CAIRN.INFO : Matières à réflexion

1Depuis une trentaine d’années, on assiste à la mise en place de nombreux programmes de rénovation urbaine dans les villes européennes [1]. Souvent impulsés par l’Union européenne [2], ces derniers sont venus accélérer un processus, déjà en cours, de recadrage de l’action publique autour des questions de lien social et de mixité sociale plutôt que d’inégalité ou de redistribution (Briata, Bicocoli, Tedesco, 2009 ; Donzelot, Estèbe, 1994 ; Carrel, 2013 ; Tissot, 2007). Parallèlement à un ensemble de mesures de rénovation du bâti, ces programmes prévoient le financement de projets sociaux et artistiques visant à renforcer la « cohésion sociale », à favoriser la « participation des habitants » et à requalifier l’image des quartiers populaires.

2Loin d’être spécifique à la France, ce phénomène touche de nombreux pays européens parmi lesquels l’Italie. Dans le cadre de programmes de rénovation urbaine, les associations socioculturelles sont mobilisées et subventionnées par les pouvoirs publics afin d’« impliquer » les habitants des quartiers populaires. De plus en plus distants des organisations politiques traditionnelles, ces derniers s’engageraient davantage dans des projets associatifs (Ardigò, 1984 ; Donati, 1985 ; Ranci, 1991 ; Borcio, Vitale, 2016). Or, derrière cette rhétorique axée sur la participation des habitants, se cachent souvent des objectifs de pacification sociale dans des territoires caractérisés par d’importants changements urbains et sociaux. Ce phénomène est d’autant plus évident dans les quartiers marqués par l’arrivée récente d’immigrés, les associations étant considérées par les pouvoirs publics comme des acteurs particulièrement aptes à favoriser l’« intégration » de ces populations et leur « cohabitation » avec la population autochtone (Mellone, Di Gregorio, 2005 ; Pizzolati, 2007).

3Parmi les différentes actions subventionnées, le théâtre a souvent constitué un outil de prédilection dans les politiques locales (Pontremoli, 2005 ; Detta, Maltese, Pontremoli, 2008 ; Hamidi-Kim, 2011). De nombreuses associations théâtrales ont ainsi investi les quartiers populaires italiens, en proposant des projets en direction de leurs habitants.

4Basé sur une enquête ethnographique réalisée dans un quartier populaire de Turin [3], cet article interroge la façon dont les associations de théâtre présentes dans ce quartier définissent et « endossent leur rôle » en direction des classes populaires, ainsi que le rôle qu’elles assignent aux participants à leurs projets (Lagroye, 1997 ; Lagroye, Offerlé, 2011). Une attention particulière sera portée à la dimension politique de leur action : si certaines présentent le théâtre en tant que moyen d’empowerment des classes populaires, dans ses acceptions les moins radicales (Bacqué, 2013), d’autres adoptent plutôt un registre de dénonciation des inégalités sociales.

5Dans le prolongement d’un ensemble de travaux s’étant récemment intéressés à la façon dont les modalités de financement des associations façonnent leur action en direction des publics cibles (Nicourd, 2011 ; Talpin, 2016), nous nous pencherons sur la question suivante : est-ce que l’accès aux financements agit sur les formes de participation produites par les acteurs associatifs dans les quartiers populaires ? Induit-il nécessairement une déradicalisation de l’action associative [4] ?

6Nous partirons donc de l’hypothèse suivante : la quête de financements publics de la part des responsables associatifs influe non seulement sur l’organisation du travail au sein des associations, mais aussi sur les formes d’engagement et sur les pratiques des leaders associatifs vis-à-vis des publics cibles de leur action. Nous analyserons donc comment la volonté de la part de certaines associations de créer des partenariats avec les pouvoirs publics influence la façon dont elles ciblent les participants à leurs projets, ainsi que la place qu’elles leur accordent à la fois dans les processus de création artistique et dans l’organisation de l’association. Cependant, si l’accès aux financements publics est un enjeu central dans notre étude, nous tiendrons compte aussi d’un ensemble d’autres variables susceptibles d’influencer la façon dont les metteurs en scène endossent leur rôle en direction des publics populaires : leur conception de l’engagement altruiste (sur un mode généralisé ou particulariste, voir Monroe, 1998 ; Hamidi, 2010) [5] et de leur rôle d’intervenant artistique, leur distance objective et subjective aux classes populaires, leur position au sein du champ du théâtre professionnel et de l’espace associatif local.

7Afin de mener ce type d’analyse, nous nous baserons sur une comparaison entre deux associations, choisies parmi nos différents cas d’étude parce qu’elles se positionnent de manière contrastée dans leur rapport aux pouvoirs publics. La première (Lotros) est dans une quête perpétuelle de financements et se situe dans une posture d’anticipation et de conformation aux attentes des pouvoirs publics. La seconde (Accordéon), au contraire, n’est pas subventionnée et se situe dans une posture de retrait vis-à-vis de la puissance publique. La comparaison entre ces deux structures nous permettra d’analyser les effets de cadrage de l’action publique sur les formes de participation et la place accordée aux publics cibles dans des projets qui se veulent « participatifs ».

8Nous commencerons par étudier les catégorisations auxquelles procèdent les autorités politiques pour désigner le quartier et ses résidents, ainsi que les objectifs qu’elles assignent aux associations. Nous analyserons ensuite la façon dont ces dernières définissent et endossent leur rôle vis-à-vis des classes populaires, ainsi que le rôle qu’elles assignent aux participants. L’étude conjointe de leur rapport aux financements publics et des trajectoires sociales des leaders associatifs nous permettra de mettre en évidence un ensemble de tensions et contradictions qui caractérisent leur engagement envers les classes populaires.

Méthodologie d’enquête

Notre enquête s’est déroulée dans le quartier de Barriera di Milano, à Turin, entre septembre 2011 et septembre 2014. Pendant cette période, nous y avons effectué de nombreux séjours plus au moins longs (entre deux semaines et six mois) pour un total d’environ douze mois.
L’observation participante au sein des deux compagnies de théâtre nous a permis d’analyser les pratiques et les discours de leurs metteurs en scène dans différents contextes d’interaction (répétitions, réunions, séances de formation, ateliers, conversations informelles, etc.). Dans l’association Lotros, l’observation participante s’est déroulée pendant environ 500 heures : deux journées de 10 heures chaque semaine pendant nos nombreux séjours à Turin. Cette immersion a été notamment possible car nous nous étions inscrite à une formation organisée par la metteuse en scène, destinée à former de « jeunes intervenants » de théâtre à travailler dans les quartiers populaires. Lors des ateliers, nous étions dans une position intermédiaire entre la metteuse en scène et les participants aux ateliers, ce qui nous a permis d’être proche à la fois de l’une et des autres, malgré notre distance sociale objective [6]. Dans la troupe Accordéon, nous avons observé un atelier hebdomadaire (pour un total de 100 heures) et partagé de nombreux moments extra-théâtraux avec les comédiens (dîners, sorties, voyages). L’immersion ethnographique a ici été facilitée par une certaine proximité sociale avec les participants [7].
Dans les deux associations, nous avons également assisté aux interactions entre les responsables associatifs et les financeurs publics (réunions d’information, rendez-vous, rencontres informelles, etc.).
Parallèlement, nous avons mené une campagne d’entretiens : des entretiens biographiques avec les metteurs en scène, ainsi que des entretiens semi-directifs avec les participants aux ateliers et les principaux financeurs. Enfin, la recherche s’est nourrie de l’analyse d’archives municipales et d’arrondissement, ainsi que d’archives associatives.

