CAIRN.INFO : Matières à réflexion

1 Avec la crise sanitaire liée à la pandémie du Covid-19 et la période de confinement propice au télétravail, les médias s’appuyant sur des données fournies par les agences immobilières et parfois les notaires évoquent un « exode urbain » pour qualifier la situation en France. Cette information s’appuie sur le nombre croissant de transactions immobilières constatées dans les petites et moyennes villes et parfois jusque dans le monde rural situé dans l’aire d’influence des métropoles. Le nombre de ventes au premier trimestre 2021 dépasse de 6 % celui de la même période en 2019 et l’année 2021 devrait s’achever, comme en 2019 et 2020, sur plus d’un million de transactions. La journaliste du Monde qui donne ces chiffres signale le contraste entre la crise sanitaire et la crise financière de 2008 qui en France avait vu les ventes chuter en passant de 820000 en 2007 à 600000 en 2009 [1]. Difficile pour le moment de confirmer ou d’infirmer l’idée d’un exode urbain massif. Il est toutefois aisé de dire que les transactions immobilières ont plus concerné les maisons individuelles que les appartements. De nombreux articles parus dans la presse entre l’automne 2020 et février 2022 ont signalé le « grand retour du pavillon », l’« appétit pour les maisons et jardins » et le rejet de « la densité des grandes métropoles[2]. »

2 Les chercheurs en sciences sociales qui ne valident pas pour le moment le phénomène de l’« exode urbain [3] » en raison de sa complexité lié à la birésidentialité [4], indiquent la résurgence d’un intérêt favorable pour la maison individuelle par les ménages alors que le positionnement de la ministre déléguée au Logement est différent. Emmanuelle Wargon s’est déplacée en région et ses équipes ont lancé une consultation auprès de 4 000 personnes en vue d’établir des recommandations sur le thème « Habiter la France de demain ». Lors de la présentation de ce rapport le 14 octobre 2021, elle a affirmé que « le modèle d’urbanisation pavillonnaire dépourvu d’espaces publics et qui dépend de la voiture, constitue aujourd’hui un non-sens écologique, économique et social. Il n’est pas soutenable et nous amène à une impasse[5]. » En d’autres termes le point de vue des habitants ne correspondrait pas à celui du gouvernement alors que de nombreux travaux ayant documenté l’étalement urbain peu dense ont démontré le rôle des pouvoirs publics dans la diffusion de la maison individuelle par le biais de subventions en France comme aux États-Unis (Berque, Bonnin, Ghorra-Gobin, 2006).

3 Cet article n’a toutefois pas pour ambition de revenir sur les divergences entre les ménages en quête de la maison individuelle avec la pratique du télétravail d’une part, et d’autre part le point de vue critique de la ministre du Logement œuvrant en faveur d’une transition écologique fondée sur le principe du ZAN (Zéro artificialisation nette) favorable à une densification du tissu urbain et périurbain existant. Il s’agit plutôt de souligner combien la centralité du débat médiatique sur la maison individuelle constatée en France comme aux États-Unis à l’occasion de la crise sanitaire rappelle l’épisode de la crise immobilière de 2008. Deux urbanistes (Christopher B. Leinberger et Alan Ehrenhalt) et un économiste (Richard Florida) tous les trois bien connus du public américain avaient fustigé la maison individuelle au point de la rendre responsable de la crise. Établir un parallèle entre deux crises (2008 et 2020) ayant mis en scène la maison individuelle conduit à privilégier l’hypothèse d’une situation de crise (sanitaire ou financière) comme moment propice pour réactualiser de vieux débats. En d’autres termes la récurrence du débat sur la maison individuelle s’inscrirait dans une forme de résurgence de positionnements idéologiques bien tranchés. L’analyse documente l’impact des deux crises sur le débat de la maison individuelle aux États-Unis.

