CAIRN.INFO : Matières à réflexion

1Dans un précédent article (Pour n° 226, août 2015), mes impressions de voyage à partir d’une expérience effectuée en Nouvelle-Zélande en 2013 ont donné lieu à une réflexion sur le Wwoofing comme voyage participatif (Perrier, 2015). Officiellement, le WWOOF (World Wide Opportunities on Organic Farms) ou Wwoofing (participation au mouvement WWOOF) est un système où un volontaire, surnommé wwoofeur, travaille, normalement en agriculture biologique, 4 à 5 heures par jour pour un hôte qui doit lui fournir en échange le gîte et le couvert. Il est de fait devenu une pratique touristique alternative au tourisme de masse pour des voyageurs désireux de voyager autrement en s’immergeant dans le pays et en mettant en œuvre des principes plus écologiques.

2Les remarques des wwoofeurs, entendus lors de mon voyage, posent toutefois d’autres questions, à l’image de celles d’Hélène :

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« Le Wwoofing est un business qui n’a souvent rien à voir avec l’agriculture biologique […] quand je wwoofais, j’ai cuisiné, j’ai fait du nettoyage et du jardinage mais rien en agriculture bio, bref, j’ai été exploitée la plupart du temps ».
(wwoofeuse, 2013)

4En écho à ces propos, je souhaite, dans ce second temps d’analyse, interroger la frontière entre tourisme et travail dans ce système de volontariat. Les préceptes d’échanges altruistes et écologiques prônés par le Wwoofing sont-ils réellement appliqués par les différents acteurs qui y participent ? S’agit-il d’une pratique touristique réciproquement profitable aux acteurs du mouvement ou d’un système basé sur l’exploitation d’une main-d’œuvre bon marché, légalisée par le biais du visa vacances-travail ? Le tourisme implique une certaine liberté de mobilité et des activités (récréatives ou non) choisies. Dans le cadre du Wwoofing, la dimension travail de cette pratique corrompt-elle la liberté théorique du touriste-volontaire ?

5Après avoir analysé la complexité des sociabilités observées entre les différents acteurs du Wwoofing néo-zélandais, je me poserai les questions de l’évolution ou de la dérive de ce système en plein essor, qui s’éloigne des principes de départ, tant les besoins en travail en Nouvelle Zélande, comme les demandes des touristes, sont grands et contradictoires.

Les acteurs du Wwoofing, des sociabilités complexes

Respect et dépassement du contrat WWOOF

« On aime que les wwoofeurs se sentent comme faisant partie de notre famille ».
(Mandy, hôte, 2013)

6En tant qu’hôtes, Ian et Mandy m’ont permis de vivre mon séjour de manière indépendante en dépassant les formes de sociabilités formelles que j’ai pu expérimenter avec d’autres. Celles-ci peuvent se limiter en effet à une simple entente cordiale. Arriver chez des inconnus ou accueillir des étrangers ne parlant pas correctement la langue locale sont autant de facteurs qui compliquent l’équilibre relationnel entre les deux parties. Le déroulement de la rencontre et de la vie commune dépend des capacités d’adaptation à un environnement inconnu pour les wwoofeurs et d’intégration d’un étranger dans sa vie quotidienne pour les hôtes.

7Le WWOOF deal (contrat WWOOF) décline les règles élémentaires du déroulement d’un séjour pour les deux parties. Les hôtes doivent loger les wwoofeurs de manière décente, leur fournir de la nourriture en quantité suffisante (deux à trois repas/jour), les faire participer à la vie familiale et/ou de la ferme, veiller à leur sécurité au travail, être à l’écoute des volontaires, transmettre leurs savoirs en matière d’agriculture, etc. (WWOOF New Zealand, 2013). Le versant wwoofeur n’est guère différent quant aux règles sociales (ponctualité, attention, vigilance, etc.) à qui s’ajoute le travail journalier à réaliser. Dans son étude du Wwoofing, Dagmar Cronauer distingue deux grandes dimensions relationnelles : la dimension du travail représentée par le contrat WWOOF et la dimension sociale qui touche au respect des règles de vie en communauté. Ce dernier aspect est complexe et variable, et chaque expérience tient de la négociation des « rôles de chacun lors de la rencontre et [de] l’importance d’établir une relation qui aille au-delà du contrat » (Cronauer, 2012, p. 89).