Le poids de la catégorisation institutionnelle : recoudre le tissu social d’un « quartier sous tension »

9Barriera di Milano est un ancien quartier ouvrier situé dans le 6e arrondissement de Turin [8]. Habité depuis les années 1960 par de nombreuses familles en provenance du sud de l’Italie [9], il a ensuite connu un important changement de population. À partir de la fin des années 1990, de nombreuses familles immigrées s’y sont installées, et cohabitent désormais avec une population italienne vieillissante. Le quartier est dépourvu de structures consacrées au spectacle vivant jusqu’en 2011, lorsque la réhabilitation d’un ancien auditorium est entamée dans le cadre d’un programme de rénovation urbaine financé par des crédits européens (Urban III). L’auditorium est renommé Teatro Marchesa et trois résidences artistiques y sont créées. Si ces dernières ne prévoient pas l’octroi de financements spécifiques, elles donnent la possibilité à trois associations artistiques d’utiliser les locaux municipaux pour leurs répétitions. De leur côté, les associations en résidence s’engagent à la fois à créer de nouveaux spectacles et à animer des ateliers avec les « habitants du quartier ». Les troupes signent des conventions avec l’arrondissement, mais ces dernières demeurent vagues en ce qui concerne les objectifs qu’elles doivent poursuivre et les publics qu’elles doivent toucher. Les attentes institutionnelles s’expriment principalement dans une série de discours tenus par les élues de l’arrondissement dans différents contextes (entretiens, discours de présentation d’un spectacle, rencontre avec les associations, etc.) [10]. On y retrouve la référence à un ensemble de populations considérées comme prioritaires – les « jeunes », les « personnes âgées » et les « immigrés » – et à la nécessité pour les associations de poursuivre des objectifs d’intégration sociale, dans un quartier habité par des populations « très différentes entre elles » et qui présentent des « problèmes sociaux spécifiques » [11]. En effet, les représentants des pouvoirs publics décrivent régulièrement le quartier comme habité, d’une part, par de nombreuses « communautés étrangères » se trouvant dans une « situation socio-économique fragile » et, d’autre part, une population italienne de plus en plus « âgée, isolée et à la charge des services sociaux » [12]. À cause de leurs « différences sociales et culturelles », ces populations sont présentées comme étant « en tension » les unes avec les autres et ce « mélange social » entre des « parties de la société qui ne dialoguent pas naturellement entre elles » serait « à l’origine d’une certaine désagrégation de la communauté locale » [13]. Barriera di Milano est ainsi appréhendé comme un lieu où se concentrent des problèmes tels qu’ils nécessitent des mesures ciblées, visant à refonder le lien social (Tissot, 2007).

10Or, si les statistiques disponibles sur le quartier confirment une forte présence d’« étrangers » (primo-migrants et enfants d’immigrés), de « personnes âgées » et de jeunes de moins de 25 ans (dont la moitié sont des étrangers) [14], aucun chiffre officiel ne permet d’objectiver le taux de chômage et le pourcentage de personnes à la « charge des services sociaux », de même que la composition socioprofessionnelle de la population. On est donc face à un discours politique construit par les pouvoirs publics afin de légitimer un vaste programme de rénovation urbaine. Principalement impulsé par la présidente de l’arrondissement [15], ce dernier est présenté comme nécessaire afin de revaloriser l’image du quartier et y rétablir la paix sociale dans un contexte « tendu » entre « Italiens » et « étrangers ». Dans ce contexte, les associations en résidence au Teatro Marchesa sont investies d’un double rôle. Comme l’affirme la présidente de l’arrondissement, elles doivent avant tout essayer de « recoudre un tissu social qui s’est stratifié au fil du temps et qui a besoin de retrouver un sentiment de communauté » [16]. L’élue à l’éducation est également porteuse de ce discours et considère le théâtre comme un outil de prédilection pour « favoriser le dialogue » entre les habitants, par leur participation à un projet de création commun. Dans une rencontre publique, elle affirme :

11

« Je suis persuadée que la forme théâtrale est quelque chose qui fait du bien à tous. L’art est aussi un moyen important pour apprendre à vivre ensemble et à participer à la communauté locale. L’art est d’autant plus important dans un territoire comme celui-ci, caractérisé par un mélange de cultures très différentes entre elles […]. » [17]

12De son côté, l’élue à la culture, qui est aussi en charge des associations, met davantage l’accent sur la capacité des compagnies à proposer des spectacles et à animer le théâtre, comme on pouvait s’y attendre. Elle ne fait, toutefois, jamais référence à la qualité artistique des spectacles proposés et insiste davantage sur leur contribution à la revalorisation de l’image du quartier. Lors de la présentation de la saison théâtrale 2012-2013, elle souligne :

13

« Moi, ce que j’apprécie vraiment c’est la variété de l’offre qui est proposée dans ce théâtre. Grâce aux trois associations, cette salle est toujours remplie. Avoir un théâtre où il y a toujours des gens qui viennent voir des spectacles aide à affaiblir l’image négative du quartier, d’autant plus qu’il y a aussi des personnes qui viennent du centre-ville ! » [18]

14Ces exemples rejoignent de nombreux autres discours prononcés par les trois élues dans différentes situations d’interaction (tables rondes, réunions avec les associations, présentation des appels à projets, etc.), ce qui permet de mettre en évidence une certaine constance dans les attentes qu’elles expriment vis-à-vis des associations artistiques. Une double injonction pèse donc sur ces dernières, qui doivent non seulement mener un travail socio-éducatif avec les habitants, mais aussi produire régulièrement des spectacles, afin d’attirer à la fois les habitants du quartier et des spectateurs en provenance d’autres quartiers.

15Parallèlement aux résidences artistiques, l’arrondissement prévoit aussi deux autres dispositifs de financement des associations sous forme d’appel à projets. Le premier est destiné à subventionner des projets s’adressant aux jeunes « en difficulté » et en « échec scolaire », afin de prévenir toute forme de « déviance » chez eux [19]. Le second s’inscrit dans le cadre du programme de rénovation Urban III et vise à financer des projets poursuivant des finalités sociales : « favoriser la cohésion sociale » et la « participation active des habitants », « promouvoir l’intégration entre les différentes communautés », « transformer l’image du quartier » [20]. Aucune subvention n’est, au contraire, spécifiquement consacrée aux projets artistiques. Par conséquent, afin d’accéder et se maintenir dans l’espace associatif local, les associations de théâtre doivent se conformer au rôle socio-éducatif qui leur est assigné dans les différents dispositifs de financement. Nous verrons que, si Lotros accepte de « jouer le jeu » des financements publics, Accordéon privilégie, au contraire, une posture de retrait face à la puissance publique.

Lotros : des représentations misérabilistes des classes populaires

16Une des associations en résidence au Teatro Marchesa est l’association Lotros, porteuse d’un projet de teatro comunità (théâtre communautaire). Ce dernier prévoit la réalisation de spectacles avec la participation des « habitants », dans le prolongement d’une démarche théâtrale mise en place par de nombreuses compagnies au tournant des années 2000. Financée par la mairie de Turin dans le cadre de vastes programmes de rénovation urbaine, cette méthodologie prévoyait plusieurs étapes de travail. Dans une première phase exploratoire, les metteurs en scène effectuaient des entretiens avec les habitants, pour ensuite former un groupe de participants « généralement d’âge et de provenance différents » et leur proposer des ateliers hebdomadaires. Ces parcours se terminaient avec un spectacle, avec les habitants sur scène (Detta, Maltese, Pontremoli, 2008, p. 68). C’est dans ce contexte qu’est créée l’association Lotros, composée d’Anna Maria (metteuse en scène) et d’un ensemble de collaborateurs.

17Entre 2003 et 2006, l’association propose de nombreux projets dans les quartiers populaires et se développe dans un contexte où les financements destinés au teatro comunità sont plutôt généreux (jusqu’à 10 000 euros annuels par projet). La mairie consacre des crédits spécifiques à ce type de projets, afin d’accompagner les programmes de rénovation urbaine en cours (Urban I et II). Une rupture a néanmoins lieu en 2006, avec la fin de ces programmes et l’arrivée d’une nouvelle majorité municipale, qui décide de supprimer tout financement pour ces projets. Face à l’arrêt des financements municipaux, l’association se retrouve obligée de s’adresser à une pluralité de financeurs (Région, arrondissements, fondations privées). Après quelques années d’incertitude, la metteuse en scène obtient une résidence au Teatro Marchesa en 2011. Seule salariée de la structure, Anna Maria n’a plus les moyens de rémunérer des collaborateurs. Elle recourt donc à des stagiaires et à un ensemble de jeunes en cours de professionnalisation qui acceptent de travailler bénévolement.

18En échange de l’utilisation du Teatro Marchesa, l’association s’engage ainsi à proposer des spectacles et à réaliser des ateliers dans différentes structures (maisons de retraite, établissements de remise à niveau pour immigrés, établissements scolaires). En milieu d’année, les participants sont invités à se réunir dans un groupe unique, afin de réaliser un spectacle ensemble. Nous verrons que la volonté de l’association de créer des partenariats avec les pouvoirs publics influe sur la façon dont les participants aux ateliers sont ciblés et définis, ainsi que sur la place qui leur est accordée au sein des projets de théâtre.

