CAIRN.INFO : Matières à réflexion

1En 2010, la moitié des natifs des DOM âgés de 18 à 79 ans ont vécu ou vivent durablement hors de leur département d’origine, soit 594 000 personnes sur un total de 1 257 000 [1]. Cette situation inscrit les trajectoires des habitants des DOM dans un double espace, celui de leur département et celui de la métropole, et entraîne d’importants déséquilibres sociaux et démographiques. Ce phénomène de migration massive est récent, on peut le dater de la deuxième moitié du XXe siècle. Auparavant, ceux qui venaient en métropole étaient surtout des étudiants, des intellectuels, des membres des classes moyennes et supérieures, même si des membres des classes populaires appartenant à des professions très spécifiques, comme les navigateurs, traversaient aussi l’Atlantique [2]. À partir des années 1950 le nombre de ces migrants augmente sans commune mesure et ils appartiennent majoritairement aux classes populaires. Une partie de cette migration a été prise en charge, de façon inédite sous cette forme et de cette ampleur, par l’État, à travers la création d’une institution originale, au statut de société d’État, le Bureau des migrations d’outre-mer (BUMIDOM).

Le BUMIDOM est créé en 1963 par le gouvernement français, à l’instigation de Michel Debré, devenu, après sa démission du poste de Premier ministre, député de la Réunion [3]. Il s’agit d’une société d’État, au budget autonome, placée directement sous la tutelle des différents secrétariats d’État à l’Outre-mer. Son objectif assumé est d’encadrer et d’organiser les migrations venues des DOM, afin de désamorcer la crise sociale latente dans les DOM (émeutes de 1959 à Fort-de-France) et de s’assurer du maintien des DOM, derniers vestiges de l’empire, dans la République française. La migration d’individus souvent jeunes permet de couper les mouvements indépendantistes de leur base supposée. Le contexte est celui des Trente Glorieuses en métropole, plein emploi, apogée de la société salariale, tandis que la situation des DOM reste bien plus dégradée [4]. Ce projet s’inscrit dans la continuité de projets antérieurs qui envisageaient le déplacement de populations des Antilles en Guyane ou de La Réunion à Madagascar [5]. Il rassemble réseaux gaullistes (hommes politiques hexagonaux ou élites issues des DOM), hauts-fonctionnaires, souvent anciens préfets, militaires, experts au profil technocrates. Il s’agit pour la France de la gestion inédite d’une migration : par sa durée, par son encadrement, par les moyens, même si d’autres formes d’encadrement des migrations ont existé, notamment à travers les foyers de travailleurs [6]. L’action du BUMIDOM concerne non seulement l’organisation des voyages des migrants vers l’hexagone mais aussi des activités sociales : prêts, aides au logement, formations, voyages-vacances. Le BUMIDOM dispose d’antennes locales dans les DOM et dans des villes de métropole. Il s’appuie sur des associations dédiées à une action sociale et culturelle : le Comité d’action sociale en faveur des originaires des départements d’outre-mer en métropole (CASODOM), créé avant le BUMIDOM, en 1956, l’Amicale des Travailleurs antillo-guyanais (AMITAG, 1964) et le CNARM (Comité national d’accueil et d’actions pour les Réunionnais en mobilité, 1965). Ces associations bénéficient de subventions publiques et d’aides du BUMIDOM. Un partage des rôles s’opère entre ces associations dirigées par des élites d’origine domienne, souvent proches des réseaux gaullistes, et le BUMIDOM dirigé par des hauts-fonctionnaires, notamment des anciens préfets. Le nombre de migrants passés par le BUMIDOM s’élève, en vingt ans, à près de 200 000 ce qui, rapporté à la population des DOM au début des années 1960, constitue un chiffre très important (en 1961, il y a 283 000 habitants en Guadeloupe, 292 200 en Martinique, 350 000 à La Réunion). Au même moment cependant, le nombre de migrants dits « spontanés » qui ne passent pas par l’entremise du BUMIDOM, est quasi-équivalent. L’opposition ou le soutien à la migration organisée représentée par le BUMIDOM a largement structuré l’espace politique aux Antilles dans les années 1960 et 1970 et a eu des implications à La Réunion [7]. Les mouvements autonomistes et indépendantistes, politiques ou syndicaux, ont dénoncé le BUMIDOM accusé de ponctionner les forces vives de leurs nations. En 1982, le gouvernement socialiste a supprimé le BUMIDOM, le transformant en Agence nationale pour l’insertion et la protection des travailleurs d’Outre-mer (ANT), dont les missions différaient sensiblement, orientées vers les politiques d’insertion de la population domienne présente en métropole et non plus vers la migration.

2Les départements d’outre-mer sont pris à partir des années 1960 dans une relation avec la métropole qui s’inscrit dans une double ambiguïté : tout d’abord, ces derniers vestiges de l’empire français, vieilles colonies ainsi qu’on les désigne, sont inscrits dans une relation de dépendance et de subordination par rapport à la France hexagonale, héritée de l’ère coloniale. D’autre part, l’égalité civile et le statut de citoyen, acquis dès le XIXe siècle, inscrivent ces territoires dans une égalité formelle qui participe de l’universalisme républicain et de la prétendue color-blindness française. Le BUMIDOM est caractéristique de cette double ambiguïté : il correspond en effet au « traitement public spécialisé des migrants d’outre-mer » mis en place par les pouvoirs publics, au nom pourtant de leur qualité de citoyens et de l’universalisme républicain [8].

3L’entreprise mise en œuvre par le BUMIDOM ne concerne en effet pas n’importe quelle population : les travaux de Silyane Larcher ont montré que, si l’abolition de l’esclavage en 1848 a institué la pleine égalité civile et politique entre ex-esclaves des colonies et citoyens (masculins) de métropole, cette citoyenneté s’est accompagnée d’un régime législatif dérogatoire au droit commun [9]. Cette division de l’égalité a entraîné selon elle une fabrique spécifique de la race fondée non sur le colorisme mais sur l’idée d’une exception culturelle et historique. La départementalisation de 1946 est censée avoir mis fin à cette exceptionnalité juridique des DOM. Or, le BUMIDOM n’est pas seulement l’héritier de cette histoire coloniale, mais il contribue, durant les vingt années de son existence, à la fabrique institutionnelle d’une spécificité des domiens dans la société française. Les conditions sociales de la migration contribuent à en façonner les représentations, écrivait Abdelmalek Sayad [10]. L’existence du BUMIDOM va de pair avec la persistance de certaines formes de racialisation, entendue comme un processus de construction de la réalité sociale par la production de catégories liées à la race [11]. Elles s’appuient davantage, par rapport à la situation dans d’autres pays, sur un référent territorial plutôt qu’ethnique, même si les deux se recoupent. Elles sont ainsi caractéristiques des relations de la République française avec ses citoyens d’Outre-mer. Ces ambiguïtés offrent néanmoins pour les populations concernées des marges de manœuvre. L’organisation de la migration par le BUMIDOM a rencontré la volonté de nombreux Domiens d’échapper à une situation sociale très dégradée en profitant des opportunités offertes en métropole. Ils n’étaient pas pour autant complètement démunis face à une société d’État toute-puissante.

4Nous porterons donc l’analyse sur ces deux échelles, celle de la société d’État et celle des migrants, pour examiner cette politique qui a duré vingt ans. Tout d’abord, la migration organisée par le BUMIDOM est caractérisée par un fort encadrement étatique : des objectifs sont fixés, une sélection est opérée, les migrants sont formés et, dans la mesure du possible, placés. D’autre part, la politique du BUMIDOM comprend un volet de politique sociale qui passe notamment par la formation, le logement et l’emploi, sans commune mesure avec d’autres phénomènes migratoires. Si elle est menée au nom de l’égalité entre citoyens, la spécificité de la formation, les difficultés rencontrées par le BUMIDOM concernant le logement et les réactions au sein d’une entreprise publique comme la Poste quant à la présence massive de ressortissants des DOM dans le personnel laissent entrevoir des glissements diffus, en interne et surtout de la part des interlocuteurs extérieurs du BUMIDOM, vers une racialisation. Ils en disent long également sur la position de relative faiblesse institutionnelle de la société d’État et sur les contradictions entre objectifs politiques poursuivis et conditions de leur mise en œuvre. Enfin, les marges de manœuvre des migrants eux-mêmes permettent d’envisager l’hypothèse d’une institution plus faible qu’elle n’y paraît.

Nous avons travaillé sur les archives du BUMIDOM conservées aux archives nationales (AN). Elles ont été déposées par plusieurs ministères : Outre-mer mais aussi Affaires sociales, Intérieur, Transports et Postes et Télécommunications. Il existe des archives, que nous avons dépouillées, aux archives départementales de Martinique (le travail sera poursuivi à la Réunion et en Guadeloupe). Beaucoup de ces archives reflètent le point de vue de l’institution. Mais nous disposons, de façon ténue, de celui des migrants, à travers les dossiers des rapports individuels les concernant conservés dans les archives du BUMIDOM, sous la forme de 300 cartons d’archives : AN, 1994 0429/1-300 (afin de rendre anonymes les individus concernés, nous avons tiré au sort parmi les prénoms et initiales des enseignants du département d’histoire de Paris 8). 174 000 dossiers avaient été déposés aux AN en 1994, lors du déménagement de l’ANT de Paris à Saint-Denis. Elles ont fait le choix de garder 1/10e de ces dossiers et quatre années entièrement conservées comme « blocs-témoins ». Ces sources fonctionnent à la manière des hidden transcripts identifiés par James Scott concernant les méta-résistances des subalternes [12]. Ils permettent d’aller au-delà du discours public du BUMIDOM et de comprendre comment les populations concernées, même sans adhérer explicitement à l’opposition directe des mouvements indépendantistes, ont pu contourner ou détourner les politiques auxquelles elles étaient soumises. Une partie de ces rapports a été dépouillée dans un cadre de travail collectif, celui du séminaire GARP (Générations d’Antillais en région parisienne) organisé par Jennifer Bidet et Anton Perdoncin et coordonné par Audrey Célestine, Séverine Chauvel, Muriel Cohen, Amélie Grysole, Stéphanie Guyon et Sylvain Pattieu. Ce travail est toujours en cours. Les premiers rapports de recherche présentés en mai 2016, après travail en archives sur des échantillons des dossiers, par les étudiants participant au séminaire (Pierre Alayrac, Saskia Meroueh, Joy Obayemi, Ekaterina Pereprosova, Clotilde Perret, Justine Roure, Marc Strazel), apportent des informations et des analyses très intéressantes. Ainsi, se rejoignent travail individuel et travail collectif.

