CAIRN.INFO : Matières à réflexion

1La ville de Bouaké, 800 000 habitants en 1998, ne se signale ni par un site original, ni par un capital historique particulier, ni par une situation économique favorable. Son déclin, accéléré par une longue décennie de crise, apparaît aujourd’hui consommé, démentant les perspectives prometteuses des années 1970. Peu festive et ostentatoire – contrairement aux villes côtières de la « rencontre coloniale » –, Bouaké est une de ces villes banales, nées d’un carrefour routier, au contact de deux espaces d’échanges complémentaires (forêt et savane). Elle est à la fois tournée vers l’extérieur et produite par l’extérieur : le pays baoulé, pour les relations de proximité et son approvisionnement alimentaire ; la capitale, pour toutes les décisions politiques.

2C’est une ville composite, cosmopolite même, où se côtoient deux ensembles majoritaires. Toutes nationalités confondues, les « côtiers » animistes et chrétiens (auxquels on peut adjoindre les Baoulé) représentaient environ 30 % de la population totale en 1988 contre près de 60 % pour les « nordistes » animistes et musulmans (Sénoufo, Dioula). Parallèlement, le recensement estimait à environ 40% la population d’origine étrangère, burkinabè et malienne essentiellement (INS, 1988). La référence sociocommunautaire a longtemps prévalu sur la nationalité ou la religion comme ferment identitaire [1] et signe de reconnaissance sociale, jusqu’à l’instrumentalisation récente du statut d’étranger par le débat sur l’ivoirité [2]. C’est cette « différence » qui a organisé la distribution en quartiers « ethniques » relativement homogènes ou la cohabitation « paisible » au sein d’un même quartier. Très schématiquement (voir la carte p. 189), les quartiers septentrionaux (Dar-es-Salam, Sokoura, Koko, Belleville) regroupent plutôt des musulmans dioula, mandé et burkinabè, tandis que la partie méridionale (Ngattakro, Ahougniansou, Fetekro) possède de forts contingents baoulé et bété. Bouaké est donc la ville qui symbolise le mieux le débat politique actuel sur la nationalité, l’autochtonie, les rapports Nord/Sud. Dénuée de véritable fonction politique, Bouaké est presque entièrement consacrée aux échanges marchands dont elle tire l’essentiel de ses ressources. Ainsi, le grand marché, jusqu’à sa destruction par un incendie en avril 1998, a été l’un des principaux marqueurs de centralité [3]. En réalité, l’activité marchande s’étend largement au-delà des anciennes maisons de commerce coloniales, gagnant l’ensemble des rues adjacentes, au point de perturber le trafic routier. Ici peut-être plus qu’ailleurs, routes et rues donnent à voir la société – les différentes communautés ou catégories d’acteurs mais également les individus – qui compose et façonne la ville. Mais c’est bien l’échelle moyenne du quartier ou du sous-quartier qui tend à devenir le véritable espace de vie et de référence du citadin [4]. La proximité sociogéographique et le processus de socialisation individuelle (à la marge des structures communautaires) qu’un tel mode de vie impose constituent une forme particulière d’apprentissage de la cohabitation et de la différence.

3Dans le contexte actuel d’instabilité sociopolitique, quelle fonction nouvelle la rue est-elle appelée à remplir dans la vie quotidienne des Ivoiriens ? Quels nouveaux enjeux territoriaux peut-elle offrir ? Peut-elle servir de catalyseur à de nouvelles dynamiques sociales [5] ? Va-t-elle s’ouvrir à de nouvelles formes d’expression populaire ?

Un « entre-deux » non approprié

4La rue africaine se définit, en fin de compte, plus par le recouvrement de ses usages privatifs et publics que par ses limites et sa linéarité visuelle [6]. C’est aussi un espace de la transgression – des normes, des territorialités – par les fonctions que lui assignent de fait ses utilisateurs autant que par les hésitations étatiques et le désintérêt de la municipalité. C’est pourquoi la rue peut être considérée comme un « entre-deux ». Mais, dans le même temps, la rue fonctionne aussi comme un espace de la confirmation des inégalités et des différences. Elle est donc avant tout une construction issue des cheminements mentaux, des itinéraires temporels et des trajectoires économiques individuelles et collectives. Si le caractère urbain de la rue cède peu à peu sous l’effet des comportements ambiants, en revanche, le processus de socialisation citadine se poursuit au quotidien, en dépit des très fortes instabilités économiques et politiques auxquelles sont soumis les ménages.

5À Bouaké, cet espace connaît une dégradation progressive et continue. L’absence d’investissement public en est la cause première. Cela est autant le produit de la faillite comptable de l’État que des infléchissements politiques en matière de développement régional, le président Houphouët-Boigny ayant outrageusement privilégié Yamoussoukro, éternelle capitale en devenir, au détriment de Bouaké. Il va de pair avec le déclin industriel de la ville depuis 1980 [7]. Le tissu industriel est embryonnaire, peu diversifié (Brasseries, CIDT, Fibako, Trituraf); les deux zones industrielles (Sud et Ouest) apparaissent largement surdimensionnées. Mais le désintérêt de l’État n’est pas seul en cause.

