CAIRN.INFO : Matières à réflexion

1Les prisons en Afrique sont très souvent appréhendées sous le registre des manques (domaine de l’alimentation, de la santé) ou des excès (violence, promiscuité). Si les taux d’incarcération sur le continent se révèlent extrêmement divers, de fait, d’un pays à l’autre et le plus souvent dans les grandes villes, certaines prisons se signalent par une surpopulation importante et le maintien en détention d’une majorité de prévenus, en attente de jugement [1]. Un tel constat, dans un contexte plus large d’appel à la consolidation de l’État de droit, a suscité une pluralité d’actions visant une réforme du secteur de la justice et, par voie de conséquence, de la prison : déclarations continentales sur les conditions de détention, programmes européens pour leur amélioration, accords de coopération bilatéraux et expertises [2]. Cette situation invite à sortir d’une vision centrée sur l’objet carcéral pour envisager l’emprisonnement et l’enfermement dans un champ plus large, notamment celui du développement. L’entrée par la relation entre travail et enfermement permet ce déplacement. Elle autorise à saisir ce que la prison produit, en termes économique, de discipline et de relations. Cet article propose donc de discuter de la dialectique entre mise au travail et pratiques punitives. L’analyse est menée en prenant appui prioritairement sur les données de trois enquêtes de terrain [3].

2Romain Tiquet s’est intéressé au travail forcé et à la main-d’œuvre pénale dans le Sénégal colonial, plus particulièrement sur la période de l’entre-deux guerres [4]. Dans son analyse de l’espace carcéral camerounais, Marie Morelle a abordé la problématique du travail sous plusieurs angles : celui, informel, développé par les détenus à des fins de subsistance en prison, comme celui mis en place par les autorités ou dans des programmes de développement visant à punir ou à amender les prisonniers, parfois simplement à les nourrir [5]. Enfin, Sabine Planel s’est heurtée à la question carcérale et, plus largement, de l’enfermement en étudiant la mise en œuvre des politiques publiques de développement agricole et l’usage de la coercition à l’égard de paysans éthiopiens contraints de s’endetter pour acquérir de l’engrais, puis sommés de rembourser leurs dettes [6]. Chacune de ces enquêtes éclaire donc un aspect de la relation entre travail et enfermement, qu’elle soit à visée punitive, coercitive, de réinsertion ou encore qu’elle cherche plus pragmatiquement à améliorer les conditions de détention.

3Historiquement, la pénalité s’articule, en Afrique, au projet économique et politique de la colonisation. La question du travail, libre et forcé, irrigue l’entreprise coloniale sur fond d’appropriation et d’exploitation des espaces et de contrôle des populations [7]. Ces dernières sont le plus souvent réduites à leur force de travail, qu’il s’agisse de l’esclavage dans les plantations, de la déportation d’Européens dans des colonies de peuplement ou de la mise au travail, pénal ou non, des populations colonisées [8]. L’usage punitif du travail est alors principalement pensé depuis les métropoles. Rusche et Kirchheimer [9] montrent ainsi comment la déportation a été l’un des moyens de gérer la pauvreté et la criminalité en métropole. Cependant, d’autres auteurs [10] envisagent la place du travail dans la manière de gouverner les colonies et questionnent les registres punitifs comme d’autres modes de régulation du travail (contractuel par exemple). Il importe dans cet article de conduire une discussion rarement entreprise sur la relation entre mise au travail et régime des peines au-delà des métropoles.

4Toutefois, la réflexion croisée sur le travail et l’enfermement ne se limite pas à la seule période coloniale, et cet article n’adopte pas une chronologie qui serait surdéterminée par le fait colonial [11]. Il convient ainsi de s’intéresser à d’autres formes d’enfermement extra-pénales contemporaines et aux rationalités qui les sous-tendent.

5Le croisement des approches disciplinaires, à partir de trois pays principaux, favorise un tel décentrement et incite à formuler une série de questionnements transversaux sur ce qu’est le travail en prison, et inversement sur ce que l’enfermement révèle des rapports de production et de mise au travail dans une société donnée. Pour autant, cette mise en dialogue n’a pas prétention à faire de chacun des cas d’étude un résumé de l’ensemble des situations existantes en Afrique. Ces trois situations ne présupposent ni une continuité historique, ni une homogénéité de la relation entre travail et enfermement à l’échelle continentale, et n’ont pas non plus vocation à constituer une situation type. À l’inverse, cette mobilisation croisée de situations diverses nous permet d’insister sur la profondeur des liens entre travail et enfermement et d’en éprouver la consistance.

6Nous nous intéressons tout d’abord aux finalités productives de la relation entre enfermement et travail. Au-delà de cette production effective (du moins attendue) de biens et de services par la main-d’œuvre carcérale, il est nécessaire de saisir les effets sociaux et politiques d’une telle mise au travail, en dépassant le périmètre de la seule institution pénitentiaire. C’est aussi une population disciplinée qui est produite à travers les dispositifs croisant enfermement et travail, et ce de façon récurrente. Ce processus invite donc à saisir l’empreinte de la prison dans les rapports sociaux et de pouvoir par-delà les murs.

Mise au travail des populations et prison : une relation d’intérêts croisés

7Entre ruptures et va-et-vient, quels que soient les espaces et les époques étudiées, la mise au travail interfère avec la prison, et plus largement avec l’enfermement. À cet égard, l’ouvrage de Rusche et Kirchheimer [12] fait fi ure de précurseur dans l’étude de leur relation. Les auteurs invitent à penser l’institution pénitentiaire et, plus largement, les normes punitives et leur matérialité en relation avec les contextes socio-économiques et politiques dans lesquels elles sont produites et appliquées. Selon eux, « à une phase donnée de développement économique correspond un mode spécifique de punition [13] » et, en conséquence, des pratiques spécifiques de mise au travail. Si l’histoire du travail et de ses liens avec les systèmes de production économique invite à investir la relation entre travail et enfermement à partir de circulations économiques mondialisées, passées et contemporaines, il demeure nécessaire de réfléchir à partir d’autres pays et aires que l’Europe, largement privilégiée dans les travaux menés.

8Premièrement, peu d’auteurs – en majorité historiens – se sont penchés sur les prisons et l’enfermement d’une part [14], et sur le travail pénal d’autre part [15] en Afrique. Ils envisagent rarement les interrelations entre les deux phénomènes sur la longue durée ou sur des temps plus courts, ce que nous proposons de faire ici à partir de plusieurs cas situés tant géographiquement que chronologiquement – Empire colonial français (Sénégal et Cameroun), Sénégal des années 1960 et Éthiopie contemporaine.

9Deuxièmement, la prison et ses détenus sont souvent pensés comme partie prenante de l’exploitation de ressources et de la production de biens et de services. Dans ce cas, ce n’est pas seulement l’institution pénitentiaire qui fournit une main-d’œuvre à bas coût, ce sont aussi diverses productions qui doivent garantir son fonctionnement en retour, afin de contribuer à son autonomie financière et matérielle, et de légitimer ainsi son existence. En écho à cette double histoire de la pénalité et de la mise au travail, il paraît utile de saisir la manière dont cette relation s’incarne aujourd’hui, toujours dans un souci de maintien et de légitimation de l’institution pénitentiaire, en dépit de ses remises en cause récurrentes [16].

