétatifs du message publicitaire, mais aussi les démarches méthodologiques qui ont servi à ces approches, leurs caractéristiques et leurs limites : de l’analyse de contenu (destinée à des corpus nombreux) combinée avec des instruments qualitatifs issus de la sémiotique jusqu’à l’analyse comparative dans des contextes transnationaux.

5Le deuxième chapitre permet de comprendre la publicité en tant qu’industrie, « c’est-à-dire en tant qu’ensemble d’acteurs, pratiques, règles de conduite » (p. 45). Simona De Iulio met en exergue les différentes interprétations des motivations ayant entrainé le développement de l’industrie publicitaire dans la seconde moitié du xixe siècle, en avançant trois sortes de motivations. La première serait celle des patrons qui utiliseraient la publicité afin de conditionner les travailleurs à la consommation de masse en canalisant ainsi leurs révoltes. Cette interprétation a pourtant été questionnée car, bien qu’il soit difficile de nier que la publicité participe à une forme de contrôle social, il n’y a pas suffisamment de preuves montrant que les industriels utilisaient des messages publicitaires de manière calculée pour contrôler leurs ouvriers et minimiser de possibles agitations au sein des usines. Compte tenu de la mécanisation des systèmes de production et de l’augmentation de l’offre mise à disposition dans les marchés qui se ont eu lieu à cette époque, la deuxième motivation pour le développement de la publicité serait sa capacité à contourner le déséquilibre entre l’offre et la demande en créant des « besoins » et désirs dans le but de régler le marché. La troisième motivation résiderait dans le fait d’envisager la publicité comme un outil commercial capable de rapprocher producteurs et consommateurs et de déterminer ainsi de nouvelles relations dans l’appareil de distribution qui se dispenseraient de la figure du vendeur.

6L’ouvrage rappelle les critiques majeures que l’École de Francfort a adressées à la publicité. Selon Theodor W. Adorno et Max Horkheimer, la publicité joue en rôle central dans l’industrie culturelle : elle empêche l’entrée de nouveaux concurrents sur le marché et contribue à afficher la puissance industrielle des monopoles ; elle charge les produits des valeurs et régule la relation entre individus et marchandises ; tout comme les productions de l’industrie culturelle, elle emploie des techniques manipulatoires qui n’encouragent pas le raisonnement critique mais visent plutôt une aliénation des individus. Jürgen Habermas affirme également que la crise de l’espace public et démocratique a été en partie entraînée par la commercialisation des espaces publicitaires au sein des journaux, conduisant inéluctablement à des conflits en matière de financement et à des transformations dans les pratiques de production journalistique. En écho à cette logique d’uniformisation des produits culturels dénoncée par l’École de Francfort, les recherches autour de la publicité transnationale, quant à elles, ont constaté une américanisation de l’industrie publicitaire dès les années 1950, identifiée comme une nouvelle forme de colonisation passant par les médias de masse et mettant en danger la diversité culturelle. Des auteurs comme Armand Mattelart et Simona De Iulio dans ses travaux précédents ont cependant montré que cette américanisation n’a pas fonctionné de manière unilatérale car elle réveille des logiques de reterritorialisation ou de relocalisation, intéressantes pour une réflexion autour des représentations culturelles et des représentativités locales, nationales et transnationales. Simona De Iulio achève le deuxième chapitre en revenant sur des travaux consacrés aux métiers de la publicité : des enquêtes ethnographiques menées au sein des agences, des études portant sur la formation universitaire des professionnels ainsi que des recherches sur les relations entretenues entre les champs professionnel et académique permettant aux publicitaires d’articuler des savoirs théoriques et empiriques.

7Le troisième chapitre interroge les limites de l’activité publicitaire actuelle. En premier lieu, il revient sur la place de la publicité dans les industries créatives et culturelles malgré ses enjeux marchands. L’auteure signale que cette place peut être justifiée dans la mesure où l’industrie publicitaire assure une production de contenus médiatiques et culturels divers (documentaires, web séries de marques, reportages, etc.) que les professionnels du domaine désignent souvent comme du brand content ou de la communication marketing intégrée. Ainsi les frontières deviennent-elles de plus en plus floues entre une communication strictement marchande et une communication aux ambitions informatives ou divertissantes. En deuxième lieu, est interrogée la publicité en ligne, capable de proposer des messages de plus en plus ciblés grâce aux données recueillies. Cette publicité sur l’internet implique davantage le consommateur dans la production et la circulation des messages, implication qui demeure cependant partielle, les annonceurs souhaitant garder la maîtrise du dispositif énonciatif. Sont enfin relevées des pratiques de collectionnisme et de patrimonialisation de la publicité et la manière dont la publicité participe à une mémoire collective partagée au sein des sociétés. Ainsi les artefacts publicitaires laissent-ils de côté leur intention marchande pour devenir des témoins d’une époque et d’une manière de vivre.

8L’ouvrage a le mérite de s’appuyer sur plus de 250 références bibliographiques, comprenant aussi des thèses de doctorat récemment soutenues. Sans se restreindre aux travaux académiques français et étrangers, à plusieurs reprises, l’auteure met également en perspective les problématiques suscitées par la presse professionnelle en soulignant les liens historiques entre publicitaires et universitaires. L’intérêt de l’ouvrage réside notamment dans la manière dont il retrace les différentes perspectives disciplinaires pour l’étude de la publicité tout en tissant des liens entre les points de vue adoptés dans les recherches au long de la seconde moitié du xxe siècle jusqu’à nos jours. De ce fait, le livre encourage pertinemment les prochains travaux à porter un regard analytique transdisciplinaire afin de rendre compte de la complexité des enjeux commerciaux, sociaux et symboliques intrinsèques à l’activité publicitaire.

Lorreine Petters
CIM, université Sorbonne Nouvelle-Paris 3, F-75005
lorreine.petters[at]gmail.com
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Mis en ligne sur Cairn.info le 15/11/2019
https://doi.org/10.4000/questionsdecommunication.20557
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