CAIRN.INFO : Matières à réflexion

1Les super-héros ont une audience importante depuis leur création en 1938 avec Superman. Depuis cette époque, ils n’ont cessé de se multiplier et de se diversifier, donnant à des univers de plus en plus riches et complexes. Dès les prémisses, certains sont ambigus, tel Batman, créé en 1939, qui cherche à se venger de la mort de ses parents. Les super-héros sont donc à la mode : outre, les bandes-dessinées, nous les retrouvons dans des films et des séries, mais également dans les produits dérivés. Ils sont partout présents aujourd’hui. L’intérêt pour ceux-ci s’est même étendu aux « super-vilains », comme le montrent un film comme Suicide Squad, réalisé par David Ayer en 2016.

2S’ils ont un tel succès depuis les années trente, c’est qu’ils nous racontent des choses importantes sur nos sociétés occidentales contemporaines. William Blanc retrace ici l’histoire de ces personnages clés de la culture populaire et les tensions sociales et politiques qui les sous-tendent. L’auteur, un médiévaliste auteur de plusieurs ouvrages forts intéressants (dont, chez le même éditeur : avec Christophe Naudin, Charles Martel et la bataille de Poitiers. De l’histoire au mythe identitaire (2015) et Le Roi Arthur. Un mythe contemporain (2016), offre ici une histoire très politique des super-héros en dix-huit chapitres chrono-thématiques, servie par une écriture fluide et précise. Des super-héros qui peuvent se classer en trois catégories : les mutants, les extraterrestres/les non-humains et les génies de la technologie. ‪L’auteur se penche donc successivement sur Superman, Batman, Wonder Woman, Captain America, Namor, L’Escadron suprême, Black Panther, Luke Cage, Green Arrow, Red Sonja, Howard The Duck, The Punisher, Iron Man et, enfin, Logan. ‪À cela, il faut ajouter une introduction roborative (« Derrière le masque »), un chapitre sur l’évolution de la représentation des super-héros au tournant des années 1960 (« Super-héros : vieilles images, nouveaux usages »), un autre sur le baseball dans les comics (« Base-ball et super-héros : une utopie en forme de diamant »), et enfin, un dernier sur le mouvement LGBTQ (« Super LGBTQ »). Deux personnages étudiés Red Sonja et Howard the Duck, ne sont pas des super-héros : la première est une guerrière contemporaine de Conan le Barbare – elle le sauve plusieurs fois – et le second une figure de la contre-culture. Tous deux font partie de l’écurie Marvel (Iron Man, X-Men, The Avengers, Captain America, etc. pour ne prendre que des exemples transformés récemment en films), qui a tenté dans les années 1970 des ouvertures vers la bande-dessinée contre-culturelle. Les deux sont néanmoins subversifs car ils bousculent les mœurs : Red Sonja en faisant la promotion d’un féminisme guerrier et de l’indépendance de la femme ; Howard The Duck, avec une version politiquement incorrecte (satirique et anarchisante) et pour adultes de Donald le canard de Disney.

3L’ouvrage est judicieusement complété par une bibliographie, qui ne respecte pas les canons habituels du genre certes, mais qui est haut-combien ludique et érudite. Enfin, chaque chapitre est assorti de notes et accompagné d’un riche livret iconographique noir et blanc, en plus du livret couleur central de 32 pages. Tous deux sont composés de pages de bandes-dessinées, de couvertures de magazine et d’affiches de cinéma. Ils viennent judicieusement appuyer l’argumentation de l’auteur : William Blanc explicite le contexte politique de leur création et les variations symboliques suivant les époques. Il est également précédé par une préface d’un autre grand spécialiste de la bande-dessinée, Xavier Fournier.

4Le principal intérêt de cet ouvrage est d’analyser, dans leur contexte historique d’énonciation, les sous-entendus politiques, voire les propos explicites, en particulier progressiste (Superman, Captain America, Green Arrow, etc.) féministe (Wonder Woman, Sonja), antiraciste (Black Panther, Luke Cage) et même écologique (Namor), de certains personnages de bande-dessinée relevant du registre des super-héros. En effet, William Blanc montre que ces personnages, étrangement vêtus et aux pouvoirs extraordinaires – enfin, pour certains d’entre eux – ne sont pas que divertissant. Leurs créateurs ont voulu coller à l’histoire immédiate des États-Unis et aux débats nationaux. Ainsi, Black Panther et Luke Cage renvoient aux combats pour les droits civiques des Afro-Américains, Captain America est en lien avec le républicanisme américain, Green Arrow est sensible aux conditions sociales des plus modestes, Wonder Woman, dans le contexte de la Seconde guerre mondiale, montre que les femmes peuvent se prendre en main et combattre, Red Sonja contrebalance le discours viriliste de Conan, etc.

5Il traite également de personnage moins positif, comme Namor, The Punisher Iron Man, ou Logan. Le premier, créé en 1939 et ayant réapparu dans les années soixante, est un Atlante qui souhaite se venger de l’Humanité qui a pollué son monde aquatique. Petit à petit, il prend une autre dimension, notamment un aspect anticolonial : il souhaite se venger du « peuple blanc » ; le deuxième, créé en 1974, est un ancien agent de la CIA qui cherche, encore, à se venger de ceux qui ont tué sa famille. Progressivement, il prend l’aspect d’un justicier, aux méthodes brutales, dans la continuité d’un Harry Callahan (le célèbre Inspecteur Harry). L’auteur montre comment ce personnage, ou plutôt son logo (un crâne stylisé) a été repris par les militaires se battant au Proche-Orient, voire par des mercenaires proches de l’extrême droite. Le troisième, Tony Stark, est un magna de l’industrie militaro-industrielle, faussement superficiel et ingénieur génial, créateur d’une armure qui le transforme en super-héros. Son image négative vient de l’origine de sa fortune : la création et la vente d’armes… De playboy à la virilité assumée, les spectateurs le voient évoluer vers un homme en proie au doute et qui rejette ses inventions meurtrières. Le dernier, Logan créé en 1974 dans le contexte de la fin de la guerre du Viêt-Nam, est un Canadien né au xixe siècle, aux capacités de régénération époustouflante et qui en fait un quasi-immortel, et possédant des griffes qui sortent de ses mains. Membre d’un groupe secret de l’armée, il est volontaire pour une expérience médicale : son squelette est remplacé par de l’adamantium, un métal indestructible, une fois refroidi. Logan est, selon William Blanc, l’anti Captain America : arme de destruction massive, ultra-individualiste, Logan incarne le désenchantement du super-héros. Surtout, lui, le quasi-immortel, meurt dans la mini-série Wolferine : Old man Logan.

6Cet excellent ouvrage est donc plus qu’une anthologie de portraits de super-héros car il nous renseigne beaucoup sur le climat de l’époque où ils évoluent, en ce sens, il s’inscrit à la fois dans le cadre de l’histoire des idées que dans celui des études sur la culture populaire. Il nous informe sur les combats sociétaux des États-Unis : le combat pour les droits civiques, l’émancipation des minorités ethniques, la reconnaissance des droits des homosexuels et de la communauté Queer, le rejet du colonialisme, etc. Il raviva les amateurs de bandes-dessinées comme les curieux.

Stéphane François
francois.stephane21[at]aliceadsl.fr
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Mis en ligne sur Cairn.info le 15/11/2019
https://doi.org/10.4000/questionsdecommunication.19752
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