CAIRN.INFO : Matières à réflexion
« Quentin Tarantino fait des films de mec, et de très bons films avec ça. C’est un vrai mec, un vrai cinéphile, un vrai passionné (…) qui, habituellement, il faut bien le dire, a peu à offrir aux femmes qui traversent son espace filmique. »
Ruby Rich, Day of the Woman

1La sortie en 2007 du sixième film de Quentin Tarantino, Boulevard de la mort[1], a suscité de nombreuses polémiques et ajouté un nouveau chapitre au long débat sur la représentation de la violence contre les femmes au cinéma. En montrant l’agression brutale de huit jeunes femmes par un tueur en série, et la vengeance non moins brutale de trois d’entre elles, le film du célèbre réalisateur américain ouvrait en effet un boulevard à une discussion sur les rapports entre l’univers tarantinien et le féminisme. Cette discussion, déjà entamée avec la sortie de ses trois derniers films, Jackie Brown et Kill Bill Vol. 1 et 2, tous trois centrés sur une protagoniste féminine, a pourtant pris un nouveau virage à la suite de la division des critiques féministes face au film. Certaines l’ont salué comme une célébration de la force féminine (et féministe), comme un hymne pop à la capacité des femmes à résister et à se venger de leurs oppresseurs [2] ; tandis que d’autres n’y ont vu au contraire qu’une énième sexualisation de la violence contre les femmes. Deux conceptions féministes de la culture populaire et de ses effets s’affrontaient dans la réception du film : une perspective « culturaliste », empruntant ses modèles d’appréhension aux cultural studies, et une perspective « procensure » inspirée des analyses antipornographie. Au centre de ce débat, et malgré les critiques parfois acerbes qui lui furent adressées, Tarantino tira son épingle du jeu en se retranchant dans une posture résolument ironique qui lui permettait de reproduire des structures de représentation objectivantes à l’égard les femmes, tout en coupant l’herbe sous le pied des féministes. Nous allons ici nous pencher sur le sexisme « postmodernisé » du cinéaste qui, tout en rendant hommage aux films d’exploitation des années 1970 [3], exploite lui-même à tour de bras la culture féministe en surfant sur une vague culturelle « postféministe » parfois dépolitisante.

Postféminisme et grosses bagnoles

2Mis à part une certaine esthétique cheap faite de sauts de pellicule, le film de Tarantino a peu en commun avec les films d’horreur auxquels il prétend rendre hommage [4]. L’une des différences majeures qui distingue BDM des slashers[5] des années 1970 dont il se réclame est que Tarantino a complètement intégré la critique féministe adressée à ce genre filmique, allant même jusqu’à citer comme inspiration principale le célèbre ouvrage de Carol Clover (1992), Men, Women and Chain Saws. La difficulté à saisir les enjeux de la politique de la représentation du genre au sein de BDM naît de cette assimilation d’un certain féminisme par la culture populaire. Ce processus d’assimilation, que de nombreuses auteures ont analysé sous le terme « postféminisme » [6] correspond à une phase historique où les industries culturelles ont digéré le féminisme pour en faire une valeur marchande vidée de sa composante radicale et de sa volonté de transformation sociale. Le postféminisme relève aussi d’un paradoxe : tandis que la culture féministe « mainstream » s’est diffusée dans la culture populaire, avec elle est passée l’idée que l’égalité était déjà acquise, que la lutte contre l’hégémonie masculine était désormais inutile, rendue obsolète par des avancées amplement suffisantes. En un sens, la diffusion du postféminisme dans la culture de masse inaugure donc la fin de la représentation du féminisme en tant que mouvement social contemporain, utile et actif.

3Le discours sur l’égalité de genre semble avoir été à ce point culturellement intégré (ce qui ne veut pas dire que l’égalité soit pour autant aujourd’hui une réalité) qu’il apparaît désormais comme daté et dépassé. La poursuite de l’égalité étant perçue comme un combat d’arrière-garde, l’imagerie culturelle postféministe se concentre soit sur la représentation d’un pouvoir féminin – souvent en ayant recours à un simple retournement des rapports de pouvoir genrés – soit sur les difficultés que l’émancipation des femmes est censée entraîner. Janet McCabe et Kim Akass notaient que l’idée posféministe de la fin de l’inégalité « contribue à la production de représentations individualisantes et dépolitisantes de la puissance et l’impuissance des femmes » (2006 : 9). Ally McBeal, Bridget Jones ou les filles de Sex and the City constituent des figures postféministes par excellence : émancipées et indépendantes, elles sont néanmoins victimes de leur supposée libération, obligées de s’accommoder d’une nouvelle position sociale qui exige qu’elles concilient vie professionnelle, vie sexuelle et vie sentimentale. Le discours sous-jacent véhiculé par les tribulations de ces héroïnes est que l’égalité impose de nouvelles contraintes, si ce n’est un nouveau « corset social », auxquelles de nombreuses femmes ont les plus grandes difficultés à s’adapter [7].

4À l’autre bout du spectre postféministe, Beatrix Kiddo, la protagoniste de Kill Bill, ou les trois filles donnant l’assaut final au serial killer de BDM expriment un pouvoir féminin décuplé par l’indépendance. Ce pouvoir postféministe s’exprime via un mélange des genres pour le moins curieux : une stylisation hyperféminine des corps, accompagnée d’une psychologie et d’affects typiquement codés comme masculins, le tout saupoudré de valeurs et ambitions sociales traditionnellement féminines. Kiddo (Uma Thurman) incarne à la perfection cette hybridité postféministe par laquelle la puissance d’agir des femmes est néanmoins mise sous contrôle : son appropriation d’outils et d’affects habituellement articulés à la masculinité (le sabre et la vengeance) se trouve chapeautée par un système de valeurs dit féminin plaçant la maternité au centre de ses actions. En d’autres termes, la violence de Kiddo, et son potentiel de vengeance contre les agents du sexisme, est canalisée via la maternité et, ainsi, rendue impuissante à menacer véritablement les opérateurs de l’hégémonie masculine.

