CAIRN.INFO : Matières à réflexion

1En règle générale, les historiens de l’Afrique ont eu le plus grand mal à traiter correctement de l’imaginaire social. Jusqu’aux récents travaux sur la sorcellerie, ils ont évité autant que possible de réfléchir sur le surnaturel. Pourtant, le nombre des sorciers, des esprits et des vampires ayant resurgi à la fin de la colonisation et au début des indépendances nous oblige à prêter une attention plus aiguisée non seulement aux sorciers, esprits et vampires qui viennent au secours des gens ou qui les blessent, mais aussi à la façon dont ils sont objets de discours et de récits. Ce sont ces récits qui délimitent le domaine du non-naturel, du mystérieux et de ce qui dérange l’ordre naturel des choses. Les histoires de sorciers et de vampires ne sont pas seulement le résultat d’un folklore local ni les représentations univoques de la prédation exercée par un pouvoir dominant, elles expriment aussi, de manière active, de multiples relations de pouvoir et d’autorité. En cela, elles permettent aux historiens de mieux éclairer le terrain confus et désordonné de la vie quotidienne dans les sociétés coloniales.

2Le caractère oral des matériaux ayant trait au surnaturel a gêné les historiens. Ceux qui travaillent sur l’Afrique ont argué que les sources orales étaient – ou devaient être – appréhendées comme n’importe quel document écrit en Europe, c’est-à-dire comme des sources dont il était possible d’expurger tout élément bizarre, étrange ou surnaturel, afin d’extirper la substantifique moelle de la vérité historique de son habillage métaphorique et légendaire. Les débuts de l’entreprise historique en Afrique reposèrent en partie sur la promesse de domestiquer l’oralité africaine : c’est-à-dire sur la volonté de séparer fermement les faits de leur mise en scène orale, de discriminer entre les différentes variantes narratives, et de distinguer entre événements réels et clichés [1]. Un tel projet laissait peu de place aux vampires et aux sorciers – non seulement parce qu’ils n’étaient ni réels ni naturels, mais aussi parce qu’ils risquaient de rendre suspecte la jeune respectabilité de l’histoire africaine aux yeux du monde académique. Comment une méthodologie basée sur la recherche de la vérité dans les discours pouvait-elle se mettre au service de l’étude du faux ?

3Cet article essaie de démontrer qu’étudier le faux, ainsi que les sites et cheminements divers dans lesquels celui-ci est présenté, permet au contraire d’entrevoir plus clairement le passé. J’utiliserai ici un cas particulier appartenant à une longue série de rumeurs qui circulèrent en Ouganda colonial et postcolonial. Selon ces rumeurs, des Africains auraient été employés par des Blancs pour capturer des frères de race, les droguer et prendre leur sang, en les laissant ensuite mourir ou en les libérant, mais alors si affaiblis que les victimes perdaient l’usage de la parole. Bien que l’on trouve quelques mentions de vampires européens ou indiens avant 1910, ces histoires commencèrent à se propager abondamment après la Première Guerre mondiale. L’exemple retenu ici porte sur le procès de l’un de ces hommes payés à capturer d’autres Africains à Kampala dans les années 50. Ce vampire africain usait de pouvoirs à caractère médical. Après son arrestation, on l’accusa notamment d’avoir étourdi ou anesthésié plusieurs femmes. L’analyse des rumeurs orales entourant ses méfaits autant que les comptes rendus écrits de son procès me permettront dans un premier temps de souligner les limites que l’historiographie africaine s’est imposé à elle-même en traçant une frontière rigide entre les sources orales et écrites.

4Mon objectif premier est de montrer comment l’impératif scientifique visant à domestiquer les sources orales africaines a participé d’une entreprise plus vaste de « modernisation » qui, à la fin de la colonisation, tenta de dépouiller la pensée africaine de toutes les riches images et de toutes les idées qu’elle ne parvenait pas à faire entrer dans les cadres de la pensée rationnelle occidentale [2].

5Les vampires dont il est question dans cet article sont appelés bazimamoto dans le sud de l’Ouganda, littéralement « les hommes qui éteignent le feu », vampires ayant la réputation d’avoir fait office de pompiers, et ce trente ans environ avant l’établissement d’une caserne à Kampala. En Ouganda, les histoires de vampires mettaient en scène un vaste répertoire de technologies médicales : les victimes de ces bazimamoto étaient capturées, droguées, vidées de leur sang puis abandonnées sur la route. Le plus souvent, elles étaient contraintes d’inhaler du chloroforme ou d’absorber des drogues qui les laissaient inconscientes. On les retrouvait ensuite épuisées, hébétées, errant hagardes, les hommes incapables de marcher et les femmes sans voix. En Ouganda, comme ailleurs, la fin de la Seconde Guerre mondiale vit une recrudescence d’affaires de ce type, et les accusations portées à l’encontre des vampires présumés aboutirent même à des exécutions.

6Le procès du bazimamoto Juma Kasolo, en 1953, témoigne particulièrement bien de l’atmosphère de l’époque : nous nous efforcerons de l’analyser non pas uniquement comme une simple histoire de vampire, mais aussi de façon à comprendre comment cette histoire, publiée dans les journaux et débattue dans les rues de Kampala pendant l’année 1953, a également valeur de commentaire sur les négociations coloniales qui devaient mener à la déportation du Kabaka du Buganda [3].

Palabres, lectures et croyances

7Les Africains croyaient-ils vraiment aux histoires de vampires, de potions magiques et d’envoûtements de femmes ? Une telle question traduit d’abord l’évident scepticisme des universitaires occidentaux à l’égard des croyances africaines. Elle pourrait cependant être reformulée en ces termes : les Africains se référaient-ils à un même système de sens, inaltérable, à chaque fois qu’ils parlaient ou qu’ils lisaient des commentaires au sujet de vampires ? Une telle croyance était-elle constante ou servait-elle des buts différents suivant les circonstances ?

