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1La baisse ininterrompue de la taille moyenne des ménages est souvent prise comme un indice de la nucléarisation des familles et de l’irrésistible disparition de la famille étendue. Depuis plusieurs décennies, ce diagnostic est régulièrement contesté par les historiens et les sociologues. Les historiens ont signalé que le ménage réduit au couple et à ses enfants était une réalité ancienne, cependant que les sociologues montraient que les flux de contacts et d’échanges entre personnes apparentées non cohabitantes étaient importants et ne tendaient pas à se réduire. L’article de Catherine Bonvalet propose une définition opérationnelle de la famille-entourage locale, qui désigne ici un type de fonctionnement familial marqué par la proximité spatiale et subjective, mais aussi par l’intensité des contacts et l’existence d’une entraide réelle entre membres d’une même famille non cohabitants. À l’évaluation quantitative du poids du phénomène, l’auteur associe une analyse qualitative, qui fait apparaître la grande diversité des processus sociaux et biographiques conduisant à ce type de fonctionnement familial. Il peut s’agir de la reproduction d’une situation vécue à la génération précédente, mais ce n’est pas toujours le cas. Il peut s’agir d’un processus volontaire ou accepté par les individus, ou inversement, plus souvent qu’on ne le croit, d’une situation subie, faute d’alternative.

2Les recherches actuelles en sociologie de la famille font une large place aux couples avec enfants et aux familles monoparentales ou recomposées, c’est-à-dire au groupe familial constitué par la co-résidence. Les notions mises en avant pour décrire la famille contemporaine sont celles d’individualisation, d’autonomie et de prise de distance par rapport à la parenté, et reposent donc sur la logique du repli familial (de Singly, 1990 et 1993). Toutefois, les recherches sur la famille étendue se sont multipliées depuis une dizaine d’années et de grandes enquêtes ont été réalisées sur les relations et les échanges au sein de la parenté, parmi lesquelles l’enquête Proches et parents (Bonvalet et al., 1993).

3Selon François de Singly, « Les malentendus qui existent dans la sociologie de la famille à propos du rôle de la famille et de la parenté dans les sociétés contemporaines viennent de ce que les spécialistes construisent leur raisonnement selon le principe de l’alternative “ou… ou” » [1]. Bien que les liens intergénérationnels soient aujourd’hui mieux reconnus, comme en témoignent de nombreux travaux (Segalen, 1993; Attias-Donfut, 1995), le rôle de la famille est souvent présenté comme instrumental, la famille et la parenté étant alors réduites aux seules fonctions de fournisseurs de services et de pourvoyeurs de capital social. Même si l’on sait depuis les travaux de L. Roussel (1976) et C. Gokalp (1978) que la vie familiale perdure au-delà du départ des enfants du foyer parental, les différents types de relations que les ménages entretiennent avec leurs parents restent peu connus. Le fonctionnement de la famille étendue n’est jamais étudié en tant que tel. Pour cerner la diversité des familles étendues, il faut situer l’individu et le ménage dans leur environnement local, familial et professionnel.

4La crise de l’État-providence, le déclin des idéologies et le développement de nouvelles configurations familiales ont sans doute contribué à faire « regarder autrement la famille », comme les anthropologues, ethnologues et historiens nous y invitaient. Ces derniers ont montré que la famille avait toujours existé sous des formes plurielles. Or, il n’y a aucune raison de penser que la diversité des modes de vie familiale se limite au moment où parents et enfants vivent sous le même toit. On devrait donc retrouver la même pluralité lorsque l’on étudie la famille étendue.

5L’espace dans lequel s’effectuent les échanges au sein de la parenté constitue l’une des approches les plus fécondes pour observer le fonctionnement des familles étendues. Dès le début des années 1960, l’équipe de Chombart de Lauwe [2], essayant de décrire la dislocation du groupe familial qui, selon Parsons, se serait opérée en milieu urbain, a eu la surprise de découvrir la force des liens de parenté dans la ville [3]. À la même époque en Grande-Bretagne, Michael Young et Peter Willmott (1957) faisaient un constat identique dans un ouvrage désormais classique.

6Actuellement – et c’est peut-être là une nouvelle approche –, l’individu ne peut plus être défini par des relations familiales conventionnelles, puisqu’il façonne son entourage de parents et de proches en jouant sur l’espace, les distances et les proximités. Étudier comment l’espace est associé à la dynamique des liens d’affinité, c’est comprendre le rapport que les personnes entretiennent avec leur famille, celle qu’ils ont choisie, car la proximité géographique contribue à construire le lien social en facilitant les échanges et les rencontres (Bonvalet et al., 1999). La façon dont la famille aménage ses territoires en se concentrant en un lieu ou, au contraire, en se dispersant dans l’espace est l’un des révélateurs des liens entre parents ainsi que des stratégies mises en œuvre pour les renforcer ou les distendre.

7De même que le logement a permis de définir et de décrire le groupe domestique, c’est-à-dire le ménage, on peut faire l’hypothèse que la localisation de personnes apparentées dans un même espace géographique permet de définir et d’analyser la composition du groupe familial formé de plusieurs ménages. À quelles conditions cet ensemble de personnes constitue-t-il un groupe qui fait sens? Si la question ne se pose pas dans le premier cas [4], elle se pose dans le second. La distance géographique existant entre ménages apparentés ne suffit pas pour mesurer l’intensité des relations. A contrario, la force des liens mis en évidence dans les grandes enquêtes (Degenne et Lebeaux, 1997; Attias-Donfut, 1995; Crenner, 1998; Ortalda, 2001) ne permet pas de « conclure à l’existence d’une sorte de nouvelle famille étendue » (Hammer et al., 2001). C’est pourquoi Peter Willmott, à partir de résultats d’enquêtes, avait proposé trois grands types de configurations de la parenté dans l’Angleterre urbaine contemporaine (Willmott, 1967 et 1991) :

  • la famille « étendue locale » dans laquelle deux ou trois ménages distincts habitent à proximité, se rencontrent presque quotidiennement et s’apportent une aide régulière;
  • la famille « étendue dispersée », composée également de deux ou trois ménages, qui ne résident pas à proximité. Les rencontres sont moins nombreuses, mais les contacts restent fréquents ainsi que les aides;
  • la famille « étendue atténuée » dans laquelle les liens se sont distendus indépendamment de la localisation des ménages.
Maintenant que l’on sait que, contrairement aux thèses de Parsons, la famille nucléaire n’est pas isolée et entretient avec sa parenté des relations étroites, la question centrale est donc de connaître le sens des liens familiaux : s’agit-il seulement d’un fonctionnement en réseau ou bien y a-t-il un collectif familial qui transcenderait le ménage? Comment l’autonomie des individus et des ménages décrite par de nombreux sociologues s’accommode-t-elle à des relations de parenté faites de solidarités, mais aussi d’obligations? On essayera ici d’apporter quelques éléments de réponse qui permettront d’alimenter le débat. Ce travail s’inscrit dans un courant de recherche qui tente de réinsérer le ménage dans l’ensemble de la famille, notamment à partir de la notion d’entourage (Lelièvre et al., 1997).

8Pour ce faire, nous allons prolonger les travaux de Peter Willmott en examinant, à partir de l’enquête Proches et parents, les différents types de fonctionnements familiaux. Nous chercherons d’abord à repérer dans l’enquête quantitative si des entités familiales fortes se dégagent. Puis nous essayerons de comprendre, grâce aux entretiens, par quels processus ces entités se sont constituées et comment elles fonctionnent.

I – Une entité familiale forte : la famille-entourage locale

9L’enquête Proches et parents, réalisée par l’Ined en 1990 auprès d’un échantillon de 1 946 personnes, représentatif de la population française, permet d’étudier la force des liens qui unissent les individus à leur réseau de parenté [5]. Elle a pour objectif d’approfondir la connaissance de la famille étendue, d’explorer le réseau d’affinités et d’étudier les usages sociaux du réseau familial et amical. Le questionnaire comprend trois parties : la première concerne les aides reçues et fournies par ego au cours de son existence, la deuxième décrit l’univers des personnes qu’ego considère comme ses proches, et la troisième recense les membres de la famille d’ego et de son conjoint. Trois types de réseaux peuvent ainsi être distingués : celui de la famille étendue, celui des proches et celui de l’entraide, les trois ne se recouvrant pas forcément.

10Dans cet article, nous nous intéressons uniquement aux proches, c’est-à-dire aux parents ou amis avec qui l’enquêté a déclaré entretenir des liens d’affinité. À partir des informations recueillies sur chacun, il est possible de mieux cerner les types de relations qu’ils entretiennent avec ego. Les échanges, les rencontres ainsi que les affinités et les proximités spatiales sont des révélateurs de l’existence de groupes familiaux particuliers. Prises séparément, les variables telles que le rythme des contacts, la présence ou l’absence d’aides, la distance ou la proximité géographique n’ont pas de signification. Mais lorsque ces variables sont croisées, on voit se dessiner des configurations qui prennent sens (Gribaudi, 1999). Il s’agit alors d’évaluer, par ce faisceau d’indicateurs, la force des relations qui unissent les ménages d’une même famille et de dégager ce qui fait système. Toutefois, il faut souligner une des limites de notre analyse qui tient à la conception même de l’enquête : c’est l’enquêté qui décrit son univers familial à partir duquel nous déduisons, en croisant des indicateurs, l’existence d’un groupe familial, et non pas les membres d’une même famille qui racontent la façon dont ils vivent plus ou moins ensemble.

1 – Les différents modes d’organisation familiale dans l’enquête Proches et parents

11Dans l’enquête Proches et parents, on peut ainsi appréhender les relations d’ego avec sa parentèle à partir de quatre indicateurs : être cité comme proche, habiter la même commune ou une commune limitrophe, avoir des contacts au moins une fois par semaine [6], faire partie du réseau d’entraide [7]. On remarquera qu’ils correspondent en fait à quatre types de liens sur les six du modèle micro-social de la solidarité des générations élaboré par Vern Bengtson et ses collègues de l’université de Californie du Sud dans les années 1970 (Bengtson et al., 1976; Bengtson et Roberts, 1991), à savoir : la solidarité affective (les sentiments d’affection) que l’on peut dans une certaine mesure assimiler au sentiment d’être proche, la solidarité structurelle (la co-résidence ou la proximité géographique), la solidarité associative (la fréquence des contacts) et la solidarité fonctionnelle (l’étendue des aides fournies ou reçues). La solidarité consensuelle (concordance d’opinions) et la solidarité normative (valeurs relatives aux obligations entre générations) ne sont pas mesurables à partir de l’enquête. Dans ces travaux, la famille est envisagée comme un « microcosme capable de maintenir une cohésion interne à travers son engagement dans ces divers éléments de la solidarité » (Hillcoat-Nallétamby et al., 2002). Il s’agit de comprendre la notion de solidarité au niveau micro-social.

12Même si l’objectif poursuivi ici n’est pas de modéliser les liens de solidarité entre parents âgés et enfants adultes, notre approche s’inscrit dans ce courant de recherches anglo-saxonnes qui s’oppose aux thèses sur la primauté de la famille nucléaire comme forme la plus adaptée à la société contemporaine et à celles qui concluent au déclin de la famille (lequel est déduit de l’augmentation des familles monoparentales, du divorce et de la montée de l’activité féminine) et cherche à dégager des typologies de familles.

13Dans un ouvrage récent, nous avions défini la « famille-entourage » à l’aide de la réunion de trois critères (Bonvalet et Maison, 1999) :

  • les affinités (faire partie des parents désignés comme proches) ;
  • la fréquence des contacts (au moins une fois par semaine) ;
  • l’entraide (le parent proche a été aidé par ego ou a aidé celui-ci).
Cette notion de famille-entourage diffère du concept d’entourage proposé par C. Bonvalet et É. Lelièvre en 1995 (Bonvalet et Lelièvre, 1995; Lelièvre et al., 1997) et testé dans l’enquête Biographies et entourage (Lelièvre et Vivier, 2001). Alors que la famille-entourage est réduite aux parents proches (ascendants, descendants, fratrie), le concept d’entourage est plus large et tient compte des anciens conjoints et de leurs parents ainsi que des amis importants.

