CAIRN.INFO : Matières à réflexion

1Ce qui est désormais communément appelé mondialisation des migrations en référence à la diversification des régions de départ, d’arrivée et de transit des migrants, ainsi qu’à la pluralité de leurs profils sociologiques [1], soulève un certain paradoxe à l’heure où dominent des politiques d’immigration très répressives et restrictives. À l’image des dispositifs sécuritaires de plus en plus sophistiqués développés par les pays européens et exportés aux pays du Sud en contrepartie de marchandages diplomatiques, politiques et économiques, le contexte migratoire actuel se caractérise par un « contrôle à distance des migrations [2] ». Aujourd’hui, pour empêcher l’afflux de pateras vers les îles Canaries et la péninsule ibérique, des patrouilles européennes croisent aux larges des côtes marocaines, mauritaniennes et sénégalaises en collaboration avec les autorités des pays concernés. Le régime drastique des visas institué par les pays européens concourt à faire du passage des frontières un défi majeur pour tous ceux qui cherchent coûte que coûte à gagner l’Europe sans y avoir été « invités » [3]. Qui dit passage ou franchissement clandestin des frontières, dit aussi passeur. Passeur de frontières qui, lui-même, cherche encore à les passer pour son propre compte. À moins qu’il n’y ait renoncé, au moins pour un temps, pour en faire une activité lucrative qu’il réinvestira de manière diverse. C’est le cas des thiamen sénégalais qui, au Maroc, sont l’un des chaînons de l’organisation des passages clandestins des Sénégalais vers l’Europe.

2À partir d’un travail ethnographique mené principalement à Casablanca et à Rabat entre la fin 2003 et le début 2006, cet article propose d’apporter un éclairage sociologique sur ce personnage clé du thiaman[4]. L’examen de son rôle, de sa position au sein des réseaux migratoires, de ses relations avec les aventuriers [5] et du rapport qu’il entretient avec la société marocaine invite la comparaison avec les figures du jatigi et du « coxeur », pivots des réseaux migratoires ouest-africains dans les migrations internes comme internationales [6]. Pour cela, je partirai de la notion de carrière, qui permet de refléter la manière dont se construit la position de thiaman, au terme d’une période d’initiation, tout en rendant compte du suivi longitudinal des trajectoires [7]. Avec Ulf Hannerz, j’entends par carrière une « organisation séquentielle des situations vécues [8] », tout en insistant sur la double dimension objective et subjective qui s’y rattache. La carrière ne se résume pas au passage d’une position ou d’un statut objectivement défini à un autre ; elle incorpore aussi la manière dont ces changements sont subjectivement vécus. Comportant un aspect relationnel (elle se construit et reste dépendante du rapport à l’autre), elle est également influencée par des dimensions plus structurelles qui, ici, sont liées au durcissement de la lutte contre les passages clandestins en Europe. J’emploie donc le terme de carrière en prenant en considération les différentes dimensions – à la fois séquentielles, objectives et subjectives, relationnelles et structurelles –, qui la composent.

Le « thiaman » et son rôle

3Les thiamen sénégalais sont des aventuriers arrivés au Maroc pour passer clandestinement en Europe. Le terme, qui viendrait de l’anglais chairman (« président »), aurait d’abord été utilisé au sein des réseaux migratoires nigérians avant d’être repris par les autres ressortissants subsahariens, dont les Sénégalais. Ces derniers entretiennent toutefois une forte défiance à l’égard des Nigérians, dénonçant leur violence ainsi que les trafics de drogue et de prostituées dans lesquels ils sont dits impliqués [9]. Élément révélateur de l’importance des réseaux migratoires de ces derniers, les Sénégalais classent souvent l’ensemble des anglophones sous l’étiquette de Nigérians. La distance qu’ils s’attachent à conserver à leur égard s’éclaire à la fois par la forte stigmatisation dont les intéressés font l’objet mais aussi par la crainte qu’ils inspirent : les Sénégalais ne veulent en aucun cas être confondus avec ces derniers, de peur que leur présence soit moins bien tolérée par les autorités marocaines. Une frontière morale (sans doute flexible) est ainsi entretenue entre les ressortissants subsahariens francophones et anglophones.

4Les thiamen sénégalais occupent une fonction centrale dans l’organisation des passages clandestins vers l’Europe, bien qu’ils ne soient qu’un maillon d’un dispositif en réseau particulièrement complexe [10]. Ils se chargent d’accueillir les aventuriers ou, plus exactement, de les héberger le temps que soit formé un « convoi » [11] en direction du détroit de Gibraltar, des îles Canaries ou des enclaves espagnoles de Ceuta et Melilla [12]. À Rabat et à Tanger, les thiamen gèrent des « foyers » informels. Ces « foyers » sont des maisons louées à des familles marocaines dans lesquelles sont regroupés, moyennant le paiement d’un droit d’entrée, les aventuriers en attente du passage [13]. De l’argent qu’ils recueillent pour le loyer et le passage [14], les thiamen ne conservent pour leur compte qu’un pourcentage faible, le reste étant remis aux connexion men, leurs supérieurs hiérarchiques. Ce sont ces connexion men, pas nécessairement sénégalais mais parfois ghanéens ou gambiens par exemple, qui négocient la « route » avec des Marocains qui, à leur tour, travaillent de connivence avec les agents de l’État. Parce qu’elle est répressible, l’organisation des passages clandestins vers l’Europe ouvre des opportunités à l’échange corruptif entre agents publics et réseaux migratoires. Avant même que le Maroc ne devienne un espace de transit pour les migrants subsahariens, des Marocains eux-mêmes partaient clandestinement pour l’Europe et faisaient « affaire » avec certains fonctionnaires pour les aider. Malgré les campagnes d’assainissement de la vie publique lancées par Mohammed VI depuis son accession au trône en 1999, la corruption reste bien ancrée au Maroc et procure des revenus complémentaires pour les agents de l’État. Néanmoins, le laxisme de certains d’entre eux dans la lutte contre l’immigration clandestine ne semble pas uniquement se rapporter à un enjeu financier : de nombreux aventuriers font part en effet des propos réconfortants que leur ont adressés des gendarmes marocains lors de contrôles ou d’arrestations. La tentation partagée de l’Europe est la base d’une certaine complicité, et un aventurier interpellé avec des camarades alors qu’ils s’apprêtaient à embarquer pour les Canaries rapporte les propos d’un gendarme : « Ah, ne vous en faites pas, peut-être qu’un jour on se retrouvera là-bas [en Europe] ! ». S’il n’est pas possible d’analyser ici les connivences institutionnelles sur lesquelles s’appuient les réseaux migratoires, il reste qu’une interprétation simplement instrumentale de la corruption serait réductrice : pour comprendre le rapport social complexe qu’est la corruption, il est nécessaire de prendre en compte les processus de légitimation que les acteurs emploient [15].