5Comme Kiddo, les héroïnes de BDM incarnent simultanément l’hyper-féminité et une certaine forme de masculinité violente, flirtant parfois avec la grossièreté. Certain·e·s critiques ont noté, à propos des dialogues crus et sexuellement orientés des héroïnes de Tarantino, que plutôt que d’exprimer les pensées de ces jeunes femmes, ceux-ci semblaient refléter les propos du cinéaste, comme s’il parlait lui-même au travers de ses personnages féminins, comme si la représentation d’une indépendance et d’une puissance féminines se résumait, pour le réalisateur, à figurer des hommes dans des corps de femmes – un fait qui ne peut que souligner à quel point les concepts mêmes de puissance et d’autonomie restent souvent cantonnés à la sphère culturelle du masculin (Wood, 2007). Lors d’une de ces fameuses conversations « entre filles », deux jeunes femmes parlent de « films de bagnoles » devant leurs amies. Devant l’ignorance de ces dernières, l’une des cinéphiles lance : « La plupart des filles ne connaissent pas [ces films]. » La réponse de l’une des « filles » n’est pas sans faire écho à l’interrogation de Wood : « La plupart des filles ? Mais vous, vous êtes quoi alors ? » La question ici posée est celle de la figure postféministe de la « femme forte » : que signifie cette représentation au sein d’une culture qui, plutôt que d’étendre la sphère conceptuelle du pouvoir pour le conjuguer au féminin, préfère représenter les femmes puissantes comme des hommes comme les autres ? À moins que ce « quoi » désignant le genre de ces femmes fans de « car movies » n’ouvre un espace de désidentification avec les modèles de féminités assignés, traçant les contours d’une « female masculinity » ou d’une masculinité sans homme (Halberstam, 1998 ; Noble, 2005 ; Bourcier et Molinier, 2008) constituée dans le rapport qu’entretiennent ces per son nages à l’écran de cinéma. La masculinisation des héroïnes de films d’horreur constituant un des tropes centraux de ce genre filmique, analysé notamment par Clover (1992) ou Halberstam (1995), nul doute que ce dialogue est un clin d’œil aux amateurs et amatrices de ce cinéma. Même si la circulation de la masculinité et sa désarticulation d’avec les corps assignés à la position « mâle » opère parfois dans le cinéma d’horreur comme une critique du régime sexe/genre dominant, il est toutefois regrettable qu’elles se doublent souvent d’une dévalorisation de la féminité. BDM ne déroge pas à cette règle : les héroïnes masculines dirigent la narration et orchestrent la vengeance, tandis que la féminité est reléguée au siège arrière du récit (le personnage de Rosario Dawson, spectatrice enthousiaste mais passive, à l’arrière de la voiture), quand elle n’est pas purement et simplement évacuée (l’actrice habillée en pom-pom girl, abandonnée à son sort hors-champ).

6Le retournement des rapports de pouvoir représenté dans l’iconographie postféministe contemporaine opère également dans la droite ligne d’un trope sexiste aujourd’hui omniprésent, l’imagerie mettant en scène des « femmes rebelles ». La figuration de femmes puissantes, armées ou violentes et disposant de caractéristiques ou attributs féminins exacerbés relève d’une longue tradition de la culture populaire le long d’un continuum qui va de Betty Page aux héroïnes de Russ Meyer, de Ilsa à Pamela Anderson en Barb Wire. Le point commun entre toutes ces figures est qu’elles s’inscrivent dans un univers fantasmatique masculin hétérosexuel où le pouvoir est sexualisé [8]. L’expression d’un pouvoir féminin, notamment lorsqu’il est couplé, comme c’est souvent le cas, à une plastique voluptueuse, fait de ces femmes des figures érotiques. Là où le trope de l’infirmière sexy exprime l’attachement des hommes qui le reproduisent et le font circuler aux politiques genrées du care, par lequel les femmes sont assignés aux soins et au travail affectif, le trope de la rébellion des femmes exprime le désir de certains hommes d’abandonner le poids et les contraintes liées à la domination, pour se laisser aller, dans l’intimité des alcôves, aux délices d’une soumission choisie. En marquant les « contraintes » liées à la domination, nous souhaitons indiquer le travail de contrôle et censure de soi que requièrent les performances de genre attendues des hommes. L’occupation active de l’espace, physique et social, demande une énergie et un investissement qu’il est impossible de maintenir à un niveau constant. Ainsi, sans doute faut-il « lire » ces moments où les hommes hétérosexuels s’abandonnent à une soumission sexuelle, ou s’investissent affectivement dans des représentations de femmes puissantes et armées, comme des temps de loisirs où ils tentent de desserrer un instant l’emprise que le genre et la domination a aussi sur eux.

7On pourrait en outre analyser cette imagerie de la « révolte des femmes » comme une domestication du féminisme : en intégrant les luttes des femmes au sein d’une constellation fantasmatique hétérosexuelle, les discours féministes se trouvent propulsés de force dans un réseau de signification masculin qui rêve l’enjeu du féminisme en un jeu de séduction straight. Ainsi, là où quelque trente ans en arrière, on dés(hétéro)exualisait les féministes, c’est aujourd’hui en les sur(hétéro)sexualisant que l’on tente de dépolitiser leurs propos. La féministe, imaginée en top moulant et au volant d’une Dodge Challenger roulant à 300 km/heure, devient une figure hypersexuelle dont la force d’action et la puissance d’agir sont limitées par ses propres désirs et besoins « féminins » – la mode et l’amour des hommes (dans BDM) ou la maternité (dans Kill Bill).