Enfermer et punir pour mieux produire

10L’histoire des lieux d’enfermement en Afrique précède généralement celle des établissements pénitentiaires en tant que tels. Captifs de guerre, esclaves et razziés sont les premiers prisonniers de l’histoire du continent, qu’il s’agisse d’enfermer dans des barracons des individus rendus esclaves pour les traites négrières atlantique, saharienne ou orientale, ou de les mettre au travail in situ dans le cadre d’États centralisés (sultanats, royaumes, empires [17]). Ce lien entre enfermement et travail existe durant la période coloniale où la question de la gestion de la main-d’œuvre constitue la pierre angulaire de l’économie politique coloniale sur le continent africain, la « conquête » coloniale et sa pérennisation étant en premier lieu liée à l’exploitation des ressources des territoires [18]. Les colonies sont administrées suivant des lois d’exception générant une confusion entre pouvoir administratif et pouvoir judiciaire [19]. Dans ce contexte, la prison a d’autant plus d’intérêt qu’elle permet de fournir une main-d’œuvre à bas coût pour les chantiers publics et privés des colonies. Dans l’Empire français par exemple, celui ou celle qui refuse de travailler est enfermé au titre du Code de l’indigénat et (re)mis au travail [20]. En parallèle, celles et ceux qui sont incarcérés pour des motifs pénaux se voient à leur tour contraints de travailler. Ainsi, l’arrêté du 8 juillet 1933 portant réglementation du régime pénitentiaire au Cameroun, administré par la France, indique-t-il en son article 37 que « les prisonniers indigènes, condamnés et détenus administratifs, sont astreints au travail », tandis que l’article 38 précise que « des cessions de main-d’œuvre pénale peuvent être faites à l’intérieur du territoire soit aux services publics, soit aux particuliers [21] ».

11Tandis que l’on appelle à l’humanisation des peines en contexte démocratique en Europe, ce sont ces mêmes États européens qui réduisent les corps des colonisés à leur force de travail, à des fins d’exploitation territoriale et au bénéfice d’un ordre capitaliste mondialisé [22]. En situation coloniale, la mise au travail est présentée comme un devoir moral de la nation colonisatrice dans le cadre de sa « mission civilisatrice [23] ». Dans l’Empire français en Afrique, l’administration justifie ainsi les corvées pénales, tout autant comme un moyen d’éducation au travail que comme une transition nécessaire entre l’esclavage (couramment dépeint comme intrinsèque aux sociétés « indigènes » par le colonisateur) et le travail libre (entendons salariat) – signe de la modernité pour ces mêmes colonisateurs [24].

12Cette mise à disposition à des fins productives des détenus, et plus largement des prisons, répond surtout à une volonté de minimisation des coûts de production. L’utilisation de la main-d’œuvre pénale coloniale doit par exemple permettre un emploi de travailleurs corvéables à merci sur les chantiers publics des colonies. C’est dans cet esprit que sont mis en place, au milieu des années 1930 dans la colonie du Sénégal, trois camps pénaux mobiles, se déplaçant au gré des chantiers routiers du territoire et employant les détenus pour des travaux de construction [25]. Le coût annuel de l’entretien d’un des camps pénaux est évalué par l’administration coloniale à 300 000 francs pour 100 kilomètres de routes (entretien des détenus et des surveillants, déplacement du camp, etc.). En comparaison, les mêmes travaux réalisés par une entreprise privée s’élèvent à 625 000 francs, soit deux fois plus qu’avec le camp pénal. Cet exemple démontre ainsi tout l’intérêt économique de l’utilisation de la main-d’œuvre pénale pour l’entretien des routes du territoire [26]. L’administration coloniale au Sénégal va même plus loin en fusionnant les trois camps en un seul (dans la région de Koutal) pendant la Seconde guerre mondiale afin de « céder » à la plus grosse saline privée du pays les prisonniers pour augmenter la production de sel et contribuer à l’effort de guerre. Le camp pénal continuera à fournir des prisonniers à cette entreprise privée jusqu’en 1956, soit dix années après l’abolition du Code de l’indigénat et la suppression théorique du travail forcé en 1946 [27].

13L’emplacement du camp pénal sera par la suite réutilisé à la fin des années 1960 par le gouvernement de Léopold Sédar Senghor qui y ouvre en 1967 un village d’internement de « lépreux délinquants et réfractaires au traitement ». Outre l’aspect sanitaire de ce nouveau lieu d’enfermement, l’ouverture de ce village d’internement s’inscrit plus largement dans la volonté du gouvernement sénégalais de contrôler et de punir des catégories de populations considérées comme des freins à la construction nationale dans un contexte de demande de mobilisation en travail pour le développement du pays [28]. Sans pour autant adopter un mimétisme simpliste, en prenant l’exemple du discours sur le travail élaboré par le gouvernement sénégalais après l’indépendance du pays en 1960, on peut noter plusieurs emprunts, tant dans le vocabulaire que dans les pratiques de mise au travail, hérités directement de la période coloniale.

14Un discours sur le travail envisagé comme libérateur et désaliénant – en rupture avec le travail forcé colonial – est tenu par de nombreux gouvernements africains. Cette dialectique produit un effet d’inclusion et d’exclusion en érigeant le travail comme bonheur social, mais aussi comme « baromètre » par le biais duquel se mesure le degré de participation à la construction nationale et à l’adhésion au projet politique – la participation des populations étant envisagée comme la condition sine qua non du processus de développement [29].

15Le travail est érigé en symbole d’intégration sociale et décrit comme une exigence morale et sociale pour la construction nationale. Après l’indépendance, les autorités sénégalaises stigmatisent ainsi la paresse et l’oisiveté. Dans un article du journal Paris-Dakar proche du gouvernement de Léopold Sédar Senghor et de Mamadou Dia, le journaliste appelle à « éliminer la paresse connue chez l’Africain – celle de ne rien faire et vouloir gagner de l’or [30] ». Cette dialectique n’est pas sans rappeler la rhétorique coloniale qui fonde son argumentation sur la dénonciation de la paresse, décrite comme quasi inhérente à la nature même de « l’indigène ». Tout un vocabulaire est ainsi utilisé dans le discours des autorités sénégalaises pour dénoncer l’absence de participation au projet national d’un ensemble de populations érigées en véritables « classes dangereuses » pour la construction du « socialisme sénégalais ». Des « fléaux sociaux » aux « encombrements humains », les vagabonds, les alcooliques, les prostituées, les lépreux, les jeunes inactifs ou encore les malades mentaux continuent de faire l’objet d’une stigmatisation et d’une répression de la part du gouvernement sénégalais [31]. Dès lors, à travers cette rhétorique volontariste et productiviste instituant un « devoir de travail », l’État sénégalais se positionne lui aussi comme une autorité civilisatrice, non plus pour la « mise en valeur des colonies », mais au nom du développement national.

16On retrouve d’ailleurs la même dynamique appliquée aux services civiques mis en place au Sénégal, mais aussi un peu partout sur le continent après les indépendances. En effet, de nombreux États africains, souvent appuyés par leur armée, proposent des formes d’encadrement de la jeunesse afin de la faire participer au développement national. Dans un contexte de lutte contre le chômage et la déruralisation de la jeunesse, des services civiques nationaux sont mis en place afin de fournir à des milliers de jeunes une formation physique, professionnelle et civique. Cependant, comme l’ont montré plusieurs auteurs, ces initiatives ont souvent été détournées de leur ambition initiale – la formation – pour se concentrer sur la mise au travail gratuite des jeunes, employés sur les chantiers publics et privés des nouveaux États [32].

17Cet enchevêtrement des économies, tant politiques que morales, du travail et de la punition répond donc à des transformations normatives, à l’évolution des relations de production et à celle des rapports de pouvoir, à l’échelle de diverses entités politiques comme à celle de l’histoire globale et d’une économie mondialisée. La peine et la prison y apparaissent comme des instruments de contrôle social et de gouvernement [33]. Elles permettent aux pouvoirs en place d’intervenir dans la régulation de la main-d’œuvre et du travail, éventuellement en articulation avec la gestion de la pauvreté, de la criminalité et des formes de criminalisation. Or, cette double connexion entre mise au travail d’individus et punition d’une part, civilisation, amendement et réforme morale d’autre part, n’est pas absente de débats plus récents sur le sens et la portée de la peine de prison.