6Située à l’interface du public et du privé, ni vraiment publique, ni tout à fait privée, la rue ne connaît pas de processus durable et univoque de territorialisation et d’appropriation. Elle souffre d’une relative indétermination ou invisibilité dans ses usages, ses procédures d’occupation et ses limites spatiales [8]. Cela renvoie à la confusion des genres et à l’assimilation abusive de la notion d’espace public non matérialisé, non construit, à celle d’espace vacant, disponible. La rue souffre de cette perméabilité des catégories mentales où la notion de bien communautaire envahit celle de bien commun. Cette dernière introduit une instabilité manifeste dans les formes d’occupation et d’appropriation spatiale, et favorise l’émergence de conflits locaux dont la gestion est difficile, étant donné l’absence de régulation et les confusions autour du droit. En effet, souvent l’usager ignore, ou feint d’ignorer, les procédures réglementant l’occupation de la rue et les déplacements routiers. Cette attitude s’explique d’abord par un déficit d’information et par un manque de formation des usagers. Il faut également compter avec les concurrences clientélistes des agents des différents services administratifs (logement, mairie, travaux publics, police), qui peuvent préférer des arrangements négociés à la vaine imposition des normes édictées par la loi.

7En outre, l’usager peut être induit en erreur par les allégations d’un voisin ou l’agrément des notables du quartier. Or, tout accord individualisé, même concrétisé par certaines dotations matérielles, reste très aléatoire. Il est à la merci d’un changement administratif, d’une plainte, d’une nouvelle exigence. Qui plus est, on se heurte au refus marqué de formaliser des procédures d’allocation de l’espace et de ses usages fortement ancrées dans les pratiques. Il y a donc bien une difficulté fondamentale à faire émerger la notion de droit éminent. Ce qui constitue sans aucun doute l’un des handicaps majeurs à l’émergence de comportements légalistes dans la ville africaine. Comment établir un droit non manipulable (par des logiques clientélistes), accepté et reconnu par des groupes aux modes de vie disparates et aux intérêts divergents ?

8Au demeurant, la rue est très souvent perçue comme une ressource, un espace à prendre, qui n’appartient à personne en particulier (ici, la notion de personne morale n’existe pas), et est donc virtuellement à tout le monde en général (par les équipements ou aménagements qu’on peut y faire, l’ancienneté d’occupation). À certains égards, les conflits entre les différents utilisateurs de la rue rappellent ceux qui, en zone de colonisation forestière pionnière, opposent les « extracteurs de ressources ambulants » exploitant la terre aux « gardiens de la terre », dotés de droits éminents [9].

9À mesure que la densité du bâti occupé augmente, la rue tend à perdre sa fonction première de passage et sa linéarité. Elle peut également temporairement les perdre en saison des pluies, après un violent orage, lorsqu’elle cesse d’être praticable en véhicule. Elle devient souvent une annexe de l’espace familial, au même titre que la cour. Nulle césure entre les deux, mais plutôt une banale continuité complice : on prépare dans la cour et l’on vend dans la rue ; on stocke le manioc, la farine dans la cour mais le bois, la ferraille s’amoncèlent dans la rue ; la vente à emporter s’ouvre sur la rue et communique avec la cour; on s’installe dedans comme dehors pour travailler ou recevoir des visiteurs (pour les deuils et les mariages notamment). Car la rue est un espace que chacun prend, y dévoilant même de son intimité, et délaisse tour à tour.

10Elle est ainsi l’un des lieux privilégiés où peuvent s’exprimer les tensions contenues ou mal régulées à l’échelle familiale. En cas de conflit, s’extraire de la cour – scène exiguë et familière – et porter la question sur la place publique peut s’avérer judicieux pour inverser un rapport de forces défavorable. Cela permet d’élargir l’arène de confrontation à d’autres partenaires, de s’ouvrir un éventail de recours extérieurs et de modifier des arbitrages établis. Cette publicité de l’intime, parfois jugée outrancière dans le cadre normatif européen, peut toutefois se révéler dangereuse pour l’intéressé, soit que la médiation extérieure ne parvienne pas à dénouer le conflit, soit au contraire qu’elle l’avive. Les différends conjugaux ont ainsi moins de chance d’être arbitrés dans le brouhaha théâtral de la rue qu’au sein d’un « conseil de famille » élargi. De même, en cas de vol, la justice populaire qui s’exerce dans la rue est souvent plus expéditive et excessive qu’au tribunal.

11De surcroît, la même portion de rue est susceptible de recouvrir plusieurs temporalités d’usages – transport, travail, repos, alimentation, loisir – au cours de la même journée. Ouvrières et travailleuses le matin, bruyantes et odorantes, la plupart des rues s’assoupissent progressivement pour être désertées dès le crépuscule. Elles laissent la place à des rencontres furtives autour de quelques femmes libres [10] ou aux passages des taxis. Les citadins se replient alors sur l’espace de proximité du sous-quartier. La vie se resserre dans les rues en terre, autour de petites aires de distraction offrant des services variés: vendeuses de bangui et de tiapalo[11], de cigarettes, braiseuses de poisson et d’alloco[12], bars-maquis. D’autres carrefours, déserts le jour, accueillent sous leurs lampadaires les écoliers studieux, les joueurs de dames et de football ou encore, en fin de saison sèche, les amateurs d’insectes (criquets migrateurs et fourmis ailées). À la nuit tombée, les avenues bitumées retrouvent donc leur fonction première de passage.

12Cette dichotomie spatio-temporelle est très marquée à Bouaké. En effet, la rue vit avant tout au rythme des petites activités marchandes ou artisanales et des tâches ménagères. De ce fait, la rue n’a pas de fixité fonctionnelle susceptible d’inciter à sa protection. Elle est le réceptacle des nuisances et des déprédations quotidiennes des citadins. Trottoirs et terrains vagues servent de toilettes publiques et deviennent de véritables dépotoirs; la rue recueille les eaux usées des concessions et leurs immondices. Certaines activités polluantes (telles que la teinturerie ou la mécanique) déversent leurs effluents dans les caniveaux ou à même le sol. Des parcs à bétail prospèrent dans certaines rues tandis que les eaux stagnantes des bas-fonds ou des latrines ouvertes constituent autant de gîtes larvaires. D’un point de vue sanitaire, la rue est donc bien un espace à risques.