8Selon mon expérience et celle des volontaires rencontrés, le contrat est généralement respecté par les deux parties et le cadre formel du WWOOF deal est parfois dépassé. Certains hôtes ont été au-delà des normes du WWOOF deal, me faisant visiter les alentours de leur région, comme Brad (viticulteur à Blenheim) qui m’a accompagné pour une dégustation de vin dans les caves avoisinantes. D’autres wwoofeurs ont effectué des sorties de pêche avec leurs hôtes après le travail dans les fjords de la région de Malbourough. Les liens tissés n’évoluent pas obligatoirement vers des relations d’ordre amical car les attentes et les motivations des deux parties peuvent se révéler contradictoires. La plupart des acteurs du Wwoofing se contentent d’entretenir des rapports formels. Le dépassement du contrat ne s’opère que si l’hôte et le voyageur partagent la même éthique du Wwoofing et la même volonté de réciprocité dans leur cohabitation. Ainsi l’exemple de Ian et Mandy, sans être une exception, ne peut être considéré comme une règle pour autant.

Le statut d’hôte, une position privilégiée

9Certains hôtes et volontaires ont aussi vécu de mauvaises rencontres. Ma première expérience en tant que wwoofeur s’est avérée être la pire. Je comptais rester environ deux semaines près de Rotorua, mais mon hôtesse était très condescendante envers « ces jeunes qui ne savent rien faire » (Julianne, hôte, 2013). Ma mission consistait, avec l’aide de deux autres volontaires allemands, Till et Armin, à l’entretien d’un jardin potager bio. Au final, comme notre hôtesse venait de recevoir une livraison d’objets d’artisanat pour sa galerie, nous avons rempli durant deux jours une tâche qui n’avait rien à voir avec le contrat ni l’esprit du Wwoofing. Un jour de congé nous a été accordé le dimanche en guise de reconnaissance mais il a fallu ce jour-là nettoyer l’entrepôt de sa galerie. À l’évidence, notre hôtesse nous considérait comme de la main-d’œuvre gratuite et corvéable selon ses besoins, si bien que j’ai choisi de partir. Ce genre d’aléas m’a souvent été rapporté par les wwoofeurs enquêtés : les mauvaises expériences en termes d’abus de travail (dépassement du nombre d’heures travaillées, incivilités au travail, etc.) sont les plus nombreuses.

10Les hôtes sondés ne font guère état de leurs expériences ratées, du fait de leur faible nombre (deux ou trois sur plusieurs centaines). Julianne et Ann ont dû renvoyer un couple au bout du troisième jour car ils « se croyaient à l’hôtel et étaient paresseux […] Ils se levaient entre 11 heures et midi, ne travaillaient que deux heures dans la journée et n’aidaient jamais aux tâches ménagères ». Ce profil de wwoofeurs qui confond wwoofing et coughsurfing (système d’hébergement gratuit chez l’habitant) est la forme d’abus la plus fréquemment citée par les hôtes. Certains ont eu des problèmes de vol de bouteilles de vin, comme Brad, et d’autres des soucis de tapage nocturne, comme Bob et Jennie.

11Le fait que les wwoofeurs m’aient plus souvent rapporté leurs déboires que les hôtes souligne combien l’équilibre relationnel et pratique entre les deux parties penche en faveur des WWOOF host. « On est hébergé chez eux et parfois ils nous le font sentir, c’est leur toit, leurs règles, et même si c’est normal de respecter les règles imposées par son hôte, ils peuvent parfois abuser de cette position », (Hélène, 2013). Mon séjour chez Julianne témoigne d’une situation, relativement fréquente dans le Wwoofing, où l’hôte dispose de son invité comme bon lui semble, ce qui place ce dernier dans une position d’infériorité. Certes, l’invité peut partir, mais certains ne peuvent faire ce choix quand des contraintes financières les forcent à rester de peur de se retrouver à la porte et sans endroit où dormir. Egalement déçus de leur hôtesse, mes camarades Till et Armin n’ont pu écourter leur séjour au vu de leur budget voyage. Tandis que le wwoofeur s’attache à limiter l’attente entre deux Wwoofing pour éviter de dépenser dans les auberges de jeunesse, l’hôte, lui, n’a pas à se soucier de son logement.

