CAIRN.INFO : Matières à réflexion

1On assiste depuis les années 1980 à la multiplication de discours savants et politiques sur les vertus de la démocratie participative ou délibérative [1]. En parallèle, s’institutionnalisent une variété de dispositifs qu’on peut rassembler autour de leur ambition affichée d’intensifier ou d’élargir la participation politique des citoyens par la discussion collective d’enjeux publics. Ceux-ci sont souvent présentés comme un remède inédit à la crise que connaît aujourd’hui le gouvernement représentatif. Cette rhétorique de l’innovation est peu surprenante de la part des « entrepreneurs de réforme » (Bezès, Le Lidec, 2010) qui mettent en place ces dispositifs (Catlla, 2005 ; Gourgues, 2012), mais elle imprègne également fortement les chercheurs qui les étudient. Si l’on peut concevoir que le label d’« innovation » soit appliqué aux mini-publics – bien qu’un travail d’historicisation soit nécessaire sur ce point, et ait été à ce jour très largement négligé –, il est plus dérangeant pour le cas des référendums, loin de constituer une nouveauté (voir notamment Cossart, 2011 ; Schorderet, 2005). Plus fondamentalement, il semblerait que la vertu centrale conférée aux expériences et dispositifs délibératifs soit leur nouveauté. Graham Smith (2009), à la suite de Michael Saward (2000), les qualifie ainsi d’« innovations démocratiques », Robert Goodin et John Dryzek (2006), comme Philippe Warrin et Ioannis Papadopoulos (2007), parlent d’« innovations délibératives », dans une étrange reprise des catégories et concepts des promoteurs de ces expériences. Enfin, le réseau, créé en 2010, rassemblant la plupart des chercheurs européens sur ces questions s’intitule Standing Group on Democratic Innovations[2]. Cette rhétorique de l’innovation n’est peut-être jamais aussi forte que lorsque les dispositifs démocratiques se déroulent sur internet, innovations technologique et politique se renforçant mutuellement pour révolutionner les pratiques. Il ne s’agit pas de nier toute nouveauté, ni de prôner une rupture nécessaire avec le sens commun d’acteurs qui ne pourraient être, pour reprendre l’expression d’Harold Garfinkel (1967), que des « idiots culturels », d’autant plus quand on connaît la forte réflexivité et l’importance du capital culturel des acteurs de la démocratie participative. Il nous semble néanmoins que l’usage des catégories par les chercheurs en sciences sociales ne va jamais de soi et mérite toujours d’être interrogé. Non seulement le discours de l’innovation n’est pas dénué d’intérêts stratégiques – la nouveauté pouvant légitimer sans questionnement réel des choix politiques qui ne disent pas leur nom – mais surtout, elle ne peut être affirmée qu’au terme d’une véritable enquête historique dont nous proposons ici de poser les jalons.

2Face à ce discours justifiant le recours à des dispositifs participatifs par la nécessité de renouveler les pratiques démocratiques, il est utile de rappeler que, comme discours aussi bien que comme pratique, l’encouragement de la participation citoyenne au-delà du processus électoral a une histoire. Dans ce domaine comme dans d’autres, on gagne à replacer les faits sociaux dans leur épaisseur historique. Le sens de notre démarche est simple : montrer qu’il y a des expériences similaires dans le passé, que tout n’est pas neuf, et s’inscrire en cela dans le mouvement plus général des chercheurs en sciences humaines et sociales qui se méfient du « repli […] dans le présent », pour reprendre l’expression de Norbert Elias (1987). Évidemment, en portant l’attention sur les précédents historiques du phénomène, il ne s’agit pas de prétendre que les théoriciens et praticiens contemporains de la démocratie délibérative ou participative ne feraient que redécouvrir une solution déjà bien connue pour faire participer le peuple au-delà de l’exercice du suffrage : il existe une spécificité de ce qui est proposé et expérimenté aujourd’hui, ne serait-ce, par exemple, qu’en raison de la forte procéduralisation des dispositifs mis en place, ou encore de l’avènement d’une « ingénierie de la participation [qui] met de plus en plus souvent en scène des professionnels qui se présentent comme étant les seuls habilités à animer ces procédures dans les formes requises » (Blondiaux, 2008b, p. 138 ; en référence à Nonjon, 2006). Nous ne nous lançons donc pas dans une entreprise de dévoilement de « la monotonie, [de] l’étonnante pauvreté des ressources intellectuelles dont, au cours de l’histoire, a disposé l’humanité » (Bloch, 1928, p. 19). Notre démarche consiste plutôt en une extension diachronique du champ de l’observation, visant à découvrir si l’on trouve dans le passé des configurations similaires en certains points – et différentes en d’autres – à celles de la période actuelle. Nous avons donc défini un paradigme général commun – en cherchant à ce qu’il soit suffisamment précis pour pouvoir rapprocher diverses configurations, tout en étant assez large pour permettre de sortir des cadres temporels et spatiaux habituels. Les assemblages opérés ont alors pour vertu d’éclairer à la fois le passé et le présent, et d’enrichir de façon générale les questions posées en matière d’implication des citoyens dans l’espace public.

3Nous ne sommes pas les premiers à souligner l’intérêt de la démarche. Ainsi, dans The Deliberative Democracy Handbook, où les contributeurs rassemblés par John Gastil et Peter Levine arpentent les diverses pratiques contemporaines de participation et de délibération, un chapitre propose un regard vers le passé, se concentrant essentiellement sur le cas américain (Gastil, Keith, 2005). Sandra M. Gustafson (2011) combine pour sa part l’analyse de la littérature et la théorie politique afin de démontrer que les pratiques délibératives actuelles sont enracinées dans la rhétorique civique qui a fleuri dans la jeune république américaine du début du XIXe siècle. Dans La démocratie participative : histoire et généalogie, les recherches assemblées par Marie-Hélène Bacqué et Yves Sintomer (2011) révèlent que si la démocratie participative en tant que telle est un phénomène nouveau, l’idée de participation, elle, est ancienne et a inspiré de nombreuses expériences depuis deux siècles. On peut à ce titre noter que les sciences sociales hexagonales sont peut-être plus sensibles à cette démarche d’historicisation, du fait probablement des frontières disciplinaires plus poreuses qui les structurent, alors que la science politique anglo-saxone, qui concentre l’essentiel des recherches sur la démocratie délibérative, est plus autoréférentielle et davantage tournée vers la psychologie sociale (principalement quantitative) et la philosophie, que vers l’histoire ou la sociologie. John Dryzek rappelle néanmoins que « la promotion de la délibération n’est pas entièrement nouvelle », que « des antécédents peuvent être trouvés ». Il ajoute que « toutefois, avant 1990, l’expression démocratie délibérative n’était que rarement employée » (Dryzek, 2002, p. 2). Les catégories sont certes nouvelles, mais les pratiques et les formes prises par la participation sont plus anciennes. Si comme le souligne J. Dryzek, on ne parlait pas encore de démocratie délibérative, on peut trouver dans le passé des discours et expériences valorisant un échange public d’arguments des citoyens assemblés, orienté vers la recherche d’un accord sur le bien commun.

4Malgré cela, les travaux sur la démocratie délibérative, comme concept ou comme expérience concrète, n’en ont pas moins largement laissé de côté la question de leur historicité, se bornant souvent au mieux à évoquer succinctement des racines possibles à la promotion de la délibération. Les rares références invoquées, toujours rapidement et approximativement, par ses promoteurs contemporains sont les assemblées de Grèce ancienne, les town meetings de Nouvelle-Angleterre, et parfois les salons de l’espace public bourgeois du XVIIIe siècle – il en va ainsi bien sûr de Jürgen Habermas. Ces références, « souvent superficielles et allusives » (Girard, 2011, p. 142), sont toutefois assez fréquentes. Ainsi que l’a souligné Charles Girard, à propos des renvois, certainement les plus courants, aux assemblées de la Grèce ancienne, il s’agit souvent de « légitimer à peu de frais un paradigme actuel en le présentant comme l’héritier lointain d’un ancêtre respectable » : on idéalise sans étude minutieuse (Girard, 2011, p. 142). Notre entreprise se veut évidemment différente. Des hellénistes tels que Josiah Ober ou Moses Finley nous en ont convaincus, la démocratie moderne peut apprendre de la connaissance de la démocratie antique ; mais il faut justement pour y parvenir aller au-delà de courtes références approximatives. Il convient aussi d’analyser des pratiques délibératives qui ont vu le jour à différents moments de l’histoire, de façon discontinue et chaotique, et de montrer ainsi que le seul pont de l’Antiquité au XXIe siècle ne saurait constituer une historicisation satisfaisante des phénomènes délibératifs. C’est le sens de la diversité des contextes et périodes trouvés dans ce dossier.

5Si le comparatisme historique s’avère, nous le verrons, éclairant, quels types de cas s’agit-il dès lors de mettre en perspective ? De quels objets parle-t-on ? De façon large, notre attention s’est portée sur la participation citoyenne aux négociations et aux débats publics, ainsi qu’aux processus d’expertise et de décision. Les cas rapprochés dans ce dossier se caractérisent par la volonté de faire participer les citoyens au jeu politique au-delà du vote. Cela ne signifie pas que les dispositifs étudiés soient toujours déconnectés du processus électoral – ce n’est ni le cas des contiones de la République romaine (D. Hiebel), ni de l’ekklèsia athénienne (N. Villacèque), ni des réunions contradictoires de la Troisième République (P. Cossart, W. Keith). Ils visent parfois à compléter le suffrage, à faire en sorte qu’il ne se résume pas à l’expression ponctuelle d’une opinion peu informée au moment du vote – pour le dire autrement, à s’assurer que les questions soumises au vote (choix des représentants ou adoption de décisions publiques, selon les cas) soient précédées d’une délibération entre citoyens, d’un échange d’informations et d’opinions, de leur consultation.

6Une autre caractéristique des articles assemblés est de s’intéresser essentiellement à ce qu’on peut qualifier de participation discursive, au sens où la participation se fait principalement par la discussion collective des affaires de la cité (voir notamment Delli Carpini, Lomax Cook, Jacobs, 2004). Sans que cela signifie pour autant que les expériences soient coupées de l’action collective, elles ne s’inscrivent pas d’emblée dans une approche par le nombre du rapport de force politique : l’influence possible sur la décision ne repose pas principalement sur la force démontrée, mais d’abord sur la validité des arguments énoncés. Nous verrons cependant que, pour comprendre comment une telle influence opère, il est non seulement nécessaire de regarder au-delà de la seule scène publique, mais également de porter attention à tous les éléments non discursifs (des cris et chahut aux formes d’organisation collective) qui rendent la participation effective. À cet égard, la force des arguments peut donc s’appuyer sur des stratégies politiques plus conflictuelles. Si des formes d’instrumentalisation se donnent à voir, l’objectif – réel ou affiché – de la participation est, par ailleurs, d’influencer plus ou moins directement la décision publique par la discussion et la consultation des opinions. La plupart des cas portent sur des pratiques d’assemblée – ceci, on l’a vu, car notre point de départ est une interrogation sur la démocratie délibérative telle qu’on la connaît aujourd’hui. Mais certains articles vont au-delà de cette forme de participation : il en est ainsi de l’étude de F. Graber sur les enquêtes publiques au XVIIIe siècle, bien qu’il y évoque aussi le cas des « délibérations de communauté ».

7Cela n’implique pas pour autant de se cantonner aux seuls régimes démocratiques. Certains articles montrent ainsi que des pratiques délibératives ont existé dans des régimes non démocratiques, ici la République romaine (D. Hiebel) et la monarchie absolue française (F. Graber). Alors qu’on assiste aujourd’hui à l’essor de dispositifs délibératifs promus par des gouvernements autoritaires – la Chine est friande de sondages délibératifs (voir notamment Ethan, Baogang, 2006 ; Chunyu, 2010) – des époques plus lointaines semblent avoir connu des phénomènes similaires. Un tel constat pourrait inciter à mettre en cause, au moins d’un point de vue analytique, le couple démocratie/délibération : s’il existe des démocraties peu délibératives, il apparaît aussi que la délibération est possible dans des contextes non démocratiques, auxquels nous avons donc ouvert les pages de ce dossier.

