CAIRN.INFO : Matières à réflexion

1 L’information routière est souvent perçue comme apolitique. Quoi de moins politique a priori qu’un conseil d’itinéraire de délestage ou d’une information relative à l’état des conditions météorologiques sur la route ? Or, dans une conjoncture de très faible structuration d’une politique sectorielle dédiée à la sécurité et à l’information routière, le rôle des médias peut devenir important dans la mise en œuvre de ladite politique publique et dans la production d’un ordre symbolique [2]. Cette contribution se propose d’analyser les transformations du rôle de la radio publique dans la centralisation et la production d’informations routières depuis les années 1950 jusqu’à la mise en place du Centre national d’information routière (CNIR) en 1969 [3]. Alors que la politique sectorielle dédiée à la sécurité routière est encore peu structurée [4] (Decreton, 1992 ; Hamelin, Spenlehauer, 2008 ; Kletzlen, 1995 ; Picard, 2009), le média public – RTF devenue ORTF en 1964 – va appuyer le travail de certains entrepreneurs de la route dans la reconnaissance d’une cause, et surtout, dans sa mise en forme avant les années 1970, date à partir de laquelle la politique de sécurité routière va devenir Grande cause nationale. La politique de sécurité routière se développe principalement dans les années 1970. Avant cette date, certains entrepreneurs se munissent de la cause et contribuent à sa mise en forme (prévention routière, associations de lutte contre l’alcoolisme) avant qu’elle ne soit endossée, reprise et organisée par les services de l’État à partir de 1968 (Hamelin, Spenlehauer, 2008). La radio publique va tout au long de cette période jouer une fonction d’initiation d’une politique publique de la route, fédérant les acteurs, faisant exister un enjeu routier – l’information trafic – complémentaire à celui de la sécurité, sollicitant une prise en charge politique et, surtout, installant concrètement un dispositif de centralisation, de transmission des informations et de régulation des services de l’État.

2 Par l’action de certains de leurs dirigeants au profil particulier (membres des milieux catholiques militants d’après-guerre et/ou gaullistes convaincus, actifs au sein des mouvements de jeunesse), le média public constitue un véritable acteur par lesquels une cause « information routière » prend forme et une politique concrète s’institutionnalise. La radio publique devient « l’épicentre d’un policy network, […] avec d’une part, toutes les discontinuités épistémiques et d’intérêt entre les acteurs du réseau et, d’autre part, l’évolutivité et l’ouverture à d’autres réseaux » (Hamelin, Spenlehauer, 2008, p. 59). Si l’entreprise de cause réussit dans les années 1960, c’est parce que la radio publique est un facilitateur administratif entre trois ministères (Défense, Intérieur et Équipement). Elle est l’unique instrument socio-technique permettant d’atteindre les utilisateurs de la route dans leur habitacle. Elle est aussi un objet d’investissement de différents entrepreneurs capitalistiques (notamment par la publicité) ayant des intérêts à vendre de nouveaux équipements (postes à transistors, pneus, etc.) et, enfin, un média à destination de publics cibles de la route (routiers, vacanciers, etc.). Elle a pour enjeu de développer de nouveaux produits médiatiques, concurrents des radios périphériques (Beccarelli, 2013)

3 Si la radio a pu exercer un tel rôle, cela tient principalement à son ancrage dans une conjoncture historique spécifique de très grande porosité entre certains médias et le pouvoir politique gaulliste en place (Bourdon, 2014 ; Vassallo, 2005). Au cours de cette conjoncture des années 1960, le média public est au centre d’une confusion entre son rôle d’informateur et son rôle comme instrument d’une catégorie d’action de l’État à destination de ses administrés (Ollivier-Yaniv, 2000, p. 96), à tel point que le média finit par devenir un véritable adjuvant du pouvoir. Dans ce cas, la radio publique assure une fonction de désenclavement entre les services. Son rôle ne se laisse pas restreindre à l’opération de médiatisation du problème, ni d’acteur passif, ou de réceptacle des politiques publiques. Le média radiophonique est un acteur central du jeu. Par instrument, on entend un « dispositif à la fois technique et social qui organise des rapports sociaux spécifiques entre la puissance publique et ses destinataires en fonction des représentations et des significations dont il est porteur » (Halpern, Lascoumes, Le Galès, 2014, p. 17 ; Lascoumes, Le Galès, 2004). Si le dispositif d’information routière est bien un instrument symbolique et de gouvernementalité des comportements (du côté de l’ORTF et des élites gaullistes), les campagnes menées ne se laissent pas résumer à cette seule dimension « d’institutionalis[ation] de l’indiscutable » (Ollivier-Yaniv, Rinn, 2009, p. 11). Le média assure quatre autres fonctions dans cette configuration : celui d’instrument de planification technocratique (au ministère de l’Équipement), celui d’instrument sécuritaire (aux ministères de l’Intérieur – la police – et de la Défense – gendarmerie) ainsi que celui de produit médiatique (du contenu en programme pour les chaînes) et publicitaire (pour les équipementiers routiers). Et c’est la rencontre de ces deux instruments et de ces deux produits qui amènent à la construction de ce problème public dans la configuration politico-administrative particulière des années 1960. En profitant de la ressource de l’inter-ministérialité, la radio publique assure une fonction de désenclavement des services, visant à fluidifier les relations entre les administrations centrales. Par ailleurs, cette entreprise remplit pour la radio publique un intérêt commercial, lui permettant de se soustraire de la concurrence des radios périphériques et de ce fait rencontre les intérêts commerciaux des entreprises industrielles de la route. Enfin, la radio en tant que support technique, est le seul dispositif socio-technique à pouvoir remplir une fonction d’information en direct des usages de la route et ce, jusqu’à très récemment (Chupin, Hubé, 2008). Ce faisant, elle met en place un quasi-monopole en matière d’information routière qu’elle gardera jusqu’à la fin des années 2000, où les nouvelles technologies du numérique commencent à progressivement apparaître comme une alternative pour les industriels.

4 L’intérêt de ce cas est que, par-delà sa singularité historique, il peut nous aider à repenser aujourd’hui les articulations entre politique publique et médias. Les médias sont rarement décrits comme des « médiateurs des politiques publiques » (Gusfield, 1984), et restent souvent circonscrits à un rôle d’effets d’information (voir par exemple, les synthèses : Boussaguet, Jacquot, Ravinet, 2004, p. 49-47 et p. 166-174 ; Muller, 2000, p. 50 et 61). Ces travaux insistent sur le rôle que joue la mise en visibilité des problèmes pour leur formulation et leur prise en charge par les pouvoirs publics (Jones, Baumgartner, 2005). Pour ce faire, les auteurs insistent sur la nécessité de procéder à une sociologie des acteurs mobilisés en politique. La lutte pour le cadrage est appréhendée comme un enjeu central des mobilisations sociales qui cherchent à imposer leur lecture du problème public et non pas seulement d’obtenir que l’on parle d’un problème sans être associé à sa définition (Neveu, 1999).

5 Pour autant, plusieurs travaux insistent sur la création de relations privilégiées entre les médias et les administrations publiques (Levêque, 1993 ; Nollet, 2010 ; Chupin, Mayance, 2014). De nouvelles interfaces portées par des professionnels de la communication ont vu le jour et assument un rôle accru dans la communication de crise en traduisant le langage administratif en contenus prêts à être médiatisés. Ce qui est notable dans le cas que nous étudions ici, est, d’une part, que le média public finit par devenir un instrument central d’une politique publique singulière, celle de la gestion des routes et de ses usagers ; d’autre part, si cette entreprise réussit, c’est qu’elle est jugée acceptable par les acteurs et professionnels qui prennent part à cette politique publique (Hamelin, 2015, p. 112-113), ceux (journalistes, puis agents de l’État) qui sont impliqués dans sa mise en œuvre, ceux (constructeurs, pouvoir gaulliste) qui trouvent un intérêt à la rendre légitime ou ceux (routiers, conducteurs) à qui cette politique est imputée. Le tour de force de la radio publique a été de fidéliser son audience en lui fournissant tout à la fois une information pratique nationale et personnalisée, mais aussi et surtout d’enrôler l’auditeur comme pourvoyeur d’informations, en le transformant du public d’une émission de divertissement à celui d’un public de « citoyen responsable », en d’autres termes tout à la fois destinataire et producteur de cette information dont la qualité dépend de son « sens de l’engagement civique ».

6 Enfin, à la différence des politiques publiques de sécurité routière qui verront le jour dans les années 1970, il ne s’agit pas de ramener le problème de la route à la seule responsabilité du conducteur, qui met en danger les usagers de la route (Boltanski, 1975 ; Grossetête, 2010 et 2011 ; Marchetti, 2008, Gilbert, 2008). À ce stade, le problème est plutôt d’appeler à une prise en charge par l’État de l’état des routes qui – du fait des infrastructures – sont imparfaites et, ce faisant, de guider et d’encadrer les usagers-citoyens. Au cours des années 1960, la dépolitisation du problème ne passe pas par l’effacement des rapports sociaux de classe au profit des individus (Comby, Grossetête, 2013), mais par l’appel à la conscience citoyenne du public à jouer collectivement pour le bien public. Loin de chercher à s’invisibiliser comme il pourra tenter de le faire ensuite dans les années 2000 au travers d’un recours à des figures « neutres » comme les préfets ou les collectivités locales (Marchetti, 2008), l’État se donne dans les années 1960 à voir comme « au service » de ses administrés. C’est la mobilisation de ces acteurs autour de la « nécessité » d’avoir une information routière radiodiffusée, et le succès de la radio publique dans cette entreprise qui nous intéressent ici.

7 Nous verrons comment un journaliste puis patron de la radio publique – Roland Dhordain – et son équipe de l’ORTF vont avoir le pouvoir et l’autorité pour imposer cette cause, fédérant à partir de 1952, tout à la fois les attentes des chauffeurs routiers, des automobiles clubs, des vacanciers ou des conducteurs du week-end que celle des industriels de l’automobile, des constructeurs de transistors ou des ministères de l’Intérieur, de la Défense et de l’Équipement. Une fois ce rôle constitué, au tournant des années 1970, l’État institutionnalise sa politique de sécurité routière en mettant en place le Centre National d’Information Routière de Rosny-sous-bois et technicise sa gestion du trafic routier. Il convient de voir, dans un premier temps, comment Roland Dhordain et son équipe au sein de la RTF parviennent à fédérer un ensemble d’acteurs autour d’une cause, en tirant profit d’un vide politique et d’une demande sociale, celle de la route des trente glorieuses. Avec les premiers succès de cette entreprise, et ce sera notre second point, l’entreprise de Dhordain et de ses équipes sera parfaitement conforme avec la prise en main de l’appareil communicationnel d’État par les gaullistes et leur volonté d’encadrer la population (Ollivier-Yaniv, 2000). Ce faisant, les services régaliens de l’État tout comme les services de l’Équipement vont chercher à travailler avec l’Inter-Service Route mis en place par Roland Dhordain, avant de mettre en place un dispositif autonome de production d’information routière : le Centre National d’Information Routière (CNIR) de Rosny-sous-Bois en 1969, dessaisissant alors la radio publique de son monopole.