Le BUMIDOM, une migration encadrée

5D’un point de vue socio-économique, les migrants venus avec le BUMIDOM diffèrent peu d’autres migrants coloniaux ou postcoloniaux de la même période [13]. Leur nationalité française est cependant un fait fondamental et elle justifie les moyens et les objectifs politiques forts dont est doté le BUMIDOM. Cette volonté d’encadrement se heurte cependant à des limites dès lors que le BUMIDOM est confronté à d’autres acteurs, notamment patronaux.

Une migration citoyenne et spécifique

6L’objectif affiché du BUMIDOM est de faire venir en métropole des citoyens français, cette caractéristique étant soulignée à maintes reprises, comme si elle n’allait pas de soi : « La migration est uniquement dictée par l’esprit de solidarité nationale » [14], « il doit bien être admis que les migrants des DOM se présentant sur le marché métropolitain du travail doivent être comptés parmi les candidats français [15] ». Les migrants des DOM sont comparés aux Bretons, Corses, Savoyards, Haut et Bas-Alpins, Auvergnats, Basques, pour lesquels ont été adoptées des « solutions analogues à celles retenues par les Antillais venant s’implanter en métropole [16] ». Pourtant, c’est bel et bien une politique spécifique qui leur est appliquée, un « effort financier et social […] considérable », « sans commune mesure avec ce qui est fait pour d’autres migrations », avec pour justification la situation « particulière » d’éloignement des îles, mais avec l’objectif d’« éviter la constitution d’un service social spécialisé qui aurait tendance à renforcer leur particularisme et irait contre le but poursuivi [17] ».

7Cette migration, face à la crise sociale et politique, est présentée comme une urgence. Le préfet Jean-Émile Vié, président du BUMIDOM, l’explique clairement en 1971, lors de son intronisation : « Il est possible d’appeler les gens à prendre leurs responsabilités, encourager le contrôle des naissances. Ce faisant, on influera sur l’avenir mais pas sur le présent. On peut développer l’agriculture, encourager l’industrialisation, rechercher la création d’emplois secondaires et tertiaires. Les résultats ne seront cependant sensibles qu’à terme. Seule la migration a des effets immédiats [18] ». Les objectifs quantitatifs sont dès lors mis en avant comme sur la photographie 1, couverture du rapport d’activité de l’organisme en 1971 : un bilan présenté sous forme de courbe ascendante du nombre de migrants.

Document 1

Couverture du rapport d’activités 1971 du BUMIDOM

Document 1

Couverture du rapport d’activités 1971 du BUMIDOM

8En une décennie, les « effets immédiats » sont devenus une politique de moyen terme. Les documents 2 et 3 montrent qu’un faible nombre de Guyanais ont été concernés par les migrations organisées par le BUMIDOM. En revanche, La Réunion et plus encore les Antilles, proportionnellement au nombre d’habitants, fournissent un important tribut de migrants. Un pic est atteint au milieu des années 1970, avec plus de 10 000 migrants par an. Il y a alors convergence entre les intérêts du gouvernement de désamorcer la crise sociale et ceux du patronat de disposer d’une main-d’œuvre docile dans le contexte de l’insubordination ouvrière de l’après 68 [19]. À la fin des années 1970 cependant, le climat économique se dégrade et il en découle une nette décrue du nombre de migrants jusqu’à la disparition du BUMIDOM.

Document 2

Migrations organisées par le Bumidom[20]

Document 2

Migrations organisées par le Bumidom[20]

Document 3

Répartition totale des migrations du BUMIDOM par origine géographique

Document 3

Répartition totale des migrations du BUMIDOM par origine géographique

9Il faut souligner, enfin, une caractéristique originale de cette migration : la forte proportion de femmes en son sein, soit un tiers des migrants hors regroupement familial. Alors que les migrants étrangers sont souvent, dans les années 1960 et 1970, de jeunes hommes célibataires, cette importante population féminine participe de la volonté du BUMIDOM de régler, par la migration, ce qui est considéré avant tout comme un problème démographique.

Document 4

Répartition hommes-femmes et différents types de migrations (1962-1981)

Document 4

Répartition hommes-femmes et différents types de migrations (1962-1981)

Sélectionner les migrants

10La société d’État prend en charge différentes étapes de la migration : sélectionner les migrants sur place, les accueillir en métropole, les former, avant ou après cet accueil, les placer, c’est-à-dire leur trouver un emploi, enfin les faire rester, puisqu’il s’agit de rendre cette migration définitive. Le BUMIDOM fait signer aux migrants des formulaires-types obligatoirement remplis et signés. Ils y « sollicitent l’aide du BUMIDOM », précisant que leur décision « n’est pas dictée par les facilités et concours [qu’ils peuvent] obtenir du BUMIDOM mais qu’elle est l’expression d’une volonté fermement réfléchie », et sont décidés « à accomplir les efforts nécessaires à [leur] adaptation dans un nouveau milieu de travail et d’existence [21] ». Le document stipule que « seul le voyage aller vers la métropole » est accordé.

11Pour le BUMIDOM, « une migration bien conduite ou correctement organisée devrait concerner, pour une large part, les jeunes travailleurs se présentant sur le marché de l’emploi et les orienter, lorsque cela est possible, sur une formation professionnelle métropolitaine [22] ». Les forces vives de ces îles sont privilégiées pour le départ en métropole. Les premières années, il semble que la sélection soit menée directement par les services sociaux de la préfecture, voire par les renseignements généraux, avec des informations concernant les opinions politiques des candidats [23]. On ne trouve plus trace de telles interventions après 1965. Les antennes locales du BUMIDOM se chargent ensuite des enquêtes sociales menées sur les candidats. Les migrants potentiels sont soumis à une visite médicale et à des tests psychotechniques.

12L’objectif affiché est de mettre en place « une migration diversifiée allant de l’ouvrier qualifié à l’ouvrier spécialisé [24] ». Les renseignements contenus dans les fiches issues des enquêtes sociales montrent des migrants jeunes, si on excepte une partie de ceux venant par le regroupement familial, issus de milieux très pauvres, de faible niveau scolaire : ainsi d’Anne B., née en 1951, originaire de Saint-Pierre de la Réunion, deuxième d’une famille de six enfants, ayant arrêté ses études en 5e, qui vit avec sa famille dans une « maison en bois sous tôle divisée en quatre pièces », sans eau ni électricité [25]. Ou de Yannick R., née en 1947, originaire de Saint-Georges Basse-Terre en Guadeloupe, père décédé, niveau d’étude 6e, vivant avec sa mère et deux autres membres de sa famille dans une maison en bois d’une pièce dotée de l’électricité [26]. Parmi les renseignements demandés dans les fiches, la moralité des candidats, leur religion, des éléments concernant l’apparence physique : « Bonne présentation. Simplicité. Sincérité. Visage assez agréable [27] », « Impression générale bonne. Jeune femme élégante et très coquette (…), robusticité apparente : bonne [28] », « Bonne constitution physique, sérieux, s’exprimant moyennement [29] ». Pour les nombreux candidats mineurs, des autorisations parentales sont demandées, des précisions sur la volonté éventuelle des parents que leur enfant assiste régulièrement à la messe. Pour les femmes ayant un enfant, la famille proche doit produire des attestations garantissant qu’ils le prendront en charge en l’absence de sa mère.

13Tout en refusant les « manœuvres-balai » symbole d’une migration « au rabais » dont le BUMIDOM veut se démarquer, la société d’État évoque régulièrement le souhait d’un élargissement du recrutement et paraît bien peu regardante quant au profil des postulants. La trentaine de dossiers retrouvés, instruits par la préfecture avant 1965, montrent très peu de candidats ayant un avis défavorable. C’est le cas de Philippe M., condamné pour vol et recel [30]. Martin G. obtient un avis réservé parce qu’il se livre à la boisson. Mais Boris B., « individu assez tapageur et très instable », vivant dans une « maisonnette très mal tenue et inachevée », qui a subi deux séjours à l’hôpital pour éthylisme, obtient finalement, après hésitation, un avis favorable. Le BUMIDOM remet en cause les visites médicales ou les tests psychotechniques trop stricts qui ralentissent le traitement des dossiers et écartent des candidats. Ainsi, en 1965 en Martinique, 50 % des candidats de 19 ans sont écartés lors des tests [31]. Le BUMIDOM s’intéresse à la migration de ces « inaptes » car « ces jeunes, non scolarisés et sans emploi, constituent un élément de perturbation sociale et pèsent lourdement sur les économies départementales ». L’intérêt de la société d’État pour ces candidats recalés la conduit à une politique de formation qui sera détaillée par la suite. Le BUMIDOM envisage même, sans aucun moyen politique pour mener une telle proposition, une diminution de l’assistance locale, notamment municipale, pour persuader de la migration les « oisifs volontaires » et autres « demandeurs d’emploi en dilettante [32] ».

14Le regroupement familial est aussi l’une des voies vers la métropole, de plus en plus important à mesure que la migration se pérennise. Cette migration est vue comme la « marque de la stabilité des migrants [33] » et comme un moyen de lutter contre le « surpeuplement [34] » des îles. Les documents demandés visent surtout à établir la relation, fiches d’état-civil, certificats de prénuptialité pour les fiancé-e-s… Cette migration fait intervenir plutôt des personnes jeunes, conjoint-e-s ou enfants, mais également des membres de la famille plus âgés : en mars 1972, Maxime L. souhaite ainsi faire venir de Martinique en métropole sa mère née en 1911, après avoir déjà organisé la venue d’un frère et trois sœurs [35]. Elle ne concerne donc pas uniquement des femmes et pas seulement des personnes en âge de travailler. Cependant, si nous ne disposons pas de statistiques précises à ce sujet, il est certain que, dans de nombreux cas, ce sont des conjointes qui migrent et cherchent à travailler lors de leur arrivée en métropole.

Document 5

Part des regroupements familiaux dans la migration organisée par le BUMIDOM

Document 5

Part des regroupements familiaux dans la migration organisée par le BUMIDOM

Former et placer

15La fonction de placement du BUMIDOM est essentielle car le travail est un des principaux arguments migratoires. S’assurer que chaque migrant devienne salarié permet de justifier l’activité du BUMIDOM et de contrer les arguments des opposants à la Société d’État, très présents dans les DOM, notamment dans les mouvements indépendantistes, qui dénoncent une migration de misère. Jusqu’en 1975, date à laquelle l’ANPE s’empare de cette prérogative, les placements directs passent par la société d’État. Ils deviennent plus difficiles avec la crise qui se développe dans les années 1970. Les placements directs représentent presque un tiers de la migration (document 7). Il n’y a pas de données précises sur leur composition, mais on peut imaginer qu’une partie concerne la fonction publique.

