CAIRN.INFO : Matières à réflexion

1Le présent ouvrage intervient dans un contexte marqué par une nouvelle approche de la démocratie, à savoir : l’égalité-parité. Où en est-on véritablement en ce qui concerne le domaine politique en France ? C’est la question au cœur de l’ouvrage de Marlène Coulomb-Gully, professeure en sciences de l’information et de la communication à l’Université Toulouse-Jean-Jaurès, spécialiste du genre, des médias et de la politique et membre du Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes. Composé de six chapitres, l’ouvrage dresse un état de la situation de la gent féminine dans le monde politique, réputé être « un bastion du sexisme ».

2Dans le premier chapitre, « Partage des places, mais pas du pouvoir », l’auteure interroge la place des femmes dans l’espace public. Elle constate que la gouvernance politique axée autour du discours sur la parité a favorisé l’apparition de la femme partout dans la vie politique. Ainsi, depuis quelques mandatures, les gouvernements obéissent-ils à des logiques paritaires, c’est-à-dire au même nombre de places entre hommes et femmes. Selon elle, il s’agit en réalité d’« une parité en trompe l’œil » (p. 10). Ceci dans la mesure où « les hommes ont bien du mal à partager le pouvoir ». Pour étayer ses dires, Marlène Coulomb-Gully multiplie les exemples, allant des ministères régaliens aux élections européennes. Tout cela relève de la « résistance au partage du pouvoir avec les femmes » (p. 11). Elle souligne le fait que, malgré les avancées, les femmes peinent à s’imposer et qu’il existe toujours des bastions d’hommes notamment dans le domaine politique, marqué par l’« entre-soi masculin » (p. 15).

3Dans le chapitre suivant, « Brève histoire de l’exclusion politique des femmes », l’auteure propose une généalogie de la mise à l’écart des femmes dans la sphère politique. Souvent présentée comme pays des droits « de l’Homme », la France apparaît comme un pays où les femmes ont obtenu très tardivement le droit de voter et de se présenter à des élections (p. 19). Contrairement à d’autre pays comme la Finlande, la Norvège, la Nouvelle-Zélande ou l’Australie, la France a marqué un retard dans l’intégration des femmes. À en croire l’auteure, cela s’explique par le fait que, en France, la domination masculine s’est installée de façon durable et qu’elle n’a pas laissé assez de place pour l’émancipation de la femme. Elle ajoute que le caractère sacré de la monarchie et de la « prétendue loi salique » (p. 20) sont autant d’éléments qui ont favorisé l’exclusion des femmes de la sphère politique. Mais cela ne veut pas pour autant dire que rien n’a changé. L’auteure fait savoir que l’émancipation des femmes s’est faite progressivement. Déjà, peu avant la Révolution, puis lors de la Révolution, période au cours de laquelle les femmes ont initié des combats afin de mettre un terme à la « République des mâles » (p. 23). L’auteure mentionne aussi les années 1990 marquées par la bataille de la « parité », terme qui a remplacé celui de quota (p. 25) jusque-là répandu dans l’espace public.

4Ce retour historique terminé, le chapitre « En avoir ou pas : une culture politique sexiste » met l’accent sur les discours sexistes à l’égard des femmes. S’appuyant sur des déclarations d’hommes politiques à l’encontre des femmes, Marlène Coulomb-Gully tente de faire comprendre que la conception du pouvoir est toujours perçue par le prisme masculin. Elle estime qu’il y a « un imaginaire collectif » (p. 29) qui est constitutif de la virilité de l’homme de pouvoir. Ainsi le métier politique est-il considéré comme une affaire d’hommes ; il en est de même pour le « sexe du pouvoir » (p. 32). L’auteure explique que si les femmes ont du mal à assumer et à assurer des rôles longtemps pensés et incarnés par des hommes, c’est justement à cause du discours de stigmatisation et des « représentations communes » des hommes à l’égard des femmes. Toutefois, Marlène Coulomb-Gully constate que ces discours stigmatisants ne se limitent pas seulement à la sphère politique. On les retrouve dans le domaine de la mode, notamment dans le débat autour « jupe ou pantalon » pour les femmes. L’auteure déplore que ce qui « devrait être un détail […] se trouve de fait investi d’une forte signification » (p. 35). Elle estime que le vêtement, ici la jupe ou le pantalon, est « l’un des signes extérieurs les plus manifestes de la différence homme-femme (comme de la classe et de l’âge) » (ibid.). Dès lors, se pose la question du type de vêtement à porter par les femmes afin qu’elles soient considérées et/ou acceptées dans le champ politique. Mais le constat de l’auteure est clair : « Quoi qu’il en soit, les femmes sont toujours renvoyées à leur apparence, qui leur rappelle qu’elles restent des intruses en politique » (ibid.). À ces considérations sexistes, s’ajoutent le fait que la présence de femmes empêche la politique de continuer à penser au masculin (p. 36). Marlène Coulomb-Gully évoque le cas de la lente féminisation de certains titres, à l’instar de celui de président, qui montre bien la confiscation de certains mots du pouvoir par les hommes. Ainsi « comment la “gouvernante” peut-elle rivaliser avec le “gouvernant” et la “femme publique” avec “l’homme public” » (p. 38), se demande l’auteure. Elle conclut que « la langue participe de l’infériorisation et de l’invisibilisation des femmes » (ibid.) dans le champ politique.