5Les aventuriers n’ont pas de contact direct avec les connexion men – le thiaman est leur intermédiaire, leur « garant moral » dans les procédures dans lesquelles ils sont engagés. Ainsi, lorsqu’ils se font expulser à la frontière algérienne à la suite d’une arrestation ou d’une tentative de passage avortée, c’est leur thiaman qui doit théoriquement leur venir en aide en leur faisant parvenir un passeport ou une carte de séjour valide – s’ils suffisent de moins en moins à déjouer les contrôles policiers, ces papiers sont nécessaires à l’achat d’un billet de transport pour quitter la ville d’Oujda, à la frontière algérienne [16]. Les thiamen garantissent également l’application de la « loi des trois essais », selon laquelle le prix de la traversée clandestine par le détroit de Gibraltar ou les Canaries inclut trois essais. C’est pourquoi les comptes sont minutieusement mis à jour : les thiamen tiennent un cahier sur lequel sont reportées les sommes versées par chaque aventurier pour le passage, ainsi que leur date d’arrivée et le nombre d’essais effectués.

6Les thiamen collaborent avec des correspondants au Sénégal, amis, parents ou simples connaissances qui, situés à des endroits stratégiques (Dakar, Saint-Louis, Kaolack, Casamance) se chargent de recruter de nouveaux passagers. Pour étendre leur réseau de relations, nombre de thiamen établissent des contacts avec des pairs situés au niveau des campements informels algériens de Maghnia à partir desquels s’organise l’entrée clandestine sur le territoire marocain [17]. Ainsi, certains aventuriers qui arrivent de la frontière algérienne disposent préalablement des coordonnées d’un thiaman particulier. Les thiamen les plus renommés ont également des correspondants au Mali, au Niger ou en Libye. Ces relations peuvent prolonger des contacts forgés au cours de leur propre périple pour se rendre au Maroc. Enfin, certains d’entre eux ont des complicités monnayées avec la police des frontières de l’aéroport de Casablanca. Ces connivences permettent le cas échéant d’éviter le refoulement de certains passagers arrivant de Dakar. Au Maroc, tout le monde peut servir de rabatteur pour le compte d’un thiaman et une commission est versée pour chaque client recruté. Aventuriers en difficulté financière, petits marabouts, acteurs du commerce informel ou encore étudiants dans la nécessité peuvent être tentés de se prêter au jeu en devenant rabatteur – parfois pour un seul jour. Ces réseaux migratoires sont donc très étendus et difficilement « canalisable », et en renouvellement continu. Un aventurier qui cherche à reconstituer son pécule peut être séduit par l’alternative…

7Tamba a grandi à Vélingara, en Casamance. Il explique comment l’appel téléphonique d’une connaissance au Maroc l’a convaincu de partir « tenter sa chance » sans plus tarder :

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« Moi, ça faisait déjà un moment que je pensais à l’Europe quand un jour, quelqu’un que je connaissais m’a téléphoné et m’a dit: quand tu viens ici jusqu’au Maroc, entrer en Espagne c’est pas tellement difficile, je connais quelqu’un qui fait passer, tu peux avoir la chance, tu peux avoir des papiers, tu peux travailler en Europe à l’aise… Mon ami était venu ici au Maroc. Et quand je suis arrivé ici, on m’a dit qu’il était entré, quand il y a eu des promotions [18] à Ceuta, il est entré… Mais moi, je suis resté coincé ici… Si on m’avait dit que c’était comme ça ici, je ne crois pas que je serais venu. Mais maintenant c’est trop tard, je ne peux plus reculer. Je suis obligé de rentrer (en Europe) car j’ai tout perdu au Sénégal, je n’ai plus rien. Alors je vais attendre encore et essayer et inch’allah, je vais rentrer. Oui, même si c’est trop difficile le Maroc, je vais rentrer, inch’allah. Mais, lui, le gars qui m’a dit de venir par le Maroc, il ne m’a pas dit que c’était comme ça… Il ne m’a rien dit, et il en a bénéficié pour lui… C’est après que j’ai compris [19] ».

9Les petits thiamen sénégalais, dont le nombre tend aujourd’hui à se multiplier, peuvent être amenés à travailler ensemble et à s’échanger des passagers pour combler les places vacantes d’un « convoi » prêt à partir. En cas de conflit, les règlements de compte sont virulents, allant de la confiscation de la puce de téléphone portable du contrevenant (le privant ainsi de son outil de travail essentiel pour rester « connecté ») à des passages à tabac parfois très violents. Ces caractéristiques de la figure du thiaman et les dimensions relationnelles dans lesquelles elle s’inscrit invitent alors à procéder à une comparaison avec les figures du jatigi et du coxeur, telles qu’elles se sont affirmées dans l’histoire des migrations et mobilités ouest-africaines.