Till (à droite) et Armin (à gauche), mes deux camarades wwoofeurs en train de faire du jardinage à la propriété d’Old Chooks Palace à Rotorua

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Till (à droite) et Armin (à gauche), mes deux camarades wwoofeurs en train de faire du jardinage à la propriété d’Old Chooks Palace à Rotorua

Photos : Mathieu Perrier, 2013.

12Le respect du contrat WWOOF apparaît donc comme une des conditions sine qua non au bon déroulement d’un séjour de Wwoofing autant pour l’invité que pour celui qui l’accueille. Au-delà de la bonne ou de la mauvaise volonté des participants, mes observations ont mis en lumière un système de volontariat dont l’état actuel est souvent éloigné de l’esprit de ses fondateurs.

Les dynamiques d’un système de volontariat, entre succès et ambiguïtés d’un modèle

Le Wwoofing, un acte global

13Ce système de travail volontaire comporte de nombreuses vertus. Les avantages tiennent à l’originalité d’une pratique qui peut allier écotourisme, apprentissage et expérience socioculturelle. Le Wwoofing offre une alternative au tourisme de masse en évitant les réseaux conventionnels de logement (hôtels, campings…) et d’alimentation (restaurants, supermarchés…) et permet d’économiser une part considérable de son budget voyage. Les voyageurs ont l’opportunité de s’imprégner de la culture d’un pays à travers les personnes qui la connaissent le mieux (les autochtones) et de se perfectionner dans la langue locale en optant pour l’immersion dans un environnement exempt de toute autre langue, ce qui est impossible en auberge de jeunesse. Participer au mouvement WWOOF consiste à faire des rencontres, voire à provoquer de nouvelles amitiés : « Pendant mes différentes expériences de Wwoofing, j’ai fait de belles rencontres, des hôtes et aussi d’autres wwoofeurs, j’ai désormais plusieurs pied-à-terre si je veux retourner un jour en Nouvelle-Zélande (Rires)  ! […] J’ai l’impression d’avoir mieux découvert les kiwis (surnom des Néo-Zélandais) et leur culture par le biais du Wwoofing » (Émilie, wwoofeuse, 2013).

14Le volontariat en Wwoofing peut également s’avérer enrichissant au niveau humain, professionnel et même politique puisqu’il veut sensibiliser à une agriculture respectueuse de l’environnement. Le degré de sensibilisation varie de l’initiation d’une semaine à un apprentissage sur plusieurs mois pour les wwoofeurs les plus motivés. Konrad a ainsi séjourné deux mois dans une exploitation d’élevage d’ovins près de New Plymouth pour tout connaître sur la production de laine. Ce système de volontariat peut même servir de tremplin vers la professionnalisation dans l’agriculture biologique. Bob et Jennie ont hébergé à plusieurs reprises des wwoofeurs désireux de s’installer en agriculture biologique, dont un qui est resté environ trois mois, mais « ces types de wwoofeurs sont des exceptions » (Bob et Jennie, 2013).

15Le Wwoofing ne concerne pas seulement l’agriculture mais aussi le jardinage ou l’éco-construction, si bien qu’il s’impose comme un moyen de promouvoir les valeurs de l’écologie pour un public peu initié. Il s’agit d’un acte global qui englobe les sphères du tourisme rural, de la non-marchandisation des services, de la découverte socioculturelle et de l’engagement politique et écologique. Cet ensemble forme une conception alternative aux valeurs libérales mondialisées, incarnées par l’individualisme et la recherche constante du profit. Pour autant, ce système de volontariat, présenté comme alternatif, solidaire et écologique, en est souvent bien éloigné.

Les dérives d’un système

16A mon arrivée à Auckland, en recherchant des hôtes sur le site de WWOOF New Zealand, j’ai constaté que plus de la moitié des hôtes n’étaient pas des agriculteurs et que nombre de fermiers n’étaient pas forcément certifiés dans l’agriculture biologique. Certains hôtes m’ont d’ailleurs avoué n’avoir aucun intérêt pour l’agriculture biologique : « Nous, la bio, ce n’est pas notre truc, nous ne sommes pas contre, mais nous ne le pratiquons pas dans notre jardin […] on n’a pas le temps de s’y consacrer étant donné qu’Ian et moi travaillons entre 50 et 60 heures par semaine » (Mandy, 2013).