8La description que nous venons de faire du postféminisme ne serait pas complète si nous n’y ajoutions les connotations de réflexivité liées au préfixe « post- ». En effet, outre qu’il signifie une période postérieure à l’accomplissement de l’objectif féministe, le postféminisme selon Quentin Tarantino enregistre, lui aussi, l’ambiguïté du drôle de « post- » qui le caractérise. Cette ambiguïté est d’ordre temporel : le postféminisme est-il le temps d’un « après la lutte féministe » ou celui d’une phase critique et réflexive face aux politiques féministes de la seconde vague ? [9] C’est sur cette temporalité double que joue le film de Tarantino. D’abord, en projetant des héroïnes contemporaines dans l’univers culturel et esthétique des années 1970 [10] ; ensuite, et c’est sur ce point que nous voudrions centrer notre analyse, en mettant la critique féministe au cœur de la narration, notamment en faisant référence à cet autre postféminisme [11] que serait le courant inspiré des cultural studies et du postmodernisme via les clins d’œil à Carol Clover. Cette intégration du féminisme au récit permet au cinéaste de se situer dans une posture réflexive, tout en ringardisant un pan de la culture féministe pour la renvoyer aux oubliettes seventies de l’histoire.

9Il ne s’agira pas dans cet article de définir si Quentin Tarantino est féministe. À l’évidence, cette question ne peut être résolue sans au préalable forclore le champ définitionnel du féminisme ; une option qui, pour utile stratégiquement qu’elle puisse être, nous conduirait à bloquer l’horizon des perspectives théoriques, méthodologiques et politiques qui ont pu émerger précisément grâce à la non-clôture et à l’indéfinition du champ. De la même façon, nous tenterons d’éviter la question, récurrente dans les études culturelles [12], consistant à savoir si l’objet étudié est « subversif » ou s’il reproduit des structures hégémoniques. Outre que la réponse à cette question est toujours la même (« il y a de l’ambivalence »), cette interrogation marque, comme le notait récemment Eve Kosofsky Sedgwick (2003 : 12), un retour inattendu et bien malheureux à la dichotomie libération/répression mise à mal par Foucault dans La volonté de savoir. L’insistance de Foucault sur le caractère productif du pouvoir, et la fertilité de cette conception dans le domaine des cultural studies féministes, nous permet de penser les effets sociaux et culturels d’un film comme BDM de façon bien plus dynamique afin de voir ce qu’il produit aussi bien en termes de représentation que de discours sur le genre ou la politique féministe. Le retour au discours de la libération-subversion ou de la répression-reproduction conduit bien souvent à produire une lecture figée de la culture populaire visant à célébrer ou critiquer l’objet étudié indépendamment de ses modalités d’appropriation par les publics ou contrepublics (Warner, 2002), ou sans se pencher sur ce qu’il prescrit ou proscrit en termes de représentation. Nous nous concentrerons ici sur les politiques de la représentation à l’œuvre dans BDM, soit sur sa formulation active de discours élaborant et transmettant des cadres de pensée permettant aux spectatrices et spectateurs d’appréhender le genre et les enjeux féministes aujourd’hui. Si l’ambivalence est bien entendu de mise dans le film de Tarantino, nous choisissons d’articuler une lecture du film visant à mettre en relief la façon dont il figure et « défigure » le féminisme.

Feministploitation

10L’hommage rendu dans BDM au cinéma d’exploitation des années 1970 – notamment le slasher et la sexploitation[13] – s’est révélé quelque peu embarrassant face aux critiques de nombreuses féministes selon lesquelles, tout réflexif que soit le film, il n’en relevait pas moins d’une logique d’exploitation du corps féminin. La promotion européenne du film se trouva perturbée par deux actions féministes : l’une à Glasgow, l’autre à Liverpool. Menée conjointement par The Scottish Coalition Againt Sexual Exploitation (SCASE), Scottish Women’s Aid et Zero Tolerance sous l’égide de l’association Scottish Women Against Pornography (SWAP), l’action écossaise consistait à exiger du Glasgow Film Theatre, où devait avoir lieu la première du film, d’annuler la projection. La codirectrice de SWAP justifiait cette demande de censure en expliquant que « ce type de contenu violent, sadique et sexiste contribue à produire et à renforcer une société dans laquelle le viol et la violence sont perçus comme normaux et légitimes ». Le film fut même taxé de « torture porn » ou « gorno » (mot-valise mélangeant gore et porno), termes avec lesquels le film Hostel 2, produit par Tarantino, avait été accueilli quelques mois auparavant avec la plus grande froideur. Dans un communiqué de presse, le SCASE précisait la portée de son propos :

11

« Cette protestation va bien au-delà de la condamnation d’un seul film et d’un seul homme : elle concerne la ‹ culture porno › émergente au sein de laquelle ces films fleurissent. Ces films de ‹ porno-torture › érotisent la violence contre les femmes pour la vendre au public comme s’il s’agissait d’un divertissement. ».
(cité dans Bynorth, 2008)