10Du wolof signifiant « tuteur logeur », le jatigi est, d’une manière générale, un compatriote (souvent un co-villageois) anciennement installé en pays ou région tiers et qui se charge d’accueillir les nouveaux venus et de les orienter dans la suite de leur périple : « le jatigi […] lie indissolublement activités commerciales, résidence et migration », note à ce propos Jean Schmitz [20]. Ce personnage a joué un rôle clé dans l’extension des réseaux commerçants musulmans à l’époque précoloniale. La figure type du jatigi était alors un marabout établi dans une autre contrée et qui, impliqué dans des activités de négoce, hébergeait les commerçants de passage [21]. Le jatigi a également occupé une place centrale dans le navétanat [22] qui a pris son essor au xixe siècle avec le développement de la production arachidière par la France et l’Angleterre, en Gambie notamment. Offrant aux navétanes le gîte et le couvert, le jatigi mettait également à disposition des travailleurs saisonniers des terres. En contrepartie, ces derniers lui devaient un certain nombre de journées de travail. Plusieurs décennies plus tard, durant les années 1960-1970, le jatigi a été au cœur de la migration des diamantaires sénégalais et maliens de la Vallée du Sénégal au Congo [23]. Plus largement, il a encadré le dispositif d’exode rural en pays soninké jusqu’aux années 1980. Durant ces mêmes années, il a servi de relais à la migration des jeunes Soninké qui se rendaient à Dakar ou à Bamako pour préparer leur départ vers l’étranger et notamment vers la France [24].

11Au-delà des différentes formes que pouvait prendre la relation au jatigi (appel à une éventuelle contribution collective pour prendre en charge les frais de nourriture, mise à disposition de sa force de travail au profit du jatigi sur le modèle de l’organisation villageoise…), le système d’hospitalité qui se jouait autour de cette figure clé était conçu comme un principe et un devoir moral consacrant, selon M. Timera, une véritable « culture de l’émigration [25] ». Dans son étude sur les migrations en pays soninké, cet auteur a montré que cette hospitalité communautaire était conçue comme une obligation morale de laquelle les rapports marchands étaient tenus à l’écart (en apparence du moins) [26]. Dans le cadre de la migration des diamantaires de la Vallée du Fleuve dans les années 1960, S. Bredeloup souligne en effet que le jatigi qui servait d’intermédiaire entre les vendeurs et les acheteurs de diamants, s’il ne demandait pas nécessairement une contribution financière pour l’hébergement accordé, bénéficiait généralement d’une commission sur les affaires contractées [27]. Au Maroc, les thiamen qui dirigent les « foyers » font clairement jouer des relations monnayées. En ce sens, se retrouve une qualité propre aux « coxeurs [28] » décrits par Cheikh Oumar Ba [29] au Cameroun, des figures ambiguës et doubles de truands-sauveurs. En effet, lorsqu’au tournant des années 1990, les États africains ont commencé à durcir les conditions d’entrée et de séjour sur leur territoire, s’est affirmée la figure du coxeur, dérivée du jatigi, désormais indispensable pour traverser les frontières africaines mieux surveillées mais aussi pour servir d’intermédiaires face à la xénophobie croissante dans certains pays [30]. Situés aux postes frontaliers stratégiques et forts de leurs réseaux de complaisance avec les autorités, les coxeurs assistent les migrants à différentes phases de leur parcours : hébergement provisoire, intercession afin d’éviter un refoulement, obtention de tel ou tel document de voyage, rôle d’intermédiaire avec les transporteurs…

Comment peut-on être « thiaman » ?

12Les principes qui régissent l’accès à la position de thiaman varient selon les lieux, les réseaux et les arrangements. Les thiamen sénégalais sont censés quitter la direction des « foyers » et laisser leur place à un successeur dès lors qu’ils sont parvenus à faire passer en Europe un certain nombre d’aventuriers. Ainsi, à la différence du jatigi, la position du thiaman est organisée sur le principe d’une rotation. Elle n’est qu’un chaînon d’une hiérarchie complexe faisant intervenir divers personnages (connexion men, passeurs marocains, agents de l’État) qui, au sein des réseaux migratoires, occupent une position a priori plus stable.

13Au départ du moins, ce principe de rotation est lié à la perspective du transit (les thiamen tentant à leur tour le passage en Europe), mais il répond aussi à un critère « d’équité », dans la mesure où la position de thiaman permet de s’enrichir rapidement dans les périodes où les passages vers l’Europe s’effectuent à un rythme relativement soutenu. Au terme d’un certain nombre de succès dans les passages organisés, les thiamen peuvent d’ailleurs recevoir un passage gratuit de la part du passeur marocain avec lequel ils travaillent. Au lieu de l’utiliser pour leur propre compte, ils peuvent le revendre ou le donner à ceux censés prendre la relève en contrepartie du renouvellement de leur statut au sein des « foyers ». Certains thiamen, en effet, peuvent être tentés de conserver leur position lorsqu’ils retirent des gains importants de leurs activités. La succession entre thiamen se fait théoriquement selon l’ordre d’arrivée dans les « foyers ». Dans les faits, cependant, l’évaluation par les autres aventuriers des qualités personnelles des prétendants entre également en ligne de compte. Parmi celles-ci figurent le charisme, la confiance, l’honnêteté, le sérieux, la maîtrise des rouages du milieu, bref, une capacité à faire valoir son « savoir-circuler » ou, plus exactement, son « faire passer ». Si le capital préalable avant la migration peut jouer comme ressource (argent, art oratoire, etc.), l’essentiel réside toutefois dans l’expérience acquise en cours de route. Entre un thiaman et son successeur, les contacts préétablis avec tel ou tel connexion man se transmettent, chacun essayant en même temps d’élargir son propre réseau. La carrière de thiaman se construit donc progressivement et elle marque en soi une étape dans la carrière de l’aventurier.

