CAIRN.INFO : Matières à réflexion

1La presse tant internationale [1] que malgache qualifie souvent Tamatave de fief de Ratsiraka. Le repli de celui-ci sur cette ville (ou plutôt sur ses environs) sous la pression des manifestations tananariviennes, le choix des gouverneurs d’en faire la « capitale » d’une confédération de provinces sécessionnistes semblent établir Tamatave et sa province comme un bastion pour la reconquête du pouvoir. En tant que Betsimisaraka, Ratsiraka s’appuierait sur les siens, confondus dans une attitude de soutien inconditionnel. Cette présentation des faits conforte des idées toutes faites. Les journalistes internationaux, pressés [2] et souvent peu au courant des réalités de l’île, s’accrochent aux a priori ambiants. Quant à la presse malgache, paraissant en totalité dans la capitale, sa relative méconnaissance des réalités provinciales l’amène aussi à adopter cette grille de lecture ethniciste.

2Dans quelle mesure les protagonistes du conflit postélectoral ont-ils intérêt à fixer adversaires et alliés dans cette grille ethnorégionale [3] ? Passe pour les partisans de Ravalomanana, qui peuvent ainsi « diaboliser » leur adversaire et l’accuser de vouloir démembrer l’île en suscitant des conflits tribalistes. Mais l’on voit mal a priori pourquoi Ratsiraka, qui s’est complaisamment posé comme le seul garant de l’unité nationale, adopterait une telle attitude. Part faite de la nécessité et du souci de sécurité, son séjour à Tananarive étant pour le moins inconfortable et politiquement dangereux [4], a-t-il véritablement intérêt à se référer à des schémas ethniques, sinon racistes jusqu’à gêner certains de ses fidèles partisans ? C’est ce doute qu’exprimait, lors du transfert du siège du parti Arema de Tananarive à Tamatave, le sénateur Rakotosihanaka, fidèle compagnon de route de l’amiral : « Ne faisons pas une fixation sur les cheveux lisses car les Sihanaka ont aussi les cheveux lisses, rappelons-nous que les Sihanaka et les Betsimisaraka sont des parents à plaisanterie, continuons à rester des alliés [5]. » Dans quelle mesure d’autre part Tamatave constitue-t-elle un point solide, à base ethnique, pour la reconquête du pouvoir ? Cet article tente de fournir quelques éléments de réponse à ces questions éminemment politiques en analysant les ressorts sociaux et les faux-semblants de la mobilisation ethnorégionale qui se cachent derrière les clichés du « tribalisme » – entendu ici comme la manipulation politique de l’ethnicité.

Peut-on parler d’une province betsimisaraka ?

3Il convient au préalable de définir ce qu’on entend par Tamatave. On opère couramment un double amalgame abusif entre la ville de Tamatave et la province du même nom d’une part, entre celle-ci et le « pays betsimisaraka » de l’autre. La province comptait 1 993 579 habitants selon le recensement de 1993 [6] et la ville 128 832, se plaçant comme la troisième du pays après Tananarive et Antsirabe. L’amalgame noie donc les spécificités de la ville dans une masse rurale qui est elle-même différenciée tant ethniquement qu’économiquement. Étant un port, la ville de Tamatave se distingue, comme toutes les villes portuaires, par sa multiethnicité. Les Betsimisaraka tamataviens de souche sont minoritaires par rapport aux migrants [7], que ceux-ci viennent de l’intérieur de la province ou de plus loin, principalement des Hautes Terres centrales et du sud-est de l’île. La ville apparaît comme une enclave côtière pluriethnique dans ce qu’on peut appeler le « pays betsimisaraka » (figure 1), une bande côtière allongée de Maroantsetra au nord à Marolambo au sud. Sur les cartes ethniques, les Betsimisaraka semblent occuper un ensemble d’un seul tenant presque totalement compris dans la province de Tamatave [8], mais qui n’en constitue qu’une fraction, le long de la côte. Dans l’intérieur, en effet, correspondant au fossé de l’Alaotra-Mangoro, gradin intermédiaire inséré dans les régions au relief accidenté qui séparent la côte des Hautes Terres, le peuplement est différent et beaucoup plus composite. Le district d’Andilamena est une zone de confins entre Hautes Terres, Est et Ouest, à la composition ethnique particulièrement complexe. L’Alaotra (districts d’Ambatondrazaka et d’Amparafaravola) est une région d’immigration, incluant une importante population merina et betsileo, et les Sihanaka n’y sont plus majoritaires. Le district de Moramanga ne peut plus être considéré comme un « pays bezanozano ». Anosibe an’ala, aggloméré parfois au pays betsimisaraka (ce que paraît justifier son comportement électoral), voit lui aussi l’immigration réduire la part de la population tanala.

4Présenté comme la capitale betsimisaraka, ce qu’historiquement elle n’est même pas [9], Tamatave est le chef-lieu d’une province hétérogène, où le groupe betsimisaraka est le plus nombreux et occupe environ les deux tiers de la superficie, le reste étant toujours de peuplement complexe. Mais le bloc betsimisaraka lui-même est-il si homogène ? L’unité politique du groupe a été fugace : la confédération betsimisaraka est une création tardive et pour une part extérieure, puisque formée au xviiie siècle sous l’égide d’un descendant de pirate européen et d’une fille de chef de clan local. Elle ne s’étendit aux Betsimisaraka du Sud que par la conquête et ne dura somme toute que peu de temps. Le « groupe » n’a pas aujourd’hui d’unité sociale et religieuse, et il n’est guère définissable que par une certaine communauté de culture matérielle – la pratique du champ de riz sur brûlis forestier (le tavy) combiné avec la rizière de marais cultivée sommairement avec piétinage – et un héritage historique : une pratique ancienne de la relation avec l’étranger, une intégration forcée et précoce au royaume merina conquérant. Les niveaux de « développement » ou tout simplement d’équipement sont inégaux. Ainsi, quand le ratio de médecins pour 10 000 habitants est de 0,5 à Fénérive, il n’est que de 0,1 à Marolambo [10]. On peut distinguer un centre betsimisaraka, de Brickaville à Fénérive, relativement bien desservi et bien équipé, polarisé par le port de Tamatave, et des périphéries nord et sud quasi enclavées. Encore celles-ci différent-elles : tous deux à l’écart, les districts de Maroantsetra (nord) et de Vatomandry (sud) présentent des taux de réussite scolaire très contrastés, témoins des différences dans les taux de scolarisation et d’équipement scolaire. Il est par conséquent vain d’évoquer une sorte d’unité ethnique au niveau de la province. Cela se traduit clairement dans les résultats du dernier scrutin présidentiel.