8À la fin des années 40, les élites éduquées du sud de l’Ouganda commencèrent à s’inquiéter de la puissance des commérages. Des articles publiés en langue vernaculaire dans la presse locale se plaignaient des rumeurs propagées par les chefs et les leaders politiques : « On entend parfois un notable faire une déclaration qui ne repose sur rien de vrai […]. On se demande pourquoi de telles personnes devraient nous gouverner […]. Nos représentants à l’Assemblée nationale sont souvent induits en erreur à cause de tels commérages. » Les rumeurs « font honte à la nation ». « Il est du devoir de chacun de demander à son interlocuteur de prouver ses dires et de ne pas prendre ses racontars pour argent comptant [4]. » « Si vous entendez une rumeur qui ne vous semble pas fondée, la faire circuler fait de vous un ennemi du peuple. On n’a rien à perdre à garder le silence [5]. »

9David Apter a certes parlé en termes élégiaques de la pratique citoyenne du début des années 50 à Kampala autour du Lukiiko, le Parlement du royaume du Buganda, décrivant le bruissement permanent des courtisans, les badauds assistant aux débats depuis les fenêtres, les petits groupes se réunissant pour commenter les nouvelles dans l’enclos royal… « De fait, Kampala était la véritable métropole des Baganda, et non Londres ou Nairobi. […] Le quartier de Mengo était le centre où se décidaient les règles de la propriété et de la modernité. » Mais la sophistication d’une telle pratique citoyenne cachait l’importance des méfiances et des suspicions qu’alimentait la rumeur selon laquelle « la plupart des Baganda étaient incapables de garder un secret ». La promiscuité qui encourageait les commérages facilitait aussi la propension à voir des ennemis partout. Résultat, les personnalités de premier plan cultivaient l’art de la dissimulation et essayaient – la plupart du temps en vain – de masquer les motifs réels de leurs actes publics [6].

10Dans un tel contexte, il n’était pas facile d’empêcher les Ougandais de déformer la vérité et d’interpréter de travers les racontars. L’écrit ne rattrapait pas les erreurs du message oral. Lorsque des rumeurs s’élevèrent sur la tenue d’une assemblée extraordinaire du Lukiiko pour la fin avril 1945, les chefs des environs se précipitèrent à Mengo malgré une déclaration officielle du gouvernement annonçant qu’aucune réunion n’était prévue [7]. La profusion de la presse écrite dans les rues de Kampala ne contribua pas peu à cette situation. En 1945, circulaient sept journaux en langue vernaculaire, parmi lesquels Matasili et Gambuze, qui existaient en luganda depuis les années 20. Les plus gros tirages étaient publiés en luganda, par des patrons de presse africains. L’African Pilot et l’Uganda Eyogera paraissaient deux fois par semaine et tiraient à 12 000 exemplaires. L’Argus diffusait 8200 exemplaires et la presse de Nairobi, avec l’East African Standard, parvenait jusqu’en Ouganda, où elle était beaucoup lue. L’Uganda Post, un bihebdomadaire, et l’Uganda Times, publiés tous deux en luganda, tiraient respectivement à 8 000 et 5 000 exemplaires. De tels chiffres étaient loin d’être négligeables dans l’Afrique des années 50.

11Bien des chefs et des fonctionnaires affirmaient lire deux journaux [8]. Acheter un journal conférait un statut respectable, et les acheteurs n’étaient pas forcément tous lettrés. À peu près tous les journaux étaient lus par plus d’une personne, la plupart étant en outre déclamés à haute voix, traduits, résumés, commentés, critiqués, et tournés parfois en dérision par des publics très divers. Même les journaux qui ciblaient un lectorat intellectuel et scolarisé pouvaient être lus en quelques minutes aux foules illettrées des bidonvilles de Kampala. Ainsi, si celles-ci ne lisaient pas directement les journaux, elles étaient au courant des nouvelles qui y étaient imprimées. Dans un pays où les journaux se vendaient surtout dans la rue et non par abonnement, toutes les publications – à moins d’être entièrement subventionnées – reposaient sur l’attraction des lecteurs : les histoires populaires étaient très demandées [9]. La lecture d’un journal en Afrique a toujours constitué un événement social. Beaucoup n’achetaient pas le journal, se contentant de le lire debout dans la rue, devant l’étal du vendeur ; d’autres empruntaient l’exemplaire d’un parent, d’un voisin ou d’un ami. Les journaux passaient ainsi de main en main.

12Comme Isabel Hofmeyr l’a démontré, l’illettrisme en Afrique n’est pas monolithique : les Africains n’ont jamais eu besoin de savoir lire pour participer à une culture « documentaire » (documentary culture) écrite et complexe, dans laquelle les gens prenaient ou rejetaient les idées qu’ils trouvaient dans les textes écrits [10]. Dans l’une des rares études ethnographiques publiées sur ce sujet en Afrique, Hortense Powdermaker note que l’intimité dans lequel se déroulait l’acte de lire procurait un sentiment de détachement raffiné aux lecteurs issus de sociétés en voie d’alphabétisation (preliterate society). « Avec un journal, déclarait un jeune employé de bureau dans la Copperbelt, on peut lire et relire les nouvelles, et donc les comprendre correctement. Autre avantage, un journal garde trace de ce qui s’est passé et de ce qui a été dit, ce que la TSF ne permet pas [11]. » Mais ces commentaires ne tiennent pas compte de l’existence de la lecture populaire, de la lecture de masse et de rue, celle qui donnait lieu à d’intenses mises en scène et discussions publiques. En Ouganda, les enfants connaissaient le contenu des journaux aussi bien que les adultes, tandis que les journaux lus à haute voix constituaient une véritable culture publique, une citoyenneté faite de débats et de contestation à laquelle même les illettrés pouvaient participer.