8Nous ne prétendons bien sûr pas couvrir l’ensemble de ce qui peut relever de l’histoire de ces formes de participation citoyenne. Ainsi, un des cas que nous aurions voulu voir analysé, prenant des aspects évidemment divers selon les temps et espaces, est celui des délibérations à l’échelle municipale : que l’on pense aux célèbres town meetings de la Nouvelle-Angleterre (Bryan, 2004 ; Mansbridge, 1980 ; Zimmerman, 1999), aux moins célèbres cabildos abiertos espagnols (Cogollos Amaya, Ramírez, 2004 ; Botella Ordinas, Centenero de Arce, Terrasa Lozano, 2011) ou aldeias comunitárias portugaises (voir notamment Dias, 1948), ou encore, de façon plus large, aux assemblées des villes au Moyen Âge. Sur cette période, les travaux disponibles commencent à être nombreux, qu’il s’agisse de monographies ou d’entreprises plus vastes. Alors que la société médiévale a servi de « point de répulsion rhétorique à [l’]argumentation » d’Habermas sur la naissance de l’espace public (Boucheron, Offenstadt, 2011, p. 9), et si les « acquis “démocratiques” de l’époque médiévale [étaient] tombés dans l’oubli au fil du temps » (Gallo, 2011), ces recherches indiquent, entre autres, que la période est marquée par une richesse et une diversité des formes délibératives, notamment au sein des assemblées de communauté. Par ailleurs, bien que nous ne nous soyons pas limités à des formes top-down de participation, impulsées ou organisées par l’État, les études sur l’histoire de la participation issue des mouvements sociaux sont moins présentes ici : il s’agit davantage d’une contrainte éditoriale que d’un choix. Un champ de recherche important se développe en effet sur les expériences des années 1970, au caractère bottom-up marqué : pour n’évoquer que le cas français, on pense aux travaux sur la question de l’autogestion (Hatzfeld, 2005 ; Lefebvre, 2011), aux recherches sur des expériences mythiques de participation, comme le mouvement des LIP (Gourgues, Hamzaoui, 2011) ou la mobilisation des habitants de l’Alma-Gare à Roubaix (Cossart, Talpin, 2011). Mais, plutôt que de déplorer des lacunes, nous espérons encourager encore le développement de recherches nouvelles et l’édition d’autres recueils de textes historiques sur la délibération, faisant place aux mouvements sociaux et aux formes ascendantes et conflictuelles de participation.

Une historicisation nécessaire des phénomènes participatifs et délibératifs contemporains

9L’intérêt d’historiciser l’« impératif délibératif » contemporain (Blondiaux, Sintomer, 2002) nous semble donc acquis. Encore faut-il préciser les modalités de ce comparatisme historique. L’enjeu de ce numéro est analytique, mais également épistémologique. Comment comparer des pratiques délibératives à travers les âges sans tomber dans l’anachronisme ? Peut-on tout simplement interroger les pratiques passées à partir de concepts contemporains, issus de la théorie politique, sans risquer l’erreur d’interprétation ? C’est sur ces importantes questions de méthode que nous voulons nous pencher à présent.

Les vertus de la comparaison

10En contribuant à repérer des expériences passées de participation citoyenne aux débats publics et aux processus de décision, offrant des points de comparaison, des similarités, bien que se situant dans des sociétés et époques différentes de la nôtre [3], il ne s’agit pas de chercher à déterminer une ou des origines des formes de démocratie participative ou délibérative : comparaison et recherche des origines ne relèvent pas de la même opération. On se rapproche ici de la position de Marcel Detienne, lorsqu’il écrit que « pour analyser une série de commencements du “vouloir s’assembler pour débattre des affaires communes”, il est souhaitable […] de n’avoir dans l’esprit aucun fantasme d’origine » (Detienne, 2003b, p. 420). Nous n’avons pas non plus pour volonté de retracer une dynamique générale, à travers le temps et les espaces, des formes d’implication des citoyens en démocratie, ou de faire le constat d’une unique généalogie possible des théories et expériences participatives et délibératives. Au premier abord, le projet semblerait peut-être renouer avec l’entreprise habermassienne (Habermas, 1978). Notre ambition n’est pourtant pas de définir de grandes évolutions de la nature de l’espace public, de dessiner une vaste fresque historique, une histoire universelle de la démocratie participative et délibérative. De façon générale, on est moins dans la perspective d’Habermas ou d’Elias [4], cherchant à mettre en évidence des processus historiques de transformation des sociétés, que dans celle de Marc Bloch, dont on connaît les plaidoyers convaincants pour la méthode comparative, « baguette de sourcier entre toutes efficace » : « elle peut, elle doit pénétrer les recherches de détail » (Bloch, 1928, p. 23 et p. 16). En écrivant une macro-histoire de la délibération – au sens d’une histoire qui ne se pencherait pas sur des exemples précis étudiés finement, adoptant une vision surplombante –, on courrait le risque de céder à quantité d’approximations, comme de passer à côté d’expériences essentielles. Notre démarche, qui peut sembler plus limitée mais qui a, à nos yeux, une véritable force heuristique, consiste en une comparaison de quelques cas, étudiés dans une perspective micro-historique. Ce choix ne nous empêche pas pour autant de faire des allers-retours de la longue durée au micro-objet, et d’imbriquer macro et micro-perspectives. Il ne nous retient pas non plus de chercher à établir pour certains points des régularités temporelles. On ne pourra cependant aller jusqu’à qualifier celles-ci de « lois », telles qu’auraient pu le souhaiter les durkheimiens : la posture serait difficilement compatible avec l’intérêt que nous avons aussi à « [saisir] les écarts, les résistances, les différences » entre les faits sociaux (Dumoulin, 1986, p. 151-152).

11« Le grand historien, comme le savant de génie, saisit les analogies lointaines sous les formes différentes et dégage l’identité et la continuité de l’esprit humain sous les apparences les plus diverses, de même que le physicien réduit à l’unité les phénomènes les plus différents dans le monde de la matière », affirme Louis Davillé en 1914 (Davillé, 1914, p. 203-204) – c’est-à-dire à une époque où l’histoire comparée est en vogue, notamment dans les cercles universitaires français (Hann, 2000). Sans adhérer à cette association, la rappeler nous amène à souligner que notre entreprise de comparaison de phénomènes parfois isolés, sur une vaste échelle spatiale et temporelle, peut être considérée comme une forme de comparatisme expérimental. L’usage du passé comme « champ d’expérience plus étendu que le présent », permet « d’éprouver une construction théorique sur une matière plus étendue et plus diversifiée » (Rousso, 2008, p. 20). Un des paris les plus durs à tenir est alors d’éviter que les invariants, les éléments de ressemblances entre les phénomènes comparés, soient trop pauvres ou trop abstraits, puisqu’on traite d’événements uniques. En cela, notre démarche n’est pas entièrement neuve. Ainsi, c’est dans un type d’entreprise assez similaire que s’étaient lancés les chercheurs rassemblés autour de la proposition de M. Detienne (2000) de « comparer l’incomparable ». Leur comparatisme, confrontation de situations historiques et culturelles qu’a priori peu de choses rapprochent, avait cette dimension expérimentale, qui nous parle d’autant plus qu’elle portait justement sur les pratiques d’assemblée qui occupent une place importante dans ce dossier – à la différence près que les auteurs s’intéressaient aussi aux délibérations de représentants institués, et pas uniquement aux pratiques des citoyens. Comparatisme dont Pierre Rosanvallon, dans ses avant-propos à Qui veut prendre la parole ?, soulignait l’« intrépidité », loin du « comparatisme sage », le caractère d’« exercice limite mais essentiel ». Pour lui, le relatif « renoncement à une stricte opération constructive », et notamment le fait que la documentation ne puisse être homogène pour toutes ces expériences si éloignées, ouvre la voie à « une entreprise peut-être plus stimulante, à proportion des risques et dangers qu’elle côtoie : celle d’un comparatisme généralisé, nécessairement expérimental mais à l’immense force de suggestion ». Ce « comparatisme dérangeant » a la vertu de faire surgir des questions et tomber des certitudes (Rosanvallon, 2003, p. 7-12). S’il s’agissait aussi de comparer passé et présent, le comparatisme était alors aussi issu de la rencontre avec l’anthropologie :

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« Celle qui s’éveille comparative chaque matin, celle qui se sent pleinement libre d’aller de culture en culture, de faire son miel partout où s’assembler a poussé et donné des fleurs, [qui] nous invite par son goût de la dissonance à mettre en perspective des sociétés aux contrastes, excessifs ou secrets, sans frontières de temps ou d’espace ».
(Detienne, 2000, p. 126)

13Pour enrichir notre compréhension du politique, présent ou passé, le croisement des périodes comme des espaces, réalisé en partant de recherches portant sur des cas précis, nous semble indispensable.

14Nous ne sommes évidemment pas ici dans le ceteris paribus sic stantibus, ce « toutes choses égales par ailleurs » prégnant dans les sciences « exactes » ou « dures » – qui peut d’ailleurs aussi être relativisé quand l’activité scientifique est soumise à observation (Latour, Woolgar, 1988 [1979]) – mais plutôt dans un « presque toutes choses étant différentes par ailleurs ». Comme met à juste titre en garde Jean-Claude Passeron, le sociologue (mais le constat s’élargit au chercheur en sciences humaines et sociales) fait porter son observation sur « des configurations jamais réitérées intégralement dans le cours de l’histoire ou dans l’espace des civilisations » (Passeron, 1991, p. 367). Ce type de rapprochement cavalier deviendrait donc une aberration scientifique si, conjointement, on ne prêtait pas une attention forte aux contextes, notamment aux régimes politiques dans lesquels les expériences qui nous occupent ont vu le jour, aux événements qui les ont permises, encouragées ou entravées. De ce point de vue, notre démarche s’apparente à une forme d’ethnographie historique, visant à décrire les pratiques passées, à s’imprégner du contexte et du milieu, afin d’expliquer au plus près les phénomènes étudiés. C’est à la condition d’une connaissance fine du terrain que l’analyse peut éviter l’anachronisme. Une fois ces contextes solidement pris en compte, les rapprochements et les comparaisons peuvent se faire. Sous des similitudes apparentes, on découvre alors des contrastes, parfois importants. Ils appellent une attention particulière, car on apprend autant, sinon plus, de la dissemblance que des éléments de ressemblance. « Peut-être la perception des différences est-elle, en fin de compte, l’objet le plus important – encore que, trop souvent, le moins recherché – de la méthode comparative » (Bloch, 1930, p. 39). Après avoir repéré une ou des séries de phénomènes présentant comme point commun de relever de discours et/ou expériences valorisant la participation des citoyens, au-delà du vote, aux négociations, aux débats, voire aux décisions sur la chose publique, il convient ensuite d’identifier ce qui diffère selon les cas. Il faut dès lors procéder à deux opérations successives : d’abord une dé-singularisation (ou conceptualisation) du fait historique, puis une re-singularisation, liée à sa contextualisation (Buton, Mariot, 2009, p. 18). La comparaison est particulièrement fructueuse lorsqu’on observe une ou des similitudes entre les faits qu’on choisit d’observer et une différence entre les milieux où ils se sont produits et les formes qu’ils ont prises. L’attention forte portée aux différences permet aussi de ne pas se laisser tenter par les sirènes des analogies forcées. Cette partie du travail comparatiste doit être particulièrement soignée pour éviter les raccourcis approximatifs entre cas : « Avant tout, il faut déblayer le terrain des fausses similitudes qui ne sont souvent que des homonymies », écrit toujours M. Bloch (1928, p. 31). Plus généralement, on touche ici à la question des dangers de l’anachronisme, maintes fois pointés du doigt quand les chercheurs se risquent aux rapprochements de périodes et lieux éloignés. De fait, il y a là un risque lorsqu’on transfère des mots, des idées, des concepts, hors de leur terrain d’origine.Dans cette perspective, il faut prendre garde à la variabilité du sens des termes selon les époques, à éviter les « pièges du nominalisme [qui] consiste à fonder la comparaison sur des équivalences linguistiques dont la pertinence n’est pas certaine » (Kott, Nadau, 1994, p. 105) – même si dans le cas présent, le risque est en partie limité par le fait que l’expression « démocratie participative » a une cinquantaine d’années et celle de « démocratie délibérative » une vingtaine. Mais le terme « délibération », par exemple, ne signifie bien sûr pas la même chose selon les époques et les contextes (Manin, 1985 ; Sintomer, 2011b).

15Une caractéristique importante des articles est par ailleurs que, comme histoires, ils naviguent entre externalisme (comment des forces politiques, sociales et culturelles extérieures donnent-elles forme à des comportements ou des idées ?) et internalisme (comment les participants comprenaient-ils ce qu’ils étaient en train de faire et le reliaient-ils à leurs valeurs et croyances ?). Une grande partie de la méthode historique contemporaine, afin de surmonter les limites de l’histoire narrative, met l’accent sur la façon dont les acteurs historiques sont façonnés par les circonstances. Bien que cela se retrouve ici (P. Cossart et W. Keith relient les débats qu’ils étudient à l’entreprise de contrôle social qu’ils peuvent incarner), les auteurs laissent aussi une place importante à une histoire interprétative, analysant à partir de leurs sources comment les participants comprenaient ce qu’ils faisaient comme étant démocratique. Cela ajoute une dimension importante aux possibilités de comparaison, car les similitudes et les différences peuvent se trouver tant au niveau des circonstances extérieures que de la compréhension interprétative. Par exemple, dans le contexte américain, les écrits des Pères Fondateurs sont issus de leur lecture de l’histoire romaine. Ainsi, alors que les conditions extérieures sont complètement différentes, les acteurs dans le contexte américain se voyaient en quelque sorte en train de reproduire un modèle classique.