17Ainsi mon expérience néo-zélandaise montre un décalage important par rapport aux dernières lettres de l’acronyme WWOOF (Organic Farms : Fermes biologiques) mais aussi au slogan de WWOOF New Zealand : « Living and learning… the organic way » [1]. J’ai été déménageur, cuisinier, baby-sitter et homme de ménage aussi souvent que jardinier et ouvrier agricole. Le wwoofeur allemand, Amin, a été serveur [2] pour remplacer un employé du restaurant de l’exploitation laitière où il wwoofait. Surtout, les descriptifs des activités proposées par les hôtes, visibles sur leur profil, omettent ces aspects ou ne craignent pas de travestir la réalité. Isabel Vineyards, une exploitation viticole où je suis resté trois semaines, affichait une certification BioGro mais sur le terrain, la certification ne concernait qu’une parcelle de 5 ha sur les 60 de l’exploitation. Trois employés, à l’instar de Sebastian, avaient pour mission de passer entre les vignes en moto pour faire fuir les oiseaux durant le mois précédant les vendanges, au lieu d’installer des filets de protection, apparemment trop coûteux.

Sébastian, employé saisonnier d’Isabel Vineyards

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Sébastian, employé saisonnier d’Isabel Vineyards

Photo : Mathieu Perrier, 2013.

18Certes, Wwoofer exclusivement dans des fermes biologiques reste possible à condition d’avoir du temps et de la chance, car la recherche d’un hôte qui corresponde à ses attentes peut s’avérer compliquée. Les annonces de certains WWOOF host portent des critères de sélection tout à fait étonnants : « recherche femmes européennes seulement, interdiction de fumer à l’extérieur, recherche wwoofeurs expérimentés… » (WWOOF New Zealand, 2013).

19Il est vrai que les critères d’adhésion des hôtes à l’organisation sont peu contraignants et le manque de contrôle de la part de l’organisation nationale sur les conditions de séjour des wwoofeurs est notoire. Pour devenir hôte, il suffit de produire une recommandation écrite de deux hôtes appartenant au mouvement et un engagement sur l’honneur de respecter le contrat WWOOF. Quant au système de contrôle des hôtes par l’antenne nationale, il ne se base que sur les commentaires postés sur le site par les wwoofeurs. Mon expérience avec Julianne méritait sans doute une sanction puisque le contrat WWOOF n’a pas été respecté mais « en général, les wwoofeurs mécontents de leur séjour ne se fatiguent pas à poster des commentaires sur le site, ils s’en vont et c’est tout ! » (Julianne, 2013). D’ailleurs l’organisation nationale intervient seulement dans des cas extrêmes de violences ou d’abus sexuels (ibid., 2013). Surtout, WWOOF New Zealand est une association qui se finance essentiellement grâce à l’argent des adhésions si bien qu’elle ne dispose pas de moyens suffisants pour recruter des employés chargés d’inspecter plus de 1 000 localités.

Le Wwoofing : un nouveau mode d’exploitation touristique ?

20Les discours faisant l’apologie du Wwoofing ne manquent pas : ainsi Philippa Jameson, écrivaine néo-zélandaise et militante écologiste, raconte dans son livre, The Wild Green Yonder, son année passée à sillonner son pays en wwoofant dans plusieurs dizaines de fermes d’agriculture biologique. Sponsorisé par Wwoofing New Zealand, l’ouvrage présente un aspect très idéalisé du travail volontaire et ne fait jamais mention de la moindre critique, alors que de nombreux volontaires et moi-même avons eu le sentiment de participer à une forme d’exploitation du touriste transformé en travailleur précaire.

21Le Wwoofing est implanté depuis quarante ans en Nouvelle-Zélande : le succès de la formule est tel que pratiquement aucun kiwi n’ignore le terme, et l’appellation wwoofeur est désormais banalisée au point de désigner tous types de travaux réalisés en échange du logement gratuit. Des sites de travail temporaire, à l’instar d’HelpX, se le sont même approprié pour proposer des emplois non rémunérés aux touristes. Au cours de mon voyage, j’ai souvent dormi dans des auberges de jeunesse qui faisaient appel à des wwoofeurs. Le travail consistait à faire le ménage dans les chambres entre deux et trois heures par jour avec un jour de congé hebdomadaire en échange du logement gratuit. Ces structures respectaient le principe selon lequel le nombre d’heures travaillées était proportionnel au prix du logement. Le salaire minimum en Nouvelle-Zélande s’élève à 13,75 dollars néo-zélandais [3] bruts de l’heure (Ministère du Travail néo-zélandais, 2013) si bien que deux heures de travail correspondent au prix moyen par nuit en dortoir (28 NZ$).