13Certes, l’élite modernisatrice baganda tenta de contrer les contestations nées autour de l’écrit de masse en restaurant l’autorité de la chose parlée. Juste avant de fonder le journal Uganda Eyogera, E. M. K. Mulira écrivit que l’émergence de la propriété privée était responsable de la circulation de rumeurs non vérifiées. Autrefois, quand le propriétaire foncier était aussi un chef coutumier, « il réduisait au silence les rumeurs dangereuses et parvenait à protéger l’ordre public ». Mais, depuis quelque temps, « n’importe quel paysan ou possesseur d’information extraordinaire est considéré comme digne de foi » ; plus aucun chef n’est là pour empêcher le travail de désinformation. « De simples quiproquos ont causé un tort considérable à l’Ouganda, souvent parce que les autorités n’ont pas su expliquer les choses clairement. » Une nouvelle confiance dans l’opinion des gens du commun et la participation de ceux-ci à la vie publique remplaçaient le respect des hiérarchies d’antan. Mulira en concluait que l’on pouvait s’épargner bien des malentendus par voie d’affichage, de discours ou d’écrits en milieu urbain, et par voie radiophonique en milieu rural : « un des meilleurs moyens de combattre la rumeur [12] ».

14Les politiciens et les patrons de presse africains pensaient que leurs compatriotes étaient trop crédules pour se laisser convaincre par la seule force de l’écrit. Les autorités coloniales, elles, avaient un point de vue quelque peu différent à ce sujet. Quand Andrew Cohen devint gouverneur de l’Ouganda en 1952, il alloua un demi-million de livres au développement « communal », en l’occurrence l’éducation civique des masses, « afin de développer l’esprit citoyen ». Un montant à peu près équivalent fut consacré à l’établissement d’un centre de formation où les politiciens, les séminaristes, les employés du ministère du Logement, les chefs traditionnels et les responsables du développement communal pouvaient aller suivre des « cours d’éducation civique » sur « l’eau, l’hygiène, les services postaux, la santé publique, la richesse, le gouvernement et le système d’enseignement… ». Et, ajoutait le directeur du centre, « on leur apprend aussi à lire un journal [13] ». Les autorités n’en restèrent pas moins partagées à propos d’une presse dont elles pensaient que le développement, autant que la censure, pourrait aider à combattre les effets pervers de la rumeur.

Le procès de Juma Kasolo

15Kasolo fut arrêté après qu’une foule en colère se fut rassemblée devant le commissariat de Kibuye et eut demandé au chef de la paroisse de Katwe de l’accompagner jusqu’au domicile de Kasolo. Un homme avait affirmé avoir vu, dans la maison de ce dernier, sa sœur, disparue depuis quelque temps sans laisser de traces [14]. À l’époque, dans les années 50, se rendre à un poste de police pour régler un litige était fort rare, surtout dans le quartier de Katwe ou à Mengo, siège de la cour du roi. L’emprise de la loi était extrêmement fragile. Aiden Southall et Peter Gutkind, lors de recherches de terrain effectuées à Kisenyi de janvier 1953 à mars 1954, décrivent la facilité avec laquelle les voleurs parvenaient à se cacher dans un paysage urbain où les détectives, les informateurs et les criminels provenaient souvent du même milieu, leur identité professionnelle se déclinant bien plus en fonction de l’interlocuteur du moment qu’en fonction de leurs sources de revenus. Le recours à la police et l’arrestation des criminels dépendaient beaucoup du chantage, de la corruption des forces de l’ordre et de la protection de la famille royale. La simple menace de traîner un suspect devant les tribunaux était bien plus efficace que la présence de policiers dans les rues. Quand les forces de l’ordre vinrent l’arrêter dans sa cachette, Kasolo, dit-on, aurait déclaré « vous les policiers, on vous connaît. J’ai bien l’intention de vous poursuivre en justice pour avoir pénétré chez moi et pris mes femmes [15] ».

16Dans cette affaire, la police représenta sans doute un ultime recours après que les rumeurs et les commérages eurent échoué à contenir le bouillonnement complexe d’idées et d’émotions que Kasolo se trouvait incarner. Son arrestation et son procès donnèrent une dimension rationnelle à l’effrayante irrationalité des vampires et de leurs agents. Pour autant, les journaux aussi bien que les sources orales attestent que les charges de kidnapping retenues contre Kasolo n’étaient pas claires. Les témoignages et les débats concernant le chef d’accusation (kidnapping, semble-t-il) disparurent des comptes rendus écrits et oraux du procès à peu près aussi vite que les cinq femmes avaient disparu de la maison où la population était censée les avoir trouvées au moment de l’arrestation. Kasolo fut condamné à six mois de prison, mais le motif du verdict n’apparaît pas dans les sources disponibles. Loin de résoudre la question de l’innocence ou de la culpabilité de Kasolo, le procès souligna en réalité les limites des commérages comme stratégie de réduction des crises et des tensions sociales [16]. D’une certaine manière, il montre la non-viabilité, en pays baganda, d’une citoyenneté née de la fragmentation et de la circulation de la rumeur. En effet, lors du procès, la plupart des débats portèrent sur la question de savoir si Kasolo était marié ou non avec deux femmes – ce qui souligne à la fois la fluidité des liaisons matrimoniales en milieu urbain et la stabilité de la cellule familiale dans un contexte politique trouble. La longue explication de Kasolo sur la différence entre son « mariage en ville » et son mariage musulman souleva des questions tenant à la spécificité kiganda et joua sur l’idée répandue parmi les Baganda que leurs frères musulmans étaient plus arriérés que leurs frères chrétiens [17].