12Ces propos renvoient à la tradition féministe procensure anglo-américaine dont l’opposition à la pornographie et au cinéma d’horreur a souvent employé la même rhétorique. Bien que la critique du SCASE vis-à-vis de l’érotisation de la violence contre les femmes puisse être pertinente en certains cas, sa condamnation unilatérale du cinéma d’horreur et pornographique, comme si les politiques de la représentation à l’œuvre dans chacun de ces genres étaient de même ordre et comme si tous deux étaient en eux-mêmes des entités homogènes, nous semble problématique. Le repli de la critique féministe de l’objectivation des femmes dans la culture visuelle sur deux genres populaires et marginalisés tend, tout d’abord, à laisser hors de vue, et donc hors d’atteinte, des formes filmiques considérées comme majeures (le cinéma dit « d’auteur »), où le sexisme est pourtant tout aussi répandu. D’autre part, la présentation de l’horreur et de la pornographie comme des formes génériques homogènes a pour effet dommageable d’invisibiliser complètement l’importante contribution de femmes, de féministes et de lesbiennes à ces genres qu’elles ont justement eu l’opportunité d’explorer et d’exploiter (à leur tour) en raison de leur caractère mineur et marginal [14]. Les stratégies de résistance au sein de la pornographie et du cinéma d’horreur doivent êtres valorisées, encouragées et célébrées plutôt que sacrifiées sur l’autel d’une argumentation réductrice, contribuant malencontreusement à effacer les tentatives féministes de transformation de ces genres de l’intérieur.

13Comme nous l’avons dit, le modèle conceptuel qui guide la logique argumentative des groupes féministes demandant l’annulation de la première à Glasgow s’inscrit dans l’histoire du féminisme dit « procensure » ; plus particulièrement, il fait écho aux écrits de Catharine MacKinnon sur la pornographie comme violence faite aux femmes. L’approche de MacKinnon vis-à-vis de la pornographie et, plus généralement, de la représentation de la violence dans la culture populaire, relève d’une conception performative en ce sens qu’elle considère que celle-ci constitue littéralement une agression contre les femmes qui, loin de simplement exprimer l’inégalité de genre, la produirait performativement. Ainsi, dans Ce ne sont que des mots, MacKinnon propose de « considérer les pornographes comme co-responsables des viols dont il peut être prouvé qu’ils les ont inspirés » (2007 : 108). Outre le caractère indémontrable d’une telle « responsabilité », ce qui est frappant dans l’analyse de MacKinnon est son insistance sur « les actes » que selon elle la pornographie commettrait (102). La performativité de ladite violence pornographique se redouble chez MacKinnon d’un modèle de la communication qui n’a rien à envier à la fameuse « seringue hypodermique » de Laswell [15]. Il semble que, pour la juriste, les conceptions du genre et de la sexualité que véhiculent les films pornographiques s’impriment directement dans les cervelles passives des spectateurs, à tel point que ceux d’entre eux qui commettraient des actes de violence ne seraient que partiellement responsables de leurs actes, victimes qu’ils seraient de l’emprise de la pornographie.

14Les attaques contre BDM en Angleterre rejoignaient ces analyses sur la force performative de la culture populaire. Pourtant, les difficultés qu’ont eues les groupes féministes à faire entendre leur voix (la couverture médiatique se limitait à quelques articles de presse), voire à atteindre leurs objectifs (la première à Glasgow a été maintenue), tendent à démontrer à quel point l’ironie de Tarantino vis-à-vis du féminisme fut efficace, notamment en reléguant la critique procensure dans le passé.

À l’épreuve du féminisme

15Le jeu ironique, réflexif et intertextuel qu’a mis en place Tarantino au sein et autour de son dernier film lui a permis de se jouer des critiques qui lui furent adressées et de déjouer les attaques à son encontre. Un des exemples frappants permettant de comprendre comment le cinéaste a pu si aisément balayer les critiques féministes est d’ordre extradiégétique : il s’agit de la figurine « Rapist N° 1 » (« Violeur N° 1 ») à son effigie. Cette figurine représentait le personnage de soldat interprété par Tarantino dans Planète Terreur (la première partie du diptyque dans lequel était compris BDM) [16] qui tentait de violer l’héroïne (Rose McGowan) avant de voir ses yeux transpercés par une paire de ciseaux et une seringue.

16La mise sur le marché de ce jouet au goût plutôt douteux constituait l’un des arguments principaux des féministes britanniques à l’encontre du cinéaste (voir l’article d’Emma Wood, l’une des organisatrices des protestations à Liverpool – Wood, 2007). C’est ici qu’apparaît clairement l’efficacité de l’ironie tarantinienne, et l’obstacle qu’elle a pu constituer pour les militantes féministes. En effet, contrairement à l’argumentation des militantes de Liverpool, il semble que la figurine ne représentait pas tant une banalisation du viol qu’une parodie des positions féministes sur lesquelles elles fondaient précisément leur critique. Par ce jouet, Tarantino assimilait réalisateur et violeur, recréant en cela dans l’espace public la figure du « réalisateur-violeur » que décriait MacKinnon. Le « Rapist N° 1 » opérait ainsi comme une parodie critique de la conception performative des féministes procensure, moquant l’idée de la coresponsabilité du cinéaste face aux violences réelles. Si nous ne partageons pas les perspectives théoriques de MacKinnon ou des positions antipornographie, il est néanmoins particulièrement déplaisant de voir le cinéaste ainsi exploiter, déconsidérer et ringardiser tout un pan de la tradition critique féministe qui a grandement contribué à élargir le débat autour de l’impact des industries culturelles sur la construction du genre et des rapports de pouvoir genrés.

