CAIRN.INFO : Matières à réflexion

Dans ce que Michel Foucault a appelé la « multiplicité d’éléments discursifs » qui composent le discours entre un ensemble de « choses dites et de choses cachées, d énonciations requises et interdites », la ligne de partage entre le requis et l’interdit n’étant jamais figée et rendant possible « des déplacements et des réutilisations de formules identiques pour des objectifs opposés » (1976 : 133). Qu’en est-il du mot et de la discursivité engendrée par la notion de « consentement », ce mot envers lequel Foucault avait exprimé toutes ses réticences à la fin des années soixante-dix ? Lorsqu’en 2007, dans son ouvrage sur le consentement, Geneviève Fraisse fait brièvement allusion à la marginalisation de cette notion par Foucault, elle résume en quelques lignes les arguments du philosophe dans des termes où il est difficile de reconnaître quelque trace de pensée foucaldienne :
Le consentement pourrait être dissocié du contrat. La référence à Michel Foucault et à son analyse du pouvoir est essentielle, bien que la notion de consentement soit en marge de son « herméneutique du sujet ». Quand Guy Hocquenghem l’interviewe à ce sujet, en plein débat sur les conditions de la libération sexuelle, Michel Foucault refuse de débattre du « consentement juridique » (1976 : 113).
Libération sexuelle ? Mais toute l’œuvre de Foucault n’a-t-elle par pour objet, entre autres, la désarticulation de cette notion au fil des volumes de l’Histoire de la sexualité ? Herméneutique du sujet ? Certes, c’est sous ce titre que Foucault consacre un cours au Collège de France en 1981-1982. Mais il suffit d’en lire les deux premières pages pour comprendre que le « sujet » qui intéresse Foucault (qu’il suspend d’ailleurs entre guillemets) n’est en rien le sujet hégélien ni le sujet du droit ou des normes contemporaines; que ce prétendu sujet s’articule dès le départ au « soi » du « connais-toi toi-même », dont Foucault montre d’emblée qu’il désigne un « soi » mortel et qu’il a pour fonction de rappeler « qu’il ne faut donc pas présumer de sa force ni s’affronter avec des puissances qui sont celles de la divinité » (2001 : 6)…

Français

Ce dossier présente trois réactions féministes et non-« universalistes » à l’ampleur mondiale du mouvement #MeToo. En contexte francophone, des voix critiques se sont fait entendre au nom d’une « liberté » républicaine, voix rassemblées sous le label de la « rubrique Deneuve ». Si un certain nombre de prises de paroles ont pu légitimement avoir lieu contre ce qu’il est convenu d’appeler la « domination masculine », il n’est pas certain cependant que, comme l’analyse Laure Murat dans Une Révolution sexuelle ? (2018) se soit écrit dans cette prise de parole « le prologue d’un livre qui commence ». Il n’est pas davantage certain que l’après-Weinstein soit l’occasion, comme elle l’écrit avec optimisme, de « réparer le contrat social ». Comment un contrat social peut-il être établi dès lors qu’une partie du « social » s’articule à ce que Deleuze et Guattari ont analysé comme un ensemble de « groupes assujettis » (par opposition à des groupes-sujets, c’est-à-dire des ensembles non identitaires, par exemple non assujettis à une identité de genre) ? Et comment penser les interstices d’un nouveau féminisme sans continuer à croire au concept binarisant de « domination », que les analyses de Michel Foucault ont revisité de façon convaincante pour lui substituer un tout autre niveau d’analyses, à savoir celui d’une microphysique du pouvoir ? Comment repenser le corps social dessiné par un « après #MeToo » en lui inventant un contre-discours qui ne se laisse pas prendre au piège de notions et de catégories oppositionnelles simplistes ?
Les trois lectures présentées ici émanent de champs disciplinaires différents.
Dans une perspective féministe non binaire qui décrypte les différences majeures entre les mobilisations post-1968 et les luttes présentes, Marie-Dominique Garnier interroge la notion désormais centrale de consentement dans la pensée française, Annie Benveniste revient sur la médiatisation en France de #MeToo un an après, et Monique Selim dévoile les enchaînements sémantiques et conceptuels qui travaillent au succès de #MeToo.

Mots-clés

  • Violences sexuelles
  • consentement
  • médias
  • feminism
  • binarisme
  • minorités
English

The short essays collected here present three feminist, non-« universalist » reactions to the global #MeToo tidal wave. Critical voices in France were raised in the name of the Republican value of liberty in opposition to the movement, forming the so-called « Deneuve tribune ». While #MeToo has been the occasion of a legitimate empowerment of women against masculine domination, one may doubt that the liberation of women’s voices on the subject of abuse will mark the opening of a new chapter in the history of a Sexual Revolution, to quote Laure Murat’s recent essay. Nor is there any certainty that, as she optimistically argues, any « social contract will be restored » in the aftermath of the Weinstein scandal.
How can a social contract be established if the « social » rests on what Deleuze and Guattari haved analyzed in terms of subjected groups (as opposed to subject-groups, groups for example freed from a subjugation to gender identity ?) How can one devise new feminist openings without resorting to binary concepts such as « domination », which Michel Foucault has critically re-addressed as a microphysics of power ? How can a society be reshaped in the aftermath of #MeToo by discourses of resistance to the seductions of reductive categories ?
From different disciplinary angles ranging from anthropology to philosophy and gender studies, the three writers – Annie Benveniste, Monique Selim and Marie-Dominique Garnier – offer a critical genealogy of the #MeToo movement as well as a reflexion on the time convergence constructed by French media. The essays reappraise today’s conceptualizations from a non-binary feminist perspective, highlighting in particular the differences between post-1968 activism and current action.

Keywords

  • Sexual abuse
  • consent
  • media
  • feminism
  • binarism
  • minorities
Marie Dominique Garnier
(UMR LEGS), Professeure au Département d’Études de genre, Université de Paris 8
Annie Benveniste
Anthropologue, MCF-HDR émérite (UMR LEGS)
Monique Sélim
Anthropologue, directrice de recherches émérite IRD (CESSMA Université Paris-Diderot)
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Mis en ligne sur Cairn.info le 20/05/2019
https://doi.org/10.1051/psyc/201947196
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