CAIRN.INFO : Matières à réflexion

1De 1968 à 1976, un groupe d’intellectuels français – constitué de dix membres, au départ, et d’une vingtaine, par la suite – s’est réuni environ une fois par mois à Paris pour explorer les vertus de larges échanges interdisciplinaires sur la complexité, les relations sciences/société, les perspectives de développement à long terme, la prise en compte de l’environnement… La plupart des membres de ce Groupe des Dix sont des personnalités de premier plan (voir ). On sait les rôles et carrières politiques qu’ont été ceux de Michel Rocard et de Jacques Attali. On connaît aussi les références incontournables qu’ont constituées ou que constituent encore dans leur domaine les ouvrages publiés par certains de ces scientifiques. Citons, pour ne prendre que ces exemples, les six tomes de La méthode d’Edgar Morin (1977, 1980, 1986, 1991, 2001, 2004), Le macroscope de Joël de Rosnay (1975), Le cristal et la fumée d’Henri Atlan (1979), L’économique et le vivant de René Passet (1979). À chaque fois que l’occasion leur en est donnée, ceux qui ont participé à ces réunions témoignent du caractère décisif de cette expérience sur leur façon de penser, leurs écrits, leur trajectoire intellectuelle et institutionnelle [2]. Henri Atlan les décrit comme « un mélange de rigueur et d’intense liberté » (Chamak, 1997, p. 170) ; tous parlent de la très grande convivialité qui y régnait – favorisée par l’accueil à leur domicile et les repas préparés par Anne et Jacques Robin –, de l’écoute, de la chaleur humaine et du plaisir qu’ils y trouvaient. Même après sa disparition, l’impulsion donnée par le Groupe des Dix s’est poursuivie, certains de ses membres ayant créé d’autres collectifs et structures de réflexion, œuvré dans des programmations scientifiques, édité des lettres d’information (LaLettre Science/Culture, Transversales Science/Culture…), dans lesquels il était à nouveau question d’interdisciplinarité, de science des systèmes complexes, de débats relatifs à la crise écologique… Aujourd’hui encore, des manifestations revendiquent sa filiation. On pourrait multiplier ainsi les signes de l’importance qu’a revêtue le Groupe des Dix, au point où l’on pourrait parler d’une légende dorée qui a fini par l’entourer.

Encadré 1. Les membres et invités du Groupe des Dix

Les dix premiers membres du Groupe des Dix étaient : l’homme politique et économiste Robert Buron, le médecin Jacques Robin (qui était directeur général du laboratoire pharmaceutique Midy), le sociologue et philosophe Edgar Morin, le neurobiologiste Henri Laborit, l’avocat Gérard Rosenthal, le médecin et psychanalyste Jack Baillet (qui était alors conseiller du laboratoire Midy), le médecin Jacques Sauvan (qui était président de la Société française de cybernétique), l’informaticien Jean-François Boissel (qui était ingénieur à la Société nationale d’étude et de construction de moteurs d’aviation et dirigeait le Cabinet Beau de Loménie, spécialisé dans la propriété industrielle), la philosophe Françoise Coblence, le biologiste Bernard Weber (qui était alors l’assistant de Laborit) et le sociologue Alain Laurent (qui était en thèse sous la direction de Morin).
L’économiste René Passet, l’homme politique et journaliste David Rousset et l’homme politique Jacques Piette (qui est alors membre du comité directeur du Parti socialiste, maire et conseiller général d’Hénin-Beaumont) vont rejoindre le groupe des Dix au cours de l’année 1969. En avril 1971, après avoir fait un exposé sur « la société en temps réel », Joël de Rosnay demande à faire partie du groupe ; ce qui est accepté. L’année 1972 voit l’arrivée de nouveaux membres : le biophysicien Henri Atlan, l’économiste Jacques Attali et l’ethnologue et préhistorien Henri Leroi-Gourhan. En 1973, le philosophe Michel Serres, la biologiste et journaliste scientifique Odette Thibault et Michel Rocard deviennent membres à leur tour. Jacques Delors a assisté à quelques séances de travail du groupe.
À partir de la fin de l’année 1970, le Groupe des Dix a reçu des invités qui venaient présenter leurs idées et ouvrage : Jacques Monod, en décembre 1970, pour Le hasard et la nécessité (1970) ; le préhistorien André Leroi-Gourhan, en juin 1972, pour Le geste et la parole (1964, 1965) ; le biologiste François Jacob en 1972, pour La logique du vivant (1970) ; Michel Phillipot en 1973 (à propos de la composition musicale) ; René Thom (au sujet de la théorie des catastrophes) en 1975 ; l’historien des sciences François Meyer pour La surchauffe de la croissance (1974) en mars 1975 ; Gérard Mendel et Marc Guillaume (sur le thème « Désir, pouvoir et marchandises ») en février 1976 ; Jean-Pierre Dupuy (au sujet de « la conjecture de von Foerster ») en mai 1976.