Le contexte de la crise sanitaire aux États-unis

4 Lors de la pandémie de Covid-19, la maison individuelle a représenté un thème majeur du débat professionnel et médiatique aux États-Unis. Elle a fait l’objet d’une controverse opposant les urbanistes s’inscrivant dans la mouvance du New Urbanism (NU), un courant architectural et urbanistique favorable à la densité urbaine et à la sobriété foncière (Calthorpe & Fulton, 2001 ; Duany & Zyberk, 1992 ; Talen, 2005), à ceux revendiquant la maison individuelle comme mode d’habiter. L’article du New York Times (24/02/2020) intitulé « Density is normally good for us. That will be true after coronavirus, too » a présenté un point de vue différent de celui paru dans le Los Angeles Times (16/04/2020) « Angelenos like their single-family sprawl. The Coronavirus proves them to be right[6]. » L’auteure du premier article, connue pour son positionnement progressiste a mis en évidence l’intérêt de la densité urbaine pour l’offre de soins et la solidarité, pendant que le second reconnu comme le défenseur du « mythe de la maison individuelle » (Ghorra-Gobin, 1997) soulignait les avantages d’un vécu dans une maison individuelle en période de crise sanitaire.

5 Si la thématique de l’exode urbain n’est pas d’actualité aux États-Unis comme elle l’est en France, les chercheurs se sont penchés sur les déménagements en posant la question suivante : « How many Americans actually moved ?[7]. » Faute de données chiffrées relevant de l’American Community Survey (ACS) du Bureau de recensement, en raison d’une distance limitée dans le temps, l’étude menée par le Harvard Joint Center for Housing Studies s’est appuyée sur les données de la Poste (USPS, US Postal Service) pour être comparées à ceux des deux années précédentes (Frost, 2021). En 2018 et en 2019, il y a eu respectivement 31 et 33 millions de déménagements (chiffre incluant des individus, des ménages et des entreprises). L’année 2020 a enregistré 31,96 millions de déménagements. Et en 2021 (entre janvier et octobre), ce chiffre s’élève à 26 millions de déménagements. La crise sanitaire n’aurait pas entraîné une croissance des flux de déménagements en dehors des mois de mars et de décembre 2020.

6 Si les médias insistent sur la maison individuelle, ce constat ne va pas sans rappeler l’épisode de la crise immobilière de 2008 déclenchée par la crise des subprimes de 2007. Cette dernière correspond à la situation ayant affecté de nombreux propriétaires qui se sont trouvés contraints de quitter leur domicile parce qu’il leur était difficile de rembourser les crédits, alors que les prix de l’immobilier étaient élevés au moment de l’achat de la maison. La crise immobilière qui s’est traduite il y a 12 ans aux États-Unis par une baisse sensible des prix de l’immobilier dans certains quartiers a été à l’origine d’un débat public sur la maison individuelle en dehors de toute référence à des données chiffrées.

Retour sur la crise immobilière aux États-unis

7 La crise de 2008 a fait l’objet de nombreux articles scientifiques critiquant le rôle des banques et des agences immobilières (Aalbers, 2012 ; Boulay 2016). Il n’est pas question de faire la synthèse des multiples analyses renvoyant aux multiples facettes de la crise (Rousseau & Béal, 2021). Il s’agit plutôt de souligner l’instrumentalisation de la maison individuelle par trois figures de l’aménagement urbain : l’urbaniste-économiste Richard Florida, l’aménageur Christopher B. Leinberger et le journaliste Alain Ehrenhalt.

8 La « maison individuelle » avait été largement valorisée par les sciences sociales anglo-américaines entre les années 1950 et 1980, avant de faire l’objet de critiques à partir des années 1990 (Burchell, Downs, Mukerji et al., 2002 ; Congress for New Urbanism, 1985 ; Kunstler, 1994). Il lui était notamment reproché de favoriser l’urban sprawl (l’étalement urbain) au détriment de l’environnement naturel. En 2008, la critique resurgit à l’initiative de trois experts de l’urbain, Richard Florida [8], Christopher B. Leinberger et Alan Ehrenhalt qui établissent une corrélation entre la crise immobilière et la maison individuelle. Pour eux, la baisse des prix dans l’immobilier n’aurait concerné que la maison individuelle, une situation qui aurait contraint ses victimes à l’expulsion de leurs logements (Desmond, 2016 ; Duvoux, 2016). Bien que n’ayant pas mobilisé des données chiffrées sur des programmes immobiliers, leurs points de vue reflètent une réflexion mettant en doute l’avenir de la maison individuelle.