14Sur les 1 946 personnes enquêtées, 904 font partie d’une famille-entourage ainsi définie, soit 46 % de l’ensemble. Il faut toutefois souligner que les questionnaires étant individuels, le fonctionnement en famille-entourage concerne l’enquêté et non pas l’ensemble du ménage [8].

15À l’intérieur de cet ensemble, on peut distinguer deux types de familles selon la distance géographique : la famille entourage-dispersée et la famille-entourage locale. La première catégorie correspond aux enquêtés qui entretiennent des relations fortes avec un membre de leur parenté sans habiter la même commune que lui ni une commune limitrophe. Ils représentent 17 % de l’ensemble de l’échantillon (tableau 1). Le jeu des migrations a eu pour effet de séparer les familles d’origine, même si une tendance au regroupement familial dans l’espace vient ensuite atténuer ces situations. L’éloignement géographique ne signifie pas forcément un relâchement des liens : malgré la distance, certaines familles continuent à préserver des relations fortes en ayant des contacts avec un ou plusieurs proches apparentés au moins une fois par semaine et en s’entraidant.

Tableau 1

Proportion d’individus appartenant à une famille-entourage selon la proximité géographique et le type de parent concerné (en %)

Tableau 1
Mère Père Enfants non cohabitants Frères et sœurs Total famille Belle-famille Ensemble Famille-entourage dispersée 7,5 % (146) 4,2 % (87) 4,8 % (93) 4,4 % (86) 15 % (291) 3,5 % (68) 16,7 % (325) Famille-entourage locale (1) 10,4 % (203) 6,9 % (133) 9,6 % (187) 6,5 % (127) 26 % (506) 5,4 % (105) 29,8 % (579) — Dont famille-entourage semi-cohabitante 5,6 % (108) 2,8 % (55) 5,4 % (105) 2,3 % (45) 13 % (253) 2,1 % (41) 15,1 % (295) Famille-entourage 17,9 % (349) 11,3 % (220) 14,4 % (280) 10,9 % (213) 41 % (797) 8,9 % (173) 46,5 % (904) (1) La famille-entourage est dite locale lorsque l’enquêté et ses proches habitent la même commune ou des communes limitrophes. Lecture : 146 enquêtés fonctionnent en famille-entourage dispersée avec leur mère, soit 7,5 % de l’ensemble de la population enquêtée. Source : Ined, enquête Proches et parents, 1990.

Proportion d’individus appartenant à une famille-entourage selon la proximité géographique et le type de parent concerné (en %)

16La seconde catégorie comprend les enquêtés habitant à proximité d’un parent proche avec qui ils ont des liens étroits. Dans ce cas, les critères sont volontairement restrictifs, l’objectif étant de repérer une logique familiale forte. Pour faire partie d’une famille-entourage locale, l’individu ayant répondu au questionnaire doit non seulement entretenir avec au moins un parent (père, mère, beau-père, belle-mère, enfant adulte non cohabitant, frère, sœur, beau-frère ou belle-sœur) une relation d’une certaine intensité (c’est-à-dire le considérer comme proche), mais aussi habiter à proximité, avoir des contacts réguliers et avoir aidé cette personne ou avoir été aidé par elle. Sur les 1 946 personnes enquêtées, 579 font partie d’une famille-entourage locale ainsi définie, soit 30 % de l’ensemble. On observe que la prise en compte de la famille du conjoint dans le calcul modifie les résultats, la proportion d’individus appartenant à une famille-entourage locale passant alors de 26 % à 30 % (tableau 1). Les ménages concernés sont majoritairement ceux des parents et des enfants adultes. Un quart seulement des familles-entourage locales comprennent le ménage d’un frère ou d’une sœur. La lignée prédomine donc largement dans ce type de familles (en tenant compte du fait que, par construction, les seuls collatéraux retenus sont les frères et sœurs, tandis que les cousins et cousines, neveux et nièces ont été écartés [9]). La famille-entourage locale serait en quelque sorte un prolongement dans le temps et dans l’espace de la famille nucléaire d’origine d’ego puisque la belle-famille reste à l’arrière-plan (5,4 %).

17Ce type de familles comprend – dans neuf cas sur dix environ – deux ménages dont celui d’ego. La plupart des autres associent trois ménages, avec plusieurs configurations possibles autour de la famille de l’enquêté : le ménage de l’enquêté, celui de ses parents et celui d’un frère ou d’une sœur; l’enquêté, ses parents et un enfant; l’enquêté, un frère ou une sœur et un enfant. Les familles-entourage comprenant à la fois ego, ses parents, ses enfants adultes et ses frères et sœurs sont quasiment inexistantes. À ces configurations peut quelquefois s’ajouter la belle-famille : 3 % des enquêtés fonctionnent en famille-entourage locale avec les deux lignées.

18Au sein de ces familles, on peut distinguer un sous-groupe particulier que l’on a appelé la famille-entourage semi-cohabitante. Dans ces familles, les contacts sont quotidiens. Alors que la cohabitation stricto sensu entre générations est devenue un phénomène très marginal en France, le fait d’habiter à proximité et de maintenir des liens très étroits concerne 15 % des personnes interrogées lors de l’enquête Proches et parents, ce qui, compte tenu des critères retenus, est loin d’être négligeable dans une société presque complètement urbanisée. Ce mode de vie familiale s’apparente à une « cohabitation à distance ». On peut d’ailleurs se demander si cette dernière ne remplacerait pas la cohabitation domestique entre générations de la France d’autrefois.

19En définitive, on s’aperçoit que près de la moitié des enquêtés ont un mode de fonctionnement familial impliquant une relation hebdomadaire, une proximité affective et un système d’entraide. L’isolement de la famille nucléaire ou encore le déclin de la famille que décrivent certains sociologues apparaît ainsi très relatif. Cette proportion est d’autant plus remarquable qu’elle est vraisemblablement sous-estimée : la lecture des entretiens confirme qu’un certain nombre d’enquêtés n’ont pas mentionné dans la partie du questionnaire concernant les proches le fait qu’ils avaient aidé ou été aidés par un parent ou un ami proche, alors que cette aide apparaît dans la section relative aux moments difficiles ou à l’entraide régulière. Pour certains, en effet, échanger des services entre membres d’une même famille fait tellement partie intégrante de la relation qu’ils omettent de le citer. Pour d’autres, le besoin d’y avoir recours ne s’est pas ou pas encore fait sentir, ce qui n’exclut pas de recevoir un soutien ultérieur lors de moments difficiles. On mesure là les limites de cette notion (Ortalda, 2001). Si l’on écarte le critère de l’aide, on compte 45 % de familles locales et 25 % de familles dispersées (tableau 2).

Tableau 2

Répartition des familles par type selon la prise en compte du critère de l’aide (en %)

Tableau 2
Avec les aides (famille-entourage) Sans les aides Famille locale 29,8 45,0 Famille dispersée 16,7 24,7 Total des familles locales ou dispersées 46,5 69,7 Autre type de famille 53,5 30,3 Ensemble 100,0 100,0 Source : Ined, enquête Proches et parents, 1990.

Répartition des familles par type selon la prise en compte du critère de l’aide (en %)

2 – Les familles-entourage locales

20Les familles-entourage locales se distinguent-elles des autres familles? Pour répondre de façon satisfaisante à cette question, il aurait fallu interroger plusieurs membres de la même famille. On peut néanmoins essayer d’apporter quelques éléments de réponse à partir des informations individuelles. En effet, les personnes qui appartiennent à des familles-entourage locales présentent des caractéristiques démographiques, familiales et sociales que l’on peut facilement repérer à l’aide d’un modèle logit (tableau 3). Comme on pouvait s’y attendre, ce mode de fonctionnement familial concerne davantage les femmes que les hommes (l’écart marginal s’élève à 4 points). Mais, en dehors de l’effet du sexe, les variables purement démographiques, en particulier l’âge et le type de ménage, n’interviennent pas. La famille entourage-locale n’est pas plus fréquente dans la « génération pivot » des 50-64 ans que dans les générations les plus jeunes. Tous les groupes d’âges sont, en fait, impliqués dans le système d’entraide, les jeunes et les personnes âgées étant plus souvent donataires, la « génération pivot » donatrice (Attias-Donfut, 1995). De même, les familles monoparentales ou les personnes seules ne se distinguent pas des couples. La femme étant au centre des relations familiales, la présence d’un conjoint ne joue ni dans un sens ni dans un autre et les liens mère-fille, en particulier, perdurent quels que soient les aléas de la vie conjugale (Bonvalet et Maison, 2002). En fait, ce n’est pas le type de ménage qui est véritablement discriminant, mais le sexe de l’enquêté. Les familles monoparentales seraient plus intensément impliquées dans le système d’entraide familiale uniquement parce qu’elles ont, à une écrasante majorité, une femme comme personne de référence.

Tableau 3

Probabilité d’appartenir à une famille-entourage locale selon certaines caractéristiques de l’enquêté et de sa famille (résultats du modèle Logit)

Tableau 3
Variable Paramètre Effet marginal en % Femmes Hommes Paramètre Effet marginal en % Paramètre Effet marginal en % Constante – 1,0392 – 1,4423 – 0,8780 Sexe Homme – 0,2019 – 3,70* Femme Réf. – Catégorie sociale de la personne de référence du ménage Employé – 0,4109 – 7,13** – 0,6346 – 7,99 – 0,1427 – 2,87 Agriculteur 0,2332 4,75 0,3277 5,58 0,0936 1,98 Ouvrier Réf. – Réf. – Réf. – Profession intermédiaire – 0,3052 – 5,45* – 0,6265 – 7,90*** – 0,0872 – 1,84 Cadre – 0,4444 – 7,64** – 0,4077 – 5,53* – 0,5583 – 10,15* Indépendant – 0,0325 – 0,62 – 0,3281 – 4,57 0,4058 9,05 Niveau de diplôme Sans diplôme – 0,2222 – 4,05 – 0,1577 – 2,32 – 0,3411 – 6,55 CEP, BEPC Réf. – Réf. – Réf. – CAP, brevet professionnel – 0,0867 – 1,64 0,1342 2,16 – 0,3117 – 6,03 Bac – 0,0201 – 0,39 + 0,1376 2,22 – 0,1736 – 3,47 Bac + 2 – 0,4960 – 8,41* – 0,3747 – 5,14 – 0,7345 – 12,73* Diplôme de 2 e cycle 0,3182 6,59 0,5417 9,77* – 0,0316 – 0,65 Diplôme de 3 e cycle ou de grande école 0,1939 3,90 0,2048 3,37 0,2085 4,50 Catégorie sociale d’origine Père employé – 0,3017 – 5,39 – 0,3468 – 4,80 – 0,2495 – 4,90 Père agriculteur – 0,6045 – 9,93*** – 0,6230 – 7,87** – 0,4962 – 9,16** Père ouvrier Réf. – Réf. – Réf. – Père indépendant – 0,2562 – 4,64 – 0,7649 – 9,21*** 0,2878 6,30 Père profession intermédiaire – 0,2923 – 5,24 – 0,3568 – 4,92 – 0,2486 – 4,88 Père cadre – 0,1841 – 3,39 – 0,1874 – 2,73 – 0,2584 – 5,06
Tableau 3
Variable Paramètre Effet marginal en % Femmes Hommes Paramètre Effet marginal en % Paramètre Effet marginal en % Famille d’origine (1) La mère de l’enquêté est vivante 0,3458 7,19** 0,6398 11,83*** 0,0045 0,09 La mère de l’enquêté est décédée Réf. – Réf. – Réf. – Le père de l’enquêté est décédé 0,4742 10,11*** 0,6568 12,19*** 0,2456 5,34 Le père de l’enquêté est vivant Réf. – Réf. – Réf. – Nombre de frères et sœurs > 3 – 0,2551 – 4,62** – 0,2323 – 3,34 – 0,2829 – 5,51 Nombre de frères et sœurs d 3 Réf. – Réf. – Réf. – Est l’aîné de la fratrie – 0,4203 – 7,28*** – 0,3250 – 4,53* – 0,5500 – 10,01*** N’est pas l’aîné de la fratrie Réf. – Réf. – Réf. – Nombre de proches famille < 3 – 0,8910 – 13,46*** – 0,7014 – 8,22*** – 1,1867 – 18,10*** Nombre de proches famille e 3 Réf. – Réf. – Réf. – Histoire résidentielle (1) A cohabité en couple avec ses parents ou beaux-parents 0,3824 8,02** 0,2175 3,59 0,6498 14,96*** N’a pas cohabité en couple avec ses parents ou beaux-parents Réf. – Réf. – Réf. – Nombre de logements habités depuis la décohabitation < 3 0,1238 2,46 – 0,0852 – 1,28 0,4246 9,49** Nombre de logements habités depuis la décohabitation e 3 Réf. – Réf. – Réf. – Habite le même département qu’au moment de la décohabitation 1,2005 27,90*** 1,3440 28,43*** 1,0600 25,18*** N’habite pas le même département qu’au moment de la décohabitation Réf. – Réf. – Réf. – Propriétaire 0,2621 5,36** 0,3593 6,07** 0,1291 2,75 Non-propriétaire Réf. – Réf. – Réf. – Vit en milieu rural – 0,3354 – 5,94** – 0,1842 – 2,69 – 0,6257 – 11,17*** Vit en milieu urbain Réf. – Réf. – Réf. – (1) Ces variables ne sont pas exclusives les unes des autres. Lecture : toutes choses égales par ailleurs, un homme a moins de chances d’appartenir à une famille-entourage locale : cette probabilité est inférieure de 3,7 points à celle d’une femme. *** significatif à 1 %; ** significatif à 5 %; * significatif à 10 %. Les variables non significatives ont été retirées (âge, type de ménage). Source : Ined, enquête Proches et parents, 1990.