La province de Tamatave a-t-elle eu un vote ethnique ?

5Le président-candidat étant un Betsimisaraka, de surcroît opposé à un Merina, on peut penser que ses partisans n’ont pas manqué d’en tirer argument pour démarcher les électeurs de la province. L’argumentation n’a été que relativement payante. En effet, les résultats du premier comptage (« hors taxes » selon la terminologie locale, c’est-à-dire avec les fraudes supposées [11]) ont donné à Ratsiraka 62,65 % des suffrages exprimés (soit 413 984 électeurs) et 28,76 % (190 045) à son challenger : la province de Tamatave a voté Ratsiraka en plus faible proportion que l’Imerina n’a voté Ravalomanana (63,4 %). Mais, pour étudier les composantes ethniques du vote, il convient de resserrer l’analyse en la concentrant sur le « pays betsimisaraka » proprement dit. D. Ratsiraka y obtient 68,9 % des suffrages, ce qui n’est pas considérablement plus que sa moyenne provinciale ou que le pourcentage de M. Ravalomanana en Imerina, assimilée à la province de Tananarive (63,4 %). Ce pourcentage général est de surcroît trompeur, comme le révèle l’analyse des votes par fivondronana (district) « betsimisaraka » (figure 2). Si Maroantsetra, à l’extrême nord, a voté Ratsiraka à 66,4 %, le Nord dans son ensemble s’est montré moins enthousiaste (y compris Vavatenina, de population pourtant très homogène). Le Centre a voté Ratsiraka dans de plus fortes proportions ; mais c’est dans le Sud, y compris à Anosibe an’ala, que se cantonne la « ratsirakie » avec des taux, exceptionnels, supérieurs à 80 %. Sur l’ensemble des districts, la dispersion des taux des districts betsimisaraka, Tamatave exclue, est très comparable à celle que l’on observe en Imerina : entre le district le moins favorable et le district le plus favorable au candidat « régional », la différence est de 1 à 1,61 en Imerina [12], de 1 à 1,7 en pays betsimisaraka. Tamatave fait tache dans l’ensemble, qui n’a pas accordé la moitié de ses suffrages au président sortant. L’exception (une ville pluriethnique) ne confirme toutefois pas la règle. Globalement, pour les Betsimisaraka, on ne saurait parler de vote ethnique : des différenciations sous-régionales sont patentes, tout comme en Imerina, où transparaissent des faits historiques et économiques. On peut tout au plus parler d’une prime au « régional de l’étape », à un niveau supérieur à ce que l’on observe en Imerina, mais avec un même degré de variation.

6C’est donc une bien médiocre analyse des résultats qui conduit les observateurs à qualifier de « fief de Ratsiraka » la province de Tamatave, l’une des plus peuplées de Madagascar [13]. Cette opinion courante ne peut apparemment s’appliquer qu’au sud de la « région ethnique ». Elle mérite un examen plus approfondi, compte tenu des soupçons de fraude : est-il si sûr que seuls des « Betsimisaraka réels » (de vrais électeurs) aient voté? Est-il sûr d’autre part que tous les « Betsimisaraka réels » aient eu la possibilité de voter ?

7L’analyse des taux d’inscription par district [14] laisse en effet planer plus que des doutes. Une cartographie du pourcentage d’inscrits par rapport à la population totale au niveau des districts (figure 3) fait apparaître des partitions remarquablement nettes. Un premier groupe comprend des districts où le pourcentage d’inscrits se situe autour de 40 %, ce qui représente un taux somme toute logique car, en moyenne nationale, les électeurs potentiels (âgés de plus de 18 ans) constituent sensiblement la moitié de la population.

8Géographiquement, cet ensemble statistique comprend deux éléments : d’une part le nord de la façade côtière (Maroantsetra, Mananara, Sainte-Marie), de l’autre l’ensemble Alaotra-Mangoro, d’Amparafaravola au nord à Moramanga au sud. Dans le deuxième cas, s’agissant d’une région relativement bien équipée, peuplée pour une large part d’originaires des Hautes Terres, on peut considérer que le taux élevé d’inscription traduit une pratique bien ancrée du vote et la possibilité de l’exercer. On s’interroge en revanche sur les taux voisins de la région enclavée que constitue le Nord côtier. Un deuxième ensemble couvre tout le reste du « pays betsimisaraka » et se caractérise par des taux d’inscription faibles, toujours inférieurs à 40 %. Il peut faire l’objet d’une partition secondaire autour du taux de 36 %, qui marque une très nette sous-inscription. Or, curieusement, les taux les plus faibles caractérisent le Sud betsimisaraka, assez homogène ethniquement et qui est apparu comme la « ratsirakie » stricto sensu, avec des taux localement inférieurs au tiers de la population. Tout paraît se passer comme si l’on avait procédé à une sélection des inscrits, éliminant les électeurs peu sûrs, comme si l’important n’était pas le nombre de voix recueillies mais le taux de vote en faveur du candidat Ratsiraka. On arrive en effet à des niveaux exceptionnels, inconnus ailleurs à Madagascar : plus de 80 % de votes en faveur de Ratsiraka, avec un record de 90,47 % pour le district d’Anosibe an’ala [15]. Celui-ci est le lieu d’origine de Pierrot Rajaonarivelo, vice-Premier ministre et secrétaire général de l’Arema, qui se vanta (un peu abusivement) d’être à l’origine du « club des 90 % [16] » constitué par la Mavam, autrement dit le sud de la province [17]. Tout paraît donc avoir été mis en œuvre, fût-ce au détriment de l’addition au niveau national, pour souligner l’assise ethnique du président. Symboliquement, celui-ci a lancé sa campagne électorale depuis la petite ville de Fénérive-Est [18], située à moins d’une centaine de kilomètres au nord de Tamatave et capitale historique de la Confédération betsimisaraka. Lorsqu’il a choisi de quitter son bunker tananarivien, il s’est établi non pas à Tamatave-ville mais à 25 kilomètres plus au nord, en retrait du petit village touristique d’Ambodiatafana.