13Certains auteurs ont longuement disserté sur les recompositions familiales en période de crise [13] ; d’autres ont mis en avant un éventuel repli sur des espaces domestiques, comme lieux de réalisation de l’intimité et du bien-être contre l’insécurité et l’incertitude du « dehors ». À Bouaké, il n’est pas évident que les espaces résidentiels deviennent des refuges, et la rue un repoussoir. D’abord parce que la concession, loin d’être toujours l’incarnation de la convivialité et de la solidarité communautaire idéale, est au cœur d’enjeux de pouvoir et de rapports de forces. Ensuite, parce que l’entre-deux de la rue profite sans doute beaucoup plus à l’individu que l’arène familiale, grâce aux recours extérieurs possibles (aide matérielle, médiation en cas de conflit) et à l’indifférence relative des passants. Enfin, parce qu’en période d’instabilité et d’appauvrissement, la rue représente un espace où se multiplient les activités de survie pour une fraction importante de la population. Au demeurant, de même qu’il y a un traitement politique différencié des espaces publics, la rue est bien le territoire vécu des inégalités entre communautés, entre individus et entre catégories sociales.

Le territoire vécu des inégalités

14La rue révèle à la fois la misère de larges fractions de citadins, le « laisser-faire » de l’État et, plus fondamentalement, l’inadéquation entre normes étatiques imposées et normes sociales appropriées. Ce décalage illustre parfaitement les écarts individuels et collectifs à la norme et au droit que l’on retrouve dans toutes les situations concrètes. La rue se déploie alors comme un espace privilégié de négociation qui confirme les inégalités entre individus et groupes sociaux. Considérée comme un milieu à part entière, elle cesse d’être un espace banalisé. Ses caractères matériels (voirie, équipement, bâti, etc.) importent peut être moins que les activités, les allées et venues, les appropriations différenciées qui la façonnent, selon les groupes et les individus. La rue est le support visuel d’une construction sociale de la différence, de l’inégalité et, éventuellement, de la contestation. À ce titre, elle est le milieu de vie par excellence des petites gens, des sans-grade (« petits » en franco-africain), des cadets et des femmes. En particulier, c’est l’espace où chacun tente de revendiquer un libre-agir en dehors d’un contrôle communautaire pesant.

15Pour les jeunes, qui constituent près de 45 % de la population de Bouaké, la rue est un exutoire entre la famille et l’école. Pour les filles, surtout, certaines tâches domestiques (chercher de l’eau à la borne-fontaine, de l’huile à la boutique, du riz au marché) sont autant d’occasions d’échapper au contrôle des aînés. Qui, en outre, n’a pas eu l’occasion de repérer, au crépuscule, des tête-à-tête discrets à l’ombre des neems (arbres d’ombrage) ou vu déambuler, main dans la main, de jeunes adolescents ? À chaque sortie d’école, la rue est livrée, une heure durant, à des processions bruyantes d’élèves aux tenues colorées; parfois, à l’occasion d’événements festifs (la victoire de l’Africa Sport en Coupe d’Afrique, le coup d’État du 24 décembre 1999), elle est gagnée par une frénésie joyeuse et adolescente.

16Ce n’est que très récemment qu’elle a été consacrée comme support de revendications sociales et politiques, à la différence d’Abidjan, de Gagnoa ou de Daloa qui ont connu des poussées sporadiques de violence en 1990 et 1995. Les scènes de pillages de juillet 2000 rappellent l’ampleur de la frustration des déclassés et des exclus à l’issue d’une courte période de reprise économique (1995-1998) qui a vu se multiplier les signes extérieurs de richesse au sein d’une petite minorité. Certains jeunes citadins – parmi lesquels les lycéens et les étudiants ne sont pas les derniers à revendiquer [14] – ont le sentiment très net d’appartenir à une génération sacrifiée disposant d’une faible représentativité en raison de la prééminence sociopolitique de leurs aînés [15].

17Pour les femmes, la rue n’est pas un espace de revendications, mais le lieu où se concrétise la quête d’indépendance économique et où s’entretiennent les relations. Cela semble encore plus vrai pour les musulmanes, qui trouvent des espaces de liberté hors de leur domicile. En effet, la rue est d’autant plus un lieu de vie que l’on est en situation de précarité sociale et économique. Les jeunes déscolarisés, les débrouillards [16] quittent très tôt le matin la concession où ils sont hébergés pour arpenter la ville avant de rentrer à la nuit tombée, nantis d’un maigre viatique. Au petit jour également, les détaillantes se rendent au marché pour acheter les produits maraîchers nécessaires à leur petit commerce. Pour tous ceux-là, la rue est fondamentalement un lieu où l’on s’installe dans la durée, où l’on travaille tandis que, pour les autres, elle est plutôt un lieu de passage.