Prison et développement : rationalités et empreintes contemporaines de la mise au travail

18Nous constatons l’existence d’une volonté de mise au travail en prison dans la période actuelle. Toutefois, il importe d’en considérer les modalités et les justifications contemporaines. S’agit-il de réinsérer des individus, de développer la production économique et d’exploiter une main-d’œuvre bon marché, ou encore de surveiller les populations ? L’ambiguïté subsiste.

19Des recherches récentes se sont intéressées à la place de la prison pénale dans la régulation des illégalismes populaires, dans un contexte de crise de l’emploi et de déploiement des idéologies néolibérales [34]. Par ailleurs, certains auteurs ont analysé le rôle de la prison et de l’expérience carcérale dans la fabrique locale d’une économie informelle et criminelle, et sa cohabitation avec une offre salariale exsangue [35]. Enfin, un certain nombre d’études démontrent comment l’enfermement, au-delà de l’institution pénitentiaire, continue de marquer de son empreinte la régulation du marché du travail, de la main-d’œuvre, et finalement la gestion des populations, comme par exemple les camps de travailleurs migrants [36]. Le continent africain demeure néanmoins un espace à investir par de telles recherches, aussi bien entre les murs de l’institution pénitentiaire qu’au-delà.

20Au Sénégal aujourd’hui, certaines prisons sont présentées comme des sites agricoles du Programme national des domaines agricoles communautaires (Prodac). Ce programme a pour vocation de promouvoir l’emploi en milieu rural, l’entrepreneuriat agricole et de lutter contre l’insécurité alimentaire dans le cadre d’une « politique de l’émergence [37] ». Sur un modèle similaire à l’expérience inachevée de la prison de Sébikotane [38], des fermes de prison doivent être mises en place et bénéficier d’un accompagnement technique et de la mise à disposition de semences et de produits phytosanitaires. Déjà en 2008, l’ancien ministre de la Justice Madické Niang considérait les prisons du pays en ces termes :

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« Nos prisons constituent un réservoir de main-d’œuvre considérable. Et en acceptant de travailler, les détenus deviennent de véritables acteurs de la production nationale ce qui facilitera leur insertion dans la vie sociale [39]. »

22Malgré l’existence d’autres offres d’activités professionnelles, l’activité agricole semble être imposée à certains détenus au bénéfice de la défense des orientations nationales en termes de développement rural. Dès lors, les détenus sont-ils les entrepreneurs de demain dans le cadre du développement du pays ou mis au travail sous contrainte, alors justifiée par leur nécessaire réinsertion sociale ?

23Cette quête de réduction des coûts joue aussi en faveur du fonctionnement de l’institution pénitentiaire dont la charge financière n’a cessé d’être discutée, à travers les siècles et les configurations politiques, et d’un pays à un autre. Déjà, au Cameroun français, le régime pénitentiaire de 1933 anticipe les dépenses et projette de les réduire en mettant au travail les détenus :

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« Indépendamment des corvées habituelles, les prisonniers doivent être employés chaque fois que faire se peut à des travaux productifs : confection de nattes, cordes, stores, etc., pour les détenus employés à l’intérieur de la prison ; fabrication de chaux, briques, préparation de bois de chauffage, extraction de pierre, etc., pour ceux qui peuvent travailler à l’extérieur. […] Afin d’assurer dans de bonnes conditions l’approvisionnement en vivres destinés aux détenus, des cultures vivrières appropriées à chaque région doivent être effectuées par la main-d’œuvre pénale aux abords de chaque prison [40]. »

25Dans ce même pays, aujourd’hui, il est à noter que le recours au travail est toujours envisagé comme une piste pour réduire les coûts de fonctionnement, ou plus exactement pour substituer la force de travail des détenus à la faiblesse des budgets de l’administration pénitentiaire [41]. C’est ainsi que, récemment encore, le Pacdet II [42], projet financé majoritairement par l’Union européenne en partenariat avec l’État camerounais dans les années 2010, promeut le développement d’activités génératrices de revenus dans les prisons, dans les domaines agricole et de l’élevage. S’il s’agit désormais de prôner l’amélioration des conditions de détention et non de chercher ouvertement à autonomiser l’institution, il n’en demeure pas moins que ces actions visent à améliorer son fonctionnement. Plus précisément, en luttant contre les manques affectant la santé des détenus (carences alimentaires et nutritionnelles en premier lieu), l’objectif est de rendre effectif et crédible un « bon fonctionnement » de la prison.

26L’Éthiopie appelle quant à elle à se décentrer de la seule prison afin de penser de façon plus large la relation entre enfermement et travail, suivant d’autres attendus propres au contexte socio-politique national actuel. On y observe un usage politisé – « développemental » selon la terminologie officielle – de l’enfermement pour la mise au travail des paysans [43] qui répond à une rationalité économique, mais plus encore à une injonction politique de contrôle des populations. L’action publique contemporaine sert ainsi une ambition plurielle : une planification économique qui a évolué ces dernières années de l’autosuffisance alimentaire à la constitution d’un marché intérieur et d’un projet politique d’encadrement et de mobilisation des populations par l’État-parti. Dans les campagnes en particulier, la transformation des pratiques agricoles doit exprimer le soutien des paysans au gouvernement, et permet la mobilisation et la surveillance de ces populations. La mise au travail doit donc être opérée en stricte conformité avec les consignes gouvernementales déclinées en objectifs chiffrés et individualisés de recours aux intrants.

27Au « devoir de travail » brandi par l’État sénégalais dans les années 1960, le régime éthiopien actuel substitue un devoir « de bien travailler » et impose un respect scrupuleux des consignes gouvernementales [44]. Tout paysan qui ne respecte pas les bonnes pratiques culturales, qui n’utiliserait pas les bonnes quantités d’engrais décidées par les agents de développement locaux du ministère de l’Agriculture, tout individu qui ne rembourserait pas la dette alors contractée pour acquérir ces mêmes engrais, est soumis à une peine administrative ou judiciaire. Officiellement, « le recouvrement des taxes, des dettes dont celles liées à l’engrais, ou la répression de crimes, c’est-à-dire faire respecter la loi en en respectant les principes [45] », constituent les seuls cas où l’usage de la contrainte [46] sur les populations locales est justifié. Dans la pratique cependant, les cas sont beaucoup plus nombreux et concernent plus largement la mise au travail agricole, et particulièrement l’achat de l’engrais à crédit et son remboursement. À cette fin, l’enfermement peut relever d’une décision judiciaire. Pour les paysans en défaut de paiement, il s’agit le plus souvent d’une peine de contrainte par corps donnant lieu à 6 mois de détention, souvent écourtée dès que le paysan peut rembourser sa dette. Depuis quelques années toutefois, le nombre de peines de prison liées à la « dette de l’engrais » se réduit. À l’inverse, celles pour corruption ou pour trafic d’engrais au marché noir augmentent. Si elles ne contraignent que quelques individus, elles opèrent comme une menace pour le plus grand nombre et sont régulièrement utilisées par les autorités locales pour mobiliser les paysanneries [47]. Par ailleurs, l’enfermement relève aussi d’un processus coercitif. Il ne s’agit plus d’une décision judiciaire mais d’un usage développé par les fonctionnaires locaux pressés de remplir leurs objectifs et qui enferment les paysans nuitamment pour les contraindre à s’enregistrer formellement sur les listes des futurs bénéficiaires de l’engrais. Ainsi, si la contractualisation des relations entre l’État et les populations dans le cadre d’une formalisation des dispositifs développementaux organise la pénalisation de l’activité paysanne [48], elle n’homogénéise pas pour autant les pratiques de l’enfermement. Dans ce contexte, le recours à l’enfermement exprime la politisation de la mise au travail, la mobilisation des populations et relève bien d’un mode de gouvernement – sur ce point comparable aux formes du gouvernement colonial observées antérieurement au Sénégal et ailleurs sur le continent. L’usage de la coercition dans l’action publique développementale traduit alors l’asymétrie du rapport de pouvoir entre gouvernants et gouvernés tel qu’il se construit en Éthiopie.