La composition du groupe : des effets de cadrage de l’action publique ?

19Si, en entretien, Anna Maria insiste sur le fait que l’association s’adresse à « tous les habitants du quartier », les participants sont en réalité ciblés sur la base de leurs « difficultés sociales ». À l’instar des projets de « théâtre d’art social » observés par Bérénice Hamidi-Kim, Lotros s’adresse à des « groupes exclus » de la « communauté théâtrale, mais aussi sociale et politique », ciblés territorialement (les « habitants des quartiers ») (Hamidi-Kim, 2013, p. 317). La priorité est donnée aux « étrangers », exclus de la communauté politique et souvent exclus socialement à cause de leur statut de sans-emploi, et aux « personnes âgées », qui sont considérées par la metteuse en scène comme présentant un risque d’isolement. Il en résulte un groupe qui rassemble des populations italiennes issues des classes populaires [21] (composées majoritairement de femmes assez âgées et d’hommes sans emploi), des immigrés en provenance de différents pays (Maroc, Pakistan, Irak, Roumanie, Albanie, Sénégal, Ghana), ainsi que des jeunes et des enfants, pour la plupart immigrés.

20Le groupe réunit ainsi toutes les catégories sociales considérées comme prioritaires dans les politiques locales. Si la metteuse en scène n’est pas soumise à des obligations précises concernant les publics cibles de l’action théâtrale, qui prendraient la forme d’un cahier des charges bien détaillé, elle essaie de répondre aux attentes formulées à ce propos par les représentants de l’arrondissement dans plusieurs contextes (lors des conseils d’arrondissement, des réunions de présentation du programme de rénovation urbaine et des rencontres avec les élus). En effet, si l’association a obtenu l’utilisation du Teatro Marchesa, son intégration au sein de l’espace associatif local est loin d’être acquise, dans un contexte de discontinuité des politiques culturelles et de soutien aux associations. La metteuse en scène essaie donc non seulement d’anticiper les attentes en termes d’action culturelle de la part de l’arrondissement, mais aussi de se démarquer dans l’espace associatif local, en différenciant sa démarche de celle d’autres associations de théâtre. Cet aspect est souligné par la metteuse en scène lors d’une formation qu’elle anime en direction de jeunes professionnels désireux de se spécialiser dans le teatro comunità :

21

« À Turin il y a plein d’ateliers de théâtre pour des personnes déjà sensibilisées au théâtre. Le défi du teatro comunità est, au contraire, d’amener sur scène la population du quartier ; de réussir à impliquer des personnes ayant un niveau culturel bas, voire très bas, qui n’auraient jamais imaginé faire du théâtre dans leur vie. » [22]

22Lorsqu’elle présente son projet aux pouvoirs publics, Anna Maria souligne avant tout le fait que les participants cumulent des « problèmes et difficultés », de nature « sociale » et « culturelle » pour les uns (les étrangers), et « psychologique » et « relationnelle » pour les autres (les Italiens) [23]. La participation à un projet de théâtre est donc censée produire sur eux des effets d’« empowerment individuel et collectif ». Très polysémique, la notion d’empowerment renvoie dans les discours de la metteuse en scène à l’acquisition d’un capital social et d’un ensemble de compétences potentiellement mobilisables en dehors du cadre théâtral (relationnelles et linguistiques, par exemple). Le terme d’empowerment n’est, au contraire, jamais employé dans son acception la plus « radicale », en tant qu’instrument de transformation sociale et de renversement des rapports de force. À l’instar de la plupart des approches actuelles du travail social, le projet de teatro comunità en retient la dimension individuelle, en délaissant les acceptions plus politiques du terme (Bacqué, 2013). La façon dont Anna Maria définit les participants laisse donc transparaître une représentation misérabiliste des classes populaires (Grignon, Passeron, 1989) : les participants sont définis par leurs manques, ainsi que par leur éloignement par rapport à la culture légitime.

23Cette représentation de l’action théâtrale et de ses publics cibles correspond donc largement à celle véhiculée par les pouvoirs publics locaux, qui tendent à présenter Barriera di Milano comme un quartier « à problèmes » et à considérer l’action théâtrale comme un moyen socio-éducatif et de pacification sociale.

Le « bon » participant : un « habitant à problèmes » qui accepte de s’ouvrir aux autres

24Loin de se limiter aux interactions entre la metteuse en scène et les pouvoirs publics, ces représentations de l’action théâtrale se retrouvent aussi dans les interactions internes à l’association (ateliers, répétitions, etc.). Lorsqu’Anna Maria s’adresse aux participants, elle leur rappelle que le théâtre est pour eux un moyen d’acquérir des compétences et de se « prendre en charge ». Lorsqu’elle essaie de les convaincre de participer aux ateliers, elle leur dit, par exemple :

25

« Venez, venez régulièrement ! Je sais que vous êtes tous dans des situations difficiles… En partageant votre histoire personnelle avec les autres, vous vous sentirez mieux et moins seuls dans votre souffrance. » [24]

26Constamment soumis à des discours sur les effets sociaux du théâtre, les participants intériorisent ainsi au fil du temps l’injonction d’être un « bon participant » au projet de teatro comunità : « un habitant à problèmes » qui accepte de s’ouvrir aux autres et de partager son vécu, tout en suivant les indications du metteur en scène et sans prétendre trop s’investir ni dans la création du scénario du spectacle, ni dans l’organisation de l’association. En effet, si en entretien Anna Maria souligne à plusieurs reprises le caractère participatif du projet, de facto les participants ne sortent jamais d’un rôle de bénéficiaires. Même ceux qui participent aux projets depuis de nombreuses années ne sont pas adhérents à l’association et ne sont jamais invités à participer à la conception des projets. Lors d’une réunion avec les participants concernant l’organisation d’une soirée, la metteuse en scène commence, par exemple, par formuler un ensemble de propositions. Elle s’adresse ensuite aux participants :

27

« Comme vous le savez, il faut que l’association soit démocratique ; il est très important que vous participiez aux décisions de l’association et je suis très attentive au déroulement démocratique des projets que nous menons… Nous sommes une véritable communauté et cela implique que tout le monde peut exprimer son avis. Cela contribue à votre empowerment personnel et collectif… Donc, est-ce que vous avez des questions, propositions, remarques ? » [25]

28Une seule participante prend la parole et formule une proposition, à laquelle Anna Maria répond tout de suite :

29

« Merci beaucoup Giuseppina de ta contribution. Bon, s’il n’y a pas d’autres remarques, on continue avec le travail d’improvisation théâtrale. Nous n’avons vraiment pas le temps, il faut aller vite ! »

30L’espace de discussion est rapidement fermé et une habitante me confie : « De toute façon, c’est elle qui décide. Nous la suivons car c’est elle qui sait ce qui est le mieux pour nous ». Si cette répartition des rôles entre la metteuse en scène et les participants n’est en soi pas critiquable, elle est cependant en décalage avec la rhétorique d’Anna Maria. Cette dernière est tiraillée entre la volonté de proposer une démarche participative et un ensemble de contraintes liées au dispositif de résidence artistique, et notamment le fait de devoir produire des spectacles en peu de temps, tout en montrant les effets sociaux de son action auprès des habitants.

31De ce point de vue, Lotros se confronte à un ensemble de tensions, également mises en lumière par Nina Eliasoph dans son étude sur les empowerment projects aux États-Unis (Eliasoph, 2011). L’association est soutenue par les pouvoirs publics car elle travaille avec des groupes qui présentent des problèmes sociaux, mais elle doit, en même temps, respecter la rhétorique de la participation, en montrant sa volonté de favoriser l’implication des classes populaires au sein de l’association. Cependant, l’association est soumise à des temporalités spécifiques liées à la résidence artistique, qui l’oblige à produire régulièrement des spectacles afin d’« animer le quartier ». Ces contraintes se reflètent ainsi sur la façon de travailler d’Anna Maria lors des ateliers et sur sa relation aux participants, car la metteuse en scène est toujours prise dans une « logique de l’urgence » (Hamidi, 2010, p. 177-178) : elle n’a pas le temps de s’arrêter entre deux répétitions, ce qui rend difficile l’ouverture d’espaces de discussion, ainsi qu’une véritable participation des bénéficiaires aux décisions et à l’organisation de l’association.

