CAIRN.INFO : Matières à réflexion

1C’est un quartier précaire classique d’Abobo [1] dont l’urbanisme est un mélange de baraques en bois et de cours communes en béton. Il est 19 heures et les femmes qui ont vendu toute la journée leurs produits (piments, poissons séchés) commencent à s’en aller. Il y a encore quelques années, au plus fort de la « crise des microbes [2] », il n’aurait pas été prudent d’être là à cette heure-ci. Après quelques minutes de marche dans le quartier, l’on observe des « guetteurs », ou « vigileurs », qui sont postés à plusieurs endroits pour alerter les responsables du fumoir en cas de problèmes. On s’approche du fumoir. En plein air, au milieu du quartier, des jeunes fument du cannabis et du crack, sous des couvertures en plastique, assis sur des bancs en bois. L’odeur est présente dans toute la rue, dans laquelle jouent des enfants et où des petits maquis sont bien remplis à l’heure de la descente (heure du dîner). Dans ce lieu, se réunissent chaque jour des jeunes du quartier, mais aussi d’autres communes d’Abidjan. Nous continuons à avancer dans le quartier et sommes étonnés de voir un 4x4 Porsche Cayenne dans une rue à quelques mètres de là. Il appartient au propriétaire du fumoir, un des précurseurs de la drogue et du recrutement de jeunes comme acteurs de violences à Abobo. Il a depuis développé ses activités, notamment dans l’import-export. Il est devenu binguiste[3]. Ce fumoir à ciel ouvert est à une centaine de mètres du commissariat de la zone. En 2014, on estimait qu’il y avait environ 400 fumoirs à Abidjan [4].

2Une économie de la violence s’est construite à Abobo sur le terreau d’un ghetto social et a été renforcée par l’effet paroxystique de la guerre. Elle est dominée par des chefs de gangs liés au monde du transport et bénéficiant de soutiens politiques. Cette situation a fait émerger la perception d’une « crise sécuritaire » durant plusieurs années après la crise post-électorale de 2010-2011. À Abobo, les fumoirs (permanents ou éphémères) font partie intégrante du monde social du commerce et de la consommation de diverses drogues, et sont devenus avec le temps des institutions sociales imbriquées dans des chaînes de valeur qui irriguent la société locale. Mais leur légitimité est négociée et contestée par un ensemble d’acteurs sociaux, comme les notables locaux, les policiers, les comités de vigilance et les religieux. Comment les relations d’interdépendance construites autour des fumoirs d’Abobo participent-elles à la négociation de l’ordre social local ?

3Ces relations d’interdépendance constituent des configurations au sein desquelles l’ordre social est négocié par une diversité d’acteurs sociaux. Celles-ci s’inscrivent dans le cadre d’une fabrique locale de l’ordre liée à des chaînes d’interdépendance ayant des dimensions à la fois coercitives et morales. Le monde social de la drogue, des communautés morales coercitives autour desquelles s’organisent des comités de vigilance [5], ainsi que d’autres acteurs négocient la légitimité des fumoirs via l’expression de rapports de force locaux, mais aussi la production de sens à travers des relations et des imaginaires magico-religieux.

4L’ordre social [6] est souvent assimilé à tort au contrôle de la violence et à son accaparement progressif par l’État, ce qui obscurcit notre compréhension des sociétés en conflit armé ou sortant d’un conflit [7]. Avec Norbert Elias [8], Laurent Gayer souligne l’importance de comprendre l’ordre social comme « une structure de jeu organisée autour d’acteurs interdépendants et se reproduisant à travers un équilibre fluctuant et tendu, qui peut accueillir un niveau significatif de concurrence sur les moyens de contrainte [9] ». Le concept de configuration permet d’analyser des chaînes d’interdépendances [10], qui sont des rapports de pouvoir mais aussi symboliques. Ces configurations liées au commerce et à la consommation de drogues sont insérées dans la vie sociale et pas forcément à la marge. À travers celles-ci se déroulent des luttes pour négocier l’ordre sociopolitique local.

5Ces configurations sont principalement constituées du monde social de la drogue (vendeurs, consommateurs, petite délinquance liée aux fumoirs) et de la communauté morale qui se saisit de la question des stupéfiants, avec des entrepreneurs de morale [11] (des créateurs de règles comme les imams et d’autres responsables communautaires et notables, et des exécuteurs comme les comités de vigilance). Les marabouts et les féticheurs jouent aussi un rôle important dans les relations et les imaginaires magico-religieux. Enfin, les acteurs étatiques se manifestent aussi dans ces configurations, principalement à travers la police.

6Les pratiques de vigilantisme reposent souvent sur des impératifs moraux. Elles sont structurées autour de cibles considérées comme « légitimes » et de punitions supposées appropriées, offrant des visions rétrospectives, parfois nostalgiques, d’un monde qui serait restauré dans son ordre propre [12]. Pour mettre en perspective ces pratiques des comités de vigilance comme exécuteurs de règles, il est intéressant de réfléchir à l’hypothèse de la construction d’une communauté morale coercitive [13] : « la manifestation d’une souveraineté localisée active dans la production d’une communauté morale définie contre certains groupes (jeunes ou étrangers par exemple) qui sont perçus comme une menace contre cette communauté morale [14] ». Lors de la « crise des microbes », diverses communautés morales coercitives ont été produites pour répondre à la perception d’une crise locale de l’ordre. Mais ces communautés morales sont ambiguës et leurs légitimités sont l’objet de contestations [15]. Le fumoir et les relations d’interdépendance autour de celui-ci produisent ainsi des interrelations et des négociations, mais aussi des économies morales [16] divergentes sur ce qui constitue le licite et l’illicite, lesquelles façonnent l’ordre social.

7La recherche de terrain a été réalisée entre 2017 et 2019 à Abobo dans le cadre de deux recherches doctorales, respectivement sur les comités de vigilance et les dimensions magico-religieuses de la criminalité. Dans ce cadre, nous avons fait des entretiens semi-dirigés parfois récursifs, des groupes de discussion, ainsi que de l’observation dans les quartiers (y compris dans des fumoirs), les commissariats et les lieux de socialisation des vigilants. Les entretiens ont été réalisés notamment avec des responsables et des membres de comités de vigilance, des agent·e·s de police, des membres du monde social de la consommation et du commerce de la drogue – syndicats, (ex-)délinquants, responsables de fumoirs –, des acteurs magico-religieux et des citoyen·ne·s ordinaires comme des commerçant·e·s. Au total, nos recherches à Abobo combinent plus d’une centaine d’entretiens.

Le fumoir ou gbôffô, une institution sociale à Abobo

8La culture, la commercialisation et la consommation de produits stupéfiants en Côte d’Ivoire ne sont pas une nouveauté [17], tout comme la croissance des ghettos sociaux dans les zones urbaines au sein desquels ces pratiques occupent une place centrale [18]. Les fumoirs sont des lieux de réunion pour le commerce et la consommation de substances illicites. Ceux-ci deviennent des formes d’institutions sociales pour de nombreux jeunes des classes populaires. Ces dernières années, une croissance des produits dérivés de médicaments, à l’image de développements plus globaux, est relevée. Dans certaines parties d’Abobo, les fumoirs sont tellement répandus qu’ils peuvent être à ciel ouvert, à l’angle d’une rue autour d’un kiosque à café [19] devenant un « micro-fumoir » ou au milieu d’un marché. Les vendeurs ont aussi recours à des systèmes de livraison ambulante. L’existence de ces fumoirs s’inscrit dans une historicité des ghettos sociaux en Côte d’Ivoire, qui se sont développés dans le cadre des années de crise à partir de la fin des années 1980. Abobo s’est construit à la fois comme un espace de relégation et un espace nécessaire pour la vie de la métropole en se spécialisant dans le domaine des transports [20] (minibus, garagistes). À partir des années 1990, dans le contexte des années de crise, des quartiers paupérisés comme ceux de la commune d’Abobo sont perçus comme « criminogènes [21] », enclenchant un processus de « ghettoïsation sociale [22] » dans la capitale.