14Sonko, qui vit désormais en Italie, raconte ainsi comment il est devenu thiaman:

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« J’étais venu pour traverser… Mon argent était fini parce que j’aidais beaucoup les gens avant de connaître la réalité… Jusqu’au moment où je n’avais plus d’argent alors que je n’avais rien tenté encore… J’étais obligé de rester dans le “foyer”, en attendant chaque mois un envoi de mon frère qui est en Italie. Mais lui aussi il ne vivait pas tellement à l’aise même si maintenant il est bien. Donc j’ai parlé avec le thiaman… Car si tu as duré là-bas, si tu as fait quatre convois tu dois partir. Si tu veux rester, tu sors du “foyer” pour faire ton “foyer”. Moi, au moment où il partait, je faisais le caissier. La “caisse”, c’est la “caisse” du “foyer”. Avant, quand il y avait moins de problèmes avec la police, on faisait une seule “caisse”: il y a tout dedans, l’argent pour partir que les gens ont payé et pour la vie du “foyer”. Ce n’était pas mon tour de faire le caissier, mais les gens avaient confiance en moi. Après, avec le temps, je suis à mon tour devenu thiaman[31]. »

16Dans le campement informel de Bel Younes, situé à quelques kilomètres de l’enclave espagnol de Ceuta, un turnover caractérise également la position des thiamen congolais mais les modalités sont différentes : trois thiamen occupent une fonction bien définie et sont suppléés par des « parlementaires » ; dès qu’un certain nombre d’aventuriers ont pénétré en Espagne (ce qui peut prendre des mois, voire des années), le premier thiaman est appelé à partir « tenter sa chance » ; son « voyage » est financé à partir d’une commission retirée sur chaque somme versée par les autres aventuriers pour le paiement de leur propre passage [32]. Selon un processus en chaîne, le second thiaman remplace alors le premier et ainsi de suite [33].

17Les successions, cependant, ne s’effectuent pas toujours de manière aussi fluide. Tout d’abord, à Rabat, le principe de rotation ne concerne pas ceux des thiamen sénégalais qui ont créé leur propre « foyer » plutôt que de prendre la relève d’un tiers [34]. En outre, jusqu’au début 2000, lorsque les passages vers l’Europe s’effectuaient encore relativement facilement, de nombreux thiamen ont accumulé des sommes importantes, et certains d’entre eux ayant un bon train de vie au Maroc (alcool à flot et « filles » marocaines…) ont renoncé à gagner l’Europe. Désormais, avec le renforcement de la lutte contre l’immigration clandestine, la position de thiaman est plus risquée, mais elle reste attractive pour ceux qui jugent leur passage personnel compromis. Les aventuriers peuvent être tentés de fonder un « foyer » sans avoir un réseau de relations suffisant. Ils sont aujourd’hui plus nombreux à faire faillite et, qui plus est, personne n’est à l’abri de thiamen malhonnêtes disparaissant une fois l’argent du passage encaissé. En fait, le durcissement des politiques migratoires impulse un processus en boucle qui concourt à redessiner la carrière de thiaman: d’un côté, plus le passage devient difficile, plus le statut de thiaman devient une alternative attractive ; de l’autre, plus les thiamen se multiplient sans avoir les compétences suffisantes, plus les chances de succès de passage sont compromises… En outre, avec les rafles, la multiplication des arrestations et les conditions de passage de plus en plus difficiles, les distances sont plus grandes entre les thiamen et les aventuriers. Les premiers ne résident plus dans les « foyers » comme cela était généralement le cas auparavant, mais s’en remettent à un chef de « foyer » qui supervise la gestion de la vie quotidienne sur place et leur sert d’intermédiaire privilégié. Certains thiamen gèrent désormais l’organisation des passages à distance, en limitant les liens directs avec les aventuriers.

Relations de pouvoir, « solidarités contraintes et confiances obligées »

18Les thiamen, contrairement aux aventuriers, possèdent la maîtrise de l’information, ou du moins ce sont eux qui la reçoivent des connexion men qui, quant à eux, la détiennent des Marocains en tête de réseau. Ce sont donc eux qui informent de la date, du jour et du lieu du départ les aventuriers [35]. À Rabat, une fois que ces derniers ont payé le prix de la traversée clandestine, ils rejoignent, en fonction des places disponibles, un deuxième « foyer » couramment baptisé « Tranquillo ». De là, ils peuvent être appelés à tout moment pour regagner le sud marocain, d’où s’effectue la traversée vers les Canaries. Jusqu’en 2004, pour ne pas attirer les soupçons, un petit groupe rejoignait en bus Agadir, à 1 500 km environ de la province de Layoune, d’où partent les embarcations. Un Marocain membre du réseau les accompagnait, les uns et les autres feignant de ne pas se connaître. Les aventuriers qui avaient un passeport valide le conservaient et le présentaient en cas de contrôle. L’accompagnateur se chargeait de récupérer les documents et de les remettre aux thiamen une fois le premier relais atteint. Arrivé à Agadir, le groupe descendait à un point d’arrêt situé sur le bord de la route et attendait que le Marocain revienne avec une Land Rover pour les conduire dans le Sahara. Parfois, c’était dans un café que s’effectuait le rendez-vous : un Marocain, que les intéressés ne connaissaient pas à l’avance, venait leur glisser discrètement sur un bout de papier l’adresse du lieu à rallier. Désormais, pour acheminer les aventuriers jusqu’à Agadir et déjouer les contrôles policiers renforcés, les thiamen préfèrent louer des camionnettes après s’être assurés, par l’intermédiaire des connexion men, de l’absence de barrages policiers sur la route. Si le durcissement de la lutte contre l’immigration clandestine impulsé au Maroc sous les pressions européennes conduit à un déplacement des voies de passage (qui reculent de plus en plus au sud), il impulse également un recours accru à la corruption. Coly raconte par exemple son parcours de Rabat à Agadir et les imprévus qui l’ont jalonné alors qu’il tentait pour la deuxième fois le passage clandestin vers les Canaries :

