«Comment, en somme, nommer un fleuve » interroge le québécois Pierre Perrault (1998 : 13) à propos de celui que la géographie courante appelle sans hésiter le Saint-Laurent. Pourtant, ici, les mots cherchent les lieux quand ceux-là se dérobent aux mots et leur échappent, immanquablement. Inventés par ou pour une géographie européenne, attachés à son histoire et ses échelles, ils cadrent mal avec cette Amérique de l’immensité et des temps plus courts. Dès lors, les termes usuels d’une langue issue d’un autre sol n’épuisent pas l’intégralité du sens du fleuve, entendons bien du sens tel que l’auteur le perçoit. Et ce n’est pas tout.
Car comment, encore, rendre compte de la singularité d’un fleuve qui, tout à la fois, pourrait être (1998 : 13) : « tous les autres et lui-même à la fois… » ? Quels mots, en outre, lui conviendraient en ce moment du monde considéré comme celui de sa banalisation ? Faudrait-il réhabiliter les mots d’avant, comme le suggère le texte ? Ou bien en inventer de nouveaux ? Du reste, l’exemple pourrait bien avoir une valeur au-delà de lui-même : Comment préciser l’imprécis ? De sa source à la mer, le fleuve est en effet un continuum d’eau que seuls les mots découpent. Alors même que les animaux s’y trompent : où commence l’eau douce ? Où finit la saumâtre ?
Les relations entre les mots et les lieux ou, plus exactement, leurs imparfaites jonctions ouvrent un vaste champ. Ses déclinaisons sont politiques et tout à fait pratiques pour impliquer le fonctionnement des sociétés (Dégoutin et Wagon, 2018, par exemple), ou bien purement conceptuelles quand les lieux sont à ce point métaphoriques (Kant, 1991, par exemple)…