18À Bouaké, comme dans les nombreuses villes de contact forêt-savane, la rue est, en outre, une des scènes privilégiées où l’on exprime sa différence et son identité, où l’on se voit et où l’on se reconnaît. La fonction emblématique de la tenue vestimentaire est évidente. La couleur et la coupe du boubou ou de la coiffe renvoient à des communautés d’appartenance religieuse, ethnique ou politique, lorsqu’elle n’est pas plus clairement affichée par un motif du tissu reproduisant le buste du Président, du député local ou du pape. Encore qu’il ne faille pas en tirer de conclusions hâtives ; en effet, les plus démunis portent ce qu’ils « trouvent », acheté à un fripier, reçu en cadeau, sans nécessairement s’identifier au slogan ou au portrait imprimés. Les pratiques ritualisées n’envahissent pas moins la scène publique. Chaque vendredi, les petites mosquées de quartier déversent leur trop-plein de pratiquants sur le trottoir ou même la chaussée. Il en va de même pour les cérémonies traditionnelles (funérailles par exemple) ou les réunions de ressortissants, de militants et d’associations diverses qui prennent littéralement possession de la rue pour la journée après avoir dressé des chapiteaux et aligné un nombre impressionnant de chaises de location..

19La rue est également l’espace où s’expriment le mieux les inégalités économiques par des raccourcis saisissants, des rencontres impromptues, des cohabitations forcées. À proximité du marché, de rutilants véhicules tout-terrain – aux vitres fumées hermétiquement closes – luttent pour remonter le flot des piétons, cyclistes et pousseurs [17]. Au quartier du Commerce, la figure du groto[18] est nécessairement confrontée à celle des débrouillards et des mendiants, qui espèrent plus qu’ils ne demandent. On ressent intuitivement dans ce vis-à-vis la tension contenue, le respect mêlé de crainte, autant lié au « poids en argent » de l’individu qu’à ses « bonnes relations » supposées. Chacun a parfaitement conscience de sa place, du statut qu’il représente et duquel il ne doit pas déchoir. Ce qui donne lieu, à chaque carrefour, à des scènes démultipliées et redondantes entre des solliciteurs (mendiants, enfants de la rue, sauveteurs [19]) et des chalands, éventuels pourvoyeurs de menue monnaie. Chaque face-à-face s’organise en fonction du type de figure sociale de la réussite et d’une rapide évaluation intuitive de la personnalité. S’il s’agit d’un Européen, on estimera sa sociabilité et son expérience ou inexpérience de l’Afrique ; avec un Africain, en revanche, on mettra plutôt en avant l’éternel impératif de solidarité redistributive et d’éventuels liens de parenté pour tenter d’obtenir un jeton [20]

20Un esprit exercé pourra même tenter de confirmer le tableau des inégalités visibles par l’observation des pratiques alimentaires. Si de plus en plus d’enfants scolarisés prennent leur repas en dehors du cercle familial, certains ne mangent pas, faute d’argent. Les jeunes écoliers se fourniront préférentiellement en attiéké, beignets, croquettes, attoukpou, agbaklaklo ou klaklo[21] pour 50 ou 100 francs CFA auprès des tanties[22] assises sur un tabouret devant une bassine de friture, ou ils se procureront sucettes [23] ou lait caillé auprès d’une porteuse de glacière. Les employés privilégieront les comptoirs et les gargotes, espaces semi-ouverts où l’on peut s’asseoir ou s’accouder et consommer un plat (riz-sauce, alloco et poisson, foutou-agouti[24] ) pour 200 à 500 francs CFA. Seuls les bien placés pourront accéder aux maquis, petits restaurants où l’on peut s’asseoir et s’isoler. Par ailleurs, le développement de l’alimentation hors domicile [25] contribue, bien involontairement, au renforcement de stratégies individualistes de consommation, et donc à l’accroissement des disparités nutritionnelles entre adultes et enfants, hommes et femmes. Chacun est de plus en plus tenté par la prise d’un plat en dehors de tout vis-à-vis familial impliquant un partage inégal.

21Chacun a ainsi ses lieux, ses espaces de chalandise privilégiés en fonction de son niveau de ressources: pour les Européens, c’est le centre commercial avec son microcommerce vivrier tenu par des femmes dioula ; pour les plus démunis ne pouvant se déplacer, les petits marchés de quartier (Koko, Belleville, Dougouba). Certains quartiers, excentrés, étendus ou à forte dominante socioculturelle – Dar-es-Salam 1, 2 et 3 par exemple – tendent à l’autarcie. Seul Bromacôté présente cette fonction d’uniformisation anonyme qui assure un relatif brassage entre les différentes catégories sociales: on y voit se mêler, dans un tohu-bohu et un mélange d’odeurs, des ménagères issues de différents quartiers mais aisément reconnaissables à leur style de vêtements, à leur dialecte et à leur démarche.

22Les parcours urbains eux-mêmes sont régis par une subtile mais immuable hiérarchie, tant dans les lieux fréquentés que dans la durée des déplacements. Certains ont l’opportunité de se déplacer en voiture particulière et font un usage très limité de la rue : ils transitent ; ils pourront s’arrêter à un tablier pour acheter des cigarettes, marchander des fruits à l’étal d’une petite vendeuse, mais il y a peu de chances qu’ils s’installent pour prendre un café complet [26] à une gargote. D’autres prennent un taxi à 125 francs CFA, tandis que d’autres s’entassent pour 75 francs CFA dans une gbaka[27]. Enfin, très nombreux sont ceux qui « piétinent » de longues heures sous le soleil: jeunes débrouillards qui « se cherchent », pousseurs [28] du marché, sauveteurs. Certes, cela n’est pas propre à Bouaké. À Abidjan, par exemple, la question du transport est cruciale, étant donné la longueur des déplacements pendulaires et la part budgétaire qui leur est consacrée. Toute proportion gardée, c’est la place accordée aux espaces de transport (rues et gares) qui est remarquable à l’échelle de Bouaké. La gare ferroviaire, non loin du marché, est un cœur vide, presque déserté du fait de la concurrence efficace du transport routier. Les gares routières, en revanche, se sont multipliées: esplanades fermées des compagnies rapides STIF et UTB, caravansérails des antiques bus nigériens et burkinabè, va-et-vient des gbakas et de leurs chargeurs aux arrêts intempestifs. Si la plupart des rues abritent de petites activités marchandes, certaines – les radiales – sont entièrement dédiées au transport. Il est ainsi possible d’établir une sorte de cartographie des espaces vécus délimités par des rues-tampons qui séparent plus qu’elles ne mettent en relation (tout le monde s’y croise sans véritablement se rencontrer), isolats qui ne correspondent pas nécessairement aux limites administratives des quartiers.