17Pendant le procès, le juge reprocha au chef de la paroisse de ne pas avoir fouillé convenablement la maison de Kasolo lors de son arrestation. Selon l’Uganda Eyogera, « une belle jeune fille avait été trouvée dans la maison et immédiatement escortée au commissariat de Mengo. Pendant ce temps, Kasolo restait introuvable. Quand la police vint poursuivre les fouilles, elle trouva cinq autres femmes qui avaient été cachées dans une pièce, vraisemblablement de force. De nombreuses personnes se précipitèrent alors pour voir par elles-mêmes ces cinq femmes que la claustration aurait rendues toutes pâles et qui attendaient à présent dans la salle de séjour, éblouies par tant de lumière. Chacune d’entre elles était habillée différemment et la police déclara qu’elles seraient les témoins à charge pour accuser Kasolo d’enlèvement ». Deux d’entre elles partirent aussitôt tandis qu’une autre disparut simplement des comptes rendus de presse. Cela n’empêcha pas « la ville d’être pleine de rumeurs selon lesquelles Kasolo enlevait et abrutissait de nombreuses femmes. C’est le sujet de conversation favori du jour [18]. »

18Ces deux phrases ne peuvent manquer d’atténuer la rigidité des distinctions entre la nouvelle écrite et la rumeur orale, et l’idée selon laquelle la première serait plus plausible et sérieuse que la seconde. Les hommes et les femmes de l’Ouganda colonial ne partageaient sans doute pas un tel sentiment, ni ne reconnaissaient même une pareille distinction. Pour eux, le commérage était d’abord un mode de communication qui créait des liens personnels, la définition ne reposant pas sur un critère de vérité. Et si l’histoire de Kasolo ne fut pas publiée par l’Uganda Herald, c’est qu’un raid de la police sur une maison du quartier africain de Katwe avait peu de chances de faire les gros titres de la presse de langue anglaise à Kampala ; les condamnations en série de voleurs occupèrent les pages trois et quatre ce jour-là. Le procès de Kasolo, lui, coïncida avec les événements qui devaient aboutir à la déportation du Kabaka [19]. Leur compte rendu fut activement censuré par la cour royale. Sous prétexte que des négociations étaient en cours avec les Britanniques, Paolo Kavuma, le katikiro (Premier ministre) du Buganda, avait demandé aux journalistes de ne pas publier la lettre du Lukiiko rejetant le projet d’une fédération est-africaine : seuls l’Herald et l’Uganda Post enfreignirent l’interdiction [20].

19La censure de la presse, cependant, n’avait pas grand sens dans une ville où les liens personnels avec la cour royale étaient nombreux, où la rumeur allait bon train parmi les Baganda, et où personne ne croyait aveuglément les écrits des journaux. Les nouvelles continuèrent de circuler, et la censure ne fit que leur redonner toute leur dimension orale. Peut-être aurait-il d’ailleurs été plus facile de censurer le message oral. Ainsi de cet homme qui déclarait ne plus pouvoir se rappeler les paroles d’une chanson se moquant de l’attitude de la cour à propos du remariage de la Reine Mère parce que le roi avait interdit ladite chanson [21]. Dans ce contexte, il est possible que les événements de la fin 1953 aient contribué à stimuler la lecture des journaux, les Baganda essayant d’interpréter les silences et omissions qui entouraient les événements à la cour, et certains journaux tâchant de répondre à la demande en publiant des histoires à sensation pour vendre leurs copies.

20Dans ce contexte, pourquoi l’accusation de Kasolo comme un « anesthésieur (stupefier) de femmes » rencontra-t-elle autant d’intérêt ? À Kampala, les histoires de bazimamoto capturant des Africains avec des drogues, en particulier du chloroforme, étaient courantes. Dans la presse, une histoire d’« anesthésie » relevait du vampirisme pour le lecteur moyen. Les séquelles du chloroforme sur les victimes, nous l’avons vu, étaient nettement différentes selon les sexes : les femmes étaient réduites au silence, et les hommes assuraient ne plus pouvoir marcher. Quand Kasolo fut retrouvé deux mois plus tard dans la maison d’une femme de mauvaise vie, « il refusa de sortir en prétendant souffrir des jambes et en demandant à la police de le porter. C’est ainsi qu’il fut traîné au commissariat de Mengo [22]. »

21Les pages qui suivent tentent de faire la part des choses entre ce qui a été raconté sur Kasolo avant son arrestation et après, à grand renfort de presse écrite. Il ne s’agit pas de discerner précisément quelle partie de l’histoire appartient à la culture orale et populaire, mais de montrer la façon dont l’affaire fut rapportée par les médias et commentée dans la rue. Les historiens de l’Afrique ont longtemps été à la recherche d’une oralité « pure », non contaminée, qui révèlerait un passé africain, des cosmologies et des idées africaines non encore retravaillées par des versions écrites. Il ne sert pas à grand chose de distinguer l’oral de l’écrit quand les deux communiquent en permanence en milieu urbain, et que les locuteurs empruntent à l’un comme à l’autre des éléments d’une histoire qui leur sert à raconter la vie de la cité, leur propre expérience, et la situation coloniale. La question n’est pas de savoir quels médias ont retranscrit quelles parties des histoires de bazimamoto, mais de savoir comment les gens ont méthodiquement utilisé chacun des moyens à leur disposition pour reconstruire un passé faisant sens [23]. La citoyenneté de l’Ouganda urbain n’était pas passive : les Africains analysaient et discutaient ouvertement les événements, et ils n’étaient pas toujours d’accord. À l’occasion des débats et de la mémoire de l’arrestation et du procès de Kasolo, ce sont leurs propres histoires sur l’autorité, le roi et le colonialisme qu’ils racontèrent.

22Bien entendu, la distinction entre la part de l’écrit et de l’oral n’est pas rigide. Les allusions des journaux aux bazimamoto puisaient dans la culture orale. Par conséquent, la prétendue incapacité de Kasolo à marcher au moment de son arrestation est sans doute moins importante que la façon dont celui-ci parla de ses jambes au procès, en jouant sur de nombreux éléments empruntés au registre des victimes des bazimamoto. Ce qui revient le plus souvent dans les sources orales est que Kasolo s’attachait des chiffons aux jambes à chaque fois qu’il cherchait à échapper à telle ou telle ordonnance légale. « Il attachait des guenilles sur ses jambes pour apparaître sous les traits d’un esprit dérangé et ne pas payer d’impôts [24]. » Un autre témoin refusait de croire que Kasolo avait enlevé des gens, mais soutint que celui-ci ne pouvait pas marcher. Lorsqu’on lui demanda si, au moment de son arrestation, il y avait « des gens dans sa maison », ledit témoin affirma : « Mais ça ne s’est pas passé comme ça, il n’y avait personne avec Kasolo quand celui-ci a été arrêté, contrairement à ce qu’on a dit. Mais Kasolo avait participé à ces émeutes [de 1949], et il avait été tabassé brutalement et ne s’en était échappé qu’avec les jambes fracturées [25]. » Ce point est fort crédible au regard de la violence qui sévit pendant les émeutes à Kampala ; le rédacteur en chef de Matalisi, par exemple, avait été battu juste devant son bureau [26].