La RTF : un entrepreneur de cause auprès d’acteurs privés

8 La demande en matière d’information routière se développe donc au début des années 1950 pour plusieurs raisons. Il y a concomitamment plus de voitures, plus de routiers, plus de bouchons et plus d’accidents. Il y a aussi le développement d’une « société de loisirs », dans laquelle la voiture comme la radio occupent une place particulière (Ross, 2006). Le lien particulier de la radio à ses auditeurs automobilistes a pendant toutes les années 1950 et 1960 permis de pallier l’absence des services de l’État, avant que ce dernier ne mette en place le CNIR en 1970.

La route comme enjeu public des trente glorieuses

9 L’information routière répond à un double objectif. Outil administratif, l’information routière en tant que donnée sert d’abord la préoccupation des services de l’État de « fluidifier » le trafic par la réalisation de « beaux ouvrages » (Reigner, 2004, p. 31). Outil scientifique de planification, l’information routière permet la constitution d’un « savoir à connaissance scientifique, d’une science de “l’accidentologie” » naissante (Cauzard, 1991, p. 88), visant à résorber le nombre croissant de victimes de la route, passé de 8 000 en 1960 à 15 000 en 1970. « L’amélioration de l’infrastructure, qui n’exigerait des usagers que l’effort qu’ils acceptent actuellement, serait de nature à résoudre les problèmes de Sécurité routière », pensait-on alors (ibid., p. 90).

10 De 1945 à 1970, le cadre prégnant pour les ministères des Travaux publics et des Ponts-et-chaussées concerne l’optimisation des infrastructures en vue d’une amélioration des conditions de circulation et de sécurité des usagers de la route. Ce cadre repose sur deux points : « le fait de pouvoir circuler dans la ville quitte à la détruire » (Flonneau, 2003, p. 99) et la résorption des « points noirs » – lieux où les accidents sont plus importants que la moyenne (Flonneau, 2006 ; Galland, 1991). Pour les ingénieurs, c’est « sous cet angle que peut être introduite l’information routière comme facteur concourant pour partie à la réalisation de ces objectifs » (Boutin Desvignes, Gironde, 1996, p. 5). En clair, ce n’est pas la notion de « risque routier » qui les anime. Un espace est libre pour que d’autres acteurs investissent ce marché en construction.

11 L’information routière répond par ailleurs à une attente de l’automobiliste et du chauffeur routier : celle de prévoir ses temps de parcours. L’augmentation du trafic et des kilomètres d’embouteillage est alors préoccupante. En 1950, on compte 1,7 million d’automobiles pour atteindre les 13 millions en 1972 (Dunn, 1995, p. 278). Cette croissance exponentielle va aussi de pair avec un développement des infrastructures routières. Entre 1960 et 1969, le chiffre moyen de kilomètres nouveaux d’autoroutes construits est de 92 par année ; quand entre 1970 et 1979, il est de 258 (ibid., p. 283). L’accroissement du nombre de kilomètres d’autoroutes correspond à une modification de la politique du gouvernement en matière d’infrastructures routières et la mise en place d’un nouveau ministère de l’Équipement. Si le ministère des Travaux publics s’oppose dès les années 1920 aux autoroutes (Thoenig, 1987, p. 86), cette réticence va être levée dans les années 1960 car le gouvernement court-circuite l’administration des Ponts. Le gouvernement fait appel au financement de la Caisse des dépôts et consignations pour lancer les premières opérations de construction de l’autoroute Paris-Marseille (ibid., p. 87). En 1970, une première liaison directe entre Paris et Lyon est ouverte. La même année, une première réforme du système des autoroutes autorise la concession d’autoroutes à des sociétés privées dans le cadre de sociétés d’économie mixte, avec pour but d’accélérer leurs constructions (Poupinel, 1993).

Des acteurs privés en demande d’information routière

12 L’information routière est aussi à l’interconnection d’autres entrepreneurs qui tentent de faire exister un marché spécifique de l’automobile. En effet, dans les années 1960, se développe le marché des transistors. La création du premier poste à transistors français en 1956 remplace, en l’espace de quelques années, les vieux récepteurs à lampes. Les postes radio gagnent en autonomie énergétique et en qualité d’écoute (Fesneau, 2004). Si le développement de ce nouveau marché de postes à transistors ne saurait se confondre avec celui des autoradios, il a des effets importants sur l’écoute en voiture : le poste à transistors est facilement et fréquemment emporté par les automobilistes dans leur véhicule, sans qu’on puisse le quantifier avec précision. De 1958 à 1961, les radio-récepteurs à transistors vendus en France passent de 350 000 à 1,962 million (ibid., p. 119). Avec leur « transistorisation » à partir de 1959, le marché des autoradios explose. La croissance des ventes est particulièrement importante : « en 1971, 14,8 % des foyers et 25,9 % des automobilistes en sont équipés soit une augmentation de 250 % depuis 1964 » (ibid., p. 124).

13 Si la demande en matière d’information routière est forte, c’est qu’il y a une absence totale de coordination et de prise en charge par les puissances publiques. Les usagers de la route circulent dans ce que les journalistes comme les routiers appellent le « silence de la nuit ». Ils sont nombreux à déplorer, d’une part, l’absence d’informations sur les conditions de circulation, d’autre part, l’absence de forces de police. Un reporter de Radio Magazine va jusqu’à écrire en 1962 :

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« Il existe dans ce pays un axiome que rien ne pourra changer : le flic français se couche tôt. C’est si évident qu’à partir de 20 heures, les routes de France sont pratiquement désertées par la police et restent livrées aux malheureux qu’un sort cruel oblige à rouler. Ces malheureux sont soumis à deux impératifs : rester éveillés et être renseignés sur l’état des routes (encombrement en été, brouillard et verglas en hiver) [5] »

15 Si les publications spécialisées répètent à l’envi les défaillances de l’État à partir de 1958, elles sont également généreuses en compliment quand la coordination des forces de police réussit. À l’occasion du renversement d’un camion d’acide sulfurique au Nord de Paris pendant les vacances d’été 1959, L’Auto-Journal congratule d’abord la radio pour sa capacité à avertir les automobilistes « aussitôt […] de l’interruption de la circulation » avec son programme de radio-guidage. Au cours du même reportage, le journaliste note « que presque partout les autorités collaborèrent très activement avec la RTF. Citons en particulier [suit une liste de gendarmes, de policiers, de CRS, d’ingénieurs de Ponts-et-chaussées et de Préfecture] ». Et dans le même temps, le journal flétrit le fait que « le radio-guidage se heurta à un refus absolu et stupéfiant en deux points : Angers et Alençon ». Il finit par un appel à « une émission continue […] mais coupée toutes les heures (ou plus souvent en cas d’urgence) d’indications utiles aux automobilistes, aux campeurs, à tous les amateurs de plein air. La RTF dispose de trois chaînes. Ne pourrait-elle pas en réserver une à ceux qui, répétons-le fourniront de plus en plus, le gros de ses auditeurs [6] ? »

16 Les routiers sont les premiers intéressés dans un produit radiophonique spécifique. La presse spécialisée (Courty, 1993a, p. 165-175) se mobilise fortement en faveur du « Peuple de la nuit », entre 1957-1959. Il s’agit de la presse de professionnels de la route (L’Auto-journal, Les Routiers ou Éducation routière) et de la presse sur les médias (Téléradio, Informations RTF ; Radio-Cinéma-Télévision). Dans ces papiers, on trouve construit et mobilisé le référentiel du « routier », travailleur solitaire de nuit, qui existera jusqu’au début des années 1980 (Courty, 1993b). L’information routière vient rompre cette solitude. Elle est construite comme ayant une vertu sécuritaire en maintenant le conducteur en éveil.

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« Depuis le 10 janvier, un très grand nombre d’entre eux ont la joie de sentir, quand ils remontent à bord de leur camion, et reprennent le volant entre 1 heure et 4 heures du matin, qu’ils ne font plus un nouveau plongeon dans la nuit, dans le silence moral, déprimant, au moment où la fatigue alourdit les paupières, où la chaleur et la quiétude de la cabine rendant la conduite du véhicule difficile. Ils ne sont plus seuls sur la route la nuit [7]. »

18 Cette presse professionnelle se fait le défenseur d’un équipement des camions en postes radios. Dans le même mouvement, les associations d’automobilistes comme le Touring Club de France et les Automobiles Club de France sont intéressées au développement de la pratique de l’automobile de loisir organisant des rallyes auto, nécessitant et valorisant la « bonne conduite ». L’information routière radiodiffusée est un des éléments d’une politique de « sécurité routière » dont ils sont les porteurs (Piveteau, 2003 ; Hamelin, Spenlehauer, 2008). Mais ce n’est pas nécessairement la priorité de la radio publique. Pour les responsables, développer des programmes en soirée, est un enjeu commercial fort : l’offre de programme étant réduite, si elle trouve des auditeurs à qui s’adresser, la radio publique pourra diffuser plus longtemps le soir. Les émissions « de nuit » et pour ce « peuple de la nuit » (au premier chef desquels figurent les routiers) sont un levier commercial permettant à la radio publique d’asseoir ses programmes sur l’étendue complète d’une journée (Beccarelli, 2013). Plus généralement, les acteurs de la radio publique, s’ils insistent d’abord sur les routiers, présentent leurs émissions comme ouvertes à l’ensemble de ce « peuple de la nuit ». Dans un document télévisé de promotion de l’émission réalisé en 1971, on voit ainsi différents animateurs de l’émission (Bernard Marçay, Anne-Marie Duvernet, Louis Foulquier et Claude André) aller à la rencontre de leurs publics. Ils rencontrent ainsi divers travailleurs de nuit (routiers, bouchers des halles de Paris, boulangers-pâtissiers, taxis, services de tri postaux, de triage dans les gares, contrôleurs aériens etc.), ils donnent ensuite la parole à Michel Tournier, prix Goncourt expliquant qu’il est auditeur de « route de nuit », car il est amateur de radio et écrit la nuit. Bernard Marçay prend dans ses bras un nouveau-né répondant au nom de Vivien qui a « juste quelques heures » pour valoriser l’infirmière de la clinique qui vient de le faire naître. Enfin, ils tendent leur micro à des étudiants noctambules qui déplorent le manque de musique anglaise (Be Gees, Beach Boys) ou de classique dans l’émission [8]. Au total, plus de 37 professions travaillant la nuit sont dénombrées comme écoutant l’émission et ce public est estimé à un million cinq cent mille auditeurs [9]. Ce document vise à mettre en avant la grande diversité sociale des publics de l’émission par-delà la distance de classe qui semble objectivement les caractériser. Elle est aussi l’occasion pour les animateurs d’éprouver en pratique leur propre choix dans les disques qu’ils retiennent, en fonction des goûts sociaux qu’ils pensent détecter auprès de leurs différents publics. À un moment, l’animateur conclut au sein d’un relais routier que c’est « l’accordéon qui fait consensus » en s’appuyant sur le propos d’un routier lui disant aimer écouter dans le cadre de son travail, « quelque chose donne un peu d’entrain, qui réveille [10] ».