Probabilité d’appartenir à une famille-entourage locale selon certaines caractéristiques de l’enquêté et de sa famille (résultats du modèle Logit)

21Plus que dans un déterminisme démographique qui relierait une position dans le cycle de vie à un fonctionnement de la parentèle, c’est dans le passé qu’il faut chercher une des clés de l’existence des familles-entourage locales. L’histoire familiale et le parcours résidentiel jouent un rôle déterminant dans les modes de vie de ces familles. Quel que soit le nombre de déménagements, le fait de rester dans le même département que celui où l’on habitait au moment de la décohabitation est l’un des facteurs qui interviennent le plus : enracinement géographique et famille-entourage locale vont de pair (l’écart marginal est de 28 points avec ceux qui ont quitté le département). Même si, comme l’a décrit Anne Gotman, la famille-entourage locale peut résulter d’une « migration en famille », la sédentarité contribue fortement au développement de ce type d’organisation familiale. Il en va de même lorsqu’il y a eu une période de cohabitation en couple chez les parents, témoin d’une proximité entre parents et enfants qui se prolonge durant la vie adulte malgré la séparation résidentielle (l’écart marginal est de 8,02 points). Il semble bien que cette séquence de la trajectoire résidentielle ne soit pas anecdotique, mais au contraire révélatrice d’un mode d’organisation domestique où la famille-entourage locale apparaîtrait comme un prolongement de la famille élargie (ou ménage multiple) définie par P. Laslett (1972a, 1972b). Les propriétaires, quant à eux, vivent davantage en famille-entourage locale que les autres (l’écart marginal atteint 5,36 points). Ces résultats confirment les travaux qui ont mis en évidence la corrélation très forte entre l’accession à la propriété et le désir de « création de famille » (Bourdieu, 2000). Ce projet ne se limite pas, comme on le verra dans la seconde partie, à la constitution de la famille mais se traduit parfois par l’installation des enfants adultes à proximité du domicile parental.

22Certains éléments de l’histoire familiale semblent renforcer les liens entre les membres d’une même famille. Ainsi, le décès du père vient resserrer durablement les liens familiaux (l’écart marginal s’élève à près de 10 points) [10]. Mais contrairement à une idée très répandue, les grandes familles ne paraissent pas générer des liens forts : elles sont moins nombreuses à fonctionner selon le mode famille-entourage que les familles restreintes. Par ailleurs, la taille du réseau de parenté peut favoriser l’existence d’une forte cohésion. Plus on a cité de proches dans sa famille, plus la probabilité d’entretenir des relations étroites avec elle est forte.

23Ces éléments liés à la vie familiale et résidentielle sont si forts que le rôle des positions sociales paraît secondaire. Il semble pourtant qu’il existerait bien une opposition entre les ouvriers, d’un côté, et les cadres supérieurs, les professions intermédiaires et les employés [11], de l’autre (les cadres ont des chances de fonctionner en famille-entourage locale inférieures de 8 % à celles des ouvriers).

24Ces résultats corroborent nombre de travaux sur les différences de sociabilité selon les classes sociales (Héran, 1987 et 1988). Et si les cadres ont, par exemple, moins de chances d’appartenir à une famille-entourage locale que les ouvriers, c’est sans doute parce qu’ils ont une plus grande capacité à gérer les relations à distance, mais aussi parce qu’ils sont plus mobiles que les ouvriers ou les employés (Blum et al., 1985).

25De nombreux travaux sociologiques et les grandes enquêtes comme celles de l’Insee ont mis en évidence la prédominance des femmes dans le maintien des relations de parenté (Crenner, 1998; Blanpain et Pan Ke Shon, 1999a et 1999b). Une division sexuelle des rôles a souvent été mise en avant : la famille serait le domaine privilégié des femmes, les amis et les relations sociales celui des hommes. Les résultats du modèle vont dans ce sens, les femmes étant plus souvent impliquées dans une organisation en famille-entourage locale. Mais toutes les variables qui interviennent dans le modèle logit général ne jouent pas de la même façon lorsque l’on étudie séparément les hommes et les femmes (tableau 3). L’âge et le type de ménage ne jouent aucun rôle chez les uns et les autres. En revanche, si la mobilité résidentielle a un effet négatif sur la probabilité de fonctionner en famille-entourage locale pour les hommes, elle n’a aucun effet sur celle des femmes, comme si, quel que soit le nombre de déménagements, ces dernières arrivaient à maintenir la proximité spatiale qu’exige le fonctionnement en famille-entourage locale. C’est également vrai pour l’environnement : le fait de vivre en milieu rural ou urbain n’exerce aucune influence sur la relation des femmes avec leur entourage, contrairement à ce qui se passe pour les hommes.

26Les femmes réagissent également de manière très différente aux événements démographiques ou aux caractéristiques de leur famille d’origine. Pour elles, le décès du père ou le fait que la mère soit toujours en vie favorise le fonctionnement en famille-entourage locale (l’écart marginal s’élève dans les deux cas à plus de 10 points) alors que cela n’a aucun impact chez les hommes. En outre, la position d’aîné ou le fait d’avoir un nombre de frères et sœurs élevé entraîne pour les hommes des relations plus distantes avec leur famille, au moins géographiquement, à la différence des femmes dont la place dans la fratrie influe moins sur le développement de relations privilégiées avec leur entourage.

27L’appartenance sociale joue de façon différente selon le sexe. Chez les hommes, seuls les ménages de cadres s’opposent aux ménages d’ouvriers alors que les femmes appartenant aux classes moyennes se démarquent, comme celles des classes supérieures, des femmes qui font partie de la classe ouvrière. Peut-être faut-il y voir une spécificité des relations féminines en milieu ouvrier [12]. La lecture d’Olivier Schwartz (1990) nous incite à ne pas rejeter d’emblée cette hypothèse. La force de la relation entre mère et fille est encore plus nette dans le cas des familles semi-cohabitantes (Bonvalet et Maison, 1999).

28À ce stade de l’analyse, on peut constater qu’il existe bien plusieurs types de familles étendues, comme l’avait suggéré Peter Willmott, et il est possible de les quantifier. Mais alors que la famille-entourage locale est une construction statistique obtenue en croisant plusieurs indicateurs qui relient un individu à un autre individu appartenant à un ménage apparenté, la question qui se pose est celle de mieux cerner la réalité qui sous-tend cette catégorie. La famille-entourage locale est-elle une entité réelle qui comprendrait plusieurs ménages d’une même famille pour constituer un groupe solidaire (Bengtson et Roberts, 1991) ou uniquement un réseau d’échanges au sein de la parenté? Autrement dit, la notion de famille-entourage locale peut-elle être assimilée ou rapprochée de la notion plus anthropologique de maisonnée?

II – La famille-entourage locale à travers les récits de vie

29Les résultats statistiques présentés dans la première partie ne constituent qu’une description des modes de fonctionnement des familles. Aussi l’enquête quantitative a-t-elle été complétée par une centaine d’entretiens semi-directifs sur les trajectoires familiale et résidentielle [13]. Parmi les 99 personnes interrogées de nouveau, 37 ont un mode de vie qui correspond à celui de la famille-entourage locale. Les éléments ainsi recueillis permettent de mieux comprendre comment se construisent, au cours du temps, l’espace de la parenté et le fonctionnement en famille-entourage locale. Il s’agit donc maintenant de cerner la réalité ou plutôt les réalités qui sous-tendent les rapports familiaux, tels qu’ils sont décrits par les enquêtés [14].

30La lecture des récits met en évidence une variation importante des réseaux de proches, aussi bien dans leur composition (importance ou non de la famille, présence d’amis) que dans leur ancrage spatial (présence de tout le réseau dans le quartier ou la commune ou au contraire existence d’une seule personne habitant à proximité). La famille-entourage locale, qui se détachait comme une entité claire dans l’analyse statistique, recouvre en fait de multiples réalités, indépendamment des milieux sociaux. Les résultats du modèle logit, qui ont permis de dégager un certain nombre de variables significatives, nous invitent dans un premier temps à suivre la piste de l’histoire familiale pour étudier les différents modes de formation d’une famille-entourage locale. Nous verrons ensuite que la manière dont elles se sont constituées a une influence plus ou moins grande sur la nature même des configurations familiales ainsi créées.

1 – Les différents modes de formation d’une famille-entourage locale

31Selon l’histoire des enquêtés et de leurs parents, voire de leurs grands-parents, plusieurs types de familles-entourage locales peuvent être distingués. C’est cette profondeur généalogique, mettant toujours plusieurs groupes de parents en jeu, qui permet de discerner la diversité des modes de vie familiaux se façonnant, à chaque génération, à partir d’héritages pluriels (Bertaux, 1987).

32On constate d’emblée une opposition entre les individus qui fonctionnent en famille-entourage sans qu’il y ait de choix réel et ceux qui ont préféré vivre ainsi en se positionnant par rapport aux familles d’origine. Une première différence vient de la manière dont les personnes se situent par rapport à l’histoire familiale, soit en termes de reproduction ou, à l’inverse, en termes de prise de distance. Une deuxième différence réside dans le positionnement par rapport à la famille du conjoint : adoption ou au contraire distance, voire rejet. De multiples combinaisons sont alors possibles : reproduction du modèle des deux familles en cas d’homogamie, adoption de l’un et rejet de l’autre selon l’histoire personnelle et les différences socioculturelles qui peuvent exister entre les deux familles, prise de distance vis-à-vis des ascendants avec, en guise de compensation, un très fort investissement affectif sur la descendance.

33La famille-entourage locale observée au moment de l’enquête peut résulter de quatre processus différents : la reproduction, la création, l’adoption de la famille du conjoint ou la contrainte/survie. Dans le premier cas, les individus reproduisent le mode de vie en famille-entourage locale de leurs parents et de leurs grands-parents, qu’ils soient restés au pays ou qu’ils aient migré en famille. Dans les deuxième et troisième cas, il s’agit de personnes qui, au contraire, s’efforcent de réparer les dommages d’une enfance mal vécue ou les conséquences d’une migration ou d’une guerre, mais les moyens d’y parvenir diffèrent en fonction du conjoint [15]. En effet, certains trouvant auprès de leurs beaux-parents la famille-entourage qu’ils auraient souhaité avoir dans l’enfance adoptent alors leur mode de fonctionnement. D’autres vont construire de toutes pièces un entourage familial sécurisant. Ces trois types de famille-entourage regroupent les individus qui ont choisi ce mode de vie où ils gardent une autonomie résidentielle tout en préservant des relations fortes entre parents. Le dernier type concerne, au contraire, les individus qui n’ont pas eu réellement le choix : des raisons économiques ou familiales les contraignent à vivre à proximité de leurs parents au moment de l’enquête.