28À travers ces cas, nous observons la récurrence des usages de l’enfermement, pénal et extra-pénal, à des fins de mise au travail des populations et d’exploitation des ressources, quand bien même on ne saurait ignorer les ratés et les failles de tels dispositifs et les pratiques de résistances des individus [49]. Dans ce cadre, la peine de prison s’avère un pivot essentiel de cette articulation entre travail et enfermement. Si elle sert des systèmes productifs, en retour, la mise au travail des détenus bénéficie à sa permanente légitimation, qu’il s’agisse d’en montrer l’intérêt économique, de permettre l’abaissement du coût de fonctionnement de l’institution, ou encore d’assurer le contrôle des populations. La prison et les autres lieux d’enfermement s’avèrent être des sites de production à plus d’un titre : espaces de production d’une richesse, avec l’utilisation d’une main-d’œuvre contrainte, mais aussi espaces de production d’une discipline et de son incorporation [50].

Enfermement, travail et assujettissement

29L’entrée par la mise au travail incite à penser l’enfermement dans ses dimensions matérielles comme symboliques, à l’intérieur comme à l’extérieur de la prison. Quelles sont les frontières et, inversement, quelles sont les porosités des institutions qui enferment [51] ? Dans quelle mesure peut-on saisir leur mise en réseau, révélant une certaine empreinte carcérale sur un ensemble d’institutions et d’espaces sociaux ?

Quand la mise au travail reconfigure les formes et les frontières de l’enfermement

30La mise au travail des populations pose la question concrète du contrôle des mobilités et des formes matérielles d’enfermement. Le travail contraint, à portée punitive ou non, implique le plus souvent de sortir d’une prison, d’un camp (quand celui-ci n’est pas tout simplement mobile). Il concerne aussi bien la construction d’infrastructures et d’équipements (le chemin de fer ou les routes par le recours aux corvées) que des activités de production (plantations). Tout l’enjeu est de concilier l’impératif de production à celui de la sécurité [52].

31Par exemple, l’architecture des camps pénaux sénégalais et leur fonctionnement soulèvent un paradoxe central de l’enfermement en situation coloniale, entre ouverture et fermeture : « Le but à atteindre est d’obtenir des prisonniers à la fois le rendement et la qualité du travail, tout en les maintenant sur un espace réduit afin que la surveillance reste efficace [53]. » Comment garantir une surveillance efficace dès lors que les nécessités économiques du travail envoient les détenus en dehors de la prison, sur des chantiers où l’évasion est rendue possible ?

32Un débat à ce propos anime l’administration coloniale locale au Sénégal à la fin des années 1930. Deux pistes sont proposées pour accroître la surveillance tout en conservant le rendement au travail : augmenter le nombre de gardes ou enchaîner les détenus deux par deux sur les chantiers. La première solution, pour des raisons budgétaires évidentes, n’est pas privilégiée. L’enchaînement des détenus est préféré car il permet de laisser les détenus travailler sur les chantiers, mais les entrave partiellement s’ils décident de fuir [54].

33Dans le contexte du Sénégal colonial, la logique économique de production et de « mise en valeur » des territoires prime ainsi sur le projet pénitencier de surveillance et de réforme morale, faisant apparaître les camps pénaux comme le lieu d’un enfermement ouvert. La prison apparaît à la fois comme un espace clos sous surveillance et un lieu de circulation des détenus entre la prison, lieu de d’enfermement spatial, et les chantiers routiers, espace ouvert de travail.

34Le travail ne doit pas être entendu dans sa seule dimension punitive, mais aussi thérapeutique et éducative. Ces finalités diverses et contradictoires invitent à se décentrer des seuls prisons et camps pénaux. Il ne s’agit plus seulement de dessiner les frontières comme les mobilités qui les fondent et les structurent. Il est aussi question de voir comment ces institutions pénales essaiment ou cohabitent avec d’autres formes et espaces d’enfermement. Ainsi, toujours à l’époque coloniale, le travail sous contrainte se déploie aussi sous la forme de camps extra-pénaux : camps de travail, et également camps de médecins (léproseries, camps de « sommeilleux ») [55].

35Au Soudan français (actuel Mali), alors intégré à l’AOF, des camps de travail de plusieurs milliers de recrues provenant de la deuxième portion du contingent militaire sont installés, de la fin des années 1920 jusqu’à la veille de l’indépendance du pays, près des chantiers publics et privés du territoire colonial. Il s’agit d’une réserve de soldats (le premier contingent est enrôlé dans l’armée après recrutement) mobilisés pendant deux années pour la mise en valeur des colonies. Les camps de la deuxième portion s’inscrivent dans le cadre d’un panel d’instruments ordinaires de maintien de l’ordre utilisé par les autorités coloniales pour encadrer et discipliner les populations « indigènes ». Ils sont pensés comme une hétérotopie, au sens foucaldien du terme : un espace qui obéirait à un type précis et spécifique d’organisation et de règles sanitaires et disciplinaires. Outre leur intérêt économique, ces camps ont un objectif social : promouvoir un certain ordre et une éducation au travail dans le cadre de la « mission civilisatrice ». Principalement du fait d’un budget restreint, la réalité demeure toute autre. Le camp de travail apparaît avant tout comme un lieu d’enfermement spatial et social, les recrues vivant dans des conditions misérables, où l’insalubrité et la violence quotidienne règnent, entraînant de nombreuses maladies et des décès [56].

36Ces constats tirés du passé invitent à regarder attentivement les logiques contemporaines de mise au travail. Par exemple, aujourd’hui au Cameroun, on relève la même oscillation entre un impératif de production et de sécurité, et ses effets sur les formes de la prison. Le régime pénitentiaire de 1992 prévoit l’existence de prisons de production [57]. La réactivation du travail aux champs est envisagée comme une mesure permettant une amélioration des rations pénales et, pour certains acteurs, comme une activité visant une réinsertion des détenus. Le Pacdet II précédemment mentionné fait de la réinsertion une autre des justifications du financement d’activités agricoles. Toutefois, de tels projets se heurtent à la réalité des évasions. Ainsi un rapport d’évaluation de l’Union européenne en fait part :

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« La prison de Buea dispose à 35 km environ d’un champ de 2 ha (banane plantain et manioc) sur un terrain d’une trentaine d’ha destiné en principe à accueillir dans l’avenir le siège définitif de l’Enap [École nationale d’administration pénitentiaire] ainsi que la future prison centrale de la région, cependant cette activité agricole a été quasiment “gelée” en raison des évasions de détenus acheminés pour y travailler [58]. »

38Ces exemples appellent à reconsidérer la matérialité des dispositifs d’enfermement, et particulièrement leur délimitation. Il est nécessaire de réfléchir à la porosité des institutions qui enferment, en premier lieu la prison, que l’on peut d’une certaine manière considérer comme un « système ouvert [59] » fait d’interactions avec les autorités, les entreprises, les habitants et ancré dans des rapports de pouvoir. Plus largement, pénalité corporelle, enfermement administratif, prison pénale… sont autant d’exemples qui révèlent l’empreinte carcérale sur une société donnée à travers la mise au travail et qui appellent à dépasser l’appréhension de la prison comme un univers clos et autonome [60]. L’enfermement doit alors être pensé comme la mise en correspondance de lieux et de pratiques coercitives et disciplinaires [61], dont les niveaux de contraintes sont plus ou moins incorporés, selon les époques et les situations politico-sociales, à des fins de gouvernement des populations.