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« On est descendu sur le bord de la route, pour attendre “l’Arabe”. Lui, il va continuer pour ensuite revenir nous chercher en véhicule. Donc on est arrivé à Agadir vers 3 heures du matin et on reste là jusqu’à 6 heures. On attendait derrière des arbres, c’était avant l’entrée de la ville. Il est 6 heures et on n’a toujours pas de nouvelles ! On téléphone alors à l’Arabe… Il éteint son portable. Mais j’ai dit aux autres qu’il fallait qu’on trouve un endroit pour se cacher car l’Arabe là, n’allait pas revenir. On a cherché… On s’est caché… Le matin, on veut téléphoner au thiaman mais on n’a plus de crédit. Alors moi, j’ai dit, je ne vais pas attendre, je vais en ville et je pourrai téléphoner au thiaman pour l’informer de la situation. Et c’est là que l’Arabe nous contacte. Il dit qu’il est sur la route, que le véhicule qu’il est allé chercher est en panne […]. Finalement, il est arrivé vers 23 heures [36] ! »

20L’expérience, élément central de la carrière de l’aventurier au sens d’Hannerz [37], permet aux aventuriers d’être moins déstabilisés face aux aléas de l’aventure. Les contretemps plongent les intéressés dans une anxiété d’autant plus grande qu’ils disposent de peu d’informations sur les procédures à suivre, notamment lorsqu’il s’agit de leur première tentative de passage. Afin que les aventuriers leur fassent confiance, les thiamen doivent suffisamment donner l’impression de maîtriser le milieu et l’incertitude. Pour autant, ils ne doivent pas divulguer trop d’informations, à la fois pour leur sécurité (en cas d’arrestation) mais aussi pour conserver leur pouvoir – on retrouve ici les notations de la sociologie des organisations, notamment celles de Michel Crozier et Erhard Friedberg qui ont souligné l’importance, dans les relations de pouvoir, des variables tenant au contexte d’incertitude et à la maîtrise de l’information [38].

21En dépit des relations de dépendance qui s’instaurent et qui se renforcent au fur et à mesure que la structure des réseaux migratoires se complexifie (multiplication des intermédiaires), il faut, pour rester thiaman, jouer moins de la contrainte coercitive que construire et entretenir une réputation et une légitimité, constamment réévalués, et qui seules permettent de recruter de nouveaux passagers. De par la dynamique de « solidarité contrainte et de confiance obligée [39] » sur lequel il se fonde, le système fait peser certaines sanctions sur les thiamen contrevenants. Donnant sa force aux réseaux communautaires, la solidarité contrainte s’accompagne d’une confiance obligée à la faveur de laquelle s’instaure la transaction. Celui qui viole cette confiance sous garantie s’attire des sanctions collectives ; sa réputation ternie peut coûter au thiaman aussi bien ses clients que son réseau. En outre, des aventuriers excédés contre un thiaman qui ne répondrait plus à son devoir de garant peuvent se soulever contre lui, voire le séquestrer et le malmener jusqu’à ce qu’il avoue, par exemple, où est l’argent remis en prévision du passage.

22Sonko raconte ainsi comment, lorsqu’il était thiaman, des aventuriers ont tenté de se révolter contre lui [40]. Le groupe qu’il avait sous sa coupe se cachait dans un hangar à Oujda depuis deux jours déjà, dans l’attente de regagner Rabat, suite à des expulsions collectives à la frontière algérienne. Lui-même logeait un peu plus loin, chez un partenaire marocain, le temps que la route soit préparée. Sonko ne cache pas qu’il jouissait du privilège d’avoir des repas quotidiens et un bon toit, alors que ses passagers s’entassaient depuis deux jours dans un endroit humide et avec peu de nourriture. Lorsqu’il vint rendre visite aux aventuriers, ces derniers l’interpelèrent durement et le défièrent : « On a décidé que tu n’es plus thiaman », proclamèrent avec véhémence nombre d’entre eux. Après un âpre affrontement verbal où des défis physiques furent lancés, Sonko parvint à calmer la situation. D’une part, il rappela aux aventuriers que sans son aide, il leur serait très difficile de quitter Oujda sans se faire arrêter à nouveau, mais de plus, il leur promit un départ très prochain. En outre, il s’engagea à leur apporter sans plus tarder de quoi manger. Sonko restaura ainsi un rapport de force favorable en mettant en exergue ses réseaux de relations qui, dans la situation donnée, représentaient une ressource indispensable. D’autre part, il accepta de se plier « aux règles du jeu » dont il avait tenté de s’affranchir. Comme le souligne Goffman, le couple attente/obligation sociale fonctionne souvent de pair [41].

23L’enjeu de la réputation éclaire également la répartition des aventuriers au sein des « foyers » sénégalais même si le poids des identifications ethniques intervient aussi. En fait, ces deux dimensions se combinent. Dans la mesure où les thiamen ont des correspondants au Sénégal qui se chargent de leur recruter des passagers, les Sénégalais originaires d’une même région, d’une même ville voire d’un même quartier tendent à se retrouver dans un même « foyer ». En outre, un aventurier arrivant au Maroc sans disposer de contacts préétablis avec un thiaman sera plutôt incliné – et également dirigé – vers un « foyer » où son groupe ethnique est majoritaire. C’est ainsi, par exemple, que certains « foyers » rassemblent majoritairement des Peuls de Matam ou des Diolas de Casamance, ou encore des Wolofs de Dakar. Si le jeu des identifications ethniques et des interconnaissances peut concourir à renforcer le crédit de confiance accordé à certains thiamen, un aventurier peut toutefois toujours décider de rejoindre un « foyer » autre s’il juge son dirigeant plus compétent. Ainsi, rien n’est fixé ni déterminé de manière rigide.