Reproduire la famille-entourage

34D’après les 37 entretiens de personnes appartenant à une famille-entourage locale, près de la moitié relèvent du phénomène de la reproduction. Dans ce type de configuration, il existe tout un travail d’appropriation du fonctionnement familial dans la jeunesse de l’enquêté et du rapport entretenu avec les grands-parents pendant cette période par la personne elle-même et par ses parents. Cette profondeur généalogique permet de mieux cerner les phénomènes de transmission d’une manière d’être en famille. Généalogie des liens, mais également des lieux. Les personnes aimées sont très souvent associées aux lieux où se sont tissées des relations privilégiées. Et ces lieux ont un sens qui doit être replacé dans le jeu d’interactions complexes qui se sont produites dans le passé et qui peuvent être réactivées tout au long de la trajectoire. Comme l’écrit Anne Gotman (1999), « des lieux peuvent-ils s’hériter, passer et être appropriés? Ne sont-ils pas seulement la projection au sol des relations familiales définies par ailleurs? En fait, ces lieux représentent une totalité fortement investie par les relations familiales, mais ils ne s’y réduisent pas. Les propriétés des lieux – sociales, environnementales – jouent aussi leur rôle ». La famille ne peut donc être étudiée sans référence à ces lieux et, réciproquement, espace et sociabilité doivent être analysés conjointement (Maillochon, 1999).

Reproduire la famille entourage : le résultat d’un choix…

35Dans le tirage de l’échantillon de l’enquête Proches et parents, il se trouve que, fortuitement, une femme et l’une de ses filles ont été sélectionnées. Nous disposons donc pour toutes les deux à la fois des questionnaires et des entretiens approfondis. Les entretiens de Christine et Valérie ont fait l’objet d’une analyse plus approfondie (Bonvalet et Maison, 2001). La mère (Christine) comme sa fille (Valérie) ont un fonctionnement de type famille-entourage locale. Âgée de 59 ans, Christine, qui est issue d’une famille aisée de cinq enfants, a reproduit ce modèle de famille nombreuse en ayant elle-même cinq enfants. Après avoir vécu à Hong Kong, Tunis, puis Amiens en raison du travail de son mari, cadre international, elle se retrouve seule avec ses deux derniers enfants après le décès de celui-ci. Quelques années plus tard, elle décide de rejoindre Paris où habitent ses parents et quatre de ses enfants. Valérie, mariée à un journaliste et mère d’un petit garçon, est chargée de la communication dans une commune importante de la banlieue parisienne.

36À travers leurs deux récits, on peut cerner les mécanismes en œuvre dans le fonctionnement des familles-entourage locales correspondant au modèle de la reproduction-appropriation. C’est essentiellement entre femmes que le modèle se transmet, comme en témoigne Christine :

37

« Moi, j’ai quand même plus d’intimité avec mes sœurs qu’avec mes frères, bien que j’aie de très bons rapports avec mes frères… J’ai des relations complètement différentes avec chacun de mes 5 enfants… Parce que mon fils aîné est assez grand frère et est un petit peu raide sur certaines choses… À la fois très traditionaliste, traditionnel, et en même temps assez imprévisible, assez toquade, foucade. Bon donc Laurent, on l’aime bien mais les filles elles rigolent un peu, elles disent “ah ben ça c’est encore ‘du Laurent’”… Il y a peut-être Valérie qui est un peu pivot de tout le monde. »

38C’est Valérie qui, d’après sa mère, reproduit le mieux le modèle familial, ce qui ne l’empêche pas de l’adapter en l’ouvrant davantage sur l’extérieur. Il s’agit donc plutôt d’une reproduction « en équivalence » que d’une reproduction « à l’identique » (Bertaux et Bertaux-Wiame, 1988). Dans ce cas, les relations intenses entre membres de la parenté s’accompagnent d’une sociabilité extra-familiale tout aussi forte. Loin d’entrer en concurrence, c’est tout le réseau d’amis qui se met à fonctionner selon le modèle familial, comme l’explique la mère de Valérie :

39

« On sent chez les enfants, quand même, que cette génération-ci a introduit quelque chose qui n’existait pas dans ma génération, en tout cas dans mon milieu, c’était une notion de génération. On était dans une vie, je ne sais pas moi, dans une vie verticale… Et mon fils Laurent est resté dans cette image-là très fort, tandis que ses sœurs ont très vite été beaucoup plus dépendantes de leur groupe d’amis, et encore maintenant même mariées, et là on voit aussi les deux types de vie, ils vivent énormément entre amis. »

40Aussi Christine se réjouit-elle de voir qu’à la génération suivante, les choses continuent avec ses filles : « Elles sont tout près l’une de l’autre, elles se voient beaucoup, leurs enfants vont chez la même nourrice, ça recommence très fort… ».

41Le rôle moteur de Valérie apparaît bien dans l’implantation de la famille à Paris. Alors que ses grands-parents maternels habitent l’Ouest parisien, Valérie s’installe à l’Est, près de sa mère, et attire sa sœur Céline et des amis originaires d’Amiens.

42

« Ma sœur, je lui ai trouvé un appartement, parce qu’on avait envie d’être à côté… Elle a un appartement pas loin du tout. C’est bien, maman n’est pas loin… donc je suis la première, après maman, à être venue dans ce quartier… Patrick [son mari] qui m’a rejoint, d’autres copains, donc j’ai vite aimé Paris, très très vite. Mais parce que j’y ai transporté 50 % de ma vie d’Amiens, hein! C’est les gens qui comptent plus que la ville elle-même. »
(Valérie)

43Le mode de vie en famille et à l’extérieur se façonne petit à petit au sein des ménages à partir des expériences de chacun des conjoints. Ainsi, chaque génération redéfinit-elle son propre fonctionnement familial par rapport aux modèles parentaux qui existent dans les deux lignées. Dans le cas de Valérie, la reproduction du modèle se fait aux dépens de la belle-famille. Le conjoint de Valérie semble adopter le modèle de famille nombreuse de sa femme :

44

«… il est triste d’être fils unique. Ah oui oui. Ça, il n’a pas envie de recommencer ça, et puis il s’entend très très bien avec mes frères et ma sœur, donc il a pris notre famille quoi, il a adopté une autre famille, ça c’est sûr. »
(Valérie)

45En fait, tout oppose les deux lignées : d’un côté, il y a une famille nombreuse issue de la grande bourgeoisie, avec un large réseau de relations et de multiples lieux d’ancrage; de l’autre, un noyau familial restreint, d’origine sociale modeste, dont l’espace résidentiel apparaît quelque peu limité à Valérie. D’ailleurs, c’est sur ce point précis qu’elle souligne le contraste :

46

«… donc, avec un tout petit jardin dans un lotissement. Une maison qui n’est pas du tout du tout… J’y suis bien parce qu’elle est confortable et qu’ils sont adorables et qu’on a toujours plein de choses à manger, enfin, c’est tout le contraire de ma famille, il y a une différence de milieu social. Enfin, c’est un autre style quoi. »
(Valérie)

47L’histoire de Christine et Valérie doit être replacée dans un contexte plus large. Elles appartiennent aux couches aisées de la capitale. Et il semble bien, comme l’écrit M. Gribaudi (1999), que dans leur cas, « la centralité de la famille et de la parenté apparaisse comme directement liée à de très forts mécanismes d’enracinement, de reproduction et aussi de distinction sociale ».

… ou le résultat d’une ressource

48Si la reproduction résulte souvent d’une appropriation et d’une adaptation du modèle familial selon une logique d’identification à l’un des parents ou grands-parents, elle revêt une dimension supplémentaire lorsque ce parent se trouve à la tête d’une entreprise ou d’une exploitation agricole. L’existence même de ce patrimoine économique conduit les ménages apparentés à fonctionner selon un mode particulier dans lequel vie privée et travail sont fortement imbriqués. On retrouve là le fonctionnement des familles-entourage semi-cohabitantes puisque pour des raisons professionnelles, les membres de la même famille se rencontrent quotidiennement et habitent à proximité de l’entreprise.

49Dans le type de famille que nous étudions ici, il s’agit d’une contrainte acceptée par les individus. Ces derniers ont choisi de rester dans l’entreprise familiale. Georges Menahem (1988) a décrit précisément les modes de vie des familles patrimoniales à travers l’organisation domestique et le type de relations que ces ménages entretiennent avec leurs parents. Selon lui, « le type patrimonial d’organisation familiale, associé à l’enjeu de sauvegarde et d’extension d’un patrimoine familial, détermine une organisation domestique hiérarchisée dans le cadre de laquelle sont mobilisées les énergies d’un ménage, voire d’une lignée sous l’autorité d’un pater familias détenteur à la fois des titres de propriété et de la direction des opérations de production et de reproduction ».

50Paul a passé toute son enfance dans un univers familial marqué par la forte personnalité du grand-père et le souvenir de l’Italie. Ses proches sont des membres de la famille et de la belle-famille. Son grand-père, d’origine italienne, est un chef d’entreprise qui a su, avec ses frères, faire prospérer la petite société qu’ils avaient créée. Il semble correspondre parfaitement à l’image du « pater familias » ayant « sous ses ordres » à la maison et au travail, enfants, neveux et petits-enfants. Chez cet homme, tout paraît exceptionnel, même sa longévité :

51

« C’est une personne qui est venue en France, venue d’Italie à l’âge de 10-12 ans, qui ne parlait pas français… c’était quand même quelqu’un qui avait une envergure assez exceptionnelle et qui est décédé à l’âge de 98 ans. »

52L’histoire de cet homme, racontée par Paul, prend d’ailleurs des allures d’épopée. Malgré les difficultés, le migrant italien gravit, en France, l’échelle sociale et fonde une véritable dynastie. C’est en quelque sorte le « rêve américain » de réussite professionnelle qui se réalise :

53

«… beaucoup de personnes de la famille travaillent dans la société. Pendant un moment il y avait une dizaine de personnes, entre les fils, les petits-fils, les brus ou les gendres des 3 frères… »

54Même si les anciens ne parlent pas italien, tout rappelle l’Italie, les comportements, la culture, les habitudes culinaires dont se souvient Paul :

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«… je me rappelle de réunions familiales, que ce soit chez ma grand-mère maternelle… on arrivait, on pouvait pas s’asseoir parce qu’il y avait les raviolis qui séchaient partout! on faisait sécher les raviolis! »

56Dans le regard porté sur la belle-famille, on retrouve le décalage déjà observé chez Valérie. D’un côté, on a une grande famille d’entrepreneurs originaire d’Italie avec tout son charme, ses souvenirs, son côté héroïque; de l’autre, une famille qui est, comme le décrit Paul, « une famille traditionnelle française, pas drôle! Non, je plaisante. C’est une famille beauceronne ».

57Dans les familles-entourage résultant d’une logique de reproduction, la lignée tient une place très importante puisqu’il y a adhésion au modèle familial et transmission des valeurs, des pratiques et, dans certains cas, des savoirs professionnels. La transmission se fait rarement à l’identique : chaque génération adapte son mode de vie. Valérie le fait en ouvrant son réseau de proches aux amis, d’autres, au contraire, en le centrant uniquement sur la famille. Même lorsque les amis sont très présents, la famille apparaît primordiale : « les copains c’est bien, mais il y a quand même toujours la famille qui passe par-dessus » (Valérie).