Gouverner et assigner les populations

39Les exigences administratives et les formes de mises au travail en situation coloniale (impôts, cultures obligatoires, prestations, etc.) participent d’une logique disciplinaire. Quand les individus arrivent malgré tout à passer entre les mailles de ce système de contrainte généralisée, les sanctions prévues envoient les populations en prison. Au Gabon colonial par exemple, la peine de prison est devenue un réflexe pour les administrateurs coloniaux face aux refus des populations de se soumettre aux obligations. En 1914, un officiel colonial résume cet état de fait en ces termes :

40

« Bien sûr, j’aurais préféré mettre les populations à l’amende, mais comment auraient-elles pu me payer ? Au final, j’aurais été obligé d’emprisonner les mauvais payeurs. Autant, donc, les emprisonner tout de suite [62]. »

41La prison coloniale prend donc part à la construction des populations « indigènes » comme objet de pouvoir [63]. Par exemple, elle conserve et renforce les hiérarchies raciales mises en place par les autorités pour asseoir leur domination. La prison apparaît dans bien des cas comme un espace de cloisonnement racial sans réelle perspective pénitentiaire [64]. La législation de 1927 qui réglemente le travail pénal en Afrique occidentale française (AOF) met ainsi en place une politique ségrégative, distinguant les détenus indigènes – sujets français – des détenus citoyens français – Européens ou citoyens des quatre communes. Cette distinction s’opère dans le quotidien carcéral puisque les détenus européens ou assimilés ne sont soumis au travail pénal qu’à leur demande et ont des cellules séparées. Il faut à la fois montrer que la loi s’applique à tous, tout en réaffirmant le traitement différencié qui existe entre Européens et « indigènes ».

42Cette fabrique des individus que permettent à la fois le travail et la prison, et plus encore la convergence des deux, se décline ainsi selon les époques et les contextes. En Éthiopie, c’est bien une logique disciplinaire qui régule le travail agricole en l’inscrivant dans la mécanique autoritaire et routinisée d’une mise en œuvre des politiques publiques [65]. L’emprisonnement judiciaire se confond ainsi avec l’enfermement administratif. Les enquêtes de terrain révèlent que des agents de l’État ont un recours plus ou moins différencié aux amendes, à une saisie des biens, à des peines d’emprisonnement de 6 mois ou de plusieurs années [66], à des gardes à vues prolongées et à un usage dissuasif de l’enfermement dans des locaux de l’administration locale. À ces sanctions, s’ajoutent des punitions moins formalisées, mais ayant des effets tout aussi contraignants : retrait des listes de bénéficiaires de l’aide sociale ou mise au ban temporaire des relations de bon voisinage. En effet, la punition s’exerce sur les cadets sociaux par le biais des agents de l’État, comme par celui de leurs relais paysans. À ce dispositif punitif s’ajoute la pratique de la menace, du chantage, de l’extorsion exercée par les petits représentants de l’État sur les paysans les plus vulnérables ou les plus sensibles à la pression étatique – souvent les plus intégrés à l’appareil parapublic [67]. L’autoritarisme de l’action publique banalise le recours à ce type de pratiques et les justifie en les politisant : participer à une mise au travail encadrée exprime publiquement un soutien au gouvernement, et étend ainsi mécaniquement et symboliquement le nombre des sympathisants au pouvoir en place. Mettre au travail correctement le plus grand nombre permet de mesurer l’adhésion des masses au parti au pouvoir. Ce contrôle politique des populations s’appuie également sur la structuration historique du rapport entre État et paysannerie [68], expliquant cet usage étatique de la contrainte. Dans l’Éthiopie rurale, bien avant la centralisation opérée sous l’empereur Haïlé Sélassié dans les années 1930, le recours à la punition et à la contrainte sur les paysanneries est considéré comme légitime quand il est exercé par l’appareil d’État. Cette légitimité s’est d’ailleurs renforcée avec l’expérience d’un contact rapproché – aujourd’hui quotidien – entre les agents de gouvernement et les gouvernés. Le développement est pensé comme un moyen d’éduquer les populations [69], le recours à la punition s’y comprend tout naturellement et fait écho à l’idée d’un « peuple-enfant » développée plus haut. Que l’on étudie les modalités de mise au travail sous contrainte dans le Sénégal des années 1930 ou les projets de développement dans l’Éthiopie contemporaine, les prisons, les cellules de commissariats et de brigades, les camps de travail sont autant de sites par lesquels circule le pouvoir de discipliner et d’assujettir, et finalement de gouverner une population sur un territoire donné. En plus de leurs fonctions productives, ils constituent un élément des dispositifs de pouvoir : ils bâillonnent les oppositions, sanctionnent les manquements aux règles et participent en définitive de la reproduction des rapports sociaux et de domination.

43Ce constat invite alors à saisir l’entrelacement de dimensions économiques, politiques, mais également morales. Cette ombre carcérale sur les rapports sociaux ne doit pas faire passer sous silence certains paradoxes. Tandis que se maintiennent des pratiques disciplinaires de mise au travail, comme en Éthiopie aujourd’hui, il faut étudier les discours et les ordres de justification qui sous-tendent le recours au travail en prison, alors qu’il est sans cesse question de réformer l’institution pénitentiaire au nom du respect des droits de l’homme.

44Nous avons souhaité contribuer à une réflexion sur l’économie politique de l’enfermement en ouvrant plusieurs axes d’analyse, nés d’un croisement entre trois recherches menées dans trois contextes historiques et socio-politiques différents. Il importait de penser la relation entre mise au travail, prison et enfermement entre ruptures et continuités, d’en saisir la pluralité des ordres de justification, leurs récurrences et leurs réinventions, que le travail soit conçu comme un instrument punitif, disciplinaire ou à portée réformatrice, de l’institution comme des individus.

45La prison a été utilisée à des fins d’exploitation des territoires et de constitution d’une main-d’œuvre, considérée sinon comme docile, du moins comme contrôlable. Devenue la peine par excellence, cette institution doit encore être appréhendée en articulation avec d’autres institutions et pratiques disciplinaires, de l’esclavage précolonial en passant par les camps de travail coloniaux jusqu’aux enfermements administratifs contemporains.

46Il apparaît que ces réseaux d’enfermement n’ont pas vocation à créer de la valeur uniquement sur un plan économique. Ils produisent une population, a priori à discipliner, à défaut à tenir à distance. Ils sont partie prenante de rapports de pouvoir où le dilemme entre fermeture et ouverture, émancipation et assujettissement, punition et réinsertion, perdure sous différentes formes, décennies après décennies.

47L’inscription récente du travail en et hors de la prison sur l’agenda internationalisé des réformes de la justice et de la sécurité est sans nul doute révélatrice de ces tensions entre désir affiché de réinsérer, et au-delà de démocratiser, et volonté de garantir des formes de contrôle à des fins politiques et de réponses sécuritaires. Quelle est finalement la portée de la réintroduction, ou du maintien, du travail en prison ? Face à une offre salariale réduite, on peut se demander quels seront les effets de quelques ateliers de formation internes aux prisons. Pourquoi, inversement, les activités économiques informelles développées par les détenus ne font-elles pas l’objet d’une reconnaissance et d’un discours institutionnels ? La fonction sociale des détenus n’est-elle pas avant tout celle d’être des délinquants, des indésirables mis à distance du reste de la société par des politiques gouvernementales à des fins de protection d’une paix sociale fragile ? Il semblerait que la thématique de la mise au travail en partant d’expériences africaines éclaire encore une fois l’impossible réforme d’une institution qui prétend de façon récurrente s’humaniser à l’échelle mondiale.

