CAIRN.INFO : Matières à réflexion

1En 1967, Jean-Jacques Servan-Schreiber publia Le Défi américain pour tirer la sonnette d’alarme en Europe : son constat fut que les États-Unis étaient en passe de devancer l’Europe dans tous les domaines concurrentiels importants. En 2009, ce sont les vulnérabilités concurrentielles des États-Unis qui constituent autant de nouveaux défis américains pour l’Europe.

Les cycles américains

2En effet, l’Amérique se retrouve en 2009 face à une série de phénomènes qui éclatent tous en même temps ; ce sont en fait autant de fins d’ères, mais qui ont l’inconvénient de terminer au même moment. Le caractère même des États-Unis est en train de changer pour la troisième fois seulement depuis l’arrivée des Européens au XVIIe siècle, et d’une manière qui ne manque pas de poser des questions fondamentales concernant l’organisation politique du pays. La période de prospérité économique qui durait depuis la conclusion de la Deuxième Guerre mondiale en 1945 touche à sa fin, tout comme celle, plus courte, de la financiarisation de l’économie dont le début date de la première administration Reagan en 1981, et dont on commence tout juste à mesurer les retombées. Enfin, dans le domaine de la politique internationale, les États-Unis souffrent encore des attaques du 11 septembre 2001 à New York et à Washington DC – et des actions menées par les États-Unis eux-mêmes en réponse à ces attaques – qui ont érodé la confiance des Américains chez eux et leur marge de man œuvre sur la scène internationale. L’élection de Barack Obama et l’entrée en fonction de Hillary Clinton ont sensiblement amélioré le dossier international mais ne remettent pas les compteurs à l’ère de l’« hyperpuissance » de l’après Guerre froide.

3Tous ces événements interviennent, en outre, sur fond de crise financière, laquelle est, aux États-Unis, structurelle et systémique, donc beaucoup plus grave qu’en Europe continentale. Son étendue souligne d’ailleurs combien toutes ces tendances confondues représentent une transformation profonde du pays, et pas seulement un mauvais cycle ou une conjoncture particulièrement difficile.

4Si nous examinons tout d’abord les composantes de cette transformation, de ces fins d’ères – historique, économique et diplomatique – nous pourrons jauger ensuite les actions que pourraient entreprendre les Européens devant ces « nouveaux défis américains ».

La « troisième Amérique »

5Aux États-Unis, on ne compte pas les « Républiques », mais l’on peut discerner que la personnalité, voire le caractère, de l’Amérique a changé deux ou trois fois au cours de son histoire. Il y eut, d’abord, une Amérique « européenne ». Celle-ci commença avec l’arrivée des Anglais à Jamestown en Virginie en 1607, de Samuel de Champlain à Québec en 1608, des pèlerins à Plymouth en 1620. L’Amérique est restée de caractère « européen » même à la suite de sa guerre d’indépendance. Après son préambule de l’âge des Lumières rédigé par Thomas Jefferson, la Déclaration d’indépendance se transforme d’ailleurs en un cahier de doléances de bons sujets anglais qui ne prennent leur indépendance du Royaume-Uni qu’avec la plus grande réticence.

6Les personnalités de la nouvelle République vécurent souvent en Europe : Franklin et Jefferson aussi bien que Monroe furent ambassadeurs en France, Adams aux Pays-Bas, Madison fut secrétaire d’État et Adams fils (John Quincy Adams), avant de devenir le sixième président des États-Unis, avait été ambassadeur aux Pays-Bas, en Prusse, en Russie et au Royaume-Uni, aussi bien que secrétaire d’État. Il ne faut pas oublier non plus les « Pères fondateurs » venus d’Europe : Lafayette et Rochambeau, certes, mais aussi Kosciusko (Pologne) et von Steuben (Prusse) ainsi que Gallatin (Suisse), qui devint secrétaire au Trésor et ambassadeur en France.