58Mais pour qu’il y ait reproduction, même « en équivalence », il faut tenir compte de la belle-famille dans la mesure où les modes de vie familiaux sont le résultat du croisement des lignées. Pour certains, cela ne pose pas de problème puisqu’il y a homogamie sociale et ressemblance ou compatibilité entre les deux cultures familiales. La belle-famille est de fait intégrée à la famille. Il y a même un souci d’égalité : ce que l’on fait pour sa mère, on doit le faire pour sa belle-mère. Mais, parfois, la reproduction du modèle familial peut se faire aux dépens de la belle-famille qui apparaît alors en décalage. On peut même déceler à la lecture des entretiens un désir de prise de distance vis-à-vis de cette famille différente, une incompréhension des habitudes de l’autre lignée. C’est la famille d’ego qui est valorisée et dont on veut transmettre, en les adaptant, les modes de vie et les références. Ceci implique en quelque sorte une mise à l’écart de la belle-famille qui ne doit pas venir brouiller ou perturber les mécanismes de la reproduction. Ce schéma doit bien sûr être nuancé car il s’agit d’un discours, alors que les compromis sont toujours plus ou moins présents dans la réalité quotidienne, comme en témoignent de nombreux travaux (Lemarchand, 1999; Attias-Donfut et al., 2002).

La famille-entourage locale comme mécanisme de réparation

59« Dans l’actuel regain d’attention porté à la famille, affleure souvent une tendance à en surestimer les aspects positifs. Ce sont surtout ses fonctions de soutien, d’entraide, d’intégration, de mise à disposition des ressources qui sont mises en lumière. On oublie que la famille peut aussi être génératrice de troubles et de handicaps qui pèsent sur la destinée sociale des individus » (Bonvalet et al., 1993). Dans l’enquête Proches et parents, près de la moitié des personnes interrogées ont estimé avoir vécu des événements familiaux graves durant leur jeunesse. Les principales causes de perturbation ne proviennent pas du fonctionnement interne des familles, mais sont exogènes. La mortalité ou la maladie affectent presque un tiers des familles.

60De plus, force est de constater que toute famille ne constitue pas un lieu de solidarité garantie. Plus de 13 % des enquêtés ont vécu la séparation ou la mésentente de leurs parents comme une grave perturbation du lien familial. On retrouve dans le corpus des entretiens les différents types de perturbations recensées dans l’enquête quantitative : le décès, la maladie, le divorce ou la mésentente des parents, la faillite ou le chômage, mais aussi l’abandon, l’isolement, la pauvreté, la maltraitance, les conséquences d’un déracinement ou les dysfonctionnements familiaux. Par ailleurs, à travers ces récits, on saisit concrètement les effets parfois tragiques de l’histoire sur les familles, effets qui échappent généralement aux enquêtes : en l’occurrence, la montée du fascisme en Italie, la guerre d’Espagne, la seconde guerre mondiale, la guerre d’Algérie… Des familles ont été séparées, amputées de l’un de leurs membres. Une, voire deux générations plus tard, des traces en subsistent dans la mesure où les trajectoires ont été radicalement détournées.

61Pour les personnes qui ont vécu ces périodes douloureuses dans l’enfance, la vie familiale semble se dérouler principalement selon deux modes opposés qui constituent les deux extrêmes dans un continuum où la prédominance de l’une ou l’autre attitude est plus ou moins marquée : celui de la répétition (reproduction de la maltraitance, du divorce ou d’autres formes d’instabilité) ou celui de la réparation. La famille-entourage locale qui maintient des liens très forts entre ménages apparentés constituerait, en quelque sorte, une réaction à un dysfonctionnement de la famille d’origine. Parmi les 37 personnes qui relèvent de la catégorie famille-entourage locale, une douzaine ont connu des périodes difficiles durant leur jeunesse. Elles apparaissent d’autant plus attachées à ce fonctionnement familial que durant leur enfance, elles en ont été privées et ressentent encore douloureusement ce manque affectif. Leur objectif est de donner à leurs enfants la « vraie vie » de famille qu’elles-mêmes n’ont pas eue. En agissant ainsi, on a l’impression qu’elles tentent de réparer leur enfance à travers celle qu’elles construisent pour leurs propres enfants. Parfois même, cet acte réparateur est dirigé vers les parents dans la mesure où un certain nombre ont réussi à conserver des liens forts ou renoué des contacts après une rupture, comme pour « assurer » malgré tout des grands-parents à leurs enfants et maintenir le lien entre les générations. Pour d’autres, la rupture semble définitive, du moins au moment de l’enquête.

62Alors que tout semble aller de soi dans le schéma de la reproduction « positive » étudié précédemment, nous sommes ici en présence d’une démarche volontariste : il s’agit de faire autrement et surtout de ne pas reproduire. On parlera dans ce cas de famille-entourage locale de type réparation.

63À la lecture des entretiens, on peut distinguer deux manières de constituer cette famille-entourage locale selon les liens qui ont pu se nouer ou non avec la famille du conjoint. Dans le premier cas, le conjoint a connu lui aussi des événements graves dans sa jeunesse ou a pris ses distances par rapport à ses parents [16], et il faut alors construire de toutes pièces une famille-entourage : c’est la famille réparation-création dans laquelle l’investissement sur les enfants et les petits-enfants est très fort. Dans le second cas, la belle-famille est très présente, elle habite souvent à proximité, apporte aide et soutien au couple. Elle constitue une seconde famille pour ego qui l’adopte alors sans réserve : c’est la famille réparation-adoption [17].

Réparer une enfance difficile en construisant une famille-entourage

64À travers deux études de cas, nous allons essayer de mieux cerner les mécanismes qui conduisent les personnes à créer une famille constituée comme une micro-communauté privée fondée essentiellement sur les liens de parenté.

65Femme au foyer mariée à un cadre supérieur issu, comme elle, d’un milieu populaire, Denise a connu une enfance perturbée par le divorce de ses parents [18]. Ceux-ci, originaires de Narbonne, étaient venus à Paris où son père, fonctionnaire des PTT, avait été muté. Coupé de la famille et des amis, le couple supporte mal le déracinement et se sépare lorsque Denise a 9 ans. Sa mère reste à Paris tandis que son père retourne dans sa ville natale, Narbonne. Pendant son enfance, Denise vit deux ans chez son père, deux ans chez sa mère, et entre-temps chez ses grands-parents maternels : elle a « été un petit peu, comme ça, ballottée par les événements familiaux ».

66Actuellement, Denise entretient d’étroites relations avec ses trois enfants et leurs propres familles. Elle interprète son mode de vie actuel comme une réaction à l’égard du contre-exemple que fut, pour elle, la conduite de ses parents au cours de son enfance :

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« Voilà finalement une enfance et une adolescence pas malheureuses, mais pas heureuses. Pas une enfance épanouie comme celle que j’ai essayé de donner plus tard à mes enfants! Le regret de cette enfance ratée un peu quand même. »

68Denise exprime très clairement le refus de reproduire le comportement de sa mère qui constitue, pour elle, une sorte de repoussoir :

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« Oui, je ne voulais pas ressembler à ma mère, je trouvais qu’elle était… justement qu’elle ne s’était pas occupée de moi et je ne voulais surtout pas lui ressembler, j’ai voulu faire le contraire de ce qu’elle a fait, et puis en plus comme j’adorais ma grand-mère et que ma mère évidemment…, donc à la limite, ma grand-mère m’a servi de modèle et ma mère un peu de repoussoir! »

70L’expérience d’un manque affectif au cours de l’enfance est une chose qui rapproche Denise et son mari. Pour tous les deux, la référence familiale stable est constituée par les grands-parents.

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« C’est-à-dire que lui avait une mère qui travaillait donc, ce qui fait que c’était plutôt la grand-mère qui élevait les enfants… C’est pareil, il n’y avait pas une vie de famille malheureuse, mais pas vraiment, vraiment chaleureuse. »

72D’où l’importance, pour l’un et l’autre, de créer ex nihilo un mode de fonctionnement familial qui diffère de façon radicale du vécu de leur enfance.

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« Justement, j’avais pris pour optique, si vous voulez, de faire à mes enfants une vie familiale que je n’avais pas eue, en fait, donc, il n’était pas question que je travaille, parce que je voulais donner à mes enfants une présence que je n’avais pas eue. »

74De manière très volontariste, Denise a construit autour d’elle un univers familial fondé sur la « concentricité » (selon le terme d’Olivier Schwartz, 1990) qui se trouve être tout le contraire de l’espace de son enfance écartelée entre Paris et Narbonne. Son réseau de proches est constitué pour les trois quarts de membres de la famille. Denise voit tous les jours ses enfants et petits-enfants qui habitent la même commune, voire pour certains le même quartier. Cette proximité résidentielle avec ses enfants est loin d’être le fruit du hasard, mais doit beaucoup à son investissement dans la recherche de logement qu’elle a effectuée à leur place. Ainsi Denise a-t-elle refondé un univers familial qui prend le contre-pied systématique de celui de son enfance.

75« Moi, je suis une fille de l’Assistance publique », tels sont les premiers mots de Lucie lors de l’entretien. Derrière ces mots, une souffrance, une enfance volée dont on ne veut pas parler et une vie handicapée par les séquelles de la maltraitance. Lucie n’a pratiquement pas connu ses parents : sa mère est morte deux ans après sa naissance, puis son père les a abandonnées, elle et ses deux sœurs. Toute sa vie, Lucie aura une santé très fragile liée aux mauvais traitements subis dans sa famille d’accueil. Aussi ses quatre grossesses se passent-elles difficilement et la confinent allongée à la maison ou à l’hôpital. Son caractère porte les traces de cette enfance malheureuse : elle est, comme elle le dit, « sauvage, on est comme on nous a élevés » et aime les endroits « les plus reculés, les plus cachés ».

76Ses choix en matière de résidence principale ou secondaire sont déterminés par cet aspect de sa personnalité : « J’ai demandé ce coin-là parce que je suis assez sauvage ». Il en est de même dans ses rapports avec ses amis. Lucie, comme Denise, s’investit principalement dans sa vie de famille. Elle veut créer un univers familial que ni elle ni son mari, ouvrier dans le bâtiment, n’ont connu dans leur enfance. Ses filles habitent à vingt minutes de la maison, son fils à proximité. Ils forment, comme elle le souligne à plusieurs reprises dans l’entretien, une « bonne petite famille » où circulent affection, aide et soutien. N’ayant pas beaucoup de moyens financiers, les échanges prennent d’autres formes. Se portant caution pour sa dernière fille lorsqu’elle a pris une location, pour son fils lorsque celui-ci a acheté sa voiture, Lucie n’hésite pas à accueillir tous les jours à table sa deuxième fille et son gendre afin qu’ils puissent faire des économies pour construire leur maison. De même, elle n’hésite pas à revenir sur ses positions à l’égard de son gendre, qu’elle n’appréciait pas, pour maintenir de bonnes relations avec sa deuxième fille, car la famille « Ça passe avant tout ça, c’est sacré la famille. On est très très famille, très parce que je leur ai donné ce que je n’ai pas eu, tout du moins je l’espère ».

77Dans les entretiens, on trouve d’autres cas du type famille-réparation, notamment lorsqu’il y a eu des conflits avec les parents au moment de l’adolescence.

Réparer une enfance malheureuse en adoptant la belle-famille

78Une autre manière d’accomplir ce travail de réparation d’une enfance douloureuse consiste à se rallier à la famille du conjoint. Cela suppose que ce dernier se trouve dans une logique de reproduction et que ego adhère à son modèle familial. En fait, les entretiens montrent qu’à travers la famille du conjoint, c’est la découverte d’une ambiance familiale, d’une « vraie famille » dont il s’agit.

