CAIRN.INFO : Matières à réflexion

1 L’année 2012 marque le 20e anniversaire de la normalisation des relations diplomatiques entre la République populaire de Chine (RPC) et la République de Corée (Republic of Korea, ROK). Il s’agit d’une nouvelle ère dès lors que les deux pays ont changé de direction politique.

ÉVOLUTION DES RELATIONS RPC-ROK SUR LES VINGT DERNIÈRES ANNÉES

2 Les deux pays ont renoué des relations diplomatiques après des décennies d’isolement réciproque le 24 août 1992. Les performances dues à cette relation bilatérale sont patentes. On est passé d’un « partenariat coopératif » en 1997 à un « partenariat coopératif global » en 2003, et à un « partenariat coopératif stratégique » depuis 2008.

3 Obstacles à une progression plus avancée Un certain nombre de problèmes doivent être résolus Questions relatives à des opinions divergentes en matière de sécurité

4 Bien que la Chine et la Corée du Sud aient en commun l’objectif du maintien de la paix et de la stabilité dans la péninsule, les opinions quant à sa réalisation divergent. Une divergence qui est devenue majeure dans les relations entre les deux pays. La Chine s’oppose à de quelconques provocations et s’emploie à prévenir toute escalade. Afin de promouvoir la paix et la stabilité dans la péninsule, Pékin a accueilli les Pourparlers à six et a également soutenu les sanctions du Conseil de sécurité des Nations unies sur la Corée du Nord dès lors que cette dernière avait effectué des essais nucléaires violant les résolutions de l’ONU. Depuis que le patrouilleur sud-coréen Cheonan a été torpillé et l’île de Yeonpyeong bombardée en 2010, le gouvernement sud-coréen a adopté une « ligne dure » vis-à-vis de Pyongyang et renforcé son partenariat avec les États-Unis. Consécutivement au naufrage du Cheonan, les États-Unis ont mené des exercices militaires conjoints avec la Corée du Sud comme avec le Japon ; l’un d’entre eux a eu lieu en mer Jaune, à une proximité provocatrice du territoire chinois et perçue par les Chinois, même si telle n’était pas l’intention des Coréens, comme une menace potentielle.

QUESTIONS RÉSOLUES DE CONCERT PAR LA CORÉE ET LA CHINE

5 Malgré semblables divergences des points de vue, il y a des questions sur lesquelles la Corée du Sud et la Chine ont déjà trouvé un consensus de base et travaillent à les résoudre. Ces questions ne touchent pas aux intérêts vitaux des deux pays et leur résolution ne devrait donc pas saper le développement des relations sino-sud-coréennes si elles sont abordées correctement par les deux parties. Questions typiques entrant dans cette catégorie, les contentieux sur la pêche et les frontières maritimes. Le gouvernement chinois a mis en œuvre diverses mesures traitant de ces matières : abaissement de la durée de vie des bateaux de pêche, amélioration du programme de développement des zones côtières, de même que le rééquilibrage économique et la protection tant de l’environnement que de la pêche. Ce genre de problèmes seront résolus dans un avenir proche par la coopération entre les deux pays.

PROBLÈMES POSÉS PAR DES MÉPRISES OU BIEN DES SYSTÈMES DE VALEURS DIFFÉRENTS

6 Bien que la Chine et la Corée du Sud partagent la tradition confucéenne, les deux pays ont emprunté chacun son chemin pendant les temps modernes et donc développé des systèmes de valeurs différents. Bien que des divergences normatives et historiques ne touchent pas nécessairement aux intérêts vitaux des deux pays, des méprises de fond peuvent causer des problèmes, comme le montre l’exemple typique du Dongbei gongcheng (Projet du Nord-Est), lui-même issu du Serial Research Project on the History and Current State of the Northeast Borderland, mené conjointement par l’Académie chinoise des sciences sociales et les trois provinces du Nord-Est de 2002 à 2007. Selon le projet, les historiens chinois estimaient que le royaume de Kogury? (37 av. J.-C. – 668 ap. J.-C.) dont le territoire s’étendait sur une bonne partie orientale de la Mandchourie et la moitié nord de la péninsule coréenne avait été établi par les antiques peuples du Nord-Est de la Chine. Alors que pour les chercheurs coréens Kogury? appartient à l’histoire de leur pays et n’a rien à voir avec la Chine. En fait, du moment où on trouve difficilement en Chine des financements pour pareilles recherches dans des disciplines comme l’histoire, le patronage du gouvernement chinois était destiné à promouvoir la recherche historique dans le pays. Mais justement ce patronage allait susciter la méfiance de certains chercheurs coréens quant à des arrière-pensées gouvernementales, ce qui rendit l’affaire encore plus sensible.