9Le monde social de la drogue repose sur une hiérarchie interne et des dynamiques de distinction sociale complexes. Tout en haut, le babatchê, ou « big boss », est une figure ayant une stature nationale et un réseau international, et peut contrôler des territoires dans différents endroits d’Abidjan ou dans d’autres villes du pays. Cet individu peut être un homme ou une femme d’affaires, un homme ou une femme politique, ou le représentant d’un groupe de personnes physiques ou morales (entreprises) qui ont apporté des capitaux financiers importants dans le commerce de la drogue, et qui sont principalement les fournisseurs des substances. Le babatchê ne fréquente pas le fumoir, il délègue la gestion de celui-ci au bôrôtigui, littéralement « le propriétaire du sac » : l’expression « sac » fait allusion à l’idée de « colis », afin d’éviter l’expression « drogue », mais aussi à l’argent issu des transactions. Ce terme désigne le propriétaire du fumoir. C’est lui qui récupère la drogue auprès du babatchê pour ensuite l’écouler. Des responsables du monde du transport, des grands commerçants ou des aînés des quartiers peuvent être des bôrôtigui. Ces derniers dirigent une équipe hiérarchisée : le lagaré est celui qui s’occupe au quotidien de la gestion du fumoir, on le choisit car il ne consomme pas de drogue. Les receleurs sont la courroie de transmission financière entre les délinquants et le bôrôtigui, ils rachètent des biens volés pour fournir des liquidités aux délinquants. Les « vigileurs », ou « guetteurs », décrits dans l’introduction surveillent les alentours du fumoir afin de prévenir de l’arrivée de la police ou d’un comité de vigilance qui pourraient y faire une « rafle ». Les rompéros, ou run boy, constituent le service de renseignement du bôrôtigui. Le samarabgégbé (littéralement le cordonnier) obéit au lagaré et remplit des tâches comme le nettoyage du fumoir, le « ramassage de crachats » des clients, mais aussi la menuiserie (celui-ci reconstruit le fumoir quand il est détruit lors d’une opération de police ou d’un comité de vigilance, ou après une attaque d’un groupe rival). Il est souvent toxicomane. Le vieux père[23] (phonétiquement vié père), ou tchê, aîné social local, peut être engagé pour défendre le fumoir en s’appuyant sur ses bons-petits. Il est une forme d’interface entre ce monde social et le reste de la communauté.

10Contrairement aux perceptions que l’on peut en avoir, ce monde social n’est pas constitué de « marginaux » qui seraient en quelque sorte en dehors de la sphère sociale locale. Parmi les clients, on retrouve toutes les catégories sociales dans ces fumoirs, peuvent s’y croiser des adolescents en perte de repères, des professeurs d’université, des policiers, etc. Dans l’organisation du fumoir, plusieurs babatchê peuvent se partager cet espace social en fonction des drogues qu’ils fournissent, qui se déclinent principalement en trois types. Le cannabis que l’on nomme localement boca, skentch ou wassa. Les comprimés que sont le tramadol, le rivotril ou le diazépam. Enfin, le dernier type est celui des dérivés de la cocaïne (communément appelés crack), ces derniers sont surnommés yôhô, paho ou neverlight. La consommation d’héroïne par injection, ou tchrôli, existe mais reste minoritaire [24]. Ces différents types de drogue entraînent une division spatiale dans le fumoir, les usagers étant réunis selon cette typologie. Autour et dans le fumoir, le bôrôtigui et le vieux père deviennent puissants parce qu’ils s’appuient sur des « bons-petits ». Les femmes de ce monde social, parfois appelées « bonnes-petites », participent dans le domaine du renseignement, mais aussi dans le blanchiment d’argent via le commerce [25]. À la sortie du conflit post-électoral après 2011, la société a commencé à désigner les « bons-petits » par le terme de « microbes ». Une relation de dépendance mutuelle existe entre ces acteurs. Pour de nombreux jeunes, la vente de drogue devient un levier économique permettant de subvenir à leurs charges domestiques quotidiennes. Son arrêt met à mal l’accomplissement des devoirs financiers familiaux. Ainsi, le rôle de la dette sociale est fondamental dans le ghetto.

Économie de la violence

11La croissance des fumoirs s’inscrit dans le cadre du développement d’une économie de la violence à Abobo [26], liée à l’économie du transport urbain dont cette commune est l’une des plaques tournantes. Elle repose sur des trajectoires sociales particulières, un « processus de distanciation ou de distinction sociale, au sens bourdieusien du terme [27] », à travers lequel des groupes d’individus produisent de la violence pour s’identifier et se singulariser. Dans le passé, les loubards, ziguéhis ou nouchis, et aujourd’hui « microbes » « syndicalistes », ou encore « gnambros[28] » s’inscrivent dans la hiérarchie complexe des gbonhis[29] (terme signifiant au départ une famille élective, un groupe d’amis) devenus des gangs violents. Ces derniers ont des ramifications plus globales que leur environnement social et politique immédiat. Car cette économie de la violence repose sur un monde social labile au sein duquel on retrouve un ensemble de joueurs politiques et sociaux (comme des acteurs politiques, des militaires, des policiers, des responsables religieux, communautaires) formant « des interactions (compétition, coopération, délégation) entre acteurs pouvant user de la violence ou de sa menace [30] ». Selon des commerçantes d’un marché d’Abobo, ces pratiques criminelles violentes sont sources de nombreux maux : « syndicalisme gâte tout [31] ».

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Un minibus « gbaka » à l’effigie d’un des plus célèbres « chefs-syndicats », le « Général Wéré »

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Un minibus « gbaka » à l’effigie d’un des plus célèbres « chefs-syndicats », le « Général Wéré »

Abobo, janvier 2019, © M. Ricard.

12La figure de l’aîné social dans le quartier, le vieux père, peut se rapporter à différentes réalités. Certains de ces aînés sociaux assurent la défense du fumoir contre la police, des comités de vigilance, mais aussi des rivaux. Ils jouent un rôle de « protection » qui peut leur rapporter environ 100 000 francs CFA par mois. Au-dessus de ces figures du quartier, de véritables organisations construites autour de l’économie lucrative du contrôle des lignes de transport sont dominées par des « chefs-syndicats », ou « généraux », qui utilisent souvent la violence comme ressource, s’appuyant sur différents gbonhis issus des quartiers. Beaucoup de ces chefs-syndicats ont commencé leur carrière dans les années 1990. Ils ont parfois participé au soulèvement d’Abobo lors de la crise post-électorale de 2010-2011 et ont acquis des positions stratégiques à ce moment-là. Ils dominent cette économie de la violence, comme le souligne un des piliers de celle-ci : « La rue, c’est une école. Et je pense que, nous, on est devenu des professeurs. On donne des cours [32]. » Les « microbes » organisés en gbonhis constituent le bas de la chaîne de ces organisations qui sont mobilisées pour défendre ou acquérir des lignes de transport dans la ville, mais aussi des positions dans le racket des minibus gbakas et des taxis collectifs ou « compteurs ». Dans ce dernier cas, ces jeunes deviennent alors des gnambros[33], de l’expression malinké m’boro gnan, « arrange ma main ». Ils s’assurent que la gare routière est « sécurisée » et encaissent les « droits de ligne [34] » des chauffeurs de minibus ou de taxis. Dans ce cadre, le monde social de la drogue est une composante de cette économie de la violence au sein de laquelle les frontières entre monde du transport, gangs violents et fumoirs sont ténues :

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« Ils sont aussi propriétaires de fumoirs, ils vendent de la drogue. Ce sont les jeunes de 25 ans, 30 ans. C’est une chaîne. Dès qu’il y a un butin, ils le récupèrent et donnent de la drogue en échange aux microbes [35]. »