Les trois figures de l’instrumentalisation

Richard Florida

9 L’article de Richard Florida publié dans The Atlantic Monthly (2009) fut parmi les premiers à ne pas se limiter aux mécanismes de la crise immobilière et à questionner sa dimension spatiale et urbaine. L’économiste urbaniste établit un parallèle entre la Great Recession (2008) et la Great Depression (1930) pour aussitôt affirmer que la société américaine sera capable de surmonter ces nouvelles difficultés. Il fait preuve d’optimisme et interprète la crise comme le révélateur d’une nouvelle page de l’histoire économique et urbaine dont il importe de saisir les fondements et les ressorts. Il déclare que la crise financière qui a débuté à New York n’a pas effacé le rayonnement de la ville à l’échelle mondiale, en raison d’une économie relativement diversifiée et d’un goût prononcé de ses habitants pour l’innovation. Par contre, la crise a accentué les faiblesses économiques des villes de la Rust Belt, de Cleveland à St Louis ou encore de Buffalo à Détroit. Florida s’interroge alors sur le devenir et le sort des habitants ainsi que sur les choix des autorités publiques sans toutefois y répondre.

10 Dans son argumentation optimiste (et non fondée sur des données) en faveur du rebond de l’économie américaine, Florida emprunte le concept de « spatial fix » de David Harvey (2007), une expression généralement mobilisée par les auteurs influencés par la critique marxiste. Toute étape du capitalisme se traduit par un mode d’ancrage spatial singulier qu’il convient de revisiter en permanence. Si dans la première phase industrielle du capitalisme, l’aménagement urbain s’est caractérisé par la pratique du zonage (séparation entre les lieux de production, les lieux de services et les lieux résidentiels) indique Florida, ce modèle ne serait plus performant pour le capitalisme contemporain où production, consommation et innovation s’imbriquent. Il revient sur sa thèse des « classes créatives » et insiste sur l’avènement d’une économie fondée sur les idées et les connaissances (Florida, 2002). Il revendique le principe de la compacité urbaine pour inclure des aménités urbaines et faciliter les contacts entre les individus, soit un modèle bien éloigné de celui de la maison individuelle. En d’autres termes, la faible densité des suburbs serait peu performante pour le fonctionnement de l’économie de la connaissance.

11 Florida critique également le statut de la propriété associé à la maison individuelle. Il propose de revenir à la location, une modalité qui encouragerait les individus et les ménages à la mobilité résidentielle vers des villes attractives en raison de l’offre d’emplois. In fine, Florida recommande aux acteurs urbains (entreprises, élus et aménageurs) de rechercher la mixité fonctionnelle et sociale : il se fait le défenseur d’un urbanisme prenant ses distances avec le modèle de la maison individuelle pour prôner l’idée de la densification et celle de la réinvention des suburbs. La maison individuelle correspond à une phase antérieure du capitalisme différente de celle centrée sur l’innovation, la création et les échanges.

Christopher B. Leinberger

12 Dans un article publié dans la même revue The Atlantic Monthly (2008) un an avant celui de Florida, l’urbaniste et aménageur Leinberger écrit que la crise des subprimes représente le sommet d’un iceberg. Il spatialise les enjeux de la crise et indique que la société américaine se transforme et que la majorité des ménages ne cherche plus à vivre dans une maison individuelle. Si l’argument est fort, il présente l’inconvénient de ne pas s’appuyer sur des données. En fait Leinberger se contente de faire des prémonitions à la suite de la visite de quartiers de maisons individuelles délaissées par les victimes de la crise immobilière. Il décrit l’état de délabrement des maisons suite aux saisies et à leur abandon par les anciens propriétaires. Il donne l’exemple de Windy Ridge dans la banlieue de Charlotte en Caroline du Nord, d’Elk Grove dans la banlieue de Sacramento en Californie du comté suburbain de Lee en Floride ainsi que d’autres. Pour lui la crise immobilière renvoie à un changement « structurel » de la demande immobilière. En d’autres termes l’évolution des mentalités aurait eu un impact sur la baisse des valeurs immobilières observées pour la maison individuelle. Il ne critique nullement l’attitude des banques qui auraient proposé à des ménages peu solvables d’emprunter, il se contente d’affirmer que la maison individuelle ne serait plus le modèle de l’habiter.