17La figure du « réalisateur-violeur » se retrouvait aussi dans les deux films qui composent Grindhouse. Dans Planète Terreur, Tarantino tente de violer l’une de ses actrices, Rose McGowan, qui dans BDM périra dans d’atroces souffrances. Ainsi, lorsque celle-ci lui plante un ciseau dans l’œil, c’est tout autant le personnage du violeur, que le « male gaze » objectivant du cinéaste qu’elle vise. C’est précisément dans ce type de clin d’œil méta-textuel que s’exprime l’ironie et ladite réflexivité du cinéaste vis-à-vis de sa pratique filmique : l’actrice exploitée crevant les yeux du réalisateur-violeur. Dans BDM, nous retrouvons Tarantino dans une position similaire, interprétant un tenancier de bar entouré de serveuses à ses ordres. Au travers de ses deux personnages s’exprime sa distance critique vis-à-vis du réalisateur comme figure de l’exploitation et de l’objectivation des femmes ; le fait de se mettre ainsi en scène étant censé souligner sa conscience des problèmes que posent les rapports de genre au sein des espaces filmiques et des économies de tournage.

18Il semble que l’articulation d’une analyse critique des politiques du genre à l’œuvre dans BDM nécessite de cartographier un espace d’où l’on puisse à la fois s’opposer à la conception de MacKinnon et des féministes procensure – pour qui la pornographie et l’horreur seraient de véritables monstres de puissance performative – et à la conception du féminisme de Tarantino – pour qui l’égalité semble se limiter à la disponibilité de la violence pour toutes et tous. Afin d’éviter le piège que constitue l’ironie du cinéaste peut-être serait-il efficace de retourner contre lui les armes critiques issues des cultural studies féministes nord-américaines qu’il se plaît tant à manier via ses références constantes, dans le film et ailleurs, à Carol Clover (1992).

Le viol et la vengeance

19Quentin Tarantino dit s’être explicitement appuyé sur les analyses de Clover pour construire son film :

20

« L’une des principales inspirations du film – particulièrement en ce qui concerne la première partie, la plus slasher – provient du livre de Carol Clover (…). Son chapitre sur la « Final Girl », sur le rôle que joue le genre dans les films d’horreur, est le meilleur article de critique filmique que j’ai jamais lu. Il a renouvelé mon amour pour le slasher et lorsque j’ai fait BDM, j’ai clairement appliqué ses leçons. ».
(James, 2008)

21L’ouvrage de Clover visait à défaire l’idée selon laquelle les films d’horreur seraient l’expression paradigmatique du « male gaze » analysé par Laura Mulvey comme une technologie d’objectivation des femmes (Mulvey, 1993). Clover conteste l’argument selon lequel le cinéma d’horreur serait un espace de formation du regard des hommes construit sur la base du sadisme et du voyeurisme. Elle analyse la structure narrative générique du slasher selon laquelle l’une des protagonistes finit invariablement par survivre et/ou se venger en s’appropriant les outils de la masculinité (la tronçonneuse, le couteau ou encore le costume de l’assassin), attribuant à ce personnage féminin central des récits horrifiques contemporains le nom de « final girl ». Pour Clover, le processus d’identification des spectateurs (masculins) au film est double et suit la progression narrative : dans la première partie, ils occupent une position sadique – celle du point de vue de l’assassin – ensuite remplacée par une position masochiste – celle du point de vue de la final girl au travers duquel ils se repaîtraient du spectacle de la déconstruction de la masculinité, dépouillée de ses artifices techniques par l’héroïne.

22Conformément à l’analyse de Clover, BDM est segmenté en deux parties. Dans la première, quatre jeunes femmes sortent en virée pour boire, faire la fête et draguer, sans savoir qu’un homme du nom de Stuntman Mike les observe à l’ombre du comptoir. Ex-cascadeur de cinéma, Stuntman Mike poursuit les filles dans sa voiture « à l’épreuve de la mort » (le sens du titre original, Death Proof) afin de provoquer des accidents dont il est le seul à sortir indemne. Leur nuit de beuverie terminée, les filles partent en voiture et se retrouvent face à face avec l’engin rugissant de Mike : la violence du choc frontal s’avérera mortelle pour les quatre héroïnes. Dans la seconde partie, quatre autres jeunes femmes se racontent leurs déboires sentimentaux et sexuels tandis que rôde l’assassin à quatre roues. Lorsque celui-ci passe à l’action et percute leur voiture avec l’intention de provoquer un accident, il ignore encore que deux d’entre elles sont des cascadeuses émérites, adeptes de sensations fortes et de grosses voitures. La réponse à son agression ne se fera pas attendre : les filles contre-attaquent, le poursuivent et le tuent dans un déluge de jubilation.

23Une grande partie de l’ouvrage de Clover analyse un sous-genre particulier du cinéma horrifique où la structure narrative duelle s’exprime de manière hyperbolique : le « rape and revenge film ». La structure narrative de ces films, que l’on retrouve également dans BDM, est aussi explicite que leur appellation : une femme est violée, puis se venge en assassinant ses agresseurs. La première partie du film de Tarantino présente le viol métaphorique de quatre jeunes femmes par Stuntman Mike. Selon une opération classique de métaphorisation du sexe par la violence qu’a très justement analysée Judith Halberstam (1998 : 138-160), l’accident de voiture vient signifier la pénétration forcée, tandis que les jaillissements de débris de verre et la section brutale de la jambe de l’une des protagonistes représentent le climax orgasmique du cascadeur (du cinéaste ?). Comme dans le découpage des films pornographiques hétérosexuels, démembrant et reconstituant les corps au gré des plans, la jambe de Jungle Julia se trouve littéralement réduite à un fétiche, figurant le désir du cinéaste pour le corps féminin. Cette lecture est très largement facilitée par le film, étant donné la fétichisation constante dont les jambes et les pieds féminins y font l’objet [17]. Au-delà, on pourrait penser qu’il s’agit, là encore, d’un mauvais tour joué par le cinéaste à la performativité mackinnonienne : l’objectivation du corps féminin qu’opère le cinéaste via sa réduction à une jambe est tellement performative qu’elle aboutit à ce que celle-ci soit tranchée, représentant ainsi toute l’extrême violence du regard masculin.