Un espace symptomatique de la présence-absence de l ’État

23À l’instar de nombreuses villes de province (Yamoussoukro exceptée), Bouaké se caractérise par une organisation délibérément fonctionnelle, très éloignée de tout urbanisme ostentatoire. L’essentiel des infrastructures urbaines d’envergure – la gare ferroviaire, le grand marché, le stade, les banques, l’aéroport – sont soit antérieures à l’indépendance, soit héritées de l’embellie économique d’avant 1985. Seules quelques larges avenues rappellent les préoccupations somptuaires de l’ancien président Houphouët-Boigny. De fait, Bouaké est une des villes ivoiriennes où l’espace de la rue exprime le mieux les hésitations, les contradictions et les faiblesses de l’État ivoirien. En effet, si la politique de décentralisation voulue et soutenue par les bailleurs de fonds renouvelle l’intérêt des élites pour le « local » tout en renforçant leurs moyens financiers, si les financements bilatéraux permettent la réalisation d’opérations ponctuelles d’envergure (le marché de gros, par exemple, a été ouvert en avril 1998), le renforcement des dotations de certains services (brigade d’intervention rapide de la police) ou des actions plus symboliques (l’adressage sur rues), il n’en reste pas moins que ces efforts apparaissent dilués et ne répondent pas nécessairement aux préoccupations immédiates des habitants : l’insalubrité, l’inaccessibilité, l’insécurité.

24Si, dans chaque quartier, quelques axes majeurs possèdent les attributs essentiels de la rue citadine (bitume, lampadaires, caniveau), dès le premier carrefour les ruelles adjacentes sont envahies par des immondices et l’écoulement des eaux usées. Rares sont donc les véhicules à pénétrer dans les sous-quartiers, et c’est à pied que le résidant se glisse entre les îlots pour rejoindre son carré [29]. À la différence d’Abidjan, les rues de Bouaké sont rarement le théâtre d’événements sanglants au quotidien, mais la petite délinquance et la violence de proximité y sont, en revanche, banalisées. Celles-ci se concrétisent par des conflits de voisinage récurrents ou des querelles domestiques (vols, rixes). Cette insécurité latente – qui n’est pas spécifique à Bouaké – est renforcée par l’âpreté des contingences matérielles et l’affaissement des modes traditionnels de régulation au sein de la famille ou du quartier. Elle est, en outre, potentiellement favorisée par la présence de nombreux jeunes désœuvrés, déscolarisés, déclassés à l’issue d’une période d’appauvrissement [30]. L’isolement de certains « quartiers-dortoirs », désertés en journée par leurs occupants, et le manque flagrant de moyens de la police sont de surcroît des facteurs aggravants. Le sentiment d’insécurité contribue à nourrir, en retour, des crispations sécuritaires (emploi de gardiens individuels ou de surveillants communautaires, élévation de murs d’enceinte) y compris dans des quartiers populeux, et des formes de justice populaire expéditive.

25En déambulant, l’observateur est donc envahi par un sentiment diffus et persistant d’inachevé. C’est bien la passivité et l’incohérence autant que l’incapacité d’agir qui symbolisent le mieux les errances municipales de Bouaké depuis la fin des années 1970. La ville utile, centrée autour de la gare et du marché, couvre un périmètre réduit. Ce cœur a fondamentalement peu évolué, en raison de la faiblesse des investissements privés et du relatif désintérêt étatique depuis plus d’une décennie. Toute la ville est à l’image de ce laisser-aller collectif. Certes, tout semble fonctionner à peu près normalement, mais la ville accuse son âge et étale la vétusté de ses équipements. Telle une scène construite à la hâte, la principale rue commerçante, parée d’un vernis d’européanité, peut aguicher le chaland, mais elle dévoile rapidement ses limites : une enseigne de guingois, un mur lézardé, une peinture décrépie, un nuage de fils électriques égarés, une canalisation suintante. De nombreux carrefours, crevassés d’ornières, remblayés par de la terre ou des ordures après les épisodes orageux, laissent paraître leur misère. La plupart des devantures révèlent les stigmates d’une histoire commerciale incertaine : ici, une jeune école privée d’informatique occupe l’entrepôt d’une défunte société coloniale d’import-export transformée au passage en une ancienne quincaillerie moderne ; là, une auto-école renaît des cendres d’une précédente auto-école avant d’être reconvertie en église de l’Assemblée de Dieu.