14À la sortie de la crise post-électorale de 2011, le taux de scolarisation du cycle primaire dans la commune d’Abobo avait baissé de 30 points depuis 2008 [36]. Durant la même période, une forte augmentation de la pauvreté et une baisse des revenus des ménages pauvres ont été observées [37]. Dans ce contexte, lors des premières années de la sortie de conflit, s’est déroulée la « crise des microbes ». Ce fut une crise du contrôle social en tant que « forme particulière de criminalité de rue produite par des bandes de jeunes [38] » s’inscrivant dans des rapports de force complexes. Un ensemble de réponses à cette crise ont été apportées : principalement coercitives (police, vigilantisme), certaines sociales à travers les politiques de « resocialisation [39] », mais aussi dans le cadre de négociations avec les syndicats de transport [40] et certains chefs-syndicats qui entretiennent des liens privilégiés avec les politiques. Lors d’une campagne pour sa réélection en 2013, Adama Toungara [41] a par exemple offert douze voitures à des syndicats [42]. Pendant la campagne municipale de l’automne 2018, plusieurs témoignages ont rapporté que les syndicats de transporteurs étaient divisés entre le parti présidentiel, le Rassemblement des houphouëtistes pour la démocratie et la paix (RHDP), qui avaient la majorité de leur soutien, et le candidat proche de Guillaume Soro, Théfour Koné [43]. En 2018, le ministre de la Défense, Hamed Bagayoko (décédé en janvier 2021), fut élu maire de la commune dans un contexte tendu provoquant plusieurs morts [44]. D’anciens cadres de la rébellion Forces nouvelles se sont directement impliqués dans cette élection, comme le « commandant tracteur » ou encore « commandant philo », ce qui souligne l’importance stratégique d’Abobo dans le secteur du transport [45].

15Beaucoup de gbonhis issus de la « crise des microbes » se sont désormais désagrégés face à la réponse coercitive. Ils se sont souvent reconvertis dans d’autres domaines, en particulier dans celui de la drogue [46], et certains sont devenus des bôrôtigui. Dans le fumoir évoqué en introduction, on a pu s’entretenir avec son propriétaire lors d’une seconde visite. Une dispute éclate pendant l’entretien lorsque des individus viennent livrer de volumineux cartons devant notre assemblée. Les lieutenants du propriétaire du fumoir sont visiblement en colère de cette livraison effectuée devant un chercheur. On leur intime de livrer à l’intérieur. Pendant ce temps, des clients entrent et ressortent avec des petits paquets. Les alentours des fumoirs sont surveillés par les guetteurs. La position de chaque guetteur est pensée pour contrôler les allées et venues dans le quartier : tous les 50 mètres, des jeunes sont assis ou arrêtés avec des écouteurs dans les oreilles et des téléphones portables à la main. À première vue, ils semblent écouter de la musique. Cependant, ils sont en contact avec les superviseurs terrain et les responsables commerciaux du fumoir afin de signaler la visite de policiers ou la présence de personnes étrangères sur leur territoire. Dans cette zone, qui est un marché très connu à Abobo, des femmes commerçantes collaborent avec les guetteurs. Elles jouent un rôle d’indic pour surveiller la zone. Ceci illustre les relations concrètes produites par les activités des fumoirs et la densité des chaînes d’interdépendances autour de ces institutions sociales.

Communautés morales coercitives

16Les fumoirs se sont progressivement imposés comme des institutions sociales avec lesquelles l’ensemble de la communauté locale doit composer. Se sont ainsi développées des configurations mêlant le monde social de la drogue et cette communauté locale, avec des dimensions coercitives et morales. Les communautés morales coercitives ne se limitent pas à des acteurs de vigilance sécuritaire, les exécuteurs de règles, représentés dans les quartiers par des comités de vigilance qui se sont développés lors de la « crise des microbes ». Ils sont entourés et légitimés par une diversité d’acteurs sociaux, en particulier les acteurs religieux (imams et pasteurs), mais aussi des potentats locaux, qui sont des créateurs de règles.

17Ces communautés morales coercitives illustrent la diversité des ordres normatifs [47] au niveau local. Les discours et les pratiques de vigilantisme symbolisent une forme d’ordre normatif localisé qui façonne les moralités dans les communautés. Celles-ci reposent sur une perception localisée d’une forme de déclin moral : « Malgré leur trajectoire singulière, ces organisations ont en commun de lutter contre la violence, la drogue et une jeunesse supposée à la dérive, dangereuse et incontrôlable [48]. » Un imam rencontré à Abobo [49] met en avant les conditions sociales difficiles du quartier, notamment le coût élevé de la scolarisation. Pour lui, la drogue est une conséquence de cette situation, et il est un des piliers locaux soutenant le comité de vigilance du quartier. D’après nos enquêtes, cet imam joue un rôle à la fois de relais pour des plaintes ou pour demander une intervention d’urgence du comité de vigilance local, mais aussi pour négocier la clémence du comité pour les familles d’individus arrêtés par les vigilants [50].

18Six comités de vigilance ont été étudiés. Généralement, ils ont été créés à la suite d’un événement traumatique dans un quartier, parallèlement à l’émulation suscitée par la constitution de comités dans des quartiers voisins. De nombreux comités de vigilance ont souligné l’importance du soutien des aînés sociaux religieux. Ces derniers ont été des éléments mobilisateurs clés incitant à répondre à la crise du contrôle social. Les prières du vendredi à la mosquée étaient ainsi des moments importants pour construire ces communautés morales coercitives. Ainsi, le soutien des aînés et particulièrement, comme justification morale, des religieux était souvent mentionné :

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« On a besoin de la prière des imams car ces enfants [délinquants] ont des pouvoirs mystiques [51]. »
« On fatiguait les parents, on cassait les portes pour rentrer ici ou là, donc comme ça les grands frères, les doyens, les vieux du quartier, les imams et autres, nous ont appelés pour dire, là, vraiment, voilà ce qui arrive… C’est vous les jeunes qui vont combattre ça [52]. »
« Nous avons la bénédiction des imams. Nous avons la bénédiction de nos parents. Nous avons la bénédiction des pasteurs… Et cela nous suffit largement [53] ! »

20Les leaders des comités de vigilance s’inscrivent dans des hiérarchies locales, en lien avec des notables. Dans un cas, la proximité des responsables avec des chefs-syndicats souligne la porosité et les interdépendances entre vigilance et monde criminel. La plupart des comités ont entre 50 et 200 membres, la taille des groupes variant dans le temps selon la gravité de la crise sécuritaire. Armés de machettes et de gourdins, ils opèrent en petites équipes d’une dizaine de personnes organisées à travers des rondes ou des barrages dans les quartiers. Durant les premières années de la crise, ils ont fait preuve d’une violence symétrique [54] occasionnant de graves violations des droits humains pouvant aller jusqu’à la mort, comme plusieurs responsables l’ont reconnu lors des entretiens. Néanmoins, dans la plupart des cas, les individus arrêtés sont envoyés au « quartier général », ou « QG », du comité, souvent pour chercher à résoudre le conflit avec les familles des délinquants. Tous les comités étudiés ont souligné les limites des méthodes coercitives pour faire baisser la délinquance dans le quartier, tandis que les relations avec les familles de délinquants pouvaient être très tendues. Ainsi, avec le temps, la plupart des comités ont cherché à trouver des alternatives, comme nous allons le voir plus bas, soulignant que dans ces configurations, faisant interagir monde social de la drogue, comités de vigilance et policiers, des chaînes d’interdépendances permettent de négocier la légitimité des fumoirs.