19 La route est enfin un enjeu économique pour les équipementiers qui tentent de mettre cette question à l’agenda à grand renfort de sondages. Philips lance par exemple un sondage, repris par le magazine Radio s’adressant aux usagers de la route pour connaître « leurs envies » en matière de programmation radiophonique. Ce travail de construction d’une attente fait également écho à un débat public qui s’engage pendant 10 ans, sur la nécessité ou non d’équiper toutes les voitures d’un poste autoradio [11]. Signe d’une certaine prise en charge par l’État de ces questions, un décret de 1957 rend obligatoire l’antiparasitage des moteurs : les constructeurs automobiles sont contraints de ne pas nuire à l’installation de postes radios dans les voitures. Se crée donc un marché privé de la radio et de la route. En 1957, par exemple, le constructeur UNIC présente un nouveau véhicule au Salon de l’Automobile, appelé « Le Galibier » équipé par Philips, « cabine de semi-remorque doté de tous les perfectionnements techniques et aussi de tous les aménagements et accessoires [dont le transistor] nécessaires à un individu travaillant et vivant plus à bord de son camion, de son poids lourd, qu’auprès de sa famille [12] ». Plus généralement, qu’il s’agisse de la Foire de Paris de 1956 ou des catalogues des constructeurs de postes à transistors (Radiotechnique, Manufrance, Radiola) entre 1958 et 1960, tous vantent le confort d’écoute de la radio à bord de leurs postes dotés de prises de branchement pour véhicules personnels (Fesneau, 2004).

Le moment gaulliste : construire la cause, guider les citoyens

20 Au cours de cette période, la radio publique parvient à fédérer ces acteurs relativement dispersés. L’opération de progressive centralisation effectuée par l’Inter-service route s’inscrit dans le cadre d’un rôle spécifique dévolu aux médias, celui d’encadrement social et « d’éducation » exprimé par les principaux dirigeants gaullistes. Le journaliste place son public dans une situation d’apprentissage pédagogique et endosse alors le rôle de l’instituteur. Cette conception de l’immaturité supposée du public et de la fonction éducatrice de l’État via l’audiovisuel public s’exprime dans certains discours de Georges Pompidou : « Si l’opinion publique était suffisamment au fait des problèmes pour juger en pleine connaissance de cause, l’État devrait laisser s’établir un libre dialogue entre une opinion éclairée et les journalistes […]. Mais [dans le cas contraire] à qui pouvait incomber cet effort d’éducation plus qu’à l’État » (cité in Vassallo, 2005, p. 28). Véritable instrument de l’action publique, l’information routière radiophonique renvoie à une conception mobilisatrice du rôle de l’État envers ses administrés (Lascoumes, 2003, p. 399). Le pouvoir poursuit le double objectif d’instruire les Français sur le monde dans lequel ils vivent, et de les informer des mesures engagées par le gouvernement (Ollivier-Yaniv, 2000 ; Vassallo, 2005).

Accompagner le conducteur : le développement des programmes consacrés à la route

21 Dans un premier temps, les programmes consacrés aux conducteurs répondent à l’objectif de distraction fixé à la RTF et à la volonté de gagner un nouveau public d’auditeurs. Une première émission – « Musique sur la route » – est créée en 1952. Son but est moins de transmettre des informations sur l’état des routes que d’offrir un produit agréable à écouter en voiture. Il organise un jeu autour du code de la route : l’auditeur se doit de déceler les erreurs volontairement glissées par le présentateur [13]. Cet objectif est clairement « commercial » (Beccarelli, 2013). Il s’agit de gagner à soi les auditeurs : usagers de la route le week-end pour les loisirs, usagers de la route le soir pour le travail. À l’occasion de rallyes, « avec ces réalisations, la RTF, faisait la preuve que la Radio officielle, loin d’être toujours “à la remorque de”… fait parfois figure de précurseur [14] ». « Route de nuit » voit le jour en juin 1955. Il s’agit d’une émission quotidienne, enregistrée, « nocturne à l’intention des automobilistes et des routiers […] composée, par tranche d’un quart d’heure, de programmes alternés, de musique de danse, d’extraits d’opérettes, de musiques légère et de chanson. Un bulletin d’information de deux à trois minutes sera diffusé en fin d’émission. La lecture en sera répétée [15] ». À la rentrée 1956, s’ajoute l’émission « Route en direct » le samedi après-midi à destination des usagers de route de loisir. Ponctuellement à partir de 1957 la radio publique organise des radioguidages lors de déplacements importants : week-end pascal, de la Pentecôte, départs ou retours de vacances. En 1958, « Route de Nuit » dure 3 heures et est cette fois animée par un présentateur. Ce changement découle de l’idée qu’il importe de plus varier les prises de parole pour éviter les assoupissements des conducteurs. Concrètement, le directeur de la RTF de l’époque (de février 1957 à juillet 1958) – le préfet Gabriel Delaunay – qui a également antérieurement mis en place les tribunaux de la route, demande à Roland Dhordain de penser à l’animation de cette tranche [16]. L’année 1958 est aussi celle qui voit un nouveau public ciblé : les campeurs et les caravaniers. « France 1 au service d’une nouvelle catégorie d’auditeurs : les campeurs et les caravaniers. Parmi les différentes vocations de cette chaîne, il en est une qui s’est affirmée depuis plusieurs saisons, celle du “service de l’auditeur”. […] La ménagère en camping ne sera pas oubliée [17] ». Cette importance de la cible constituée par les campeurs est confirmée dans certains travaux d’historiens de la radio. L’été était une période traditionnelle de baisse des taux d’audience. Désormais la part des Français à l’écoute de la radio n’est inférieure que de 9 % au taux moyen annuel d’écoute ; on estime d’ailleurs que 83,6 % des ménages campeurs-caravaniers ont un transistor (Fesneau, 2004, p. 123). La dimension ludique est renforcée en octobre 1964 lorsque la RTF devient ORTF, puisque l’émission du samedi après-midi « Route en direct » s’insère dans un ensemble de cinq heures appelé « Inter-loisirs », conforme aux objectifs de la loi du 27 juin 1964, créant l’ORTF [18]. Le but de l’ORTF consiste alors à « attirer les auditeurs sur les ondes nationales, puis à les fidéliser, afin de rendre efficace la politique d’information, d’éducation, de culture et de distraction menée par le Gouvernement » (Donzelle, 2004a).

22 Concomitamment à l’arrivée des gaullistes au pouvoir, les programmes consacrés à la route vont changer de dimension. Les acteurs de la route cités précédemment vont fortement appuyer et renforcer le travail de la radio publique, s’inquiétant même à l’occasion lors du passage à l’ORTF que « l’œuvre entreprise serait [en cas de désengagement de l’État] immédiatement reprise par les postes privés et amplifiée comme on l’imagine. […] Ce serait dommage sur le plan sentimental [19] ». Ce faisant, les usagers de la route participent à faire des animateurs de la radio publique l’épicentre du policy network (Hamelin, Spenlehauer, 2008) de l’information routière. En 1959, la RTF donne à Dhordain une structure dédiée, appelée Inter-Service-Route : 24 heures sur 24, des animateurs sont « à la disposition des automobilistes et des routiers ». La mobilisation de la Fédération des routiers conduit la RTF à augmenter le temps d’antenne [20]. L’émission « Route de Nuit » passe ainsi à 6 heures Un partenariat privilégié est signé entre les Routiers et la radio-publique en 1958. L’émission « Route de nuit » sert d’organe de liaison pour les routiers qui désirent avoir de l’information sur leurs conditions de circulation, sur les stations-service ouvertes, pour demander des secours. Ce partenariat associe activement les relais routiers qui ont l’obligation de diffuser toute la nuit cette émission afin de pouvoir faire entendre aux conducteurs les messages qui leur sont destinés. Une coopération particulière permet aux routiers d’appeler les services de la radio publique gratuitement à partir de ces relais, à un moment où la France ne dispose pas aussi largement du téléphone, et encore moins la nuit. Mais ces supports aux routiers ne consistent pas seulement en une aide technique et professionnelle. Il s’agit aussi de leur apporter un support « moral » et affectif : les routiers peuvent commander la diffusion du « disque du routier » sur les ondes, et assurent le lien entre le routier et sa famille.

23 Le succès de ces émissions amène les concurrents privés à se positionner sur ce marché. Europe n° 1 crée ainsi le 10 février 1958 l’émission « Service de nuit » de 21 h 30 à 1 h du matin et Radio Monte-Carlo lance, la même année, « Le magazine de l’automobile » le samedi après-midi à 14 h 30 [21]. Le temps d’antenne dédié aux émissions pour la route est tangible (voir tableau 1). Alors que pour la saison 1956-57, Paris-Inter consacre 14 h hebdomadaire à ces émissions, l’année d’après, la chaîne lui consacre le double de temps (30 h) pour atteindre en 1962-63 un total de 38 heures et 40 minutes d’antenne hebdomadaire, soit près d’un quart du temps d’antenne total (23 %). Elle ne descendra pas en dessous de 35 heures et 8 minutes jusqu’en 1968-69. La période qui s’ouvre avec l’expérience de moins grand contrôle politique de Pierre Desgraupes sous Chaban-Delmas (Pineau, 2007) ainsi que l’institutionnalisation d’un dispositif d’information routière, le CNIR, se traduit l’année d’après par un temps d’antenne d’amputé de près d’un tiers, et passé à 26 heures et 4 minutes en 1970-1971. Au plus haut de la période, les services d’Inter se targuent d’avoir :

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« une quarantaine de personnes réparties entre trois équipes qui se relaient 24 heures sur 24 – 6 000 appels téléphoniques par jour en moyenne, avec des pointes approchant les 10 000, comme le 11 janvier dernier (9 960) – 40 heures d’antenne par semaine sans compter les six bulletins quotidiens d’Inter-service route, ni les radio-guidages nationaux qui ont lieu à l’occasion des grandes migrations automobiles – 35 pour “route de nuit”, 4 pour le radio-guidage parisien du dimanche soir, 1 pour “route en direct” [22]. »

Tableau 1. Type d’émissions consacrées à la route (1956-1970).