22Ce détour par le salaire minimum pose clairement la question de l’inégalité de l’échange dans le Wwoofing. Avec cinq heures de travail par jour, le wwoofeur toucherait environ 70 NZ$ par jour. Selon les témoignages des hôtes WWOOF, le coût d’hébergement moyen d’un wwoofer s’élève entre 50 et 60 NZ$ par jour, les 2/3 des dépenses provenant des frais de bouche. Dans cette logique, certains ne craignent pas d’affirmer : « Le Wwoofing, c’est une arnaque ! On n’est pas payé pour notre travail ! » (Thomas, wwoofeur, 2013). Sans qualifier le Wwoofing d’escroquerie, son ersatz nommé à contresens par le même acronyme, peut s’avérer plus réciproque en termes financiers que le modèle original. Ce constat questionne le caractère mutuel, mis en avant par les principes du mouvement WWOOF : fournir le gîte et le couvert vaut-il cinq heures de travail journalier ? Si l’on compare les prestations fournies aux wwoofeurs avec le travail effectué, le système est clairement inégalitaire car il se situe en dessous des normes salariales minimales et bénéficie largement à l’hôte.

23De surcroît, l’organisation WWOOF néo-zélandaise a participé à la généralisation de l’emploi du terme Wwoofing puisque depuis le début des années 2000, elle s’est ouverte à d’autres formes de volontariat en créant une deuxième catégorie d’hôtes : les « cultural exchange host ». Cette dénomination floue désigne des hôtes à la recherche de wwoofeurs, peu sensibles au travail agricole mais en quête de rencontres interculturelles. Les activités proposées par ce type d’hôtes varient entre réelles initiatives d’échange culturel (théâtre, animation, musique…) et tâches ménagères. Cette distinction entre les différents hôtes confirme un certain affaiblissement des principes fondateurs du mouvement : en élargissant les critères d’accueil, WWOOF New Zealand peut espérer percevoir davantage de frais d’adhésion.

24Cette généralisation des activités non rémunérées jouissant de la labellisation Wwoofing, va de pair avec l’augmentation des visiteurs étrangers possédant un visa « vacances-travail ». Ce visa, qui permet d’avoir accès à des emplois exclusivement précaires comme ouvrier agricole saisonnier ou plongeur dans un restaurant, est nécessaire pour wwoofer [4]. Les wwoofeurs sont ainsi considérés par le ministère du Travail néo-zélandais comme des travailleurs et non des volontaires. Ce statut à mi-chemin entre volontaire et salarié entraîne une confusion qui place le wwoofeur dans une position où le droit du travail ne le protège pas. La dénomination « vacances-travail », qui tient de l’oxymore, est emblématique d’un système qui alimente la précarité par le biais du tourisme de longue durée. De fait, la Nouvelle-Zélande manque de main-d’œuvre et WWOOF New Zealand et d’autres organismes se chargent de recruter de la main-d’œuvre bon marché qui n’est pas soumise aux mêmes réglementations sur le travail que les nationaux. Cette catégorie de travailleurs volontaires étrangers est sans cesse renouvelée dans un pays qui attire plus de deux millions de visiteurs annuels depuis 2005, dont plusieurs dizaines de milliers de personnes ayant souscrit au visa vacances-travail. Cela permet à l’État de bénéficier des sommes perçues pour le visa vacances-travail (150 NZ$) et aux particuliers et agriculteurs néo-zélandais de faire des économies.

Histoire de wwoofeur : wwoofer en ville ?