Une relation à la fois proche et distanciée entre metteuse en scène et participants

32Afin de comprendre les formes de participation possibles dans le cadre du teatro comunità, il convient de les analyser aussi à la lumière d’un ensemble d’aspirations de la metteuse en scène et de la position qu’elle occupe au sein de l’espace associatif local.

33Née en 1953, Anna Maria est issue d’une famille ouvrière [26] immigrée du sud de l’Italie et a grandi dans une banlieue ouvrière de Turin. Elle a ensuite connu une trajectoire sociale ascendante via les études (licence de droit). Sa jeunesse est également marquée par son engagement dans le Parti communiste italien (PCI), au sein duquel elle a milité pendant longtemps. Après un mandat d’adjointe à la culture dans une ville de banlieue, elle est embauchée en tant que chargée de production dans une compagnie théâtrale plutôt reconnue. C’est à l’âge de 41 ans qu’elle décide de créer sa propre association, à la suite d’une violente dispute avec le metteur en scène. Grâce au statut associatif, elle peut pratiquer l’auto-emploi et bénéficier des financements municipaux aux projets de teatro comunità.

34Anna Maria réussit ainsi à se faire une place au sein de l’espace associatif local, grâce à la mobilisation de multiples compétences acquises au cours de ses socialisations antérieures. Son engagement politique prolongé lui a permis d’acquérir des compétences à la fois socio-relationnelles et politiques [27], auxquelles viennent s’ajouter des compétences acquises tout au long de sa carrière de chargée de production [28]. Cependant, mise à part sa participation à quelques projets de théâtre engagés dans le contexte de mobilisation des années 1970, Anna Maria ne dispose d’aucune formation professionnelle en tant que comédienne ou metteuse en scène ; elle essaie, donc, de façonner au fil du temps un nouveau profil professionnel – celui d’« intervenant de teatro comunità » – devant disposer non seulement de compétences artistiques, mais aussi socio-relationnelles et politiques. Dominée au sein du champ artistique par son statut d’outsider, elle vise à « promouvoir et faire reconnaître » (Bercot, Divay, Gadéa, 2012, p. 4) un nouveau groupe professionnel (Demazière, Gadéa, 2009 ; Bercot, Divay, Gadéa, 2012) spécialisé dans l’intervention théâtrale dans les quartiers populaires.

35Les pratiques interactionnelles d’Anna Maria lors de la mise en œuvre des projets peuvent donc être interprétées comme une tentative de sa part de légitimer son action au sein du quartier. Le souci de la metteuse en scène de différencier les rôles à l’intérieur du projet (entre « habitants » et « metteuse en scène »), notamment, répond à la nécessité d’être perçue par les pouvoirs publics comme une association de « professionnels » travaillant « avec » des « habitants », et non comme une association d’amateurs. Sa légitimité artistique n’étant pas solide, du fait de la position marginale qu’elle occupe au sein du champ du théâtre professionnel, Anna Maria insiste davantage sur la dimension socio-éducative de son rôle, en opérant ainsi un processus de mise à distance des participants.

36Mais ce processus de distanciation entre en tension avec un ensemble d’objectifs de participation des habitants affichés par la metteuse en scène. De ce point de vue, Anna Maria se confronte à un paradoxe propre à de nombreux projets destinés à l’empowerment des populations marginalisées (Loison-Leruste, Hély, 2013) : ces dernières sont censées s’émanciper en s’engageant dans un projet de théâtre collectif, mais restent en même temps les bénéficiaires de ces dispositifs. Ces projets sont financés essentiellement pour leur permettre de s’insérer dans la société. Anna Maria doit donc en même temps montrer que ces habitants cumulent des problèmes sociaux et entretenir l’espoir que tout leur est permis.

37De plus, si la mise à distance des bénéficiaires permet à Anna Maria d’affirmer son statut de « professionnelle », elle doit en même temps faire preuve d’une certaine empathie à leur égard. Afin de légitimer son rôle face à d’éventuels financeurs, elle doit régulièrement jongler entre proximité et distanciation vis-à-vis des participants, en étant proche de ces derniers tout en se montrant professionnelle et détachée. Lors d’une table ronde publique organisée par l’association, Anna Maria met en avant ses origines populaires afin de montrer sa capacité à comprendre les participants et leurs problématiques :

38

« Vous savez, si je m’engage ici dans ce quartier, c’est parce que je suis moi-même issue d’une famille ouvrière, j’ai moi-même éprouvé en tant qu’enfant de migrants du sud de l’Italie le sentiment d’être à l’écart de la société, j’ai moi-même grandi dans un quartier pourri […] Je peux donc comprendre ce que ces jeunes immigrés vivent aujourd’hui et c’est notre devoir d’anciens migrants de leur tendre la main. » [29]

39À l’instar des « professionnels de la participation » étudiés Magali Nonjon (2005) et Marion Carrel (2013), la metteuse en scène doit montrer aux financeurs qu’elle possède des compétences professionnelles spécifiques, mais doit aussi faire preuve d’une certaine proximité avec les bénéficiaires.

40Cependant, si Anna Maria intériorise la nécessité d’être à la fois empathique et distanciée par sa socialisation progressive aux attentes des pouvoirs publics, cette double posture est possible chez elle aussi, car elle apparaît en résonance avec le rapport que la metteuse en scène entretient plus généralement aux classes populaires. En effet, Anna Maria partage avec les bénéficiaires des origines ouvrières et immigrées, ce qui favorise chez elle un sentiment empathique vis-à-vis des participants. En ce sens, l’engagement d’Anna Maria peut être conçu comme relevant d’une logique de « self-help », car elle se mobilise en faveur de groupes dont elle se sent proche.

41Pourtant, Anna Maria se différencie des participants, car elle a vécu une trajectoire d’ascension sociale via les études et son engagement politique. Elle est donc distante socialement des participants qui n’ont pour la plupart qu’un titre de « terza media » (brevet) et occupent des positions sociales subalternes (ouvriers, femmes de ménage, employés, sans-emploi). Malgré son ascension sociale, Anna Maria ressent toutefois un sentiment de proximité avec les classes populaires, qui entre souvent en contraste avec l’attitude de différenciation qu’elle se sent tenue d’adopter, pour des raisons professionnelles, vis-à-vis des participants. Dans une conversation informelle, elle nous confie :

42

« Lorsque les jeunes stagiaires me demandent quelle posture ils doivent avoir vis-à-vis des participants, je leur dis toujours de rester distants, afin de se protéger. Mais j’avoue qu’en réalité les relations se construisent naturellement… Moi, par exemple, je suis déjà allée boire un café chez Duccia et j’ai aussi une relation très proche de Rocco… Nous sommes des amis désormais… mais après c’est vrai qu’avec certaines personnes particulièrement problématiques il vaut mieux éviter. » [30]

43Ce sentiment de proximité est plus important avec les participants qui ont été engagés dans des luttes ouvrières dans leur passé (Rocco a été syndicaliste de la FIOM, Arianna était engagée dans le PCI, par exemple). Vis-à-vis d’autres participants (moins engagés, plus jeunes, immigrés extra-européens), Anna Maria se sent, au contraire, beaucoup plus distante et nous confie être attirée par eux parce qu’ils sont très différents d’elle. Avec ces personnes, la metteuse en scène endosse plus facilement un « rôle éducatif », afin de « les aider à s’insérer dans la société » [31]. Du fait de son rapport spécifique aux classes populaires, à la fois proche et distancié, Anna Maria paraît donc particulièrement apte à incarner un rôle social nécessitant une alternance constante entre des postures détachées et empathiques vis-à-vis des participants.