13 Leinberger a intitulé son article « The next slum ? ». Ce qui peut paraître étrange quand on sait que le « slum » fait plutôt référence à l’habitat spontané. Mais peut-être a-t-il cherché à reprendre le terme utilisé par Mike Davis, Planet of Slums, pour attirer l’attention du lecteur. Il se peut également que ce titre ait été choisi par le comité éditorial de la revue. Quoiqu’il en soit le titre ne reflète pas vraiment le contenu de l’article et son auteur ne l’explicite pas. Leinberger fait tout simplement l’hypothèse d’un déclassement des quartiers suburbains périphériques suite à l’abandon des maisons individuelles. Aussi ces derniers ressembleraient de plus en plus à des « inner cities », des quartiers enclavés, éloignés des zones d’emplois et dépourvus de toute forme d’investissement de la part des acteurs publics et privés.

14 Leinberger fait référence à la production cinématographique de Hollywood qui, à travers les séries comme The Sopranos ou Desperate Housewives, évoque désormais le malaise des suburbains au quotidien. Pour lui les suburbs du XXIe siècle n’ont plus rien à voir avec les sitcoms des années 1950-60 célébrant l’accession au « rêve » de la famille américaine (Hayden, 2003). Compte tenu de la situation, il suggère aux promoteurs d’abandonner le modèle de la maison individuelle entourée d’un jardin au profit de l’appartement situé dans un immeuble et localisé dans un quartier répondant aux exigences de l’habitant-piéton soucieux d’avoir accès à des services urbains et enclin à prendre les transports en commun.

Alan Ehrenhalt

15 Dans son ouvrage The Great Inversion (2012), Alan Ehrenhalt reprend les idées de Florida et Leinberger et comme eux il établit une corrélation entre la crise immobilière et la maison individuelle qu’il interprète comme l’expression d’un changement de la demande sociale. Il reprend l’argument de Florida en faveur d’une nouvelle phase de développement centrée sur l’économie de la connaissance. Mais Ehrenhalt n’est pas un économiste et n’explicite pas le poids de cette nouvelle économie dans la production urbaine. Il a recours au concept de « l’inversion » pour qualifier les recompositions spatiales et les transformations démographiques qu’il observe en parcourant les villes et les métropoles aux États-Unis. Si, pour lui, les inner cities ont représenté au XXe siècle les quartiers des exclus (pauvres et immigrés), alors que les banlieues symbolisaient l’accès des classes aisées et moyennes à la maison individuelle, un phénomène d’inversion serait en train de se produire. Il constate que les ménages aisés souhaitent à présent vivre en ville ; une tendance qui expliquerait les processus de gentrification et d’éviction. Quant aux suburbs, elles attireraient des ménages immigrés, comme l’atteste le vocable « ethnoburb » (Li, 2012) ainsi que ceux qui n’ont plus les moyens de vivre en ville, compte tenu de la hausse des prix de l’immobilier.

16 Pour Ehrenhalt, l’urbanité des quartiers dotés d’une certaine densité représenterait un attrait considérable auprès des jeunes et des personnes retraitées prêtes à quitter leur maison en banlieue pour vivre dans un appartement et profiter des aménités urbaines. Il donne de nombreux exemples de villes qui après avoir été aménagées pour répondre à la demande d’une mobilité assurée par la voiture se dotent à présent d’immeubles collectifs. Il fait référence aux travaux de l’École de Chicago du début du XXe siècle qui désignaient le caractère résidentiel des banlieues construites sur le modèle de la maison individuelle pour indiquer qu’un siècle plus tard des emplois sont implantés dans le tissu suburbain. Ce fait ayant été souligné dès 1991 par le journaliste-sociologue Joel Garreau à qui revient l’invention du néologisme « edge city ». En d’autres termes Ehrenhalt souligne l’aspiration des Américains à un mode de vie proche de celui décrit par l’urbanologue Jane Jacobs qui dans les années 1960 et 1970 a défendu la rue et non la maison individuelle comme le fondement de la vie urbaine.