À Wellington, j’ai wwoofé une dizaine de jours chez Louise et Brian et leurs deux filles de 5 et 8 ans. Cette expérience de Wwoofing est la plus étrange que j’ai vécue. Certes, j’étais proche du centre-ville ; les enfants étaient adorables ; j’avais droit à une chope de bière faite maison avant chaque dîner avec Brian ; je me levais à l’heure que je voulais et j’ai eu deux journées de libres pour visiter la ville… mais je voulais faire du Wwoofing ! Je devais m’occuper du petit jardin de 300 m2 qui n’était pas cultivé de manière biologique : tondre la pelouse, nourrir les 3 poules et nettoyer le poulailler, aider à réparer leur serre endommagée… J’ai travaillé 10 heures en 10 jours dans des activités de jardin, et le reste du temps, j’étais baby-sitter et aide-ménagère. Mes hôtes ne me donnaient aucun travail si je ne les sollicitais pas. J’avais mis sur mon profil que j’adorais cuisiner et Louise s’est empressée d’inviter des amis à dîner : les invités ont été enthousiastes, Louise et Brian considérant pour leur part que cela faisait partie du contrat. Cette expérience m’a permis d’économiser sur mon budget voyage, mais m’a laissé perplexe en termes de Wwoofing. Peut-on « wwoofer en ville » ?

Conclusion

25Le Wwoofing est-il un système de volontariat solidaire et humaniste ou une nouvelle forme d’exploitation moderne ? S’il est difficile de trancher de manière catégorique, mon expérience me conduit à dénoncer l’évolution d’une pratique associative et touristique qui se voulait solidaire et écologiste vers un système utilitariste et permissif en matière de non-respect du droit du travail [5]. Être wwoofeur, c’est désormais être touriste et travailleur avec des formules de plus en plus éloignées du cadre associatif original : cette dérive appelle l’invention d’un nouveau vocabulaire pour désigner ces nouveaux types de « travail contre logement ». L’organisation WWOOF New Zealand, en protégeant l’utilisation de son acronyme et refusant la banalisation du travail précaire, pourrait ainsi revenir à ses principes fondateurs, ceux d’une association de promotion de l’agriculture biologique. Ce constat met en lumière les difficultés d’inventer de nouvelles formes de solidarités dans un monde ultra-monétarisé où l’individualisme prédomine. Le mouvement WWOOF néo-zélandais ne semble pas capable d’appliquer ses principes à la lettre : l’engagement volontaire est exigeant ; il implique du temps, de la volonté, une éthique et aussi de l’argent ; vouloir le transformer en salariat déguisé sous couvert de participer à une initiative de solidarité aboutit à une aliénation.

Notes

  • [1]
    « Vivre et apprendre à la manière des fermes biologiques ».
  • [2]
    Il était rémunéré au salaire minimum.
  • [3]
    1 NZ$ = 0,57 € en octobre 2015.
  • [4]
    Les statistiques sur le nombre exact de visas vacances-travail délivrés chaque année par la Nouvelle-Zélande ne sont pas disponibles. En 2010, environ 8 000 wwoofeurs avaient demandé ce visa (WWOOF New Zealand, 2013).
  • [5]
    Cette étude du mouvement WWOOF ne concerne que la Nouvelle-Zélande même si plusieurs voyageurs, croisés durant mon périple, m’’ont rapporté des expériences similaires en Australie, autre grande nation du Wwoofing.

Bibliographie/webographie

  • Dagmar Cronauer (2012), Host-Guest relationships in non-commercial tourism settings : Wwoofing in New Zealand, Thèse de Management touristique, Université de Victoria, Wellington.
  • Philippa Jameson (2007), The Wild Green Yonder, New Holland Publishers, Auckland.
  • Ministère du Tourisme et de l’Immigration de la Nouvelle-Zélande (2013), tourism.govt.nz et immigration.govt.nz.
  • Ministère du Travail de la Nouvelle-Zélande (2013), newzealand.govt.nz.
  • En ligneMathieu Perrier (2015), « “Wwoofer” en Nouvelle-Zélande : un voyage participatif ? » Pour, 226, p. 11-19.
  • WWOOF New Zealand, 2013, www.wwoof.co.nz
Mathieu Perrier
Étudiant en géographie. Master 2 Dynamiques comparées des développements. Paris Ouest Nanterre La Défense
Cette publication est la plus récente de l'auteur sur Cairn.info.
Mis en ligne sur Cairn.info le 02/03/2016
https://doi.org/10.3917/pour.227.0031
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