2Paradoxalement, cette expérience reste, en effet, fort méconnue. On dispose de peu de matériaux au sujet de ses modalités de fonctionnement – Edgar Morin et René Passet les décrivent plus en détail dans l’entretien qu’ils nous ont accordé et que l’on pourra lire dans ce dossier. Des comptes rendus de séance furent rédigés et conservés dans les archives de Jacques Robin, auxquels Brigitte Chamak (1997) a pu avoir accès dans les années 1990 quand elle préparait son ouvrage consacré au Groupe des Dix. Si on excepte les deux Cahiers des 10 publiés en 1972 sur les thèmes de la « dépropriation » (Buron et al., 1972) et d’« Agressivité, violence et politiques » (Baillet et al., 1972), très peu d’écrits collectifs ont été produits par le Groupe des Dix à la suite de ces rencontres. On en trouve essentiellement trace – parfois pour en regretter l’absence [3] – dans les introductions, préfaces et avant-propos des ouvrages que ses membres rédigèrent au moment de leur participation au groupe ou après sa dissolution. De même, si l’on excepte l’ouvrage de Brigitte Chamak (1997), dans lequel figurent de nombreux entretiens avec ses différents membres, très peu de publications lui ont été consacrées. C’est la raison pour laquelle il est apparu intéressant de consacrer un dossier de NSS au Groupe des Dix afin de mieux connaître cette expérience singulière par son caractère pionner, la diversité de ses participants et sa durée. Ce dossier ne vise évidemment pas à être exhaustif, mais à fournir des éclairages, à présenter un ensemble de points de vue transversaux qui portent tantôt sur un ou plusieurs membres du Groupe des Dix, sur une discipline (l’économie, la philosophie) ou un objet (le développement, la ville), tels qu’ils ont été travaillés par ceux-ci. Une sorte de continuité – mais aussi, on le verra, de contrepoint – est offerte dans ce dossier par Jacques Theys à travers son analyse de l’action du Groupe d’exploration et de recherches multidisciplinaires sur l’environnement et la société (Germes) (1975-2002), auquel participèrent certains membres du Groupe des Dix [4], au moment même où ce collectif était en train de disparaître.

Les rapports science/société

3Le Groupe des Dix – auquel est symptomatiquement accolée l’expression « Science et Politique » dans les titres des deux Cahiers publié en 1972 – se constitue avec pour objectif initial de rapprocher le monde de la politique de celui de la recherche. Il s’agit, pour reprendre une formule de Jacques Robin, un des fondateurs et animateur du Groupe des Dix, d’« en finir avec le côté magique de la politique ». Ce sont, nous rappelle Brigitte Chamak dans sa contribution à ce dossier, des engagements politiques et des amitiés forgées dans le militantisme qui lient les premiers membres du Groupe des Dix, qui sont, pour la plupart, des « hommes de gauche ». Entendons que l’on n’y compte, au départ, qu’une seule femme (une seconde viendra plus tard…) et qu’il s’agit de ce qu’on appelle la « deuxième gauche ».

4À l’image de cette mouvance hétérogène, le Groupe des Dix compte des catholiques sociaux, d’anciens trotskistes, des communistes non staliniens, des libertaires… Il incarne une gauche européenne critique à l’encontre du « libéralo-capitalisme » et du marxisme. Si Marx demeure un auteur de référence pour la plupart des membres du groupe, si ceux-ci n’abandonnent pas l’idée de lutte des classes, ils entendent la compléter par d’autres schémas, d’autres explications, d’autres moteurs de l’histoire [5]. Cette orientation transparaît clairement dans le premier Cahier des 10 consacré à la « dépropriation » – un thème déjà présent dans l’ouvrage rédigé par Robert Buron (1970, p. 104), autre fondateur du Groupe des Dix, et les membres du groupe de réflexion socialiste « Objectif 72 ». La réflexion initiale autour de cette thématique trouve son origine dans la dynamique du capitalisme contemporain et les contradictions qui se font jour entre la recherche du profit et l’accaparement des richesses par les uns et la nécessité de défendre l’intérêt commun. Habituellement, la question est de savoir si l’on va vers une généralisation de l’appropriation privée ou, au contraire, vers une substitution de celle-ci par une propriété d’État. À travers ce thème de la dépropriation, Buron, Laurent et Robin (1972, p. 13) appellent à un dépassement de ce clivage et de cette antinomie et à prendre acte du fait que la notion de propriété n’est pas monolithique, mais que, au contraire, elle est susceptible d’être éclatée en différentes formes et modalités. Même si l’expression n’y figure pas, ce sont ainsi des formes de biens ou de patrimoines communs qui sont discutées, avec pour références les solutions retenues à l’époque pour la gestion des océans, l’Antarctique, les espaces sidéraux et les corps célestes.