Durée hebdo.ÉmissionLundi-VendrediSamediDimanche
1956-195714 hRoute de nuit0 h 03 – 2 h
La route en direct15 h 18-17 h
1958-195930 hRoute de nuit0 h 03-3 h
Roulez en musique3 h-4 h
La route en direct15 h 18-17 h
1959-196028 h 47Route de nuit0 h 03-4 h1 h 18-4 h0 h 03-4 h
Inter-service Route, Météo
19 h 12-19 h 15
13 h 30 – 13 h 35
19 h 12-19 h 15
La route en direct14 h 18-17 h 18
1962-196338 h 40Inter-Service Route Matin8 h-8 h 15
Inter-Service Route Midi11 h 55-11 h 5711 h 48-11 h 50
Inter-Service Route Soir19 h 10-19 h 15
Route de nuit1 h- 6 h
La route en direct14 h 15-15 h 15

Tableau 1. Type d’émissions consacrées à la route (1956-1970).

Durée hebdo.ÉmissionLundi-VendrediSamediDimanche
1966-196737 h 54Inter-Service Route Matin7 h 55-8 h 008 h-8 h 15
Inter-Service Route Midi11 h 57-12 h11 h 55-11 h 57
Inter-Service Route Soir19 h 15-19 h 18
19 h 55-20 heures

19 h55-20 heures
Route de nuit1 h-6 h0 h-6 h
1967-196837 h 36Inter-Service Route Matin7 h 55-8 h008 h-8 h 15
Inter-Service Route Midi11 h 57-12 h
Inter-Service Route Soir19 h 55-20 heures
Route de nuit1 h-6 h0 h-6 h
1968-196935 h 08Inter-Service Route Midi11 h 57-12 h
Inter-Service Route Soir19 h 55-20 heures
Route de nuit1 h-5 h 301 h-6 h1 h-6 h
1970-197126 h 06Inter-Service Route Midi11 h 57-12 h
Route de Nuit1 h-5 h2 h-5 h
Sources : Informations reconstituées à partir des grilles de Paris-Inter (jusqu’à 1963) et de France-Inter (à partir de 1966) disponibles sur le site http://www.radioscope.fr/ ainsi qu’à partir de nos archives.

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Encadrer et rendre le citoyen responsable du bon ordre routier

26 L’essor des Inter-services illustre l’objectif d’éducation poursuivi par les gaullistes (Donzelle, 2004b). Ces Inter-services sont chargés d’encadrer la population et sont développés tous azimuts. Le premier à voir le jour est celui dédié à la Route. À partir de 1964, ce concept d’Inter-services est appliqué à une nouvelle cible : les jeunes. Comme l’explique Henri Poumerol, dans une note du 15 juin 1964, à destination de Roland Dhordain, « l’animation permet de cadrer les jeunes, de les canaliser, d’éviter les “flottements des flottants”. Aux 3 missions officielles de l’ORTF appliquées à la jeunesse par le Service Information Jeunesse, “éduquer, informer, distraire”, vient s’ajouter une quatrième, plus officieuse : encadrer [23] ». À partir de 1967, d’autres Inter-services sont mis en place. On en comptera 12 en 1974. Leur dénomination reflète le projet d’encadrement social généralisé nourrit par l’État gaulliste : il s’agit d’Inter-Services route, neige, mer, jeunes, loisirs, courses, rural, emploi, troisième âge, femmes, à votre service, dimanche à la campagne. L’ensemble de ces services fusionnent en 1974 dans un vaste ensemble baptisé « les informations services » dont Henri Poumerol prend la tête (Donzelle, 2013). Pendant les années 1960, les investissements du pouvoir pour contrôler la radio-télédiffusion s’expliquent largement par la croyance gaulliste que la presse régionale – contrôlée par l’opposition et en particulier par les démocrates-chrétiens – lui serait défavorable. De Gaulle le dit en 1962 à Alain Peyrefitte : « Servez-vous au moins de l’instrument que vous avez entre les mains, la télévision : mais servez-vous en à bon escient. N’essayez pas de persuader les responsables, donnez-leur des instructions. La presse est contre moi, la télévision est avec moi » (cité in Pineau, 2007, p. 37). Cette croyance explique sans doute pourquoi les gaullistes développent une conception de la toute-puissance de l’audiovisuel. La régionalisation et l’ouverture à partir de 1964 d’une vingtaine de bureaux régionaux d’information sont accompagnées d’un recrutement politique de gaullistes fidèles [24]. La RTF puis l’ORTF sont pensées comme une agence de relations publiques au service de l’État, permettant d’assurer la promotion des actions du gouvernement. L’Inter-Service route est dans ce cadre un des instruments symboliques du pouvoir lui permettant d’assurer sa présence sur le territoire.

27 L’enjeu de la sécurité routière est bien loin d’être celui qui sera défini une décennie plus tard autour de la réduction de la vitesse. Dans le magazine Sécurité routière, les journalistes organisent ainsi un débat contradictoire entre Jacques Dufilho – « qui roule toujours accélérateur au plancher » – et Jean-Pierre Beltoise – « l’as de la compétition automobile [qui] comme les circuits, […] circule vite sur la route, très vite même au volant de sa Matra ou de sa Lamborghini » – pour connaître l’utilité de la « radio à bord ». Le premier se pose la question de savoir s’il « devrai[t] se laisser importuner par l’intrusion de la radio », tandis que le second estime qu’elle « opère bien souvent comme un stimulant efficace contre le sommeil [25] ». Le concept des émissions consacrées à la route repose sur une acception particulière du service public : service au public autant que vocation citoyenne (Ollivier-Yaniv, 2000). Roland Dhordain reconnaît en entretien avoir été très influencé par une idée de Pierre Schaeffer, ingénieur à la RTF, qu’il rencontre dans le cadre de la création de SORAFOM [26], et du studio école de Maisons-Laffite.

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« Nous avons appris à des jeunes, européens d’abord puis africains ensuite notre métier. Schaeffer avait une grande idée qu’il fallait, dans les pays en voie de développement, introduire l’idée de radio-service. Alors schaeffer nous a raconté ça. Je me suis dit, ce qu’on va faire pour les gens de la Côte d’Ivoire, on va le faire pour les gens de l’hexagone. J’avais déjà l’idée de la reconquête de l’auditoire de la RTF et une nouvelle catégorie d’auditeur naissait qui était les auditeurs de l’autoradio. Il fallait évidemment faire quelque chose pour eux d’où la création du radio guidage, de la route de nuit, de l’Inter-service route puis de la route en direct. [27] »

29 Le groupe des routiers est mobilisé et présenté par ses valeurs civiques et professionnelles de solidarité et d’amitié. Les routiers sont appelés à intervenir par téléphone, à produire et à faire remonter de l’information vers la radio publique, comme on le trouve écrit dans une revue professionnelle :

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« Pour que cette émission ait toute sa valeur humaine d’entraide et de solidarité (deux vertus qui font l’apanage des routiers) vous devez être des informateurs pour tous les usagers de la route (professionnels ou touristes) et pouvoir être informés par tous ceux qui roulent, et cela grâce à nos relais routiers ouverts la nuit, auxquels nous demandons de diffuser Paris-Inter-France-I de minuit à 6 heures du matin, et d’écouter – si cela leur est possible – les appels qui seront communiqués à leur intention. Nos amis dans leur cabine, nos relais routiers, dans leur établissement, DOIVENT et SERONT les relais de cette chaîne d’entraide, les relais de la Radiodiffusion Télévision Française. […]. Aujourd’hui, [Bernard Marçay, animateur de l’émission] est l’un des nôtres […]. Il me déclarait une récente nuit : “Je n’ai plus l’impression de m’adresser à des auditeurs, mais de retrouver chaque nuit des amis à travers toute l’Europe” [28]. »

31 Ce lien particulier de la radio et des auditeurs inscrit cette question dans un ordre symbolique de politique général. Cette participation des usagers présentée comme citoyenne vient alimenter en contenu ce dispositif socio-technique. L’Inter-Service Route est un instrument satisfaisant les intérêts de tous les groupes. La démonstration de force ponctuelle que pouvait être l’usage de l’avion, des hélicoptères ou des motards par les chaînes concurrentes – Europe n° 1, RTL et RMC – pendant certains week-ends (Pentecôte ou 15 août) ou lors des départs en vacances perd de leur efficacité dans la routine. Les animateurs de ces émissions n’hésitent d’ailleurs pas à payer de leur personne. Les opérations de guidage sont l’occasion d’une démonstration du paradigme lancé par Dhordain et largement repris par la presse professionnelle : « Grâce à la RTF, vous ne serez plus seul sur la route [29] ». Dans ce reportage de janvier 1958, le journaliste précise que « le succès confirmé de l’émission Route en direct, l’utilité mille fois démontrée du Radio-Guidage, ont incité Roland Dhordain et les services du Journal Parlé à développer leurs activités ». L’engagement « au service » du public est mis en scène. « Au rendez-vous de l’automobiliste », c’est ici « Roland Dhordain et un représentant de la police de la route, aid[a]nt cette charmante automobiliste à changer sa roue » et là « une opération-dépannage tentée par Michel Péricard et notre collaboratrice Claudine Meyer », ou encore une photo de Roland Dhordain « juché sur une échelle, sui[van]t sur cette carte l’état d’encombrement des routes [30] ».