Fonder la comparaison sur des monographies précises

16« La plupart des travaux portant sur des dispositifs de participation ou de délibération démocratique souffrent d’un déficit de rendu et de description », souligne Loïc Blondiaux, qui appelle à ce que soit adoptée une « posture descriptive » attentive non seulement aux « aspects strictement discursifs de l’interaction », mais aussi aux « dimensions non verbales et symboliques de la situation délibérative » – « la topographie des lieux et la distribution des acteurs dans l’espace, l’expression des gestes et les manifestations d’émotion » (Blondiaux, 2004, p. 164-165). En travaillant sur le passé, pour ne pas en rester à des références vagues et idéalisées, il faut similairement chercher à mettre en œuvre une ethnographie ou une anthropologie historique des instances observées, en procédant surtout à des analyses monographiques, ou plutôt, à confronter dans la comparaison des monographies précises et fondées empiriquement. « Il va de soi que la comparaison n’aura de valeur que si elle s’appuie sur des études de faits, détaillées, critiquées, et solidement documentées » (Bloch, 1928, p. 45). Nous ne renonçons donc pas dans ce dossier aux intérêts d’une perspective micro, et partons surtout de terrains analysés en profondeur. Pour satisfaire un tel programme de recherche, il est évident qu’il faut travailler collectivement. Ce n’est qu’à partir de « la considération attentive et respectueuse des individualités historiques » que l’on peut trouver des invariants (Lagroye, 2008, p. 274-275) : les risques d’erreurs seraient grands si un chercheur se lançait seul dans une telle aventure, et c’est ce que les entreprises collectives aident à éviter ; tout en ayant comme autre avantage de ne pas contraindre le spécialiste du contemporain à ne pouvoir s’appuyer que sur les sources de seconde main. « On peut difficilement faire en solitaire du comparatisme et du terrain », affirme Michel Offerlé (2002, p. 261). Nous sommes en tout cas convaincus qu’il est ici possible – et nécessaire – de concilier histoire comparative et micro-histoire compréhensive du politique.

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« Être comparatiste, ce n’est plus revendiquer une position en surplomb, un rêve de synthèse où une même pensée, un seul intellect seraient à même de nouer tous les fils, de dire les similitudes et les différences, de tracer la carte de ce qui est partagé comme des lignes de fractures. Le comparatisme, c’est plutôt créer les conditions d’une synergie, d’un dialogue entre les spécialistes de différents domaines, aires culturelles ou périodes historiques. Chacun reste dans son champ de spécialité, mais s’oblige à regarder les champs voisins, voire à regarder son propre champ depuis les champs voisins. ».
(Jacob, 2011, non paginé)

18Il est par ailleurs difficile pour des non-spécialistes de travailler sur des périodes historiques autres que la période contemporaine. Bien des socio-historiens s’y cantonnent. Il y aurait là une limitation méthodologique certaine à notre entreprise, si elle ne pouvait être dépassée par le travail collectif. Les spécialistes d’une période, d’un objet, ici assemblés ont été convaincus de l’intérêt de confronter un questionnement collectif à leur terrain, et ont par ailleurs fait l’indispensable effort d’écrire pour un public élargi. Le fait de ne pas s’aventurer seuls et sans expérience sur des terrains trop mal connus évite ainsi de recourir à des simplifications regrettables. Ce travail collectif implique aussi de sortir de nos frontières disciplinaires, en joignant les savoir-faire des historiens, sociologues, politistes, chercheurs en sciences de l’information et de la communication. Si ce dossier de la revue Participations se veut interdisciplinaire, il tend plus encore vers cette « science sociale unifiée » que Pierre Bourdieu appelait de ses vœux (Bourdieu, 1995, p. 111). Lieu de rencontre des sciences humaines et sociales, l’entreprise comparatiste peut être aussi une des occasions de fusion de leurs territoires (Cossart, Taïeb, 2011) – même si bien évidemment plusieurs chercheurs, par ailleurs ouverts à l’interdisciplinarité, y sont rétifs (voir, par exemple, Caron, 2008). Les historiens ayant contribué à ce dossier ont en tout cas dépassé le « contact sacré et sacralisant avec les archives » (Bourdieu, 1995, p. 110) : non pas au sens où leurs études ne seraient pas fondées sur une recherche empirique, mais parce qu’on ne sent pas dans les articles de réticence à la conceptualisation. Mieux, ils ont accepté d’interroger leur matériau empirique à la lumière de catégories – la démocratie délibérative et participative – et de questionnements théoriques contemporains. De leur côté, sociologues et politistes ont compris la nécessité de fonder leurs analyses du passé sur un travail adossé à des sources concrètes et sont revenus de la croyance en la toute puissance des concepts. Alors qu’au-delà de différences plus persistantes de formulations, on assiste à une « forte convergence des préoccupations et des méthodes » (Lagroye, 2008, p. 278), il n’est pas absurde de regarder avec espoir vers la fin d’un temps où « les historiens reprochent aux politistes leur langage, leur propension à la théorie, à la modélisation, voire leur trop grand souci méthodologique », tandis qu’« à l’inverse, les politistes brocardent l’ingénuité, la naïveté, pour ne pas dire plus, de ces tâcherons d’historiens » (Lazar, 2008, p. 257), vers la fin, donc, du « simple face-à-face de l’archive et du concept » (Déloye, Voutat, 2002, p. 23).

19Parmi les auteurs assemblés ici, certains s’intéressent prioritairement aux discours, d’autres aux pratiques mises en rapport avec les discours, en fonction des sources disponibles. De façon générale, on n’a donc pas affaire à des monographies qui seraient fondées sur un matériel empirique homogène. Comme l’a souligné Bruno Latour dans Les Microbes (Latour, 1984), l’homogénéité de la preuve dans les sciences dures est souvent un artefact de l’organisation sociale, plutôt qu’une condition préalable pour générer des conclusions. L’exigence d’une homogénéité des sources pour pouvoir rapprocher des cas nous semble relever d’un idéal : ne pas l’atteindre n’empêche pas la comparaison d’être fructueuse (Severin-Barboutie, 2010). Sont alors utilisés selon les cas, de façon conjointe ou non, des sources secondaires, des témoignages sur les époques observées, écrits d’historiens ou de témoins contemporains, des articles de presse, des procès-verbaux de réunion, des registres de délibérations, etc.

20La diversité porte aussi sur le type d’expérience observée. Pour ne prendre que cet exemple, certains des articles portent sur des expériences mythiques ou mythifiées de participation, dont la renommée dépasse leur cadre local voire national : c’est le cas des assemblées athéniennes, sur lesquelles revient N. Villacèque. D’autres auteurs se sont intéressés à des expériences qui, au contraire, sont souvent ignorées ou inconnues comme lieux d’une possible inclusion des citoyens. Il en va ainsi des contiones : « si le modèle démocratique athénien vient immédiatement à l’esprit, on songe moins naturellement à Rome », souligne à juste titre D. Hiebel. De la même façon, F. Graber offre un regard neuf sur une période qui apparaît de prime abord peu propice à la participation – la monarchie absolue au XVIIIe siècle – à partir de l’étude des enquêtes de commodo et incommodo, ancêtres en quelque sorte des enquêtes publiques. L’article de S. Aonuma présente pour sa part un décalage temporel et géographique, en s’intéressant à des associations d’apprentissage et d’exercice du débat public dans le Japon du début de l’ère moderne.

Transferts et « leçons » du passé et du présent

21Une autre vertu des rapprochements consiste à chercher la genèse empirique des phénomènes sociaux. Si, on l’a dit, ce n’est pas notre objectif premier, on peut néanmoins mettre au jour les influences des expériences les unes sur les autres, ou plus généralement identifier le « poids du passé dans le présent » – opération associée à l’idée que « les acteurs comme les institutions sont doués de mémoire, utilisent leur propre “réservoir d’expériences” » (Rousso, 2008, p. 20). Pour M. Bloch et une grande partie des socio-historiens français contemporains, c’est la démarche la plus riche. Pour nous, elle est complémentaire de la précédente. Si l’histoire comparée et l’étude des transferts ont pu être distinguées (Werner, Zimmermann, 2003 et 2004 ; sur « le concept de transfert culturel comme réaction à des aspects insatisfaisants de la comparaison historique », voir Middell, 1999) il nous semble qu’elles ne s’excluent pas nécessairement pour autant. Une enquête de ce type a ainsi été conduite concernant la démocratie délibérative aux États-Unis, ceci par l’observation des filiations allant du début du XIXe au milieu du XXe siècle entre divers dispositifs d’éducation par la discussion de personnes assemblées (Cossart, 2010b) : lyceums, chautauquas, réunions du Social Centers Movement et public forums forment des mouvements successifs d’éducation pour adultes par la discussion, où l’accent est mis sur la nécessité de faire progresser les connaissances pour façonner un citoyen informé et capable de prendre part au débat public, ainsi que le rappellent P. Cossart et W. Keith dans leur article.

22Ce dossier se révèle alors instructif quant à l’influence et la prégnance du passé dans les expériences postérieures. Elle se fait parfois à travers la référence aux expériences mythiques – il en va ainsi du regard souvent nostalgique porté aujourd’hui sur les périodes où la participation était plus intense, comme l’Antiquité ou les années 1970. S’observent aussi des transferts entre expériences se succédant sur peu d’années ou sur quelques décennies, dont les acteurs peuvent avoir la mémoire, et se tenant parfois dans un contexte proche. On peut prendre pour exemple le cas des clubs de 1848, étudiés par S. Hayat – qui n’y voit pas une forme « inédite » d’organisation de la participation politique. L’auteur montre en effet que le club résulte d’un croisement entre plusieurs expériences (vécues directement par les acteurs, ou imitées à partir des mémoires et des histoires passées) : les sociétés populaires de la Révolution, les associations et sociétés républicaines qui foisonnent au début de la monarchie de Juillet, les sociétés secrètes des années 1840, les comités électoraux d’opposition et les comités d’organisation des banquets réformistes. Les transferts ou inspirations peuvent se faire de multiples manières : par des acteurs ayant réellement connu les expériences passées, par les écrits circulant sur celles-ci, par les formes diverses prises par la mémoire orale et écrite, etc. Évidemment, les expériences participatives peuvent aussi servir de repoussoirs, pour ceux qui, dans d’autres lieux ou d’autres temps, ne veulent pas les voir se reproduire : c’est le cas des clubs de 1848, qui, sous le Second Empire et aux débuts de la Troisième République, servent d’argument à ceux qui se méfient de la libéralisation du droit de réunion lorsqu’on légifère à son propos (Cossart, 2010a ; Reynié, 1998). Il en va aussi ainsi de l’expérience athénienne pour la Rome républicaine, cette dernière se révélant bien plus méfiante à l’égard du peuple, comme le rappelle ici D. Hiebel.

23Regarder vers le passé permet également, dans une certaine mesure, de contribuer à éviter que l’histoire se répète. « S’il faut connaître l’histoire, c’est moins pour s’en nourrir que pour s’en libérer, pour éviter de lui obéir sans le savoir ou de la répéter sans le vouloir » (Bourdieu, 1995, p. 117). Une opération de rapprochement passé/présent qui porte attention à ce qui a dysfonctionné par le passé peut permettre de tirer des enseignements utiles à l’enrichissement des dispositifs contemporains. En décentrant le regard, on fait tomber certaines évidences et on encourage éventuellement les expériences contemporaines, en tirant des leçons du passé, à constituer un véritable élément de progrès démocratique. « L’histoire pertinente pour la science politique serait cette “connaissance du passé qui ressemblerait […] à l’acte par lequel, à l’homme au moment d’un danger soudain, se présentera un souvenir qui le sauve”. » (Benjamin, 1991 [1940], p. 342 ; cité dans Kaluszynski, Wahnich, 1998, p. 31). Bien qu’étant ici dans le « presque toutes choses différentes par ailleurs », et donc tout en étant attentifs aux différences et en ne cédant pas à une conception mécaniste des phénomènes humains – pour laquelle des processus identiques se reproduiraient indéfiniment –, il demeure possible et important de repérer certains problèmes rencontrés par les expériences passées, qui peuvent être rapprochés des expériences participatives actuelles. L’étude du passé, écrit au début du XXe siècle L. Davillé, « nous permet au besoin [d’] orienter [le présent] dans la direction qui nous paraît la plus avantageuse » (Davillé, 1914, p. 206). Plaidoyer pour une histoire « utile », dont on cherche des leçons, qui rencontre encore bien des réticences chez plusieurs historiens, mais dont nous avons déjà eu l’occasion de souligner les bénéfices (Keith, 2002). Dans cette perspective, il ne convient pas seulement d’apprendre aux nouvelles générations ce qu’il en était dans le passé, mais d’utiliser le passé pour le rendre utile aux générations futures.