79Comme Denise, Robert, âgé de 49 ans, dont la mère est morte lorsqu’il avait 5 ans, a passé une partie de son enfance chez les uns et les autres : chez sa grand-mère dans le sud de la France, chez sa marraine, puis chez son père à Paris pour revenir chez sa grand-mère dans le midi. Son père, qui s’est remarié avec la sœur de sa femme décédée, a pris un hôtel-restaurant dans le sud de la France où Robert le rejoint à 14 ans. Là, il aide son père dans une affaire de carrières tandis que son frère travaille dans le bar-hôtel familial, mais les relations entre père et fils sont difficiles :

80

« Il s’apercevait pas que j’étais jeune et que je travaillais 14 heures par jour, il fallait que j’aide tout ça, y’avait pas mal de travail et puis… ben j’étais mal payé quoi, on en avait marre des fois de travailler en famille quoi parce que ce n’est pas toujours évident. »

81En se mariant, il découvre la vie de famille et adopte ses beaux-parents en qui il trouve le soutien et le réconfort qu’il n’avait jamais eus :

82

« Mes beaux-parents, c’est eux qui ont tout fait, qui ont fait le plus pour nous. Ce sont des gens, je sais pas, c’est inné chez eux, ils voyaient qu’il y avait quelque chose qui allait pas, qu’on était embêtés ou je sais pas quoi, ils nous aidaient, avec leurs faibles moyens quoi leurs petits moyens. »

83L’aide des beaux-parents passe d’abord par le prêt d’un logement durant les premières années de mariage, puis, plus tard, la donation d’une résidence secondaire en partage avec la sœur de sa femme et, enfin, une aide au petit-fils pour l’achat d’un appartement. Au moment de l’entretien, les rapports entre les beaux-parents et Robert se sont inversés, comme il l’explique : « On est malades, c’est eux les premiers à venir… enfin maintenant on fait autant pour eux parce qu’ils sont âgés ».

84Les beaux-parents constituent un modèle de solidarité que Robert et sa femme ont reproduit envers leurs propres enfants : « j’ai fait moi pour mes enfants aussi ce que eux ont fait pour nous. J’ai tenté de… enfin je les ai aidés au maximum ». L’aide est financière, mais également domestique. Les deux enfants de Robert sont divorcés. Leur fille, qui vit avec son fils, le leur confie tous les jours pour aller travailler tandis que leur fils qui, n’a pas la garde de sa fille, la leur amène un week-end sur deux. Dans l’obligation de déménager suite à un changement professionnel, c’est la proximité résidentielle avec leur fille qui va guider leur choix de localisation :

85

« Il y avait deux critères, c’était d’abord, il fallait que ce soit assez rapide parce que la société déménageait,… et le deuxième critère, je ne voulais pas être trop loin de ma fille, comme nous avons le petit, pas être trop loin. »

86Enfin, il faut souligner que l’adoption de la belle-famille permet ainsi de donner à ses enfants des grands-parents et leur offre une image de stabilité familiale ainsi que des racines qui faisaient défaut dans sa propre lignée.

La famille-entourage locale subie

87Dans tous les cas étudiés précédemment, qu’il s’agisse de la famille-entourage de type reproduction ou de type réparation, le mode d’organisation et de fonctionnement familial répondait à un souhait, à une volonté de continuité ou de « création de maison ». Mais on peut aussi observer une autre logique de famille-entourage qui repose moins sur une adhésion au modèle proposé. Le fonctionnement serait plus subi que réellement choisi, soit parce que le poids de la famille est trop lourd, soit parce que les conditions économiques ne permettent pas aux individus de s’émanciper réellement du groupe.

88Murielle, fonctionnaire de l’Éducation nationale, âgée de 49 ans, divorcée et mère d’un fils de 19 ans, entretient des relations mouvementées avec ses parents. D’après les données de l’enquête Proches et parents, elle a un mode de fonctionnement familial qui relève de la catégorie famille-entourage locale. Elle habite à 50 mètres de ses parents; elle les voit au moins une fois par semaine, les désigne comme proches dans le questionnaire et signale à plusieurs reprises l’aide qu’ils lui ont apportée : une aide financière pour acheter son logement, une aide régulière qui consistait à nourrir son fils tous les jours le midi lorsqu’il était d’âge scolaire et un soutien moral et financier pendant les deux moments difficiles de son existence que furent un accident de voiture à 30 ans (ses parents ont alors pris en charge la mère et l’enfant) et son divorce.

89Plusieurs fois au cours de son existence, elle se rapproche de ses parents. Elle quitte Nice et donc ses parents en 1973 pour aller à Nancy où, fonctionnaire, elle vient d’être mutée. Elle y rencontre son futur mari et reste en Lorraine jusqu’en 1981. Après son divorce, elle confie son fils à ses parents et les rejoint pour une période d’un an. Elle quitte à nouveau le midi pour vivre avec un ami dans la région parisienne où elle séjourne quatre ans. En 1987, elle souhaite à nouveau vivre près de ses parents dans le sud. Après trois ans, elle demande sa mutation à Nancy pour que son fils puisse voir son père. Mais, au bout de deux ans, les relations entre le père et le fils se détériorent, aussi décide-t-elle de se réinstaller à Nice.

90Les retours au pays natal interviennent à chaque fois après un échec : divorce, séparation, conflit entre son fils et son ex-conjoint. Bien qu’elle ait souhaité retourner dans le sud, près de ses parents, qu’elle leur ait confié le choix de son logement, qu’elle bénéficie de l’aide de son père pour les gros travaux dans l’appartement, elle vit très difficilement cette nouvelle proximité : « N’habitez jamais à côté de vos parents! C’est une calamité! »

91En fait, autant jeune elle avait apprécié le fait de vivre à côté de ses parents lorsqu’elle était seule avec un enfant en bas âge, autant adulte en pleine maturité, elle supporte très mal la « protection rapprochée » dont l’entourent ses parents.

92

« Oui ils sont à 50 mètres là… j’ai cru que ce serait pareil, et les choses ont évolué, ils ont vieilli, et puis une chose aussi à laquelle j’ai pas pensé sur le moment mais je sais maintenant, c’est sûr qu’ils venaient pas chez moi, mais tous les jours j’étais chez eux à midi à manger, donc ils avaient pas besoin de voir ce que je faisais chez moi, et puis là est-ce parce que je suis divorcée avec un enfant qu’ils veulent me surprotéger… »

93Malgré ces difficultés, Murielle n’envisage pas une autre mutation, du moins pour le moment, car étant fille unique, elle se sent responsable de ses parents :

94

« J’avais envisagé à une époque de partir outre-mer, maintenant je ne sais pas si je le fais quand même parce que bon il y a le problème de mes parents, je vais avoir du mal avec mes parents. »

95L’essai d’émancipation vis-à-vis des parents a échoué, « l’envie de planter la famille » n’a pas réussi. Murielle est revenue dans le giron familial mais ce retour est d’autant plus douloureux qu’elle se sent étouffée par des parents trop présents. L’analyse des entretiens révèle l’existence d’autres situations de ce type, lorsque la possession d’un commerce ou d’une entreprise familiale « enchaîne » la génération suivante [19], ou quand la précarité économique qui pèse sur l’individu le rend dépendant des autres membres de la famille. Dans ces cas-là, loin d’être un facteur d’épanouissement, la famille-entourage locale constitue au contraire un obstacle à l’autonomie.

2 – La famille-entourage locale : un fonctionnement en groupe ou en réseau?

96À ce stade de l’analyse, on pourrait être tenté, comme l’a suggéré Jean-Hugues Déchaux, de rapprocher les catégories de famille-entourage locale et de famille-entourage dispersée de notions plus anthropologiques, comme celle de groupe de parenté qui suppose une forte dépendance des groupes domestiques au sein de la famille étendue, ou celle de réseau de parenté qui est « une coalition de familles nucléaires où l’intimité se vit à distance dans un souci d’autonomie réciproque » [20]. En effet, les familles-entourage locales, notamment les familles-entourage semi-cohabitantes, forment-elles un groupe vécu en tant que tel ou fonctionnent-elles en réseau? On peut effectivement analyser les relations familiales actuelles en se référant aux notions de maisonnée et de parentèle comme nous y invite Florence Weber dans une publication récente (2002). La parentèle se définit comme un réseau de parenté « univers de référence et d’interconnaissance régi par des règles de comportement basées sur l’échange et la réciprocité », la maisonnée comme « un groupe de production et de consommation ». Même si la maisonnée implique généralement la co-résidence, on peut admettre l’existence de maisonnées comprenant plusieurs ménages. En effet, les transformations récentes de la famille (avec la « décohabitation en pointillé » et la garde alternée, les couples semi-cohabitants, etc.) donnent, comme l’écrit Florence Weber, « au vieux concept de maisonnée une nouvelle utilité pour analyser la parenté pratique ». Dans ce cas, la maisonnée se définira plus par « l’appartenance à un groupe présent au quotidien qui réunit des personnes mettant des ressources en commun » que par le partage d’un même logement.

Un groupe : oui, mais avec un respect de l’autonomie de chacun?

97À la lecture des entretiens, on voit poindre cette notion de groupe notamment quand la famille-entourage locale est le produit d’une ressource, d’un patrimoine industriel ou agricole. Paul raconte les dimanches familiaux passés à entendre les discussions concernant la société :

98

«… tous les dimanches on mangeait donc avec mon grand-père et mes parents, soit ils venaient chez nous, le dimanche d’après on allait chez eux, bon ben invariablement la discussion entre mon père et mon grand-père parlait de l’entreprise. »

99Une génération après, les week-ends sont toujours des moments de discussion sur la firme familiale.

100Ce sentiment d’appartenance transparaît dans sa façon d’être dans l’entreprise.

101

« Au niveau de l’entreprise P. on doit essayer de montrer l’exemple à tous les niveaux c’est-à-dire que même si on fait partie de la famille P. il faut arriver à l’heure, il faut essayer d’arriver avant les autres, il ne faut pas arriver en ayant l’air de passer en touriste. »

102On observe là les deux éléments qui font la solidarité objective de la maisonnée : la réputation et la responsabilité collective (Weber, 2002).

103Il y a un partage des ressources et une division du travail qui renforcent la notion d’appartenance à un groupe. C’est le cas de Louise et Raymond, viticulteurs dans le Beaujolais. Comme leurs parents et grands-parents, comme deux de leurs trois enfants, comme la majorité de leurs frères et sœurs et de leurs oncles et tantes, ils sont agriculteurs : « on est quand même tous près de la terre » dit Louise. La presque totalité de leur parentèle est concentrée dans un rayon de quelques dizaines de kilomètres et tous deux sont originaires du même village. Leur mode de vie s’inscrit dans la continuité avec les générations précédentes et correspond parfaitement à celui d’une famille-entourage locale :

104

« Mes grands-parents paternels habitaient tout près de mes parents, donc on se voyait assez régulièrement. Mes grands-parents maternels, ils sont décédés assez vite, mais ils habitaient pas très loin non plus de mes parents, donc on les a côtoyés aussi, puis c’était, c’était presque nos sorties d’aller chez les grands-parents, hein, à cette époque. »

105Du fait qu’ils travaillent tous dans la vigne (à l’exception de la fille qui est « antivigne »), frères, sœurs, beaux-frères belles-sœurs, enfants, gendres, neveux, petits-enfants se voient très assidûment :

106

«… on n’est pas tous les jours les uns chez les autres, si vous voulez, mais on a quand même beaucoup d’attaches en famille. »

107Même si les exploitations sont indépendantes, un certain nombre de tâches et d’outils sont mis en commun :

108

« Disons que nous on a nos vignes, lui il a ses propres vignes, on a un autre fils plus jeune qui a aussi ses propres vignes, mais on fait les travaux tous ensemble, ça nous fait moins de matériel à acheter puisqu’on peut se permettre de se prêter son outillage, et puis bon ben, c’est toujours le truc de vie de famille qui nous relie, quoi, donc on continue comme ça. »

109Dans ce contexte, les échanges, notamment financiers pour acquérir des outils agricoles ou avancer la recette de l’année, font partie du quotidien, de même que les services de garde d’enfants :

110

«… il y a pas de problème, il y a toujours quelqu’un qui est libre, si c’est pas l’un c’est l’autre. C’est pas un problème, les enfants, quand il faut les donner à garder. »

111Dans les deux cas, il existe un groupe de ménages apparentés soudés par des intérêts communs, des échanges de services intenses et des liens affectifs forts. Les familles-entourage locales qu’ils forment pourraient être assimilées à des maisonnées dans la mesure où, comme l’écrit Florence Weber (2002) : « Responsabilités et réputation communes, division du travail domestique entre ses membres, redistribution au moins partielle des ressources sont des éléments qui définissent la maisonnée comme un groupe objectif ou encore solidaire. »

112L’histoire de Denise montre que dans les familles-entourage locales de type réparation existe une volonté de créer un groupe uni :

113

« Disons que ma vie de famille, de ma famille à moi que j’ai créée est très chaleureuse, enfin c’est la tribu! C’est la tribu. Dans la famille, parmi ma famille on parle souvent de tribu oui! On est très proches les uns des autres, et on a besoin d’être… J’ai voulu ça. »

114D’autres enquêtés emploient le terme de clan. Ces expressions évoquent bien l’idée d’un groupe objectivement solidaire, c’est-à-dire la maisonnée.