32 Dans cette France gaulliste engoncée, c’est le service public qui se donne à voir comme irréprochable en matière d’éducation et de bonnes manières. Les animateurs de l’Inter-Service route se doivent d’être irréprochables et polyglottes lors des consignes transmises au téléphone aux usagers en difficulté, comme l’Inter-service route se donne à voir dans ce reportage de 1966 :

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« – Quelqu’un parle allemand ?
Le miracle est que la standardiste arrive à se faire entendre dans la cacophonie des sonneries qui tintent, des machines à écrire qui crépitent, des opérateurs qui répondent. […]
– Vingt tonnes, votre camion ? Une minute, bitte schön ! alors, vous dites : bis Saarbrücken nach Meaux ?
Dictée des routes : nationales, départementales, nationales.
– Au revoir, Monsieur !
– Non ! hurlent dix voix en même temps ! Dis-lui auf Wiedersehen !
[Plus tard]
– Allons ! Les enfants ! Soyez suaves dans votre voix et souriants dans vos réponses, intervient Jasmine Delacroix !
Aussitôt un opérateur rectifie la position, non la voix. On entend, dit avec componction :
– Bonne route, chère Mademoiselle ! [31] »

34 Dans cette première période, si l’intérêt stratégique du marché urbain – et en particulier parisien – est régulièrement rappelé par les uns ou les autres, la construction d’un « besoin » par les routiers et l’inexistence d’une information centralisée minimise son intérêt stratégique. Ponctuellement, la radio-publique va utiliser un créneau d’ondes courtes [32] pour diffuser une information ciblée autour de Paris, mais l’objectif n’est pas prioritaire. Progressivement, l’ORTF va mettre en place des partenariats avec les services d’État éclatés : météo-France, les Ponts-et-chaussées en collaboration avec l’IGN transmettent des informations sur les barrières de dégel et les risques de verglas ; les postes de gendarmerie et de police, communiquent par le biais de leurs agents locaux des informations. La radio publique brille lors de « crises », obligeant les radios concurrentes à passer par elle, comme lors d’une pluie de verglas subite en hiver 1962 dans le Morvan. Si ces collaborations avec les services d’État ne sont, au départ, que ponctuelles et laissées au bon vouloir des administrateurs locaux, elles s’institutionnalisent progressivement. Les services d’Inter mettent en avant des « moyens énormes. D’abord des liaisons étroites avec les services de police et de gendarmerie dispersés dans toute la France. [Ce qui permet aux animateurs d’être très réactifs en cas de crise] aussitôt que nous en avons possession. Nous avons un droit de priorité sur l’antenne ! […] Des contacts quotidiens avec le ministère de l’Équipement permettent en outre, de faire connaître avec précision et promptitude la situation des barrières de dégel [33] ». L’émission « Route de nuit », elle, rencontre un grand succès qui s’évalue numériquement : 800 appels en moyenne par nuit [34]. Ce succès est aussi mesuré – et construit comme un soutien de l’opinion – par le nombre d’automobilistes qui « klaxonnent ou nous font signe » en passant à proximité du poste d’observation de la RTF [35]. Il amène progressivement, au début des années 1960, les services de l’État à se tourner plus structurellement vers les services de la RTF.

Les acteurs engagés de la cause routière

35 Ce projet d’accompagnement social n’est pas le seul fait d’un souci gaulliste d’encadrement du public. Il ne peut voir le jour que par l’engagement et les trajectoires des porteurs de cette cause (Hamelin, 2015). Cette perception du problème public entre en résonance avec les représentations des journalistes animés d’un esprit moral : la volonté d’aider le public. Les journalistes s’engagent personnellement. Cet engagement en faveur de l’Autre s’appuie sur des éléments de trajectoire et de socialisation d’acteurs, marqués par le gaullisme, par le scoutisme et/ou le catholicisme social, et surtout par les mouvements d’encadrement de la jeunesse. De surcroît, ces acteurs sont tous plus ou moins multi-positionnés entre plusieurs sphères : le champ médiatique d’État et l’appareil politico-administratif des débuts de la Ve République [36].

36 Roland Dhordain est celui dont le profil est le plus centré sur les médias et dont l’origine sociale est la plus basse. Fils d’un employé SNCF, diplômé d’un brevet supérieur, ce gaulliste fervent, militant de la cause UNR [37] est instituteur de 1944 à 1947. Son attitude « d’aide à son prochain » trouve écho dans ses premiers emplois : après avoir créé une troupe éclaireur en 1944 à Méru sur Oise, il a été chef du service presse des Éclaireurs de France en 1947. En 1949, il entre à la Radio Diffusion de France où il lance L’Appel scout, émission bihebdomadaire de 10 min. Celui qui se définit lui-même « bien que non fonctionnaire, j’allais dire, je suis un homme d’État… je me considère comme un commis de l’État [38] », devient très vite chef adjoint du service des reportages au Journal parlé de la RTF (1955), puis après 1956 chargé des opérations exceptionnelles de la RTF. À la faveur de la modification des statuts, il devient conseiller technique (1963) puis délégué (1963-64) du directeur général de l’ORTF aux stations régionales, directeur adjoint de la radiodiffusion à l’ORTF (1964-67), directeur de la radiodiffusion à l’ORTF (1968-71), tout en animant les émissions et l’inter-service route. Il sera ensuite directeur de la première chaîne de télévision à l’ORTF (1971-72), président du directoire (1972) puis président-directeur général de la société Vidéogrammes de France (1975-78). Il poursuivra ensuite une carrière de producteur et d’animateur pour Radio France avant de finir sa carrière comme conseiller à la direction générale (1997), puis conseiller du président (1999) de Radio France. Il sera tout à la fois Officier de la Légion d’honneur, Grand officier de l’ordre national du Mérite, Chevalier du Mérite agricole, Officier des Arts et des Lettres.

37 Pour sa part, Henri Poumerol a un profil plus clairement politique. Avant-guerre, il a dirigé le mouvement des « Cœurs vaillants » à l’âge de 16 ans [39]. Fils de pâtissier, il est plus diplômé : il obtient deux baccalauréats, latin-grec (1941) et philosophie (1942), et est diplômé en «Droit constitutionnel » à Bordeaux en 1943. Évadé du STO, il siège au tribunal des Forces armées de Bordeaux à la Libération. Il est un militant de la cause catholique, membre du MRP et attaché de presse de ce parti de 1951 à 1956. Il travaille avec Gosset, président de la commission de presse à l’Assemblée nationale et Tinguy du Pouet de 1953 à 1955, puis de 1955 à 1957, il est attaché de presse auprès de Pierre-Henri Teitgen (président national du MRP) et auprès de Jean Lecanuet (secrétaire d’État à la Présidence, chargé de l’information). Il est en parallèle responsable des pages jeunesses du quotidien Sud-Ouest. Il intègre la RTF en 1956. En tant que journaliste, il est secrétaire de direction (1959-1960), rédacteur et chroniqueur de politique intérieure (1960-1963), puis finalement chef du service « Information jeunesse » au journal parlé (1963-1968). De 1958 à 1962, il travaille au cabinet du gaulliste de gauche et catholique social notoire, Robert Buron, ministre du transport où il initiera les premières campagnes de sécurité routière. Il est, de 1957 à 1978, secrétaire général de la section des journalistes CFTC de radio. Il effectuera plusieurs missions à l’étranger dans les années 1970 avant d’intégrer TF1 en 1984. Son engagement au profit de la jeunesse le conduit en octobre 1947 à être le cofondateur de l’Organisation centrale des Camps et Auberges de la Jeunesse (OCCAJ) futurs Villages-Vacances-Familles (VVF).

38 Si l’on regarde au-delà de ces deux profils, on trouve parmi les animateurs de l’émission des années 1960, d’autres acteurs très engagés dans la cause politique et/ou de jeunesse. Maurice Cazaux, par exemple, est d’abord chef des informations à Combat (1946-1951) puis reporter à France-Soir (1951-1971) en plus de ces activités auprès de Dhordain. Il rejoint RTL en 1970, puis le Figaro (1971) et le Parisien-Libéré (1981-1989) dans des postes de direction de service. Il est un des animateurs du Syndicat de la presse municipale parisienne qu’il préside (en 1964) ou dont il est le secrétaire général (1963-1964 ; 1973-1978) ou le trésorier (1978-2001) ainsi que de l’Association des journalistes de l’Ile-de-France qu’il préside de 1966 à 1975. En 1976, il est membre du bureau l’Association française de la presse automobile. En 1990, il sera en charge des informations d’Autoroute FM.

39 Son compagnon à l’antenne, Michel Péricard sera celui qui occupe les fonctions les plus politiques. Fils de l’écrivain nationaliste et catholique Jacques Péricard, dixième enfant d’une famille de onze enfants, († 1944), il est engagé dans les Scouts de France. À la Pentecôte 1964, en tant que conseiller municipal de St-Germain-en-Laye, il organise les Trois jours à l’américaine, mélange de scoutisme, de western et de yéyé. Dans les années 1950, au cours de ses études, il sera secrétaire général de l’association des étudiants en lettres de Paris, puis secrétaire et vice-président de l’Union nationale des étudiants de France (UNEF), où il occupera la fonction d’administrateur de la sécurité sociale des étudiants de France de 1951 à 1954. En tant que journaliste, il est attaché au journal parlé de la RTF de 1954 à 1959 avant d’être attaché au journal télévisé, journal qu’il présentera de 1961 à 1973. De 1966 à 1967, il est producteur et réalisateur d’émissions dont « Jeunesse active ». À partir de 1969, il est rédacteur en chef du service de politique intérieure, économique et sociale de l’unité d’information sur la 2e chaîne à l’ORTF, puis coproducteur de l’émission « L’Heure de Vérité » à partir de 1972, puis rédacteur en chef (1972-73) et adjoint au directeur adjoint de la première chaîne de télévision, chargé de l’information (1973-1974) avant d’être totalement engagé en politique. De ce coté, il est conseiller municipal de Saint-Germain-en-Laye à partir de 1959, adjoint au Maire à partir de 1965 avant de devenir maire (RPR) de cette ville de 1977 à 1999, date de son décès. Il sera dans le même mouvement député des Yvelines de 1978 à 1999, en finissant sa carrière comme Vice-président de l’Assemblée nationale à partir de 1997 [40]. En 1976, il est élu conseiller général des Yvelines, fonction qu’il occupe jusqu’en 1989. Il occupe des fonctions politiques plus centrales dans l’appareil d’État à partir de 1966. Il est chargé de mission et chef du service de presse au cabinet du ministre de la Jeunesse et des Sports jusqu’en 1968, puis chargé de mission au cabinet du ministre de l’Information à l’été et l’automne 1968 avant de devenir chargé des relations avec la presse du cabinet du ministre des PTT jusqu’en juin 1969 où il devient chef de cabinet au secrétariat d’État à l’Agriculture jusqu’au départ du Général de Gaulle [41].