23Kasolo essaya de tirer avantage de ces stéréotypes, du moins selon les reporters chargés de couvrir le procès. Lorsqu’il fut traduit en justice, il déclara : « Mon nom est Juma Kasolo… J’ai toujours été au chômage… Je suis devenu paralysé des jambes. » Il demanda à ne pas assister au procès pour des raisons médicales et fut conduit chez un docteur. « Quand Kasolo se rendit dans le quartier de Mulago pour consulter un médecin, tout le voisinage se déplaça pour aller voir à quoi ressemblait le personnage. » Le docteur l’examina et le déclara apte à suivre le procès [27]. Dix jours plus tard, « Kasolo se plaignit amèrement que le juge ne l’écoutait pas. Depuis qu’il avait été mis en prison, se lamentait-il, on ne lui avait rien donné à manger. Il demanda comment on attendait de lui qu’il réponde aux questions de la cour quand il avait si faim… Il fit même plus et demanda au juge ce que celui-ci ressentirait s’il n’avait pas mangé depuis deux jours et qu’il devait traiter d’une affaire comme la sienne [28]. » Les récriminations des hommes et des femmes comparaissant devant un tribunal ne tournent pas toujours à leur avantage. Dans leurs réclamations, l’utilisation d’images et de « faits », ainsi que de récits, sont à la merci d’audiences diverses, à la fois dans et hors la salle du tribunal, au-delà du cercle restreint du juge, du jury et même des lecteurs de la presse.

24Les journaux eurent un grand impact dans l’affaire Kasolo. Dans certains des témoignages rapportés plus haut, les témoins citent directement des articles de presse. Cela signifie-t-il pour autant que les gens accordaient aux comptes rendus des journaux plus de crédit qu’aux commérages de quartier ? Bien des historiens de l’Afrique, justement, se sont inquiétés de ce que les documents écrits retranscrivaient parfois des récits oraux d’événements n’ayant jamais existé. Selon eux, les écrits déforment les versions mémorisées antérieures du passé et risquent de submerger la transmission pure du matériau oral [29]. Au début des années 70, David Henige parla même d’effet de feedback en montrant que les Africains utilisaient souvent des éléments écrits à propos du passé et les incorporaient dans les versions orales, ce qui les rendait peu fiables [30]. Cette thèse a l’inconvénient de présenter les traditions orales comme une sorte de corpus impersonnel et apolitique.

25Certes, des versions écrites de l’histoire sont utilisées, mais seulement lorsqu’elles sont utiles lors d’une interview ou d’une discussion. Diverses raisons peuvent expliquer pourquoi quelqu’un souhaite montrer l’étendue de sa connaissance des textes écrits : il s’agit parfois de témoigner du raffinement de sa culture, plutôt que d’appuyer sa propre histoire [31]. Les anxiétés relatives au feedback négligent un point crucial – dans le domaine de l’oral, comme dans la musique électronique, le feedback est toujours manipulé à une fin précise. L’écrit n’a jamais plus de poids que celui que lui donnent les interlocuteurs, qu’ils soient ou non analphabètes. En fait, il semble que lire le journal, ou connaître son contenu par ouï-dire, servait à démontrer quelque chose. D’après un témoin qui n’avait que treize ans au moment du procès de Kasolo, « nous avons lu dans les journaux l’arrestation d’un homme qui retenait de force des gens chez lui et qui fut jugé pour ça… Ses victimes étaient six filles âgées de dix à vingt-cinq ans… Au tribunal, on voulut savoir d’où ces gens venaient. L’homme fut donc condamné et eut une peine de six mois de prison [32] ».

26Quelle était donc la version orale de l’histoire de Kasolo ? Un informateur, usant de motifs et de clichés communs à beaucoup d’histoires de vampires en Afrique de l’Est, y ajouta diverses idées relatives aux drogues et à la perte de conscience spécifiques aux versions kampalaises. Sa description aide à repérer les éléments spécifiquement oraux du récit :

27

« Certaines des victimes que Kasolo avait capturées parvinrent à s’échapper de sa maison, ce qui permit aux gens de prouver qu’il se livrait au trafic humain […] on le connaissait bien, et ceux qui allèrent chez lui dirent qu’il avait creusé des trous dans sa maison, qu’il avait l’habitude de les recouvrir de nattes, et quand vous essayiez de vous asseoir, vous vous trouviez brusquement dans un grand trou, et je pense qu’il utilisait certaines de leurs drogues, comme le califorme (sic) qu’il gardait dans une pièce, je crois qu’il leur donnait certaines drogues à renifler. Et ils ne pouvaient pas sortir des fosses, seulement bouger inconsciemment au fond du trou [33]. »

28Les résidents de Katwe en parlaient avec encore plus d’autorité. L’un d’entre eux expliquait qu’il avait vu une des victimes : « C’était une des cinq femmes. Elle était encore vivante quand on les a trouvées dans la maison de Kasolo, mais elles avaient l’air abruties. Et cet homme Kasolo, c’est lui qui avait fait ça [34] ! » De son côté, un témoin affirmait :

29

« Non seulement j’ai entendu parler de lui, mais je l’ai aussi vu de mes propres yeux. […] Kasolo, il suçait le sang des gens. […] Il capturait ses victimes pour sucer leur sang, c’était son occupation. On ne le savait pas mais il les prenait, et je les ai vus. C’était pendant le règne de Mutesa II. Kasolo a été emmené à Mengo, dans le bureau de l’officier municipal et a été arrêté pour avoir maintenu six personnes en captivité chez lui. […] Je l’ai vu de mes propres yeux [35]. »