16Certaines entreprises, surtout dans le secteur automobile, recrutent directement elles-mêmes, sur place. De telles actions sont vues très favorablement par le BUMIDOM qui organise la migration mais délègue la sélection, n’a pas à s’occuper du placement et laisse l’entreprise s’occuper d’une partie de la formation et du logement. Sont concernées Renault, la SNCF (où le BUMIDOM se plaint que les travaux les plus durs d’entretien des voies soient réservés aux migrants), Peugeot, Berliet, Michelin, Chrysler, la SIMCA. Pour ces grandes entreprises, les migrants des DOM semblent considérés de la même manière que des travailleurs immigrés. De façon significative, les documents de recrutement de Berliet (document 6), au milieu des années 1960, s’adressent indifféremment aux « jeunes gens des pays d’Outre-mer », qu’ils viennent des DOM ou des anciennes colonies de l’AOF [36].

Document 6

Brochure de recrutement de l’entreprise Berliet

Document 6

Brochure de recrutement de l’entreprise Berliet

17Quelques années plus tard, dans le contexte agité des années 1970, la décision de recruter hors métropole vise d’autant plus à s’assurer d’une main-d’œuvre docile. Ainsi, Michelin cesse de recruter des migrants du BUMIDOM à Troyes quand un Martiniquais et un Guadeloupéen se portent candidats sur la liste CGT. L’entreprise préfère alors recruter des Portugais, déclenchant l’ire du BUMIDOM qui insiste sur la priorité à donner aux ressortissants français [37].

18Une proportion non négligeable des migrants sont envoyés en formation (document 7). Si on ajoute les migrants en placement direct formés avant migration, on comprend que cet aspect constitue une des activités principales du BUMIDOM. Plusieurs types de formations sont mises en œuvre : dans les centres de formation professionnelle pour adultes (FPA), parmi des stagiaires métropolitains, mais aussi dans des centres spécifiques de préformation, certains outre-mer eux-mêmes, comme le centre de la Sakay (Babetville) à Madagascar ou en métropole à Crouy-sur-Ourcq (1965), Simandres (1968), Marseille (1969) ou Cassan (1978). De nombreux migrants passent par ces centres : en 1979, ils sont ainsi 1 500 sur 7 900 migrants dans l’année. Entre 1962 et 1981, les FPA ont vu passer plus de 22 000 migrants, auxquels il faut en ajouter 4 800 ayant bénéficié d’autres formations et une partie sans doute des migrants placés directement. Il y a une double dimension à cette formation : à la fois à un métier, mais aussi à la vie en métropole, point sur lequel la migration issue des DOM diffère de celle d’autres régions métropolitaines.

Document 7

Répartition des principales branches de la migration (1962-1981)

Document 7

Répartition des principales branches de la migration (1962-1981)

19La plupart des formations proposées par le BUMIDOM se tiennent dans des centres FPA dans une optique surtout industrielle (document 8). Les deux secteurs principaux de formation, pour les hommes, sont l’industrie métallurgique et le bâtiment, ce qui relativise l’image d’une migration de petits fonctionnaires. Les rapports du BUMIDOM évoquent pourtant, concernant le bâtiment, des « carrières surchargées », des métiers trop durs « pour ces créoles supportant mal un climat rigoureux » mais les sélections psychotechniques opérées avant le départ orientent impitoyablement les migrants vers ces filières peu qualifiées et dévalorisées [38].

Document 8

Répartition par type de formation en centre FPA (1979)

Document 8

Répartition par type de formation en centre FPA (1979)

20Le document 9 confirme cette prédominance industrielle en analysant plus précisément la répartition des formations de la rubrique « divers ». De nombreuses catégories, parmi les plus représentées, concernent des industries dans lesquelles les emplois sont surtout occupés par des femmes : « opératrices tissus légers » ou « initiation industrielle ». Dans les régions de Rouen ou de Troyes, par exemple, des usines textiles sont concernées par cette main-d’œuvre. Pour les femmes cependant, la prédominance n’est pas industrielle (document 10) : les métiers de service, principalement ceux d’employées de maison et d’aide-ménagère, mais aussi les agents de collectivité (avec une forte proportion d’aides-soignantes) fournissent des débouchés plus nombreux. Dans les années 1970, le nombre d’ouvrières augmente, notamment du fait de réticences nombreuses pour les métiers domestiques. Mais la fin des années 1970 est marquée par la crise et la diversité des débouchés se réduit. Le nombre de femmes devenues OS diminue, le recrutement est de plus en plus difficile également pour les agents hospitaliers.

Document 9

Répartition dans les centres FPA « divers » (1979)

Document 9

Répartition dans les centres FPA « divers » (1979)

Document 10

Répartition des migrations féminines en 1975 et 1979

Document 10

Répartition des migrations féminines en 1975 et 1979

21Les migrants formés en FPA sont mêlés à des adultes métropolitains. Le BUMIDOM met en place, de façon complémentaire, ses propres centres de formation, spécifiquement dédiés aux migrants des DOM. Le centre de Simandres, réservé, dans la région lyonnaise, aux hommes, a une fonction directement industrielle. Il s’agit pour les migrants de « passer d’une activité outre-mer à un emploi en usine en métropole ». Six semaines de stage sont décomposées d’abord en deux semaines d’adaptation à la vie métropolitaine, vie courante, formation psycho gestuelle. Suivent quatre semaines d’initiation à la vie professionnelle afin de « placer les intéressés dans l’ambiance réelle du travail de production en usine » : respecter les cadences, les règles de sécurité. Les formateurs appartiennent aux entreprises Berliet ou Brandt. Sur les quatre semaines, trois se passent directement en fabrication sous l’autorité de la maîtrise : « leur travail en usine défraie les entreprises qui les forment ». Pour le BUMIDOM, « ce qui compte, avant tout, est que nos migrants ne soient pas de faux ouvriers, des marginaux. Nous avons noté, avec les moniteurs des entreprises, que durant les deux premières semaines en usine naissent souvent chez les stagiaires découragement et indifférence pour le travail [39] ». Ces difficultés, attribuées à des complexes ou à des aspirations professionnelles insatisfaites, diminuent en troisième et quatrième semaines « quand le stagiaire ne se sent plus marginal par rapport au groupe ouvrier, quand il s’identifie à l’équipe, à l’atelier, à l’usine ». Six cents stagiaires passent chaque année par ce centre dans les années 1970, avec en définitive un relatif désintérêt des usines d’accueil, ce qui entraîne la déception du BUMIDOM, car peu de migrants sont embauchés dans les postes d’OS auxquels ils ont été formés.

22Les centres de préformation visent à permettre la migration de candidats dont le niveau est jugé trop faible, la distance trop grande aux conditions de vie en métropole, ou pour les recalés aux tests psychotechniques. Ce sont principalement celui de Crouy-sur-Ourcq, destiné aux femmes, et celui de la Sakay, à Madagascar, destiné aux Réunionnais. La situation est particulièrement préoccupante concernant La Réunion et le BUMIDOM parvient à « repêcher et valoriser une moyenne annuelle de 400 inaptes ». Cette « récupération des marginaux » s’adresse aux 72 % écartés des sélections réunionnaises [40]. Parmi les stagiaires, 40 % d’illettrés à la fin des années 1960 [41]. 60 % des Réunionnais admis dans des centres FPA de métropole sont passés par le centre de la Sakay. Ils s’y sont exercés à un « dégrossissement manuel » et à un « rattrapage scolaire à la base ». L’objectif est aussi celui d’une adaptation à la vie métropolitaine. Il s’agit de couper les stagiaires de leur milieu, de les alphabétiser, de les loger dans un internat qui « permet au stagiaire d’acquérir le sens de la vie en collectivité et lui donne des notions qui lui manquent, de discipline, d’assiduité, de respect des horaires ». La pratique du sport est obligatoire : judo, football, basket, afin de « pallier certaines insuffisances physiques ». Les stagiaires gagnent quatre à cinq kilogrammes. Des travaux de menuiserie, de maçonnerie ou de métallurgie sont effectués. Quelques conducteurs d’engins agricoles sont formés. Le programme quotidien est chargé : une heure de gymnastique, trois heures trente de rattrapage scolaire, autant de travaux pratiques. Pour les stagiaires femmes, des sœurs trinitaires prennent en charge l’apprentissage : broderie, français, calcul, histoire-géographie, instruction civique, soins aux bêtes, économie domestique, cuisine, entretien ménager, couture, raccommodage. À la fin des années 1960, 500 stagiaires passent chaque année par ce centre, pour un total de 6 200 en tout. Il ferme en juin 1977 suite aux changements politiques intervenus à Madagascar et à l’hostilité envers les Français qui en découle. Les centres de Marseille et Cassan prennent alors la relève.

23Autre centre emblématique de la préformation et de l’action du BUMIDOM, celui de Crouy-sur-Ourcq, destiné à accueillir les jeunes filles. L’accent est mis sur les savoir-faire et les savoir-être. Le BUMIDOM fournit un trousseau (un manteau ou tailleur, une jupe, une veste cardigan, un pull ou un chemisier, deux chemises américaines, trois paires de bas) et les jeunes femmes y restent entre quinze et quarante-cinq jours [42]. La formation a pour but de les « adapter à la nourriture et au mode de vie métropolitain », de leur apprendre à utiliser les appareils ménagers [43]. Il est principalement question de former des domestiques ou des aide-ménagères et des familles bourgeoises viennent les recruter directement (c’est le cas de la famille Debré). Cette branche professionnelle a largement perdu son attrait à partir des années 1970. La formation industrielle ou celle d’aide-soignante, voire d’infirmière, prend plus de place. On note également quelques formations d’employées de bureau ou de dactylos. Les réticences semblent vives, au grand dam du BUMIDOM, pour ces professions d’employées de maison. Certaines migrantes abandonnent le stage en cours de route, quittent le centre ou cherchent un emploi sans lien avec la formation.