44De façon générale, deux éléments paraissent centraux pour comprendre le « rôle » que la metteuse en scène assigne aux participants et les formes de participation légitimes au sein de l’association : la relation que l’association entretient avec les pouvoirs publics et un ensemble de dispositions dont Anna Maria est porteuse. Marginale au champ du théâtre professionnel, la metteuse en scène vise à intégrer et se maintenir au sein de l’espace associatif local, dont les règles de fonctionnement dépendent largement des pouvoirs publics. Elle essaie donc de répondre à un ensemble d’attentes institutionnelles plus ou moins formalisées, afin de renforcer sa position au sein du quartier et de multiplier ainsi les financements perçus. En effet, si l’association est en résidence au Teatro Marchesa, elle vise également à obtenir d’autres financements (dans le cadre des dispositifs « ordinaires » de l’arrondissement, mais aussi du programme de rénovation urbaine Urban III). Cela se reflète notamment dans le choix des publics cibles, la metteuse en scène s’adressant aux catégories considérées comme prioritaires dans les politiques locales. Loin d’être uniquement utilitaristes, ces pratiques de conformation et d’anticipation des attentes institutionnelles sont possibles car elles apparaissent en cohérence avec une appétence particulière d’Anna Maria pour les classes populaires et sa relation à la fois proche et distanciée avec celles-ci. Par contraste, l’association Accordéon se situe, elle, en dehors de tout financement institutionnel. Comment cela influe-t-il sur les processus participatifs impulsés par l’association ?

Accordéon : un entre-soi militant qui finit par exclure les classes populaires

45Accordéon est l’une des « plus anciennes compagnies de théâtre de rue en Italie » [32]. Créée en 1983 par quatre jeunes Turinois, la troupe connaît une longue période itinérante, pendant laquelle elle effectue de nombreux voyages dans différents pays (Afrique, Amérique centrale et Espagne). Le choix de vie des comédiens se veut « radical » : ils quittent tous leurs emplois respectifs (infirmière, secrétaire, serveuse, animateur) pour partir en « voyage autour du monde » en demandant « une participation au chapeau » [33] lors de leurs spectacles. Au milieu des années 1990, la compagnie décide de revenir à Turin et, plus particulièrement, dans le quartier de Barriera di Milano. Ici, elle se consacre à la création de nouveaux spectacles de théâtre de rue et se constitue en association. Le statut associatif permet aux comédiens de bénéficier de subventions publiques (notamment régionales) et de pratiquer l’auto-emploi. Cependant, à partir de 2010, suite au changement de majorité au conseil régional [34], Accordéon se trouve confrontée à « une crise sans précédent » [35], car le nouveau conseil régional réduit drastiquement les subventions destinées aux arts de la rue.

46Face aux difficultés économiques croissantes, deux des quatre comédiens quittent alors la troupe, aujourd’hui composée uniquement par un couple de comédiens : Mirella et Paolo. Le couple décide de mettre un terme à toute tentative de dialogue avec les institutions et de ne plus entamer de recherches de fonds. Cette indépendance financière est revendiquée par Mirella avec fierté. Dans une conversation informelle, elle nous confie :

47

« Pour obtenir des financements, il s’agit de rentrer dans certains circuits… politiques. Et moi, j’ai toujours détesté les magouilles politiques. Je préfère vivre simplement et être libre. Avant c’était Donatella qui s’occupait de ça, mais maintenant elle est trop prise par la nécessité de gagner sa vie. Lorsqu’elle a quitté la compagnie, Paolo et moi-même avons décidé de rester en dehors de tout ça ; nous avons voulu être indépendants de tout pouvoir politique ! » [36]

48Le couple réussit à survivre en cumulant différentes activités professionnelles. D’une part, Mirella cumule des contrats de travail variés, ce qui constitue le principal revenu du ménage : elle travaille comme archiviste dans une bibliothèque et comme animatrice dans une ludothèque. D’autre part, les deux comédiens obtiennent l’animation de nombreux ateliers dans des écoles pendant le temps périscolaire (financés par les parents des élèves). Mirella et Paolo animent aussi à titre gratuit d’autres ateliers dans des associations du quartier. Ces derniers se veulent des ateliers de création artistique et s’adressent principalement à un public d’adultes. Le plus important d’entre eux se déroule au sein des bains publics de la rue Ciré, une coopérative proposant de nombreuses initiatives culturelles. Ayant participé pendant plusieurs années à cet atelier, nous nous concentrerons essentiellement sur la mise en œuvre des projets de création dans ce cadre.

Un atelier de création « ouvert à tous », mais très homogène

49Lorsqu’ils présentent leur projet en entretien, Mirella et Paolo tiennent à se différencier du teatro comunità et se disent méfiants vis-à-vis des projets affichant des objectifs d’empowerment des participants. La délimitation de « frontières symboliques » (Lamont, Molnár, 2002) entre leur démarche et le teatro comunità passe notamment par la revendication d’une autre manière de recruter les participants. L’indépendance économique vis-à-vis des pouvoirs publics leur permet notamment de ne pas cibler les publics sur la base de leurs propriétés sociales et, dans de nombreuses conversations informelles, les deux comédiens revendiquent leur volonté de « faire du théâtre avec qui en a envie – jeunes, moins jeunes, résidents ou pas dans le quartier – sans obliger personne » [37]. En refusant de s’adresser uniquement aux populations les plus marginalisées du quartier, Mirella et Paolo s’opposent ainsi à une grille de lecture de plus en plus répandue qui tend à penser les classes populaires uniquement sous le prisme de leur « exclusion sociale » (Castel, 1995).

50Ce choix a des conséquences importantes sur la composition du groupe. Celui-ci rassemble une dizaine de participants issus des classes populaires, mais qui se situent dans une trajectoire d’ascension sociale via les études. En effet, au fil des années, un noyau dur se crée, composé principalement de Mirella et Paolo (tous les deux âgés d’une une cinquantaine d’années), de jeunes travailleurs d’une trentaine d’années issus de Barriera di Milano, dont la plupart font déjà partie d’une compagnie de théâtre amateur « engagée » [38] (la compagnie Rossomalpelo) et deux étudiants de 18 ans (le fils du couple de la compagnie et un ami à lui). Assez hétérogène en termes d’âge, le groupe est au contraire plutôt homogène d’un point de vue social et politique. La plupart des participants sont issus de familles ouvrières et habitent à Barriera di Milano ou dans d’autres quartiers populaires de Turin. Tout en ayant poursuivi leurs études jusqu’à l’université, ils n’ont pas réussi à reconvertir leur capital scolaire dans des emplois stables voire « valorisants d’un point de vue intellectuel » [39] : certains occupent des postes d’employés, alors que d’autres ont des emplois précaires et mal payés [40]. Ils se disent tous passionnés de théâtre, qu’ils pratiquent depuis plusieurs années, et la pratique théâtrale constitue pour eux une façon de compenser un sentiment de frustration professionnelle. Enfin, le groupe est homogène d’un point de vue politique, l’ensemble des membres se situant à l’extrême gauche.

51Le cycle d’ateliers de la rue Ciré commence chaque année par quelques séances dédiées à des exercices de théâtre et se poursuit avec un véritable travail de cocréation d’une pièce. Le groupe étant largement composé de jeunes amateurs issus de la compagnie Rossomalpelo, les spectacles traitent le plus souvent de sujets politiques (le problème de l’eau, la guerre en Palestine, l’immigration, etc.). Par la création de spectacles engagés, le collectif revendique un objectif d’« éveil des consciences » et de « sensibilisation » du public [41] sur les logiques de domination et les inégalités sociales.