115Néanmoins, dans les discours, on observe aussi le mouvement d’autonomisation des individus par rapport à la parenté décrit par François de Singly (1993). Ainsi transparaît une volonté de maintenir une certaine distance entre les générations, un respect de l’indépendance de la part des parents et une revendication de l’autonomie de la part des enfants. Cela se traduit chez Louise et Raymond par le souci de ne pas empiéter sur la vie conjugale des enfants :

116

«… et puis bon je me mêle pas trop de leurs trucs, chacun fait… Le jour où ils ont besoin de moi, le jour où ils ont pas besoin… Et puis moi le jour où j’ai besoin d’elles, c’est pareil! On est bien indépendant tout en étant rapproché, donc on se gêne pas les uns les autres. »

117Chez Paul et sa femme, on retrouve ce besoin d’indépendance par rapport à la famille qui se concrétisera par un éloignement géographique. En effet, la famille, l’entreprise, les références à l’Italie, tout cela semble peser à la femme de Paul. Pendant les premières années de mariage, ils habitent près des parents de Paul dans un logement mis à leur disposition par la famille. La grand-mère paternelle garde quotidiennement leur fille. Mais, malgré ces avantages, le couple a besoin de prendre ses distances. Ils choisissent alors de s’installer à Nogent-sur-Marne qui est en fait un territoire familial, un espace de référence qui permet de rester dans la mouvance du groupe (des cousines proches y résident encore) tout en échappant au contrôle maternel. C’est un bon compromis entre un éloignement trop radical et une proximité jugée étouffante par l’épouse :

118

« Mais bon comme on est partis en plus, on a été astucieux, parce qu’on est partis vers Nogent qui était sa ville où elle [la mère de Paul] a vécu son enfance. Donc on connaissait des gens qu’elle avait fréquentés… elle avait encore de la famille à Nogent. »

119Un certain nombre de décisions sont prises au niveau du ménage, mais d’autres relèvent du groupe familial. Il reste que la bonne distance a été difficile à trouver, entre la dépendance vis-à-vis du groupe liée à l’entreprise familiale et la recherche d’autonomie.

Un fonctionnement en réseau : oui, mais avec un sentiment d’appartenance?

120Si, dans les exemples précédents, on est tenté de rapprocher la notion de famille-entourage locale de celle de groupe de parenté, le cas de Valérie et de Christine (la fille et sa mère) illustre un autre type de fonctionnement qui s’apparenterait plus à celui d’un réseau de parenté. L’existence d’une famille-entourage locale va de pair avec une grande indépendance du ménage par rapport aux familles d’origine – indépendance respectée comme le montre l’entretien de Christine – et une forte autonomie au sein du couple, comme en témoigne Valérie :

121

« j’ai un groupe… mes copines à moi, je les vois sans Patrick, il y a des bandes d’amis qui nous sont communs, donc on les voit tous les deux en famille. Puis je vous dis il y a des copines que je vois seule, il y a des copains que Patrick voit seul. »

122Néanmoins, cette grande indépendance ne signifie pas absence de groupe familial. Il semble que la famille se construit ou se reconstruit plus autour de la résidence secondaire. En effet, les entretiens nous montrent d’emblée l’importance des lieux dans le fonctionnement familial et leur rôle dans la structuration du réseau de parenté :

123

«… la mère de mon père, elle était d’Annecy, elle avait acheté pour nous et pour ses cinq enfants une résidence familiale où comme on faisait autrefois en France, on passait toutes nos vacances avec nos 17 cousins, il n’était pas question d’aller ailleurs ou quoi que ce soit. On pourrait raconter toute l’histoire de notre famille en racontant l’histoire de cette maison. »
(Christine)

124Pour Christine, la famille, c’est forcément une grande famille autour d’une ou plusieurs maisons. Aussi, obligée de vendre la maison de famille, elle reproduit le modèle de sa grand-mère en achetant une résidence secondaire dans la région d’Annecy à proximité de sa sœur. L’achat de cette maison a d’ailleurs été décidé en famille comme le raconte sa fille Valérie :

125

« l’été on cherchait des maisons et je me rappelle au contraire on y allait mais particulièrement en famille on partait à deux voitures les frères, les sœurs, les enfants… on a dit on la choisit en famille. »

126Pour tous, l’important est de disposer d’un lieu où se réunir, afin d’assurer la cohésion du groupe et de transmettre cet esprit de famille.

127

« Si vous voulez, on a recommencé ce qui avait été fait à Annecy, on l’a recommencé de l’autre côté de la vallée, à V. Donc ça continue comme ça. Alors là, l’idée, c’est que c’est une maison, la clé est dans une boîte à l’entrée, les enfants peuvent y aller, les amis des enfants peuvent y aller. Mes sœurs et frères peuvent y aller. Au fond pour recommencer un peu le même type d’existence quoi. »
(Christine)

128Si comme l’écrit Bourdieu (2000), « la maison est indissociable de la maisonnée comme groupe social durable et du projet collectif de la perpétuer », on peut en déduire que d’une certaine manière, il existe une forme de maisonnée qui ne repose pas sur la proximité spatiale des logements mais sur la force des liens et le partage d’un lieu de vacances. « Font partie de la maisonnée ceux qui sont chez eux dans tel ou tel logement » (Weber, 2002). Le cas de Christine et Valérie n’est pas unique. De nombreux entretiens montrent le rôle joué par la résidence secondaire dans le maintien et la cohésion du groupe familial et cela dans les différents milieux sociaux. La maisonnée peut aussi regrouper plusieurs maisons de vacances. Lucie, par exemple, a acheté en Corrèze deux petites maisons parce qu’elle passait ses vacances chez sa sœur. La proximité résidentielle permet aux deux sœurs de se retrouver et de vivre sereinement un quotidien qu’elles n’ont pas connu durant leur enfance :

129

« Alors on a acheté là-bas en Corrèze, les enfants sont contents de venir, on est bien, j’ai ma sœur à côté, on n’est pas bien loin l’une de l’autre, alors on va aux champignons, on cueille les mûres, les framboises et puis voilà, ou alors on fait les mamies, moi je tricote, elle veut pas tricoter elle, mais moi je tricote et j’aime bien. »

130Avec la « petite maison aménagée » destinée aux enfants, le mode d’habiter idéal de Lucie pourra ainsi pleinement se réaliser « chacun chez soi ».

131La question de savoir si la famille-entourage locale peut être assimilée aux notions anthropologiques de groupe de parenté ou de réseau de parenté n’est pas simple, car la frontière entre les deux est mouvante et dépend des individus, de la façon dont ils vivent ces relations de parenté sous forme de solidarité ou de réciprocité pour reprendre les termes de Florence Weber. On touche là aux limites de l’exercice, en particulier parce que nous avons le discours d’un seul interlocuteur. Le cas de Denise constitue un exemple. Elle a l’impression d’avoir formé un clan, une tribu et le vit comme tel, mais qu’en est-il de ses enfants? En effet, d’après les travaux de Vern Bengtson et son équipe, les parents apparaissent toujours plus impliqués dans les relations familiales que leurs enfants. Les premiers, soucieux de préserver un certain nombre de valeurs, ont tendance à surestimer la solidarité intergénérationnelle et à minimiser les conflits tandis que les seconds, plus préoccupés de leur autonomie, réduisent l’importance de cette solidarité et exagèrent les différences parents/enfants (Bengtson et Giarrusso, 1995). Pour comprendre la réalité que recouvre la notion de famille-entourage locale, il serait nécessaire d’aller plus loin dans l’analyse en interrogeant les membres d’une même famille et en assurant un suivi dans le temps.

Conclusion

132Les résultats de l’enquête Proches et parents confirment la persistance des relations de parenté mise en évidence par de nombreux travaux sur les solidarités intergénérationnelles aussi bien en France (Attias-Donfut, 1995; Crenner, 1998; Segalen, 1991; Pitrou, 1978) qu’à l’étranger (Coenen-Huther et al., 1994; Bengtson et Roberts, 1991; Bengtson, 2001; Hillcoat-Nalletamby et al., 2002). Contrairement aux thèses de T. Parsons et à certains courants de recherche sur le déclin de la famille, le ménage n’est pas isolé dans la société urbaine contemporaine : les deux tiers des enquêtés ont au moins un contact par semaine avec un membre de leur famille, la moitié habitent la même commune qu’un parent et les trois quarts se déclarent proches de leur mère (Bonvalet et Maison, 1999). Les aides et les services circulent dans la très grande majorité des familles (Ortalda, 2001).

133Si la famille étendue, malgré la montée de l’individualisme, continue à exister dans la société urbaine, les liens que les enfants adultes entretiennent avec leurs parents sont très divers. Certains ont pris leurs distances, d’autres au contraire maintiennent des relations très étroites avec leur famille d’origine. De même qu’il n’existe pas un type de ménage, il n’existe pas un type de famille étendue. L’analyse statistique a permis de dégager plusieurs modes de fonctionnement de la parenté. Définie à partir d’indicateurs d’affinités, de fréquence des contacts et d’entraide, la famille-entourage correspond à une réalité qui ne va pas dans le sens d’une tendance générale au repli domestique : 30 % des enquêtés appartiennent à une famille-entourage locale, c’est-à-dire qu’ils habitent la même commune (ou une commune limitrophe) qu’un parent faisant partie des personnes citées comme proches, ont des contacts avec lui au moins une fois par semaine et échangent des services et des aides; 17 % appartiennent à des familles-entourage dispersées en maintenant ce type de relations fortes sans habiter à proximité. Au total, près de la moitié des enquêtés fonctionnent sur le mode de la famille-entourage.

134Comme on pouvait s’y attendre, les femmes organisent leurs relations de parenté selon ce mode plus souvent que les hommes. « Elles apparaissent clairement comme les premières artisanes de la construction des liens et des échanges familiaux » (Hammer et al., 2001). Même si des différences existent entre milieux sociaux (les cadres semblent fonctionner un peu moins en famille-entourage locale que les ouvriers), l’histoire familiale et résidentielle sont des facteurs déterminants. Pour résumer, la famille entourage-locale est davantage le produit des expériences de plusieurs générations et lignées que le résultat d’un déterminisme social ou démographique.

135Les entretiens ont permis d’affiner cette thèse en essayant de comprendre les processus par lesquels ces organisations de la vie en famille se sont mises en place et de montrer que les manières d’y parvenir pouvaient être différentes. Plusieurs modalités coexistent : les unes correspondent à une logique de « création de maison », que ce soit en reproduisant le modèle familial, en adoptant la belle-famille ou lorsqu’il y a rupture avec les deux familles d’origine et initiation de ce mode de fonctionnement avec les enfants adultes; d’autres, au contraire, ne répondent pas à un choix réel. Dans ce cas, la famille-entourage locale est plutôt le résultat d’une contrainte économique ou patrimoniale. En fait, la famille-entourage locale apparaît à la fois comme une manière de vivre en famille qui respecte l’indépendance de chaque individu et de chaque couple (on pourrait même dire que c’est parce que la famille-entourage existe qu’une certaine autonomie individuelle est possible [21]) et une adaptation de la famille complexe à la société urbaine (certains ont privilégié un mode de vie régi par les intérêts du groupe familial, d’autres n’ont pas réellement choisi cette manière de vivre en famille et en subissent les contraintes).