30Un autre témoin brodait quant à lui son histoire à partir des comptes rendus de la presse :

31

« Un jour, le gouvernement de Mengo a mené son enquête et a découvert que [Kasolo] gardait prisonnier chez lui des victimes inconscientes pour sucer leur sang. Demandez à n’importe qui, ils vous raconteront l’histoire : n’importe qui à Katwe connaît très bien ce qui s’est passé. […] Kasolo a été arrêté avec des victimes de sexe féminin. Assurément, Kasolo revendait ces gens à des bazimamoto. On l’a surpris en flagrant délit chez lui, avec des victimes inconscientes. Ou bien parfois il leur donnait des aliments très nourrissants pour qu’ils reprennent des forces une fois vidés de leur sang [36]. »

32Tous ces récits suggèrent que les universitaires ne doivent pas s’inquiéter d’un effet de feedback de l’écrit vers l’oral. Au lieu de se préoccuper de l’impact néfaste de l’écrit sur l’oral, il vaudrait mieux, selon moi, partir du point de vue que les deux modes de transmission coexistent : d’abord parce qu’ils sont indissociables, ensuite parce que la parole et la publication participent toutes deux de la construction d’une culture populaire. Toute une génération d’historiens de l’Afrique, à l’instar des modernisateurs coloniaux de la période tardive, a cru à tort que l’écrit dominait naturellement la version orale. À Kampala, tant les lecteurs de journaux que les auditeurs de radiotrottoirs peuvent se souvenir de l’affaire Kasolo en utilisant des éléments écrits et oraux : soit en rajoutant des commentaires oraux à une version écrite, soit en faisant l’inverse, sans pour autant que l’un l’emporte sur l’autre. En 1990, mes assistants et moi-même avons ainsi entendu un résident de Katwe parler de l’affaire Kasolo sans même mentionner l’existence d’un procès. Un homme qui approchait de la trentaine en 1953 nous a déclaré :

33

« La maison de Kasolo comprenait une fosse. Quand vous veniez vous soulager dans les alentours, Kasolo appelait et demandait : “pourquoi fais-tu ça ici ?” Puis il vous invitait à entrer et vous faisait asseoir sur une natte qui cachait la fosse dans laquelle on tombait [37]. »

34Les plus jeunes habitants de Katwe ont révisé l’histoire de l’arrestation de Kasolo en y ajoutant d’autres commentaires à propos de la vente de corps humains, qui aurait coïncidé avec la construction d’un nouvel hôpital à Mulago en 1962, et à propos du rituel des enterrements traditionnels à la campagne, qui obligeait à transporter les cadavres depuis la ville [38].

35

« Il emportait les morts au Zaïre, qu’on appelait Congo en ce temps-là. Une fois, on l’a attrapé avec des cadavres : quatre cadavres qu’il avait habillés de manière à faire croire qu’il s’agissait de personnes vivantes ! Il les mettait dans sa voiture, et prétendait qu’ils étaient en voyage, et leur plaçait des journaux entre les mains pour faire illusion. Il a fait ça plusieurs fois mais je ne sais pas ce qu’il faisait de ces cadavres, ni ce qu’on le payait pour les transporter [39]. »

Les limites de la rumeur et la description du pouvoir

36L’affaire Kasolo, telle qu’elle a été rapportée dans les journaux ou la mémoire collective, montre comment des éléments narratifs – les jambes, les voitures, la fosse, la nourriture, les drogues abrutissantes – servirent à construire un véritable genre historique qui s’alimentait et continue de s’alimenter de versions écrites et orales. Et pourquoi pas ? À l’époque, cette affaire constitua l’essentiel des conversations de Kampala, mais, à la différence des affaires royales et de la politique du gouverneur colonial, aucune censure officielle, aucun interdit social ne s’opposaient à ce qu’on en parle. Pour autant, les affaires royales étaient-elles vraiment absentes d’un procès où l’on décrivait les jambes de Kasolo, sa nourriture et ses voitures, afin de rendre vivant le monde des bazimamoto, que la presse ne mentionna jamais comme tels ? Les doléances de Kasolo contre ses geôliers qui l’auraient laissé mourir de faim étaient-elles destinées à dresser un parallèle explicite avec les plaintes de victimes qui croyaient qu’on les avait forcées à ingurgiter de la nourriture pour fortifier leur corps et sucer leur sang ? Et lorsque les lecteurs ordinaires du Uganda Eyogera lurent les doléances de Kasolo, pensèrent-ils à la nourriture qu’on avait donnée aux victimes trouvées dans la maison de l’accusé ?

37De telles interprétations vont dans le sens de ma démonstration mais n’expliquent pas le procès. Celui-ci nécessiterait sans doute une lecture plus locale de la basse politique des affaires royales en période de crise intense. Faute d’être une spécialiste de ce sujet, je ne peux qu’avancer l’hypothèse selon laquelle le procès de Jumo Kasolo présente une analyse en filigrane des affaires royales à travers des histoires de vampires. Toujours attentives au sens caché des événements, les différentes factions de la cour royale à Mengo et ses environs ont dû prêter la plus grande attention aux réunions entre le roi et le gouverneur de la colonie à propos de l’indépendance du Buganda ou de sa colonisation intégrale. Peut-être qu’en d’autres circonstances un policier aurait montré moins de bonne volonté pour céder aux pressions de la foule et aller fouiller la maison de Kasolo. Au cours du procès, les débats les plus véhéments opposèrent les représentants de l’autorité. Venu déposer à la barre, le chef de la paroisse de Katwe, Stanley Kisitu, se vit reprocher par le juge de ne pas avoir cherché Kasolo dans sa maison. Kisitu avait quitté ladite maison après avoir « emmené toutes les femmes » qui s’y trouvaient. Le juge était furieux :