21La formation de ces communautés morales coercitives n’a pas échappé à la police, notamment pour les deux commissariats couvrant les comités de vigilance étudiés. Au contraire, les commissaires de police se sont appuyés sur ces communautés morales coercitives pour répondre à une crise du contrôle social. La question de la drogue était au cœur des tensions :

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« Il fallait aller là où ces populations sont […]. Notre technique, c’était d’aller dans les mosquées, on a demandé à l’imam de passer des messages. J’ai reçu 23 imams, on a réussi à nous intégrer [55]. »

Négocier l’ordre

23Policiers, gendarmes et responsables communautaires ou politiques reconnaissent les fumoirs contre l’octroi d’un quota ou gué[56], forme de droit d’exercer. Le refus de payer le gué peut engendrer des sanctions allant jusqu’à la destruction du fumoir. Dans ce cas, le gérant ainsi que son équipe peuvent être arrêtés et parfois condamnés. Le commerce et la consommation de drogues sont au centre des négociations de l’ordre, soulignant la porosité entre le licite et l’illicite, le légal et l’illégal. Les discours et les pratiques autour des fumoirs, produits par les entrepreneurs de morale, sont un lieu de négociation entre des économies morales divergentes, légitimant ou non ces pratiques.

24Les forces de l’ordre au niveau local négocient ainsi cette présence avec les acteurs du trafic. Officiellement, le discours de l’État, sa « transcription [57] », affiche une lutte sans merci contre les stupéfiants, la Côte d’Ivoire ayant un arsenal policier pour la lutte antidrogue parmi les plus complets de la sous-région. Durant notre période de recherche, rares sont les éditions du journal télévisé de la Radio télévision ivoirienne (RTI) qui n’évoquent pas des « destructions » de fumoir. Ainsi, lors des entretiens avec les commissaires de police de cinq arrondissements, tous affirment participer à cette guerre contre les fumoirs.

25Chaque jour, les policiers doivent communiquer par radio à leur hiérarchie les chiffres des saisies de drogue. Le policier chargé de cela lors d’une de nos observations dans un commissariat égraine la litanie des chiffres journaliers en souriant avec ses collègues. La lutte contre les fumoirs est un élément central des « opérations » de lutte contre la délinquance mises en place en réaction à la perception d’une crise sécuritaire à Abidjan. Ceci n’est pas nouveau. Les différentes « opérations coup de poing » organisées depuis les années 1980 dans les quartiers populaires d’Abidjan étaient déjà dénoncées en 1982 dans une célèbre chanson d’Alpha Blondy [58]. Responsables de comité de vigilance, policiers et citoyens ordinaires estiment la plupart du temps que ces opérations ne servent qu’un but médiatique, même si certains policiers apprécient le renfort temporaire d’effectifs que cela induit :

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« Les opérations coup de poing, récemment Épervier 3, ce n’est pas vraiment efficace. On n’atteint pas la cible, car les délinquants ont des éclaireurs, on fait des rafles de gens qui n’ont rien fait [59]. »

27Des dérives sont dénoncées par plusieurs participants à la recherche, comme ce tenancier d’un petit bar où l’on boit le koutoukou, la liqueur locale :

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« Épervier 3, les policiers sont venus, ils ont volé mon poste, ils m’ont pris. Je leur ai dit, moi, je ne suis pas dans affaires de drogues […]. Car, quand ils fument, ils viennent boire leur dose, ce n’est pas ma faute [60]. »

29Les comités de vigilance sont parfois des alliés dans cette lutte. Ces derniers prêtent par exemple main-forte lors des opérations de grande envergure pour aller détruire des fumoirs.

30Les relations d’interdépendance au sein de ces configurations, impliquant des interrelations entre les comités de vigilance et les fumoirs, la police et les fumoirs, mais aussi les comités de vigilance et la police à propos de la question des fumoirs, produisent des négociations et des conflits sur ce qui constitue le licite ou l’illicite. Pour certains comités de vigilance, les responsables des fumoirs peuvent ainsi devenir des partenaires, dans le sens où les comités les laissent fonctionner à condition qu’ils participent à la régulation des comportements délinquants, parfois en jouant un rôle d’informateur. Le fumoir devient alors un lieu clé de partage d’informations :

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« Les fumoirs existent encore. Ce sont les enfants du quartier qui gèrent ces fumoirs et ce sont encore les enfants du quartier et de tout Abobo qui y vont pour consommer la drogue. À défaut de les traquer, on négocie avec eux pour qu’ils sensibilisent leurs clients pour ne pas que ces derniers, après avoir pris la drogue, agressent et volent les populations. Dans ce contexte, nous, étant en sécurité, on n’agit pas. Et quand c’est comme ça, la police n’agit pas aussi parce que, tant qu’il y a la tranquillité au quartier, tout le monde y gagne quoi. C’est une affaire de gagnant-gagnant. Eux, ils font leur trafic, leur deal de drogue, nous, on est en paix, pas de vol ni d’agression. La police gagne en honneur, des flics ayant une zone dans laquelle il n’y a pas de violence, c’est tout [61]. »

32Certains responsables de fumoirs peuvent être aussi « cooptés » par les comités de vigilance. Certains des (ex-)délinquants liés au monde social de la drogue intègrent ainsi l’organisation sécuritaire. Ils deviennent des ressources importantes pour les comités. Ceci s’inscrit dans l’extrême labilité de ces configurations du monde du ghetto, au sein duquel la porosité entre les positions sociales est à souligner. L’un d’eux, Ousmane Dollar [62], nous a ainsi raconté son expérience :

Ousmane dollar

Ousmane a grandi dans un quartier difficile : « Il y avait trop de vagabonds, de bandits, trop de… Les nouchis quoi… » Dans son « mouvement », ou « gbonhi », il y a eu beaucoup de ses amis qui sont devenus des délinquants connus dans Abobo. L’un d’eux est mort récemment lors d’un échange de tirs avec des policiers. Il a connu ce monde social quand il est devenu syndicat pour les transporteurs. Il s’occupait d’une ligne de « frôle » (une ligne de minibus gbaka) entre Adjamé et Abobo quand il était en classe de troisième. Au début il était gnambro, ou gnambolo (aide-syndicat), puis il est devenu un véritable « élément » (membre du gbonhi). Pour réussir dans ce monde, il souligne que « la bagarre, c’est important », même si cela s’est un peu pacifié dernièrement. Il a ainsi fait partie d’un petit gbonhi qui s’organise autour d’un chef et qui fait des « opérations » sur son « territoire ». La drogue y joue un rôle central. Les comprimés sont des ressources pour agir (réaliser une attaque) : tramadol, diazépam, rivotril, valium sont des exemples, souvent mélangés avec de l’alcool. Fumer en groupe est aussi essentiel selon Ousmane, c’est dans cette vie de groupe qu’ils se donnent des idées et des plans d’attaque. Mais il a désormais arrêté et ne veut plus voir de délinquance dans son sous-quartier ; il a été coopté dans le comité de vigilance local. Il veut être le wourou fato, le « chien méchant », de son « ghetto ».

33Un chef d’un comité de vigilance raconte que la lutte contre les fumoirs du sous-quartier était au cœur de leur stratégie lors de la création de leur comité. Un responsable de fumoir a proposé de l’argent au comité pour qu’on le laisse tranquille, mais le comité a refusé. Néanmoins, ce comité n’a pas pour autant détruit le fumoir ou empêché son activité. Ils ont proposé au responsable du fumoir de collaborer avec eux, de leur signaler quand un problème survient. De temps en temps, le comité réalise des « descentes » dans le fumoir pour montrer que ses membres surveillent : « Actuellement là, le fumoir existe, mais ce n’est pas comme avant […]. Les gérants des fumoirs, même s’ils donnent là, on ne prend pas [63]. » Il y a donc ici une forme d’entente entre le fumoir et le comité. Le chef de sécurité de ce même comité souligne aussi que s’attaquer systématiquement au fumoir n’est pas forcément efficace car, selon lui, les personnes qui s’y trouvent ne sont pas forcément des « criminels », mais de simples « consommateurs ».