Document 11

Instruction ménagère dans le centre de Crouy-sur-Ourcq[44]

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Instruction ménagère dans le centre de Crouy-sur-Ourcq[44]

24Au-delà du discours d’égalité citoyenne et républicaine porté par le BUMIDOM, les populations concernées par sa politique apparaissent bien, aux yeux des différents acteurs de la migration, comme spécifiques. Pour les dirigeants du BUMIDOM, les migrants doivent se voir appliquer une formation spécifique, à la fois mise au niveau de la métropole et acculturation, et un suivi social. Pour les employeurs, ils se voient attribuer un rôle comparable à celui des travailleurs immigrés. Les professions vers lesquelles ils sont dirigés correspondent pour de nombreux migrants aux emplois les moins qualifiés. Or, dans cette co-construction de la spécificité des domiens, le rapport de force entre le BUMIDOM et les employeurs ne joue pas en faveur des migrants. Malgré les moyens dont il dispose, le BUMIDOM se révèle en grande difficulté dès qu’il s’agit de défendre ceux dont il a la charge face à des acteurs patronaux récalcitrants.

La politique sociale du BUMIDOM à l’épreuve de la racialisation

25Les conditions pratiques de la migration contribuent à une fabrique spécifique de la race fondée à la fois sur l’idée d’une exception culturelle et historique et sur le colorisme. À travers les exemples présentés ici, un glissement est perceptible entre ces deux registres, qui ne relève pas d’une logique chronologique mais plutôt de la coexistence de plusieurs registres de racialisation diffuse. Il faut souligner toutefois que ces registres ne présentent ni homogénéité ni systématisme. Le discours du BUMIDOM est bien plus fortement marqué par le culturalisme que par le colorisme, très peu présent. Ce premier registre trouve des échos dans les associations créées par des Domiens en métropole autour de la migration. En revanche, les interlocuteurs du BUMIDOM, que ce soit en matière de logement et d’emploi, recourent plus facilement au deuxième registre.

Les foyers, des lieux de sociabilité surveillée

26En soutenant la constitution de foyers des migrants domiens, le BUMIDOM met en avant une spécificité culturelle des migrants. Ainsi, le foyer des Réunionnais de Paris, ouvert le 25 août 1964 à l’aide d’une subvention de 60 000 francs du BUMIDOM, a pour ambition de « regrouper tous les Réunionnais de Paris et de sa proche banlieue », quelles que soient leurs professions, et d’être la « première “cellule réunionnaise” en métropole [45] ». Il remplit des fonctions d’aide aux nouveaux arrivants, d’assistance sociale, fournit des nouvelles de La Réunion grâce à des abonnements à des journaux, passe des messages aux familles, organise aides et visites aux hospitalisés. C’est aussi un lieu de sociabilité : dès le début d’après-midi, « ce sont des allées et venues d’adhérents sollicitant logements, situations, secours, mutations et renseignements divers ». En semaine, au milieu des années 1960, alors qu’il compte près de 1 700 adhérents, une trentaine de personnes fréquentent le foyer, surtout des jeunes gens travaillant aux postes et télécommunications. Le samedi, le nombre monte à une soixantaine, pour atteindre 250 ou 300 les dimanches et jours de fête à tel point que « cette cohue oblige certains à se tenir sur le trottoir, devant le foyer lorsque le temps le permet ; d’autres, par contre, se réunissent à proximité, dans les cafés de la rue Monge ». Une société sportive réunionnaise y organise ses activités. Des disques, une bibliothèque, des jeux divers, une salle de télévision sont également disponibles au foyer, où sont vendus à bas prix sandwiches et boissons, afin, selon le BUMIDOM, d’« occuper nos jeunes compatriotes et leur éviter le désœuvrement ».

27Le succès de ce foyer réunionnais le conduit à déménager plusieurs fois, les locaux étant à chaque fois insuffisants pour abriter les adhérents, dans une période où les efforts du BUMIDOM portent particulièrement sur les migrations réunionnaises, qui varient entre 4 000 et 6 000 chaque année durant la décennie 1970 [46]. Les nouveaux locaux situés rue Gauthey comprennent des dortoirs plus étendus, des bureaux, des animateurs permanents et une salle destinée à accueillir des élus de l’île. Le foyer se tourne vers l’extérieur et devient un moyen de promotion. Une salle d’exposition et de vente de produits réunionnais est prévue. À la fin des années 1970, le foyer devient Maison de la Réunion [47]. L’accueil des nouveaux migrants s’est professionnalisé et ce sont les services sociaux du BUMIDOM qui s’en occupent. Le foyer diversifie ses activités avec des cours du soir, des cours d’économie familiale pour les femmes, une aide à la préparation de certains concours administratifs. En 1978, 734 migrants ont dormi de façon provisoire dans les 52 lits du foyer, soit une proportion non négligeable des Réunionnais arrivés en métropole par le BUMIDOM. Plus de 8 000 repas sont servis chaque année. Le foyer permet d’absorber certains « ratés » du BUMIDOM : ainsi ces deux jeunes filles, formées à Crouy-sur-Ourcq pour devenir domestiques, recrutées et aussitôt renvoyées par des familles parisiennes, l’une « parce qu’elle ne savait pas faire du vélo, l’autre parce qu’elle regardait d’une façon trop évidente la main de la patronne chargée de bagues. Ces exemples ne sont pas uniques, malheureusement [48] ! ». Elles sont accueillies à la Maison de la Réunion avec leurs valises. Par rapport aux années 1960, alors que 60 000 Réunionnais vivent désormais en métropole, les activités d’animation ont moins d’importance : « Il n’est plus possible, comme ce fut le cas il y a douze ou treize ans, qu’un compatriote, débarquant dans une grande ville telle que Paris, Marseille, Toulon, Nîmes ou Lyon se retrouve isolé ». En revanche, la dimension de promotion touristique de l’île s’accentue avec l’instauration d’une boutique permanente de la Réunion.

28De manière similaire, les Antillais et Guyanais de métropole disposent de leur foyer à Paris, situé au 151 du boulevard Magenta. Il remplit des fonctions identiques : en 1970, il compte 6 100 adhérents, collecte les demandes d’emploi (240 collectées, 110 satisfaites), de logement (210 demandes, 70 satisfaites), a été le lieu de 62 noces et d’une distribution de prix aux élèves [49]. Dans ce foyer sont organisés des conférences, des projections de films, quelques rares activités sportives et, surtout, des cours de « promotion sociale », de différents niveaux : rattrapage des éléments de base, CEP, BEPC, bac, sténo, dactylo, comptabilité, anglais, couture, secourisme. En 1974, sur les 20 000 personnes fréquentant ce foyer, 18 000 ont assisté à des cours de telle sorte [50]. Pour le BUMIDOM, ce foyer de Paris est « le premier refuge de l’Antillais et du Guyanais [51] ».

29De tels foyers, institutionnellement liés au BUMIDOM, au gouvernement français et aux conseils généraux de leurs départements, témoignent, malgré une rhétorique visant à une indifférenciation par rapport à d’autres départements français, d’une spécificité maquillée dans le discours officiel en expression culturelle particulière : « Ce besoin d’expression, qui est celui des Alsaciens, des Auvergnats, des Bretons, des Corses, des Flamands, des Provençaux, etc., ne doit être ni ignoré ni négligé, mais doit être encouragé. En se retrouvant sous le signe de leur province, en exprimant leur personnalité culturelle à côté des représentants des autres provinces, les Antillais, Guyanais et Réunionnais s’intégreront mieux dans une France dont l’unité repose sur la diversité de ses régions. Si cet encouragement ne venait pas, ils n’en seraient que plus sensibles à une propagande dissolvante qui ne trouve que trop d’éléments dans des maladresses et dans des erreurs raciales qu’il faudra parvenir à atténuer [52] ».

30On ne comprend pas bien à la lecture de ce texte en quoi consistent les « erreurs raciales » évoquées, elles semblent toutefois renvoyer aux discours indépendantistes. Une spécificité culturelle des migrants est mise en avant, immédiatement comparée à celle de différentes régions françaises. Pourtant, aucun mouvement migratoire issu de ces régions n’a donné lieu à la mise en place au cœur de la capitale de foyers d’une telle ampleur, avec un tel soutien d’une société d’État.

Le BUMIDOM au révélateur du logement

31Le 25 janvier 1974, M. Hon, chef du service logement du BUMIDOM, se plaint par lettre à M. Bros, son administrateur général, à propos d’un F4 situé à Aulnay-sous-Bois, réservé aux migrants encadrés par la société d’État, dont le loyer est porté à 723 fr. par mois : « Voici l’exemple d’un logement dont personne ne veut (…). Inutile de dire que je ne trouverai plus de candidat à ce prix [53] ». Cet exemple est révélateur des difficultés auxquelles se trouve confronté le BUMIDOM autour de la question du logement. Il souligne, en creux, deux aspects sans cesse minorés par le BUMIDOM. En premier lieu, les migrants sont bel et bien victimes de racisme. Au travers de cette question cruciale du logement, les migrants venus par le BUMIDOM sont confrontés à des formes de racialisation directement liées à leur phénotype. D’autre part, malgré la volonté de présenter la migration comme le moyen d’une promotion sociale, les professions auxquelles ils accèdent les classent souvent au bas de l’échelle salariale.

32Au milieu des années 1970, le responsable du logement doit se rendre à l’évidence : les migrants peinent à trouver à se loger en région parisienne à cause d’un certain nombre de préjugés : « Les organismes, HLM ou autres, expliquent leurs réticences pour loger les migrants par les conditions de vie des Antillais et des Réunionnais (plus grande densité d’occupation des logements, bruits et musiques, cuisine, etc.), par le fait qu’ils causent des dégradations, que certains acquittent irrégulièrement leur loyer [54] ». La situation est également préoccupante concernant les propriétaires : « Certains propriétaires rejettent systématiquement les candidatures de nos ressortissants à qui ils reprochent de “surpeuplerˮ les appartements qui leur sont loués et d’être particulièrement bruyants. Les migrants ressentent douloureusement cette attitude, dans laquelle ils voient du racisme sous-jacent, auprès des agences immobilières. Par contre, ils sont généralement bien reçus dans les agences spécialisées, mais une majorité d’entre elles exploitent leurs clients par des cautions, reprises ou commissions exorbitantes. Cette situation se ressent également auprès des sociétés HLM. Elles deviennent réticentes du fait du mauvais comportement de certaines familles : bruit, vie en surnombre dans les appartements, destruction de logement et, enfin, beaucoup de loyers impayés. D’autre part, les migrants candidats à un logement par le circuit normal des mairies ou des préfectures n’ont obtenu cette année que peu de résultats [55] ». Exclus par les propriétaires, non retenus par les mairies et les préfectures, les migrants en sont réduits aux « agences spécialisées », terme derrière lequel il faut entendre spécialisation en direction des travailleurs immigrés auxquels sont alors assimilés les migrants « citoyens » du BUMIDOM, perdant ainsi un avantage sur le marché du logement du fait de leur couleur de peau et des préjugés qui leur sont attachés. Cette question des préjugés racistes apparaît dès 1966, le BUMIDOM reconnaissant que « rares sont les agences qui veulent bien les comprendre dans leur clientèle. Encore plus rares sont les propriétaires qui acceptent de les loger [56] ». Les migrants venus des DOM subissent déjà une mauvaise réputation : « sens trop étendu de l’hospitalité » d’où découle un « entassement », « bruit, vie en surnombre dans les appartements, destruction de logement et, enfin, beaucoup de loyers impayés ».