9La capitale de la province constitue un cas différent : un lieu symbolique, où il convient de l’emporter électoralement, mais qui, compte tenu du contexte, suppose une autre stratégie. Tamatave apparaît sur la carte du taux d’inscription dans la catégorie opposée, curieusement couplée avec Andilamena [19], où l’on peut sans nul doute, avec plus de 70 % d’inscrits par rapport à la population totale, parler de « surinscription » et très probablement de bourrage des urnes. Inquiets du vote des immigrés, très nombreux à Tamatave, on a de bonnes raisons de penser que l’administration a tout fait pour que le chef-lieu de la province, conçu symboliquement comme la capitale betsimisaraka, vote pour le président sortant. C’est à ce cas que nous nous attacherons tout particulièrement.

La ville de Tamatave et les élections du 16 décembre

10À Tamatave-ville, le taux de participation (53,48 %) fut très nettement inférieur à la moyenne provinciale (66,32 %) et nationale. De plus, la victoire du président sortant y fut tempérée par une forte résistance de Ravalomanana (40 % contre 48 %). Tamatave, présentée comme la capitale du ratsirakisme, s’est montrée modérément enthousiaste à l’égard du champion de l’Arema… et pourtant que de précautions prises ! La surinscription (vote de mineurs inscrits indûment sur les listes électorales, votes pluriels ou opérés par l’administration, etc.) y semble extrêmement probable. Le recensement de 1993 attribuait en effet à la ville 128 832 habitants, ce qui, en tenant compte de la croissance démographique, pourrait donner entre 165 000 et 200 000 habitants au grand maximum – sauf à supposer, ce qui est peu croyable, que le recensement de 1993 ait ignoré presque la moitié de la population. On devrait donc logiquement avoir entre 80 000 et 100 000 électeurs, alors que le nombre des inscrits s’est élevé à 118 705. On notera que l’université de Tamatave, où les « ratsirakistes » durs tiennent le haut du pavé, a fourni matériels et personnels pour l’élaboration des listes électorales et la confection du logiciel permettant le traitement des résultats des élections dans la ville. Nul doute qu’un succès net du candidat sortant aurait eu une valeur emblématique, affirmant son assise locale au-delà de « brousses isolées », dans une ville qui représente un pôle essentiel pour l’économie du pays : Tamatave pouvait apparaître comme doublement symbolique.

11Malgré ces « précautions », le soutien des Tamataviens à l’« enfant du pays » paraît bien modéré. Ratsiraka a obtenu 27 812 voix (48,84 %) contre 23 238 (40,81 %) à Ravalomanana. Globalement, sur les 140 bureaux de vote répartis sur cinq circonscriptions, seulement 48 ont accordé leurs faveurs à Ravalomanana, et le candidat de l’opposition mène dans deux circonscriptions sur les cinq. II s’agit des deux quartiers centraux de la ville, Ambodimanga et Anjoma. Les taux de participation y ont été les plus élevés (62 % et 57, 31 % contre 53,48 % pour l’ensemble de la ville). L’opposition triomphe dans 17 bureaux de vote sur 19 dans le quartier d’Ambodimanga (avec 4 372 voix contre 2 794 pour le candidat de l’Arema). À Anjoma, pourtant réputé quartier merina, la victoire est moins nette, puisque 14 bureaux de vote sur 21 ont permis à Ravalomanana de mener par 4 446 voix contre 3 735. Dans les trois autres circonscriptions favorables à Ratsiraka, le taux de participation est bas et avoisine les 50 % [20].

12Il est difficile de déterminer précisément les motivations des abstentionnistes et même leur nature : s’agit-il en effet de personnes réelles ou d’électeurs fictifs que l’on aurait, logiquement, fait voter pour Ratsiraka ? Le très fort taux d’abstention constaté ne tient-il pas, au moins pour partie, à l’efficacité de la surveillance opérée par le Consortium d’observateurs ? Ainsi, dans le quartier de Morarano, où la communauté des migrants originaires de la partie sud-est [21] de l’île est très fortement organisée et dynamique, à qui a bénéficié l’abstention, si l’on considère que le candidat de l’opposition y a rassemblé 33,06 % contre 39,23 % pour le président sortant ? Cette communauté de prolétaires parmi les prolétaires fournit la majorité des 4 000 dockers du port ainsi que la plupart des tireurs de pousse-pousse, professions les plus dévalorisées dans la ville, et elle est accusée d’être à l’origine de la criminalité. C’est dans une frange de cette population que les politiciens recrutent leurs hommes de main, colleurs d’affiches et autres éléments de services d’ordre musclés.