7Cette Amérique « européenne » prit fin avec l’avènement au pouvoir d’Andrew Jackson, qui succéda à John Quincy Adams en mars 1829. L’Amérique « jacksonienne » fut celle de la frontière, du FarWest, de la « destinée manifeste », de la ruée vers l’or, de la guerre de Sécession mais aussi de l’annexion du Texas et de la Californie, de la création de l’Amérique continentale.

8Lorsqu’en 1917 Pershing arrive en France avec les Doughboys et déclare en français, « Lafayette, nous voilà ! », c’est l’Amérique européenne qui refait jour. Et tout au long du XXe siècle, les États-Unis basculeront entre ces deux personnalités, entre l’isolationnisme ou le protectionnisme de l’entre-deux-guerres et l’engagement visionnaire des hommes d’État américains qui créèrent avec leurs homologues européens les institutions de l’après Deuxième Guerre mondiale. Même après la fin de la Guerre froide, on observe ces tendances avec un Bill Clinton internationaliste et un George W. Bush jacksonien, surtout en réponse au 11 septembre 2001.

9L’arrivée de Barack Obama au pouvoir, pourtant, annonce une troisième Amérique : l’Amérique mondialisée. Obama a peut-être bouleversé l’Histoire en étant le premier président noir mais la couleur de sa peau ne le distingue pas autant que son caractère global : son grand-père et son père naquirent sujets britanniques, Obama lui-même est moitié Africain, moitié Américain blanc (il est loin d’être un Afro-américain « classique »). Il a été élevé en Indonésie, le pays musulman le plus peuplé du monde puis à Hawaï avant de faire ses études en Californie. Homme du Pacifique, il continue ses études à deux universités d’origine Atlantique : Columbia à New York, fondée en 1754 sous le nom de King’s College par une charte du roi George II, puis Harvard, créée en 1636 par la législature anglaise du Massachusetts. Ce n’est qu’en vivant à Chicago qu’il est entré en contact avec l’Amérique dite « domestique ». C’est un homme global.

10Vingt ans après la chute du mur de Berlin, les États-Unis restent très mal à l’aise avec le phénomène de la mondialisation. En septembre 2008, David Brooks, un chroniqueur plutôt conservateur du New York Times a écrit que « les États-Unis sont fondamentalement mal préparés pour le XXIe siècle ». Une lecture minutieuse du discours d’investiture de Barack Obama révèle sa conviction que, justement, il faut tirer l’Amérique vers le siècle nouveau. Le discours est beaucoup moins une réponse à la crise actuelle qu’une analyse des conséquences de la transformation historique qui est en train de s’opérer, transformation que Barack Obama incarne lui-même.

Le système en question

11À l’intérieur des États-Unis l’une des sources d’inquiétudes est que le « système » américain ne soit pas bien adapté aux nouveaux défis du XXIe siècle. L’individualisme qui passe pour grassroots democracy, le pouvoir de l’argent, le partage et même l’éparpillement du pouvoir dans le système fédéral, le rôle prépondérant des « intérêts spéciaux » dans la politique, le très fort caractère partisan des rapports entre élus – dont la dernière manifestation est le refus par les républicains (à l’exception de trois sénateurs de la côte Est, région plutôt modérée) de soutenir le plan de sauvetage de la nouvelle administration – sont autant de sources de division aux États-Unis, autant d’impulsions vers le particulier au lieu du collectif. On peut même se poser la question de savoir si la notion du collectif continue d’exister à l’échelle nationale : d’où la crise morale qui mène vers un pays « miné de l’intérieur », décrit par Susan Eisenhower dans le « Point de vue » du précédent numéro de Politique Américaine[1].

12Le partage des pouvoirs au sein du gouvernement fédéral, auquel vient s’ajouter le partage entre le gouvernement fédéral et les États qui en sont l’origine, ne favorisent pas la clarté. Au niveau des États, la confusion qui prévaut au sein des deux plus grands d’entre eux – la Californie, aux prises avec une crise financière différente de celle du reste du pays, et l’État de New York – contribue au sentiment que le système politique est quelque part en panne : d’où l’appel de Barack Obama dans son discours d’investiture en faveur de l’idée de « refaire l’Amérique ».