24Le regard vers le passé laisse en tous cas au chercheur habitué à observer le contemporain le sentiment d’une grande inventivité des acteurs rencontrés au cours de l’histoire. Il pousse aussi à changer le point de vue commun sur le lien entre démocratie participative ou délibérative et action collective, en laissant percevoir que, loin de s’exclure, ces formes d’implication des citoyens, habitants, profanes – les qualificatifs varient selon les expériences et les époques – se complètent, se soutiennent, se renforcent. Il incite à se méfier d’une conception trop dialogique de la participation, plusieurs des expériences passées indiquant que d’autres modes d’expression que l’argumentation rationnelle – à l’image du tumulte au sein de l’assemblée à Athènes ou des cris du public des contiones à Rome, décrits par N. Villacèque et D. Hiebel – sont aussi importants, illustrant les vœux de certains critiques contemporains du paradigme habermassien défendant un élargissement des modalités d’intervention dans la délibération (Young, 1996 ; Polletta, 2005) [5]. Il nous fait voir l’importance de réintroduire la dimension conflictuelle dans les expériences participatives, même si, on l’a dit, ce n’est pas uniquement ce qui les définit. Le regard vers le passé conduit enfin à souligner le lien nécessaire entre la participation – qu’elle soit instituée par « en haut » ou auto-instituée par « en bas » – et la prise de décision. Une partie des expériences observées montre en effet qu’il ne suffit pas de reconnaître la légitimité de la parole politique du peuple : il faudrait aussi qu’existent des moyens effectifs reliant la participation citoyenne aux décisions publiques.

25La comparaison historique – comme le décentrement de regard qu’apporte l’anthropologie – met en lumière des aspects des objets étudiés qu’on ne verrait pas sans elle – notamment en faisant tomber les évidences du naturel. Cela peut donc aider à mieux comprendre les enjeux de la valorisation actuelle de la participation citoyenne. Si l’on éclaire ainsi le présent par le passé, la comparaison amène aussi, évidemment, à enrichir la compréhension du passé par les observations et questionnements issus du présent. Il est difficile de nier le constat, formulé notamment par Pierre Favre, selon lequel « les domaines de recherche des socio-historiens sont la duplication dans le passé des questions jugées importantes aujourd’hui » ; mais il ne nous semble pas que notre entreprise perde pour autant ici de son intérêt, ou qu’elle soit une « négation de la démarche historienne » (Favre, 1998, p. 222). Elle permet, aussi, d’éclairer autrement le passé. Il est vraisemblable qu’aucun des auteurs réunis ici – quelle que soit leur discipline d’appartenance – n’aurait écrit de la même façon s’il n’était parti des questionnements, issus du présent, que nous avons suggérés. C’est bien un nouveau regard qui est jeté sur les expériences passées, même lorsque celles-ci ont déjà été étudiées auparavant.

Quelques apports de cette comparaison historique à la compréhension des enjeux et des formes de la participation des citoyens

26À partir des cas présentés ici, qu’apporte ce numéro à la compréhension de la participation citoyenne aux négociations, aux débats publics, aux processus d’expertise et de décision ? Autrement dit, une fois établis les objectifs et le programme de notre comparatisme, qu’en est-il des résultats ? Conscients du risque de caricaturer le réel par la typification, méfiants vis-à-vis de ces « plates et rassurantes typologies qui mettent les choses dans un ordre voulu définitif » (Rosanvallon, 2003, p. 8), notre intention n’est pas de classer les phénomènes en types de formes participatives, en rassemblant les expériences en séries de nature proche – l’intérêt du comparatisme est d’ailleurs moins de figer les choses en des certitudes, que de faire naître des perspectives et questionnements neufs. Toutefois, quelques distinctions peuvent être établies, et surtout, des questions communes peuvent être posées à plusieurs des terrains. Ainsi, s’ils s’inscrivent tous dans la réflexion sur la participation citoyenne évoquée plus haut, plutôt que d’établir une définition précise et réifiée de l’objet en jeu, construite a priori, de façon théorique ou formelle, applicable à tous les cas regroupés – extrêmement hétérogènes – nous en faisons plutôt une question de recherche. Que partagent des cas aussi dissemblables que les kessha japonais de la fin du XIXe siècle (S. Aonuma), les contiones de la République romaine (D. Hiebel) ou les enquêtes de commodo et incommodo de l’Ancien Régime (F. Graber) ? Peut-on comparer l’ekklèsia athénienne (N. Villacèque), les clubs de 1848 (S. Hayat), les réunions contradictoires aux débuts de la Troisième République et les diverses assemblées d’éducation civique pour adultes dans les États-Unis des XIXe et XXe siècles (P. Cossart et W. Keith) ? Et que nous enseignent alors d’éventuelles formes de commonalité entre cas sur la participation et la délibération aujourd’hui ? La lecture du numéro fait apparaître des points communs, des parallélismes, mais aussi évidemment de profondes dissemblances. Par souci de clarté, nous organisons le propos qui suit autour de quatre questions liées entre elles, volontairement très générales, transversales aux divers articles.

Les raisons de la participation : pacifier les conflits ou approfondir la démocratie ?

27On peut d’abord s’intéresser à la question des causes, des origines, des divers dispositifs analysés. Pourquoi fait-on participer ? Qui sont les promoteurs de ces expériences ? Qu’est-ce qui amène à recourir à ce type de pratiques, à les valoriser ou les mettre en place ? Lorsque les dispositifs participatifs ou délibératifs sont institués, ou du moins encouragés, par un gouvernement – non par un mouvement social les initiant de la base – on peut se demander si la majorité d’entre eux ne relève pas d’un objectif de pacification des conflits, plutôt qu’ils ne témoignent d’un d’enrichissement démocratique. Cela semble être le cas des contiones de la première période identifiée par D. Hiebel. Placées sous la surveillance des magistrats, elles apparaissent largement comme un outil de contrôle du peuple par les élites, une façon de maintenir l’ordre public. L’auteure montre que la contio peut être considérée comme un instrument au service de l’oligarchie. Alors que les dispositifs participatifs contemporains sont régulièrement perçus comme un mode de légitimation pour des représentants touchés par la défiance du peuple, la participation du public comme technique de gouvernement ne semble pas être une invention récente. Dans le cas des réunions contradictoires de la Troisième République et des forums américains du début du XXe siècle, P. Cossart et W. Keith soulignent que s’il s’agit d’approfondir la démocratie en s’appuyant sur une participation plus intense des citoyens, les expériences sont aussi marquées par un souci de contrôle social et une volonté de modeler la participation. Cette dernière apparaît alors parfois comme un moyen de canaliser une protestation qui pourrait émerger en l’absence d’espace public d’expression. Ainsi, pour les républicains sous l’Empire ou dans les premières années de la République, la salle de réunion est considérée comme une forme d’exutoire : le lieu où les opinions peuvent s’exprimer publiquement, plutôt que de se faire entendre dans la rue ou par l’action. Elle s’inscrit dans l’entreprise de forclusion de la violence, contemporaine de l’établissement du suffrage universel (Déloye, Ihl, 1993). Les enquêtes publiques du XVIIIe siècle étudiées par F. Graber semblent également entrer dans ce cadre : la participation vise parfois dans ce cas à produire du consentement et à fonder la légitimité de décisions potentiellement impopulaires.

28On ne saurait pour autant réduire les espaces de participation à de simples technologies de légitimation et de contrôle. Leurs promoteurs cherchent aussi, déjà, à produire de meilleures décisions en permettant à une partie plus ou moins importante du peuple de prendre part au débat. Légitimation et amélioration de la qualité des décisions ne sont d’ailleurs pas nécessairement opposées, comme le souligne F. Graber :

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« La consultation [est] tiraillée entre les deux sens du consentement, mis en évidence ici sous l’Ancien Régime – participation à la décision ou simples observations que le souverain peut juger plus ou moins pertinentes – mais aussi entre efficacité technique et politique : on s’informe pour produire une décision meilleure, contrôlée, éviter les injustices, et on prétend avoir tout entendu, pour fonder la légitimité et la force de la décision. »

30La participation, en permettant d’entendre tous les points de vue, serait un moyen de parvenir à une forme de rationalité. P. Cossart et W. Keith montrent que c’est aussi une opinion publique mieux informée, et donc des citoyens à même de faire des choix plus éclairés, qu’on veut obtenir par le développement du débat ou de la discussion en assemblée.

31Une source supplémentaire de mise en œuvre d’espaces de participation réside évidemment dans le fait que ceux-ci sont parfois réclamés ou organisés par une partie de la population. L’explosion du nombre de clubs en 1848 en fournit un bon exemple. « Après un demi-siècle de limitation stricte de la participation politique, par la combinaison du suffrage censitaire et des restrictions des possibilités d’expression, la révolution de 1848 détruit toutes les barrières à l’exercice de la citoyenneté. » De fait, « en quelques semaines, après la révolution, plusieurs centaines de clubs sont fondés à Paris, rassemblant environ 100 000 participants réguliers » (S. Hayat). Pour ce qui est de la Troisième République, si les Républicains arrivés au pouvoir adoptent en 1881 une loi selon laquelle « les réunions publiques sont libres », ce n’est pas seulement dans un souci de maîtrise des masses, mais aussi parce que le pays sort du Second Empire où l’opposition pouvait difficilement se faire entendre : la liberté de réunion est revendiquée (P. Cossart, W. Keith). De même, dans le cas du Japon de la fin du XIXe siècle, « la transition politique libère […] un espace dans lequel peuvent émerger de nouvelles formes de discours public et de participation politique » : après une longue période de silence, les kessha se développent (S. Aonuma). Mais c’est aussi dans le cadre de régimes non démocratiques qu’émerge une demande de participation : de fait, son absence peut y être apparentée à un passage en force de décisions unilatérales des gouvernants. Ainsi que le souligne F. Graber, « l’absence de consultation peut être relevée par les communautés ou leurs hommes de loi comme indice du caractère défectueux et injuste de la procédure, qui ignore le local et les droits acquis, pour imposer l’intérêt des puissants ».

32La comparaison historique amène par ailleurs à affiner la distinction entre des espaces formels de débat, institués ou soutenus par des gouvernements de natures diverses, et des initiatives venues « d’en bas », qui prennent notamment la forme de pratiques informelles pouvant constituer des lieux de discussion politique ; espaces parfois construits en opposition aux élus, dans un mouvement conflictuel et ascendant. S’il est possible de distinguer des conceptions différentes de la participation selon qu’elles sont impulsées par des institutions ou par des militants, les binômes impulsé par « le bas » / informel et impulsé par « le haut » / formel ne fonctionnent pas si simplement. Dans le cas des clubs de 1848, cette frontière est remise en cause par une partie de leurs promoteurs. Comme le souligne S. Hayat, pour les clubistes tenants d’une approche discursive il n’est pas question de chercher à influencer directement le gouvernement et le cours des affaires de la nation : leur rôle se résume, à leurs yeux, à faire vivre la délibération et à nourrir ainsi l’opinion publique. À l’inverse, les clubs « participationnistes » ambitionnent d’incarner une forme complémentaire de représentation du peuple : à côté du parlement, le « club des clubs », bien que venant d’en bas, veut devenir une instance formelle de représentation des représentés. Pour ce qui est de la contio de la République romaine, D. Hiebel montre que, contrairement à ce qu’affirme une partie de la doctrine existante qui y voit un espace informel de discussion, on a affaire à un lieu institué de débat (pré)législatif. Le constat suivant semble donc s’imposer : quand la participation surgit d’en bas, au sein de mouvements sociaux, on n’a pas nécessairement affaire à des espaces informels. Les clubs de 1848 sont ainsi précisément organisés. Enfin, il semble que certains cas soient intermédiaires entre des dispositifs institués par « en haut » ou impulsés d’« en bas » : si les réunions étudiées par P. Cossart et W. Keith sont organisées et tenues à l’initiative d’associations, de groupes ou de partis, et partiellement autofinancées, elles n’en restent pas moins encouragées (législativement ou financièrement) par les pouvoirs publics. Ce dossier complète dès lors les réflexions contemporaines qui soulignent tant la porosité des frontières du politique que la place de pratiques politiques informelles au cœur ou autour des institutions et contribuent à les faire fonctionner (Le Gall, Offerlé, Ploux, 2012). Non seulement peut-on repérer de l’informel dans les institutions, mais il y a également de l’instituant dans les formes ascendantes de participation.