5Les débats relatifs à l’auto-organisation des systèmes complexes qui nourrissent les réunions du Groupe des Dix font ainsi immanquablement écho, pour reprendre les propos de Pierre Rosanvallon (2018, pp. 56-62), à ce « mot-époque », à ce « mot-carrefour », à ce « mot-identité » qu’est, pour la deuxième gauche, l’autogestion. Depuis mai 1968, ce terme, qui décrivait initialement un mode de gestion des entreprises expérimenté en Yougoslavie, s’est élargi et chargé de nouvelles significations pour rendre compte d’un ensemble disparate de pratiques démocratiques et épouser les aspirations de changement social et politique. « Idée creuse » pour les uns, c’est une « idée à creuser » pour les autres, ainsi qu’en témoignent les membres du Groupe des Dix. En s’intéressant à la « dépropriation » [6], Buron (1972, p. 13) et ses collègues rédacteurs du premier Cahier des 10 font évidemment référence à la « séduisante idée d’autogestion », une idée, s’empressent-ils d’ajouter, qu’il convient de préciser. On la retrouve dans Société informationnelle. Idées pour l’autogestion d’Henri Laborit (1973), un ouvrage que lui a commandé Pierre Rosanvallon (2018, p. 65) pour la collection « Objectifs » qu’il dirige alors aux Éditions du Cerf. « Si l’autogestion est une idée neuve, écrit Rosanvallon (1976, pp. 182-183) à cette époque, elle doit en effet se nourrir de toutes les recherches nouvelles qui se développent aujourd’hui tant en économie qu’en sociologie, en psychologie, en science politique, en anthropologie ou en biologie » [7]. Dans son ouvrage, Laborit, qui a activement participé à l’expérience du Centre universitaire de Vincennes entre 1968 et 1971 [8], plaide pour une information multidisciplinaire disponible pour tous, y compris au sein des entreprises, permettant à chaque travailleur de s’informer chaque jour pendant deux heures sur des problèmes qui se posent au niveau de l’organisation de l’entreprise où il travaille, mais aussi à tous les niveaux d’organisation qui l’englobent : municipal, urbain – qu’a investi particulièrement Laborit, comme le montrent Cyrille Harpet et Stéphanie Pincetl dans l’article que l’on trouvera dans ce dossier –, international et planétaire. Dans L’anti-économique, Jacques Attali et Marc Guillaume (1974, p. 241) rejettent les perspectives offertes par le capitalisme monopolistique et le socialisme bureaucratique et se tournent aussi vers « [l]’idée d’autogestion (gestion directe des unités de production ou d’une collectivité par ceux qui y produisent ou y vivent) [qui] semble être pour l’instant la seule proposition réellement nouvelle disponible », ajoutant, là encore, que cette notion se doit d’être travaillée dans le détail. On peut aussi lire L’économique et le vivant de René Passet (1979) à travers ce prisme, avec une organisation socio-économique qui repose sur un principe de contrainte minimale, une décentralisation par niveaux d’organisation et un bouclage de l’information et du contrôle de type bottom up. Bien évidemment, l’autogestion est aussi présente chez Michel Rocard, qui est la figure politique majeure de cette deuxième gauche, y compris appliquée à des sujets comme la gestion de l’environnement. C’est ce que montrent Bernard Barraqué, Patrick Laigneau et Pierre Victoria (2017), en rappelant son rôle méconnu dans la réflexion sur les agences de l’eau, à travers le rapport qu’il remît en 1977, au terme d’une mission pilotée pendant deux ans au sein de l’Inspection des finances. Alors qu’ils avaient été missionnés pour aller dans le sens de la Cour des comptes qui avait adopté un référé demandant la suppression des agences de bassins, Rocard avait convaincu ses collègues qu’il convenait au contraire de plaider en faveur de la pérennisation de ces agences et d’élargir leur mission à de nouveaux domaines, comme la lutte contre les pollutions marine et atmosphérique ou la gestion des déchets. « Le succès [des agences de bassin], écrivait alors Rocard dans son rapport, s’explique notamment par l’association étroite des intéressés à la définition et à la mise en œuvre d’une politique de l’eau. Cette esquisse « d’autogestion » mérite d’être relevée de la part d’administrations souvent critiquées à bon droit pour leur caractère technocratique » (cité par Barraqué et al., 2017).

6Mais, il y a une autre piste politique qu’il convient d’évoquer – certes, très minoritaire, au sein du Groupe des Dix – qui est celle du rapprochement qui s’opère, d’une part, entre l’approche systémique et l’étude des phénomènes d’auto-organisation et, d’autre part, la pensée économique néolibérale. En effet, ainsi que le relève Jean-Pierre Dupuy (1982), qui fut, en mai 1976, un des derniers invités du Groupe des Dix [9], comment ne pas voir dans la « main invisible » d’Adam Smith (1776) l’ancêtre de tous les principes d’« ordre à partir du désordre » que met en lumière l’approche systémique ? De fait, il faut se rappeler que, pour théoriser l’ordre spontané du marché, l’économiste Friedrich von Hayek [10], qui, tout au long de sa carrière, a été le plus constant et fervent opposant à la pensée de J.M. Keynes et, à partir de 1950, l’un des principaux piliers de la très ultralibérale École de Chicago, s’est beaucoup intéressé à la cybernétique et aux Macy Conferences, organisées aux États-Unis au cours des années 1940-1950 (Bouraoui, 2009). C’est le très grand nombre de paramètres à prendre en compte dans une économie, notamment dans le domaine des prix, qui, selon Hayek, invalide l’idée même d’une planification, voire de toute politique économique autre que le « laissez faire ». Seul, selon lui, le marché est susceptible de gérer convenablement cette complexité.