Une démarche qui se veut inclusive et participative

52Après avoir défini ensemble une thématique, le scénario du spectacle se construit au fil des séances à travers les apports des uns et des autres : les participants proposent des contenus à aborder et, de son côté, Mirella essaie de leur proposer des outils théâtraux pour les mettre en scène. Une division assez horizontale des rôles se définit ainsi au fil du temps. Les jeunes participants écrivent une première version des textes, qu’ils soumettent ensuite à l’avis de Mirella. Très respectueuse de leur démarche de contestation sociale, la metteuse en scène prend toujours garde de ne pas dénaturer leur propos. Mirella est, en outre, attentive à l’aspect plus strictement artistique de la mise en scène, son rôle consistant à trouver des solutions esthétiques pour que les messages politiques proposés par les participants puissent trouver une forme théâtrale. Lorsque quelqu’un, en rigolant, lui dit « C’est toi le chef ! », elle tient à souligner : « Je ne suis pas du tout le chef. Je suis juste la plus ancienne. Et d’ailleurs, l’année prochaine, on change de rôles ! J’en ai marre d’être metteuse en scène ! Vous êtes largement capables de l’être aussi » [42]. De plus, lorsqu’elle parle de ce projet, Mirella tend moins à mettre en évidence ce qu’elle apporte aux jeunes participants que ce que les jeunes lui apportent. Dans une conversation informelle, elle nous confie :

« Je fais du théâtre pour continuer à me sentir jeune. Beaucoup de mes amis ont vieilli et ne font que parler de la météo et de tout ce qu’ils entendent à la télé. J’ai horreur de ça ! Cela me fait du bien de faire du théâtre avec des jeunes car cela m’aide à me maintenir jeune. Les jeunes ont plein d’énergie et d’enthousiasme. C’est merveilleux ! » [43]
Contrairement à Anna Maria, Mirella fait toujours attention à ne jamais les enfermer dans un rôle d’usagers en leur accordant un rôle de cocréateurs et codécideurs. Toutes les décisions concernant le projet de création sont prises de façon consensuelle et toute proposition de la part des participants est considérée comme légitime. Le profil du « bon participant » aux projets d’Accordéon est donc sensiblement différent de celui de Lotros : les participants doivent avoir un rôle actif et leur apport est fondamental pour la création du spectacle. Les jeunes contribuent aussi à l’organisation des événements promus par l’association et certains parmi eux intègrent ensuite d’autres projets de la troupe. Si ce choix est possible car la troupe est indépendante de toute contrainte liée aux financements publics, il a également d’importantes conséquences sur les conditions matérielles de vie de Mirella et Paolo [44] et sur leur consécration artistique. En refusant de jouer le jeu des institutions politiques locales, ces comédiens demeurent à la marge non seulement du champ du théâtre professionnel, mais aussi de l’espace associatif local.

Un théâtre « militant » véritablement ouvert aux classes populaires ?

53L’engagement de Mirella auprès des classes populaires trouve ses origines dans le contexte des mobilisations du milieu des années 1970 [45]. Issue d’un quartier résidentiel principalement habité par des Piémontais, Mirella s’engage dans des projets de théâtre militant dans le quartier de Barriera di Milano, à l’époque habité principalement par des familles immigrées du sud de l’Italie. Son engagement prend ainsi la forme d’un « militantisme moral » (Reynaud, 1980), que Florent Passy a également qualifié d’« engagement altruiste » (1998). Mirella n’est en effet pas directement concernée par les luttes politiques qui animent Barriera di Milano, mais décide de s’engager aux côtés des populations du Sud, fortement stigmatisées par la population turinoise. Pendant plusieurs années, elle s’engage ainsi dans un collectif qui crée des spectacles défendant les droits des populations ouvrières et immigrées. Cependant, à partir du moment où elle décide de fonder Accordéon, avec Paolo et deux autres jeunes turinoises, un glissement de registre s’opère dans son discours, car la troupe se penche vers un théâtre plus « onirique », en adoptant des techniques propres au théâtre de rue. Si l’on emprunte les catégories proposées par Mathilde Arrigoni (2017), on constate à ce moment-là un glissement d’un théâtre « militant » à un « théâtre contestataire ». Si les deux démarches se rapprochent en ce qui concerne les modes de production, caractérisés par une volonté d’opérer hors des circuits théâtraux classiques, le « théâtre militant » défend ouvertement une cause politique, alors que le « théâtre contestataire » se veut « intrinsèquement politique » [46] : il défend une cause politique en filigrane et la diffuse au travers de l’esthétique par un mécanisme de bouleversement des formes théâtrales.

54La troupe Accordéon commence ainsi à voyager dans le monde entier et son attachement à un territoire (Barriera di Milano) et à la défense de catégories spécifiques (les classes populaires) est mis progressivement de côté, au profit d’un discours beaucoup plus humaniste et généraliste (Hamidi, 2010, p. 71 et s.). La troupe s’adresse ainsi à « tous les publics » et joue dans la rue, espace qui se veut ouvert à tous au nom de l’« appartenance à une commune humanité » (ibid., p. 71). Cette posture se poursuit lorsque les quatre comédiens reviennent à Barriera di Milano et continuent à créer des spectacles grâce à l’obtention de financements régionaux. Cependant, suite à la coupure de ces subventions et au départ des deux autres comédiens, Mirella et Paolo se confrontent rapidement à des représentations institutionnelles de l’action théâtrale et de ses objectifs dans lesquelles ils ne se reconnaissent pas. Ils se heurtent notamment à un discours institutionnel qui tend non seulement à financer l’art en tant qu’instrument d’action sociale, mais aussi à cibler des catégories spécifiques de population, considérées comme prioritaires. Cette tendance entre en tension avec la façon dont ils conçoivent leur engagement artistique. S’ils sont sensibles à un ensemble de problématiques concernant les habitants des quartiers populaires, cela ne se traduit pas chez eux dans une volonté de travailler spécifiquement avec ces populations. Le rapprochement avec la troupe Rossomalpemo permet ensuite à Mirella et Paolo de retrouver une dimension d’engagement plus explicite et de rebasculer vers des formes de « théâtre militant » (Arrigoni, 2017), tout en restant dans une conception de la solidarité plus généraliste et abstraite. Ainsi, plutôt que de travailler avec les immigrés, ils préfèrent dénoncer au travers de leurs créations les injustices et discriminations que ces derniers subissent au quotidien. Ce registre de dénonciation des mécanismes de domination s’articule à des pratiques favorisant la participation des différents membres au processus de création artistique et aux décisions concernant l’organisation du collectif.

55Un ensemble de contradictions traverse, toutefois, les processus participatifs internes au collectif. Mirella et Paolo soulignent à plusieurs reprises leur volonté d’être ouverts vers l’extérieur, en accueillant « tout le monde » au sein du collectif : « jeunes, vieux, étrangers, Italiens, etc. » [47]. Ils revendiquent une démarche inclusive et sont fiers des liens qui se nouent entre les participants aux ateliers. Cependant, dans les faits, la troupe est investie par des individus très semblables d’un point de vue social et politique, et dotés de ressources socio-économiques, politiques et culturelles similaires. Accordéon est donc traversé par une contradiction interne : ses membres désirent sincèrement s’adresser à l’extérieur, mais leur positionnement politique « radical » rend difficile la création de « véritables ponts » (Lichterman, 2005) avec une grande partie de la population du quartier. À l’instar de ce que Paul Lichterman (2005) observe aux États-Unis, notre étude montre que le fait d’avoir un regard politique sur la société et de tenir un discours de dénonciation des inégalités sociales ne garantit pas d’être capable de nouer des liens avec les classes sociales les plus dominées et de réussir à les faire participer.

Conclusion. Une tension permanente entre un registre « radical » et la participation effective des classes populaires ?

56Notre étude confirme que le rapport que les associations entretiennent avec les financeurs publics influe non seulement sur l’organisation du travail associatif (nombre de salariés et de bénévoles), mais aussi sur les formes d’encadrement de la participation des habitants des quartiers populaires par l’action associative (qui l’on essaie de faire participer, pourquoi, quelle place réelle l’on accorde aux participants lors de la mise en œuvre des projets). Elle invite donc à réintroduire dans l’analyse des dispositifs participatifs l’étude des dimensions économiques et des conditions matérielles des processus de participation [48].

57Notre étude montre également que l’analyse des formes de participation par l’action associative dans les quartiers populaires mérite d’être nourrie par la prise en compte de dimensions plus individuelles liées aux trajectoires sociales des leaders associatifs, ainsi qu’à leurs aspirations, compétences et dispositions [49]. La mobilisation de ces différentes variables permet de nuancer une tendance récurrente dans les débats sur le community organizing en France, qui tend à avancer le fait que les subventions publiques engendreraient nécessairement une position de dépendance des acteurs associatifs vis-à-vis des pouvoirs publics et seraient donc la cause d’une baisse de l’action radicale et contestataire parmi les classes populaires. Si l’accès aux subventions dépolitise effectivement l’action théâtrale participative, qui colle aux attendus de l’action publique visant les quartiers populaires (Lotros), l’indépendance financière permet de maintenir une posture plus radicale, mais ne parvient pas, de fait, à « faire participer » les franges les moins bien dotées culturellement des classes populaires (Accordéon). On est donc face à un paradoxe : si l’absence de financement public permet la création de spectacles plus « radicaux », elle peut aussi induire une absence effective des catégories populaires, « cibles » de l’action publique. L’indépendance financière finit donc par enfermer les processus participatifs dans des formes d’entre-soi qui vont à l’encontre de leur idéal de participation démocratique.