Les acteurs de la participation : qui participe ?

33L’attention des auteurs porte aussi sur les personnes qui participent. Y a-t-il égalité entre les participants ? Et tout le monde est-il considéré comme un citoyen ? On le sait, ce n’est pas le cas à Athènes, où environ 18,5 % de la population pouvait participer aux assemblées (N. Villacèque). À Rome, il faut posséder la qualité de civis Romanus pour aller aux contiones, ce qui exclut notamment les femmes (D. Hiebel). Dans le cas des enquêtes publiques du XVIIIe siècle étudiées par F. Graber, la participation ne touche en général que les « principaux habitants », c’est-à-dire les plus imposés, et donc les notables, selon le principe « qui paie décide ». Parfois, la participation se fait pourtant plus large :

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« Les consentements visent des personnes ou des communautés directement concernées, dont on souhaite savoir si elles s’opposeront au projet : on explore l’opinion de quelques intéressés. Ils sont, dans la plupart des cas, peu nombreux, mais il arrive parfois, en particulier dans les grands travaux publics, que cette consultation s’ouvre très largement, jusqu’à inclure un grand nombre d’habitants. »

35Si les éléments précis relatifs au degré d’ouverture de ces enquêtes manquent, il semble que la taille du projet (concerne-t-il beaucoup de monde ?) et l’anticipation d’une opposition potentielle à celui-ci, incite à inclure un nombre plus ou moins important de personnes (F. Graber). On note alors qu’aucun des cas étudiés ne repose sur le recours au tirage au sort d’un groupe de citoyens. Encore une fois, nous sommes bien sûr loin de prétendre proposer une vision « globale » de l’histoire de la participation ; mais il reste probable que, si la sélection aléatoire de gouvernants ou de participants a traversé l’histoire (Dowlen, 2008 ; Sintomer, 2011a), d’Athènes aux communes médiévales italiennes ou françaises, elle ne soit qu’une des modalités prise par la participation, le recours à des assemblées ouvertes à tous étant bien plus courant – tant d’ailleurs d’un point de vue diachronique que synchronique.

36Concernant le nombre de participants, on remarque que plusieurs des expériences de ce dossier touchent une grande partie de la communauté concernée par les questions traitées – mais la question de la représentativité ne se pose pas toujours de la même façon – ce qui est toutefois moins clair dans le cas des kessha japonais (S. Aonuma), et n’est pas le cas des enquêtes publiques de l’Ancien Régime (F. Graber). Les clubs parisiens de 1848, on l’a dit, rassemblent autour de 100 000 participants réguliers (S. Hayat). Sous la Troisième République, en période électorale, les réunions publiques attirent parfois la moitié de l’électorat de Paris. La participation aux réunions éducatives américaines (lyceums, chautauquas, forums, etc.) des XIXe et XXe siècles est également massive (P. Cossart, W. Keith). Cette participation numériquement importante peut, certes, relever d’un biais de sélection. Elle se comprend aussi en raison d’un effet de sources : l’hypothèse que les traces des expériences délibératives soient plus abondantes quand la participation est imposante est vraisemblable. Il reste intéressant de noter que, dans les cas évoqués, la faiblesse de la participation est rarement déplorée ou dénoncée – si ce n’est lorsque les dispositifs déclinent après avoir connu une période de forte activité (comme ce fut le cas par exemple aux États-Unis pour les lyceums, chautauquas, forums) – alors qu’il s’agit d’une des topiques majeures des expériences contemporaines de démocratie participative (Blondiaux, 2008a). On note enfin que, dans plusieurs cas, plus les décisions sont perçues comme importantes, plus la participation est forte, évidemment. Ainsi, à Athènes, comme le souligne N. Villacèque, « pendant la guerre du Péloponèse (431-404), la démocratie était plus que jamais une réalité ». Ce constat a pu être établi pour d’autres enquêtes que celles publiées ici. En ce qui concerne les assemblées des travailleurs de LIP comme celles des habitants mobilisés de l’Alma-Gare dans les années 1970, évoqués plus haut, il apparaît clairement que la participation est d’autant plus intense que les enjeux soumis à discussion sont graves et imminents : dans le premier cas, le risque de fermeture de l’usine et les licenciements (Gourgues, Hamzaoui, 2011) ; dans l’autre, les conditions de vie très difficiles et la peur des habitants, dans un contexte de rénovation urbaine, de perdre leurs logements (Cossart, Talpin, 2011).

37Il convient bien sûr d’établir des distinctions selon la taille des communautés considérées. Il y a là d’ailleurs un élément qui a souvent été avancé pour justifier qu’on ne peut appliquer aux sociétés modernes la « liberté des Anciens » (Constant, 1997 [1819]). Que change la disparition des « sociétés de face-à-face », où chaque citoyen est supposé pouvoir connaître les autres (Laslett, 1956) ? Mais l’Athènes ou la Rome anciennes l’étaient-elles vraiment ? La réponse n’est pas évidente. Les développements que N. Villacèque consacre à la question du nombre sont particulièrement instructifs. 6000 citoyens se rassemblent sur un total de 45 000. Mais l’auteure note que « l’Assemblée du peuple ne représentait pas le peuple, elle était le peuple ». Se référant à Bernard Manin, elle explique que cette affirmation n’est pas fondée sur le fait que tous les citoyens y prenaient part, mais que tous pouvaient s’y rendre, et que la rotation de fait était un élément important du dispositif (Manin, 1995, p. 48). Elle nous invite, à juste titre, à nous méfier des anachronismes suscités par les comparaisons de périodes et régimes divers : la question de la représentativité ne se pose pas partout dans les mêmes termes, et diverge notamment selon que l’on se trouve dans un régime représentatif ou de démocratie directe. L’invention technique de la représentativité statistique au XXe siècle a ainsi transformé la notion même de représentation (Sintomer, 2011a). Similairement, pour D. Hiebel, « les citoyens in contione symbolisaient la présence solennelle du peuple romain », bien qu’on ne soit pas alors dans un régime de démocratie directe mais dans une République oligarchique. P. Cossart a aussi pu montrer, dans un ouvrage portant sur les réunions politiques publiques, que la légitimité de celles-ci aux débuts de la Troisième République est liée à l’assimilation de leur public au peuple, entendu comme l’ensemble des électeurs (Cossart, 2010a, p. 115-158).

38Ces éléments nous conduisent à interroger les conditions sociales de la participation. Quand tout le monde peut participer, l’égalité est-elle purement formelle – égalité d’accès à l’assemblée – ou se traduit-elle par une égalisation des conditions d’accès à la parole et à la prise de décision ? Ici, l’analyse des sources doit se faire particulièrement prudente. Il faut notamment distinguer le discours, les normes, des pratiques effectives. Ainsi, D. Hiebel invite à ne pas prendre ce qui est prescrit pour la réalité de ce que furent les contiones. Si tout le monde pouvait, en droit, prendre la parole, en pratique celle-ci était largement monopolisée, à quelques exceptions près, par les membres les plus prestigieux de l’ordre sénatorial. Sur 59 contiones recensées, elle n’en distingue que quatre où de simples citoyens, « sans charge ni prestige familial », prirent la parole. On touche ici plus largement aux interrogations relatives à la sociologie des participants actifs aux délibérations. À l’ekklèsia, si les femmes, les esclaves et les métèques sont exclus, « les textes mentionnent sur la Pnyx une population socialement hétérogène, ouvriers et petits commerçants citadins, paysans, artisans, négociants, riches et pauvres », note N. Villacèque.

39La question de la place des femmes traverse alors – sans être sans doute suffisamment développée – plusieurs articles. Les assemblées ont parfois été des lieux favorisant l’investissement des femmes sur la chose publique. Il en est ainsi dans le cas de certaines réunions publiques françaises et américaines à la fin du XIXe et au début du XXe siècle – avec des restrictions cependant : en France, les femmes ne pouvaient organiser de réunions publiques sans le concours des hommes (les déclarants devant jouir de leurs droits civils et politiques), et étaient souvent l’objet de moqueries lorsqu’elles se risquaient à la tribune ; aux États-Unis, elles restaient assez marginales à la tribune dans les lyceums, chautauquas et forums, même si leur présence dans les assemblées était manifeste (P. Cossart, W. Keith). Dans d’autres cas, comme à Athènes et à Rome, elles sont exclues. Pourtant, la participation aux réunions politiques a régulièrement constitué pour les femmes un mode essentiel d’intervention dans l’espace public : elles ont marqué de leur présence les tribunes comme les salles de réunion. En cela, nous rejoignons l’analyse de Caroline Field Levander – ici à propos du cas américain – sur « la tendance persistante à associer la vie politique du XIXe siècle avec les discours publics masculins plutôt que féminins, et à sous-estimer le rôle de la voix féminine dans le discours public » (Levander, 1998, p. 3). Mais, pour ne prendre que le cas de la France post-révolutionnaire, les femmes ont à chaque fois été contraintes de renoncer à leur incursion hors de la sphère privée. Dès la Révolution, outre leur présence bien connue dans le public de l’Assemblée, elles assistent nombreuses aux séances des sociétés populaires, quand elles leur sont ouvertes. Une grande majorité des organisations révolutionnaires ne les acceptent de fait pas comme membres : il en va ainsi des clubs parisiens des Jacobins et des Cordeliers, où elles ne peuvent prendre part aux délibérations, et sont cantonnées au public. Ce refus fait aux femmes d’un rôle d’actrices réelles du débat a été présenté comme une manifestation du fait que « la délibération en assemblée, espace public par excellence, s’affiche comme un privilège du citoyen actif » (Rauch, 2000, p. 33). Il existe toutefois quelques clubs qui acceptent la mixité : « là, elles peuvent s’initier à la vie politique » (Riot-Sarcey, 2002, p. 9). Face aux restrictions posées à leur accès à la parole publique, les femmes se sont aussi organisées en clubs de femmes où elles tiennent des réunions, pour débattre des problèmes politiques, des lois nouvelles, etc. (Desan, 1992). Pour Michelle Perrot (1998, p. 270), ces clubs « servaient aux femmes de lieux d’expression et d’apprentissage politique » (sur leur importance numérique, voir : Godineau, 1988 ; Ripa, 1999, p. 25). Mais la réaction masculine est vive. Dès 1793, un décret « défend les clubs et sociétés populaires de femmes » (sur ses effets, voir : Godineau, 1989, p. 442). Le confinement des femmes dans la sphère privée, ne s’arrête pas là. En 1795, la fréquentation même des assemblées politiques leur est interdite (Riot-Sarcey, 2002, p. 21). Les femmes sont donc mises à l’écart de l’espace public émergeant. La révolution de 1848 constitue un autre moment fondamental où, pour reprendre les termes de Joan Scott, les femmes « [mettent] en pratique la conviction selon laquelle leur place est dans la sphère publique » (Scott, 1998 [1996], p. 117) : par leur participation aux réunions des clubs notamment, comme l’évoque dans sa contribution S. Hayat. Là encore, beaucoup de clubs masculins n’acceptent pas les femmes comme membres, et ne leur donnent accès qu’au public des séances : elles peuvent assister aux réunions, mais ne sont pas autorisées à y prendre la parole ni à délibérer. Il existe toutefois quelques rares clubs révolutionnaires mixtes, mais dans lesquels les femmes ne trouvent malgré tout que peu de soutien. Certaines femmes se regroupent alors en clubs féminins, dans lesquels Geneviève Fraisse (1998, p. 375) ne voit que « de timides et malheureuses expériences ». Ces clubs voient se déchaîner contre eux toutes sortes de critiques, moqueries, voire de violences. C’est finalement par le recours à la loi que l’on cherchera de nouveau à mettre un terme à cette tentative des femmes de prouver par la parole publique leur capacité politique. Le 26 juillet 1848, l’Assemblée interdit aux femmes non seulement d’être membres d’un club, mais aussi d’assister à tout débat public. Ceci ne met pas fin pour autant à toutes les tentatives de prise de parole en réunion (sur l’exemple de Jeanne Deroin, voir Scott, 1998 [1996], p. 120).

40De façon générale, malgré tout, le fait de se rassembler pour échanger permet parfois de brouiller dans une certaine mesure hiérarchies et différences. Régulièrement l’égalité de tous est formellement posée, au sens où tout le monde peut prendre la parole et où tous peuvent participer à la prise de décision. Cette égalité formelle n’empêche cependant pas l’émergence de formes de domination : que ce soit parce que tout le monde n’a pas la même capacité oratoire pour se faire entendre de milliers de citoyens assemblés, ou parce que l’inégalité s’exprime dans la configuration spatiale des espaces de participation – par exemple, par l’existence d’une tribune.

Les formes de la participation : où et comment participe-t-on ?