33En 1976, alors que 11 000 migrants se présentent dans l’année, le BUMIDOM ne dispose en son nom propre que de 759 logements et 604 lits. 425 aides financières sont accordées sous forme de prêts et 932 migrants sont aidés à accomplir des démarches, sans financement. 4 292 migrants sont logés de façon provisoire dans des foyers, des hôtels ou sur le contingent BUMIDOM [57]. Tout cela reste insuffisant. Le logement est surtout un problème en région parisienne. Les sociétés HLM sont peu intéressées par les propositions d’apport de fonds en échange d’un contingent de places proposés par le BUMIDOM, préférant les apports plus importants du 1 % logement patronal. Pour les places déjà réservées par la société d’État, des problèmes nouveaux apparaissent dans les années 1970 : « Les anciens logements ayant fait l’objet de conventions depuis 1965 sont des logements qui deviennent vétustes du fait de certains de leurs occupants. Ces sociétés [HLM] ayant maintenu des loyers assez bas, n’ont pas les moyens de procéder à des remises en état, si bien que les candidats refusent notre proposition après la visite du logement, car les frais à engager sont trop importants et, finalement, ils préfèrent rester dans une pièce vétuste à Paris, mais près de leur travail et de leurs amis ». Les prix des logements en région parisienne apparaissent prohibitifs pour des populations souvent modestes : un studio se loue entre 200 et 650 francs selon qu’il comprend WC et douches, alors que 50 % des migrants gagnent entre 500 et 1 000 francs par mois, 20 % entre 1 000 et 1 500, 13 % entre 1 500 et 2 000 [58]. Il en résulte des difficultés pour presque 20 % des migrants tandis que « 5 à 6 % d’entre eux sont dans des conditions intenables » et la conclusion est logique : « Les migrants sont, en moyenne, moins bien logés que les métropolitains ».

34À travers cette question du logement en région parisienne, les migrants, citoyens français, sont racialisés, assimilés au groupe des « Noirs » qui comprend également des individus originaires d’Afrique sub-saharienne, étrangers de surcroît pour certains. Les premiers responsables, pour le BUMIDOM, sont « les métropolitains propriétaires de logements », qui « ne font pas la différence entre migrants étrangers et migrants français. Une seule chose compte, la couleur de peau ». De même, les agences HLM refusent d’accéder aux demandes du BUMIDOM : « Il nous est dit également qu’elles ont atteint dans leurs ensembles immobiliers la “cote d’alerte” de 10 % de gens de couleur. Dans le cas particulier d’Aulnay 3 000, les 30 % de gens de couleur ou migrants de nationalité diverses sont atteints [59] ».

35Ce traitement diffère finalement peu, à Paris et dans sa région, car la situation est peut-être meilleure en province, du sort réservé aux migrants d’Afrique sub-saharienne. Les solutions préconisées par les responsables des foyers de jeunes travailleurs ressemblent à celles du BUMIDOM : « Nous avons découvert la gravité du problème de l’accueil et du logement des travailleurs africains-noirs à Paris. La solution qui est apparue comme la plus commode et la plus efficace, car il s’agit de solution d’urgence, a été celle de la décentralisation de l’embauche et du logement de cette catégorie de jeunes travailleurs en province [60] ». À une date où l’activité du BUMIDOM est encore très récente, ils amalgament d’ailleurs l’« accueil et le logement de la main-d’œuvre jeune (16 à 30 ans) venant travailler en France, originaire des États africains et malgaches, des TOM et des DOM ». Ceux qui élaborent la politique du BUMIDOM sont bien conscients du problème et préconisent à leur ministère de tutelle de rester « intransigeant » sur deux points : « éviter à tout prix des groupes d’immeubles ne comportant que des migrants des DOM » et « éviter aussi et autant que possible de loger avec des étrangers des Antillais ou des Réunionnais qui éprouvent un certain sentiment de frustration [61] ».

La Poste à Paris : les migrants des DOM, fonctionnaires comme les autres [62] ?

36Les migrants du BUMIDOM peuvent également être victimes de préjugés dans le cadre de leur emploi. La société d’État a souvent renvoyé l’image d’un vivier d’employés pour la petite fonction publique, notamment dans le secteur des PTT (poste et télécommunications). On pourrait imaginer la fonction publique mieux à même que le secteur privé de s’approprier le discours officiel du BUMIDOM, celui de migrants avant tout considérés comme des citoyens français. Les statistiques fournies par les PTT concernant les bureaux de poste parisiens dans les années 1970 démontrent que les migrants antillais et réunionnais y sont nombreux, dans les postes les plus bas de l’échelle.

État statistique des agents d’exécution de la distribution, de l’acheminement et des transports

tableau im12
Bureaux Ensemble des effectifs Agents originaires des DOM Pourcentage au 23 janvier 1974 Résultante algébrique par rapport à novembre 1973 Paris RP 1 072 209 19,4 + Paris 05 237 43 18,2 + 06 265 45 16,7 + 07 418 73 17,3 + 08 678 126 18,4 + 09 527 102 19,3 + 10 362 77 21 + 11 402 87 21,6 = 12 390 72 18,2 + 13 362 68 18,6 + 14 351 66 18,8 = 15 559 113 20,2 + 16 667 108 16,2 + 17 597 106 17,7 = 18 418 94 22,5 + 19 284 68 23,9 = 20 315 62 19,4 + TOTAL 7 904 1 519 19,2 +

État statistique des agents d’exécution de la distribution, de l’acheminement et des transports

37Or, cette forte concentration d’agents originaires des DOM pose souci aux cadres dirigeants des postes : « Des problèmes apparaissent dans un service où le pourcentage d’originaires des départements d’outre-mer atteint 10 à 15 % environ, puis ces problèmes s’estompent lorsque ce pourcentage est largement dépassé (sic). L’affectation dans un même service d’Antillais et de Réunionnais en proportions comparables pose souvent des problèmes. Il semblerait préférable de créer, dans chaque service ou bureau, des groupes d’origine homogène ». C’est à la fois la proportion de migrants du BUMIDOM dans les bureaux et la cohabitation d’agents d’origines géographiques différentes qui sont ici mises en cause. D’autre part, des représentations stéréotypées existent sur les agents : « Si les Antillais préfèrent l’acheminement et répugnent à la distribution, les Réunionnais sont habituellement de très bons distributeurs ». Paradoxalement, le recours à des encadrants originaires des DOM est vu comme une des solutions. Quoi qu’il en soit, ce discours relève d’un discours différentialiste en interne.

38En 1974, le directeur chargé du personnel des postes de Paris continue à se plaindre à son ministre : « Le nombre de préposés originaires de ces départements s’est encore accru dans mes bureaux […] ; je vous saurais gré de bien vouloir, à l’occasion des prochaines attributions de listes, éviter dans la mesure du possible d’inclure des postulants de la Martinique, de la Guadeloupe, de la Guyane et de la Réunion. À cette occasion je vous signale que la liste de postulants mis à ma disposition pour être nommés à compter du 28 février 1974 comporte 27 candidats originaires de ces départements et que 86 autres agents reçus à des concours antérieurs viendront encore renforcer les pourcentages de mes bureaux [63] ». La réponse du ministre va dans le même sens, assurant : « Parmi les postulants mis à votre disposition à partir du 28 février 1974 ne figurent que 22 postulants originaires des départements intéressés sur un total de 126 pour le district. Cette politique sera poursuivie à l’occasion des affectations ultérieures [64] ». D’autres documents témoignent, au milieu des années 1970 encore, de présupposés pseudo-scientistes, chez les hauts-fonctionnaires des PTT, visant à expliquer des comportements d’originaires des DOM par un taux plus important de globules rouges dans le sang, lié au climat des îles. On retrouve des préjugés essentialistes dans d’autres secteurs. L’Assistance publique estime que les effectifs venus des DOM sont en nombre suffisant : ils représentent 12 % du personnel, encore plus dans les postes subalternes, et on reproche à ces salariées leur « susceptibilité excessive » et le fait qu’elles donnent « l’impression de vivre au ralenti [65] ».

39L’exemple des foyers montre que le différentialisme culturel est un élément de la politique du BUMIDOM et des associations qui lui sont liées, renforçant ainsi le caractère spécifique des politiques menées. Dans le cas du logement, ce différentialisme n’est plus assumé mais subi, et il peut tourner au racisme dans un amalgame phénotypique avec les immigrés d’origine subsaharienne. La fonction publique elle-même n’est pas à l’abri, avec la Poste, d’un traitement différentiel des originaires des DOM, alors qu’apparaît dans certaines archives un glissement du différentialisme culturel vers un différentialisme biologique. Le premier, sans doute, renforce et permet la reproduction du second. Le BUMIDOM n’est pas en mesure de préserver les migrants de préjugés et discriminations qui amoindrissent dans les faits leur citoyenneté, n’a pas la possibilité de faire appliquer ses préconisations à ses interlocuteurs. Ces éléments ne font que souligner un phénomène déjà entrevu dans la relation aux acteurs patronaux : le BUMIDOM est dans une situation de relative faiblesse institutionnelle, correspondant à la position dominée, dans l’espace politique et économique français, des populations dont il a la charge. Les cas du logement et de la Poste montrent bien que les moyens financiers sont, somme toute, limités face à l’ampleur des besoins, la bonne volonté affichée face aux a priori. Des arbitrages sont perdus, sans que les dirigeants du BUMIDOM n’aillent au-delà de protestations d’usage, ici face aux bailleurs sociaux, mais également dans la deuxième moitié des années 1970, avec d’autres institutions étatiques ou paraétatiques avec lesquelles il entre en conflit (ANPE en 1975, Air France en 1978). On comprend dès lors la relation détachée, voire distendue, qui s’instaure entre migrants et BUMIDOM, et qui débouche sur une loyauté faible à l’institution.