58La question qui se pose est donc la suivante : est-il possible de poursuivre un ensemble d’objectifs de transformation sociale, tout en travaillant avec les classes populaires et en les incluant véritablement dans le processus de création artistique et dans l’action associative ? En même temps, est-il possible de vivre de cette activité ? Notre étude montre la difficile conciliation de ces dimensions (registre de contestation sociale, participation effective des classes populaires et professionnalisation du travail associatif).

Notes

  • [1]
    Je remercie énormément Camille Hamidi et Arnaud Trenta pour leurs conseils stimulants et bienveillants lors de la rédaction de cet article. Un grand merci aussi aux évaluateurs de la revue Participations pour leurs critiques constructives.
  • [2]
    Autour des programmes d’initiative communautaire Urban (Urban I, II et III), destinés à la « revitalisation économique et sociale » des villes et des « quartiers en crise » pour promouvoir un « développement urbain durable ».
  • [3]
    Cette enquête a été réalisée dans le cadre d’une thèse soutenue en 2018 (Quercia, 2020). Si cette dernière se base sur une comparaison entre Vaulx-en-Velin et Barriera di Milano, nous avons choisi dans cet article de nous concentrer sur le cas italien, afin d’analyser les formes de participation au sein d’associations insérées dans un même contexte institutionnel. Les noms des associations comme des personnes ont été anonymisés.
  • [4]
    Plusieurs travaux ont mis en évidence un processus de déradicalisation des mouvements sociaux, de plus en plus dépendants de financements publics et privés (O’Connor, 1996 ; Edwards, McCarthy, 2004 ; Barthley, 2007), mais les recherches portant sur les modalités de financement d’autres formes de participation (dans le cadre de dispositifs participatifs, d’associations voire de collectifs informels) sont encore rares.
  • [5]
    D’après Camille Hamidi, l’« altruisme particulariste » est propre aux individus qui pensent leur engagement sur la forme de la proximité et qui développent une relation affective empathique avec le public, alors que l’« altruisme généralisé » caractérise ceux pour qui « le ressort de la solidarité est l’appartenance à une commune humanité, et non pas l’expérience affective de la proximité avec les membres d’une catégorie donnée » (Hamidi, 2010, p. 72).
  • [6]
    Pendant l’enquête ethnographique, nous avions entre 24 et 27 ans, alors que la metteuse en scène était âgée d’une soixantaine d’années. Les participants étaient pour la plupart ouvriers (d’une cinquantaine d’années), retraités ou immigrés de tous âges en provenance de pays extra-européens.
  • [7]
    Si la metteuse en scène était âgée d’une cinquantaine d’années, la plupart des participants aux ateliers avaient une trentaine d’années, étaient dotés d’un important capital scolaire et politisés à gauche de l’échiquier politique.
  • [8]
    Les arrondissements turinois ont des compétences dans différents domaines, parmi lesquels « la culture et les loisirs ». Ils disposent de ressources propres, plutôt limitées toutefois. En 2013, par exemple, le 6e arrondissement disposait d’un budget de 96 000 euros. Voir Città di Torino, « Regolamento del decentramento », déliberation du conseil municipal du 17 décembre 2015.
  • [9]
    Siège de Fiat et de nombreuses usines, Turin a connu une immigration massive du sud de l’Italie.
  • [10]
    Nous faisons référence à trois élues : la présidente de l’arrondissement, l’élue en charge de la culture et du secteur associatif et l’élue en charge de l’éducation. Toutes les traductions ont été effectuées par nos soins.
  • [11]
    Termes utilisés par les trois élues dans différents discours publics.
  • [12]
    Entretien avec la présidente de l’arrondissement, Barriera di Milano, juin 2014.
  • [13]
    Ibid.
  • [14]
    Les « personnes âgées » de plus de 70 ans représentent 14 % de la population du quartier en 2017, et les jeunes de moins de 25 ans 24 %. Environ la moitié de ces derniers sont étrangers (45 %). Pour ce qui concerne les « étrangers » (primo-migrants et enfants d’immigrés, tous âges confondus), ils représentent 33 % de la population du quartier en 2017. L’ensemble de ces pourcentages ont été calculés sur la base des données fournies par le service statistique de la ville de Turin.
  • [15]
    Le projet de candidature du quartier au programme européen Urban III a été rédigé et impulsé par la présidente de l’arrondissement en collaboration avec l’élue à la régénération urbaine de la ville de Turin.
  • [16]
    Présidente de l’arrondissement, colloque organisé par l’association Lotros, Barriera di Milano, mai 2012.
  • [17]
    Discours de présentation d’un spectacle réalisé par Lotros dans une école primaire du quartier, Teatro Marchesa, mai 2013.
  • [18]
    Discours de présentation de la saison théâtrale 2012-2013, Teatro Marchesa, décembre 2012.
  • [19]
    Termes mentionnés dans l’appel à projet Disagio (« Malaise ») de 2012. Archives de Barriera di Milano.
  • [20]
    Article no 2 des appels à projets de 2012 et de 2013.
  • [21]
    La plupart des participants sont issus de familles ouvrières immigrées du sud de l’Italie dans les années 1960.
  • [22]
    Formation animée par Anna Maria, Teatro Marchesa, octobre 2012.
  • [23]
    Conversation informelle avec Anna Maria, Barriera di Milano, mai 2014.
  • [24]
    Atelier de théâtre, Teatro Marchesa, janvier 2013.
  • [25]
    Barriera di Milano, réunion du 5 novembre 2012.
  • [26]
    Son père était ouvrier et sa mère était serveuse, puis femme au foyer.
  • [27]
    Grâce à son engagement militant, elle a développé des savoir-faire relationnels, dans la relation avec les autres militants et dans le recrutement de nouveaux adhérents. De plus, en tant qu’adjointe, elle a pu développer des compétences rhétoriques et acquérir une bonne connaissance du champ politique.
  • [28]
    Elle a appris non seulement à écrire les dossiers de demande de subvention et la façon dont il faut s’adresser aux différents financeurs, mais aussi à créer des partenariats et à organiser des événements.
  • [29]
    Table ronde organisée par l’association, mai 2011.
  • [30]
    Conversation informelle, Teatro Marchesa, novembre 2012.
  • [31]
    Tous les termes entre guillemets sont issus de discours prononcés par la metteuse en scène lors de conversations informelles.
  • [32]
    Information tirée des archives numériques de l’association.
  • [33]
    Ibid.
  • [34]
    Le conseil régional passe d’une majorité de centre gauche à une majorité de centre droite, et Roberto Cota est élu président de la Région Piémont.
  • [35]
    Entretien avec Mirella, Turin, 2013.
  • [36]
    Conversation informelle lors d’un dîner chez Mirella et Paolo, Barriera di Milano, 6 juin 2014.
  • [37]
    Discours de l’enquêtée dans plusieurs conversations informelles.
  • [38]
    Terme employé par Melania, fondatrice de la compagnie Rossomalpelo.
  • [39]
    Expression employée par Melania.
  • [40]
    Les employés gagnent environ 1 200 euros par mois, alors que les précaires moins de 1 000 euros.
  • [41]
    Termes utilisés à plusieurs reprises par les participants à l’atelier.
  • [42]
    Observation d’un atelier en avril 2013.
  • [43]
    Barriera di Milano, novembre 2012.
  • [44]
    Mirella et Paolo acceptent un style de vie plutôt modeste. Ils habitent avec leur enfant dans un petit appartement, vivent avec des revenus très bas (environ 1 000 euros par mois) et traversent régulièrement des périodes difficiles d’un point de vue économique.
  • [45]
    Le milieu des années 1970 est caractérisé en Italie par des vagues répétées de contestations estudiantines. Ces mouvements sont très vifs à Turin et, plus particulièrement, dans les quartiers populaires.
  • [46]
    Terme utilisé par Mirella lors d’une conversation informelle avec Melania (participante à l’atelier issue de la troupe Rossomalpelo).
  • [47]
    Discours de Mirella, metteuse en scène de la compagnie.
  • [48]
    Nous nous inscrivons de ce point de vue dans le cadre d’une réflexion qui a récemment donné lieu à un colloque intitulé Faire des économies démocratiques (Paris, 4-5 avril 2019). Voir https://www.participation-et-democratie.fr/faire-des-economies-democratiques-0 (accès le 31/01/2020).
  • [49]
    Sur ce second volet, nous rejoignons une interrogation soulevée par Camille Hamidi (Hamidi, 2009).
Français

Depuis une trentaine d’années, dans le cadre d’un ensemble de programmes de rénovation des villes européennes, de nombreuses associations de théâtre réalisent des projets dans les quartiers populaires, visant à favoriser la « participation active » de leurs habitants. Basé sur une enquête ethnographique dans un quartier de Turin, cet article interroge le rôle social dont ces associations sont investies et la façon dont elles se positionnent face aux attentes institutionnelles. La volonté de s’inscrire dans les politiques locales et d’accéder aux financements publics influe considérablement sur la capacité des associations artistiques d’inclure les franges les plus défavorisées des classes populaires, sur la place qui leur est accordée dans le cadre des projets proposés et sur leur participation effective au sein des associations.