13Le même sentiment de panne généralisée s’applique à l’économie : le modèle de la prospérité croissante qui existait depuis la fin de la Deuxième Guerre mondiale ne fonctionne plus. Par conséquent, le « rêve américain » est en train d’être menacé, aux dires mêmes de Barack Obama. Le rêve américain constitue en fait une sorte de contrat social, non pas entre citoyens, ni entre le citoyen et l’État, mais d’une génération à l’autre. Le rêve américain consiste à ce que chaque citoyen puisse se dire que le pays va lui offrir suffisamment d’opportunités pour assurer, du fruit de son propre travail, une vie meilleure que la sienne à ses enfants. Ce rêve-là se brise aujourd’hui à deux titres : d’une part, les parents ne sont plus sûrs qu’améliorer les chances de leurs enfants soit entre leurs mains car c’est le système entier qui fait défaut ; d’autre part, l’égoïsme et l’irresponsabilité de la génération des « baby-boomers » ont pour conséquence que les enfants devront payer les dettes de leurs parents. Ceci crée une rupture malsaine entre les générations (et les enfants sont tentés – pourquoi pas ? – de suivre le comportement insouciant de leurs parents) : d’où l’appel de Barack Obama dans son discours d’investiture en faveur d’une « nouvelle ère de responsabilité ».

14Les effets du sous-investissement systématique de l’Amérique – tant social qu’économique – qui caractérise le pays depuis l’accession de Ronald Reagan en 1981 arrivent en sus de ce revers de fortune générationnel [2]. Selon des chiffres recensés par le World Economic Forum, les États-Unis ont le taux d’épargne le moins élevé de tous les pays industrialisés. En termes de santé publique, les Américains ont une espérance de vie qui les place au 29e rang mondial derrière tous les pays de l’Europe occidentale, le Japon (qui est premier), Hong Kong, Singapour et Israël. La qualité de l’éducation primaire américaine est classée 25e au monde, 48e pour l’enseignement des mathématiques et de la science. Dans un monde globalisé, la qualité de nos sociétés sera sans nul doute un facteur déterminant dans le pouvoir et la réussite de nos pays. Mais l’Amérique – privilégiant l’individuel au collectif, le privé au public, le court terme au long terme – fait montre d’un déficit social important : d’où l’appel de Barack Obama dans son discours d’investiture en faveur de la réforme du système d’assurance-santé, de l’éducation et voulant remettre la science « à la place qu’elle mérite ».

15Il en va de même pour l’infrastructure physique : Barack Obama a appelé à refaire écoles, ponts et chaussées ; la dernière centrale nucléaire construite aux États-Unis fut entamée en 1977 et la dernière raffinerie de pétrole en 1976. Le pays renouera avec le nucléaire, mais dans un contexte fort complexe et concurrentiel. La résistance naturelle à prendre modèle sur autrui, surtout sur la France (en dehors de l’art de vivre), est ancrée dans le caractère américain.

16Ce sous-investissement a été accompagné, on le sait, d’une déréglementation qui a permis les excès financiers dont nous commençons à constater les conséquences. L’un des problèmes résultant de la déréglementation est que l’on ne peut avec certitude identifier ni la nature ni le montant des actifs « toxiques », tout en subissant leurs effets. Selon de nombreux commentateurs, il n’y aurait aucune grande banque de dépôts aux États-Unis dont on peut être sûr qu’elle est réellement solvable (à l’exception peut-être de J. P. Morgan). La réticence des autorités, y compris le nouveau secrétaire au Trésor, Timothy Geithner, à mettre en œuvre une politique draconienne qui consisterait à nationaliser les banques et à valoriser les actifs toxiques à zéro, relève peut-être de la préférence américaine de laisser les forces du marché trouver leur propre équilibre ; mais la préoccupation de multiples experts est que le coût pour le contribuable ira croissant à l’extrême, jusqu’à mettre en péril l’intégralité du système. Rappelons que le montant des credit default swaps est estimé à 62 000 milliards de dollars, une somme égale à presque cinq années de produit national brut américain : la perte d’un dixième de ce montant serait mortelle pour le système bancaire. Jusqu’ici, la baisse de la valeur du parc immobilier américain (l’encours total du crédit hypothécaire était de 10 500 milliards de dollars fin 2007, dont la moitié déjà détenue ou assurée par le gouvernement fédéral via Fannie Mae et Freddie Mac) n’a pas été intégrée dans la valorisation des banques, et les effets négatifs à attendre des faillites de fonds d’investissements (hedge funds et plus tard private equity) et des crédits à la consommation (dont l’encours total était de 2 600 milliards de dollars fin 2007) restent inconnus.