13On serait tenté de penser que le clivage entre les électeurs du président sortant et ceux de Ravalomanana est d’ordre économique. En effet, Ravalomanana devance très nettement son concurrent dans les deux circonscriptions d’Anjoma et d’Ambodimanga qui regroupent les quartiers aisés de Tamatave-ville. Et, de manière exemplaire, dans les deux bureaux de vote de Vazahaland (Salazamay, le quartier des expatriés, les vazaha, aux villas cossues), il bat Ratsiraka. Ce dernier domine toutefois dans l’ensemble de la circonscription d’Ankirihiry, plutôt populaire mais qui inclut Salazamay. Cette observation doit cependant être nuancée. D’une part, Ravalomanana mène dans de nombreux quartiers populaires où résident, il est vrai, des migrants [22]. Ensuite, dans le quartier d’Ankirihiry, le plus peuplé de la ville avec quelque 38 000 électeurs et qui abrite les migrants originaires de la province, on pouvait penser que, sur des arguments tribalistes, Ratsiraka ferait le plein des voix. Mais moins du tiers (9 487) ont voté pour lui. La ville de Tamatave, électoralement parlant, n’est pas le fief de Ratsiraka. Serait-ce à dire que le tribalisme n’a que peu de prise sur les Tamataviens ?

Tamatave et le tribalisme

14L’analyse politiquement correcte tend à considérer les clichés tribalistes comme sans conséquence sur le comportement des citoyens. Ne profitant qu’aux politiciens manipulateurs, elle absout leurs électeurs, qui en seraient les victimes. Cependant, dans la réalité, les politiciens locaux, qu’ils soient manipulateurs ou qu’ils tentent de résister à la tendance, doivent tenir compte de l’ethnicisme ambiant pour asseoir leurs stratégies. Il y a en fait un effet de miroir : l’ethnicisme, c’est-à-dire le sentiment d’appartenance à un groupe ethnique, provoque le tribalisme, autrement dit la manipulation politique de ce sentiment, et il en est généralement renforcé [23].

15L’existence de sentiments « ethniques » est indéniable dans la capitale provinciale. Ils sont relativement classiques (on parlerait ailleurs de « régionalisme ») parmi les populations récemment immigrées dans des villes lointaines. Mais l’ethnicisme n’est pas moindre dans la population betsimisaraka, et il est évidemment pris en compte dans les manipulations politiques.

16Lorsque le maire de la ville, neveu du président alors en exercice, prit ses fonctions en 2001, il dut céder sa place de député. Sa suppléante, directrice d’une des plus importantes écoles privées de la ville, devait le remplacer sur les bancs de l’Assemblée nationale. Mais la dame en question est une Merina, enrôlée sur la liste Arema pour attirer les électeurs merina et, bien qu’elle fût une militante active du parti gouvernemental, ses compagnons utilisèrent différents artifices pour l’obliger à renoncer à son siège. Pour eux, la ville de Tamatave ne peut être représentée que par un Betsimisaraka. On peut ici parler de tribalisme. À l’autre bout de la palette politique, un professeur de chirurgie merina, qui a passé la plus grande partie de sa carrière en province, se présenta à plusieurs reprises aux différentes élections locales pour essayer de contrecarrer la tendance au tribalisme. Il constitua à chaque fois des listes multiethniques, sans s’arrimer directement à un mouvement national ou inspiré de la capitale, et obtint à toutes les élections des scores honorables compte tenu de l’ethnicisme ambiant. Les uns et les autres se prévalent d’un discours sur l’unité nationale ; le second cependant accepte l’ethnicisme comme un fait et essaie d’en tirer les points qu’il considère positifs, tout en mettant en avant la volonté de construire une identité tamatavienne transethnique.

17On doit admettre que les Tamataviens se sentent obligés de se définir par rapport à une appartenance ethnique et qu’une identité proprement tamatavienne reste pour l’instant du domaine du souhait de quelques intellectuels. Les associations d’originaires sont légion dans la ville. Chez les Merina, il n’y en a pas moins de treize ; il s’agit essentiellement d’organisations d’entraide, évidemment très courtisées en période électorale. Les associations traditionnelles sont les plus solides. Ainsi les associations d’andriana merina, aussi bien que les trano be (grands lignages) des Antemoro, se remarquent-elles par leur pérennité. Les associations dont le noyau dirigeant est élu sont en revanche souvent menacées par des scissions car, au moment des élections, l’argent coule à flots, bénéficiant surtout aux responsables qui promettent aux hommes politiques d’apporter le suffrage de leurs membres.

18Cependant, les membres de la grande majorité de ces associations tiennent à l’apolitisme de leurs groupements; aussi les mots d’ordre politiques et autres consignes de vote y sont-ils soigneusement évités, du moins ouvertement. Le loyalisme à l’égard d’une association d’originaires n’entre jamais en contradiction avec l’appartenance à un parti politique. Cela dit, et en particulier depuis l’instauration du système des provinces autonomes, les associations d’originaires ont vu se renforcer leur fonction de défense de leurs membres. En effet, l’autonomie provinciale est perçue comme une gratification politique de l’appartenance ethnique. En tant que « capitale des Betsimisaraka », Tamatave rejette les autres groupes dans la catégorie des vahiny (étrangers à la région), même si nombre d’entre eux y sont présents depuis longtemps [24]. Ce phénomène s’est renforcé à partir de la crise politique de 1991, lorsque les partisans de Ratsiraka ont brandi l’arme du tribalisme et de la sécession et lancé l’idée de fédéralisme ethnique. Les partisans de l’amiral ont alors tenté d’opposer les Betsimisaraka aux autres habitants de la ville. Ce fut à ce moment que naquit le Totem ou Toko telo mahamasanahandro, les trois pieds de la marmite qui permettent de faire cuire la nourriture, qui symbolisent la coopération et la solidarité en vue de l’action. Les associations de migrants originaires des provinces de Fianarantsoa (essentiellement de la côte du Sud-Est), de Tuléar et de Tananarive s’y regroupèrent pour tenir tête au tribalisme betsimisaraka. L’organisation reçut la bénédiction des autorités traditionnelles (ou jugées telles) de chacune des communautés concernées.