24Le rapport à l’ordre communautaire et aux structures traditionnelles invite à nuancer, une fois de plus, la comparaison entre les figures du thiaman et du jatigi. Comme le souligne Mahamet Timera [42], le dispositif du jatigi en pays soninké tendait à s’inscrire dans le prolongement des rapports communautaires préétablis, même si les travaux de Schmitz ont montré comment ces rapports ont été progressivement redéfinis sous l’effet des investissements et de l’utilisation des transferts financiers des migrants internationaux [43]. La position du thiaman, en outre, ne se construit pas en référence à une hiérarchie traditionnelle mais dans et par l’expérience de l’aventure. Cet « art de migrer », d’ailleurs, est repris par des populations migrantes (en l’occurrence originaires de Casamance et de Dakar [44]) qui, traditionnellement, ne sont pas au centre des réseaux migratoires sénégalais.

Sortir de la carrière de « thiaman » ?

25Certains thiamen finissent par passer en Europe. D’autres sont arrêtés par la police marocaine et emprisonnés. Il y a aussi ceux qui renoncent à leur statut dès lors qu’ils considèrent que le risque encouru en tant que passeurs de frontières n’est plus à la hauteur des bénéfices financiers récoltés. Certains tentent alors de se reconvertir dans les réseaux sénégalais du commerce informel à Casablanca [45]. Un commerce à la valise entretenu par des femmes sénégalaises effectuant des navettes pendulaires entre le Maroc et le Sénégal est à l’origine de petites activités d’import-export informel, et thiamen et aventuriers en déroute peuvent s’insérer, selon des modalités variées, dans ces circuits commerçants. Certains thiamen peuvent servir de courtiers c’est à-dire de « guides » aux commerçantes de passage, selon le terme qu’ils emploient eux-mêmes. Se chargeant de les accueillir durant leur séjour à Casablanca (qui n’excède pas une semaine en moyenne), ils les aident à négocier avec les commerçants marocains ou à organiser le transport par air ou par bateau des marchandises en partance pour Dakar [46]. Ces deux rôles, celui de thiaman et celui de guide/commerçant, peuvent ainsi être exercés de manière concomitante à des moments charnières du parcours migratoire.

26Ceci dit, le rapport qu’ils entretiennent à leur société d’accueil semble bien distinguer les thiamen des jatigi. Contrairement à ces derniers, les thiamen opèrent très largement en dehors du cadre légal et ils ne disposent pas d’une position légitime et bien ancrée dans la société d’accueil. À travers l’Afrique subsaharienne, les jatigi, outre qu’ils ont souvent acquis la nationalité du pays et ont pu épouser une autochtone, exercent des activités économiques sédentarisées selon une logique d’installation, à l’image des logeurs bijoutiers et boutiquiers étudiés par S. Bredeloup au Congo [47]. Certains d’entre eux, note l’auteur, se font même rejoindre par leurs épouses sénégalaises. Or, même si les thiamen sont généralement appelés à « durer » au Maroc et que certains d’entre eux se marient à des Marocaines, les unions officialisées restent pour l’instant exceptionnelles. De même, parmi les thiamen mariés au Sénégal, aucun n’envisage de faire venir sa femme au Maroc.

27Un regard longitudinal invite certes à relativiser cette distinction dans la mesure où thiamen et jatigi ne se situent pas à la même phase de ce qui pourrait être appelé le cycle migratoire du tuteur-logeur : la présence des premiers au Maroc est récente et l’on peut se demander si, dans une dizaine ou une vingtaine d’années, leurs mariages avec des autochtones ne seront pas plus nombreux. Pour autant, la complexité des relations entre les Sénégalais et la population marocaine, où entrent en ligne de compte de nombreuses dimensions – du racisme de couleur aux rapports de force autour de la pratique de l’islam et de la définition du « bon » musulman à des possibilités de travail salarié très limitées au Maroc –, laisse cette projection en suspens. Il est d’ailleurs intéressant de relever que, parmi les anciens étudiants et commerçants sénégalais arrivés au Maroc dans les années 1970-1980 et ayant épousé une Marocaine, leur conjointe est souvent une femme veuve ou divorcée, donc une femme socialement dévalorisée sur le marché matrimonial de la société locale.

28Ainsi, la figure actuelle du thiaman, passeur de frontières du Maroc vers l’Europe, n’est pas une simple transposition de la figure historique du jatigi. Les carrières divergent sur certains points, même si ces divergences doivent être replacées dans une perspective longitudinale plus large. Certes, l’on peut se demander si, à terme, les évolutions en cours vont accentuer les différences qui s’observent aujourd’hui ou au contraire impulser un rapprochement entre ces deux figures. Il reste que le caractère « secret » de l’organisation des passages, les modes de circulation des informations au sein des réseaux migratoires et l’illégalité des activités des thiamen les rapprochent plus de la figure du coxeur que de celle du jatigi.

29En définitive, le durcissement des politiques migratoires en Europe et leur exportation au niveau du Maroc conduisent à une structuration de plus en plus complexe des réseaux de la migration, dès lors forcés de s’effectuer dans l’illégalité. Le passage clandestin des frontières devient une sorte de marché inégal et incertain, ce qui affecte les rapports entre migrants et favorise le développement de la corruption, même si ni l’une ni l’autre de ces dimensions ne peuvent se réduire à de simples enjeux financiers. Dans un cercle vicieux, les politiques produisent à leur insu des impacts sur l’organisation des réseaux migratoires, puis tentent de contrecarrer les effets qu’elles alimentent.