17 Le chapitre le mieux documenté de l’ouvrage d’Ehrenhalt est sans nul doute le dernier intitulé « Urbanizing the suburbs » qui propose de s’éloigner du modèle de la maison individuelle pour insuffler une dose d’urbanité et de densité dans les suburbs. Pour lui la génération Y (Millenials) née entre les années 1980 et 1995 préfère vivre en ville et louer un appartement plutôt que de l’acheter. Il ne parle pas des contraintes socio-économiques des jeunes, mais explique ce changement en faveur d’un choix résidentiel autre pour éviter de se retrouver dans la situation de propriétaires underwater (sous l’eau). Cet adjectif souligne les risques d’un remboursement d’emprunts dont le montant serait supérieur à la valeur vénale du bien, à l’image de la crise des subprimes.

La critique de la maison individuelle aux États-unis : un plaidoyer pour le new urbanism

18 La convergence des points de vue exprimés par trois experts de l’urbain qui spatialisent la crise immobilière souligne combien le modèle de la maison individuelle ne correspond plus vraiment aux exigences du capitalisme contemporain. Leinberger et Ehrenhalt reconnaissent l’influence des idées du New Urbanism[9], ce mouvement d’urbanistes et d’aménageurs qui revendiquent des alternatives à la maison individuelle dans le but d’assurer la valorisation des espaces publics et la sobriété foncière (Duany, Plater-Zyker, Speck, 2000 ; Calthorpe, 2013 ; Ghorra-Gobin, 2014).

19 Comme il a été rappelé à plusieurs reprises, les arguments des trois figures de l’urbanisme évoquant l’impact de la crise financière sur l’avenir de la production urbaine ne reposent pas sur des statistiques de la construction. Leurs critiques de la maison individuelle — le mythe bourgeois de l’habiter remontant au XIXe siècle aux États-Unis — s’appuient sur la thèse de la « classe créative » et l’observation de quartiers de maisons abandonnées. Ehrenhalt fait preuve d’un grand optimisme en affirmant qu’à l’avenir les villes américaines ressembleront plus aux villes européennes. Florida n’attaque pas de front le mythe bourgeois de la maison individuelle mais prône la densité urbaine comme condition inhérente à l’attractivité des territoires parce qu’elle favorise les rencontres et les échanges. Leinberger estime pour sa part que la maison individuelle n’est plus un modèle — comme elle l’aura été — en raison de l’attractivité exercée par les quartiers denses car favorables à la marche à pied.

20 Si la crise immobilière a été favorable à la critique de la maison individuelle, il s’avère difficile d’évaluer l’influence des trois urbanistes sur les décideurs politiques. Il est toutefois aisé de constater qu’une ville comme Minneapolis (Minnesota) en 2018 a été célébrée dans l’espace médiatique pour avoir pris la décision d’autoriser les promoteurs à construire des immeubles dans les quartiers où seules les maisons individuelles étaient jusqu’ici autorisées. Une décision similaire a été prise par l’État de l’Oregon un an plus tard. Les autorités publiques et les promoteurs ont rassuré l’opinion publique favorable à la maison individuelle en affirmant qu’ils répondaient à une forte demande de logements et qu’ils se souciaient des arguments avancés par les écologistes soucieux de préserver l’environnement naturel.

Difficile de conclure en prenant position pour ou contre la maison individuelle

21 Ce parallèle entre deux crises qui se sont déroulées à douze ans d’intervalle et qui sont loin de relever d’une genèse similaire fait le constat de la mise en scène de la maison individuelle dans le débat médiatique. Si aux États-Unis, la première crise a entraîné une critique de ce mode d’habiter, la seconde a cherché à le valoriser. Dans les deux situations, aucun nouvel argument n’a véritablement été argumenté et fondé. La critique de la maison individuelle en 2008 s’est avérée un moyen de défendre la thèse du New Urbanism en faveur de la sobriété foncière. Et en 2020, un point de vue contraire a été présenté pour évoquer cette fois-ci la superficie du logement et la proximité d’un jardin favorisant le contact avec l’environnement naturel.