26Dans ces vieux bâtiments du centre, au béton rongé par les intempéries, des activités très disparates se côtoient: le magasin de coiffure moderne est bordé par un fabricant de moustiquaires et par un stock d’insecticides agricoles ; le photographe a hérité de la promiscuité d’une gargote, désertée la journée, et d’une libraire ésotérique poussiéreuse… Les usagers s’accordent, malgré tout, à relever l’amélioration sensible du fonctionnement des réseaux électrique (CIE) et téléphonique (Côte d’Ivoire Télécom) depuis 1996. Elle n’est toutefois pas le fait de l’État ivoirien, mais résulte de l’intervention de sociétés privées (Bouygues via la SAUR et France Télécom) qui détiennent l’essentiel de leur capital.

27Mais le cœur de la trame urbaine s’effiloche rapidement vers une périphérie faiblement dotée en infrastructures collectives et parfois difficile d’accès en saison des pluies. Cet agencement cède également parfois à l’intérieur des quartiers centraux. On observe, ici et là, des friches interstitielles (la carcasse bétonnée d’un projet abandonné d’hôtel de ville), véritables no man’s land sanitaires et résidentiels, parfois réutilisées comme enclos d’élevage ou parcelles maraîchères. Ces vides répondent à des espérances implicites, vainement spéculatives étant donné la situation économique de Bouaké, ou, beaucoup plus souvent, à des faillites personnelles annihilant tout projet de construction. On observe aussi des micro-espaces sous-urbanisés (sous-quartiers), enkystés dans des îlots résidentiels ou administratifs modernes. En dépit de l’importance de la ville, il s’agit moins d’habitat précaire que d’enclaves ruralisées, progressivement intégrées au tissu urbain (Banco, Angouatanoukro, Tierekro).

28Contrairement à d’autres villes ivoiriennes, Bouaké est bâtie selon une trame relativement ordonnée et homogène. Le maillage quadrangulaire s’est imposé dans presque tous les quartiers, la mairie s’efforçant de lotir (sans toujours les viabiliser) les parcelles à bâtir (Broukro-II). En dehors de quelques axes majeurs bitumés, cependant, la voirie a tôt fait de se déliter et de laisser la place à un carroyage de pistes plus ou moins carrossables. L’occupation se densifie sensiblement tandis qu’augmentent la promiscuité et la précarité des conditions de vie. Ici, un tas d’immondices mange progressivement le passage, là, un ruisseau creuse un peu plus, à chaque épisode orageux, son chemin ; là-bas, une concession ou un atelier en carabotte empiète sur la rue et freine la progression des véhicules.

29Progressivement, la rue cesse d’être un espace public où peut s’exprimer la volonté hégémonique d’un État déliquescent en manque de moyens [31]. Ce repli étatique ne s’effectue pas selon les mêmes modalités au sein de la ville. Dans le cœur densifié, l’État lutte encore, par la force si besoin, contre la privatisation inexorable de l’espace. Il organise des opérations « coup de poing » contre des vendeurs à la sauvette et des boutiquiers installés sur les trottoirs: amendes et menaces se succèdent avant de laisser la place, si besoin, aux engins de terrassement. Les bénéfices attendus de ces actions ponctuelles sont au demeurant éphémères, car l’espace dégagé est très rapidement recolonisé par les déguerpis. Ces crispations sont à la fois sélectives dans leurs effets et localisées dans leurs manifestations. Elles épargnent nécessairement quartiers isolés et rues peu passantes pour se concentrer sur les lieux centraux où circulent les « VIP » (touristes, visiteurs, commerçants, élites politiques). Cette disparité peut également s’expliquer par des formes différenciées de privatisation de l’espace – prolongement des lieux privatifs sur la rue peu viabilisée des quartiers périphériques, surimposition dans la rue « moderne ». Dans le premier cas, la démarcation entre espace public et privé est peu visible étant donné la rareté des aménagements. On peut donc considérer que les lieux privés, traditionnellement clos, tendent à devenir des espaces ouverts au public. Inversement, le caractère public des rues bitumées est plus clairement établi, bien que parasité, çà et là, par des activités privées.

30Cette dichotomie privé/public renvoie également aux ambiguïtés politiques ivoiriennes à l’égard du secteur informel. L’État ne cherche-t-il pas plus à faire émerger des compromis – qui rappellent les paradoxes de la dette négociée – qu’à légaliser ce secteur, faute de moyens coercitifs d’importance? Par conséquent, il fait un usage gradué et circonscrit de la violence afin de maintenir une incertitude psychologique parmi les sauveteurs, tabliers [32] et autres boutiquiers. Si ces derniers rusent en permanence avec les forces de l’ordre, l’État n’agit pas autrement lorsqu’il intervient : il peut restituer le matériel saisi après amende ou intervention d’une personne bien placée, légalise l’ouverture de boutiques (téléboutiques, salons de coiffure, stands de la Loterie nationale ou de plastification de documents), reconstruites par ses soins, moyennant paiement d’un loyer et d’une patente.

31Inversement, par des opérations ponctuelles, parfois dérisoires, l’État tente d’affirmer sa présence politique, de convaincre de son efficacité : ici, quelques ouvriers rapiècent le bitume d’une rue commerçante; là, des terrassiers bornent des trottoirs, soudent des grilles, érigent des murets ; plus loin, des « manœuvres de l’inutile », sous-équipés, dispersés, peignent à la chaux des bordures de trottoirs ou balayent minutieusement des portions de rues. L’adressage des rues, nouveau cheval de bataille de la Banque mondiale et de la Coopération française, rapidement enfourché par l’État ivoirien, est symptomatique du hiatus entre normes importées et normes locales. De fait, comme à Abidjan, les habitants ont rarement recours à cette numérotation chiffrée et préfèrent s’en tenir à des repères vécus. Toutes ces opérations s’effectuent, au mieux, sous le regard indifférent, voire goguenard, des passants : n’ont-elles pas quelque chose de surréaliste quand il serait plus urgent de réhabiliter le réseau de caniveaux, d’améliorer l’éclairage public, d’assainir le cloaque boueux qui tient actuellement lieu de marché ?

