CAIRN.INFO : Matières à réflexion

1 Les Norvégiens peuvent parler de destin pétrolier. Le gisement pétrolier Aldous Major South qui a été découvert début août 2011 en mer du Nord pourrait être selon Statoil, le groupe pétrolier national norvégien – excédent productif de 8 % en 2012 –, l’un des dix plus volumineux jamais localisés dans les eaux du pays, entre 200 et 400 millions de barils équivalents pétrole (bep) ; il est relié au gisement Avaldsnes avec lequel il constitue un réservoir susceptible de contenir de 500 millions à 1,2 milliards de bep, la question étant maintenant de savoir si les deux gisements communiquent aussi avec Aldous Major North. Une première depuis le milieu des années 1980. Le gisement découvert est détenu à 40 % par Statoil, à 30 % par l’autre Norvégien (public) Petoro, à 20 % par encore un autre norvégien Det norske oljeselskap et par le suédois Lundin à 10 % [2]. Et encore début 2014, Statoil annonce la découverte de grosses réserves en hydrocarbures sur Askja West et Askja East et voisins l’un de l’autre : de 19 à 44 millions de bep, soit 47 % de la consommation quotidienne mondiale de brut : Statoil est détenteur de 50 % de la licence d’exploration contre 25 % respectivement au Suédois Svenska Petroleum et à Det norske oljeselskap. Une découverte cependant relativement limitée en comparaison des milliards de bep contenus dans les plus gros gisements norvégiens. La mer du Nord, bien que très exploitée, recèlerait encore un tiers des réserves de brut norvégiennes. Excellente nouvelle, en tout cas, pour les Norvégiens dès lors que ces dernières années les découvertes au large du pays s’étaient raréfiées, de même qu’elles se situaient fréquemment dans des zones plus difficiles d’accès, les projets les plus spectaculaires se révélant eux aussi décevants. Voilà pourquoi Statoil avait revu fin décembre 2013 à la baisse ses estimations pour le projet Johan Sverdrup, l’un des plus grands gisements jamais découverts en Norvège, et retardé sa mise en exploitation de plus d’un an. Rien d’étonnant à ce que les prévisions du groupe eût chuté de 17 % au dernier trimestre 2013. En 2014, les Norvégiens allaient se concentrer plutôt sur la maintenance d’installations vieillissantes [3].

2 Tout de même : de nouveaux gisements avec une capacité de production estimée à 15 millions de barils/jours découverts durant les derniers mois de l’année 2012 ; une production de deux millions de barils/jour et plus de 5 milliards de réserves ; septième exportateur de pétrole au monde avec 1,8 milliard de barils/jours (chiffres de 2011) devant les Émirats arabes unis ; un pays qui se classe pour le gaz à la troisième place derrière la Russie et le Qatar avec 111 milliards de m2 ; qui possède un territoire de 300 000 km2 à cheval sur le Cercle arctique ; qui figure de façon stable aux premiers rangs du classement ONU pour la qualité de vie. La Norvège, traditionnellement considérée avec arrogance par les ex-dominateurs danois et suédois, s’est transformée sur quelque 40 années en une puissance énergétique [4].

3 Le pays nordique dispose d’un trésor de guerre de 750 milliards de dollars géré par un fonds souverain dont la création remonte à 1990. En effet, l’État norvégien encaisse des rentrées supérieures à 40 milliards annuels et un surplus qui sont investis dans deux fonds souverains : le Statens pensjonfond Utland, Fonds de pension gouvernemental-Étranger, soit le « fonds pétrolier » (Oljefondet), et le Statens pensjonfond Norge, soit le Fonds de pension gouvernemental-Norvège. Concept clé, celui d’Omstille qui consiste à innover dans le secteur stratégique de l’énergie de façon à conquérir de nouveaux marchés. L’Oljefondet se porte bien [5]. Il est sujet à un encadrement rigide (et prévoyant), la handlingsregelen, cette règle d’or qui établit un plafonnement de 4 % de ce qui est prélevé par le gouvernement pour financer son budget et au-delà duquel il ne peut pas puiser dans le fonds. C’est justement grâce à cette dernière règle prudentielle – et à l’envolée des matières premières – que l’Oljefondet est devenu aujourd’hui le premier du monde avec 1,25 % de la capitalisation boursière mondiale, devançant Abu Dhabi et les fonds chinois. Et c’est à propos de celle-ci que « la classe politique se déchire » ; les conservateurs (Høyre) et le Parti du Progrès (Fremskrittpartiet, FrP) anti-immigrationniste qui ont formé une coalition après l’avoir largement emporté aux législatives sont à cet égard divisés : les premiers plaident en faveur de la rigueur et du statu quo, alors que les seconds qui ont précisément obtenu les ministères des Finances et du Pétrole demandent un relèvement du plafond pour financer les infrastructures, l’éducation et la recherche [6].

4 Problème géopolitique de taille, la crise financière en Europe amenait l’Oljefondet à recadrer au premier trimestre 2012 ses investissements dans la zone euro au bénéfice du Mexique, du Brésil et de l’Inde [7].

Les champs pétroliers norvégiens en mer du Nord

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Îles Oseberg
Shetland
NORVÈGE
Frigg
Îles Orcades M e r
du Nord
Frigg UK Pipeline
Oseberg
St. Fergus
FriggAWseksjta
ÉCOSSE
Askja
Glasgow Édimbourg EastDANEMARK

Les champs pétroliers norvégiens en mer du Nord

Notes

  • [1]
    Essayiste, Oslo
  • [2]
    Cf. Juliette Villeroy, « Un gisement pétrolier géant découvert au large de la Norvège », Le Figaro, 17 août 2011.
  • [3]
    Cf. Pauline Curtet, « La Norvège découvre deux gisements de pétrole en mer du Nord », Le Figaro, 3 janvier 2014.
  • [4]
    Cf. Maria Serena Natale, « Norvegia, un “emirato” del Nord che garantisce il welfare per tutti », Corriere della Sera, 7 janvier 2013.
  • [5]
    Cf. Øystein Kløvstad Langberg, « Oljefondet vokste kraftig i andre kvartal Avkastningen endte på 3,3 prosent eller 192 milliarder kroner fra april til juni », 20 août 2014, www.aftenposten.no/okonomi/article7673842.ece [21 août 2014] avec photo du chef de l’Oljefondet, Yngve Slyngstad.
  • [6]
    Cf. Anne Cheyvialle, « La Norvège divisée sur l’usage de son bas de laine pétrolier », Le Figaro, 7-8 septembre 2013 : le risque d’une injection de beaucoup d’argent public, c’est une déstabilisation de l’économie alors que le pays connaît un quasi plein emploi et une croissance dynamique, estimée à 2,3 % en 2014, malgré le ralentissement.
  • [7]
    « Norwegens Ölfonds reduziert Investitionen im Euroraum », FAZ, 5 mai 2012.
Arne Jacobsen [1]
  • [1]
    Essayiste, Oslo
Traduit du norvégien par 
Paul Claudel
Cette publication est la plus récente de l'auteur sur Cairn.info.
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Mis en ligne sur Cairn.info le 22/12/2014
https://doi.org/10.3917/oute1.041.0152
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