136Ces analyses reflètent la situation au moment de l’enquête et de l’entretien. Au cours du cycle de vie, un même individu peut fonctionner à certaines périodes en famille-entourage locale, puis à d’autres, au gré des événements familiaux ou professionnels, en famille-entourage dispersée. Au départ, ce fonctionnement peut par exemple se mettre en place avec les parents lorsque la décohabitation s’effectue à proximité, puis plus tard avec les enfants si ces derniers s’installent dans la même commune, ou encore avec les parents lors d’un rapprochement géographique. L’analyse des entretiens des enquêtés fonctionnant sur le mode famille-entourage dispersée met en évidence un clivage net entre ceux qui revendiquent, pourrait-on dire, ce mode de vie dans la mesure où l’éloignement ne change rien à l’intensité des relations, et ceux qui vivent cette cohabitation à distance comme transitoire, leur désir étant de revenir vivre à proximité de leurs parents ou de leurs enfants pour constituer une famille-entourage locale.

137Peut-on assimiler les notions de famille-entourage locale et de famille-entourage dispersée aux notions plus anthropologiques de groupe de parenté ou de réseau de parenté, comme le propose Jean-Hugues Déchaux? D’après les entretiens, il semble que le clivage ne soit pas aussi net. De par leur fonctionnement, notamment lorsqu’existe un patrimoine industriel ou agricole, certaines familles-entourage locales peuvent être assimilées à une maisonnée. Pour d’autres, c’est leur façon de partager la résidence secondaire de l’un des membres de la famille qui tendrait à faire penser que des familles-entourage dispersées pourraient également être rattachées à des maisonnées. On touche là aux limites de notre analyse. La famille étendue existe sous de multiples formes qui évoluent au cours de l’existence. La famille-entourage témoigne d’une réalité, tout du moins dans les chiffres, qui est celle d’une présence familiale dans la vie des individus. Reste à connaître le sens de cette présence : signifie-t-elle l’adhésion à un groupe solidaire comme le suggèrent les travaux de Vern Bengtson et son équipe, ou simplement l’appartenance à un réseau d’échanges de services et de biens, comme l’écrit F. de Singly? Comment concilier ce besoin d’autonomie avec ce « besoin de famille » qui transparaît de manière aussi forte? C’est l’une de ces contradictions qu’anthropologues, sociologues, psychologues et démographes auront à explorer dans les prochaines années.

Remerciements

Je remercie Dominique Maison pour sa collaboration à l’enquête Proches et parents ainsi qu’Arnaud Bringé pour son aide informatique.

Notes

  • [*]
    Institut national d’études démographiques, Paris.
  • [1]
    Ou la famille traditionnelle a disparu pour laisser la place à la famille « conjugale » et aux autres formes familiales que sont les familles monoparentales et les familles recomposées, ou elle survit au travers des relations de parenté qui s’expriment par les aides, les donations et la fréquence des visites (de Singly, 1993).
  • [2]
    Voir le chapitre 2 du livre de Michel Amiot, « En construisant une anthropologie urbaine, P.-H. Chombart de Lauwe bute contre l’État », L’État contre les sociologues, Paris, Éditions de l’EHESS, 1986.
  • [3]
    Michel Amiot retrace bien cette découverte dans son ouvrage, op. cit.
  • [4]
    On peut cependant noter qu’en Grande-Bretagne, pour former un ménage, il faut non seulement partager le même logement mais également partager une partie des achats alimentaires et la préparation des repas. Le household se définit ainsi : « a group of people who live in the same accommodation and share at least some of the catering ».
  • [5]
    En nous inspirant de l’enquête historique de Jacques Dupâquier, nous avons sélectionné des personnes dont le patronyme commençait par TRA. À l’aide du minitel, nous avons ensuite constitué un échantillon représentatif de la population adulte selon la méthode des quotas. C’est pourquoi les enquêtés sont soit des personnes de référence, soit des membres du ménage (cf. l’article consacré à l’enquête Proches et parents par Bonvalet et al. dans Population, 48(1), 1993).
  • [6]
    Les contacts comprennent les rencontres, les entretiens téléphoniques et la correspondance.
  • [7]
    La première partie du questionnaire contenait des questions, d’une part, sur les aides en matière d’orientation scolaire ou professionnelle et la recherche d’un emploi ou d’un logement et, d’autre part, sur les aides durant les moments difficiles ainsi que sur les aides régulières. Dans la partie du questionnaire concernant les proches, une question permet de savoir pour chacun d’entre eux s’ils ont aidé ou été aidé par ego et donc de repérer les personnes faisant partie de ce système d’entraide.
  • [8]
    Il est possible par exemple qu’une femme ait des relations fortes avec sa mère tandis que son conjoint est plus distant de sa belle-mère.
  • [9]
    Les oncles, tantes, cousins, cousines, neveux et nièces ne représentent que 2,4 % de l’ensemble des membres de la famille proche alors que les parents et beaux-parents en constituent 22 %, les enfants et petits-enfants 32 %, et les frères, sœurs, beaux-frères et belles-sœurs 35 %.
  • [10]
    Céline Clément note dans sa thèse qu’il ne semble pas que les liens de famille se resserreraient autour de la mère veuve mais autour de la famille que les enquêtés ont créée (Clément, 2002).
  • [11]
    Nous avons retenu ici la profession de la personne de référence et non celle de l’enquêté.
  • [12]
    Dans Le monde privé des ouvriers, Olivier Schwartz (1990) a décrit la force de la relation mère-fille : « Bien des femmes, qui disent ne pas pouvoir se passer de leur mère, ne sont manifestement pas en quête de prestations matérielles. Leur demande est beaucoup plus radicale : avec leur mère, elles font couple. Il “faut” qu’elles la voient ou qu’elles lui téléphonent. Même en absence de besoin, c’est un lien qui ne doit pas se rompre ».
  • [13]
    Les entretiens semi-directifs ont été réalisés dans le cadre de l’atelier SRAI (Statuts résidentiels : approche intergénérationnelle) qui regroupe huit chercheurs : I. Bertaux-Wiame (CNRS), C. Bonvalet (Ined), P. Cuturello (CNRS), A. Gotman (CNRS), Y. Grafmeyer (Université Lyon II), D. Maison (Université Paris X-Ined), L. Ortalda (Ined) et P.-A. Rosental (EHESS).
  • [14]
    D’après les 99 entretiens de l’enquête Proches et parents, 32 personnes ont un fonctionnement en famille-entourage locale, soit 31 %. On retrouve quasiment le pourcentage obtenu à partir de l’analyse statistique. À ceci, il faut ajouter 3 entretiens effectués également auprès du conjoint et 2 entretiens auprès des sœurs. Au total, nous disposons de 37 histoires de vie.
  • [15]
    M. Coppel et A.-C. Dumaret ont mis en évidence deux tendances opposées dans le choix du conjoint des adultes ayant été placés durant leur enfance dans un foyer : « La première conduit à choisir quelqu’un qui va plutôt les aider, grâce à qui ils pourront avoir une famille qui leur a manqué »; l’autre tendance conduit au contraire à choisir un conjoint « en miroir, quelqu’un qui a souffert comme eux-mêmes pendant son enfance » (dans Que sont-ils devenus? Analyse d’un placement familial spécialisé, Toulouse, éditions Erès, 1995).
  • [16]
    Ou encore les parents étaient déjà décédés au moment de la constitution de la famille d’ego.
  • [17]
    En fait, son fonctionnement correspond au « pendant » de certains des cas précédents. Alors que dans les exemples étudiés, ego pouvait mettre à l’écart la famille du conjoint ou pallier son absence par ses relations avec ses propres parents, l’enquêté ayant ici « rejeté » sa famille tisse des liens très étroits avec ses beaux-parents qui deviennent les « seuls » grands-parents de ses enfants.
  • [18]
    Le cas de Denise a fait l’objet d’une analyse plus approfondie (Bonvalet et Maison, 2001).
  • [19]
    Voir le cas traité à la fois par Isabelle Bertaux-Wiame (1999) – Monsieur H., un cafetier qui ne peut pas quitter son village – et Anne Gotman (1999) – sur le choix de rester sur place.
  • [20]
    Voir la note de lecture de Jean-Hugues Déchaux sur le livre La famille et ses proches : l’aménagement des territoires dans la Revue française de sociologie, 2001, vol. 42-1.
  • [21]
    Cf. l’ouvrage de Claudine Attias-Donfut, Nicole Lapierre et Martine Segalen sur Le nouvel esprit de famille (2002). Pour elles, « Parenté et individualisme ne sont pas incompatibles, mais complémentaires, voire compensatoires ».
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Français

Résumé

Si la famille étendue, malgré la montée de l’individualisme, continue à exister dans la société urbaine, les liens que les enfants adultes entretiennent avec leurs parents sont très divers. Certains ont pris leurs distances, d’autres au contraire maintiennent des relations très étroites. L’enquête Proches et parents de l’Ined a permis de dégager plusieurs modes de fonctionnement de la parenté. La famille-entourage locale correspond à une réalité qui ne va pas dans le sens d’une tendance générale au repli domestique : 30 % des enquêtés appartiennent à une famille-entourage locale, c’est-à-dire qu’ils habitent la même commune qu’un parent faisant partie des personnes citées comme proches, ont des contacts avec lui au moins une fois par semaine et échangent des services et des aides. Les entretiens ont permis de comprendre les processus par lesquels ces organisations de la vie en famille se sont mises en place. Plusieurs modalités coexistent : les unes correspondent à une logique de « création de maison », que ce soit en reproduisant le modèle familial, en adoptant la belle-famille ou lorsqu’il y a rupture avec les deux familles d’origine et initiation de ce mode de fonctionnement avec les enfants adultes; d’autres, au contraire, ne répondent pas à un choix réel. Dans ce cas, la famille-entourage locale est plutôt le résultat d’une contrainte économique ou patrimoniale. En fait, celle-ci apparaît à la fois comme une nouvelle manière de vivre en famille qui respecte l’indépendance de chaque individu et de chaque couple et comme une adaptation de la famille complexe à la société urbaine.

Español

Resumen

A pesar del creciente individualismo, la familia extensa sigue presente en la sociedad urbana, pero el tipo de relaciones que los hijos adultos mantienen con sus padres son muy variadas. Mientras que algunos se han distanciado, otros siguen manteniendo relaciones muy estrechas. De la encuesta Entorno y parientes (Proches et parents) del INED se derivan varias formas de organización del parentesco. La imagen que ofrece el grupo familiar no es la de una tendencia generalizada al repliegue domestico: el 30% de los encuestados pertenecen a un grupo familiarlocal, es decir, viven en el mismo municipio que un pariente que forma parte del entorno descrito como próximo o local, se comunican al menos una vez por semana e intercambian ayuda y servicios. Las entrevistas han permitido comprender los procesos a través de los cuales se organiza la vida en familia. Se constata la coexistencia de varias modalidades: algunas responden a una lógica de “creación de hogar”, sea reproduciendo el modelo familiar, adoptando a la familia del cónyuge o independizándose de las dos familias de origen e iniciando tal modo de funcionamiento con hijos adultos. Algunas modalidades, sin embargo, no son producto de una elección deliberada. En estos casos, el recurso al grupo familiar en el ámbito local es más bien el resultado de restricciones económicas o patrimoniales. Esta constituye pues una nueva forma de vivir en familia respetando la independencia de cada individuo y de cada pareja y una adaptación de la familia extensa a la sociedad urbana.

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Catherine Bonvalet [*]
Catherine Bonvalet, Institut national d’études démographiques, 133 bd Davout, 75980 Paris Cedex 20, tél : 33 0(1) 56 06 21 46, fax : 33 0(1) 56 06 21 99
courriel : bonvalet@ined.fr
  • [*]
    Institut national d’études démographiques, Paris.
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https://doi.org/10.3917/popu.301.0009
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