19En 1991, le Totem fit pièce de manière radicale [25] aux velléités belliqueuses des partisans de Ratsiraka, regroupés sous le label fédéraliste. À tribalisme, tribalisme et demi pourrait-on dire. Le Totem, qui s’était constitué pour défendre ses membres et leurs biens, a tout naturellement repris du service en 2002, lorsque les menaces tribalistes se firent plus précises. Les tracts menaçant le président de l’association des Merina ainsi que des calicots placés en travers des rues de Tamatave, accusant les migrants d’être à l’origine du malheur des Tamataviens, avaient donné le signal. Mais la mise en place du barrage de Brickaville fut plus déterminante encore. Destiné à asphyxier la province de Tananarive, il limitait la circulation des migrants qui eurent dès lors la très forte impression d’être pris en otages. Par exemple, était menacé le traditionnel transfert des razana (parents décédés), qui se passe généralement en hiver et nécessite une longue préparation financière et logistique. Les migrants pauvres doivent économiser pendant un temps considérable afin d’enterrer dans leurs terroirs d’origine leurs parents décédés à Tamatave ou dans la province. Les vacances scolaires et hivernales de juillet et août se prêtent à ces transferts qui donnent lieu à des dépenses exceptionnelles.

L’inanité de Tamatave comme capitale « côtière »

20Sollicitée par les partisans de Ratsiraka, la solidarité « côtière » n’avait guère de chance de s’enraciner dans ce milieu. Tamatave n’était que peu ou pas du tout crédible comme capitale déclarée des cinq provinces côtières. Pour pouvoir payer les fonctionnaires, le gouverneur de la province [26] fit le tour des entreprises privées et publiques de la ville. À la Jirama, compagnie d’État qui fournit l’eau et l’électricité, il se vit répondre que les recettes suffisaient à peine à payer le fuel destiné à son fonctionnement ainsi que les dépenses courantes. Y toucher, c’était menacer l’existence de l’entreprise et priver d’eau et d’électricité l’ensemble des Tamataviens. Aux Télécommunications, même son de cloche. Le port, sur les recettes duquel (plusieurs milliards de francs malgaches par jour) reposait financièrement le projet d’autonomie, ne fonctionnait qu’à l’extrême ralenti du fait du barrage. De nombreuses entreprises se trouvaient au chômage technique, y compris la raffinerie procurant du carburant à toute l’île, dont 60 à 70 % pour les Hautes Terres centrales [27]. La démarche du gouverneur révéla clairement les limites financières du système des provinces autonomes. Après avoir vainement tenté de croire que le gouvernement de Ratsiraka payait les salariés de l’État, les responsables provinciaux de Tamatave ont dû se rendre à l’évidence : c’était bien le « gouvernement bis » du président autoproclamé qui tenait les cordons de la bourse !

21Plusieurs ministres de Ratsiraka avaient déménagé à Tamatave et dans ses environs, encombrant les rues de la ville de voitures tout-terrain flambant neuves, logeant dans les grands hôtels. Les avions de la compagnie privée du fils du président faisaient l’aller et retour entre Tananarive et Tamatave pour rapporter à manger aux ministres, tandis que les légumes manquaient sur les marchés en raison des barrages. Ils transportaient les mêmes personnages d’une capitale provinciale à une autre pour des conseils de ministres qui ressemblaient plus à des rituels qu’à des réunions où pourraient se prendre des décisions importantes [28]. Chaque secousse à Tananarive amenait dans la ville son lot de personnages anciennement puissants et alimentait [29] les rumeurs. Dans une ambiance de fin de règne, celles-ci se faisaient l’écho de l’affairisme propre à ce milieu. Les malheurs de Sophie (la fille du président) comme le racket des milieux d’affaires qui devaient passer par les barrages avec l’autorisation du gouverneur n’étaient sans doute que le sommet d’un iceberg.

22Il était difficile aux simples Tamataviens de se reconnaître dans ces personnages que l’on ne voyait qu’épisodiquement sur les écrans de la télévision locale. La plupart des radios privées étaient dans les mains des représentants du régime et entretenaient l’ardeur souvent belliqueuse des partisans. Une station de radio appartenant à un enseignant de l’université fut surnommée par l’opposition « Radio des mille collines ». Elle accueillait complaisamment les dirigeants des milices qui y diffusaient des messages tribalistes.

23Les autres stations ont été fermées [30] ou, menacées de l’être, se sont condamnées au silence. La station Voanio (cocotier), propriété de M. Gallois, un homme d’affaires zanatany (Français né à Madagascar), avait continué à présenter des journaux qui respectaient l’objectivité ; elle finit par y renoncer pour ne pas être accusée de faire le jeu des adversaires et par crainte d’être incendiée par les miliciens du gouverneur. Les stations locales, il est vrai, ne sont pas captées à plus d’une soixantaine de kilomètres, pour les plus performantes, ce qui limite considérablement leur influence. Les journaux arrivaient irrégulièrement. Quelques privilégiés se branchaient sur Internet, communiquant les nouvelles de la ville et y diffusant celles de l’extérieur. La radio nationale [31], qui émit à partir de fin février sur ondes courtes – avec un piètre confort d’écoute –, restait, pour la grande masse, la seule source d’information contradictoire sur ce qui se passait ailleurs dans l’île et au-dehors.

La semaine du 11 mars

24À Tamatave, quoique potentiellement puissant, le mouvement pour le changement manquait d’un lieu symbolique de rencontres et d’une ou de plusieurs personnalités charismatiques. L’interdiction des réunions, imposée en vertu de l’état d’exception, contraignait les partisans de Ravalomanana à se retrouver épisodiquement au siège de la société Tiko, dans la cour duquel poussait un grand arbre à pain. Le lieu fut ainsi baptisé « Au pied du soanambo ». Un tel endroit ne permettait guère à des tribuns de se révéler.