Notes

  • [1]
    J. Costa-Lascoux et P. Du Cheyron, « Quand la recherche française investit les circulations migratoires », Revue française des affaires sociales, n° 2, 2004, p. 183-205 ; C. Withol de Wenden, « La mondialisation des flux migratoires », Ville-École-Intégration-Enjeux, n° 131, 2002, p. 23-37.
  • [2]
    F. Düvell, « La mondialisation du contrôle des migrations », in Collectif, Politiques migratoires. Grandes et petites manœuvres, Marseille, Carobella, 2005, p. 13-39.
  • [3]
    Pour une réflexion autour de l’immigration, de l’immigration clandestine et de l’hospitalité, voir S. Laacher, Le Peuple des clandestins, Paris, Calmann-Lévy, 2007.
  • [4]
    Dans le cadre d’un doctorat de sociologie mené à l’Urmis (UMR 7032, Université Paris 7), je me suis appuyée sur des observations par immersion menées dans la durée, des discussions informelles et des entretiens plus formels portant sur des récits de trajectoires.
  • [5]
    Terme par lequel s’auto-définissent les Sénégalais cherchant à rejoindre clandestinement l’Europe à partir du territoire marocain. J’emploie ce terme sans guillemet dans la mesure où je l’ai repris à un niveau analytique permettant de désigner un type particulier d’acteur de la migration. Voir A. Pian, Les Sénégalais en transit au Maroc. La formation d’un espace-temps de l’entre-deux aux marges de l’Europe, thèse de doctorat en sciences sociales, Université Paris 7, 2007, et « Des routes religieuses et commerciales aux routes de transit à destination de l’Europe. Le cas des Sénégalais au Maroc », in A. Bensaâd (dir.), Le Maghreb, nouvel espace d’immigration, à paraître.
  • [6]
    S. Bredeloup et O. Pliez, « Migrations entre les deux rives du Sahara », Autrepart, n° 36, 2005, p. 3-20.
  • [7]
    H. S. Becker, Outsiders. Études de sociologie de la déviance, Paris, Métailié, 1985.
  • [8]
    U. Hannerz, Explorer la ville, traduit et présenté par I. Joseph, Paris, Minuit, 1983, p. 332.
  • [9]
    Si la plupart des ressortissants subsahariens sont organisés autour de la figure d’un thiaman, leur rôle, leur position et les principes régissant l’ordre des places ne sont pas uniformes. En outre, les Nigérians sont souvent structurés autour de réseaux très coercitifs, liés à des activités de proxénétisme.
  • [10]
    De même, dans son étude sur le camp de Sangatte, H. Courau montre la complexité des réseaux de passeurs qui font intervenir différents intermédiaires. Les « résidents » du camp – pour reprendre la formulation de l’auteur – qui cherchent à atteindre la Grande-Bretagne sont majoritairement originaires du Moyen-Orient (Irakiens, Iraniens, Kurdes, Afghans). Voir H. Courau, Ethnologie de la Forme-camp de Sangatte. De l’exception à la régulation, Paris, éditions des Archives contemporaines, 2007.
  • [11]
    Terme employé par les aventuriers et qui désigne un groupe d’une vingtaine à une trentaine de personnes partant tenter le passage de la frontière vers l’Europe.
  • [12]
    Depuis l’automne 2005, les tentatives de passage par les enclaves espagnoles sont beaucoup plus réduites.
  • [13]
    Sur l’organisation des « foyers » sénégalais et des campements informels de Gourougou et de Belyounes, voir A. Pian, Les Sénégalais en transit au Maroc…, op. cit.
  • [14]
    En 2004-2005, les tarifs appliqués sont de l’ordre de 1 000 euros bien qu’ils augmentent très vite face au durcissement des contrôles frontaliers. Les prix varient également selon les tactiques de passage employées.
  • [15]
    G. Blundo et J.-P. Olivier de Sardan, « La corruption quotidienne en Afrique de l’Ouest », Politique africaine, n° 83, octobre 2001, p. 8-37. En ligne
  • [16]
    Sur ces expulsions et les logiques de circulation en boucle qui se jouent (ou plutôt se monnayent) au niveau de la frontière algéro-marocaine, voir A. Pian, « Entre “visibilisation et invisibilisation”, comment acquérir une représentation sociale légitime dans l’espace public. Le cas des réfugiés et des demandeurs d’asile au Maroc », in S. Laurens et C. Hmed (dir.), Immigration, immigrés dans la France contemporaine. Regards socio-historiques sur la fabrique d’un problème social, à paraître.
  • [17]
    Les tarifs demandés varient selon que les trajets s’effectuent à pied ou en véhicule.
  • [18]
    Les aventuriers désignent ainsi les passages collectifs réussis.
  • [19]
    Entretien, Rabat, automne 2005.
  • [20]
    J. Schmitz, « Des migrants aux “notables” urbains : les communautés transnationales des gens du fleuve Sénégal (Sénégal/Mali/Mauritanie) », in E. Boesen et L. Marfaing (dir.), Les nouveaux urbains dans l’espace Sahara-Sahel. Un cosmopolitisme par le bas, Paris, Karthala, Berlin, Zemo, 2007, p. 91-134.
  • [21]
    F. Manchuelle, Les Diasporas des travailleurs soninké. Migrants volontaires, Paris, Karthala, 2004.
  • [22]
    Mot venant du wolof et qui signifie « saison des pluies ». Le navétanat consiste à cultiver des champs d’arachide (des régions côtières ou de l’intérieur des terres sénégambiennes) pendant la saison des pluies. Il est à l’origine de nouvelles formes de migrations rurales et temporaires. Voir P. David, Les Navétanes. Histoire des migrants saisonniers de l’arachide en Sénégambie des origines à nos jours, Dakar, Abidjan, Nouvelles éditions africaines, 1980.
  • [23]
    S. Bredeloup, « L’aventure contemporaine des diamantaires sénégalais », Politique africaine, n° 56, décembre 1994, p. 77-93.
  • [24]