32En fin de compte, l’observateur le plus objectif a bien du mal à décrypter des logiques cohérentes quand il voit privilégier telle rue au détriment de telle autre, débuter puis s’arrêter brutalement tel ou tel chantier. Dans beaucoup de quartiers, l’État a déjà abdiqué la plupart de ses fonctions régaliennes (viabilisation, sécurisation…) et s’en remet de fait au relais des pouvoirs coutumiers traditionnels ou des associations de quartier.

33La rue africaine donne à voir des paysages urbanistiques très disparates mais se donne surtout à voir. Les empreintes vivantes, les temporalités fugaces que l’on y observe renvoient à des logiques différentes d’emprunts, d’usages, de passages, nées de multiples rapports de forces entre l’État, les groupes sociaux et les individus. À ce titre, la rue nous semble à la fois constituer un révélateur particulier (au sens quasi photographique du terme) des dynamiques actuelles de changement et d’innovations sociales en Afrique. Même s’il est parfois difficile de distinguer celles mises en œuvre dans une situation géographique et historique donnée de celles répondant à des évolutions plus profondes.

34La rue africaine est bien cet espace social total où se construisent, se déconstruisent et se reconstruisent des pratiques individuelles diversifiées, dans un contexte d’instabilité politique et d’accroissement des inégalités, à défaut d’une vraie citoyenneté ou d’une action démocratique. Par bien des aspects, le sous-quartier – territoire médian entre le quartier (plus étendu) et la concession (plus confinée) – en constitue l’échelle privilégiée d’observation avec les marchés, les carrefours et les rues commerciales du centre-ville, passages obligés. Au demeurant, il existe une grande disparité de pratiques – en matière d’achat, de déplacement ou d’habiter – entre les différentes catégories sociales constituées, mais également entre citadins d’un même groupe, en fonction de leurs appartenances religieuses ou ethniques (qui constituent aujourd’hui des déterminants seconds). Qui plus est, les mêmes lieux peuvent servir de support à des pratiques sociales susceptibles d’évoluer rapidement en fonction des événements familiaux ou de difficultés économiques.

35La rue sert également de marqueur géographique privilégié pour l’observation des « épreuves » – faites de tensions, de renonciations, de négociations – par lesquelles passe le sujet individuel en devenir, confronté à de nouveaux enjeux domestiques ou électoraux. Ces « épreuves » sont encore renforcées par l’instabilité des situations familiales et la précarité des conditions d’existence de nombreux citadins. Leur sentiment de désarroi se nourrit aussi de la confusion entre les différentes formes d’appropriation des ressources et des usages des lieux. Ainsi, les logiques sociales ne permettent pas d’opposer un « endroit » – l’intimité des lieux habités, la cour, la concession – à un « envers » –, la rue, « milieu » imparfaitement approprié, mal aménagé et sécurisé. L’un comme l’autre se caractérisent par la superposition, la fluidité temporelle des usages et la multiplicité des formes de sociabilité. De ce fait, la maison comme la rue renvoient à des constructions territoriales parfois concurrentes mais fondamentalement complémentaires. En revanche, les modes d’expression populaires (culturels et politiques) de certains groupes sociaux (les femmes et les jeunes) y sont nettement différenciés.