Notes

  • [1]
    Pour le détail de la cartographie des prisons en Afrique, se reporter à l’introduction générale du dossier.
  • [2]
    Y. Bouagga, « Une mondialisation du “bien punir” ? La prison dans les programmes de développement », Mouvements, n° 88, 2016, p. 50-58, ainsi que la contribution de l’autrice à ce dossier. En ligne
  • [3]
    Terrains effectués dans le cadre de l’ANR « Économie de la peine et de la prison en Afrique » (2015-2019, UMR Prodig et Triangle). Ce travail s’est également élaboré à partir des contributions de Habmo Birwe, Sylvain Faye, Christine Deslaurier, Yasmine Bouagga et Frédéric Le Marcis que nous remercions pour leur participation.
  • [4]
    Romain Tiquet, historien, a réalisé ses travaux sur les prisons sénégalaises pendant la période coloniale entre 2011 et 2016 dans le cadre d’une thèse sur le travail forcé au Sénégal.
  • [5]
    Marie Morelle, géographe, a conduit des recherches dans la prison centrale de Yaoundé au Cameroun de 2010 à 2016 en procédant à des entretiens, des discussions informelles et des observations, avant de suivre les parcours résidentiels d’anciens détenus, régulièrement rencontrés en prison et dans leurs quartiers entre 2014 et 2016. Par la suite, elle a mené des entretiens semi-directifs auprès de différents bailleurs et acteurs nationaux et internationaux engagés dans la réforme de la prison au Cameroun (2016-2018).
  • [6]
    Sabine Planel, géographe, a réalisé des recherches en Éthiopie depuis 2010. Ce texte exploite deux enquêtes réalisées en février 2015 dans la région méridionale du Wolayta et en novembre 2017 dans celle septentrionale du Tigray oriental. Des entretiens ont été réalisés auprès de paysans et de petits fonctionnaires locaux avec l’assistance d’Aleksander Asmeleh (pour les traductions en tigrinya) et de Guebre Michael Kuke (pour les traductions en wolaitinya).
  • [7]
    C. Anderson, C. M. Crockett, C. G. De Vito, T. Miyamoto, K. Moss, K. Roscoe et M. Sakata, « Locating Penal Transportation : Punishment, Space, and Place c. 1750 to 1900 », in K. M. Morin et D. Moran, Historical Geographies of Prisons : Unlocking the Usable Carceral Past, Londres, Routledge, 2015, p. 147-167.
  • [8]
    B. Fall, « Manifestations of Forced Labor in Senegal : As Exemplified by the Société des Salins du Sine-Saloum Kaolack, 1943-1956 », in A. Zegeye et S. Ishemo (dir.), Forced Labour and Migration : Patterns of Movement within Africa, Londres, Hans Zell, 1989, p. 269-288 ; J.-L. Sanchez, « Les “incorrigibles” du bagne colonial de Guyane. Genèse et application d’une catégorie pénale », Genèses, n° 91, 2013, p. 71-95 ; M. Rodet, et R. Tiquet, « Genre, travail et migrations forcées dans les plantations de Sisal au Sénégal et au Soudan français (1919-1946) », in É. Guerassimoff et I. Mandé (dir.), Le travail colonial. Les engagés et autres mains-d’œuvre migrantes dans les empires, 1850-1950, Paris, Riveneuve, 2016, p. 353-381.
  • [9]
    G. Rusche et O. Kirchheimer, Peine et structure sociale : histoire et « théorie critique » du régime pénal, Paris, Les éditions du Cerf, 1994, p. 150-240.
  • [10]
    F. Cooper, Décolonisation et travail en Afrique : l’Afrique britannique et française, 1935-1960, Paris/Amsterdam, Karthala/Sephis, 2004 ; C. Anderson, « Transnational Histories of Penal Transportation : Punishment, Labour and Governance in the British Imperial World, 1788-1939 », Australian Historical Studies, vol. 47, n° 3, 2016, p. 381-397 ; R. Tiquet, Travail forcé et mobilisation de la main-d’œuvre au Sénégal : années 1920-1960, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2019.
  • [11]
    C. Coquery-Vidrovitch, « De la périodisation en histoire africaine. Peut-on l’envisager ? À quoi sert-elle ? », Afrique & histoire, vol. 2, 2004, p. 31-65.
  • [12]
    G. Rusche et O. Kirchheimer, Peine et structure sociale…, op. cit. La première édition de cet ouvrage est parue en 1939.
  • [13]
    Ibid., p. 124.
  • [14]
    F. Bernault (dir), Enfermement, prison et châtiments en Afrique. Du 19e siècle à nos jours, Paris, Karthala, 1999 ; T. M. Martin, A. M. Jefferson et M. Bandyopadhyay, « Sensing Prison Climates : Governance, Survival, and Transition », Focaal : Journal of Global and Historical Anthropology, n° 68, 2014, p. 3-17 ; K. Rahn, « Die Geburt des Gefängnisses in Deutsch-Südwestafrika. Freiheitsstrafe und Strafvollzug von 1884 bis 1914 », Jahrbuch für Überseegeschichte, n° 14, 2014, p. 243-254 ; M. Morelle et F. Le Marcis, « Pour une pensée pluridisciplinaire de la prison en Afrique », Afrique contemporaine, n° 253, 2015, p. 117-129.
  • [15]
    C. G. De Vito et A. Lichtenstein, « Writing a Global History of Convict Labour », International Review of Social History, vol. 58, n° 2, 2013, p. 285-325 ; I. Sene, « Colonisation française et main-d’œuvre carcérale au Sénégal : de l’emploi des détenus des camps pénaux sur les chantiers des travaux routiers (1927-1940) », French Colonial History, vol. 5, n° 1, 2004, p. 153-171 ; R. Tiquet, Travail forcé et mobilisation de la main-d’œuvre…, op. cit. ; L. Fourchard, Trier, exclure et policer. Vies urbaines en Afrique du Sud et au Nigeria, Paris, Presses de Sciences Po, 2018.
  • [16]
    P. Artières et P. Lascoumes (dir.), Gouverner, enfermer. La prison, un modèle indépassable ?, Paris, Presses de Sciences Po, 2004.
  • [17]
    T. Bah, « Captivité et enfermement traditionnels en Afrique occidentale », in F. Bernault (dir), Enfermement, prison et châtiments en Afrique…, op. cit., p. 71-81 ; J. Vansina, « L’enfermement dans l’Angola ancien », in F. Bernault (dir), Enfermement, prison et châtiments en Afrique…, op. cit., p. 83-97.
  • [18]
    F. Bernault, « De l’Afrique ouverte à l’Afrique fermée : comprendre l’histoire des réclusions continentales », in F. Bernault (dir), Enfermement, prison et châtiments en Afrique…, op. cit., p. 45.
  • [19]
    I. Merle, « De la “légalisation” de la violence en contexte colonial. Le régime de l’indigénat en question », Politix, n° 66, 2004, p. 137-162 ; A. Idrissou, Les prisons au Cameroun sous administration française, 1916-1960, Thèse de doctorat en histoire, Yaoundé, Université Yaoundé 1, 2005 ; B. Brunet-Laruche et L. Manière, « De l’“exception” et du “droit commun” en situation coloniale : l’impossible transition du code de l’indigénat vers la justice indigène en AOF », in B. Piret, C. Braillon, L. Montel et P.-L. Plasman (dir.), Droit et justice en Afrique coloniale : traditions, productions et réformes, Bruxelles, Presses de l’Université Saint-Louis, 2013, p. 117-141.En ligne
  • [20]
    I. Thioub, « Sénégal : la prison à l’époque coloniale. Significations, évitement et évasions », in F. Bernault (dir), Enfermement, prison et châtiments en Afrique…, op. cit., p. 285-303 ; G. Mann, « What Was the “Indigénat” ? The “Empire of Law” in French West Africa », The Jounal of African History, vol. 50, n° 3, 2009, p. 331-353.
  • [21]
    Arrêté du 8 juillet 1933 réglementant le régime pénitentiaire au Cameroun, Journal officiel du Cameroun, 1933, p. 390.
  • [22]
    A. Mbembe, Politiques de l’inimitié, Paris, La Découverte, 2016.
  • [23]
    A. L. Conklin, A Mission to Civilize : The Republican Idea of Empire in France and West Africa, 1895-1930, Stanford, Stanford University Press, 1997.
  • [24]
    F. Cooper, Décolonisation et travail en Afrique…, op. cit.
  • [25]
    Les camps pénaux n’étaient pas une spécificité sénégalaise ou de l’Empire français. On retrouve une expérience similaire dans le Kenya sous administration coloniale britannique avec les « prison camps ». Voir D. Branch, « Imprisonment and Colonialism in Kenya, c.1930-1952 : Escaping the Carceral Archipelago », The International Journal of African Historical Studies, vol. 38, n° 2, 2005, p. 239-265.
  • [26]
    Archives nationales du Sénégal (ANS), 3F117, Le chef d’escadron Merlhe commandant le détachement de gendarmerie de l’AOF au gouverneur du Sénégal, Camp pénal de Louga, 3 janvier 1939.
  • [27]
    B. Fall, « Manifestations of Forced Labor in Senegal… », art. cité.
  • [28]
    B. Rossi, « What “Development” Does to Work ? », International Labor and Working-Class History Journal, vol. 92, 2017, p. 7-23.
  • [29]
    Ce thème de la participation n’est d’ailleurs pas propre au contexte postcolonial africain et a très tôt constitué le modèle de référence des discours développementalistes depuis la fin de la Première Guerre mondiale. J.-P. Chauveau, « Le “modèle participatif” de développement rural est-il “alternatif” ? Éléments pour une anthropologie de la culture des “développeurs” », Bulletin de l’Apad, 1992, n° 3, p. 20-30. Il demeure très prégnant dans le cas éthiopien.
  • [30]
    B. Diallo, « Travaillez, prenez de la peine… », Paris-Dakar, 9 mai 1960.
  • [31]
    R. Collignon, « La lutte des pouvoirs publics contre les “encombrements humains” à Dakar », Canadian Journal of African Studies, vol. 18, n° 3, 1984, p. 573-582 ; O. Faye et I. Thioub, « Les marginaux et l’État à Dakar », Le mouvement social, n° 204, 2003, p. 93-108.
  • [32]
    A. Gilette, « Les services civiques de jeunesse dans le développement de l’Afrique rurale : nouvelles réflexions sur l’art de coiffer Saint-Pierre sans décoiffer Saint-Paul », Cahiers de l’animation, n° 18, 1977, p. 31-40 ; D. Gary-Tounkara, « Quand les migrants demandent la route, Modibo Keïta rétorque : “Retournez à la terre !”. Les Baragnini et la désertion du “chantier national” (1958-1968) », Mande Studies, vol. 5, 2003, p. 49-64 ; J. S. Ahlman, « A New type of Citizen : Youth, Gender, and Generation in the Ghanaian Builders Brigade », The Journal of African History, vol. 53, n° 1, 2012, p. 87-105 ; R. Tiquet, Travail forcé et mobilisation de la main-d’œuvre…, op. cit.En ligne
  • [33]
    M. Foucault, Surveiller et punir, Paris, Gallimard, 1975 ; M. Foucault, La société punitive. Cours au Collège de France, 1972-1973, Paris, EHESS/Gallimard/Seuil, 2013.
  • [34]