    M. Timera, « Hospitalité et hébergement dans un réseau migratoire local et international d’Afrique de l’Ouest », in C. Lévy-Vroélant (dir.), Formes, normes, expériences, Paris, L’Harmattan, 2000, p. 51-67.
  • [25]
    Selon M. Timera, en outre, la figure du jatigi a influencé l’organisation sociale mise en place dans les foyers de travailleurs immigrés en France.
  • [26]
    Timera souligne ainsi que « Le travail [des champs] au service du diatigui ne relève pas vraiment d’une obligation et ces derniers craignent souvent d’être considérés par la communauté comme des profiteurs d’une main-d’œuvre gratuite ou de faire payer à leur hôte leur séjour chez eux. Or, l’hospitalité communautaire récuse toute forme de paiement de la part de l’hôte. Celle-ci est par définition gratuite et désintéressée et les hôtes du diatigui travaillent pour lui de façon toute aussi désintéressée, comme les dépendants travaillent pour le doyen de la concession (kagunme) au village ». Voir M. Timera, « Hospitalité et hébergement… », art. cit., p. 7.
  • [27]
    S. Bredeloup, « Les diamantaires de la vallée du Sénégal », in S. Ellis et Y.-A. Fauré (dir.), Entreprises et entrepreneurs africains, Paris, Karthala, 1995, p. 219-227.
  • [28]
    Au Sénégal, les coxeurs désignent également des intermédiaires entre les particuliers et les voyagistes.
  • [29]
    C. O. Ba, « Un exemple d’essoufflement de l’immigration sénégalaise: les Sénégalais au Cameroun », Mondes en Développement, vol. 23, n° 91, 1995, p. 31-44.
  • [30]
    Ibid. L’auteur donne notamment l’exemple du Nigeria.
  • [31]
    Entretien, Rabat, avril 2004.
  • [32]
    Les termes entre guillemets sont ceux employés par les intéressés.
  • [33]
    Entretiens avec des Congolais ayant séjourné dans le campement informel de Bel Younes et rencontrés à Rabat entre 2005 et 2006.
  • [34]
    Sur l’organisation des « foyers » sénégalais, voir A. Pian, Les Sénégalais en transit au Maroc…, op. cit.
  • [35]
    À moins qu’ils ne passent par l’intermédiaire du chef de « foyer ».
  • [36]
    Entretien avec Coly, Casablanca, mars 2004.
  • [37]
    U. Hannerz, Explorer la ville…, op. cit. Voir aussi Ph. Poutignat et J. Streiff-Fenart, « De l’aventurier au commerçant transnational, trajectoires croisées et lieux intermédiaires à Nouadhibou (Mauritanie) », Cahiers de la Méditerranée, n° 73, 2006, p. 129-149.
  • [38]
    M. Crozier et E. Friedberg, L’Acteur et le système. Les contraintes de l’action collective, Paris, Seuil, 2004 [1ère édition 1977]. Dans son étude sur Sangatte, Courau décrit de même les relations de pouvoir entre passeurs (détenteurs de l’information) et migrants cherchant à passer en Grande-Bretagne, qui s’exercent à chaque étape du parcours en relais emprunté. Voir H. Courau, Ethnologie de la forme-camp…, op cit.
  • [39]
    A. Portes et M. Zhou, « En route vers les sommets : nouvelles perspectives sur la question des minorités ethniques », Revue européenne des migrations internationales, vol. 8, n° 1, 1992, p. 171-192.En ligne
  • [40]
    Référence entretien avec Sonko, lieu, date.
  • [41]
    E. Goffman, Les Rites d’interaction, Paris, Minuit, 1974.
  • [42]
    M. Timera, « Hospitalité et hébergement… », art. cit.
  • [43]
    L’auteur décline différentes figures du jatigi, des tuteurs logeurs de jeunes pêcheurs haalpulaar en Gambie à la figure des « néonotables » urbains à Dakar en passant par la figure de l’agent immobilier informel. Voir J. Schmitz, « Des migrants aux “notables”…, art. cit. ; lire également C. O. Ba et S. Bredeloup, « Dynamiques migratoires et dynamiques associatives », Hommes et Terres du Nord, n° 4, 1994, p. 179-188.
  • [44]
    Les aventuriers originaires de la région du fleuve Sénégal sont très peu nombreux au Maroc, mis à part ceux originaires de Matam.
  • [45]
    Pour une analyse détaillée des étapes de la reconversion des aventuriers dans le commerce informel ainsi que ses limites, voir A. Pian, « Commerçants et aventuriers sénégalais à Casablanca : des parcours entrecroisés », Autrepart, n° 36, 2005, p. 167-182.
  • [46]
    À ce sujet, voir également L. Marfaing, « Commerçantes et commerçants sénégalais à Casablanca : du pèlerinage au business », Critique économique, n° 16, 2005, p. 137-152.
  • [47]
    S. Bredeloup, « L’aventure contemporaine des diamantaires… », art. cit., et « Le diamant, le commerçant du Fleuve Sénégal et la ville », Annales de la recherche urbaine, n° 78, 1998, p. 117-121.
Français

Les politiques d’immigration drastiques menées par les pays européens concourent à faire du passage des frontières un enjeu majeur pour les migrants cherchant coûte que coûte à se rendre en Europe. Cet article se propose de mettre en lumière la figure du thiaman sénégalais, passeur de frontières du Maroc vers l’Europe. L’examen de sa position au sein des réseaux migratoires sénégalais invitera à une comparaison heuristique avec les figures historiques du jatigi et du coxeur, pivots des migrations et mobilités ouest-africaines. Mais c’est aussi l’impact des politiques migratoires sur la structuration des réseaux de passage vers l’Europe qui sera soulevé.

Anaïk Pian
Université Paris 7
UMR 7032, Unité de recherches « Migrations et société » (Urmis)
Dernière publication diffusée sur Cairn.info ou sur un portail partenaire
Mis en ligne sur Cairn.info le 15/11/2012
https://doi.org/10.3917/polaf.109.0091
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