41Les espaces de la participation, les lieux où se rassemblent les individus notamment, ont alors également attiré l’attention des auteurs. Certains articles s’intéressent aux enjeux des agencements des assemblées, à la topographie et la scénographie de la participation, aux effets possibles de la place adoptée par ceux qui interviennent dans la discussion. De façon générale, comment se disposent les participants ? Le cercle est-il particulièrement valorisé comme incarnation de l’égalité des participants, ainsi que le souligne M. Detienne, « la forme circulaire et théâtrale de l’espace délibératif, [étant] la plus familière, semble-t-il, aux sociétés à vocation égalitaire » (Detienne, 2003a, p. 19 ; voir aussi Heurtin, 1999) ? Y a-t-il une estrade d’où parlent les orateurs ? Les participants sont-ils assis ou debout ? Le lieu où se tiennent les réunions est essentiel. Dans le cas athénien, N. Villacèque insiste sur l’importance de la Pnyx, pouvant contenir jusqu’à 6000 citoyens, et dont la surface laisse penser que les orateurs – Périclès y compris – étaient obligés de recourir à la théâtralité dans leurs discours s’ils voulaient être entendus (il en va de même dans les assemblées les plus massives de la Troisième République ; cf. P. Cossart et W. Keith). À Rome, souligne D. Hiebel, les participants aux contiones ont longtemps dû rester debout, par opposition au laxisme athénien. Aux débuts de la Troisième République, on se réunit en quelque sorte où l’on peut, salles de bal, de théâtre, cafés-concerts, etc. : parfois des lieux peu favorables pour garantir que les participants assemblés entendent ce que disent les personnes à la tribune, sans sonorisation. Il y a d’ailleurs là un point commun avec les cas d’Athènes et Rome ; il est vraisemblable qu’une partie du public des assemblées n’entend pas les discours, et que la participation trouve alors aussi son sens dans d’autres choses : le divertissement (P. Cossart, W. Keith), l’injonction d’être présent pour apparaître comme un bon citoyen (N. Villacèque, D. Hiebel), etc.

42Il se dégage malgré tout des articles présentés ici que la réflexion topographique n’est pas au cœur d’expériences qui valorisent pourtant la discussion publique. Alors que la participation y est généralement massive, l’idée de diviser l’assemblée en sous-groupes de discussion, par exemple, n’est jamais évoquée. Il s’agit à l’inverse d’un élément central des pratiques délibératives contemporaines – telles qu’elles s’incarnent notamment dans des mini-publics – où la taille (réduite) des groupes de discussion est considérée comme un élément important pour favoriser la discussion et notamment réduire les inégalités d’accès à la parole publique. Plus généralement, la forme canonique de la participation citoyenne ici – et dans probablement bien d’autres cas – est celle de l’assemblée, où public et orateurs sont distingués par la présence d’une tribune. Ainsi, non seulement la taille des regroupements mais également la physionomie des lieux ne permet pas une circulation pleinement égalitaire de la parole. S’il ne faut pas pour autant imaginer un public passif, nous y reviendrons, la domination semble souvent inscrite dans les murs. À ce titre, les interrogations contemporaines sur les limites de la forme de l’assemblée générale, issues notamment de réflexions du mouvement féministe américain dans les années 1970 (Freeman, 1972-1973), et reprises depuis par la théorie délibérative, apparaissent relativement nouvelles. Il apparaît dès lors que si le recours au tirage au sort a une longue histoire, son usage dans le cadre de mini-publics fortement procéduralisés cherchant à favoriser la qualité de la délibération et la prise de parole de tous, apparaît neuf. Une histoire précise des expérimentations et théorisations visant l’égalisation des conditions de la prise de parole en public reste néanmoins à écrire.

43Ceci nous conduit à interroger les modalités de règlementation et d’encadrement de la participation à travers l’histoire. Il s’agit notamment d’étudier son degré de procéduralisation, afin de déterminer s’il s’agit d’une invention relativement contemporaine. Des procédures précises existent-elles ? Qui décide de se réunir, qui convoque les assemblées ? Se tiennent-elles selon un calendrier particulier ou peut-on se réunir à tout moment ? Un ordre du jour est-il fixé à l’avance, par qui, et la discussion peut-elle s’en écarter ? Comment, sous quelles formes, prend-on la parole ? L’orateur doit-il être placé dans un lieu spécifique, et qu’est-ce qui le différencie des autres participants ? Un président est-il désigné ? Avec quel rôle dans l’animation des débats ? Dans les réunions publiques américaines, françaises (P. Cossart et W. Keith) ou japonaises (S. Aonuma) du XIXe siècle évoquées ici, ou dans les assemblées athéniennes (N. Villacèque) et romaines (D. Hiebel), les réunions sont préparées à l’avance, de façon plus ou moins formelle et précise, par un groupe plus restreint que celui des participants. Cela ne signifie pas pour autant que les réunions soient de simples chambres d’enregistrement de décisions prises en amont. Ainsi, à Athènes, si le Conseil prépare l’ordre du jour et les décrets, l’assemblée peut les rejeter ou les amender (N. Villacèque). Il se dégage néanmoins des différents cas présentés que la participation paraît peu structurée. D’autant plus que les règlements, statuts ou chartes encadrant la participation font partie des sources archivistiques assez aisément identifiables : s’il y en a peu de traces, n’est-ce pas que les règles étaient peu contraignantes ? Le cas des contiones, du moins celles d’avant la première moitié du IIe siècle av. J.-C., constitue de ce point de vue une exception, au regard des codes encadrant la participation. Leur convocation ne peut-être le fait de n’importe qui, la faculté de s’exprimer pro contione constitue une prérogative sous le contrôle du président de l’assemblée, les suasiones et des dissuasiones sont également précisément organisées (D. Hiebel). Si les enquêtes publiques sont règlementées par le droit, la forme prise par la consultation du public demeure variable selon le contexte, le type de projet en discussion, la population concernée, etc. (F. Graber). L’angle d’analyse adopté dans son article par S. Hayat l’amène à donner peu d’éléments sur ces questions pour les clubs de 1848. On sait toutefois que, dans les années 1880-1890 surtout, face au constat de la persistance des désordres dans les réunions publiques en France, il est souligné avec insistance par les républicains radicaux que les républicains opportunistes au pouvoir auraient dû les écouter en laissant les réunions s’organiser sous forme de clubs (Cossart, 2010a, p. 176-177). De fait, contrairement aux réunions publiques, les assemblées organisées par un club peuvent être régies par des règlements imposant certaines postures aux participants, des codes de comportement auxquels il faut qu’ils se conforment (pour le cas des clubs jacobins, voir Cossart, 2003).

44Qu’en est-il alors des formes de l’échange dans les expériences étudiées ici ? On le sait, les théoriciens contemporains de la démocratie délibérative font du débat public, de l’échange d’arguments entre citoyens, le fondement de la légitimité politique, s’opposant à la seule agrégation des opinions pour arrêter des décisions. Si un vote peut être nécessaire, celui-ci ne doit avoir lieu qu’après délibération publique (Manin, 1985). Dans les cas analysés dans ce numéro, a-t-on affaire à une prééminence de la parole et sous quelle forme ? Les pratiques discursives sont-elles de l’ordre de l’argumentation ? L’acclamation doit-elle vraiment être opposée à la délibération ? Le débat est-il contradictoire – et que signifie précisément cette qualification ? Trois formes de participation – qui peuvent parfois se retrouver dans un même cas – semblent se dégager des articles de ce dossier. D’un côté, une forme « oratoire » de délibération (Remer, 1999 ; Manin, 2011), où sont séparés orateurs et public, ce dernier devant former son opinion en écoutant discourir des intervenants. Le public n’en est pas pour autant passif, nous y reviendrons. C’est la forme prise par la participation à Athènes, à Rome, dans les réunions publiques de la Troisième République française ou dans les forums américains. Ensuite, une forme plus discursive ou conversationnelle de participation semble pouvoir être distinguée, dans le cas des clubs de 1848 ou des kessha japonais, où la différenciation entre public et orateurs paraît moins nette, la parole circulant plus librement entre les participants. Enfin, les enquêtes publiques étudiées par F. Graber présentent une participation plus individualisée, se faisant principalement par écrit, l’échange public d’arguments semblant généralement proscrit.

45Si l’on s’intéresse aux conditions matérielles de la discussion, on peut se demander si l’on a parfois (en)cadré la discussion des participants de façon à ce qu’elle se rapproche d’un échange d’arguments. Il se dégage de ce dossier que l’attention à la qualité de la délibération aurait été au cours de l’histoire moins prononcée qu’elle ne l’est aujourd’hui. Alors qu’on construit désormais des « index de la qualité du discours » (Steiner et al., 2005), en listant des critères précis et opérationnalisés pour mesurer à quel point la discussion réelle se rapproche de la situation idéale de parole d’Habermas (Bächtiger et al., 2010), on est loin de cela dans les cas examinés ici. Si les sources constituent évidemment un obstacle potentiel sur ce point – on ne bénéficie notamment pas de la facilité qu’offrent désormais les discussions en lignes (Kies, 2010) –, les acteurs paraissent moins sensibles à la modalité d’énonciation des arguments qu’ils ne peuvent l’être aujourd’hui. Les conditions d’une rhétorique efficace ont néanmoins fait l’objet de réflexions depuis l’Antiquité – il suffit de se référer à Aristote. Mais il semble que la participation a rarement été organisée de sorte à se rapprocher d’un certain idéal de discussion. Certes on cherche, parfois, à optimiser les conditions d’acoustique et à permettre que les uns et les autres puissent s’entendre (malgré des difficultés matérielles évidentes que nous avons soulignées), mais l’attention à la qualité de la délibération est moins poussée qu’aujourd’hui.

46Qu’en est-il alors de l’idée qu’« au sein d’une assemblée délibérante, la contradiction doit être instituée, non pas seulement espérée » (Manin, 2004, p. 189) ? La contradiction, montre D. Hiebel, tient une place importante dans les contiones romaines, même si elle n’est pas la règle : il faut être attentif aux micro-contextes, variables en quelques années. Si c’est aussi le cas dans une certaine mesure pour Athènes (entre l’avant et l’après Périclès), le changement est particulièrement frappant pour Rome (avant et après la scission de la nobilitas). Une observation fine fait apparaître une évolution des assemblées. Jusqu’à la première moitié du IIe siècle av. J.-C., les participants font preuve de docilité au sein des contiones, y suivant largement les idées des sénateurs – même si les suasiones et dissuasiones sont prononcées devant le peuple. La période qui suit est marquée par des divergences accrues au sein du Sénat, et on a affaire à une nouvelle conception du débat, où chaque orateur prenant la parole doit véritablement chercher à convaincre son public. On peut alors faire l’hypothèse que l’émergence de la contradiction dans les assemblées est autant liée à des éléments contextuels – d’ordre politique ou social – qu’à des procédures spécifiques. L’institution de la contradiction, appelée de ses vœux par B. Manin (2011), apparaît comme une modalité assez rare d’organisation de la délibération dans l’histoire. C’est le cas des kessha japonais qui, à l’image des debating societies des campus anglo-saxons, entraînent les participants à jouer l’avocat du diable pour parfaire leurs capacités rhétoriques. La contradiction est également centrale dans les réunions électorales des débuts de la Troisième République – il ne s’agit toutefois pas alors d’exposer des points de vue opposés, pro et contra, mais plutôt des opinions diverses –, ce qui en fait, aux yeux de P. Cossart (2010a), des espaces délibératifs (entendus au sens large, n’impliquant pas que ce qui est échangé ne soit que des arguments), avant qu’elles ne se transforment en rassemblements de partisans, souvent soucieux d’empêcher toute contradiction.

47Si l’expression de points de vue contradictoires peut être nécessaire pour alimenter la délibération, des forces homogénéisantes semblent régulièrement saper en partie ses bienfaits. Les communautés villageoises paraissent généralement chercher à se montrer, depuis le Moyen Âge jusqu’au XVIIIe siècle au moins, sous un jour uni. Les militants veulent démontrer, parfois par tous les moyens, la supériorité de leurs idées et candidats, le dialogue n’étant pas privilégié (sur la tension entre une culture politique militante et les pré-requis de la démocratie délibérative, voir Mutz, 2006). Alors qu’on a pu relever, à juste titre, le risque que les sociétés contemporaines soient marquées par une forme de « balkanisation sociale et culturelle » (pour un questionnement sur la capacité d’internet à favoriser la confrontation avec des idées qui ne sont pas les nôtres : Lev-On, Manin, 2006, cit. p. 195), les différents groupes sociaux ayant peu l’occasion d’interagir et plus encore de discuter, il semble que dans des sociétés plus homogènes la contradiction ne soit pas davantage recherchée, bien que des enquêtes plus approfondies seraient nécessaires sur ce point.