24Malgré les jubilations qu’elle provoque quasi irrémédiablement dans les salles obscures, la seconde partie du film censée marquer la revanche des femmes agressées, n’est pas, elle aussi, sans poser problème. Là où la protagoniste d’un film comme I Spit On Your Grave s’assurait elle-même de sa revanche, ce sont ici d’autres jeunes femmes, complètement ignorantes du meurtre des filles du premier segment, qui vont mettre fin aux agissements de Mike. En d’autres termes, si ces femmes prennent leur revanche pour elles-mêmes pour l’agression qu’elles ont subie, elles ne vengent pas pour autant Jungle Julia et ses amies. La punition pour un crime ne vaut pas pour un autre et, malgré les appels explicites de Tarantino pour une interprétation de son film suivant les lignes narratives du « rape and revenge », le meurtre de Jungle Julia et de ses amies restera impuni (Burdeau et Neyrat, 2007 ; Burdeau, 2007). Ce qui apparaît ici en filigrane, et qui semble parfaitement correspondre à une certaine culture postféministe qui a imprégné les représentations populaires, est le délitement de la solidarité entre femmes comme levier politique et l’effacement des espaces collectifs comme lieux de formation de l’action. Les femmes de BDM ne manifestent aucune solidarité les unes à l’égard des autres, ne luttent que pour elles-mêmes et ignorent totalement les vies de ces autres femmes, et victimes du cascadeur, qui côtoient leur espace filmique. C’est aussi en cela que BDM est dépolitisant, en ce qu’il représente le féminisme comme une résistance individuelle totalement déconnectée de tout mouvement social ou collectif. Cette individualisation du féminisme s’exprime avec force dans une séquence au cours de laquelle trois des jeunes femmes abandonnent une de leurs amies aux mains du propriétaire de la Dodge Challenger qu’elles souhaitent essayer. Afin de le convaincre de les autoriser à faire un tour avec la voiture, l’une d’entre elles lui dit qu’il aura ainsi le temps de « faire connaissance » avec leur amie Lee qu’elle présente comme une actrice porno. Cette scène de désolidarisation féminine, où les personnages délaissent leur amie et l’exposent à un viol potentiel pour une virée en voiture, est – c’est le moins qu’on puisse dire – peu féministe. Il est d’ailleurs intéressant de noter que même parmi les actrices, le bien-fondé de cette séquence fut remis en question. Rosario Dawson, l’actrice interprétant le personnage censé convaincre le propriétaire dans la séquence, a exprimé dans la presse ses réticences vis-à-vis de la scène et dit avoir insisté auprès du cinéaste pour que celle-ci soit réécrite.

25L’actrice féministe [Dawson] admet avoir eu du mal avec cette scène car, selon elle, une femme n’en abandonnerait pas une autre si elle avait la sensation qu’elle était en danger, mais Tarantino, très directif, refusa d’écouter ses griefs. « J’en ai parlé à Quentin à plusieurs reprises, raconte Dawson, parce que cela me posait vraiment problème de laisser cette fille. Je lui ai dit : ‹ Il n’est pas question que je l’abandonne. J’adore cette fille, on est copines. › Quentin a dit non. Je lui ai demandé : ‹ Est-ce que je peux au moins lui lancer les clés de la voiture ? ›. Il m’a répondu : ‹ Non, ce n’est pas comme ça que la scène va se passer . » [18]

26L’insistance de Tarantino à conserver cette séquence en l’état, malgré les protestations et les propositions de modifications de Dawson, indique bien que celle-ci n’est pas anodine dans le récit. On s’interrogera donc sur le destin de Lee à la fin du film, car tandis que le public applaudit les exploits des trois vengeresses, l’issue de cette histoire reste complètement incertaine pour ce personnage en danger. Lorsque se déroule le générique de fin, la menace du viol plane toujours. Lee a glissé hors du récit, laissant derrière elle un goût amer, celui du danger qui persiste malgré la puissance féminine et celui d’une complicité des héroïnes avec l’hégémonie masculine, représentée sous la forme d’une bagnole rutilante.

La dernière séance

27L’une des critiques régulièrement adressées au cinéma de Quentin Tarantino porte sur sa tendance à s’approprier des éléments issus des cultures minoritaires, à les remixer en un tableau postmoderne jouant sur l’intertextualité et l’ironie, et à les vider de la spécificité de leur ancrage politique (Gleason, 2004). C’était par exemple le cas avec Reservoir Dogs ou, plus explicitement avec Pulp Fiction et Jackie Brown, qui tous trois s’appropriaient le parler, la culture et l’esthétique noires américaines afin de surfer sur la vitalité et la force affective que la culture blanche leur attribue traditionnellement dans le contexte états-unien (Gormley, 2005) [19]. Au regard des méthodes de construction narratives et esthétiques des films de Tarantino, BDM n’apparaît que comme une nouvelle appropriation d’une culture minoritaire – la culture féministe – qu’il exploite et dépolitise, usant d’effets de surface, telle la vengeance des héroïnes, pour continuer à véhiculer des stéréotypes de genre.