7Cette perspective est celle dans laquelle s’est inscrit le sociologue Alain Laurent qui, si l’on en croit l’entretien qu’il a accordé à B. Chamak, n’avait pas d’attente sur le plan politique ni de connexion avec les socialistes quand il est arrivé au Groupe des Dix. Il se qualifie, lui et Jack Baillet, autre membre du Groupe des Dix, d’« anarcho-libéraux », ajoutant qu’ils étaient « perçus comme des dissidents du Groupe » (Chamak, 1997, p. 217). Cela se confirme si l’on regarde dans quelle direction Laurent dirigera ensuite ses travaux. Il est l’auteur d’un « Que sais-je ? » sur l’individualisme méthodologique (Laurent, 1994). Il a aussi fondé et animé la French Ayn Rand Society, du nom de cette philosophe individualiste contemporaine très influente aux États-Unis, dont il défend la conception d’un « égoïsme vertueux » qui implique le déploiement de vertus et la définition de valeurs permettant la réalisation de soi, l’estime et le respect mutuels, ainsi qu’une coopération volontaire et contractuelle (Laurent, 2011).

8L’objectif initial du Groupe des Dix qui était de fournir des « fondements scientifiques » à la politique va être abandonné pour se muer « en une réflexion itinérante sur les sciences et les grands problèmes historiques de notre temps » [11]. Les différents travaux collectifs proposés au sein du Groupe des Dix pour répondre à ce premier objectif – rédaction, d’une part, d’une sorte de « manifeste » mettant en relation science et politique et, d’autre part, d’un glossaire permettant de cerner le sens à donner à des mots-clés comme déterminisme, hétéronomie, système, structure… – n’ont débouché sur rien de concret, ainsi que l’avoue J. Robin à B. Chamak (1997, p. 36). Les désaccords ont porté, entre autres, sur l’heuristique des métaphores et les transferts conceptuels entre science et politique qu’elles autorisent. Des craintes de dérives technocratiques ont aussi été éprouvées par certains membres du groupe [12]. Il y a, tout de même, chez certains des membres du groupe, la volonté d’œuvrer au projet d’une civilisation nouvelle (Robin, 1975, p. 133 ; Morin, 2007), la recherche d’un nouvel art de vivre, ainsi qu’il est dit dans le premier Cahier des 10 (Buron et al., 1972, p. 5), la recherche de nouveaux modes de développement, comme le montre Franck-Dominique Vivien dans sa contribution à ce dossier.

Interdisciplinarité

9Le Groupe des Dix, qui prend la forme d’une société savante, coopte ses membres et organise régulièrement un séminaire ouvert à la discussion. Celui-ci a déjà été évoqué dans Natures Sciences Sociétés, il y a plus de vingt ans, à l’occasion d’un entretien réalisé avec Edgar Morin (1996). Au sujet de son approche des problèmes, Nicole Matthieu, Alfredo Pena Vega et Marianne Cohen, qui menèrent cette interview, parlent à la fois d’une certaine proximité avec la démarche initiée et menée par NSS – rappelons que, depuis l’origine, Morin fait partie du comité scientifique de la revue – et d’une démarche qui s’en éloigne. À l’évidence, l’une des principales motivations des participants au Groupe des Dix est la conscience que le cadre disciplinaire dans lequel chacun travaille est devenu trop étroit pour pouvoir exprimer ses idées et répondre aux enjeux de connaissance des sociétés contemporaines – c’est, par exemple, ce que souligne R. Passet dans l’entretien accordé à NSS (Passet et Vivien, 2011). C’est dans l’ouverture aux autres disciplines – et, tout particulièrement, aux sciences de la vie qui connaissent alors des avancées majeures – qu’un ressourcement et une exploration de nouveaux concepts et théories sont recherchés. Peut-on alors parler d’une méthode interdisciplinaire propre au Groupe des Dix ?

10Un premier élément de réponse transparaît à la lecture des Cahiers des 10. Pour travailler l’hypothèse de la « dépropriation », à laquelle est consacré le premier d’entre eux, R. Buron, A. Laurent et J. Robin (1972, p. 15) proposent ainsi une « méthode d’approche rationnelle » qui consiste à envisager les notions d’appropriation et de propriété sous tous leurs aspects, « selon le rôle qu’elles jouent dans le passage de la nature à la culture et à la société ». C’est pourquoi, les différents chapitres du Cahier traitent successivement des niveaux bio-psychologique, culturel, économique et politique. Il est ainsi question des facteurs qui rendent compte de l’enracinement de l’appropriation et de la propriété dans les structures biologiques, permettant de discuter l’« impératif territorial » que mettent en avant certains éthologues. Les travaux et réflexions d’Henri Laborit et de Jack Baillet permettent d’en éclairer les dimensions neurophysiologiques et psychologiques. Les recherches du préhistorien André Leroi-Gourhan sont ensuite mobilisées pour aborder les comportements d’acquisition et d’appropriation qui apparaissent dans les groupes humains au moment de la révolution néolithique. Il est alors souligné, dans un autre chapitre, que ces comportements ont pris une importance toute particulière dans le cadre de la civilisation occidentale et, plus encore, depuis l’avènement de la consommation de masse qui caractérise la société contemporaine. Dans les derniers chapitres est interrogée la nécessité de l’appropriation et de la propriété au sein de la gestion et de l’organisation de la production et des entreprises.