48Les éléments rassemblés dans ce dossier permettent en outre d’affiner la réflexion sur les modalités d’expression du désaccord dans les espaces délibératifs, et plus largement de préciser les formes de l’échange. La participation y prend-elle la tournure d’un échange discursif ? Au-delà des mots, qu’en est-il des gestes ? N. Villacèque montre, à propos des assemblées athéniennes de l’époque classique, que si tout le monde ne prenait pas la parole à la tribune, car la compétence rhétorique est inégale, il ne faut pas pour autant adhérer au « lieu commun du peuple spectateur » se laissant guider par des démagogues, véhiculé par les adversaires de la démocratie qui sont en vérité effrayés par la présence de milliers de personnes sur la Pnyx. S’ils laissent de fait la parole à quelques hommes expérimentés dans l’art oratoire, les citoyens n’en participent pas moins au débat : par le bruit qu’ils produisent. Le thorubos – le tumulte des participants –, affirme-t-elle, est une expression de la souveraineté du dèmos. C’est là ce qui gêne une partie de l’élite anti-démocratique, reprochant alors au peuple d’être spectateur, c’est-à-dire de se comporter comme au théâtre, par des applaudissements, sifflets, murmures, huées. On ne peut considérer les formes non-discursives d’expression comme ne relevant pas de la participation politique : il est nécessaire de dépasser une vision logocentrique de la participation, et de s’attacher à comprendre que les pratiques non discursives sont aussi un mode d’expression de la citoyenneté. Un parallèle peut être fait avec l’étude de D. Hiebel. En effet, si la plupart du temps – c’est-à-dire dans les contiones législatives sur lesquelles est centrée l’étude – les citoyens romains devaient écouter debout et en silence :

49

« Dans le cadre des contiones judiciaires, le mos maiorum autorisait le peuple à jouer un rôle actif. Les citoyens étaient admis à faire part de leur volonté […], soit en demeurant silencieux, ce qui signifiait leur approbation vis-à-vis de l’accusation menée ou de la peine réclamée, soit en exigeant par des cris l’abandon des poursuites ou la modification de la peine proposée. Le peuple ne votait pas mais, par un processus qui n’est malheureusement pas retransmis précisément par les sources, une opinion dominante se formait au gré des discours de l’accusation et de la défense, suffisamment contraignante pour que le magistrat comprenne qu’il lui fallait s’y plier pour ne pas être désavoué. »

50Par ailleurs, après la scission de la nobilitas amorcée dans la seconde moitié du IIe siècle av. J.-C., « il semblerait [que le peuple] se soit senti autorisé à jouer un rôle plus dynamique que celui qui lui était alloué lors de la République classique », à « [oser] manifester plus fréquemment son opinion de manière bruyante », amenant alors parfois les magistrats à ne pas soumettre leur projet au vote ou à le modifier (en le présentant alors comme une nouvelle rogatio[6]). Même si D. Hiebel semble moins convaincue que N. Villacèque – qui en fait un élément central de la souveraineté – de l’influence de ce type d’intervention du peuple par le bruit sur les décisions publiques (le bruit aura toujours moins d’influence que des arguments, notamment quand il s’agit de proposer de nouvelles mesures), on retrouve ici certaines interrogations contemporaines de la théorie délibérative. La participation au débat doit-elle nécessairement prendre la forme d’un échange d’arguments ? Une telle réduction des formes d’intervention du peuple ne constitue-t-elle pas un handicap pour les catégories populaires maîtrisant moins bien les canons de la prise de parole en public (Young, 1996 ; Sanders, 1997) ? Alors qu’on oppose souvent argumentation et contestation bruyante (Young, 2011 [2001]), le chahut des assemblées athéniennes et romaines indique que bruit et délibération peuvent cohabiter dans un même espace, le remue-ménage constituant une forme de participation au débat. Usages anciens et modernes du bruit en assemblée doivent néanmoins être distingués. Si D. Hiebel indique que le chahut dans les contiones ne constitue pas une forme d’obstruction mais une contribution à la discussion prise en compte par les élites à la tribune, pouvant conduire à retirer certaines propositions, il n’en va pas de même dans les réunions publiques de la toute fin du XIXe siècle en France (P. Cossart, W. Keith), et encore moins dans les parlements contemporains. De la même façon, les interventions peu dialogiques – sous formes de témoignages ou d’invectives – sont souvent dénoncées et rejetées aujourd’hui au sein des dispositifs de démocratie participative (Carrel, 2006 ; Talpin, 2006). Ce qui était toléré à un moment ne semble plus l’être : on imagine mal aujourd’hui une assemblée parvenant à retirer un amendement en exprimant bruyamment son mécontentement. Si nous disposons de peu d’éléments pour éclairer ces différences historiques, elles interrogent en creux les modalités d’inclusion de formes hétérogènes d’expression dans les espaces délibératifs.

51Qu’en est-il enfin du mode de prise de décision dans les réunions (quand on y prend des décisions, puisqu’il n’en va pas toujours ainsi) ? A-t-on recours au vote ? C’est le cas à Athènes, même si le peuple peut donc aussi faire entendre son avis par la manifestation bruyante de son accord ou de son mécontentement. Le pouvoir de décision revient en tout cas in fine toujours aux citoyens par le vote (N. Villacèque). C’est une des différences parmi d’autres avec les contiones : on n’y vote pas. Le vote se fait en comice, selon des règles privilégiant les citoyens les plus fortunés, la contio ne constituant qu’un espace de consultation (D. Hiebel). Par ailleurs, les décisions sont-elles prises à la majorité ou doit-on aboutir à une forme de consensus ? Et comment celui-ci est-il atteint ? Dans le cas des enquêtes publiques d’Ancien Régime, F. Graber note qu’on a parfois recours au vote dans les communautés villageoises afin de définir une position partagée concernant un projet d’aménagement. Le vote n’est cependant jamais conclusif, la nature et la justification des oppositions éventuellement exprimées étant plus importantes, l’objectif étant au final d’offrir l’image d’une communauté soudée. Si le consensus n’est pas recherché en tant que tel, le vote doit contribuer à incarner l’unanimité du groupe. Plus largement, la recherche du consensus ne semble pas un leitmotiv des expériences présentées ici. Le terme est relativement peu employé, et la participation vise surtout à exprimer d’éventuels désaccords autour d’un projet. S’il ne s’agit pas de faire de la recherche du consensus une invention moderne – celui-ci est important par exemple pour les républicains dans le dernier tiers du XIXe siècle (P. Cossart, W. Keith), et il semble également valorisé dans les town-meetings de Nouvelle-Angleterre, ou du moins dans les procès-verbaux de délibération parvenus jusqu’à nous (voir notamment Zimmerman, 1999) – force est de constater que sa valorisation dans les expériences délibératives paraît plus importante dans les dernières décennies, notamment suite aux travaux de J. Habermas.

Quid des effets de la participation ?

52Les effets de la participation sur les décisions publiques sont évidemment difficiles à cerner (Mazeaud, Sa Vilas Boas, Berthomé, 2012), qui plus est d’un point de vue historique. Si l’on manque d’éléments dans le cas des expériences ascendantes de participation, nous disposons de davantage de données concernant les dispositifs institués. D. Hiebel souligne que l’opposition des contiones n’empêchait pas les rogators de passer parfois en force contre l’avis des participants, en présentant de nouveau une proposition légèrement modifiée ou en menaçant le peuple de toute leur auctoritas : ce qui conduit l’auteure à mettre en doute la nature démocratique de la République romaine. Si les contiones constituaient des espaces délibératifs, les avantages et inconvénients d’une proposition étant soupesés et les participants pouvant à certains moments exprimer leurs oppositions par leurs clameurs, le pouvoir de décision n’en demeurait pas moins aux mains de l’oligarchie romaine. La situation est différente à Athènes, où les espaces de délibération occupaient une place centrale dans le processus décisionnel de cette démocratie directe. Un des apports de l’article de N. Villacèque est cependant de dépasser une lecture purement formelle des espaces démocratiques. Si d’un point de vue institutionnel, Athènes était une démocratie directe, on avance souvent que les Athéniens étaient gouvernés par l’élite, capable de les orienter à sa guise par ses qualités rhétoriques. L’auteure souligne, à l’inverse, que si le démos ne prenait quasiment jamais la parole à la tribune, il jouait un rôle politique décisif, tant par son vote que par le chahut qu’il était capable de créer à l’Assemblée, qui lui permettait d’orienter les décisions, même les plus importantes (partir ou non à la guerre, par exemple). Les élites devaient donc convaincre les Athéniens de la validité des propositions qu’ils soumettaient à la discussion : le peuple était souverain.

53À bien des égards le cas athénien demeure unique, tant les autres expériences mises en regard ici, bien qu’offrant une place au peuple assemblé, lui octroient au final bien peu de pouvoir. Dans le cas des enquêtes publiques de l’Ancien Régime, non seulement la participation est en règle générale réservée aux élites locales, mais celles-ci avaient peu de chances de parvenir à remettre en cause les projets du roi. Il convient néanmoins de distinguer plusieurs cas. Quand les enquêtes avaient valeur juridique, organisant la consultation de la population au sujet de projets royaux, la parole recueillie paraît ne servir qu’à fonder la légitimité du projet, les différents points de vue assurant la vérité juridique. Mais dans le cas des enquêtes d’intendants, de nature administrative, suscitées par des projets de particuliers demandant l’autorisation royale, il est arrivé que les participants parviennent à remettre en cause le projet, comme le souligne F. Graber :

54

« Dans le cas des marais d’Artois, dont le dessèchement/triage a été autorisé en 1779 et suscite l’opposition de nombreuses communautés d’habitants, qui en viennent parfois aux mains pour éviter la mise en culture de leurs marais, le conseil du roi se range en 1785 à l’avis de l’intendant d’Artois, qui pour mettre fin à plusieurs années de désordres et de luttes, propose de remettre la décision aux habitants. »

55Si une telle décision conduit le roi à remettre en cause le projet, ce n’est peut-être pas tant la crainte du désordre qui le motive, que la volonté de soutenir le conseil d’Artois, et plus largement la volonté de reprendre la main sur un parlement en quête d’autonomie. L’article montre ainsi que les effets potentiels des dispositifs participatifs ne peuvent être cernés sans les replacer dans le contexte politique et social qui les rend possibles. Alors que sociologie historique et sociologie de l’action publique semblent converger ces dernières années (Laborier, Trom, 2003 ; Payre, Pollet, 2005), le repérage précis, sources à l’appui, des effets de la participation sur les décisions publiques, à travers l’histoire, demeure néanmoins un chantier ouvert.

56Au-delà de leurs effets sur les décisions publiques, les dispositifs considérés sont parfois perçus comme des espaces de transformation potentielle des participants, des lieux d’éducation, de formation à la citoyenneté. Il s’agit alors de s’interroger sur les effets internes des procédures délibératives sur les individus et les groupes. Les instances délibératives contemporaines ont souvent été valorisées pour leur capacité à former de « meilleurs citoyens » (Mansbridge, 1999) ou à « renouveler la citoyenneté » (Ackerman, Fishkin, 2003). D’abord, parce que le fait d’échanger sur des questions politiques permettrait d’entretenir chez les individus un souci pour la chose publique, au-delà de leurs intérêts particuliers. Ensuite, parce que les institutions délibératives constitueraient de possibles « écoles de démocratie » (Talpin, 2011) : un lieu où l’on devient citoyen en faisant l’apprentissage d’un débat raisonné sur la chose publique. Alors que ce discours relatifs aux vertus pédagogiques de la participation se retrouve à travers l’histoire des idées, d’Aristote à Machiavel, de Tocqueville à John Stuart Mill, qu’en est-il des pratiques observées ici ?

57Il s’agit de l’objectif central attribué aux associations étudiées par S. Aonuma : si elles ont joué, dans un second temps, un rôle de mobilisation collective, elles ont initialement été conçues comme des espaces d’apprentissage de la prise de parole et de la rhétorique en assemblée. L’éducation se fait par la pratique directe du discours. À l’inverse, dans les réunions contradictoires des débuts de la Troisième République française, et dans les forums américains du début du XXe siècle étudiés par P. Cossart et W. Keith, c’est principalement par l’écoute de discours politiques ou de conférences d’experts (et par leurs réactions à ceux-ci, bien que parfois limitées) que les citoyens sont censés former leurs opinions – même si dans le cas américain, le Forum Movement, qui tente de mettre en pratique la discussion comme mode de participation, se développe en parallèle à la tentative, par les départements universitaires de speech communication, de mettre en avant l’importance de la discussion (par rapport au débat).