    L. Wacquant, « Symbiose fatale. Quand ghetto et prison se ressemblent et s’assemblent », Actes de la recherche en sciences sociales, n° 139, 2001, p. 31-52 ; D. Garland, The Culture of Control : Crime and Social Order in Contemporary Society, Chicago, University of Chicago Press, 2001 ; J. Peck et N. Theodore, « Carceral Chicago : Making the Ex-Offender Employability Crisis », International Journal of Urban and Regional Research, vol. 32, n° 2, 2008, p. 251-281 ; R. W. Gilmore, Golden Gulag : Prisons, Surplus, Crisis, and Opposition in Globalizing California, Berkeley, University of California Press, 2007.
  • [35]
    V. Telles, « Gestion de la violence ou gestion (disputée) de l’ordre ? Interrogations à partir d’une étude sur le marché de la drogue à São Paulo » [en ligne], L’ordinaire des Amériques, n° 216, 2014, <https://journals.openedition.org/orda/1120>, consulté le 13 décembre 2019 ; M. Morelle, « La prison, la police et le quartier. Gouvernement urbain et illégalismes populaires à Yaoundé », Annales de géographie, n° 702-703, 2015, p. 300-322.
  • [36]
    T. Bruslé, « Who’s in a Labour Camp ? A Socio-Economic Analysis of Nepalese Migrants in Qatar », European Bulletin of Himalayan Research, n° 35-36, 2010, p. 154-170 ; D. Zeneidi, « De l’usage de la sexualité dans le management de la migration de travail. Le cas des ouvrières agricoles marocaines à Huelva » [en ligne], L’espace politique, vol. 13, n° 1, 2011, <http://espacepolitique.revues.org/index1858.html>, consulté le 14 juillet 2018.
  • [37]
    C. Aidara, « Réinsertion sociale : le Prodac “libère” les détenus » [en ligne], Seneweb.com, 10 octobre 2016, <https://www.seneweb.com/news/Societe/reinsertion-sociale-le-prodac-quot-liber_n_195514.html>, consulté le 13 décembre 2019.
  • [38]
    Le projet a été lancé en avril 2008 pour être supprimé deux ans après (en 2010).
  • [39]
    APS, « “La justice veut faire du détenu un véritable acteur du développement”, selon Madické Niang » [en ligne], Xibar.net, 28 mai 2008, <https://www.xibar.net/La-justice-veut-faire-du-detenu-un-veritable-acteur-du-developpement--selon-Madicke-Niang_a10539.html>, consulté le 13 décembre 2019.
  • [40]
    Articles 42 et 43 de l’arrêté du 8 juillet 1933 portant réglementation du régime pénitentiaire au Cameroun.
  • [41]
    Voir aussi ce souci dans le décret portant régime pénitentiaire adopté en 1992, non sans écho avec la période coloniale et l’arrêté de 1933.
  • [42]
    Programme d’amélioration des conditions de détention II : de 2007 à 2010, il a engagé l’Union européenne à hauteur de 8 millions d’euros, la contribution du Cameroun devant être de 1 830 000 euros, et avait vocation à financer des interventions dans les dix prisons centrales du pays. Convention de financement entre la Commission des Communautés européennes et la République du Cameroun, Programme d’amélioration des conditions de détention et respect des droits de l’homme-phase 2 (Pacdet II) (CM/002/04), IXe FED, 2006.
  • [43]
    S. Planel, « A View of a Bureaucratic Developmental State : Local Governance and Agricultural Extension in Rural Ethiopia », Journal of Eastern African Studies, vol. 8, n° 3, 2014, p. 420-437.En ligne
  • [44]
    S. Planel, « Le developemental state éthiopien et les paysans pauvres. Économie politique du développement rural par le bas », Politique africaine, n° 142, 2016, p. 57-76.
  • [45]
    Extrait du manuel Question de bonne gouvernance dans les wereda et qebelé ruraux, distribué aux managers de qebelé du Bénishangul-Gumuz en 2012, p. 28-30.
  • [46]
    Le texte est volontairement vague sur le terme de contrainte.
  • [47]
    Dans le seul cadre de la modernisation agricole, voir S. Planel, « A View of a Bureaucratic Developmental State… », art. cité ; A. Cafer et S. Rikoon, « Coerced Agricultural Modernization : A Political Ecology Perspective of Agricultural Input Packages in South Wollo, Ethiopia », Journal of Rural Social Sciences, vol. 32, n° 1, 2017, p. 77-97 ; B. Kassahun et C. Poulton, « The Political Economy of Agricultural Extension Policy in Ethiopia : Economic Growth and Political Control », Development Policy Review, vol. 32, n° 2, 2014, p. 197-213.
  • [48]
    Dans le domaine foncier, voir G. Mequanent, « The Application of Traditionnal Dispute Resolution in Land Administration in Lay Armacho Woreda (District), Northern Ethiopia », World Development, vol. 87, 2016, p. 171-179.En ligne
  • [49]
    Dans le cadre des camps pénaux sénégalais, voir R. Tiquet, « Connecting the “Inside” and the “Outside” World : Convict Labour and Mobile Penal Camps in Colonial Senegal (1930’s-1950’s) », International Review of Social History, vol. 64, n° 3, 2019, p. 473-491.
  • [50]
    M. Foucault, Surveiller et punir, op. cit.
  • [51]
    E. Goffman, Asiles. Études sur la condition sociale des malades mentaux, Paris, Les Éditions de Minuit, 1979.
  • [52]
    P. Auvergnon, « Le travail des détenus. L’impossible contrat de travail ? », in G. Benguigui, F. Guilbaud et G. Malochet (dir.), Prisons sous tensions, Paris, Champ social, 2011, p. 88-118.
  • [53]
    ANS, 3F117, Rapport d’inspection de Monsieur Thérond concernant les évasions du 4 au 12 mai 1939, 20 mai 1939, p. 12.
  • [54]
    ANS, 3F117, Rapport du chef d’escadron Merlhe sur la nécessité d’enchaîner deux par deux tous les prisonniers du camp pénal C travaillant à la construction de la route Dakar-St-Louis, 2 novembre 1939.
  • [55]
    Voir M. Vaughan, Curing their Ills : Colonial Power and African Illness, Stanford, Stanford University Press, 1991 ; W. U. Eckart, « The Colony as Laboratory : German Sleeping Sickness Campaigns in German East Africa and in Togo, 1900-1914 », History and Philosophy of the Life Sciences, vol. 24, n° 1, 2002, p. 69-89 ; G. Lachenal, Le médecin qui voulut être roi. Sur les traces d’une utopie coloniale, Paris, Seuil, 2017.
  • [56]
    C. Bogosian, « The “Little Farming Soldiers” : The Evolution of a Labor Army in Post-Colonial Mali », Mande Studies, vol. 5, 2003, p. 83-100 ; R. Tiquet, « Enfermement ordinaire et éducation par le travail au Sénégal (1926-1950) », Vingtième siècle, n° 140, 2018, p. 29-40.
  • [57]
    Voir le décret du 27 mars 1992 portant régime pénitentiaire au Cameroun.
  • [58]
    Évaluation finale du Programme Pacdet II-Programme d’amélioration des conditions de détention Phase II, Rapport final, 13 juin 2011, p. 37.
  • [59]
    Voir P. Combessie, Prisons des villes et des campagnes. Étude d’écologie sociale, Paris, Les éditions de l’atelier, 1996, p. 9.
  • [60]
    G. Salle, « Théorie des champs, prison et pénalité. Vers la construction du “champ pénitentiaire” », Actes de la recherche en sciences sociales, n° 213, 2016, p. 4-19.
  • [61]
    T. C. Sherman, « Tensions of Colonial Punishment : Perspectives on Recent Developments in the Study of Coercive Networks in Asia, Africa and the Caribbean », History Compass, vol. 7, n° 3, 2009, p. 659-677.
  • [62]
    Traduction personnelle : « I would have preferred, of course, to inflict fines, but how would I have been paid ? Ultimately, I would have had to imprison reluctant payers. I decided therefore to confine them right away. » F. Bernault, « The Shadow of Rule : Colonial Power and Modern Punishment in Africa », in F. Dikötter et I. Brown (dir.), Cultures of Confinement : A History of the Prison in Africa, Asia and Latin America, Cornell, Cornell University Press, 2007, p. 63.
  • [63]
    Ibid., p. 55.
  • [64]
    Ces pratiques d’enfermement à portée disciplinaire cohabitent souvent avec le maintien de châtiments corporels. Le fouet reste ainsi employé dans beaucoup d’espaces coloniaux et fonctionne de pair avec l’extraction fiscale et la levée de la main-d’œuvre. Il sous-tend, active et entretient dans la durée l’une des principales métaphores de la domination coloniale : celle d’un « peuple enfant » et immature, avec lequel il convient d’être sévère mais juste. L’idéologie coloniale, dans l’Afrique belge comme britannique, impute ainsi à l’usage du fouet des vertus éducatives. Voir J.-F. Bayart, « Hégémonie et coercition en Afrique subsaharienne. La “politique de la chicotte” », Politique africaine, n° 110, 2008, p. 135-136.
  • [65]
    S. Planel, « A View of a Bureaucratic Developmental State… », art. cité ; S. Pausewang, « No Environmental Protection without Local Democracy. Why Peasants Distrust Their Agricultural Advisers ? », in B. Zewde et S. Pausewang (dir.), Ethiopia : The Challenge of Democracy from Below, Uppsala/Addis-Abeba, Nordiska Afrikainstitutet/Forum for Social Studies, 2002, p. 87-102.
  • [66]
    Dans les cas de procès pour corruption.
  • [67]
    Sur les model farmers, voir R. Lefort, « Free Market Economy, “Developmental State” and Party-State Hegemony in Ethiopia : The Case of the “Models Farmers” », The Journal of Modern African Studies, vol. 50, n° 4, 2012, p. 681-706 ; ou sur les responsables de qebelé, voir R. Emmenegger, S. Keno et T. Hagmann, « Decentralization to the Household : Expansion and Limits to State Power in Rural Oromiya », Journal of Eastearn African Studies, vol. 5, n° 4, 2011, p. 733-754 ; ou plus généralement le chapitre 7, « Participation, leçons et travail forcé : l’enrôlement dans l’État au quotidien », de la thèse de Mehdi Labzaé, La terre est au gouvernement. Droits fonciers, encadrement bureaucratique et conflictualité politique dans deux périphéries éthiopiennes, Thèse de doctorat, Paris, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, 2019.
  • [68]
    D. Rahmato, The Peasant and the State : Studies in Agrarian Change in Ethiopia, 1950s-2000s, Addis-Abeba, Addis Ababa University Press, 2008.
  • [69]
    Le projet d’éducation des masses, pensé et mis en œuvre sous le régime socialiste du Derg (1974-1991), inspire aujourd’hui encore l’exercice des politiques publiques, et ce particulièrement en milieu rural. Pour une présentation du projet d’« encadrement », voir C. Clapham, « Controlling Space in Ethiopia », in W. James, D. L. Donham, E. Kurimoto et A. Triulzi (dir.), Remapping Ethiopia : Socialism and After, Oxford, James Currey, 2002.
Français