  • participation des classes populaires
  • politiques culturelles
  • politiques sociales et urbaines
  • associations socioculturelles
  • théâtre communautaire
  • Turin

Bibliographie

  • Ardigò A., 1984, « Nuovi valori e nuovi attori per la rifondazione del Welfare State », La ricerca sociale, 32, p. 11-19.
  • En ligneArrigoni M., 2017, Le théâtre contestataire, Paris, Presses de Sciences Po.
  • Bacqué M.-H., Biewener C., 2013, L’empowerment, une pratique émancipatrice, Paris, La Découverte.
  • En ligneBartley T., 2007, « Institutional Emergence in an Era of Globalization : The Rise of Transnational Private Regulation of Labor and Environmental Conditions », American Journal of Sociology, 113 (2), p. 297-351.
  • Bercot R., Divay S., Gadéa C., 2012, Les groupes professionnels en tension : frontières, tournants, régulations, Toulouse, Octarès Éditions.
  • Borcio R., Vitale T., 2016, Italia Civile. Associazionismo, partecipazione e politica, Rome, Donzelli.
  • Briata P., Bricocoli M., Tedesco C., 2009, Città in periferia, Rome, Carocci.
  • Carrel M., 2013, Faire participer les habitants ? Citoyenneté et pouvoir d’agir dans les quartiers populaires, Lyon, ENS Éditions.
  • Castel R., 1995, Les métamorphoses de la question sociale : une chronique du salariat, Paris, Fayard.
  • En ligneDemazière D., Gadéa C., 2009, Sociologie des groupes professionnels : acquis récents et nouveaux défis, Paris, La Découverte.
  • Detta A., Maltese F., Pontremoli A. (dir.), 2008, « I teatri dell’abitare », Animazione Sociale, supplément du no 1, p. 1-97.
  • Donati P., 1985, Le frontiere della politica sociale. Redistribuzione e nuova cittadinanza, Milan, Franco Angeli.
  • Donzelot J., Estèbe P., 1994, L’État animateur : essai sur la politique de la ville, Paris, Éditions Esprit.
  • En ligneEdwards B., McCarthy J. D., 2004, « Resources and Social Movement Mobilization », in D. A. Snow, S. A. Soule, H. Kriesi (dir.), The Blackwell Companion to Social Movements, Oxford, Blackwell Publishers, p. 116-152.
  • Eliasoph N., 2011, Making Volunteers : Civic Life after Welfare’s End, Princeton/Oxford, Princeton University Press.
  • Grignon C., Passeron J.-C., 1989, Le savant et le populaire : misérabilisme et populisme en sociologie et en littérature, Paris, Gallimard/Seuil.
  • Hamidi C., 2009, « La culture civique sans le capital social. Styles de groupe, vie associative et civilité ordinaire aux États-Unis », La vie des idées.fr, 3 décembre 2009, https://laviedesidees.fr/La-culture-civique-sans-le-capital.html (accès le 26/01/2021).
  • Hamidi C., 2010, La société civile dans les cités, Paris, Economica.
  • Hamidi-Kim B., 2013, Les cités du théâtre politique en France depuis 1989, Montpellier, Éditions l’Entretemps.
  • Lagroye J., 1997, « On ne subit pas son rôle. Entretien avec Jacques Lagroye », Politix, 38, p. 7-17.
  • Lagroye J., Offerlé M., 2011, Sociologie de l’institution, Paris, Belin.
  • En ligneLamont M., Molnár V., 2002, « The Study of Boundaries in The Social Sciences », Annual Review of Sociology, 28, p. 167-195.
  • En ligneLichterman P., 2005, Elusive togetherness : church groups trying to bridge America’s divisions, Princeton (NJ), Princeton University Press.
  • Loison-Leruste M., Hély M., 2013, « Des entreprises associatives en concurrence : le cas de la lutte contre l’exclusion », in M. Hély, M. Simonet (dir.), Le travail associatif, Paris, Presses universitaires de Paris Ouest.
  • Mellone A., Di Gregorio L., 2005, « Modelli socioculturali di integrazione degli immigrati », in S. Belardinelli (dir.), Welfare Community e sussidiarietà, Milan, Egea.
  • En ligneMonroe K. R., 1998, The Heart of Altruism. Perceptions of a Common Humanity, Princeton, Princeton University Press.
  • En ligneNicourd S., 2010, « Éducation populaire : organisation du travail associatif et action publique », Entreprises et histoire, 56, p. 62-72.
  • En ligneNonjon M., 2005, « Professionnels de la participation : savoir gérer son image militante », Politix, 70, p. 89-112.
  • En ligneO’Connor A., 1996, « Community Action, Urban Reform, and the Fight against Poverty : The Ford Foundation’s Gray Areas Program », Journal of Policy History, 22 (5), p. 586-625.
  • Passy F., 1998, L’action altruiste : contraintes et opportunités de l’engagement dans les mouvements sociaux, Genève, Droz.
  • Pizzolati M., 2007, Associarsi in terra straniera. Come partecipano gli immigrati, Turin, L’Harmattan Italia.
  • Pontremoli A., 2005, Teoria e tecniche del treatro educativo e sociale, Turin, UTET Libreria.
  • Quercia F., 2020, Les mondes de l’action théâtrale dans les quartiers populaires en France et en Italie, Paris, Dalloz, coll. « La Nouvelle Bibliothèque de Thèses ».
  • Ranci C. (dir.), 1991, Identità e servizio. Il volontariato nella crisi del welfare, Bologne, Il Mulino.
  • Reynaud E., 1980, « Le militantisme moral », in H. Mendras, La sagesse et le désordre, Paris, Gallimard.
  • Talpin J., 2016, Community Organizing. De l’émeute à l’alliance des classes populaires aux États-Unis, Paris, Raisons d’agir.
  • Tissot S., 2007, L’État et les quartiers, Paris, Seuil.
Francesca Quercia
Francesca Quercia est chargée de recherche (post-doctorante) à la HETSL | HES-SO, et membre du Centre Max Weber (UMR 5283). Ses travaux se situent au croisement d’une sociologie de l’action publique, du travail associatif et artistique et des classes populaires. Elle est notamment l’auteure de « Aux frontières du théâtre et du social. Une comparaison franco-italienne des mondes de -l’action théâtrale », in Lilian Mathieu et Violaine Roussel (dir.), Les frontières sociales, Presses Universitaires de Lyon, mars 2019 ; et de Les mondes de l’action théâtrale dans les quartiers populaires en France et en Italie (Paris, Dalloz, La Nouvelle Bibliothèque de Thèses, 2020).
Cette publication est la plus récente de l'auteur sur Cairn.info.
Mis en ligne sur Cairn.info le 04/03/2021
https://doi.org/10.3917/parti.026.0251
Pour citer cet article
Distribution électronique Cairn.info pour De Boeck Supérieur © De Boeck Supérieur. Tous droits réservés pour tous pays. Il est interdit, sauf accord préalable et écrit de l’éditeur, de reproduire (notamment par photocopie) partiellement ou totalement le présent article, de le stocker dans une banque de données ou de le communiquer au public sous quelque forme et de quelque manière que ce soit.
keyboard_arrow_up
Chargement
Chargement en cours.
Veuillez patienter...