25Le mouvement était dirigé par un groupe assez hétéroclite. Un premier pôle était composé de représentants des partis de l’opposition, vieux briscards du mouvement de 1991 et animateurs de ce qu’on appelle localement la « cellule de crise [32] ». Une partie de ces personnalités avait rejoint le camp de Ratsiraka à son retour au pouvoir en 1996. C’était pour ainsi dire un pôle assez usé et en recul. Un deuxième pôle était constitué par les animateurs du comité électoral de Marc Ravalomanana (TIM ou Tiako Madagasikara, « J’aime Madagascar »). Ce groupe était animé par des intellectuels originaires du cru et par le personnel dirigeant de la branche locale de l’entreprise Tiko : des « commerciaux » peu au fait des réalités et des mœurs politiques. Une telle structure, surtout destinée à la bataille électorale, n’était nullement préparée à une épreuve de force contre les partisans de l’amiral à Tamatave-ville. Alors que Tananarive s’était autoproclamée capitale mondiale de la non-violence sans avoir fait d’efforts réels pour étendre son influence en province [33], certains leaders du mouvement avaient tenté, sans grand succès, de reproduire ce type de manifestation à Tamatave.

26Quand les chefs du mouvement à Tananarive décidèrent de se lancer dans la confrontation en reproduisant le schéma de 1991 (grève générale, manifestations quotidiennes), leurs correspondants locaux à Tamatave ne réussirent pas à convaincre les électeurs et les partisans de l’opposition de défiler quotidiennement dans les rues. Les raisons sont multiples et la station MBS, pourtant « ravalomananiste », y contribua inconsciemment en diffusant des informations en direct sur les manifestations géantes de Tananarive et des autres villes de province. Ce faisant, elle décourageait les gens d’aller manifester sous le soleil (on était en plein été austral) et écouter des orateurs qui répétaient ce que racontait la radio. Les organisateurs tamataviens attiraient à peine autant de manifestants que ne l’avait fait la cellule de crise un an plus tôt. Pourtant, l’« effet Ravalomanana » avait rassemblé une foule immense lors du passage de celui-ci à Tamatave avant le scrutin du 16 décembre ; mais cela ne fut pas entretenu par la venue de leaders d’envergure nationale [34]. Le mouvement de l’opposition tirait sa force des ressources des électeurs tamataviens : essentiellement le Totem et accessoirement des réseaux chrétiens, même si la branche locale du FFKM restait très timorée.

27En 1991, la mise sur pied de Totem avait eu un effet dissuasif sur les velléités belliqueuses des partisans des autorités. En 2002, non seulement l’association a enrayé la progression du tribalisme propagé par les partisans de Ratsiraka, mais elle a presque réussi à contrôler la ville de Tamatave durant les nuits des 12 et 13 mars 2002. À Tamatave, en ce mois de mars, l’état d’exception semblait n’avoir pas cours, comme en principe ailleurs, selon des règles codifiées. Les barrages érigés sur la route entre Brickaville et Tananarive commençaient à peser sur la vie des Tamataviens et dans une certaine mesure sur celle de l’ensemble de la province [35]. Une grande majorité des entreprises du secteur formel était au chômage technique ; les produits ne circulaient pas. Les recettes du port comme celles de la commune et de la province s’étaient effondrées.

28Des dirigeants du mouvement, la plupart issus du Totem, décidèrent alors d’organiser une manifestation en ville, le lundi 12 mars. Les membres et sympathisants du Totem, venant de leurs quartiers respectifs, devaient converger vers le centre-ville où se trouve le palais du gouverneur Lahady. À l’issue de cette manifestation, une lettre de demande de levée du barrage de Brickaville devait être remise au gouverneur par des délégués. Le mouvement était donc animé par une sorte d’ethnicité positive [36], puisque c’est sur la base de l’appartenance à des associations d’originaires qu’il a été organisé.

29L’avant-veille, une autre délégation avait pris les devants. Elle était plus liée à des groupements politiques et syndicaux. Un de ses membres avait été arrêté tandis qu’un autre, frappé de coups de couteau, avait réussi à s’enfuir. Dans le même temps, depuis plusieurs jours, certains responsables de la province avaient annoncé la création d’une milice.

30Le 12 mars, à peine la foule avait-elle commencé à se rassembler que des jeunes gens munis d’armes blanches firent irruption et attaquèrent les manifestants, blessant grièvement un des dirigeants, un professeur à la faculté de médecine de Tananarive âgé de 69 ans. Les miliciens, souvent ivres ou sous l’emprise de stupéfiants, écumèrent ensuite la ville, brûlant des maisons et réglant les comptes des commanditaires. Emportés par leur élan, ils commencèrent à donner à leur mouvement un caractère tribaliste, réclamant le départ des migrants, pillant des magasins et molestant des passants. Ils s’aventurèrent alors dans le quartier de Morarano.

31Les habitants répliquèrent et lynchèrent trois miliciens, ce qui donna le signal d’une véritable insurrection. Des groupes, armés aussi d’armes blanches, se formèrent dans les rangs des jeunes membres du Totem. Ils réussirent à disperser les miliciens. Des barrages, à l’image de ce qui se faisait à Tananarive, furent érigés à tous les carrefours dans la nuit du 12 au 13 mars et se maintinrent pendant trois nuits. Les points stratégiques tombèrent un à un. La raffinerie fut assiégée et des revendications telles que « démission du gouverneur, levée des barrages » commencèrent à apparaître sur les barricades. Les responsables du mouvement pro-Ratsiraka étaient sur la défensive. L’un des dirigeants des miliciens s’enfuit même à la Réunion. Des groupes de jeunes commençaient à piller des commerces dont les propriétaires étaient connus pour leur sympathie à l’égard de Ratsiraka. Le chômage technique qui paralysait de nombreuses entreprises, dont la première de toutes, le port [37], poussèrent de nombreux jeunes dans la voie de cette violence sélective.

32Les autorités tentèrent de négocier avec les dirigeants du Totem la levée des barrages dans l’ensemble de la ville. Les défenseurs des barricades exigeaient, pour se retirer, que soit levé le barrage de Brickaville. L’essence commençait à manquer. Les responsables décidèrent de recourir à l’armée, mais, comme à Tananarive, le commandement refusa de donner l’ordre de tirer. Des éléments des groupes d’intervention et des officiers volontaires, originaires de la province, prirent sur eux de le faire. L’officier qui ordonna la fusillade, originaire de Maroantsetra, se porta ensuite volontaire pour prendre sous son commandement les soldats gardant le barrage de Brickaville.