11Le décès de R. Buron, survenu brutalement en 1973, marque la fin des Cahiers des 10 et constitue assurément un tournant dans la dynamique du Groupe des Dix. Cela a, semble-t-il, eu des répercussions sur sa « méthodologie » de travail – c’est Robin qui utilise ce terme dans ses entretiens avec B. Chamak (1997, p. 69). Dans une première partie de la vie du groupe, explique-t-il, au cours des deux ou trois premières années de son existence, il s’est agi d’élaborer une culture commune entre ses membres, basée sur la cybernétique et la systémique. La première partie des réunions était alors consacrée à une sorte de tour de table, au cours duquel chacun présentait les idées nouvelles qui émergeaient, les livres et articles dont la lecture l’avait marqué. Une ou plusieurs thématiques, qui avaient été choisies au préalable, étaient ensuite abordées. Certains membres soulignent que c’est l’absence de trace écrite qui libérait la parole, qui permettait aux uns et aux autres de quitter les postures politiques ou académiques qu’ils avaient à tenir dans d’autres cénacles et de pouvoir se laisser aller à réfléchir à voix haute [13]. Et quand la question est venue à se poser de se lancer dans l’édition d’une revue, les membres du Groupe des Dix se sont refusés de le faire, craignant que l’évaluation d’articles rédigés par d’autres ne prenne le pas sur la rédaction de leurs propres ouvrages. Ainsi, à partir de 1975, est advenu un second temps de la vie du Groupe des Dix avec des séances consacrées à la lecture des manuscrits de ses membres – Le macroscope de J. de Rosnay (1975) et La parole et l’outil de J. Attali (1975), par exemple – imprégnés du travail réalisé au sein du groupe, suivant en cela ce que Jacques Robin a appelé un phénomène d’« individuation » (Chamak, 1997, p. 285). Si c’est à travers l’œuvre des uns et des autres que l’expérience du Groupe des Dix a porté ses fruits et qu’elle transparaît, encore aujourd’hui, toute autre est la philosophie du Germes que nous décrit Jacques Theys puisqu’une des activités centrales de ce forum a été d’organiser des séminaires et des colloques et de publier, à leur suite, des ouvrages collectifs, sous la forme des Cahiers du GERMES. Entre 1978 et 2000, ce sont pas moins de dix-sept volumes qui seront ainsi publiés sur des thèmes aussi divers que les relations entre la croissance, l’emploi et l’environnement, la prospective dans le domaine de l’environnement, les politiques de l’environnement.

Perspectives philosophiques

12La comparaison de l’expérience du Groupe des Dix avec les Macy Conferences est souvent faite – B. Chamak et H. Dicks y reviennent dans leurs articles, et nous avons aussi évoqué cette question dans notre entretien avec E. Morin et R. Passet. Outre la différence considérable de moyens financiers et humains qui séparent ces deux expériences interdisciplinaires, ainsi que l’introduction des objectifs sociaux et politiques du côté du Groupe des Dix, une autre différence majeure concerne la philosophie.

13Dans le cas des cybernéticiens américains, la célèbre idée de Heidegger (1976), selon laquelle la cybernétique a remplacé la philosophie, était sûrement vraie. Alors que le rôle de fonder et d’articuler les différentes disciplines scientifiques revenait traditionnellement à la philosophie, la cybernétique, en se définissant comme « science transdisciplinaire », a tenté d’assumer ce rôle, tout en écartant des questions ontologiques. Dans la mesure où le Groupe des Dix a repris l’ambition d’origine de la cybernétique d’une pensée transdisciplinaire ancrée dans la science, on aurait pu imaginer que la philosophie s’y trouverait à nouveau écartée. Or, il n’en est rien : non seulement le Groupe des Dix, à la différence des Macy Conferences, comprenait des philosophes de renommée (Edgar Morin et Michel Serres), mais, qui plus est, ceux-ci se sont efforcés d’explorer les implications philosophiques de concepts importants issus des nouvelles sciences transdisciplinaires, dont certains étaient inconnus à l’époque de la première cybernétique américaine, tels que « l’ordre par le bruit » de Heinz von Foerster (1960), les structures dissipatives d’Ilya Prigogine (1968) ou l’autopoïèse de Humberto Maturana et Francisco Varela (1973). Ce faisant, Morin et Serres ont réussi à développer des perspectives philosophiques caractéristiques de la deuxième cybernétique, notamment autour du rôle et de la participation de l’observateur dans l’étude des systèmes, ainsi que, comme le montre H. Dicks dans sa contribution à ce dossier, une nouvelle vision non seulement de la nature, mais aussi de l’être, basée principalement sur la figure du tourbillon et la notion d’autoproduction. Ces grandes lignes théoriques et conceptuelles se trouvent aussi chez d’autres membres du Groupe des Dix. Dans son article figurant dans ce dossier, John Marks montre ainsi que la biologie d’Henri Atlan, en soulignant l’importance de relations complexes et circulaires entre le génome et le phénotype, rompt avec la vision néodarwiniste qui considérait le génotype comme un programme déterminant de manière linéaire et prévisible la forme que prendrait le phénotype.