38

« D’après ce que vous nous avez dit au tribunal, il est plus que probable que vous avez menti. Quelqu’un comme vous est censé aller dans le sens de la loi. Je demande donc à la cour d’entamer une procédure contre vous. En effet, je ne peux pas croire qu’un chef de paroisse muni d’un mandat de perquisition puisse s’en revenir les mains vides en prétendant que la tâche était impossible. C’est un mensonge [40]. »

39Au vu d’une telle charge, il est tout à fait possible de croire que l’objectif du procès n’était pas tant de se débarrasser de Kasolo que de Kisitu. Sans avoir à connaître les arcanes de la politique du royaume Buganda dans les banlieues de Kampala au début des années 50, il n’est pas déraisonnable de penser que l’affaire Kasolo n’était pas sans liens avec la remise en question de l’autorité de Kisitu. La justice et la police tentèrent de contrôler les agissements de celui-ci de la même façon que la foule avait dû recourir à la force pour maîtriser un Kasolo dont la rumeur ne pouvait plus contenir les méfaits, et cela de manière à faciliter l’une des solutions à une crise politique nationale, certes censurée dans les journaux – mais bien réelle.

40Quels que soient la manière dont elles se propagent et le lieu où elles évoluent, les histoires de vampires, on le voit, ne sont pas de simples comptes rendus à propos d’êtres surnaturels. Au contraire, elles contribuent, dans la vie de tous les jours, à décrire un monde bien réel, dont les gens peignent un portrait saisissant grâce au vocabulaire du sang, des drogues et des médicaments, de la conscience, de la mobilité et de la nourriture. Les vampires sont un moyen de parler du pouvoir, de ce qui constitue l’autorité, et des doutes, des confusions que ceux-ci suscitent. Les historiens de l’Afrique ont souvent avancé que la parole était fragile : non seulement elle cèderait le pas devant l’écrit, mais elle ne serait pas capable de contenir de riches strates de sens. Or, les simples bavardages quotidiens et les ragots sont en réalité capables de contenir l’énorme masse des contradictions et des potentialités des États et du pouvoir, et ils recèlent une profusion d’idées que l’écrit peut certes répéter et animer, mais jamais engendrer à lui seul. Les histoires de vampires, en l’occurrence, étaient faites d’images, d’idiomes, de stratégies et de peurs qui utilisaient plusieurs moyens d’expression à la fois, et qui servirent aux Africains à commenter les aléas de leur monde politique. Les registres dont jouent ces récits révèlent, derrière un apparent embrouillamini, une peinture aussi nette que captivante du pouvoir et de l’autorité.