34D’autres comités sont intransigeants et mènent une lutte farouche contre les fumoirs dans leur quartier avec pour objectif de réaliser un « nettoyage social » et de modifier les conduites sociales. Un des comités affirme ainsi détruire régulièrement les fumoirs même s’ils sont reconstruits. Ses responsables refusent toute forme de coopération : « Chez nous, les fumoirs sont détruits, mais les enfants peuvent aller ailleurs [64]. » Cette volonté de changer les conduites sociales dépasse la question de la drogue. Plusieurs responsables et membres ont aussi évoqué le fait qu’ils ont interdit des « danses » appelées « sympa », c’est-à-dire des soirées informelles de jeunes dans les rues réunissant beaucoup de monde. Ces lieux de réunion étaient perçus comme propices à l’action des « microbes [65] ». Ces différentes manières de pratiquer le vigilantisme sous-tendent ainsi différents jugements axiologiques sur les comportements délictueux et une porosité entre différentes logiques sociales, illustrant l’importance des économies morales.

35La volonté des comités de vigilance de rétablir une forme de contrôle social peut créer des tensions avec les forces de l’ordre, en remettant en cause des modus operandi de la structure de jeu de ces configurations locales. Un responsable de comité de vigilance fait part de son impuissance malgré sa volonté de détruire les fumoirs. Pour lui, les « corps habillés » (policiers ou militaires) sont souvent de mèche avec les responsables de fumoirs. Il donne l’exemple de l’unité spéciale du Centre de coordination des opérations décisionnelles (CCDO). En 2018, lors d’une intervention, son comité avait saisi une « table entière » de drogues (cannabis, haschich, tramadol), qu’ils ont amenée à leur « QG » en attendant que la police vienne chercher cette saisie. Leur surprise fut grande quand, quelques heures plus tard, une unité du CCDO débarque et leur demande pourquoi ils ont saisi cette quantité de drogues. Ils sont accompagnés du responsable dudit fumoir. Quelques minutes après, le CCDO et ce responsable de fumoir repartent avec le chargement de drogues :

36

« Ici les fumoirs sont très développés. Pourquoi les fumoirs ne disparaissent-ils pas ? Parce que les chefs des fumoirs donnent de l’argent aux syndicats, braqueurs, ou ils le sont eux-mêmes, et sont en complicité avec les policiers [66]. »
« Vieux père, faut pas on va se blaguer hein ! Les vrais propriétaires des fumoirs mêmes, c’est les syndicats, les braqueurs, même les policiers qui se jouent les môgô [hommes] de loi là, nous, on gère leurs fumoirs aussi [67]. »

37Dans ces relations d’interdépendance, on peut observer que le pouvoir se mesure au degré de dépendance aux autres, c’est dans ce différentiel que se joue le pouvoir dans une configuration eliasienne [68].

Produire du sens : relations magico-religieuses et imaginaires de réussite

38Au sein de ces configurations où se joue la légitimité des fumoirs, la production de sens s’opère aussi à travers des relations magico-religieuses et repose sur des imaginaires [69] de réussite sociale. Ces pratiques et imaginaires socio-religieux font référence à l’étude des représentations, des croyances sociales et religieuses liées à la réussite, mais aussi aux épreuves que rencontrent les acteurs. Le recours aux pratiques occultes fait partie intégrante de la construction des trajectoires d’accès à la richesse et à la réussite. Ces ressorts magico-religieux du monde social de la drogue s’expriment par exemple à travers des pratiques matérielles, notamment l’utilisation d’objets magico-religieux. Sans que cela en soit son point d’origine, la crise post-électorale de 2010-2011 a été un moment paroxystique de renforcement de l’économie de la violence lors de laquelle les dimensions magico-religieuses ont été importantes. Plusieurs personnes ont indiqué que, pendant la crise post-électorale, il y a eu prolifération de « lavements [70] » de jeunes pour se préparer à des combats dans Abobo [71] :

39

« La guerre a influencé le comportement, les parents ont parfois lavé leurs enfants, préparés pour qu’ils soient invincibles [72]. »
« Le Commando invisible [73] a eu un impact par exemple avec les dimensions magico-religieuses. Ils avaient ces ressources aussi ; au rond-point d’Abobo, chaque nuit, ils vendaient ces médicaments traditionnels. Tous ceux qui ont combattu, considérés comme des héros de la guerre, sont considérés comme des modèles [74]. »

40Dans certaines situations, certains parents ont « préparé mystiquement » leurs enfants aux combats. Ainsi, certains devenus délinquants ont participé à des cérémonies magico-religieuses, comme c’est le cas pour un chef de gang connu à Abobo qui serait allé dans plusieurs pays de la sous-région, au Burkina Faso et au Mali, afin d’obtenir ces ressources mystiques. Avoir recours à ces pratiques est à la fois une manière de chercher la réussite représentée par l’expression gnagninisso – qui peut aussi signifier « renverser les grandes personnes » et « faire des protections pour soi ». La drogue joue un rôle essentiel pour être initié dans un gbonhi. En effet, la préparation d’attaques passe par une étape qui consiste à se « gigater [75] » (utiliser des comprimés) :

41

« Pour l’intégrer, on passe d’abord par les comprimés. Le cannabis là, ça donne sentiment. Cela fait que tu as pitié. Cela veut dire que tu es heureux sur toi-même […]. Les comprimés, comme rivotril […], cela te met dans un état critique, ouais… […]. Tu n’es pas toi-même […]. L’envie de faire palabre, c’est petit même […]. Après, si tu bois, on peut donner la boisson. La boisson sur le comprimé, ça fraponne fort ! Cela fait que là, ça pète ! Tu n’as plus sentiment [76] ! »

42Les objets et pratiques mystiques doteraient leurs détenteurs d’une puissance physique destructrice capable de causer la mort de leur adversaire. La force de frappe dépend de la puissance du pouvoir mystique. Certains jeunes « préparés mystiquement » auraient la possibilité de causer des blessures profondes, de faire s’évanouir ou d’étourdir leur adversaire avec des agressions à main nue ou d’infliger des coups mortels. Ces capacités permettent de lutter dans le monde social de la drogue. Avant les gnagas (affrontements), des animaux sont offerts en sacrifices afin d’attirer la victoire. La protection peut consister en des écritures en arabe faites sur une plaque en métal appelé walaga nêguê qui a été soumise à des braises ardentes. Ce rituel protège les membres du groupe lors d’affrontements à condition que la plaque reste sur les braises à ce moment-là.

43Les pratiques mystiques peuvent ainsi doter l’acquéreur d’une sorte de bouclier immatériel en tout lieu et en tout temps. Ousmane Dollar raconte comment les gris-gris sont intégrés dans leurs pratiques : « Gri-gri ? Ça aide ! Ça aide beaucoup [77]. » Ces pratiques (port d’amulettes, de bagues, pratiques de scarifications, bain de préparation), souvent surnommées kank ou gbagbadji[78], sont par exemple des gris-gris « anti-balles [79] », « anti-fer [80] » ou « anti-machettes » qui permettent de se protéger contre des armes : « Machette ne prend pas, couteau ne rentre pas, tout ce qui est fer, pointe ne rentre pas [81]. » Il existe aussi le doua nata, qui permettrait de se rendre invisible. Ousmane Dollar nous explique que, pour les obtenir, il est nécessaire « d’aller au village ». Le gri-gri, « un coup gbô » ayant l’aspect d’une bague ou d’un bracelet, donnerait le pouvoir d’assommer l’ennemi [82]. La référence au magico-religieux permet aussi de déconstruire le risque perçu dans les pratiques criminelles. Ceci participe à ancrer la certitude de la réussite, notamment, des gnagas de groupes et d’autres encaissements réalisés dans le cadre du commerce de la drogue. Les gris-gris ou d’autres objets permettent de faire vivre les imaginaires au quotidien.

Figure 2

Sous trois angles différents, une arme blanche de type « pique » saisie par un commissariat d’Abobo

figure im2

Sous trois angles différents, une arme blanche de type « pique » saisie par un commissariat d’Abobo

À l’intérieur de ce pique, un gri-gri prenant la forme d’une pierre. Leurs utilisateurs insèrent une drogue puissante dans ce pique, pour infecter leurs adversaires ou leurs victimes.
Janvier 2019, © M. Ricard.