Les perspectives internationales

17C’est dans le domaine de la politique internationale que les États-Unis sont le mieux placés avec l’arrivée de Barack Obama au pouvoir, car il jouit d’une popularité mondiale. D’autant plus que l’image de George W. Bush à l’échelle de la planète est restée celle du guerrier antipathique de son premier mandat, alors qu’en réalité sa deuxième administration a renoué avec l’Amérique « européenne » et internationaliste. Par conséquent les relations de travail avec les pays traditionnellement alliés aux États-Unis sont redevenues excellentes durant la période 2005 à 2009.

18De surcroît, Barack Obama a agi vite pour se distancer des pratiques les plus controversées de George Bush : Guantánamo, la torture. Et il a vite mis en place une équipe de politique internationale d’une qualité rarement vue depuis la Deuxième Guerre mondiale. En maintenant Robert Gates à la Défense, Barack Obama assure la poursuite sans interruption de la lutte contre les terroristes et du commandement militaire. (Gates n’assista pas à l’investiture du 20 janvier car il avait été désigné comme responsable du gouvernement fédéral chargé de la continuité de l’État en cas d’accident.) Hillary Clinton comme secrétaire d’État et le francophone James Jones comme conseiller à la Sécurité nationale forment une équipe de rêve, de même que Anne-Marie Slaughter, ancienne doyenne de la Woodrow Wilson School à Princeton, comme chef du centre d’analyse et de prévision du département d’État.

19En désignant George Mitchell comme son ambassadeur pour le conflit israélo-palestinien et Richard Holbrooke pour le Pakistan et l’Afghanistan, Barack Obama souligne sa détermination d’exercer l’influence américaine dans deux zones chaudes – en fait aux deux extrêmes de « l’arc de danger » – où l’administration Bush avait été considérée comme insuffisamment active. Reste à voir quelle sera son action envers l’Iran, mais celle-ci sera sans doute coordonnée avec les « EU3 » que sont l’Allemagne, la France et la Grande-Bretagne, que les États-Unis ont rejoints en 2006 pour faire face à l’Iran unis.

20Mais c’est sur les thèmes chers aux Européens et particulièrement aux Français – changement climatique, immigration, réforme de l’ONU et des institutions de Bretton Woods, réformes et réglementations financières à l’échelle internationale – que l’administration Obama aura sans doute le plus de mal à répondre aux attentes. Car satisfaire l’opinion mondiale sur un certain nombre de ces sujets reviendrait à décevoir, même à mécontenter sérieusement, une partie de l’opinion américaine et surtout les « intérêts spéciaux ». Il est tout à fait possible que, dans le climat de crise actuel et aux prises avec une transformation profonde du pays, l’administration Obama n’ait simplement pas le « capital politique » pour y parvenir.

21Voilà donc les « nouveaux défis américains » : une Amérique qui change de caractère mais s’adapte à la mondialisation à contrecœur ; un système politique et économique où beaucoup est à refaire mais où la crise financière diminue sensiblement la marge de man œuvre ; et une diplomatie où les États-Unis ne peuvent plus tout, et ne peuvent que très peu tout seuls, à un moment qui exige une action internationale urgente sur certains thèmes majeurs.