40 Mais pour être complet, il faut ajouter que l’on observe à côté de ces militants de l’encadrement citoyen et de jeunesse, des acteurs dont la carrière se fera du côté du champ musical, à l’intersection de la radio et de l’industrie du disque et pour lesquels le développement de ces émissions sert à développer des programmes de musique [42].

Quand la cause radiophonique rejoint les intérêts d’État

41 Ce travail de remontée des informations s’il satisfaisait l’ORTF, éveille également l’intérêt d’un autre service de l’État : les Ponts-et-chaussées. Alors que l’État français cherche à développer les infrastructures routières (périphériques, boulevards spécifiques, autoroute) pour faire face au développement du trafic, il est important pour ces services de connaître et de pouvoir chiffrer ledit trafic. Un lieu de recueil centralisé des informations routières commence à prendre tout son sens. Or, pour l’heure, et jusqu’en 1968, seul l’Inter-Service Route et une structure du Touring Club de France assurent une telle fonction [43]. Cet intérêt nouveau pour les questions de circulation routière traitées par l’ORTF s’explique par les concurrences entre administrations au sein de l’appareil d’État (Hamelin, Spenlehauer, 2008). Cette convergence des intérêts va amener les mêmes services d’État à construire, en 1969, une structure plus institutionnelle à partir de cet Inter-service Route : le Centre national d’information routière (CNIR).

Les raisons d’infrastructures : les modernisateurs des Ponts

42 À partir de 1963, au sein du corps des Ponts, une fraction de modernisateurs décide de se dégager de l’ancrage territorial pour investir des positions dans des administrations centrales et essaimer dans le monde de l’entreprise. « Une première façon de mettre en œuvre cette perspective consiste à prendre en charge l’aménagement urbain » (Thoenig, 1987, p. 95). En 1965, « les jeunes Turcs » réussissent à imposer leur conception en remettant au Président de la République un rapport présentant les avantages qu’apporterait à l’État la création d’un ministère unique chargé de l’urbanisme et des travaux publics. En 1966 est créé le ministère de l’Équipement qui résulte de la fusion du ministère des Transports publics et de celui de la Construction et de l’urbanisme. Les ingénieurs des Ponts se recentrent sur les problématiques urbaines et de circulation routière (ibid., p. 113-133) et participent d’une logique de centralisation au niveau du Ministère. La mise en place d’une centralisation du recueil des informations de trafic est un instrument de plus leur permettant de réaffirmer leur attachement au cadre et aux problématiques urbaines. Utiliser une information-trafic centralisée au sein de l’Inter-Service Route est un moyen efficace de produire de la statistique sur les zones régulièrement encombrées et, par-là, de connaître efficacement les emplacements où des investissements d’infrastructure sont nécessaires [44]. En d’autres termes, l’Inter-Service Route est aussi un instrument efficace de la planification technocratique. Dans les notes de service émises au sein des ministères de l’Intérieur comme de l’Équipement et du logement à l’occasion de la mise en place du CNIR, cette mission figure explicitement. Ainsi, le Préfet chargé de la direction de la Sécurité publique écrit aux agents du ministère de l’Intérieur en 1969 :

43

« Il est évident que tout effort d’amélioration de l’exploitation du réseau routier implique avant tout une organisation rationnelle du renseignement. […] Le CNIR pourra être amené à demander que lui soient transmis un certain nombre de comptages systématiques […]. Ces opérations, constituant une des bases essentielles de toute étude prévisionnelle du trafic, devront être exécutées avec le plus grand soin [45]. »

Les raisons de sécurité publique : contrôler la route

44 Mais cet instrument symbolique et technocratique va aussi progressivement intéresser les services de sécurité de l’État. Au début des années 1960, l’État gaulliste est confronté à des problèmes d’ordre public, pour lesquels la maîtrise de la route est centrale. Les attentats perpétrés par l’OAS en région parisienne conduisent les pouvoirs publics à y installer un escadron de gendarmes mobiles et des forces de police, circulant à moto dans les rues d’Ile-de-France afin « de contrôler les mouvements sur les routes ». Ayant le pouvoir de réquisitionner les seuls postes téléphoniques disponibles aisément et partout sur le territoire – ceux des garagistes – leur mission est « de faire remonter des informations sur l’état des routes [46] ». À force de conviction, Roland Dhordain arrive à les convaincre de faire ce même travail en direction de l’Inter-Service Route. Après 1962, et avec la fin des attentats, ces troupes restent en place. Leur mission était moins urgente, mais les mobilisations sociales bloquant les routes leur assuraient une acuité certaine (Courty, 1993b). Ce travail retrouve une acuité nouvelle après 1968, comme a pu nous l’expliquer ce policier ayant participé aux prémices du CNIR :

45

« Au départ les gendarmes n’étaient pas très partants, mais premièrement ils ont compris que, pour leur image, ça permettrait de faire en sorte que ce ne soit pas que la répression mais également de la prévention. Puis ce sont des militaires à la gendarmerie pour la Sécurité. En cas de crise, ça permettait de toucher plus d’auditeurs, de dire “voilà la liste des barrages”, de rendre service aux gens dans une crise au niveau national. Le ministère des Armées avait à gérer des crises graves, des conflits sociaux qui pratiquaient des blocages des routes. Il voulait savoir où ça bloquait. Cela a démarré en 1969, au lendemain de Mai 68. En 1968, on ne savait pas les choses en temps réel. C’était l’idée d’exploiter un réseau d’auditeurs et de l’utiliser pour la sécurité. Il y avait donc un intérêt commun [47]. »

46 Parmi les missions et les « renseignements à recueillir » à la création du CNIR, le Préfet chargé de la Sécurité publique insiste sur les « événements susceptibles de perturber le trafic (manifestations sportives, troubles sociaux…) », proposant dans le même temps deux encodages de l’information : « MA2 Manifestation liée à des troubles sociaux » et « MA3 Barricades ou barrages » [48].

Centralisation et facilitateur administratif

47 Le travail effectué par Roland Dhordain va progressivement faire écho aux attentes et aux besoins des ministères. L’instrument mis en place produit ses effets propres et va progressivement structurer l’action publique autour de la route sur une nécessaire centralisation (Lascoumes, 2003, p. 392). Les opérations de radioguidage ont permis aux services d’État de collaborer entre eux et ont rendu cette collaboration impérieuse. La gendarmerie va, la première, avoir le souci de mettre une structure propre en place, dans son fort de Rosny-sous-bois en 1966. Le service de la circulation et de la sécurité routière du ministère de l’Intérieur crée son propre centre en 1968. Mais la démarche est alors à la centralisation : le CNIR de Rosny-sous-bois est installé dans sa forme actuelle en 1969. L’Inter-Service Route de l’ORTF est alors établi à cet endroit [49]. L’antériorité et l’expérience des services de la radio publique sont mises au service des pouvoirs régaliens. L’expérience de Rosny est interministérielle : les bâtiments appartiennent à l’administration du ministère de la Défense, les remontées d’informations sont assurées par les ministères de l’Intérieur et la Défense, et les Ponts-et-chaussées (devenu ensuite l’Équipement) financent l’entretien et l’équipement intérieur des bâtiments. L’autorité est tripartite.

48 La naissance du CNIR marque indéniablement la monopolisation par les services de l’État et la radio publique de la production d’information routière, à la fois techniquement et du point de vue du marché radiophonique. « Nous avons l’expérience d’une vingtaine d’années. Nous avons eu des avions, il y a quelques années. Nous les avons abandonnés. Pourquoi ? […] C’était bon au temps où la gendarmerie n’était pas très bien organisée : pour avoir de l’information, il fallait se débrouiller soi-même. Maintenant, c’est parfait », déclare un responsable des émissions radio de cette époque [50]. La monopolisation de l’information routière est un succès pour Roland Dhordain, qui a réussi à faire exister un marché radiophonique aussi bien qu’une structure d’État, un instrument correspondant aux attentes des différents ministères : symbolique, technocratique et sécuritaire. Le travail du CNIR est rapproché de celui « d’une agence de presse, c’est-à‑dire qu’il a ses abonnés auprès de qui il répercute, mais cette fois en langage clair, ses informations [51] ».

Autonomisation de l’appareil d’état et libéralisation du marché radiophonique

49 À partir du moment où l’État dans sa dimension bureaucratique prend à sa charge le travail de service public d’information routière, le produit radiophonique perd de son poids politique. Si la mise en place du CNIR marque une fin dans le rôle centralisateur rempli par l’Inter-service routes, la radio n’en conserve pas moins un rôle de relais de cette information sur ses ondes. L’installation du CNIR a, pour effet, d’autonomiser la production administrative de la production radiophonique des informations routières. Les ministères suivent leurs intérêts sectoriels en se dotant d’outils techniques, se dispensant des services de la radio publique. Le CNIR devient progressivement fournisseur d’informations pour les radios et non plus acheteur.

50 Les premières années, le système Inter-service-route continue de travailler avec les ministères, mais n’est plus tout à fait le diffuseur unique. Avec l’explosion du trafic, la volonté politique est de développer les infrastructures routières de traitement automatique et non plus « artisanal » des données [52]. L’enjeu est alors de trouver un moyen technique d’automatisation des données que l’Inter-service n’est pas en mesure de fournir. L’expertise d’État va s’autonomiser dans deux directions : la production d’une information en temps réel pour le contrôle de la route au jour le jour et une production agrégée de données. Dès lors l’Inter-service route devient un instrument techniquement obsolète et perd de son rôle politique.

51 L’ORTF accepte d’autant mieux de quitter ce rôle de centralisateur que le coût élevé des Inter-services pose problème et que politiquement l’heure n’est plus à la revendication d’un encadrement symbolique de la population par la radio publique. Il est fréquemment évoqué dans des rapports internes à l’ORTF (Donzelle, 2013). Les dirigeants de la radio publique cherchent à mettre en place de nouveaux partenariats avec les ministères afin de se dégager de la charge financière. « Si l’information service à l’antenne est radiophonique, on peut se demander, si la documentation, les réponses au courrier, et au téléphone incombent à une station de radio. Il devrait être pris en charge par les services intéressés [53] ». Henri Poumerol réclame aux services publics et ministères des moyens financiers. La fusion des Inter-services dans les « infos services » en 1974 traduit cette volonté de faire des économies d’échelle. La création du CNIR est perçue comme un soulagement pour les promoteurs de l’information routière en ce qu’elle vient pérenniser l’entreprise de Dhordain en diminuant les frais matériels et les coûts symboliques assurés par l’ORTF.