LES QUESTIONS DE LA COOPÉRATION ÉCONOMIQUE

7 Pendant les deux dernières décennies, la Chine et la Corée du Sud ont réalisé d’énormes performances en matière de coopération économique. Mais depuis l’établissement des relations diplomatiques en 1992, la Chine a enregistré des balances commerciales défavorables et l’écart import-export s’est creusé. Certes, il est difficile d’éviter les problèmes en termes de commerce bilatéral, mais ce genre de disputes peuvent être traitées efficacement sur les bases du bénéfice mutuel et de la réciprocité.

8 Chine et Corée du Sud ont des intérêts communs. Après des décennies d’isolement réciproque, les vingt dernières années ont appris aux deux pays à résoudre les différends. De fréquents échanges rendent certaines frictions inévitables. Les deux pays devraient affronter ces problèmes dans une perspective stratégique sur le long terme, ce qui requiert de la patience, le sens du compromis et la coopération.

INTÉRÊTS COMMUNS AU MAINTIEN DE LA PAIX ET DE LA STABILITÉ DANS LA PÉNINSULE CORÉENNE

9 La dénucléarisation de la péninsule coréenne est dans l’intérêt de la Chine comme de la Corée du Sud. Dès lors que la Corée du Nord a effectué son troisième test nucléaire, les problèmes de sécurité dans la péninsule coréenne constituent toujours un défi important pour les nouvelles directions chinoise et sud-coréenne, ainsi que pour toutes les parties prenantes significatives comme les États-Unis. Durant sa campagne électorale la présidente nouvellement élue de Corée du Sud, Park Geun-hye a signalé que la relation de confiance mutuelle à construire avec la Corée du Nord aurait pour condition l’arrêt des programmes nucléaires de ce pays. Mais le « programme de confiance » est confronté, depuis le troisième essai nord-coréen, à un défi majeur. Il n’empêche que la Chine et la Corée du Sud devraient se focaliser sur des mécanismes de gestion de crise susceptibles de prévenir toute escalade dans la région.

SUGGESTIONS D’ORDRE POLITIQUE AFIN D’AMÉLIORER LES RELATIONS ENTRE LA RPC ET LA ROK

COOPÉRATION DANS LE MAINTIEN DE LA PAIX ET POUR LA STABILISATION DE LA PÉNINSULE CORÉENNE

10 Vu les circonstances, la dénucléarisation de la péninsule va prendre beaucoup de temps. La position une fois de plus adoptée par la Corée du Nord à l’égard des résolutions du Conseil de sécurité des Nations unies souligne l’urgence et la nécessité d’une solution effective aux questions posées par la péninsule. La position chinoise reste ici extrêmement claire et uniforme. Dans la situation actuelle, une coopération de la Corée du Sud et de la Chine est très importante. Les violations des résolutions du Conseil de sécurité par la Corée du Nord ont encore isolé cette dernière par rapport à la communauté internationale. La Chine, pour sa part, n’a cessé de chercher à persuader la Corée du Nord de s’écarter de la « priorité militaire » et de se recentrer sur les développements économiques. Mais les efforts de la Chine ne peuvent être efficaces que dans le cadre d’une coopération internationale, Corée du Sud incluse. Sur une planète qui se mondialise rapidement, la Corée du Nord aura du mal à développer son économie sans réformes et ouverture au reste du marché global. Voilà pourquoi les sanctions ne devraient pas être la seule méthode pour traiter avec la Corée du Nord. S’ouvrent du même coup de formidables opportunités de coopération étroite entre la Chine et la Corée du Sud en matière de relations internationales quant à la péninsule coréenne.

ÉTABLIR UNE GESTION DES CRISES ET UN MÉCANISME DE COORDINATION

11 En l’absence de canaux efficaces de communication et de mécanismes de consultation après le bombardement de l’île de Yeonpyeong, nombre de Coréens ont commencé à juger fragile le partenariat sino-sud-coréen, ce qui a exacerbé la méfiance relative entre les deux pays. Comme il a été indiqué au lendemain de l’incident de l’île de Yeonpyeong, il est important d’établir un mécanisme de gestion de crise entre la Chine et la Corée du Sud capable de promouvoir efficacement la compréhension mutuelle et de prévenir une escalade du conflit dans la péninsule. Ce qui permettra de réassurer chacune des deux parties sur les intentions stratégiques de l’autre.