44Des missions ou des voyages initiatiques sont organisés, dans des villages en Côte d’Ivoire ou dans d’autres pays de la sous-région, pour acquérir ces pouvoirs mystiques, de manière individuelle ou collective. Des marabouts ou des féticheurs (acteurs différents mais ayant ici une fonction similaire) sont perçus comme les dépositaires de savoirs permettant d’acquérir une protection mystique. Une carrière réussie dans le monde social de la drogue passe donc par la recherche d’objets et pratiques mystiques divers. La progression dans ce monde social dépend donc aussi de ces relations privilégiées, qui sont une forme d’interdépendance autour des relations magico-religieuses. Plusieurs (ex-)délinquants interrogés ont souligné cette dimension dans la production de ressources magico-religieuses. La recherche de ces objets est essentielle pour « se chercher » et progresser dans ce monde social, obtenir le soutien de féticheurs et de marabouts est donc très important. La réussite dans ce milieu peut même amener à être convoité par ces mêmes acteurs : « Arrivé à un certain moment, moi, je ne me déplaçais plus pour aller chez féticheur, moi je te déplace [83]. » Le féticheur ou marabout devient ici un « préparateur mystique » qui supervise une action du gbonhi (attaque d’un autre groupe, vols, défense d’un fumoir ou conquête d’un territoire) :

45

« Mon féticheur m’a aussi donné des conseils et il m’a rassuré que je pouvais compter sur lui à tout moment. Bon, il ne voulait pas aussi que je l’oublie parce que, si les génies voient que ça va chez moi, si le travail pour lequel ils m’ont aidé marche et que je mange seul [absence d’offrandes], ils peuvent se fâcher. Et je ne sais pas ce qu’ils peuvent faire contre moi [84]. »

46Ces relations et imaginaires magico-religieux jouent aussi un rôle dans les interactions entre le monde social de la drogue et les communautés morales coercitives. En effet, certains membres des comités de vigilance étudiés, comme un « chef sécurité », sont aussi dozos [85]. Ce dernier mobilise son savoir dans sa pratique du vigilantisme. Un autre « chef sécurité » nous a montré son « gri-gri » qu’il porte comme une ceinture lors des rondes. Les membres des comités de vigilance soulignent que les affrontements avec les délinquants se jouent parfois autour de ces dimensions et qu’ils ont dû ainsi se « protéger mystiquement » : « Les protections mystiques ? Parmi nous, il y en a qui ont ça [86] » ; « Je sais que Dieu est avec nous […]. Il y a les petits trucs qu’on prend pour se protéger […]. On dit les gris-gris [87]. »

47Enfin, les fumoirs et le monde social de la drogue en général sont eux-mêmes une source d’imaginaires de la réussite sociale dans les communautés. Ces imaginaires, comme les relations magico-religieuses, participent à la construction de représentations propres à ce groupe social. Les statuts sociaux de propriétaire ou de gérant de fumoir constituent des modèles de réussite auxquels on s’identifie et qui travaillent constamment les imaginaires :

48

« Le modèle à Abobo à qui la jeunesse se réfère, c’est le propriétaire de fumoir. Les adolescents et jeunes microbes ont tendance à choisir la création de fumoir comme projet de réinsertion sociale [88]. »
« Mais à *quartier anonymisé*, qui a réussi ? Celui qui a réussi là, c’est chaque syndicat qui est au bord de la route en Mercedes, qui roule une voiture décapotable aujourd’hui, qui est parti s’affilier à une mafia à force de rançonner les transporteurs. Il a une voiture de luxe, il a des montres de luxe, il a des chaînes en or partout sur lui, il a les copines qu’il veut, c’est celui-là qui devient un modèle pour l’enfant qui est au quartier. C’est celui-là qui devient un modèle pour le jeune qui est au quartier qui se dit j’ai envie d’être comme lui et, du coup, il influence même ceux qui vont à l’école. Mon petit, toi, tu vas à l’école, tu as quoi ? Moi, je vais encaisser sur la route, voilà ma voiture. Voilà, c’est ça l’influence [89]. »

49En tant que lieu de négociations et d’interrelations, les fumoirs sont devenus des institutions sociales. Ils représentent des structures de jeu dans lesquelles les tensions entre divers acteurs sont fortes, bien au-delà de la représentation classique d’un monde de « marginaux ». Ces configurations construites autour de relations d’interdépendance travaillent l’ordre social dans des dimensions à la fois coercitive et morale. Les fumoirs à Abobo reposent sur ce que Johanna Siméant à propos d’un autre sujet, la protestation en Afrique, avait défini comme des « transactions collusives », concept emprunté à Michel Dobry : « des formes locales, éclatées, sectorielles, de légitimation, celles qui sont pour ainsi dire enchâssées dans les logiques sociales propres aux divers secteurs, sphères ou “champs” sociaux différenciés et autonomes [90] ». Ce concept renvoie « à une sociologie de la légitimation qui n’examine pas les seuls discours explicites de légitimation, mais envisage aussi les accommodements semi-officieux, procédant notamment de formes clientélistes de relation [91] ». Les économies morales de la drogue à Abobo sont ainsi produites dans le cadre de ces transactions collusives afin non seulement de survivre, mais aussi de prospérer et de réussir socialement. À travers ces négociations, les pratiques dans et autour des fumoirs deviennent permissibles, voire légitimes, construites sur des relations sociales étroites, mais aussi instables et fluides : « Ni hors-la-loi ni activité morale, leurs pratiques sont plutôt un moyen de participer aux modes d’accumulation et aux méthodes de gouvernance de l’économie qui prévalent [92]. »

50Tout ceci va également à l’encontre d’une perspective selon laquelle le monde social de la drogue serait uniquement régi par des logiques de « marché ». Dans la Côte d’Ivoire contemporaine, tout un chacun veut sa part de « l’émergence » qui, faute d’apparaître concrètement dans la vie de la majorité des citoyens, est recherchée ardemment par de nouvelles générations en quête de solutions. Ces dernières peuvent s’engager dans des carrières dans lesquelles la violence est une ressource essentielle pour s’en sortir, mais aussi grâce à leur capacité de négocier dans l’espace social une place avec les aînés, les policiers, les religieux, et d’autres acteurs sociaux