14Cette tentative de repenser et la nature et l’être – et, par là aussi, la vie, l’homme, la société… – à travers une articulation originale de la science et de la philosophie offre aux travaux des philosophes du Groupe des Dix une place particulière dans le paysage philosophique de l’époque. Le mouvement philosophique le plus proche du Groupe des Dix était alors sans doute le structuralisme. Michel Serres est généralement considéré comme structuraliste [14], son originalité tenant principalement à sa capacité à déceler des structures isomorphes dans des champs de pensée de prime abord très éloignés, d’où sa caractérisation par Vincent Descombes (1979, p. 110) de « virtuose de l’isomorphisme ». Ce type d’approche se trouve aussi chez René Passet (2010), qui, sans se revendiquer explicitement du structuralisme, a consacré une grande étude aux isomorphismes historiques entre les grandes représentations du monde et les représentations de l’économie. Henri Laborit était également structuraliste, comme en témoignent ses livres Biologie et structure (1968) et L’homme et la ville (1971). L’intérêt que porte Laborit aux analogies et isomorphismes structuraux entre des phénomènes biologiques et sociaux dans ce dernier ouvrage est le point de départ de l’article de Cyrille Harpet et Stéphanie Pincetl qui figure dans ce dossier.

15On peut, cependant, noter une différence vis-à-vis du structuralisme. Comme la phénoménologie, qui est l’autre courant philosophique majeur de l’époque, le structuralisme se concentre sur la question du sens présent dans les systèmes de signes chez Ferdinand de Saussure et dans les structures sociales chez Claude Lévi-Strauss. Mais, alors que la phénoménologie appréhende le sens à partir de l’étude de l’expérience subjective, le structuralisme le fait dans les structures objectives. Or, la démarche philosophique à l’œuvre dans le Groupe des Dix consistait moins à repenser la question du sens, c’est-à-dire la compréhension humaine de l’être des choses, qu’à repenser l’être lui-même, à partir d’innovations théoriques récentes dans les sciences de la nature.

16De par son intérêt pour les sciences de la nature, on peut dire que la philosophie du Groupe des Dix était plus proche de la théorie des systèmes que du structuralisme. Alors que le structuralisme se concentrait sur le symbolique (Deleuze, 1972) et donc aussi le sens véhiculé par les symboles, d’où son association aux sciences humaines, d’abord la linguistique (Ferdinand de Saussure) et l’anthropologie (Claude Lévi-Strauss), ensuite la littérature (Roland Barthes), la psychanalyse (Jacques Lacan), l’histoire (Michel Foucault), et le marxisme (Louis Althusser), la théorie des systèmes est capable d’étudier des systèmes purement physiques dont le sens est absent, ainsi que des systèmes biologiques ou sociaux, mais sans se référer nécessairement au rôle qu’y joue le sens. Or, comme Morin (1977) le savait bien, la théorie des systèmes est philosophiquement problématique pour à peu près la même raison que la cybernétique : de par son désir d’être une science transdisciplinaire, elle a mis l’accent sur des concepts qui se prêtent à des définitions rigoureuses et des traitements mathématiques, plutôt que sur des concepts ontologiques : l’Être, l’existence, le soi, la pensée, mais aussi, comme le montre la contribution de Marks, le sens.