33Cinq jeunes furent littéralement fusillés alors qu’ils étaient en train de piller. Certains témoignages font état du fait qu’ils étaient en train de se rendre. En tous les cas, le mouvement fut arrêté net par ces morts. La répression s’organisa aussitôt : les autorités profitèrent de la confusion pour éliminer les éléments « peu sûrs » dans les rangs des forces de l’ordre. Parmi les cinq personnes bannies et accusées d’avoir été à l’origine de la manifestation du 12 mars figurent le chef de la gendarmerie et un général. Menaces, arrestations et perquisitions se succédèrent ensuite. Plusieurs dirigeants du mouvement durent quitter la ville ou se réfugier dans la clandestinité. Mais le Totem se ressaisit avec l’émergence d’autres dirigeants, et ce en dépit de tentatives répétées de corruption.

34Dans la ville de Tamatave, où l’on voit trop facilement un « fief » de Ratsiraka mais où celui-ci n’a jamais tenu de réunion publique importante, le président sortant n’a pas réussi à obtenir une victoire significative. Les résultats des élections du 16 décembre montrent une sorte d’équilibre des forces politiques. Avec des moyens locaux, le mouvement en faveur du changement est parvenu à conduire une épreuve de force contre les autorités provinciales qui n’a pas manqué d’efficacité. Du fait de l’ethnicité ambiante, il lui fallut se définir selon des lignes ethniques. Dans une ville pluriethnique, où la conscience d’une identité collective urbaine reste encore à constituer, les associations d’origi-naires regroupées ont alors animé la société civile dans la résistance contre les exactions des milices organisées par les autorités. Est-ce là un des ressorts de la « guerre civile à la malgache » ou l’amorce d’une nouvelle identité collective ?

35A.
Université Paris-VII

36mai 2002

Figure 1

Le « pays betsimisaraka »

Figure 1

Le « pays betsimisaraka »