Notes

  • [1]
    Commune populaire la plus peuplée de la métropole d’Abidjan en Côte d’Ivoire.
  • [2]
    Ceux que la société ivoirienne a dénommés « microbes » sont des jeunes acteurs sociaux organisés en bandes impliquées dans différentes formes de délinquances et crimes. Ces jeunes ont commencé à être désignés ainsi lors de la période de sortie de conflit (après 2011) dans plusieurs localités d’Abidjan, en particulier à Abobo. Pour une histoire de ces pratiques et de l’apparition du terme en Côte d’Ivoire, voir S. K. Yao, « Nouchis, ziguéhis et microbes d’Abidjan : déclassement et distinction sociale par la violence de rue en Côte d’Ivoire », Politique africaine, n° 148, 2017, p. 89-107. Voir aussi F. Akindès, « Understanding Côte d’Ivoire’s “Microbes”: The Political Economy of a Youth Gang », in J. Erin Salahub, M. Gottsbacher et J. de Boer (dir.), Social Theories of Urban Violence in the Global South: Towards Safe and Inclusive Cities, Londres, Routledge, 2018, p. 161-181 ; Interpeace et Indigo Côte d’Ivoire, Exister par le gbonhi. Engagement des adolescents et jeunes dits “microbes” dans la violence à Abobo (Abidjan, Côte d’Ivoire), Abidjan, Bureau régional pour l’Afrique de l’Ouest d’Interpeace/Indigo Côte d’Ivoire, 2017. Ce phénomène social a aussi généré des productions audiovisuelles, comme un documentaire et une série télévisée : F. Akindès, « Faire l’incroyable. Parole aux enfants dits microbes », 2017 ; A. Ogou, « Les invisibles », TSK Studios, 2018.
  • [3]
    Expression nouchi (langue de la rue) qui désigne les Ivoiriens qui migrent en dehors du continent, en particulier en France.
  • [4]
    Interpeace et Indigo Côte d’Ivoire, Exister par le gbonhi…, op. cit., p. 27.
  • [5]
    La notion de « vigilance » pour décrire ces comités ou groupes est ici utilisé pour décrire un ensemble de dénominations émiques différentes. Dans la pratique, ces groupes se nomment souvent sous le vocable de « sécurité » ou de la lutte « anti-microbes ».
  • [6]
    « Un ensemble d’institutions et de pratiques liées entre elles qui visent à conserver, maintenir et faire respecter des modes particuliers de relations et de comportements. » P. Albrecht et H. M. Kyed, « Introduction: Policing and the Politics of Order-Making on the Urban Margins », in P. Albrecht et H. M. Kyed (dir.), Policing and the Politics of Order-Making, New York, Routledge, 2015, p. 16.
  • [7]
    M. Debos, Living by the Gun in Chad: Combatants, Impunity and State Formation, Londres, Zed Books, 2016, p. 4.
  • [8]
    N. Elias, The Civilizing Process, Oxford, Blackwell, 1994 [1939].
  • [9]
    L. Gayer, Karachi: Ordered Disorder and the Struggle for the City, New York, Oxford University Press, 2014, p. 12.
  • [10]
    N. Elias, Qu’est-ce que la sociologie ?, La Tour-d’Aigues, Éditions de l’Aube, 1993, p. 159.
  • [11]
    H. S. Becker, Outsiders: Studies in Sociology of Deviance, New York, Free Press of Glencoe, 1963, chapitre 8. Pour une utilisation de cette sociologie de la déviance en rapport avec le vigilantisme, voir G. Favarel-Garrigues, « Digital Vigilantism and Anti-Paedophile Activism in Russia: Between Civic Involvement in Law Enforcement, Moral Policing and Business Venture », Global Crime, vol. 21, n° 3-4, 2020, p. 306-326 ; L. Revilla, Le travail de l’ordre : hiérarchies sociales et ancrages policiers dans les quartiers populaires de Khartoum et Lagos, Thèse de doctorat, Bordeaux, Université de Bordeaux, 2021.
  • [12]
    D. Pratten et A. Sen (dir.), Global Vigilantes: Perspectives on Justice and Violence, Londres, Hurst, 2007, p. 7.
  • [13]
    L. Fourchard, « Mobilisations contre le gangstérisme et production d’une communauté morale coercitive en Afrique du Sud » [en ligne], European Journal of Turkish Studies, n° 15, 2012, <https://journals.openedition.org/ejts/4692>, consulté le 26 juillet 2021.
  • [14]
    L. Fourchard, « The Politics of Mobilization for Security in South African Townships », African Affairs, vol. 110, n° 441, 2011, p. 611.
  • [15]
    L. Buur, « Reordering Society: Vigilantism and Expressions of Sovereignty in Port Elizabeth’s Townships », Development and Change, vol. 37, n° 4, 2006, p. 735-757.
  • [16]
    On entend par économie morale « la production, la répartition, la circulation et l’utilisation des sentiments moraux, des émotions et des valeurs, et des obligations dans l’espace social », voir D. Fassin, « Les économies morales revisitées », Annales, vol. 64, n° 6, 2009, p. 1257.
  • [17]
    É. Léonard, Développement de la culture du cannabis et du trafic de marijuana en Côte d’Ivoire forestière, Paris, Orstom-OGD, 1995.
  • [18]
    É. de Latour, « Les ghettomen. Les gangs de rue à Abidjan et San Pedro », Actes de la recherche en sciences sociales, n° 129, 1999, p. 68-83.
  • [19]
    Les vendeurs ambulants de café dit « Nescafé » sont une figure classique de la rue en Côte d’Ivoire.
  • [20]
    Y. Konaté, « Abobo, Adoland d’hier et d’aujourd’hui », Afrique contemporaine, n° 263-264, 2017, p. 341-364.
  • [21]
    O. Dembélé, « Abidjan : de la territorialisation de la sécurité à la fragmentation de la société urbaine ? », in F. Leimdorfer et A. Marie (dir.), L’Afrique des citadins. Sociétés civiles en chantier (Abidjan, Dakar), Paris, Karthala, 2003, p. 159.
  • [22]
    Ibid.
  • [23]
    Plus rarement, aussi « vieille mère ».
  • [24]
    A. S. S. Houndji, K. B. M. Gnamien, J. Evanno, B. Affognon et D. S. Kouadio, « Logiques socioculturelles et bio-culturelles de la consommation de drogues par injection chez les usager-e-s de drogues à Abidjan (Côte d’Ivoire) », Revue africaine des sciences sociales et de la santé publique, vol. 2, n° 2, 2020, p. 89-100.
  • [25]
    Vente de boissons, de mouchoirs, de nourritures, de comprimés dans les gares routières.
  • [26]
    Interpeace et Indigo Côte d’Ivoire, Exister par le gbonhi…, op. cit., p. 27.
  • [27]
    S. K. Yao, « Nouchis, ziguéhis et microbes d’Abidjan… », art. cité, p. 92.
  • [28]
    Les termes de syndicalistes et de gnambros font directement référence à l’économie du transport urbain.
  • [29]
    Voir figure 2 dans Interpeace et Indigo Côte d’Ivoire, Exister par le gbonhi…, op. cit., p. 45.
  • [30]
    A. Baczko et G. Dorronsoro, « Pour une approche sociologique des guerres civiles », Revue française de science politique, vol. 67, n° 2, 2017, p. 317.
  • [31]
    Entretien (notes carnet) avec deux commerçantes, Abobo, Abidjan, octobre 2017.
  • [32]
    Entretien (audio) avec un chef-syndicat, Abobo, Abidjan, janvier 2019.
  • [33]
    Les gnambros et les winzins sont des figures particulières liées à l’organisation de la violence dans les gares routières à Abidjan. Voir W. K. Kra, « Ethnography of Crime in Small-Scale Public Transport Hubs in Abidjan », Les cahiers du Celhto, n° 2, 2016, p. 241-267.
  • [34]
    Entretien (audio) avec un ancien chef-syndicat et propriétaire de minibus, décembre 2018.
  • [35]
    Entretien (notes carnet) avec un responsable du comité de vigilance n° 2, Abobo, Abidjan, janvier 2019.
  • [36]
    Institut national de la statistique (INS), « Enquête des niveaux de vie des ménages à Abobo, Yopougon, et à l’Ouest », Abidjan, INS, 2011, p. 38.
  • [37]
    Ibid., p. 14, 17.
  • [38]
    S. K. Yao, « Nouchis, ziguéhis et microbes d’Abidjan… », art. cité, p. 91.
  • [39]
    Le « Projet de resocialisation des mineurs en difficulté avec la loi » a été géré par un organisme étatique, la Cellule de coordination de suivi et de réinsertion (CCSR) de 2016 à 2019.
  • [40]
    Interpeace et Indigo Côte d’Ivoire, Obstacles à la cohésion sociale et dynamiques de violence impliquant les jeunes dans l’espace urbain, Abidjan, Bureau régional pour l’Afrique de l’Ouest d’Interpeace/Indigo Côte d’Ivoire, 2015, p. 74.