17Cette brève caractérisation de l’originalité de la pensée philosophique produite par le Groupe des Dix permet aussi de voir sa distance par rapport au courant qui domine encore aujourd’hui dans le monde anglo-saxon, à savoir la philosophie analytique. Si celle-ci s’est d’abord concentrée sur le langage, et en particulier sa capacité à représenter des faits, de nos jours, la position dominante en philosophie analytique est le naturalisme (De Caro et Macarthur, 2004 ; Andler, 2016). Mais ce naturalisme est très différent de la tentative de Morin et de Serres de repenser « la nature de la nature ». L’une des raisons de cette différence concerne l’influence qu’a exercée la théorie des systèmes sur le Groupe des Dix. Ludwig von Bertalanffy (1969, p. 18), le fondateur de la théorie des systèmes, explique que celle-ci émerge précisément là où les procédures analytiques en science ne marchent pas ou ne suffisent plus. Or, le naturalisme de la philosophie analytique suit la démarche classique en science qui consiste à réduire le monde à ses composants les plus élémentaires. Certes, ce naturalisme analytique n’ignore pas les concepts d’émergence, de causalité descendante, et ainsi de suite, mais, de façon générale, la philosophie analytique porte bien son nom ; elle essaie d’analyser les situations, les êtres et les systèmes complexes pour faire ressortir leurs composants élémentaires. La tentative de Morin et de Serres de penser la nature de la nature, en revanche, se focalise plutôt sur la capacité qu’a la nature de produire des systèmes ou des êtres complexes, ce qui explique, par ailleurs, pourquoi Serres dit que la nature est à comprendre « au sens de naissance » (Serres, 1977, p. 42). Cette capacité de faire naître les choses, pensent-ils, tient au phénomène d’autoproduction que Morin (1977) retrouve chez les présocrates et Serres (1977) chez Lucrèce. La nature chez Morin et Serres est ce qui produit les êtres, et plus précisément l’autoproduction des êtres eux-mêmes, car les choses issues de la nature – à la différence de celles issues de la technique – ont toutes la même organisation dynamique et circulaire que les tourbillons, lesquels, comme le dit Serres (1977, p. 191), « naissent d’eux-mêmes ». Il y a donc une opposition très claire entre le naturalisme de la philosophie analytique et le naturalisme du Groupe des Dix. Roy Sellars, penseur important du naturalisme en philosophie analytique, affirme que : « par nature il faut entendre le système spatial-temporel-causal qu’étudie la science et dans laquelle nos vies se déroulent » (cité dans Andler, 2016, p. 36). Dans cette perspective, nous sommes des êtres naturels, tout simplement car nos vies se déroulent dans l’univers physique. Or, au lieu de voir notre appartenance à la nature comme simple appartenance à l’univers physique, vision que Morin (1977, p. 27) qualifie de « triviale », les philosophes du Groupe des Dix affirment que notre appartenance à la nature relève plutôt de l’enracinement de notre existence dans le processus ontologique fondamental qu’est l’autoproduction, laquelle explique l’émergence des êtres du chaos ainsi que leur maintien loin de l’équilibre thermodynamique.

18On ne peut guère douter, cependant, que cette philosophie de la nature, aux implications ontologiques considérables, reste encore méconnue. Si Serres a raison de dire que tous les champs de connaissance d’une époque – science, littérature, philosophie… – partagent la même structure fondamentale, le fait que la philosophie du Groupe des Dix reste encore très marginale suggère que la révolution que Morin et Serres ont cru annoncer n’a pas encore eu lieu. Ainsi, si nous cherchons aujourd’hui à réaliser l’objectif de Jacques Robin (1989) à « changer d’ère » – en raison notamment de l’insoutenabilité actuel de notre manière d’habiter la terre (Morin, 2007) – peut-être faudrait-il commencer en tout premier lieu par mener à bien cette révolution dans notre compréhension de la nature et de l’être.

Environnement et bioéconomie

19L’interrogation sur la nature est aussi une interrogation sur l’environnement, comme en témoigne un autre pan de l’activité du Groupe des Dix. À l’évidence, comme le note Jacques Grinevald (2007, p. 157-158), les séjours aux États-Unis, au cours des années 1960, de Joël de Rosnay et d’Edgar Morin ont compté pour beaucoup dans leur éveil à l’écologie [15]. On peut aussi souligner l’amitié qui liait Jacques Robin et Armand Petitjean, une personnalité importante de l’écologie politique française [16], qui créa, à partir du début des années 1970, les premières collections consacrées à l’écologie chez de grands éditeurs français (Fayard, puis Le Seuil). C’est dans celles-ci que furent publiées les traductions des ouvrages du Club de Rome (Petitjean, 1974 ; Mesarovic et Pestel, 1974), dont celle du rapport Meadows et al. (1972), sous le titre Halte à la croissance ?. J. Robin, très impressionné par la préface rédigée par A. Petitjean à cette édition française, décida d’entrer en contact avec lui (Chamak, 1997, p. 53). Ils poursuivirent leur collaboration bien après le Groupe des Dix, en animant, par exemple, Transversales Science/Culture.

20La rencontre à Paris avec le Club de Rome, en novembre 1972, comme le rappellent ici B. Chamak et F.-D. Vivien, va être un moment important de discussion et d’affirmation de la pensée du Groupe des Dix, en étant à la fois « fructueuse et décevante », selon les dires de Robin. Fructueuse parce qu’elle ouvre chaque collectif aux questions et approches privilégiées par l’autre. Décevante parce qu’elle permet de mettre le doigt sur des divergences de fond quant aux perspectives dessinées par chacun, lesquelles obèrent la possibilité de futures collaborations [17]. On sait l’ampleur du débat suscité par le premier rapport au Club de Rome et les positions pour le moins ambigües de ses membres quant aux recommandations politiques qu’il convenait d’en tirer (Vieille Blanchard, 2011). On retrouve ces mêmes divergences de vue entre les différents membres du Groupe des Dix. Certains, comme Rocard ou Attali, cherchent à définir une nouvelle croissance, d’autres, comme Robin (1975) et Passet (1979), explorent de nouvelles configurations d’un « développement humain ».