Le rôle de l’Europe

22Face à ces nouveaux défis américains, quelle doit être la réponse de l’Europe ? Les enjeux sont considérables : si l’Amérique en sort affaiblie, si les Américains cèdent à la tentation (déjà manifeste) du protectionnisme ou de l’isolationnisme, si les États-Unis perdent le goût pour certains fardeaux du leadership, alors l’Europe en pâtira. Par conséquent, l’Europe doit faire preuve de leadership elle-même, d’une façon qui tient compte des nouveaux défis américains. Ce leadership européen passe par trois étapes : une prise de conscience, une présence aux États-Unis et la préparation de politiques communes.

23La nécessaire prise de conscience européenne est d’une double nature. D’une part, les Européens doivent reconnaître que la situation des États-Unis est inédite et grave. L’Amérique se cherche. Penser le contraire serait se réfugier dans le déni. Au sein des classes dirigeantes américaines, le sentiment est assez répandu que le pays est dans une position de risque extrême. Barack Obama lui-même n’arrête pas de le répéter et, loin d’être une tactique politique, sa conclusion résulte d’une profonde analyse. La tentation est grande pour les Européens de considérer que l’Amérique est toujours forte, qu’elle reviendra vite à elle-même, que la résilience prendra le dessus et que l’on « peut compter sur le peuple américain ». Cette dernière phrase, souvent entendue, est particulièrement trompeuse car elle exprime un sentiment positif et généreux mais formule mal la question. Nous ne sommes plus dans les années 1930, quand on pouvait réinventer le pays en envoyant travailler des citoyens avec des balais, des pelles et des pinceaux. Aujourd’hui il faut réinventer des systèmes et tous les systèmes s’enchevêtrent, qu’il s’agisse du nucléaire, de la production à la distribution, ou de la refonte des systèmes de traitement et de distribution d’eau où les réservoirs et tuyaux datent de la première moitié du XXe siècle. L’esprit d’entreprise existe bel et bien, mais comme l’a déclaré Timothy Geithner, il y a des choses que seul l’État peut faire. Et en plus, comme Barack Obama l’a souligné dans son discours d’investiture, il faut réinventer l’État aussi.

24D’autre part, les Européens doivent reconnaître que les processus et procédures de l’Union européenne n’ont que très peu d’importance dans leur réponse aux nouveaux défis américains. C’est ici que l’on doit retrouver « l’Europe des cercles » proposée par Édouard Balladur : qu’on s’en tienne à choisir les partenaires idoines pour la tâche à accomplir. Cela ne veut pas dire que la construction de l’Europe n’a pas d’importance pour les États-Unis. Mais quand il y a péril en la demeure, l’action commune l’emporte sur les préséances de l’étiquette communautaire.

25Forts de cette prise de conscience, les Européens doivent se manifester aux États-Unis. Les diplomates des principaux pays, et spécialement de la France, font un travail remarquable de présence et de visibilité. Mais d’autres acteurs devraient venir d’Europe, à la fois pour témoigner de leur solidarité et pour alimenter le débat d’idées aux États-Unis. En Amérique ne se trouve pas seulement un grand marché qui a besoin de l’offre européenne, notamment en tout ce qui relève du génie civil, c’est également là que le débat d’idées est le plus développé, et ce au niveau des gouvernements des États et des municipalités autant qu’à Washington DC, ainsi que dans les thinktanks, les universités, les entreprises et surtout les médias. Pour que les voix européennes soient entendues en Amérique, il faut qu’elles viennent s’exprimer en Amérique. Il est indispensable, surtout dans cette période de crise et de transformation du pays, que des chefs d’État et de gouvernement, des chefs d’entreprise, des ministres, des élus locaux, des professeurs, des chercheurs, des journalistes et autres penseurs fassent le voyage et apparaissent à la télévision, écrivent des articles, interviennent devant des auditoires, développent des relations de dialogue avec les décideurs et les influencers américains les plus variés. Si l’Europe ne fait pas l’effort de se faire entendre sur place à l’instar des « Pères fondateurs européens » d’autrefois, elle risque de ne pas être écoutée.