22 Les deux crises peuvent être perçues comme des moments ayant réussi à réactiver une question de société c’est-à-dire le mode d’habiter tout en optant pour des points de vue opposés. Elles auraient eu en commun le débat médiatique sur la maison individuelle en dehors de données chiffrées. Difficile à ce jour de se faire une idée précise d’arguments contribuant à la réflexion sur l’avenir de l’habitat dans un contexte de transition écologique et solidaire.

Notes

  • [1]
    Isabelle Rey-Lefebvre, « Immobilier : le grand retour du pavillon », Le Monde, 30 juin 2021, p. 14.
  • [2]
    Isabelle Rey-Lefebvre, « Les Français rejettent la densité des grandes métropoles », Le Monde, 15 décembre 2021, p. 22 et « Immobilier : le grand déménagement », Le Monde, 27-28 février 2022, p. 20.
  • [3]
    Une étude du ministère de la Transition Écologique (PUCA) publiée en février 2022 réfute l’expression médiatique d’« exode urbain ». Les chercheurs indiquent qu’il n’y a pas de départ massif des villes vers les campagnes, mais plutôt « un phénomène de desserrement urbain par petits flux ».
  • [4]
    De nombreux ménages auraient acquis une maison individuelle à la campagne tout en conservant leur logement en ville. Le phénomène de la birésidentialité est souligné par l’économiste Olivier Bouba-Olga.
  • [5]
    La citation provient de l’article d’Isabelle Rey-Lefebvre, « Le modèle pavillonnaire au centre d’une bataille culturelle », Le Monde, 27 octobre 2021, p. 36.
  • [6]
    Les auteurs sont respectivement Emily Badger, une journaliste spécialiste de la ville et des politiques urbaines et Joel Kotkin, un chercheur à l’Université Chapman dans le comté d’Orange en Californie connu pour sa thèse en faveur de l’étalement urbain et de la maison individuelle.
  • [7]
    Ce questionnement n’a rien de surprenant dans une société où il est dit que les individus et les ménages se déplacent aisément en fonction du marché du travail.
  • [8]
    Richard Florida est un économiste-urbaniste dont l’ouvrage sur les « classes créatives » paru en 2002 fut largement diffusé aux États-Unis et à l’étranger.
  • [9]
    Voir le site du Congress for New Urbanism, https://www.cnu.org/resources/what-new-urbanism. « La convergence des points de vue exprimés par trois experts de l’urbain qui spatialisent la crise immobilière, souligne combien le modèle de la maison individuelle ne correspond plus vraiment aux exigences du capitalisme contemporain. »
Français

L’article propose d’établir un parallèle entre deux crises, la crise sanitaire de 2020 en France et aux États-Unis et la crise immobilière de 2008 aux États-Unis. Ces deux crises ont en commun un débat sur les modes d’habiter centré sur la maison individuelle. Si les médias soulèvent une question de société, les arguments avancés se limitent à reprendre les termes d’un débat antérieur. La maison individuelle est instrumentalisée au profit d’un plaidoyer confortant des positionnements bien connus.

English

What do the health crisis (2020) and the housing crisis (2008) have in common ? The debate on the single-family house.

The article suggests a parallel between two crises, the health crisis of 2020 in France and the United States and the real estate crisis of 2008 in the United States. These two crises have in common a debate on the modes of living centered on the single-family house. If the media present a social issue, the arguments put forward are limited to repeating the terms of a previous debate. The single-family house is instrumentalized to the benefit of a plea for well-known positions.

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Cynthia Ghorra-Gobin
CNRS-Creda-Iheal / Université Sorbonne Nouvelle
Cette publication est la plus récente de l'auteur sur Cairn.info.
Mis en ligne sur Cairn.info le 20/06/2022
https://doi.org/10.4000/quaderni.2298
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