5Le chapitre suivant interroge le rôle des médias dans la pérennisation ou non de la culture politique sexiste. L’auteure fait remarquer que si le discours sexiste à l’égard des femmes persiste dans le champ politique, c’est aussi du fait des médias. Selon elle, « qu’il s’agisse de fiction ou d’information, ils contribuent à fixer le cadre et à rendre pensables (ou pas) certaines réalités » (p. 39). L’argumentaire déployé vise à démontrer que les médias ne sont pas le reflet de la réalité. Pour appuyer son propos, Marlène Coulomb-Gully a recours à un certain nombre d’exemples. Elle estime que, comme dans le monde politique, dans celui des médias, les femmes font l’objet de marginalisation. En effet, les médias ne prennent pas en compte (ou pas assez) le genre et plusieurs tendances lourdes persistent. Ainsi la parole d’autorité apparaît-elle comme une « prérogative masculine » (p. 40) et les femmes « sont majoritairement cantonnées à des rôles reproduisant des stéréotypes éculés qui ne correspondent plus à la réalité de leurs fonctions dans la “vraie vie” » (ibid.). La vision dominatrice sexiste des médias s’explique par le fait que « les journalistes ne mobilisent pas le même cadre de référence pour parler des femmes et des hommes politiques » (p. 41). L’auteure signale aussi que « les poncifs qui servent à qualifier les femmes dans la vie courante étaient également utilisés pour les designer » (ibid.), par exemple la désignation par le prénom, qui est une caractéristique de ce langage : « Il n’est pas rare en effet de voir des journalistes mentionner “Najat ou “Marine”, mais ni “Emmanuel”, “François” ou “Nicolas” » (p. 41) déplore Marlène Coulomb-Gully. Elle estime que « l’usage du prénom est la règle dans la vie privée et dans l’espace intime, son emploi dans l’espace public contribue à décrédibiliser l’action des femmes » (p. 42).

6Après avoir dressé l’histoire et l’état actuel de la situation dans les chapitres précédents, le chapitre « À la conquête du pouvoir » propose des pistes afin de rompre avec la domination masculine et les discours sexistes envers les femmes. L’auteure note que « les femmes sont désormais présentes à tous les échelons de la vie politique… ou presque » (p. 47). Mais il reste qu’elles occupent encore peu de places de pouvoir. Il est donc question d’« en finir avec les seconds rôles ». Un tour d’horizon hors de l’Hexagone permet à l’auteure de faire un bilan des femmes qui occupent ou ont occupé les « premiers rôles » dans le domaine politique. Elle cite notamment Indira Gandhi, Margaret Thatcher, Angela Merkel, Dilma Roussef, qui symbolisent le pouvoir des femmes aux yeux du monde. Conquérir le pouvoir, pour quoi faire ? L’auteure répond à cette question en affirmant que « ce sont bien des femmes qui sont à la manœuvre, quand il s’agit de promouvoir la parité, de protéger les femmes des violences sexiste, de légiférer sur la prostitution ou de favoriser l’égalité professionnelle » (p. 57). Dans le prolongement du précédent, le sixième chapitre (« Domestiquer la politique ») invite à passer à la vitesse supérieure, c’est-à-dire des simples discours aux actions concrètes. Pour ce faire, l’auteure donne des « propositions concrètes et les pistes de réflexion […] qui doivent aussi être l’occasion de repenser le rapport des femmes au politique ». La première concerne la limitation, voire l’interdiction du cumul des mandants (p. 61), ce qui permettrait aux femmes de faire leur entrée dans le domaine politique (ibid.). La deuxième piste fait référence à la « dévirilisation des partis » politiques. Selon Marlène Coulomb-Gully, un parti « viril […] est un parti, tout simplement pensé par et pour les hommes, qui y trouvent le confort de l’entre soi masculin » (pp. 61, 62). Il s’agit alors d’une déconstruction des considérations et des mentalités ; à commencer par le partage avec les hommes le bonheur des tâches ménagères (p. 63). Pour Marlène Coulomb-Gully, domestiquer la politique revient aussi à « faire la politique autrement » (p. 65), en promouvant la « culture de l’égalité » (p. 67). Cela passe aussi par une pédagogie sur « ce qu’être une femme et être un homme » veut dire. Selon l’auteure, « il s’agit de déconstruire les stéréotypes associés au masculin et au féminin promus par les prouesses de socialisation, au premier rang desquels la famille et l’école » (p. 67).

7L’ouvrage se lit comme un plaidoyer en faveur d’une meilleure considération des femmes dans le champ politique. Cet essai pose des jalons sur la route de « l’empowerment » des femmes. Il revêt un caractère (politiquement) engagé, en ce sens qu’il invite à la prise de conscience de la capacité d’agir et d’acquérir du pouvoir par les femmes. La conclusion (« En avant toutes … et tous ! », pp. 69-71) indique qu’il s’agit d’un combat concernant aussi bien les femmes que les hommes. L’ouvrage de Marlène Coulomb-Gully a aussi une visée pédagogique dans la mesure où il explique en quoi notre histoire et notre imaginaire collectif contribuent à cantonner les femmes aux seconds rôles. Cependant, il aurait pu aborder la problématique du sexisme dans le monde politique à partir d’autres contextes, notamment africains où les considérations socioculturelles et politiques ne sont pas forcément les mêmes que celles que l’on observe en Europe.

Simon Ngono
‪Gresec, université Grenoble Alpes, F-38000
ngonosimon[at]‪yahoo.fr‪
Cette publication est la plus récente de l'auteur sur Cairn.info.
Mis en ligne sur Cairn.info le 15/11/2019
https://doi.org/10.4000/questionsdecommunication.20136
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