26Enfin, prise de conscience et présence dans les débats d’idées sur place aidant, les Européens seront bien positionnés pour rester les partenaires privilégiés des Américains dans l’élaboration et la mise en œuvre de politiques communes. C’est ainsi que l’Occident, à condition d’agir de façon unie, peut créer des positions conjointes, make policy together en exerçant un thought leadership stratégique. Et c’est ici que l’on se rapproche d’une autre proposition d’Édouard Balladur en faveur d’une Union occidentale entre les États-Unis et l’Europe [3] – à condition d’appliquer l’« Europe des cercles », ce qui permet de mettre en face de chaque problème les compétences européennes les plus adaptées. Si l’Europe fournit des propositions de solution, accompagnées d’une détermination à apporter les ressources concrètes qui sont nécessaires à leur mise en œuvre, alors les Américains s’estimeront réellement épaulés à un moment où ils ont le sentiment pénible d’en avoir besoin.

27Ces propositions européennes ne doivent pas pour autant se limiter au domaine de la politique internationale et des problèmes les plus brûlants ; des questions plus structurelles – qu’il s’agisse d’institutions, de normes internationales voire d’apports économiques dans les domaines où l’Europe jouit d’atouts industriels comme l’énergie, l’environnement ou l’infrastructure – seront reconnues comme relevant d’une certaine forme de compétence européenne. Et, encore une fois, ces dialogues peuvent et doivent être menés par dirigeants, décideurs et autres acteurs d’influence venus de secteurs fort divers.

28Susan Eisenhower, en conclusion de son « Point de vue » dans le numéro précédent, décrivait ainsi l’Amérique qui se cherche : « il m’apparaît que notre pays a un urgent besoin de destin national et d’une stratégie d’avenir ». À trois reprises au XXe siècle les États-Unis d’Amérique sont venus au secours de l’Europe ; puisse l’Europe, à un moment où les États-Unis ont besoin d’elle, relever ces nouveaux défis américains.

Notes

  • [*]
    Nicholas Dungan est président de French-American Partners LLC et ancien président (2005-2008) de la French-American Foundation à New York.
  • [1]
    Voir Susan Eisenhower, « L’Amérique minée de l’intérieur », Politique Américaine, n° 11, été-automne 2008, pp. 87-93 et aussi « Un grand débat national américain ? », Politique Américaine, n° 1, printemps 2005, pp. 11-25.
  • [2]
    Voir aussi Jagadeesh Gokhale et Kent Smetters, « Les implications financières du vieillissement démographique pour la Sécurité sociale américaine », Politique Américaine, n° 4, printemps 2006, pp. 17-31, et Niall Ferguson et Laurence Kotlikoff, « Puissance et déficit : état critique ? », Politique Américaine, n° 1, printemps 2005, pp. 55-75.
  • [3]
    Voir les « Livres signalés », Politique Américaine, n° 10, printemps 2008, pp. 136-138.
Français

Résumé

L’Amérique se retrouve en 2009 face à une série de phénomènes qui éclatent tous en même temps : le caractère des États-Unis se transforme, le « système » américain est remis en question et l’Amérique cherche un nouveau rôle international – le tout sur fond de crise financière. Devant ces « nouveaux défis américains », les Européens doivent s’impliquer encore davantage.

English

Opinion : The new American Challenges

Opinion : The new American Challenges

The U.S. is confronted in 2009 with a series of events that are all happening simultaneously : the character of America is changing, the validity of the U.S. model is in doubt and the country is seeking a new role in the world – all this while the financial crisis looms. Faced with these “new American challenges”, Europeans need to get even more involved.

Nicholas Dungan [*]
  • [*]
    Nicholas Dungan est président de French-American Partners LLC et ancien président (2005-2008) de la French-American Foundation à New York.
Mis en ligne sur Cairn.info le 15/11/2012
https://doi.org/10.3917/polam.012.0103
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