Le BUMIDOM, une institution faible ?

40Largement conçu comme un service social spécialisé, le BUMIDOM est en métropole l’objet de requêtes liées à la formation, l’emploi, le logement, les demandes de prêt, de regroupement familial ou autres, plaçant les migrants dans une relation d’assistance. Même dans ces situations très déséquilibrées, les marges de manœuvre des migrants sont réelles. Ils ont su se saisir des tensions entre le discours d’égalité et les pratiques spécifiques dont ils étaient l’objet.

Se loger à Paris : une marge de manœuvre des migrants

41La volonté d’encadrement des migrants par le BUMIDOM, les prescriptions pour les répartir en province, se heurtent à la réalité du marché de l’emploi métropolitain, marqué par la prépondérance parisienne. À la fin des années 1960, 55 000 Antillais et 9 900 Réunionnais sont établis à Paris et autour de la capitale, soit 62 % et 33 % du nombre total de migrants pour chacune de ces catégories. Cette forte concentration des migrants en région parisienne reste une constante pendant toute l’histoire du BUMIDOM. Il tente de présenter son action comme ayant limité cette concentration parisienne : « En tenant compte du fait que le BUMIDOM n’a implanté dans ce secteur géographique que 24 % de migrants – soit environ 6 000 Antillais et 2 000 Réunionnais – on peut déduire qu’il y a, à Paris et dans la région, 58 000 migrants spontanés et leurs descendants (50 000 Antillais – 8 000 Réunionnais et Guyanais) et que, par conséquent, 64,4 % des migrants anciens ou spontanés – soit 74 % des Antillais et 36 % des Réunionnais et Guyanais – sont installés dans la région parisienne. Ces constatations arithmétiques permettent également d’établir qu’en parvenant à installer en province la plus grande partie des migrants qu’il assiste, le BUMIDOM a modifié, dans le sens des instructions qui lui ont été données, le courant dominant de la migration et la tendance à la concentration autour de la capitale [66] ».

42Cette argumentation, à la fin des années 1960, est démentie par les rapports d’activité du BUMIDOM de la décennie suivante, déplorant sans cesse la concentration des migrants en région parisienne. Ce phénomène montre, par-delà les choix économiques imposés par le marché de l’emploi, des migrants décidés coûte que coûte à se maintenir en région parisienne, s’appuyant sur des membres de la famille ou des amis déjà installés. Le cas de l’appartement d’Aulnay-sous-Bois cité plus haut est révélateur : il peine à trouver preneur du fait de son loyer, mais aussi parce qu’il requiert vingt minutes d’autocar et trente de train pour parvenir à un lieu de travail éventuel à Paris. Quand « les logements proposés sont très loin de la capitale », les migrants n’hésitent pas à les refuser, préférant vivre dans un espace plus exigu mais plus proche du centre. Le BUMIDOM impute ces problèmes aux migrants « spontanés » non encadrés par la société d’État. Ils sont décrits « démunis de tout », « main d’œuvre flottante de manœuvres voués au sous-emploi et aux bas salaires » [67]. Malheureux « éblouis par le sort de leurs compatriotes résidant en région parisienne, qu’ils supposent riches et bien nantis, ils viennent s’y établir et s’entassent souvent, une famille entière, dans une chambre de bonne » : une telle vision est bien sûr fortement biaisée. Ainsi, même ceux qui sont encadrés jusque dans leur recherche d’un logement, par le BUMIDOM, sont en dernière instance libres de leurs mouvements et peuvent choisir de ne pas quitter la région parisienne, passant outre les recommandations de la société d’État sur la décence des logements qu’il convient d’occuper.

Se conformer pour mieux se détourner

43De nombreuses interactions entre migrants et BUMIDOM concernent des demandes de prêts : frais de transport, pour le migrant ou pour sa famille, frais d’installation ou d’aide au premier loyer, caractérisés par la demande de devis précis, demandes liées à un mariage ou à la naissance d’un enfant. Les sommes concernées ne sont jamais très importantes mais elles sont l’occasion de rendez-vous ou d’échanges épistolaires avec des agents du BUMIDOM. Le remboursement de ces dettes est une question épineuse. Le BUMIDOM a du mal à récupérer les sommes consenties [68]. Un prêt sur cinq n’est pas remboursé. Bien souvent, le seul moyen de pression possible intervient à l’occasion d’une autre demande du migrant, conditionnée au remboursement du premier prêt.

44Exemple parmi d’autres, celui de Joël C., né en 1939 en Guadeloupe, qui arrive en métropole en septembre 1965, pour une formation de maçonnerie dans la Nièvre. Sa femme et sa sœur le rejoignent en métropole en 1966 et 1968. Il réalise plusieurs emprunts auprès du BUMIDOM, rédigeant à chaque fois une lettre pour appuyer sa demande : 500 francs en 1966 pour s’installer dans un nouveau logement, 1 400 francs en 1969 pour financer un autre déménagement au Plessis-Trévise. En 1970, il reste débiteur de 1 300 francs, Joël C. a perdu plusieurs emplois, a dû être provisoirement hébergé avec son épouse, en juillet 1969, dans un centre d’aide sociale du 10e arrondissement de Paris, et ses trois premiers enfants en bas âge (il en a finalement cinq) sont placés à l’Assistance publique depuis la même date faute de logement décent. En juin 1971, Joël C. a retrouvé un travail d’OS à Renault Billancourt et obtient grâce au BUMIDOM un F4 à Goussainville. En août 1971, une nouvelle lettre le rappelle à l’ordre quant à la dette de 1 300 francs non honorée. Joël C., qui jusque-là avait employé un ton très déférent, exprime alors une colère contre l’institution (qu’il appelle « DOM ») :

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« J’ai lhonneur de vous répondre a votre lettre du 17-8-71 esque le DOM nous à pas assez exploité. Je vien de rentre dans une HLM F4 il me fallais payer au comptent 992 fcs comme cotions jai un enfants au foyer ma femme ne travail pas jai mes trois enfants qui doive arrive le 1 septembre que vous save tre bien ou il sont place et que moi et ma femme avec ma sœur le DOM nous avais placé au 107 quai de Valmy dans une centre de clochard que je suis pas reste un moi ; j’était obligé de dormir dehors avec ma femme, en ce moment je travaillais a inter-entreprise 10 jour par moi. Et que le DOM avait placé ma femme comme plongeuse remplassant dans un clinique à Fontenay sous Bois elle a meme pas resté trois mois. [Nom d’un agent du BUMIDOM] ma proposé une logement a trecy levis une piece et un coin de cuisine je pouvais meme pas tourné dans la piece. La consierge ma demandé 13 fcs par jours pour gardé le 3 enfans pour moi ca faisait par jours 39 fcs ma femme gagnais 25 fcs par jours et 355 fcs par mois de loyer totalisé la somme globale vous allé vous rendre compte à ce que javais à payer par mois. Je pourais arrivé à payer cette somme seulement si jenvoyais ma [femme] faire le trottoir. Comme beaucoup de fille antillaise que le DOM a fait venir en France avec de belle promesse en arrivant en France elle sont obligé trainé porte en porte pour trouvé une place de boniche le plus mal payer et de trainé foyer en foyer pour ne pas dir porcherie : je vous demande a me laissez en paie si vous voulez que je vous laisse en paie » [69].

46Joël C. reprend de nombreux arguments des mouvements indépendantistes contre le BUMIDOM : l’exploitation, les promesses, la prostitution réservée aux femmes antillaises en métropole. Alors qu’il a bénéficié d’aides multiples depuis son arrivée, le ressentiment domine et atteste une vision critique du BUMIDOM. Le cas de Joël C. témoigne aussi de stratégies de contournement de l’institution. Elles sont infructueuses dans son cas, mais édifiantes. Dès juillet 1967, tandis qu’il demande 1 000 francs au BUMIDOM pour la venue au monde prochaine de son enfant, Joël C. écrit au directeur départemental du BUMIDOM en Guadeloupe pour solliciter son rapatriement. La lettre est aussitôt transmise au BUMIDOM national et il n’obtient pas satisfaction. En mai 1972, il s’adresse directement au président de la République :

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« M. le président de la République j’ai l’honneur de madressé à vous à cause de mon situations familiale qui est tre mauvaise je suis guadeloupeen je suis marier perre de 5 enfants je suis en France depuis 7 ans au mois d’octobre dernier ma femme a eu les deux bras cassez et une jambe cest moi seul qui travail avec une salaire de 1300 fcs par mois je suis payer à la quinzaine le plus souvent je suis malade à cause du clima mon 1er enfant a 6 ans la plus petite 2 mois il sont toujours malade sest trop dur pour moi ici en France je préfère mieux être à la Guadeloupe avec ma famille, jai pas la paussibilité de retourné et aussi jai de me trouvé dans la rue avec la femme et mes 5 enfants c’est pour cette raison que je madresse à vous pour maider à retourné à la Guadeloupe ».

48En juin et juillet 1974, alors qu’il est retourné aux Antilles par ses propres moyens, Joël C. écrit au nouveau président de la République et au secrétaire d’État à l’Outre-mer, cette fois pour retourner en métropole :

49

« M. le Président, j’ai l’honneur de vous écrire en ce date du 12-6-74 aprè notre grand victoire qui nous venait de doit, je félicite tout ceux qui ont soutenue votre candidature et aussi à les électeure et électrice qui vous à donné leurs voie de mon coté je considère se sont des voie de confiance et que votre popularité soie élargie je souhaite lacord de votre nouveau gouvernement avec vous. M. Le président je me suis retourné aux antille depuis 13 moi je suis resté en France 9 ans donc je travaillais à l’usine Renault à Boulogne Billancourt je suis retourné à la Guadeloupe avec l’idée de retrouvé du travail aux antille mais cétait le contraire jusquaujourdhui je suis toujours sant travail parce que le métier que j’ai exercé en France je le trouve pas en Guadeloupe j’ai 6 enfants en bas âges. M. Le président mon désire cest de retourné en métropol pour que je travaillé pour élevé mes enfants, M. le président j’espère de recevoir satisfactions de votre bon cœur. »

50Joël C. se voit opposer une fin de non-recevoir par la société d’État, qui estime en décembre 1974 qu’il a « déjà bénéficié très largement des services du BUMIDOM ». Les deux stratégies qu’il emploie, infructueuses dans son cas, sont utilisées par d’autres migrants : contourner la société d’État en s’adressant à une antenne locale ou à une instance départementale, ou la surplomber en s’adressant à un ministre, voire au président de la République [70]. En creux, ces démarches témoignent de sa situation difficile, puisqu’il n’est satisfait ni de la migration ni de son retour aux Antilles. Les démarches pour passer outre le BUMIDOM montrent bien que les migrants savent ne pas s’en remettre entièrement à l’institution, mais ils y sont parfois obligés par profond désarroi. À partir de la fin des années 1970, avec la crise, beaucoup se retrouvent dans des situations de détresse et se tournent vers la société d’État pour demander assistance, ce qui nuance cette idée de contournement [71]. Quoi qu’il en soit, dans le cas de Joël C. comme pour de nombreux autres migrants, le ressentiment envers le BUMIDOM tient fondamentalement à la situation inégale entre DOM et métropole, que la migration ne permet pas toujours d’atténuer.