PROMOUVOIR LA COOPÉRATION BILATÉRALE EN MATIÈRE ÉCONOMIQUE

12 Les deux économies chinoise et sud-coréenne sont en général complémentaires. D’où d’amples perspectives de win-win. Pendant les dix années à venir, les deux pays devraient rehausser leur niveau de communication et de coordination ainsi que promouvoir la commerce bilatéral. Il leur faut renforcer la coopération dans les secteurs stratégiques et encourager la coopération économique entre les entreprises. Il convient en outre de négliger les différences mineures et de se concentrer plutôt sur les terrains communs, de même que d’associer les efforts de façon à accélérer le processus de négociation du traité de libre-échange entre les deux pays et faciliter la coopération économique en Asie orientale.

ÉTENDRE LES RELATIONS CULTURELLES ET UNIVERSITAIRES

13 Afin de réduire le champ des méprises et de construire un environnement social favorable au développement des relations, les chercheurs et les médias des deux pays, tout comme leurs gouvernements respectifs, joueront un rôle crucial. D’abord en élargissant les relations universitaires et culturelles. Ensuite en promouvant les liens entre les jeunes générations par l’envoi régulier de délégations mutuelles et l’organisation de camps de vacances dans les pays respectifs. Enfin, les étudiants se verront assigner une fonction médiatrice.

PROMOUVOIR LA CONFIANCE ET LA COMPRÉHENSION MUTUELLES

14 Ici, les relations entre des dirigeants qui ont une meilleure connaissance des pays respectifs compte beaucoup. La nouvelle présidente sud-coréenne Park Geun-hye a visité la Chine en qualité d’envoyé spécial en 2008 et a une bonne connaissance de la culture chinoise. Certains membres de la nouvelle direction chinoise ont étudié et travaillé dans la péninsule coréenne et connaissent mieux les questions afférentes. Semblable compréhension mutuelle devrait permettre l’approfondissement des relations entre les deux pays durant la décennie à venir.

15 On mobilisera les Zhihuapai (Coréens qui connaissent fort bien la Chine) et les Zhiahanpai (Chinois qui connaissent fort bien la Corée) lesquels, de par l’expérience acquise, peuvent améliorer la connaissance générale des deux pays et sont susceptibles de fournir des données objectives et rationnelles aux politiques étrangères.

16 Les fonctionnaires chinois et sud-coréens vont donc jouer un rôle crucial et positif en pesant sur l’orientation de leurs médias et de leurs opinions publiques. D’autant qu’à l’âge de l’information, les relations internationales entre les deux pays retiendront facilement l’attention des citoyens.

EFFETS POSITIFS SUR DES RELATIONS ÉTATS-UNIS-CHINE AMÉLIORÉES

17 De meilleures relations entre Chine et États-Unis ne bénéficieront pas seulement à ces deux derniers pays, mais à tous ceux d’Asie orientale, Corée du Sud incluse. La Chine et les États-Unis peuvent collaborer dans le maintien de la paix dans la péninsule coréenne.

18 Les relations États-Unis-Chine ne sont pas un jeu à somme nulle, mais plutôt un jeu où la communication et la coopération peuvent induire des effets win-win. Plus il y aura de consensus stratégique entre les deux pays, plus l’environnement dans la péninsule coréenne sera favorable à la paix et à la stabilité. Compte tenu d’une longue histoire de communication culturelle et d’échanges actifs entre les Chinois et les Coréens, les chercheurs sud-coréens peuvent cependant avoir une approche plus objective des développements en Chine. De même que la Corée du Sud peut jouer un rôle positif, en tant qu’allié étroit des États-Unis et partenaire stratégique de la Chine, dans la promotion d’une compréhension et d’une confiance réciproques entre les États-Unis et la Chine.

CONCLUSION

19 Comme le dit un proverbe chinois, « des voisins proches valent mieux que des parents lointains ». Durant les vingt dernières années, les liens bilatéraux entre Chine et Corée du Sud ont considérablement progressé. Une période relativement courte pour deux pays qui ont en commun une histoire remontant à des milliers d’années. Une communication fréquente et franche permettra d’écarter les obstacles à une progression future. Et ce dans l’intérêt de la paix et de la stabilité dans la péninsule coréenne.

Liu Qun
Wu Shan [1]
  • [1]
    Visiting Fellow au Foreign Policy Studies Department de l’Asian Institute for Policy Studies, Séoul ; stagiaire au Center for China Studies de l’Asian Institute for Policy Studies. Version abrégée de « The Way Ahead : The Next Decade of PRC-ROK Relations », The Asian Institute for Policy Studies, Korea University, Issue Brief n° 47, 12 mars 2013.
Traduit de l’anglais par 
Esther Baron
Cette publication est la plus récente de l'auteur sur Cairn.info.
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Mis en ligne sur Cairn.info le 24/09/2014
https://doi.org/10.3917/oute1.039.0262
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