Figure 2

Pourcentage de suffrages en faveur de D. Ratsiraka

Figure 2

Pourcentage de suffrages en faveur de D. Ratsiraka

Figure 3

Province de Tamatave. Pourcentage des inscrits dans la population totale

Figure 3

Province de Tamatave. Pourcentage des inscrits dans la population totale

Notes

  • [1]
    Voir « Madagascar, les “maîtres de la route” défient la capitale », Le Courrier de Genève, 7 avril 2002.
  • [2]
    C’est aussi le cas de nombreux diplomates… mais il arrive qu’ils le reconnaissent. L’un des membres du groupe de contact de l’OUA a avoué lors d’une interview : « Nous ne connaissions pas très bien la situation du pays. À partir d’Addis Abeba, nous ne pouvions pas venir avec une solution en poche pour Madagascar. C’est ce que le président Antonio Mascarenhas Monteiro [l’ancien président du Cap-Vert, chef de la mission, NDLR] a dit. » Sud International, 4 avril 2002.
  • [3]
    Le blocus imposé à Tananarive par Ratsiraka et ses partisans confond sous la toponymie la ville et la province et, par extension, un groupe ethnique, les Merina. De l’autre côté, certains adversaires de Ratsiraka à Tananarive ne cachent pas leurs sentiments anti-côtiers. Les seconds cependant sont plus prisonniers du discours pour l’unité nationale.
  • [4]
    Ratsiraka a tiré la leçon de la précédente crise politique et des effets dévastateurs qu’eut la répression de la marche des Forces vives sur Iavoloha.
  • [5]
    Madagascar Tribune, 3 avril 2002. L’auteur de cette remarque est lui-même sihanaka, une autre ethnie importante de la province. Dans l’argumentation tribaliste, les « Merina aux cheveux lisses » sont supposés être les ennemis des Côtiers qui ont les cheveux crépus.
  • [6]
    Recensement de 1993, Instat, novembre 1996.
  • [7]
    Ils sont 215 197 pour l’ensemble de la province et la grande majorité se trouve dans la ville de Tamatave selon le recensement de 1993.
  • [8]
    Ils débordent sur la province de Fianarantsoa dans le fivondronana de Nosy Varika.
  • [9]
    Historiquement parlant, au xviiie siècle, c’est Fénérive qui était la capitale de la confédération betsimisaraka qui conquit par la force le Sud pour l’annexer au Nord.
  • [10]
    Images régionales de l’économie malgache, ministère de l’Économie et du Plan, 1989.
  • [11]
    Les données analysées ici proviennent des résultats proclamés par la HCC et publiés sur son site à la fin janvier 2002. On sait qu’un second comptage a eu lieu en avril à la suite de l’accord de Dakar.
  • [12]
    On a soustrait Tananarive pour des raisons de symétrie ; mais les situations sont inverses : Tananarive donne une plus forte proportion de voix que la province à son maire ; Tamatave a le plus faible taux de votes pro-Ratsiraka dans l’ensemble dit « betsimisaraka ».
  • [13]
    La province est le troisième « panier à électeurs » après Tananarive (1 621 893 inscrits, avec un taux de participation de 72,47 %) et Fianarantsoa (717 271 et 65,36 %).
  • [14]
    On a mis en rapport le nombre d’électeurs inscrits avec la population totale selon le recensement de 1993, mais en l’augmentant de l’accroissement démographique sur dix ans, estimé arbitrairement à 20 %, ce qui est sans doute une sous-estimation.
  • [15]
    On compte 17 270 voix pour Ratsiraka sur 19 382 suffrages exprimés, soit un taux de participation de près de 74,5 %.
  • [16]
    Il s’agit des circonscriptions électorales qui auraient voté à 90 % pour Ratsiraka (en fait, plutôt 80 %). Midi Madagascar, 21 décembre 2001.
  • [17]
    Ancien ambassadeur de Madagascar aux USA, le vice-Premier ministre est pourtant classé dans la fraction moderniste et modérée de l’Arema et a fait figure de dauphin. Il espéra jusqu’au dernier moment obtenir la bénédiction du président pour pouvoir se présenter. Calendriers à son effigie, tee-shirts et autres gadgets du parfait propagandiste avaient été préparés à l’avance pour ce faire. Mais le « jouvenceau », comme le vieil amiral l’avait qualifié dans un de ses discours, n’eut pas le courage de l’affronter.
  • [18]
    Si Ratsiraka y mène au nombre de voix, le taux de participation (57,9 %) est inférieur à la moyenne provinciale.
  • [19]
    On s’interroge sur la surinscription dans ce district très isolé, au nord de la cuvette de l’Alaotra. Zèle de fonctionnaires désireux d’une nomination dans un poste plus « civilisé », comme à Besalampy ou à Maintirano, dans l’extrême Nord-Ouest, où l’on constate les mêmes phénomènes ?
  • [20]
    Ankirihiry 50,24 %, Morarano 50,28 %, Tanambao 54,73 %. Deux quartiers, dont le plus peuplé de Tamatave-ville, ont eu un taux de participation en dessous de la moyenne.
  • [21]
    Le tribalisme tamatavien a regroupé ces migrants sous le vocable de « gens du Sud-Est », alors que, dans leur région d’origine, des oppositions historiques sont encore entretenues souvent dans la violence entre les Zafisoro et les Zanatsiranana, par exemple.
  • [22]
    Voir notamment la salle 10 de l’école primaire de Morarano ainsi que le quartier de Manangareza, où résident nombre d’ouvriers de la raffinerie.
  • [23]
    S. Randrianja, « Nationalism, ethnicity and democracy », in S. Ellis (ed.), Africa now, Londres, James Currey, 1996, pp. 20-41.
  • [24]
    Sur les 275 197 immigrés dans la province de Tamatave, près de 160 000 sont établis depuis plus de cinq ans, dont 100 000 depuis plus de dix ans (recensement de 1993).
  • [25]
    Le siège des partisans de Ratsiraka fut attaqué et à moitié détruit. Plusieurs personnes perdirent la vie durant les affrontements.
  • [26]
    Qui représente le sommet du pouvoir exécutif, au niveau des provinces, dans le système des provinces autonomes.
  • [27]
    J. E. Rakotoarisoa, « L’effet boomerang des barrages », DMD, mars 2002.
  • [28]
    Au plus fort de la crise, un des conseils des ministres accorda à une entreprise l’autorisation de s’installer en zone franche à Tananarive !
  • [29]
    Ainsi vit-on arriver, dans l’ordre : le ministre de l’Aménagement du territoire, suivi par le président ; le député d’Ambatondrazaka qui avait tiré sur la foule et tué un lycéen ; José Andrianoelison, le directeur de campagne du président, dont la maison a été mise à sac à Tananarive ; le ministre des Travaux publics, le bouillant général Tsaranazy dont chaque absence de Tamatave, par la suite, correspondit à un sabotage de pont.
  • [30]
    Dont la branche locale de MBS, la radio des partisans de Ravalomanana, et quelques stations appartenant à des sectes religieuses.
  • [31]
    La station de radio-télévision apportée par un avion militaire algérien, en février, n’était pas, au mois d’avril, parvenue à émettre sur tout Madagascar.
  • [32]
    Fin 2000, l’opposition a tenté, sans succès, de se regrouper au niveau national au sein de la « cellule de crise », en prenant occasion de l’arrestation et de l’emprisonnement de Jean Eugène Voninahitsy, un des leaders du parti d’opposition, le Rassemblement pour la social-démocratie (RPSD).
  • [33]
    Le futur ministre des Sports et de la Jeunesse du gouvernement de Ravalomanana, qui s’est rendu à Tamatave à plusieurs reprises avant sa nomination, ne s’est jamais donné la peine de mobiliser les sympathisants, pourtant nombreux. Il s’est contenté de frayer avec les grands de la province.
  • [34]
    Selon le schéma de 1991. On savait qu’un gouvernement « parallèle » allait être mis sur pied tôt ou tard. Les leaders rechignaient donc à quitter la capitale, soucieux qu’ils étaient de participer à la course aux portefeuilles.
  • [35]
    Les responsables avaient essayé de créer des barrages aux limites administratives de la province, c’est-à-dire à Moramanga (à 250 km de Tamatave), mais ils n’y réussirent pas. Les populations des alentours enlevaient les obstacles et menaçaient ceux qui tentaient de les rétablir. Aussi le barrage fut-il maintenu à Brickaville, à une centaine de kilomètres de Tamatave. Du coup, autant la partie ouest de la province (l’Antsihanaka) que sa partie sud (le Mavam) se trouvèrent isolées et furent victimes du blocus.
  • [36]
    C’est-à-dire la défense des biens et des personnes des membres, ce que J. Lonsdale a appelé les « civic virtues ». Voir J. Lonsdale, « Éthnicité morale et tribalisme politique », Politique africaine, n° 61, 1996, pp. 98-115.
  • [37]
    À ce moment, plus du tiers des dockers étaient sans travail.
Français

Le province et la ville de Tamatave sont souvent présentées comme le fief de D. Ratsiraka et, partant, comme un haut lieu du « tribalisme ». Cela est infondé pour la province, hétérogène, mais également pour le « pays betsimisaraka » où les attitudes électorales varient régionalement. Seul le Sud betsimisaraka, sans doute à la suite de la manipulation des inscriptions, a voté massivement pour le président sortant. Quant à la ville, de population hétérogène, les votes y ont été quasiment partagés. L’ethnicisme y est fort, mais il a débouché non sur un tribalisme de masse, mais sur une opposition entre originaires et immigrés.

Mis en ligne sur Cairn.info le 15/11/2012
https://doi.org/10.3917/polaf.086.0103
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