36Pierre Janin

37IRD-université Paris-I/IEDES

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Notes

  • [1]
    N. Leblanc, « Être dioula à Bouaké ou comment transiger avec divers référents identitaires », Abidjan, Orstom, Bulletin du Gidis, n° 14, 1996, pp. 59-74.
  • [2]
    Voir B. Losch et al., « Côte d’Ivoire, la tentation ethno-nationaliste ? », Politique africaine, n° 78, juin 2000, et P. Janin, « Peut-on encore être étranger en Côte d’Ivoire? », Le Monde diplomatique, octobre 2000, p. 22.
  • [3]
    Depuis, ce dernier a perdu de son importance en émigrant vers la zone péricentrale. Certes, la décision politique de reconstruire le grand marché a été prise, mais les efforts ne dépassaient pas le stade du terrassement en avril 2000.
  • [4]
    Se reporter à A. Marie, « Du sujet communautaire au sujet individuel. Une lecture anthropologique de la réalité africaine contemporaine », in A. Marie et al., L’Afrique des individus, Paris, Karthala, coll. « Hommes et sociétés », 1997, pp. 53-110.
  • [5]
    Sur Abidjan, voir M. Le Pape, L’Énergie sociale à Abidjan, Paris, Karthala, coll. « Les Afriques », 1998, et C. Vidal, Sociologie des passions (Côte d’Ivoire, Rwanda), Paris, Karthala, 1991. En ligne
  • [6]
    Voir le n° 63 (octobre 1996) de Politique africaine.
  • [7]
    A. Dubresson, Villes et industries en Côte d’Ivoire. Pour une géographie de l’accumulation urbaine, Paris, Karthala, coll. « Hommes et sociétés », 1988.
  • [8]
    F. Leimdorfer, « Enjeux et imaginaires de l’espace public à Abidjan. Discours d’acteurs », Politique africaine, n° 74, 1999, pp. 51-75. En ligne
  • [9]
    P. Janin, « Crises ivoiriennes et redistribution spatiale de la mobilité : les Baoulé dans la tourmente », Revue Tiers Monde, n° 164, octobre-décembre 2000.
  • [10]
    Ce vocable restitue assez mal la diversité des relations amoureuses stipendiées.
  • [11]
    Le vin de palme ou bangui, surtout consommé par les Baoulé, est obtenu par fermentation naturelle de la sève de palmier. La bière traditionnelle de maïs ou de mil, tiapalo, a la préférence des Sénoufo et des Burkinabè.
  • [12]
    En Afrique de l’Ouest, la banane plantain frite.
  • [13]
    Se reporter à P. Vimard, « Modernisation, crise et transition familiale (Afrique subsaharienne) », Familles du Sud, n° 2, éditions de l’Aube-Orstom, 1997, pp. 143-159.
  • [14]
    Les années 1997 et 1998 ont été marquées par la confrontation sans précédent entre le gouvernement de l’ex-Président Bédié et le syndicat autonome étudiant interdit (la FECI).
  • [15]
    A. Marie, « La ruse de l’histoire : comment au nom du libéralisme, l’ajustement structurel accouche l’Afrique de ses classes sociales (le paradigme ivoirien) », in M. Haubert et P.-P. Rey (dir.), Les Sociétés civiles face au marché. Le changement social dans le monde postcolonial, Karthala, coll. « Hommes et sociétés », 2000, pp. 263-298.
  • [16]
    Il s’agit d’un terme familier très courant en Afrique de l’Ouest. Le débrouillard est souvent jeune, sans emploi, homme à tout faire.
  • [17]
    Le pousseur est un petit transporteur doté d’une brouette, d’un pousse-pousse ou d’une voiture à bras.
  • [18]
    Le groto constitue une figure traditionnelle de la réussite sociale en Côte d’Ivoire. Il désigne souvent un homme, entre deux âges, faisant montre d’une certaine munificence et doté de signes extérieurs de richesse (voiture de luxe, bijoux en or, vêtements de marque, forte corpulence). Voir C. Vidal, Sociologie des passions…, op. cit.
  • [19]
    Vendeur à la sauvette.
  • [20]
    Une pièce de 50, 100 ou 250 francs CFA est communément appelée jeton.
  • [21]
    Attiéké (semoule de manioc à la vapeur), croquette (mini-beignet de blé sucré), attoukpou (galette de manioc à la vapeur), agbaklaklo (boulette frite de manioc et de noix de coco rapée), klaklo (boulette frite de banane plantain mûre).
  • [22]
    Terme familier, socialement connoté, utilisé pour désigner une femme plus âgée avec une marque de respect affectueux, sans qu’il y ait nécessairement de lien de parenté.
  • [23]
    La vente d’eau fraîche, de sachets de bissap (feuilles d’oseille), de gnamankoudji (gingembre au citron pimenté), de bâtonnet glacé au sirop.
  • [24]
    Le foutou-agouti est constitué d’une portion d’igname pilée et de viande de brousse (l’agouti est un petit rongeur de la famille des Alaucodes).
  • [25]
    F. Akindès, « Stratégies alimentaires des ménages urbains en Côte d’Ivoire après la dévaluation du franc CFA », Food Policy, vol. 24, n° 5, 1999, pp. 479-493.En ligne
  • [26]
    Il s’agit d’un Nescafé au lait concentré, agrémenté de pain à la margarine et de beignets de maïs ou de blé.
  • [27]
    La gbaka est un petit véhicule collectif (de type mille-kilos Toyota, Hyundai ou Saviem plus ancien) effectuant le ramassage à la volée, à l’aide d’un ou de plusieurs jeunes destinés à charger le véhicule en hélant les passants.
  • [28]
    Se chercher est une expression utilisée par ceux qui n’ont pas de situation établie et qui tentent au quotidien de trouver des moyens d’existence décents (emploi, revenus, protecteur, logement, épouse).
  • [29]
    Le sous-quartier est le plus petit espace public d’appartenance ayant une homogénéité géographique, urbanistique ou ethnique. Le carré est le terme communément utilisé pour désigner la parcelle lotie et bâtie.
  • [30]
    J.-P. Chauveau et al., Inégalités et politiques publiques en Afrique. Pluralité des normes et jeux d’acteurs, Paris, IRD-Karthala, coll. « Économie et développement », 2001, pp. 119-133.
  • [31]
    A. Marie, « État, politique urbaine et sociétés civiles. Le cas africain », Revue Tiers Monde, t. XXIX, n° 116, 1988, pp. 1147-1169.
  • [32]
    Le terme de tabliers désigne de petits commerçants disposant d’un petit étal mobile.
Français

La rue africaine est un espace vivant et riche d’enseignements, « a fortiori » lorsqu’elle met en présence des communautés ethno-religieuses diversifiées comme à Bouaké en période d’instabilité politique. Ni publique, ni privée, la rue sépare autant quelle relie. Elle est une « scène » démultipliée où s’écrivent des histoires individuelles au quotidien, mais elle constitue aussi un enjeu territorial pour les différents acteurs sociaux (femmes, jeunes), voire l’État, qui peinent à s’affirmer, préfigurant certaines dynamiques sociopolitiques à l’œuvre dans la société ivoirienne.

Pierre Janin
IRD-université Paris-I/IEDES
Dernière publication diffusée sur Cairn.info ou sur un portail partenaire
Mis en ligne sur Cairn.info le 15/11/2012
https://doi.org/10.3917/polaf.082.0177
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