28La Palme d’or sous le bras et les couronnes tressées par les Cahiers du Cinéma sur les oreilles, Quentin Tarantino apparaît en France et en Europe comme un véritable « auteur » dont la marque formelle serait à chercher du côté de son postmodernisme, de ses jeux sur l’intertextualité, la citationalité et l’ironie. Tandis que le caractère intertextuel et citationnel de ses films le situe dans une approche élitiste de la cinéphilie bien loin de la culture populaire qu’il revendique [20], l’ironie qu’il manie est, quant à elle, à double tranchant. Prenant ses distances avec les sujets minoritaires qu’il représente, le cinéaste ironique tresse un tissu discursif qui provoque simultanément jubilation (ce sont les minoritaires qui s’en sortent) et impuissance (les minoritaires ne s’en sortent qu’au prix de la reproduction des structures de pouvoir hégémonique). Pourtant, les politiques de la représentation dans BDM ne se limitent pas simplement à la production d’une impuissance féministe ou d’une puissance féminine biaisée par sa complicité avec le sexisme systémique. Au-delà, le discours élaboré et transmis par le film est celui de l’annonce (espérons qu’elle ne soit pas performative) de la fin du féminisme issu des années 1970, que Quentin Tarantino fait apparaître comme désormais aussi usé que les bobines de séries B.

Notes

  • [1]
    Dans la suite de l’article, nous utiliserons l’abréviation BDM pour désigner le film.
  • [2]
    Voir par exemple Thomas (2007), Azpazia (2007) ou Flanagan (2007).
  • [3]
    On appelle « cinéma d’exploitation » un type de film produit sans moyens et dont l’objectif principal est la rentabilité commerciale. Cinéma thématique ou de niche, déclinant de nombreux sous-genres parmi lesquels la sexploitation, la blaxploitation, les films de ninja, les slashers ou encore les « shock documentaries », le cinéma d’exploitation misait sur des campagnes de promotion racoleuses et regorgeant de superlatifs pour promouvoir des films tournés dans l’urgence et dont les qualités techniques ou scénaristiques laissaient parfois à désirer. On considère souvent que les années 1970 constituent l’âge d’or de ce cinéma. Pour une présentation du cinéma d’exploitation et de ses sous-genres, notamment la sexploitation, voir Mad Movies (coll.), 2007. Grindhouse : le cinéma d’exploitation, hors-série N° 11. Paris : Custom Publishing France.
  • [4]
    Il serait d’ailleurs intéressant d’analyser la construction par le cinéaste d’une esthétique de la pauvreté mimant le manque de moyens et le cinéma de bouts de ficelle des années 1970. Par manque d’espace, nous laisserons de côté l’exploration de cette piste, et sa corrélation avec le présent sujet.
  • [5]
    Le slasher est un sous-genre du film d’horreur. Le récit typique des slashers présente un groupe d’adolescent·e·s aux prises avec un tueur en série. Parmi les classiques du genre se trouvent, par exemple, Halloween ou Scream.
  • [6]
    Voir par exemple Coppock, Haydon et Richter (1995).
  • [7]
    Pour une position postféministe française similaire, voir cet ouvrage d’Abécassis et Bongrand (2007), où les auteures affirment que le féminisme aurait contribué à tisser un nouveau corset social contraignant les femmes à la réussite sur tous les fronts (sentimental, sexuel, professionnel).
  • [8]
    Étant donné la phase d’exploration de la masculinité et du « pouvoir » qu’ont amorcé les cultures féministes queer et SM, ces personnages ont été relus comme féministes ou appropriés comme site d’identification. Néanmoins, dans leur contexte initial de production et de diffusion, ils ont représenté un certain désir des hommes hétérosexuels de figurer un retournement des rapports de pouvoir genrés ne changeant en rien la structure binaire au sein duquel ils s’exercent.
  • [9]
    En ce sens le « post- » de postféminisme a beaucoup en commun avec ceux de postmoderne, postcolonial ou postidentitaire (Bourcier, 2008 : 107-121) et on a parfois caractérisé ce postféminisme de « troisième vague féministe ».
  • [10]
    Même si Tarantino introduit des éléments contemporains dans l’univers du film (iPods ou photos de Sofia Coppola en couverture des magazines), l’éclairage, la dégradation de la pellicule, l’ambiance musicale du film, les voitures ou certains éléments de décors renvoient très clairement aux années 1970 américaines et à leur cinéma.
  • [11]
    (Note de la p. 39.) On a ainsi souvent parlé des écrits de Judith Butler, Eve K. Sedgwick, Teresa de Lauretis ou Donna Haraway comme étant des travaux postféministes, au sens où ceux-ci repenseraient les fondements des politiques et théories féministes, par exemple en remettant en question l’homogénéité de l’identité « femme » ou l’idée que le féminisme doive être une politique identitaire. Sur le postféminisme comme espace de tension entre le féminisme postmoderne et le discours sur « la fin de l’inégalité », voir Tasker et Negra (2007) et Phoca et Wright (1999).
  • [12]
    Nous utilisons de façon indifférente les termes « cultural studies » et « études culturelles ».
  • [13]
    Voir la note 3.
  • [14]
    Parmi les nombreuses cinéastes ayant investies ces genres filmiques se trouvent notamment : Kathryn Bigelow, Doris Wishman, Mary Lambert, Hope Perello ou Rachel Talalay, pour le cinéma d’horreur ; Annie Sprikle, Maria Beatty, Petra Joy, Candida Royalle ou Joanna Angel, pour le cinéma pornographique. Le Paris Porn Film Fest et les festivals de films pornos de Berlin, Athènes ou Madrid, visent notamment à critiquer la pornographie straight et ses représentations problématiques du genre et de la sexualité, tout en visibilisant et valorisant l’émergence d’une nouvelle culture porno féministe, lesbienne et queer transformant radicalement les codes et enjeux de la pornographie. De façon intéressante, les films présentés dans ces festivals jouent souvent sur l’hybridation des formes filmiques, mixant pornographie, parodie, cinéma d’horreur et fantastique.
  • [15]
    Pour une critique des théories des effets directs des médias, et notamment du modèle de Laswell, voir Maigret (2003 : 53-64).
  • [16]
    À l’origine les films de Robert Rodriguez (Planète Terreur) et Quentin Tarantino (BDM) n’en formaient qu’un, Grindhouse, hommage aux films d’exploitation « double feature », qui proposent deux longs métrages l’un à la suite de l’autre pour le prix d’un. À la suite à l’échec commercial de cette formule aux Etats-Unis, les deux segments ont été allongés et distribués en Europe de façon distincte, tout en étant marketé comme un diptyque.
  • [17]
    Après la projection de BDM à Liverpool, lorsque Tarantino répondit aux questions du public sous les sifflets des militantes féministes, un spectateur demanda : « Êtes-vous fétichiste des pieds ? » Il répondit : « J’adore les pieds, mais on voit autant les fesses et les jambes à l’écran. En fait, j’aime tout ce qui est en dessous de la taille. » (Butler, 2007)
  • [18]
    Dépêche de World Entertainment News (2007). « Rosario Dawson ‹ Upset › with Death Proof Rape Scene ». http://www.hollywood.com/news/Dawson_Upset_with_Death_Proof_Rape_Scene/3677356
  • [19]
    La même chose pourrait sans doute être dite à propos de Kill Bill Vol. 1 dont l’orientalisme patent a encore été peu interrogé.
  • [20]
    Pour percevoir à quel point Tarantino s’est aliéné le grand public états-unien en raison de son approche formelle élitiste, on se rappellera les réactions des spectateurs et spectatrices vis-à-vis de Grindhouse. La tradition de « double feature » dont se réclamait le film était si étrangère à la plupart des Américain·e·s que Miramax a dû éditer des brochures expliquant le concept du film (sic) et la mauvaise qualité « volontaire » de la pellicule.
Français