  • [41]
    Maire d’Abobo de 2001 à 2018.
  • [42]
    Entretien (notes carnet) avec un doyen et un responsable de jeunes d’un quartier, Abobo, Abidjan, septembre 2017.
  • [43]
    Entretien (notes carnet) avec un policier, Abobo, Abidjan, janvier 2019. Voir aussi V. Duhem, « Côte d’Ivoire : le commandant tracteur proche de Guillaume Soro dans le viseur de la justice ? », Jeune Afrique, 31 octobre 2018.
  • [44]
    A. S. Konan, « Côte d’Ivoire : violences et contestations après la proclamation des résultats provisoires », Jeune Afrique, 16 octobre 2018.
  • [45]
    Entretien (notes carnet) avec un policier, Abobo, Abidjan, janvier 2019.
  • [46]
    Groupe de discussion (notes carnet) avec trois responsables d’un comité de vigilance, Abobo, Abidjan, janvier 2019.
  • [47]
    K. Schlichte, « Policing Africa: Structures and Pathways », in J. Beek, M. Göpfert, O. Owen et J. Steinberg (dir.), Police in Africa: The Street Level View, New York, Oxford University Press, 2017, p. 24.
  • [48]
    L. Fourchard, « Mobilisations contre le gangstérisme… », art. cité, p. 2.
  • [49]
    Entretien (audio) avec un imam de quartier, Abobo, Abidjan, novembre 2017.
  • [50]
    Entretien (notes carnet) avec un responsable du comité de vigilance n° 2, Abobo, Abidjan, janvier 2019.
  • [51]
    Groupe de discussion (notes carnet) avec 4 responsables d’un comité de vigilance, Abobo, Abidjan, septembre 2017.
  • [52]
    Entretien (audio) avec un responsable du comité de vigilance n° 4, Abobo, Abidjan, décembre 2017.
  • [53]
    Entretien (audio) avec un chef sécurité du comité de vigilance n° 2, Abobo, Abidjan, décembre 2017.
  • [54]
    S. K. Yao, « Nouchis, ziguéhis et microbes d’Abidjan… », art. cité, p. 105.
  • [55]
    Entretien (notes carnet) avec un commissaire de police, Abobo, Abidjan, décembre 2017.
  • [56]
    Une commission d’intermédiaire.
  • [57]
    J. C. Scott, Domination and the Arts of Resistance: Hidden Transcripts, New Haven, Yale University Press, 1990.
  • [58]
    A. Blondy, « Brigadier Sabari », Jah Glory, 1982.
  • [59]
    Groupe de discussion (notes carnet) avec 4 responsables d’un comité de vigilance, Abobo, Abidjan, septembre 2017.
  • [60]
    Entretien (notes carnet) avec un tenancier de bar, Abobo, Abidjan, janvier 2019.
  • [61]
    Entretien (audio) avec un responsable du comité de vigilance n° 2, Abobo, Abidjan, janvier 2019.
  • [62]
    Surnom modifié. Entretien (audio) avec un membre d’un comité et co-gérant d’un fumoir, Abobo, Abidjan, janvier 2019.
  • [63]
    Entretien (audio) avec un chef sécurité d’un comité de vigilance, Abobo, Abidjan, octobre 2017.
  • [64]
    Groupe de discussion (notes carnet) avec 3 responsables d’un comité de vigilance, Abobo, Abidjan, janvier 2019.
  • [65]
    Entretien (audio) avec un membre du comité de vigilance n° 1, Abobo, Abidjan, octobre 2017.
  • [66]
    Entretien (notes carnet) avec deux commerçantes, Abobo, Abidjan, octobre 2017.
  • [67]
    Entretien (audio) avec un délinquant, Abobo, Abidjan, mars 2019.
  • [68]
    Nous remercions Laurent Gayer pour cette remarque.
  • [69]
    C. Castoriadis, L’institution imaginaire de la société, Paris, Seuil, 1975.
  • [70]
    C’est-à-dire des pratiques magico-religieuses de protection avant d’aller à un combat.
  • [71]
    Après la décision du Conseil constitutionnel du 28 novembre 2010 de déclarer Laurent Gbagbo vainqueur de l’élection présidentielle, les forces de défense et de sécurité loyales au pouvoir de Laurent Gbagbo étaient confrontées à une opposition de nombreux citoyens d’Abobo soutenant Alassane Ouattara. Rapidement, les forces de l’ordre perdent le contrôle de la commune. Le risque d’un long affrontement était alors une perspective souvent évoquée, même s’il cela n’a pas eu lieu avec l’arrestation de Laurent Gbagbo le 11 avril 2011.
  • [72]
    Entretien (notes carnet) avec un responsable du comité de vigilance n° 3, Abobo, Abidjan, septembre 2017.
  • [73]
    Ce groupe a participé à une insurrection dans la commune d’Abobo, majoritairement pro-Ouattara, pendant la crise post-électorale de 2010-2011.
  • [74]
    Entretien (notes carnet) avec un commissaire de police, Abobo, Abidjan, décembre 2017.
  • [75]
    Entretien (audio) avec un membre d’un gbonhi, Abobo, Abidjan, janvier 2019.
  • [76]
    Entretien (audio) avec un membre d’un comité et co-gérant d’un fumoir, Abobo, Abidjan, janvier 2019.
  • [77]
    Ibid.
  • [78]
    K. P. N’Goran et K. D. Gbékè, « Les “microbes” en Côte d’Ivoire : l’impasse sécuritaire face à la criminalité urbaine », Bulletin FrancoPaix, vol. 4, n° 9-10, 2019, p. 5-9.
  • [79]
    Des protections magiques contre les armes à feu.
  • [80]
    Des protections magiques contre les armes blanches comme les couteaux ou les machettes.
  • [81]
    Entretien (audio) avec un membre d’un comité et co-gérant d’un fumoir, Abobo, Abidjan, janvier 2019.
  • [82]
    Ibid.
  • [83]
    Entretien (audio) avec un ancien délinquant, Abobo, Abidjan, janvier 2018.
  • [84]
    Entretien (audio) avec un gnambro, Abobo, Abidjan, décembre 2018. Une observation similaire était réalisée chez les « brouteurs » abidjanais, voir B. Koenig, « Les économies occultes du “broutage” des jeunes Abidjanais : une dialectique culturelle du changement générationnel », Autrepart, n° 71, 2014, p. 195-215.
  • [85]
    J. Hellweg, Hunting the Ethical State: The Benkadi Movement of Côte d’Ivoire, Chicago, University of Chicago Press, 2011.
  • [86]
    Entretien (audio) avec un responsable du comité de vigilance n° 5, Abobo, Abidjan, octobre 2017.
  • [87]
    Entretien (audio) avec un membre du comité de vigilance n° 2, Abobo, Abidjan, octobre 2017.
  • [88]
    Entretien (notes carnet) avec un responsable d’une association de jeunesse, Abobo, Abidjan, décembre 2018.
  • [89]
    Entretien (audio) avec un policier, Abobo, Abidjan, septembre 2018.
  • [90]
    M. Dobry, « Valeurs, croyances et transactions collusives. Notes pour une réorientation de l’analyse de la légitimation des systèmes démocratiques », in J. Santiso (dir.), À la recherche de la démocratie. Mélanges offerts à Guy Hermet, Paris, Karthala, 2009, p. 115.
  • [91]
    J. Siméant, « “Économie morale” et protestation – détours africains », Genèses, n° 81, 2010, p. 157.
  • [92]
    J. Roitman, « The Ethics of Illegality in the Chad Bassin », in J. Comaroff et J. L. Comaroff, Law and Disorder in the Postcolony, Chicago, University of Chicago Press, 2008, p. 249.
Français

Les fumoirs comme lieux d’échange et de consommation de différentes drogues en Côte d’Ivoire sont devenus avec le temps des institutions sociales. Dans la commune d’Abobo à Abidjan, ceux-ci sont une partie intégrante d’une économie de la violence qui s’est construite sur le terreau d’un ghetto social, renforcée par l’effet paroxystique de la guerre. Les relations d’interdépendance construites autour de ces fumoirs constituent des configurations réunissant une diversité d’acteurs, façonnant l’ordre social. La légitimité des fumoirs se négocie ainsi à travers des pratiques à la fois coercitives et morales. Ce sont des rapports de force, mais aussi une production de sens via des relations magico-religieuses.

Maxime Ricard
Institut de recherche stratégique de l’École militaire (Irsem), France
Kouamé Félix Grodji
Université Alassane Ouattara de Bouaké, Côte d’Ivoire
Cette publication est la plus récente de l'auteur sur Cairn.info.
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Mis en ligne sur Cairn.info le 21/10/2021
https://doi.org/10.3917/polaf.163.0023
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