52 Par ailleurs, au début des années 1970, les dirigeants de la radio publique changent d’orientation. L’enjeu pour l’ORTF est alors celui des régionalisations : celle de la télévision avec la création de FR3 et celle de la radio avec des émissions en modulation de fréquences sur ondes courtes [54]. Le 5 janvier 1971, Roland Dhordain, directeur de la radio à l’ORTF, crée avant de prendre la direction de la télévision à l’ORTF, une nouvelle chaîne : France Inter Paris 514, plus couramment appelée FIP. La mise en place de FIP est confiée à Pierre Codou et à Jean Garretto, au préalable en charge des émissions du week-end de France-Inter et des chaînes de radio-vacances. Le concept de FIP est, comme l’explique Roland Dhordain dans sa conférence de presse inaugurale, celui d’une chaîne « capable de donner immédiatement, et partout, à l’auditeur chez lui, au volant de sa voiture, à l’atelier ou au magasin, sans exiger aucun effort, et sans rien déranger dans les occupations, le renseignement ou le conseil utile, “l’avis à la population” que le tambour de la ville donnait autrefois à des groupes plus restreints [55] ». Cette nouvelle chaîne s’adresse désormais aux parisiens, urbains et automobilistes. L’enjeu est de devenir une « expérience de radio totale », répondant aux attentes des auditeurs : c’est d’abord une station de « radio-services », qui « couvre aussi bien l’informatique, la météorologie, la circulation, l’emploi et les annonces de Domaines que les communiqués administratifs ou préfectoraux » ; c’est ensuite une « radio totale », car les services de l’ORTF tirent profit de leur monopole d’État pour installer des émetteurs partout dans la Capitale de sorte que FIP soit la seule chaîne de radio qui puisse « être entendue dans les passages souterrains [56] ». Seule chaîne de radio à diffuser en ondes courtes, cette nouvelle venue dans le paysage radiophonique des années 1970 veut donc capter l’auditeur partout avec un programme de radio musicale et de services. L’enjeu est là explicitement de « grignoter l’auditoire local d’Europe 1 et de RTL[57] ». L’originalité de FIP est son contact permanent avec le CNIR et avec la Préfecture de Paris pour des informations routières diffusées, en continu, au cours de ses programmes. Mais ce produit est détaché des services régaliens de l’État : FIP est installée au sixième étage de la Maison de la Radio.

53 La concurrence menée avec les radios périphériques est réduite à la production de contenu pour un public d’auditeurs cible et non plus la nécessité d’un enrôlement. Les chaînes de radio périphériques n’en restent pas à cet état de fait. Désormais délaissé, en 1972, le produit « information routière » est investi par RTL pour récupérer ce public populaire économiquement intéressant. La chaîne développe deux émissions : Les routiers sont sympas, diffusée le soir à partir de 22 h puis 20 h 30, et A la belle étoile, diffusée le week-end, toutes deux étant animées par celui qui va devenir une « figure de la radio », Max Meynier. Le succès populaire de cette émission jusqu’en 1985 a d’ailleurs fait disparaître de la mémoire collective les 19 années de Route de nuit sur France-Inter. En effet, ces deux émissions ciblent le même public (les chauffeurs routiers et les vacanciers, campeurs-caravaniers) sur lequel Roland Dhordain avait construit son entreprise. L’intention est la même : Max Meynier s’adresse au « peuple de la nuit », leur fournit des services, leur indique des solutions pour se sortir de mauvaises passes ou des routes gelées. Si le concept est identique, les partenariats redéfinissent l’espace de l’information routière : les entreprises privées de la route vont investir ce support de publicité. Max Meynier l’explique très clairement en reprenant l’argumentaire utilisé par Roland Dhordain.

54 « Les Routiers sont sympas ont été au départ un simple prétexte pour une campagne publicitaire. À cette époque il n’y avait pratiquement pas d’auditeur à l’écoute de la radio après 22 heures. Et par conséquent d’annonceurs. […] La tranche dont j’ai hérité […] intéressa Dunlop, qui désirait toucher les éventuels acheteurs de pneus. À cette heure-là, ils étaient à l’écoute puisqu’il s’agissait des routiers qui passent une partie de leurs nuits au volant et pour qui la radio est, bien souvent, le seul compagnon de route et l’ultime recours contre la fatidique “panne de paupières” » (Meynier, 1978, p. 20).

55 Dunlop, d’abord, Calberston, ensuite, vont fournir un appui publicitaire et logistique à l’émission. Max Meynier et son équipe sont installés dans les locaux de l’entreprise Calberston. Cela leur permet d’ouvrir les studios aux professionnels, fréquemment convoqués à l’antenne. Ce style d’émission, centrée sur l’affectif et la proximité avec les auditeurs, est d’ailleurs une marque de fabrique de RTL (Cardon, 1995). Par cette proximité, l’animateur tente de concurrencer le style jugé « administratif et bureaucratique » des informations diffusées par le CNIR, « totalement incompréhensible du commun des mortels » (Meynier, 1978, p. 29).

56 *   *   *

57 Ainsi, la radio publique a pu jouer un rôle d’acteur dans la mise en œuvre d’une politique de sécurité publique dans les années 1960. Elle concourt activement à la constitution d’un instrument d’État – l’information routière – avant de voir son rôle reculer dans les années 1980 sous l’effet de la progression de logique de segmentation du marché et de technicisation de la fabrication de cette information (Chupin, Hubé, 2008). Comme dans le cadre de la politique publique de sécurité routière qui a été plus étudiée, on constate une « domination des champs politique et bureaucratique dans la publicisation de ce thème » (Marchetti, 2008, p. 8). Mais à cette époque spécifique du gaullisme, du fait de l’interpénétration très forte de ces champs, ce n’est pas la médiatisation qui suit la politique publique mais la publicisation d’une cause (Marchetti, 2008 ; Grossetête, 2012) qui précède en quelque sorte à la genèse d’une politique publique de la route mais également qui sert à la mettre techniquement en forme.

58 Le cas ici étudié invite donc à repenser un peu différemment le lien entre politiques publiques et médias en ne le limitant pas au rôle de simple reflet ou de diffuseur des problèmes publics. Dans cette configuration spécifique, le média lui-même devient un entrepreneur de politique publique et joue une fonction de ciment entre les différentes parties prenantes en ce qu’il fédère aussi bien tout l’appareil d’État du pouvoir gaulliste, ses ministères régaliens mais également un marché qui a besoin de cette politique publique pour prendre son essor. Le succès de cet instrument de politique publique tient ici bien dans sa capacité en tant que dispositif à enrôler tout un ensemble d’acteurs professionnels [58]. Retracer cette pré-histoire peu connue [59] de la politique de sécurité routière qui émerge à partir des années 1970 permet ainsi de mieux en saisir la continuité avec les politiques qui précèdent. On a moins de surprise alors à comprendre la création d’un comité interministériel à la sécurité routière en 1969 puisqu’en pratique, ces ministères ont déjà appris à coopérer et en ont fait l’apprentissage. Cette pré-histoire présente aussi l’avantage de déconstruire la radicale nouveauté des discours qui font de ces années et de la fondation du SID en 1976 « l’entrée de l’État dans l’âge de communication » (Yanniv et Rinn, 2009, p. 13 ; Picard, 2009, p. 109). Elle permet ainsi plus largement de saisir comment ces politiques sur le long terme se sont éprouvées dans le cadre d’un sentier institutionnel bien balisé au travers de leurs instruments d’action publique dont la radio d’État n’est pas le moindre d’entre eux à l’époque gaulliste.