La sortie sur les écrans du sixième film de Quentin Tarantino, Boulevard de la mort, a relancé les discussions autour des politiques de la représentation du genre à l’œuvre dans ses films. Certaines critiques ont salué le film comme une célébration de la capacité des femmes à résister et à se venger de leurs oppresseurs, tandis que d’autres n’y ont vu au contraire qu’une énième sexualisation de la violence contre les femmes. Au centre de ce débat, le cinéaste tira son épingle du jeu en se retranchant dans une posture ironique lui permettant de reproduire des structures de représentation objectivantes à l’égard des femmes, tout en coupant l’herbe sous le pied des féministes. Nous nous pencherons dans cet article sur le sexisme « postmodernisé » de Tarantino qui, tout en rendant hommage aux films d’exploitation des années 1970, exploite lui-même à tour de bras la culture féministe en surfant sur une vague culturelle « postféministe » parfois dépolitisante.

English

Quentin Tarantino and (Post)Feminism: the Gender Politics of Death Proof

The release of Quentin Tarantino’s sixth film, Death Proof, relaunched the debate on the politics of gender representation in his work. The film has been praised as a feminist film by some critics, while being blamed by others as another sexualization of the violence against women. In the midst of this debate, the director avoided taking side by entrenching himself in an « ironic posture » by which he could reproduce structures of objectivation. In this article, we will analyze Tarantino’s « postmodern sexism », which consists in paying an hommage to 1970’s exploitation films while simultaneously exploits the feminist culture by surfing on a somewhat depoliticizing « postfeminist » cultural wave.

Références

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  • Filmographie

    • Barb Wire, réal. David Hogan, US, 1996.
    • Boulevard de la mort, réal. Quentin Tarantino, US, 2007.
    • Grindhouse, réal. Roberto Rodriguez et Quentin Tarantino, US, 2007.
    • Halloween, réal. John Carpenter, US, 1978.
    • Hostel 2, réal. Eli Roth, US, 2007.
    • Ilsa, la louve SS, réal. Don Edmonds, US/Alle-magne de l’Ouest, 1975.
    • I Spit on Your Grave, réal. Meir Zarchi, US, 1975.
    • Jackie Brown, réal. Quentin Tarantino, US, 1997.
    • Kill Bill Vol. 1, réal. Quentin Tarantino, US, 2003.
    • Kill Bill Vol. 2, réal. Quentin Tarantino, US, 2004.
    • Planète Terreur, réal. Roberto Rodriguez, US, 2007.
    • Pulp Fiction, réal. Quentin Tarantino, US, 1994.
    • Reservoir Dogs, réal. Quentin Tarantino, US, 1992.
    • Scream, réal. Wes Craven, US, 1993.
Maxime Cervulle
Maxime Cervulle enseigne les études culturelles à Paris 1 Panthéon-Sorbonne et Lille 3 Charles de Gaulle. Il prépare une thèse sur les représentations de l’identité blanche dans le cinéma contemporain, sous la direction de Bernard Darras à Paris I. Il a notamment édité le recueil d’articles de Stuart Hall, Identités et cultures. Politiques des Cultural Studies (Éd. Amsterdam, 2007), ainsi que traduit Défaire le genre de Judith Butler (Éd. Amsterdam, 2006) et Épistémologie du placard d’Eve Kosofsky Sedgwick (Éd. Amsterdam, 2008).
Centre de Recherche Images, Cultures et Cognitions (CRICC), Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, UFR Arts Plastiques, 47-53, rue des Bergers, 75015 Paris, France.
Dernière publication diffusée sur Cairn.info ou sur un portail partenaire
Mis en ligne sur Cairn.info le 24/07/2015
https://doi.org/10.3917/nqf.281.0035
Pour citer cet article
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