51Le répertoire d’action des migrants recouvre des situations plus conflictuelles. Le contexte tumultueux des « années 68 [72] » est l’occasion d’une vive contestation du BUMIDOM par certains d’entre eux. L’acte initial est le saccage, durant les événements de Mai 68, des bureaux de la société d’État, situés rue Crillon dans le 5e arrondissement de Paris, par des militants aux graffitis explicites : « À bas la traite des nègres », « À bas le colonialisme aux Antilles [73] ». En juin 1971, le foyer Rush, conventionné par le BUMIDOM, situé rue de Charenton (12e arrondissement), aux conditions d’insalubrité flagrantes, est occupé par des membres du Secours rouge et des ressortissants des DOM après un meeting à la Mutualité [74]. En 1972, à Lyon, les militants de l’UGTRF (Union générale des travailleurs réunionnais en France) s’en prennent au foyer du CNARM et aux bureaux lyonnais du BUMIDOM [75]. Ils organisent ensuite un « commando » pour « attaquer le foyer du CNARM » à Paris, considéré comme un appendice du BUMIDOM. L’opération se traduit par « un échec cuisant », car « les assaillants ont été expulsés de la Maison de la Réunion par les migrants qui s’y trouvaient et ont, dans cette affaire, subi quelques dommages ». Le gérant du foyer parisien n’est pas conduit, comme à Lyon, à fermer du fait des menaces et le BUMIDOM souligne le rôle joué par des migrants dans l’échec de l’opération. Pourtant, ce foyer semble agité par la contestation car, à partir de 1972, l’accès à la salle d’animation est fermé le dimanche. Le BUMIDOM décrit sans préciser « diverses manifestations difficilement réprimables [76] ». Mais les explications avancées laissent penser que la contestation a gagné le foyer parisien : « Le nombre croissant de Réunionnais s’installant dans la région parisienne et fréquentant le foyer nous a amené à prendre certaines dispositions rendues nécessaires tant par la question de sécurité que par certains agissements d’une minorité toujours prête à profiter des circonstances hélas propices en raison de la trop grande concentration certains jours ». La forte concentration de migrants en région parisienne fournit donc les bases d’une contestation par les migrants eux-mêmes, en métropole, même si elle semble se limiter aux années directement post-68 et cesser au milieu des années 1970.

52Une partie des migrants n’ont pas été dupes du sort réservé par la métropole et ont su jouer des ambiguïtés d’une institution comme le BUMIDOM. Le choix du départ et le recours à la société d’État n’excluent pas des pratiques qui vont du contournement à l’opposition franche et nette.

Conclusion

53L’existence et la politique du BUMIDOM témoignent de la persistance d’un traitement spécifique par les pouvoirs publics, au-delà de l’ère coloniale, des DOM et de leurs populations. Ce phénomène perdure d’ailleurs après la disparition de la société d’État au profit de l’ANT puisque, si les objectifs migratoires sont abandonnés, la nécessité d’une institution à la ligne d’action et aux dispositifs spécialisés, dévolue à la gestion des populations d’Outre-mer en métropole, est réaffirmée. Une telle persistance pose la question d’une ligne de couleur à la française, moins rigide et moins aisément appréhendable que dans les sociétés caractérisées par une ségrégation institutionnalisée. Elle ne s’appuie pas sur un racisme biologique, mais sur des pratiques justifiées par une origine géographique et culturelle. Dans cette perspective, les relations entre métropole et départements d’Outre-mer sont un élément important de la réflexion, qui doit concerner également les relations entre la France et ses anciennes colonies devenues indépendantes.

54Les migrants venus des DOM par le BUMIDOM sont incontestablement considérés, et défendus par la société d’État, comme des citoyens. Ils sont pourtant l’objet d’un encadrement paraétatique et associatif particulier, de pratiques et de préjugés qui participent d’une racialisation diffuse, davantage culturaliste que coloriste, l’une n’excluant pas l’autre. Cette migration alimente une spécificité domienne qui se décline d’ailleurs davantage sous une forme régionale, réunionnaise et antillaise, voire martiniquaise ou guadeloupéenne, bien loin d’une « France noire » imaginée sur le modèle africain-américain [77]. Dans le contexte d’une progression inédite de l’ensemble des populations noires en métropole, puisque les années 1960 et 1970 sont également marquées par une importante immigration d’Afrique sub-saharienne, les deux migrations, au-delà de l’aspect phénotypique, ont des statuts très différents [78]. Les Domiens, malgré toutes les ambiguïtés et les difficultés, sont des citoyens à « intégrer » ou à « insérer ». Il en découle des politiques et des discours publics, des trajectoires, fort différents, ce qui permet notamment de comprendre pourquoi l’affirmation en France d’une question noire n’est pas une évidence.

55Les migrations organisées par le BUMIDOM participent des relations profondément inégales entre la métropole et les DOM. De ce fait, le BUMIDOM, malgré son caractère finalement peu coercitif, reste dans les mémoires comme une institution faible et mal aimée. Les acteurs du BUMIDOM ont certes envisagé les migrants domiens comme des citoyens à part entière, mais non seulement leurs actions ont été contraintes du fait de la position dominée des populations qu’ils prétendaient encadrer, mais, de surcroît, les politiques qu’ils ont menées ont contribué, par certains aspects, à les y maintenir, ainsi que les DOM. La France hexagonale a néanmoins pu apparaître comme un espace d’ouvertures sociales, même limitées, et partant, d’opportunités. On comprend alors pourquoi les dénonciations de forces politiques importantes dans les DOM n’ont pas empêché une partie des jeunes Martiniquais, Guadeloupéens et Réunionnais d’émigrer vers la métropole. La forte concentration de migrants en Île-de-France, malgré les efforts acharnés du BUMIDOM pour disperser la population migrante à travers tout le territoire, témoigne que, loin de s’en remettre totalement et aveuglément à l’institution, ils ont pu au contraire s’en démarquer et s’en défier. Ils ont saisi l’occasion de cette politique pour migrer, mais en suivant leurs propres buts, obéissant à des logiques économiques, familiales et amicales, renvoyant le BUMIDOM, malgré les discours ambitieux, à son rôle de service social spécialisé.