58Si des entreprises de politisation et de formation de la citoyenneté sont décrites, une difficulté de l’approche historique émerge en filigrane de ce numéro quant à leur réception. Ainsi lorsque N. Villacèque avance que « loin d’abrutir le peuple, les discours des orateurs, sur la Pnyx comme dans les tribunaux, l’éduquent », le lecteur manque peut-être d’éléments empiriques pouvant en attester. S. Aonuma offre à cet égard une piste originale, en pointant des éléments de réception des discours à l’aide d’un matériau iconographique. Si dans un cas, le discours semble susciter peu de réactions, si ce n’est critiques, de la part du public, dans un second, ce dernier semble enthousiaste, au point de troubler l’ordre public. Ces gravures lui permettent ainsi d’interroger les conditions de félicité des discours tenus dans les kessha qu’il étudie. Mais, de la réception des discours aux effets socialisants plus durables qu’ils peuvent créer, il y a un pas. L’auteur indique ainsi que « certains membres des kessha sont parvenus à accéder à des sièges parlementaires », ce qui ne signifie pas pour autant qu’on puisse rapporter de façon sûre cette trajectoire de professionnalisation politique au fait d’être passé par un club de débat. Comment évaluer précisément alors si des processus d’apprentissage s’enclenchent, si les pratiques, les savoirs et savoir-faire, ainsi que les trajectoires évoluent ? Afin d’évaluer des effets éventuels, les approches socio-historiques du politique s’appuient en général sur le croisement d’une description fine de la vie politique et des formes de sociabilité locales, et de données quantitatives. L’augmentation de la participation électorale, la croissance des effectifs militants, les candidatures ou les résultats électoraux peuvent en effet apparaître comme autant de signes d’une politisation en marche, issue (au moins en partie) du travail politique de mise en forme de la citoyenneté. Souvent, pourtant, ces données sont peu visibles dans les sources, d’autant plus lorsque l’on n’a pas affaire à des formes officielles ou institutionnalisées de participation (Cossart, Talpin, 2012). Une des pistes de recherche qui se dégage de ce numéro est ainsi l’étude historique des effets de la participation sur les individus et les groupes engagés. Alors que le discours relatif aux vertus éducatives de la participation a traversé l’histoire de la philosophie politique et est désormais bien repéré, que les recherches empiriques contemporaines commencent à s’accumuler sur ce sujet, il paraît important de confronter certains résultats aux formes plus anciennes de participation.

59Au-delà des effets sur les individus, la participation peut également contribuer à former des groupes, à façonner leur identité collective. Si nous disposons de peu d’éléments dans les articles assemblés ici, cette question traverse la sociologie historique des mouvements sociaux. Des travaux canoniques ont ainsi souligné le rôle d’espaces infra- ou para-politiques (chambrées, dortoirs d’esclaves, pubs, maisons du peuple, etc.) dans la politisation des individus et la formation d’une conscience de classe (Thompson, 1963 ; Agulhon, 1970 ; Scott, 1990). Mais il s’agit en général d’espaces non politiques, fréquentés à des fins de sociabilité, qui parviennent, de proche en proche, par les interactions entre individus politisés et non politisés, à imprégner certains participants (Cossart, Talpin, 2012). Des recherches comparatives mériteraient de ce point de vue d’être conduites, analysant les modalités de formation d’une identité collective au sein de dispositifs participatifs au regard d’autres arènes moins politiques. P. Cossart et J. Talpin (2011) ont ainsi souligné, dans leur étude de la mobilisation des habitants de l’Alma-Gare à Roubaix dans les années 1970, comment la « réunion du mercredi », sorte d’assemblée générale des habitants du quartier, au-delà de la circulation des arguments et des témoignages, et d’éventuelles prises de décisions collectives, avait contribué à la formation d’une identité partagée des habitants en lutte. Ici, la délibération permet à la fois de prendre des décisions éclairées et légitimes, mais également de faire advenir le groupe : c’est parce qu’il n’est pas entièrement « parlé » par d’autres que le groupe peut se constituer sur des bases solides, propices à une mobilisation pérenne.

Conclusion. « Faire flèche de tout bois pour comprendre » [7]

60Nous avons adopté ici une perspective qui peut sembler cavalière en matière d’usage de la comparaison, même si elle a déjà été adoptée par d’autres. Certains y verraient peut-être, à tort selon nous, un « comparatisme paresseux » (Schöttler, 1993, p. 102). Nous pratiquons sans doute l’anachronisme, mais espérons l’avoir fait de façon contrôlée, pour citer Nicole Loraux (1993, p. 23-24) : « en toute connaissance de cause et en choisissant les modalités de l’opération ». Si nous ne respectons pas la chronologie, nous pensons avoir été attentifs à éviter « la projection dans le passé de désirs du temps présent » (Hobsbawm, 1994, p. 61). Comme importation sur des terrains passés de questions nées des temps présents et, en retour, de questions propres aux temps passés à des expériences contemporaines, l’anachronisme est fructueux, tant que nous sommes conscients des risques de l’opération et donc vigilants quant aux différences de contextes. Il s’agit de « traiter le présent comme une réserve de questions » et sans chercher dans le passé des préfigurations du présent, de « revenir lesté des questions du passé vers le présent » (Kaluszynski, Wahnich, 1998, p. 30 ; en référence à Loraux, 1993). En mettant la réflexion sur la délibération en rapport avec diverses expériences historiques observées de près, en établissant des éclairages approfondis des pratiques et discours pour des moments et espaces donnés, nous avons voulu enrichir les interrogations contemporaines quant aux vertus et limites de la participation. Nous avons donc opté pour une observation empirique solide, plutôt que pour une synthèse embarrassée de concepts potentiellement obscurs. Nous avons en particulier voulu éviter deux pièges : celui de l’idéalisation et celui de la dénonciation simplificatrices (faire par exemple d’Athènes un modèle à retrouver tel quel, même si, on l’a vu, les particularités de cette démocratie directe expliquent la postérité du modèle athénien, ou de l’époque médiévale un temps aveugle au débat public). Les recherches gagnent à être croisées sur le plan diachronique, car l’entreprise permet de rompre avec l’ethnocentrisme et ses prénotions, et car les questions soulevées par les arènes de participation du passé et celles de l’heure actuelle comportent des points communs. Le rapprochement passé/présent est donc un moyen, parmi d’autres, de nourrir notre imagination scientifique mais aussi politique.

Notes

  • [1]
    Ce numéro thématique a été réalisé dans le prolongement de la Section Thématique 37 du XIe Congrès de l’Association Française de Science Politique, organisée par Paula Cossart et Julien Talpin, Participation ou délibération ? Sociologie historique de l’implication des citoyens en démocratie, Strasbourg, 31 août-1er septembre 2011. Nous remercions ici les « discutants » des papiers présentés, Loïc Blondiaux et Jean-Philippe Heurtin. Cette section a été tenue et financée dans le cadre de l’enquête collective de l’ANR PARTHAGE (PArticipation démocratique et Recherche coopérative : Traduction, Hybridation et Apprentissage dans la Gouvernance et l’espace public de l’Environnement), coordonnée par Rémi Lefebvre. Une partie des articles de ce dossier ne sont toutefois pas issus de cette section. Merci à Marion Carrel et Samuel Hayat pour leur relecture d’une précédente version de ce texte. Les propos exprimés ici restent bien sûr de l’entière responsabilité de leurs auteurs.
  • [2]
    Il s’agit d’un réseau thématique de l’ECPR (European Consortium for Political Research). Cf. http://www.democraticinnovations.net/. Sur la rhétorique de l’innovation, voir aussi : Hendricks, Dryzek, Hunold (2007), Setälä (2010), Michels (2011).
  • [3]
    Cette entreprise de repérage a été notamment initiée par P. Cossart et W. Keith, dans le cadre du projet DPHC « Démocratie participative. Aspects historiques et contemporains » (coordonné par M. Carrel et P. Cossart), contrat de recherche CPER-Meshs, Lille, 2009-2010.
  • [4]
    Sur le modèle processuel d’Elias, sa « volonté affichée d’une modélisation dynamique », voir notamment la présentation (et traduction) de « The Retreat of the Sociologists into the Present » in Chauvin S., Weber F. (2003).
  • [5]
    On est bien sûr loin ici de l’analyse, faite notamment par J. Fishkin (1995), du cri spartiate comme précurseur des applaudimètres médiatiques d’aujourd’hui. Sur cette question, voir notamment Girard (2011, p. 148-149).
  • [6]
    Le terme rogatio désigne la demande adressée au peuple romain par les consuls ou les tribuns quand ils veulent faire passer une loi.
  • [7]
    Nous reprenons ici une expression de Paul Veyne, dans ses pages sur l’histoire comparée (Veyne, 1971, p. 155).
Français

Résumé

Cette introduction vise à interroger d’un point de vue méthodologique et épistémologique la pertinence d’une comparaison des pratiques délibératives à travers le temps et l’espace. À partir d’une discussion des différentes approches du comparatisme historique, nous défendons les vertus d’un comparatisme dérangeant, celui de « comparer l’incomparable » (Detienne), d’un « anachronisme contrôlé » (Loraux) permettant d’interroger les expériences du passé sous un nouveau jour à partir de questions contemporaines, mais aussi de mieux comprendre les dynamiques présentes à l’aune de leur historicité. Nous revenons ensuite sur certains apports du numéro quant à la compréhension de la participation citoyenne aux négociations, aux débats publics, aux processus d’expertise et de décision, à partir de quatre questionnements transversaux aux articles : sur les raisons de la participation, ses acteurs, ses formes et ses effets.

Mots-clés

  • comparaison
  • historicisation
  • délibération
  • participation

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Paula Cossart
Docteure en science politique, Paula Cossart est maître de conférences en sociologie à l’Université Lille III (Centre de Recherche « Individus, Épreuves, Sociétés », CeRIES, EA 3589) et membre de l’Institut Universitaire de France. Son dernier livre, sur l’histoire des meetings politiques, retrace le passage d’un modèle de réunion comme lieu de débat contradictoire entre adversaires politiques à une réunion devenue démonstration de force du groupe organisateur. Ses recherches actuelles portent sur la sociologie historique de la démocratie participative. Elle s’intéresse en particulier à la généalogie des dispositifs délibératifs. Parmi ses dernières publications : Le meeting politique. De la délibération à la manifestation (1868-1939), PUR, 2010 ; « Initiative, Référendum, Recall. Progrès ou recul démocratique ? États-Unis, 1880-1940 », in M.-H. Bacqué, Y. Sintomer (dir.), La démocratie participative. Histoire et généalogie, Paris, La Découverte, 2011 ; Paula Cossart et Julien Talpin, « “Les coopératives ne valent que pour battre monnaie”. Les relations du champ politique socialiste et de la coopération ouvrière à Roubaix (fin XIXe - début XXe siècle) », in L. Le Gall, M. Offerlé, F. Ploux (dir.), La politique sans en avoir l’air. Aspects de la politique informelle, XIXe-XXIe siècle, Rennes, PUR, 2012.
Julien Talpin
Julien Talpin est chargé de recherche en science politique au CNRS, au sein du Centre de Recherches Administratives Politiques et Sociales (Ceraps, UMR 8026/Université Lille 2). Ses recherches portent sur l’ethnographie de la participation politique, la démocratie participative, les processus de politisation et le rapport des classes populaires au politique. Il a récemment consacré un ouvrage aux effets individuels et collectifs de l’engagement au sein d’institutions de budgets participatifs : Schools of Democracy. How Ordinary Citizens (Sometimes) Become More Competent in Participatory Budgeting Institutions, Colchester, ECPR Press, 2011. Il a également publié avec Y. Sintomer (dir.), La démocratie participative au-delà de la proximité. Le Poitou-Charentes et l’échelle régionale, Rennes, PUR, 2011 ; et avec Y. Sintomer (dir.), « La démocratie délibérative », Raisons politiques, 42, 2011.
William Keith
William Keith est professeur de communication à l’Université de Wisconsin-Milwaukee. Il a obtenu son doctorat de l’Université du Texas (Austin). William Keith a enseigné à l’Oregon State University, à l’Université Northwestern et à l’Université d’Oslo. Il a également donné de nombreuses conférences sur la démocratie et la pédagogie du discours à l’Université de Duke, à l’Université d’Indiana, à l’Université de l’État du Kansas et à l’Université de Washington. Il a publié de nombreux ouvrages sur la rhétorique de la science, l’argumentation et l’histoire de la démocratie délibérative dans le contexte des États-Unis. Il a coédité avec Alan Gross, Rhetorical Hermeneutics (SUNY Press, 1998) et plus récemment publié Democracy as Discussion: The American Forum Movement and Civic Education (Lexington Books, 2007). Avec Pat Gehrke, il est en train de coéditer un volume célébrant le centenaire du champ de la Speech Communication aux États-Unis (Routledge, 2014).
Dernière publication diffusée sur Cairn.info ou sur un portail partenaire
Mis en ligne sur Cairn.info le 08/10/2012
https://doi.org/10.3917/parti.003.0005
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