La relation entre enfermement, prison et mise travail a fait l’objet de différents travaux en sciences sociales à l’époque contemporaine, mais rares sont les études qui se sont intéressées au continent africain. C’est pourquoi cet article propose de mettre en dialogue les données de trois enquêtes de terrain, conduites au Cameroun, en Éthiopie et au Sénégal, autour de cette relation. L’ambition est double : esquisser des pistes de compréhension de la place du travail dans des dispositifs d’enfermement pénaux et extra-pénaux ; et inversement, initier l’analyse du rôle de l’enfermement dans la mise au travail, à travers une approche située des liens entre main-d’œuvre pénale et exploitation économique, ou encore de ceux entre enfermement et projets de développement. Il s’agit de cerner les enjeux en termes productifs, les ordres de justification en présence, et les effets sociaux, économiques et politiques de ces pratiques ainsi liées. Ce faisant, sans présupposer d’une continuité historique tout comme d’une homogénéité des situations à l’échelle de l’Afrique, cet article invite à soumettre à la discussion les discours contemporains sur la réforme de la prison par le recours au travail, et à inscrire leur sens et leur portée dans une temporalité plus longue.

Marie Morelle
Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, Institut de recherche pour le développement (IRD), Fondation Paul Ango Ela
Sabine Planel
Institut de recherche pour le développement (IRD), Institut des mondes africains (Imaf)
Romain Tiquet
CNRS, Institut des mondes africains (Imaf)
Mis en ligne sur Cairn.info le 27/02/2020
https://doi.org/10.3917/polaf.155.0083
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