Notes

  • [1]
    Marie (C.-V.), « Les migrations des natifs des DOM : une sélection accrue au service de la France métropolitaine », in Vitale (P.), dir., Mobilités ultramarines, Paris, Éditions des archives contemporaines, 2014.
  • [2]
    Bertile (W.), « Où en sont les politiques ultramarines de mobilité ? », in Vitale (P.), dir., Mobilités ultramarines, op. cit. ; Constant (F.), « La politique française de l’immigration antillaise de 1946 à 1987 », Revue européenne des migrations internationales, 3 (3), 1987 ; Pattieu (S.), « Souteneurs noirs à Marseille, 1918-1921. Contribution à l’histoire de la minorité noire en France », Annales. Histoire, Sciences Sociales 64 (6), 2009.
  • [3]
    Célestine (A.), Mobilisations collectives et construction identitaire. Le cas des Antillais en France et des Portoricains aux États-Unis, Thèse pour le doctorat de science politique, IEP de Paris, 2009 ; Milia-Marie-Luce (M.), De l’Outre-mer au continent : étude comparée de l’émigration portoricaine et antillo-guyanaise de l’après-Guerre aux années 1960, Thèse pour le doctorat en histoire, EHESS, 2002.
  • [4]
    Castel (R.), Les métamorphoses de la question sociale. Une chronique du salariat, Paris, Fayard, 1995 ; sur les inégalités DOM-métropole, cf. Vitale (P.), dir., Mobilités ultramarines, op. cit.
  • [5]
    Mary (S.), « La genèse du service militaire adapté à l’Outre-mer. Un exemple de rémanence du passé colonial dans la France des années 1960. », Vingtième siècle. Revue d’histoire, 132, 2016.
  • [6]
    Hmed (C.), « “Tenir ses hommes”. La gestion des étrangers “isolés” dans les foyers Sonacotra après la guerre d’Algérie », Politix. Revue des sciences sociales du politique, 19 (76), 2006.
  • [7]
    Daniel (J.), « L’espace politique aux Antilles françaises », Ethnologie française, 32 (4), 2002 ; Wuhl (L.), Migrants de l’intérieur : les Antillais de métropole, entre intégration institutionnelle et mobilisations collectives, thèse pour le doctorat de science politique, Université Paris-Dauphine, 2006.
  • [8]
    Wuhl (L.), Migrants de l’intérieur…, thèse cit., p. 28.
  • [9]
    Larcher (S.), L’autre citoyen. L’idéal républicain et les Antilles après l’esclavage, Paris, Armand Colin, 2014.
  • [10]
    Sayad (A.), La double absence, des illusions de l’émigré aux souffrances de l’immigré, Paris, Le Seuil, 1999.
  • [11]
    Poiret (C.), « Les processus d’ethnicisation et de raci(ali)sation dans la France contemporaine : Africains, Ultramarins et “Noirs” », Revue européenne des migrations internationales, 27 (1), 2011.
  • [12]
    Scott (J. C.), Domination and the Arts of Resistance: Hidden Transcripts, Yale, Yale University Press,‎ 1990.
  • [13]
    Noiriel (G.), Le creuset français : histoire de l’immigration XIXe-XXe siècles, Paris, Le Seuil, 1988 ; Boubeker (A.), Hajjat (A.), dir., Histoire politique des immigrations (post)coloniales. France 1920-2008, Paris, Éditions Amsterdam, 2008.
  • [14]
    Archives nationales (AN), 1982 0104/1, Compte-rendu du Conseil d’administration du BUMIDOM, 22 février 1972, déclaration de J.-É. Vié.
  • [15]
    Ibid.
  • [16]
    Ibid., 11 octobre 1971, déclaration de M. Servat.
  • [17]
    Ibid., 16 juin 1971, intervention de M. Bros, administrateur-délégué du BUMIDOM.
  • [18]
    AN, 1982 0104/1, CR du CA du BUMIDOM, 11 octobre 1971, déclaration de J.-É. Vié.
  • [19]
    Vigna (X.), L’insubordination ouvrière dans les années 68. Essai d’histoire politique des usines, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2007.
  • [20]
    Graphiques réalisés grâce aux données des documents suivants : AN, 19940380/19, Rapport d’activités (RA) du BUMIDOM au 31 décembre 1980 ; AN, 19840442/8, RA du BUMIDOM au 31 décembre 1981.
  • [21]
    Cf. les dossiers individuels conservés dans AN, 1994 0429/1-300.
  • [22]
    AN, 1982 0104/3, rapport du 20 décembre 1966.
  • [23]
    Archives départementales de Martinique (AD 972), 1023 W 50. Le rapport du 15 juin 1964 concernant Patrice P. précise qu’il « ne s’intéresse pas activement à la politique, mais serait de tendance PPM » (le PPM est le Parti progressiste martiniquais, créé par Aimé Césaire, autonomiste à cette époque). Il obtient néanmoins un avis favorable pour sa demande de migration.
  • [24]
    AN, 1982 0104/1, CR du CA du BUMIDOM, 30 juin 1970, intervention de M. Bros, administrateur-délégué du BUMIDOM.
  • [25]
    AN, 1994 0429/146, enquête sociale du 15 mars 1971, dossier 58413.
  • [26]
    AN, 1994 0429/146, enquête sociale du 10 avril 1967, dossier 58158.
  • [27]
    AN, 1994 0429/146, dossier 58007.
  • [28]
    Ibid., dossier 58353.
  • [29]
    Ibid., dossier 58363/364.
  • [30]
    AD 972, 1023 W 50, rapport des RG du 30 juillet 1964 concernant Philippe M. ; du 11 juin 1964 concernant Martin G. ; enquête sociale de la préfecture du 3 septembre 1964 concernant Boris B.
  • [31]
    AN, 1982 0104/3, Rapport n° 1 du 20 décembre 1966.
  • [32]
    Ibid., RA du BUMIDOM au 31 décembre 1969.
  • [33]
    Ibid., rapport n° 4 du 20 décembre 1966.
  • [34]
    Ibid., CR d’activités au 31 décembre 1967.
  • [35]
    AN, 1994 0429/146, dossier 58363/364.
  • [36]
    AD 972, 1023 W 50.
  • [37]
    AN, 1982 0104/3, RA du BUMIDOM au 31 décembre 1971.
  • [38]
    Ibid., RA du BUMIDOM au 31 décembre 1970.
  • [39]
    AN, 1982 0104/3, RA du BUMIDOM au 31 décembre 1970.
  • [40]
    Ibid., RA du BUMIDOM au 31 décembre 1967.
  • [41]
    Ibid., 31 décembre 1970.
  • [42]
    Ibid, rapport n° 5 du 20 décembre 1966.
  • [43]
    Ibid, RA du BUMIDOM au 31 décembre 1967.
  • [44]
    AD 972, 1023 W 49, brochure de présentation du centre de Crouy-sur-Ourcq, 1975.
  • [45]
    AN, 1982 0104/4, bulletin d’information du BUMIDOM, 1966.
  • [46]
    AN, 1994 0380/36, RA du CNARM, novembre 1974.
  • [47]
    AN, 1994 0380/41, RA du CNARM, 1975 et 1978.
  • [48]
    Ibid.
  • [49]
    AN, 1994 0380/36, RA de l’AMITAG, 1970.
  • [50]
    Ibid., 1974.
  • [51]
    Ibid., 1977.
  • [52]
    AN, 1984 0442/7, dossier interne « Problèmes de la migration », 1979.
  • [53]
    AN, 1982 0104/4, note de M. Hon à l’attention de M. Bros, administrateur général du BUMIDOM, 25 janvier 1974.
  • [54]
    AN, 1981 0104/4, « Les problèmes de logement des migrants », note au ministre du chargé de mission pour les DOM, 13 mars 1974.
  • [55]
    Ibid., rapport d’activités 1973, service logement, 22 janvier 1974.
  • [56]
    AN, 1982 0104/3, Rapport n° 4, « Activités sociales », 20 décembre 1966.
  • [57]
    AN, 1982 0104/3, RA du BUMIDOM au 31 décembre 1976.
  • [58]
    AN, 1981 0104/4, rapport d’activités 1973, service logement, 22 janvier 1974 ; Enquête du BDPA (Bureau du développement de la production agricole).
  • [59]
    Ibid., RA 1973, service logement, 22 janvier 1974.
  • [60]
    AN, F/1/a/5106, Rapport moral de l’AG de l’Union des foyers de jeunes travailleurs, 26 et 27 mai 1964.
  • [61]
    AN, 1981 0104/4, « Les problèmes de logement des migrants », note au ministre du chargé de mission pour les DOM, 13 mars 1974.
  • [62]
    Ces éléments proviennent du dossier AN, 1989 0633/3, notamment le CR de la réunion du 18 octobre 1973 sur l’affectation des préposés originaires de l’Outre-mer.
  • [63]
    AN, 1989 0633/3, lettre confidentielle de la Direction des postes de Paris au ministre des Postes et télécommunications, 31 janvier 1974.
  • [64]
    Ibid., lettre confidentielle du ministère des Postes et télécommunications à la Direction des postes de Paris, 11 février 1974.
  • [65]
    AN, 1982 0104/3, RA du BUMIDOM au 31 décembre 1970.
  • [66]
    AN, 1981 0104/4, Rapport sur les migrations antillaises vers la métropole facilitées par le BUMIDOM, janvier 1969.
  • [67]
    Ibid.
  • [68]
    AN, 1981 0104/4, RA 1973, service logement, 22 janvier 1974.
  • [69]
    AN, 19940429/29, dossier 11704, lettre de Joël C. au BUMIDOM, août 1971.
  • [70]
    Pierre Strazel, dans son rapport pour GARP, cite une migrante qui écrit en 1968 à M. Debré ; Joy Obayemi analyse la requête d’une autre à Anne-Aymone Giscard d’Estaing en 1980.
  • [71]
    Joy Obayemi fait ressortir cet aspect. Dans les années 1980, l’ANT qui remplace BUMIDOM, prend significativement l’insertion comme objectif principal.
  • [72]
    Artières (P.), Zancarini-Fournel (M.), dir., 1968, une histoire collective (1962-1981), Paris, La Découverte, 2008 ; Damamme (D.), Gobille (B.), Matonti (F.), Pudal (B.), dir., Mai Juin 68, Paris, Éditions de l’Atelier, 2008.
  • [73]
    Archives de l’INA, « Le BUMIDOM saccagé », Journal télévisé de 20 heures, 2 juin 1968.
  • [74]
    AN, 1982 0104/3, RA du BUMIDOM, année 1971 ; AN, 1982 0104/1, CR du CA du BUMIDOM, 11 octobre 1971.
  • [75]
    AN, 1982 0104/3, RA du BUMIDOM, année 1972.
  • [76]
    AN, 1994 0380/36, RA du CNARM, novembre 1974.
  • [77]
    Expression de Blanchard (P.), La France noire, Trois siècles de présence, Paris, La Découverte, 2011. Sur ce débat : Ndiaye (P.), La condition noire. Essai sur une minorité française, Paris, Calmann-Lévy, 2008 ; Rygiel (P.), « Histoire des populations noires ou histoire des rapports sociaux de race », Le Mouvement social, 2 (215), 2006.
  • [78]
    Ndiaye (P.), La condition noire…, op.cit.
Français

Le BUMIDOM, créé en 1963 par le gouvernement français, est une société d’État dont l’objectif est d’encadrer et d’organiser les migrations venues des DOM, afin d’y désamorcer la crise sociale latente. Son existence et sa politique témoignent de la persistance d’un traitement spécifique par les pouvoirs publics, au-delà de l’ère coloniale, des DOM et de leurs populations. Une telle persistance pose la question d’une ligne de couleur à la française, moins rigide et moins aisément appréhendable que dans les sociétés caractérisées par une ségrégation institutionnalisée. Elle ne s’appuie pas sur un racisme biologique, mais sur des pratiques justifiées par une origine géographique et culturelle. Les migrants venus des DOM par le BUMIDOM sont considérés par la société d’État comme des citoyens. Ils sont pourtant l’objet d’un encadrement paraétatique et associatif particulier, de pratiques et de préjugés qui participent d’une racialisation diffuse, davantage culturaliste que coloriste, l’une n’excluant pas l’autre. Les migrations organisées par le BUMIDOM participent des relations profondément inégales entre la métropole et les DOM. De ce fait, le BUMIDOM, malgré son caractère finalement peu coercitif, reste dans les mémoires comme une institution faible et mal aimée. Les acteurs du BUMIDOM ont certes envisagé les migrants domiens comme des citoyens à part entière, mais non seulement leurs actions ont été contraintes du fait de la position dominée des populations qu’ils prétendaient encadrer, mais, de surcroît, les politiques qu’ils ont menées ont contribué, par certains aspects, à les y maintenir, ainsi que les DOM.

Sylvain Pattieu
Sylvain Pattieu est maître de conférences en histoire à l’université Paris 8 et membre du centre de recherches historiques Histoire des pouvoirs, savoirs et sociétés. Il a travaillé sur l’histoire des milieux populaires à travers les mouvements syndicaux et le tourisme social et il a prolongé ces thèmes de recherche en travaillant sur le BUMIDOM, dont de nombreux migrants appartenaient aux classes populaires. Il organise depuis quelques années, avec Audrey Célestine, Sarah Fila-Bakabadio, Emmanuelle Sibeud et Tyler Stovall, un séminaire sur l’histoire des populations noires en France qui interroge notamment la notion de race et de préjugé de couleur.
Dernière publication diffusée sur Cairn.info ou sur un portail partenaire
Mis en ligne sur Cairn.info le 07/03/2017
https://doi.org/10.3917/pox.116.0081
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