Notes

  • [1]
    Nesmond P., « Grâce à la RTF, vous ne serez plus seul sur la route », Téléradio, 691, 19 janvier 1958. Archives de Radio-France, France-IV-Br-22.
  • [2]
    Les auteurs tenaient à remercier les relecteurs de la revue et Emmanuel Henry qui a discuté une version antérieure de ce travail dans le cadre d’un colloque dédié à Joseph Gusfield.
  • [3]
    Cet article repose sur un travail en archives auprès du Service Archives écrites et Musée (SAéM) de Radio France et celles du Centre de documentation et d’information de la sécurité routière, où les auteurs ont pu consulter notes administratives, courriers et dossiers de presse relatifs à la mise en place de l’Inter-service Route et du CNIR. Les auteurs remercient les responsables de ces services pour leur avoir permis d’y accéder. Par ailleurs, ce travail a été complété d’une série d’entretiens réalisés avec des témoins de cette période (gendarmes, journalistes et agents du ministère de l’équipement). Il a été mené dans le cadre de l’Action concertée incitative « Sécurité routière et société » dans un axe portant sur la médiatisation de l’insécurité routière dirigé par Dominique Marchetti et Emmanuel Henry.
  • [4]
    Le thème de la sécurité routière fait sa première apparition en 1958 au sein de la sixième section de la commission Transports du 3e Plan (1958-62) et la même année sont introduites les premières mesures contre l’alcoolisme au volant.
  • [5]
    Plume (C.), « La vérité sur la route de nuit. La plus grande émission pirate de ce temps », Radio Magazine, 16, 26 mai 1962, Archives de Radio-France, France-IV-Br-22.
  • [6]
    Bayol (H.), « Le radio-guidage sur la bonne voie », L’Auto-journal, 15 septembre 1959, Archives de Radio-France, France-IV-Br-22-6.
  • [7]
    Vernier (P.), « Routiers. Amis des Routiers. Usagers de la Route. Vous n’êtes plus seuls sur la route la nuit », Les Routiers, janvier 1958, Archives de Radio-France, France-IV-Br-22.
  • [8]
    Document INA, France Inter, 1971. Téléchargeable sur : http://www.ina.fr/video/CPF86631807
  • [9]
    François Besins, document INA, 19 mai 1967.
  • [10]
    Ibid.
  • [11]
    « La radio à bord », Sécurité routière, n° 101, mai-juin 1968, p. 11-12. Archives de Radio-France, France-IV-Br-3.
  • [12]
    Vernier (P.), « Route de nuit », Éducation routière, avril 1958. Archives de Radio-France, France-IV-Br-22
  • [13]
    « Musique sur la Route, Programme Parisien, le dimanche à 10 h 50 », Semaine Radiophonique, 20 juillet, 1952. Archives de Radio-France, France-IV-Br-22.
  • [14]
    Thill (R.), « Les 28 et 29 juin sur les routes de France », Radio Cinéma Télévision, 440, 22 juin 1958, Archives de Radio-France, France-IV-Br-22.
  • [15]
    Bulletin programmes RTF, 3-9 juillet 1955. Archives de Radio-France, France-IV-Br-22.
  • [16]
    Source : Roland Dhordain, document de l’INA réalisé pour le dixième anniversaire de l’émission route de nuit, 19 mai 1967.
  • [17]
    Communiqué, « France 1 au service d’une nouvelle catégorie d’auditeurs : les campeurs et les caravaniers », 30 juin 1958, TG/FB/275/58. Archives de Radio-France, France-IV-Br-22.
  • [18]
    Loi n° 64-621du 27 juin 1964 portant statut de l’ORTF, JO du 28 juin 1964.
  • [19]
    Pouliquen (R.), « L’ORTF paraît décidée à maintenir les émissions héritées de la RTF pour la sécurité des usagers de la route », Route et Sécurité, octobre 1964, p. 22. Achives de Radio-France, France-IV-Br-3.
  • [20]
    Communiqué, « Les actions automobiles de la RTF, quelques dates », RD/FL/256/60, 31 mai 1960. Archives de Radio-France, France-IV-Br-22.
  • [21]
    Pontaut (A.), « La radio et l’auto font bon ménage », art. cit.
  • [22]
    « La Radio à bord », Sécurité routière, 101, mai-juin 1968, Archives de Radio-France, France-IV-Br-3.
  • [23]
    Note de Henri Poumerol à Roland Dhordain du 15 juin 1964, citée in Donzelle, 2004b.
  • [24]
    « Entretien avec Edouard Guibert, un journaliste militant de l’ORTF en mai 68 », retranscrit par Patricia Legris, Quaderni, 65, 2007-2008, p. 23.
  • [25]
    « La Radio à bord », Sécurité routière, 101, mai-juin 1968, Archives de Radio-France, France-IV-Br-3.
  • [26]
    Dans son entretien, Roland Dhordain mentionne l’OCORA et non la SORAFOM mais l’OCORA a été créée après 1962 alors que leur rencontre doit remonter à l’époque de la SORAFOM crée en 1955. La SORAFOM était une société de coopération audiovisuelle entre la France et l’Afrique qui avait pour but de favoriser la production de programmes par les populations locales.
  • [27]
    Entretien avec Roland Dhordain, A cœur ouvert, document audio INA, le 15 octobre 1968.
  • [28]
    Vernier (P.), « Routiers. Amis des Routiers. Usagers de la Route. Vous n’êtes plus seuls sur la route la nuit », art. cit. Les majuscules sont dans le texte original.
  • [29]
    Nesmond P., « Grâce à la RTF, vous ne serez plus seul sur la route », Téléradio, 691, 19 janvier 1958. Archives de Radio-France, France-IV-Br-22.
  • [30]
    Pontaut (A.), « La radio et l’auto font bon ménage », Radio Cinéma Télévision, 22 février 1958, Archives de Radio-France, France-IV-Br-22.
  • [31]
    Florentin D., « -26° les heures chaudes d’Inter Service Route », Micro et Caméra, 2, 1966, Archives de Radio-France, France-IV-Br-22.
  • [32]
    Ces ondes courtes, dites à 514 mètres, seront celles qui serviront à la mise en place de FIP.
  • [33]
    « La Radio à bord », Sécurité routière, 101, mai-juin 1968, Archives de Radio-France, France-IV-Br-3.
  • [34]
    Plume (C.), « La vérité sur la route de nuit. La plus grande émission pirate de ce temps », art. cit.
  • [35]
    Communiqué, « Les actions automobiles de la RTF, quelques dates », doc. cit.
  • [36]
    Malgré des recherches dans des éditions anciennes du Who’s who (de 1976 à 2010) et de différents annuaires professionels, tous les acteurs n’ont pas laissé de traces dans les archives.
  • [37]
    Communiqué, « Les actions automobiles de la RTF, quelques dates », doc. cit.
  • [38]
    Interview télévisée de Roland Dordhain par Claude Lelouch, 06 déc. 1970 – http://www.ina.fr/video/I00017224
  • [39]
    Magali Lacousse, Récolement numérique détaillé du Fonds Henri Poumerol, Centre Historique des Archives Nationales, 2005.
  • [40]
    Il a été candidat à toutes les élections législatives à partir de 1965 pour les gaullistes.
  • [41]
    Notons que pour Max Meynier une décennie plus tard sur RTL, la dimension religieuse n’est pas absente de sa trajectoire : louveteau dans sa prime-jeunesse, il n’hésite pas à organiser des Messes de minuit les soirs de Noël dès 1974 ou à diffuser la « Prière pour les routiers » sur les ondes.
  • [42]
    C’est le cas de l’un des fondateurs de l’émission « Musique sur la route » en 1952, Pierre-Marcel Ondher, qui sera l’un des animateurs de nombreuses émissions sur France IV haute-fidélité, devenu France Musique jusqu’en 1984. Il anime en 1963 une émission télévisisée présentant des concerts de musique. Il sera chroniqueur pour la presse musicale Diapason et producteur de disques. En 1953, il crée l’Association des Amis de la Musique de Genre (AMG), devenue en 1968 l’Association de musiques récréatives (AMR). C’est aussi le cas de Jean-Louis Foulquier, qui de 1965 à 2008 est producteur et animateur d’émissions sur France Inter. En 1970, il est l’un des animateurs attitrés de Route de Nuit. Il est en fondateur et directeur des Francofolies de La Rochelle en 1984, et directeur de nombreux festivals de musique (Buenos Aires, de Spa, de Berlin et de Nendaz). Il va aussi de même des deux animateurs et premiers présidents de FIP, Jean Garretto et Pierre Codou.
  • [43]
    « La radio à bord », art. cit.
  • [44]
    Entretien avec le responsable du bureau transport du CNIR, Ministère de l’Équipement, co-directeur du CNIR, 14 décembre 2005.
  • [45]
    Note de service, « Création d’un Centre national d’informations routières (CNIR) », Ministère de l’Intérieur, SN/SP/B.6. – N° 1910, 24 mars 1969. Archives de la direction de la Sécurité et de la Circulation routières, carton « CNIR Documentations ».
  • [46]
    Entretien avec un motard à la retraite, participant au premier bataillon CRS en présence au CNIR, juillet 2006.
  • [47]
    Entretien avec un policier, CNIR Rosny-sous-Bois, juin 2006.
  • [48]
    Note de service, « Création d’un centre national d’informations routières (CNIR) », doc. cit.
  • [49]
    « Le CNIR. Centre national d’informations routières », Télémonde, n° 1, 1972. Archives de Radio-France, France-IV-Br-3.
  • [50]
    Rudel (C.), « Des émissions d’utilité publique qui n’ont pas fini d’évoluer », La Croix, 14 août 1971, Archives de Radio-France, France-IV-Br-22.
  • [51]
    « Le CNIR. Centre national d’informations routières », art. cit.
  • [52]
    « Modificatif n° 2 à la circulaire n° 31.000 MA/Gend.T. du 22 juillet 1968 sur le fonctionnement au Centre national d’informations routières », Ministère d’État chargé de la Défense nationale, N° 08700, 2 mars 1970. Archives de la direction de la Sécurité et de la Circulation routières, carton « CNIR Documentations ».
  • [53]
    Note d’Henri Poumerol à M. Péricard, 18 novembre 1974 ; rapport d’activité 74 et propositions 75, cité in : Donzelle, 2013.
  • [54]
    « Entretien de Monsieur Jean Jacques de Bresson, Directeur général de l’ORTF avec la presse », 14 septembre 1970. Archives de Radio-France, ORTF, Régions ; Even (M.), « Le développement de l’ORTF passe-t‑il par les stations locales ? », Le Monde, 30 janvier 1971. Archives de Radio-France, France-IV-Br-2.
  • [55]
    Dhordain (R.), « La radiodiffusion à l’échelon local », Paris, 12 janvier 1971. Archives de Radio-France, Fonds ORTF, CAC Fontainebleau.
  • [56]
    « Lancement d’une nouvelle chaîne de « radio-services » pour les parisiens : FIP-514 », L’Écho de la presse et de la publicité, 11 janvier 1971. Archives de Radio-France, France-IV-Br-2.
  • [57]
    Serval (L.), « Le cadeau de nouvel an de l’ORTF aux parisiens : Paris 514 m », La semaine Radio Télé, n° 3, janvier 1971. Archives de Radio-France, France-IV-Br-2.
  • [58]
    C’est ce que montre bien Hamelin à propos du contrôle-sanction (Hamelin, 2015).
  • [59]
    À l’exception notable de Decreton, 1992.
Français

Ce texte se propose d’étudier comment la radio publique a pu jouer un rôle d’acteur central dans la mise en œuvre d’une politique de sécurité routière dans les années 1960, avant même qu’elle ne soit consacrée comme grande cause nationale. Ce média concourt activement à la constitution d’un instrument d’État – l’information routière. Si la radio publique a pu exercer un tel rôle, cela tient principalement à son ancrage dans une conjoncture historique spécifique dans laquelle on assiste à une très grande porosité entre certains médias et le pouvoir politique en place. Ce projet est porté par des entrepreneurs de cause gaullistes et/ou marqués par une socialisation dans les mouvements d’encadrements de la jeunesse, avec au premier chef Roland Dhordain. À tel point que les médias finissent par devenir de véritables adjuvants du pouvoir en place. Par ailleurs, si ce projet réussi, c’est aussi parce que la radio publique est un facilitateur administratif entre les trois ministères impliqués : la Défense, l’Intérieur et l’Équipement. L’ORTF assure une fonction de désenclavement entre les services centraux et permet de fluidifier à leurs relations. Enfin, si les programmes consacrés à la route réussissent à partir de 1952, c’est aussi parce qu’ils rencontrent les intérêts commerciaux de la chaîne ainsi que ceux du secteur automobile. L’intérêt de ce cas-limite est que, par-delà sa singularité historique, il peut nous aider à repenser aujourd’hui les articulations entre politique publique et médias.

Mots-clés

  • information routière
  • policy network
  • pouvoir gaulliste
  • radio publique
  • marché automobile
  • ORTF

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Ivan Chupin
Printemps, Université de Versailles-Saint-Quentin-en-Yvelines
Nicolas Hubé
Centre de sociologie et de science politique de la Sorbonne (CESSP), Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne
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Mis en ligne sur Cairn.info le 26/04/2018
https://doi.org/10.3917/pdc.009.0191
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