Notes

  • [1]
    Un des meilleurs exemples de ce positionnement méthodologique est fourni par J. Vansina dans Oral Tradition as History, Madison, University of Wisconsin Press, 1985.
  • [2]
    J’ai développé cette thèse dans mon livre Speaking with Vampires: Rumor and History in Colonial Africa (Berkeley, University of California Press, 2000, spécialement chap. 1 à 5), mais elle doit aussi beaucoup aux ouvrages de K. Barber (I Could Speak Until Tomorrow: Oriki, Women and the Past in a Yoruba Town, Edinburgh, Edinburgh University Press for the International African Library, 1991), de E. Tonkin (Narrating Ours Pasts: The Social Construction of Oral History, Cambridge, Cambridge University Press, 1992) et de D. W. Cohen, S. Miescher et L. White, Words and Voices: Critical Practices in African Oral History, à paraître.En ligne
  • [3]
    La recherche de terrain à la base de cet article a été effectuée à Kampala en 1990. Les interviews ont été faites par mes soins ou ceux de mes assistants, F. Bukulu, R. Kigonog et G. Kigozi, qui en ont assuré la traduction. Sur les spécificités des vampires dans l’Ouganda colonial, voir mes précédents travaux : « Cars out of place: vampires, technology, and labor in east and central Africa », Representations, n° 43, 1993, pp. 27-50 ; « “Firemen do not buy people”: media, villains, and vampires in Kampala in the 1950s », Passages, n° 8, sept. 1994, pp. 11, 16-17 ; « “They could make their victims dull”: genders and genres, fantasies and cures in colonial southern Uganda », American Historical Review, 100 (5), 1995, pp. 1379-1402 ; Speaking with Vampires…, op. cit.En ligne
  • [4]
    Y. Muganda, « Rumour », Matasili, 4 mai 1945, pp. 2-4.
  • [5]
    L. L. M. Kasumbo, « letter to the editor », Matasili, 24 janv. 1947, p. 7.
  • [6]
    D. Apter, Political Kingdom in Uganda. A study in Bureaucratic Nationalism, Princeton, Princeton University Press, 1967, pp. 14-18.
  • [7]
    « Rumour », art. cit.
  • [8]
    L. A. Fallers, Law Without Precedent: Legal Ideas in Action in the Courts of Colonial Busoga, Chicago, Université of Chicago Press, 1969, p. 80.
  • [9]
    J. Brooks, « Literacy and print media in Russia, 1861-1928 », Communication, n° 11, 1988, pp. 50-51 ; M. L. Bastian, « Bloodhounds who have no friends: witchcraft and locality in the nigerian popular press », in J. et J. Comaroff (eds), Modernity and its Malcontents: Ritual and Power in Postcolonial Africa, Chicago, University of Chicago Press, 1993, pp. 129-166.
  • [10]
    I. Hofmeyr, « Wailing for purity: oral studies in southern sfrican Studies », African Studies Review 54 (2), 1995, p. 22.
  • [11]
    H. Powdermaker, Copper Town: The Human Situation on the Rhodesian Copperbelt, New York, Harper and Row, 1962, p. 280 ; pour un point de vue quelque peu différent, voir L. Bourgault, Mass Media in Sub-Saharan Africa, Bloomington, Indiana University Press, 1995, pp. 190-195.
  • [12]
    E. M. K. Mulira, Troubled Uganda, Londres, Fabian Colonial Bureau, 1950, pp. 7-10. La radio, quand elle est apparue en Ouganda, a été autant décriée que la transmission orale d’autrefois. Les informations de Radio Katwe n’ont pas toujours été prises au sérieux car elles n’étaient pas contrôlées et se prêtaient même à la déformation. E. M. K. Mulira, entretien, Mengo, 13 août 1990.
  • [13]
    H. J. Igrams, Uganda: Crisis of Nationhood, Londres, His Majesty’s Stationary Office, 1960, pp. 32-35. Voir aussi B. Anderson, Imagined Communities: Reflections on the Origin ans Spread of Nationalism, Londres, Verso, 1991, pp. 61-63.
  • [14]
    Témoignage de S. Kisitu, chef de la paroisse de Katwe, « Kasolo’s case is very complicated », Uganda Eyogera, 4 déc. 1953, p. 1.
  • [15]
    « Kasolo is now in prison at Njabule », Uganda Eyogera, 6 nov. 1953, p. 1.
  • [16]
    B. Yngvesson, « The reasonable man and unreasonable gossip: on the flexibility of (legal) concepts and the elastivity of (legal) time », in P. H. Gulliver (ed.), Cross Examinations: Essays in Honor of Max Gluckman, Leiden, E. J. Brill, 1978, pp. 133-154 ; M. Marwick, « The social context of cewa witch beliefs », Africa, 22 (2), 1952, pp. 120-135.En ligne
  • [17]
    « Kasolo fought in court: his case will get a ruling today », Uganda Eyogera, 27 nov. 1953, p. 1 ; Apter, Kingdom, pp. 16-17 ; T. W. Gee, « A century of mohammedan influence in Buganda 1852-1951 », Uganda Journal, 22 (2), 1958, pp. 129-150 ; F. Carter, « The education of african muslims in Uganda », Uganda Journal, 29 (2), 1965, pp. 193-199.
  • [18]
    « In Kasolo’s house, pale coloured women were recovered », Uganda Eyogera, 11 sept. 1953, p. 1.
  • [19]
    Pour un récit classique de cette histoire, voir D. Apter, Political Kingdom, op. cit., pp. 260-262 ; Kabaka of Buganda, Desecration of my Kingdom, Londres, Constable, 1967, et P. Kavuma, Crisis in Buganda, 1953-1955: The Story of the Exile and the Return of Kabaka Mutesa II, Londres, Rex Colins, 1979 ; voir aussi L. White, Speaking with Vampires, op. cit., pp. 242-250.
  • [20]
    P. Kavuma, Crisis in Buganda, op. cit., pp. 24 et 39.
  • [21]
    G. Sseluwagi, entretien, Lubya, 28 août 1990.
  • [22]
    « Kasolo is now in prison at Njabule », art. cit.
  • [23]
    Voir I. Hofmeyr, « Wailing for purity… », art. cit., pp. 16-31.
  • [24]
    A. Kiziri, entretien, Katwe, 20 août 1990.
  • [25]
    S. Kasule, entretien, Kisenyi, 28 août 1990.
  • [26]
    Uganda Herald, 7 mai 1949, p. 2.
  • [27]
    « Kasolo fought in court: his case will get a ruling today », Uganda Eyogera, 27 nov. 1953, p. 1.
  • [28]
    « Kasolo’s case is very complicated », art. cit.
  • [29]
    D. Henige, « “The disease of writing”: Ganda and Nyoro Kinglistes in a newly literate world », in J. C. Miller (ed.), The African Past Speaks: Essays on Oral Tradition and History, Hamden CT, Anchon, 1980, pp. 240-261 ; J. Vansina, Oral Tradition as History, op. cit., pp. 42-45.
  • [30]
    D. Henige, « The problem of feedback in oral tradition: four examples from the fante coastlands », Journal of African History, 14 (2), 1973, pp. 223-235. Ces quinze dernières années, le concept n’a été remis à la mode que pour être mieux attaqué. Voir J. Willis, « Feedback as a “problem” in oral history: an example from bonde », History in Africa, n° 20, 1993, pp. 353-360.
  • [31]
    Cela vaut bien entendu pour les matériaux oraux. Voir Ben G. Blount, « Agreeing to disagree on genealogy: a luo sociology of knowledge », in M. Sanchez et Ben G. Blount (eds), Sociocultural Dimensions of Language Use, New York, Academic Press, 1975, pp. 117-135.
  • [32]
    G. W. Ggingo, entretien, Kasubi, 15 août 1990.
  • [33]
    J. Nsubuga, entretien, Kisasi, 22 août 1990.
  • [34]
    A. Kiziri, entretien, Katwe, 20 août 1990.
  • [35]
    A. Namutura, entretien, Katwe, 24 août 1990.
  • [36]
    Y. Kaggwa, entretien, Katwe, 27 août 1990.
  • [37]
    A. Namutura, entretien, Katwe, 24 août 1990.
  • [38]
    D’une taille impressionnante, le nouveau CHU de Mulago a été en construction pendant des années et n’a été achevé qu’en 1962. Voir M. MacPherson, They Built for the Future: a Chronicle of Makerere University College, 1922-1962, Cambridge, Cambridge University Press, 1962, p. 34 ; J. Nakibuuka Nalongo, entretien, Lubya, 21 août 1990.
  • [39]
    D. Sekiraata, entretien, Katwe, 22 août 1990.
  • [40]
    « Kasolo’s case is very complicated », art. cit.
Français

À rebours de l’historiographie classique qui ne tenait pas compte des phénomènes de l’invisible, cet article prend « au sérieux » les rumeurs de sorcellerie qui parcouraient les sociétés coloniales. À travers l’analyse d’un procès, il montre qu’en Ouganda les histoires de « vampires » exprimaient en filigrane le bouleversement des relations d’autorité et la crise du pouvoir royal. Il plaide aussi pour une autre approche de l’histoire orale.

Luise White
Université de Floride
Traduction de 
Marc-Antoine Pérouse de Montclos
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Mis en ligne sur Cairn.info le 15/11/2012
https://doi.org/10.3917/polaf.079.0083
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