Ce dossier présente trois réactions féministes et non-« universalistes » à l’ampleur mondiale du mouvement #MeToo. En contexte francophone, des voix critiques se sont fait entendre au nom d’une « liberté » républicaine, voix rassemblées sous le label de la « rubrique Deneuve ». Si un certain nombre de prises de paroles ont pu légitimement avoir lieu contre ce qu’il est convenu d’appeler la « domination masculine », il n’est pas certain cependant que, comme l’analyse Laure Murat dans Une Révolution sexuelle ? (2018) se soit écrit dans cette prise de parole « le prologue d’un livre qui commence ». Il n’est pas davantage certain que l’après-Weinstein soit l’occasion, comme elle l’écrit avec optimisme, de « réparer le contrat social ». Comment un contrat social peut-il être établi dès lors qu’une partie du « social » s’articule à ce que Deleuze et Guattari ont analysé comme un ensemble de « groupes assujettis » (par opposition à des groupes-sujets, c’est-à-dire des ensembles non identitaires, par exemple non assujettis à une identité de genre) ? Et comment penser les interstices d’un nouveau féminisme sans continuer à croire au concept binarisant de « domination », que les analyses de Michel Foucault ont revisité de façon convaincante pour lui substituer un tout autre niveau d’analyses, à savoir celui d’une microphysique du pouvoir ? Comment repenser le corps social dessiné par un « après #MeToo » en lui inventant un contre-discours qui ne se laisse pas prendre au piège de notions et de catégories oppositionnelles simplistes ?
Les trois lectures présentées ici émanent de champs disciplinaires différents.
Dans une perspective féministe non binaire qui décrypte les différences majeures entre les mobilisations post-1968 et les luttes présentes, Marie-Dominique Garnier interroge la notion désormais centrale de consentement dans la pensée française, Annie Benveniste revient sur la médiatisation en France de #MeToo un an après, et Monique Selim dévoile les enchaînements sémantiques et conceptuels qui travaillent au succès de #MeToo.
Mots-clés
- Violences sexuelles
- consentement
- médias
- feminism
- binarisme
- minorités
The short essays collected here present three feminist, non-« universalist » reactions to the global #MeToo tidal wave. Critical voices in France were raised in the name of the Republican value of liberty in opposition to the movement, forming the so-called « Deneuve tribune ». While #MeToo has been the occasion of a legitimate empowerment of women against masculine domination, one may doubt that the liberation of women’s voices on the subject of abuse will mark the opening of a new chapter in the history of a Sexual Revolution, to quote Laure Murat’s recent essay. Nor is there any certainty that, as she optimistically argues, any « social contract will be restored » in the aftermath of the Weinstein scandal.
How can a social contract be established if the « social » rests on what Deleuze and Guattari haved analyzed in terms of subjected groups (as opposed to subject-groups, groups for example freed from a subjugation to gender identity ?) How can one devise new feminist openings without resorting to binary concepts such as « domination », which Michel Foucault has critically re-addressed as a microphysics of power ? How can a society be reshaped in the aftermath of #MeToo by discourses of resistance to the seductions of reductive categories ?
From different disciplinary angles ranging from anthropology to philosophy and gender studies, the three writers – Annie Benveniste, Monique Selim and Marie-Dominique Garnier – offer a critical genealogy of the #MeToo movement as well as a reflexion on the time convergence constructed by French media. The essays reappraise today’s conceptualizations from a non-binary feminist perspective, highlighting in particular the differences between post-1968 activism and current action.
Keywords
- Sexual abuse
- consent
- media
- feminism
- binarism
- minorities