21Dans son article, F.-D. Vivien montre que ces débats s’expriment aussi autour de la notion de « bioéconomie », dont certaines occurrences et déclinaisons naissent au sein du Groupe des Dix, grâce aux rapprochements qui s’y opèrent entre économie et écologie, entre l’étude des principes de fonctionnement et de régulation du vivant et celle des activités économiques. Quand il parle de bioéconomie, Passet (1979) en appelle à une vision renouvelée de l’analyse économique et à la définition d’un jeu de contraintes emboîtées qui doivent guider les trajectoires de développement, une vision qui préfigure la perspective du développement durable qui émergera au sein des instances internationales, une décennie plus tard. De son côté, Joël de Rosnay (1975) a la vision d’une nouvelle « révolution industrielle » portée par l’essor et le déploiement, dans divers domaines, des biotechnologies, lesquelles sont vues initialement comme susceptibles de réconcilier l’économie et l’écologie. Comme d’autres membres du Groupe des Dix, il pense, en outre, que les nouvelles technologies de l’information et de la communication vont permettre la dématérialisation de l’économie.

22La bioéconomie est aussi débattue, au même moment, dans d’autres cercles et au sein d’autres collectifs. Elle apparaît sous la plume de l’économiste Nicholas Georgescu-Roegen (1975) qui s’est engagé dans la controverse soulevée par la publication du premier rapport au Club de Rome, en se rangeant aux côtés de Dennis Meadows pour l’aider à combattre les arguments des économistes standards en faveur de la poursuite de la croissance (Levallois, 2010). Georgescu-Roegen a ensuite opté pour une vision plus radicale que celle de l’état stationnaire qui se trouve à l’arrière-plan de The limits to growth (Meadows et al., 1972). Or, en 1976-1977, il est invité à l’Université de Strasbourg, où, précise J. Grinevald (1979, p. 13), « il a commencé la rédaction d’un nouvel ouvrage intitulé Bioeconomics, que doit publier prochainement Princeton University Press », un ouvrage qui, hélas, ne verra jamais le jour. Au cours de ce séjour en France, Georgescu-Roegen rencontre régulièrement François Perroux – un économiste du développement, comme lui, dont il est très proche – et René Passet. Les thèses de Georgescu-Roegen sont donc discutées – là encore, diversement selon les membres du Groupe des Dix. Si Passet les salue pour la voie qu’elles ont ouverte en rapprochant économie et thermodynamique [18], Jacques Attali leur adressera une fin de non-recevoir, en refusant que soient publiées, dans la collection qu’il dirige aux Presses universitaires de France, l’édition et la traduction de ses textes réalisées par Grinevald sous le titre Demain la décroissance[19].

23Comme le rappelle ici Jacques Theys, le quatrième Cahier du GERMES, édité par Christiane Barrier-Lynn et Philippe Mirenowicz (1980), est intitulé « Questions à la bioéconomie ». On y retrouve les thèses développées par Passet (1979) dans ses articles et ouvrage intitulés L’économique et le vivant, les travaux de Georgescu-Roegen, dont Jacques Grinevald (1979, 1980) assure la diffusion, et ceux d’Ilya Prigogine et Isabelle Stengers (1979) qui viennent de publier La nouvelle alliance. Métamorphose de la science, un ouvrage qui connaît alors un grand retentissement [20]. Il faut aussi évoquer les travaux sur l’écodéveloppement d’Ignacy Sachs – dont un extrait de texte est réédité dans « Questions à la bioéconomie » (Sachs, 1980a) – dont Jacques Theys précise qu’ils constituent la référence qui prévaut au sein du Germes. Dans son livre Stratégies de l’écodéveloppement, Sachs (1980b, p. 110) n’utilise pas le terme de bioéconomie, mais c’est bien de cela dont il parle quand il décrit une stratégie d’écodéveloppement adaptée aux pays tropicaux reposant sur la « bioconversion de l’énergie solaire » et l’essor de la « végétalo-chimie » qui permettront de développer la production de carburant, de matériaux de construction et de plastiques. L’usage industriel de la biomasse est envisagé dans le cadre de l’écodéveloppement, comme il l’est aujourd’hui par la Commission européenne (EC, 2012), à la différence que, selon Sachs, il doit s’inscrire dans une planification participative, une démocratie technique et une réflexion sur une norme du « suffisant ».

Trajectoires divergentes et querelles d’héritage

24Le symbole du Groupe des Dix est un dessin de couleur bleue, figurant, dans un cadre, deux mains aux paumes ouvertes. Passet, qui sait ce qu’est le travail manuel (il doit être un des rares professeurs d’économie à avoir décroché, dans sa jeunesse, un diplôme… d’ébéniste !), dit ne pas aimer ce logo : ces mains se croisent, mais leurs doigts ne se rencontrent pas ; ce dessin ne donne pas l’idée des relations fortes qui se nouèrent et des échanges fructueux qui eurent lieu entre les membres du Groupe des Dix, il n’évoque pas l’activité réalisée ensemble. Comment lui donner tort ? Mais on peut aussi se demander si, au-delà de l’amitié qui liait certains de ses membres, cela ne symbolise pas les différences et oppositions qui ne cessèrent de traverser le Groupe des Dix. On a déjà évoqué, caractéristiques de la deuxième gauche, les divergences de parcours et de positionnements politiques des uns et des autres. Des tensions existaient au sein de ce collectif constitué de fortes personnalités. Nous avons fait écho aux désaccords qui s’y faisaient jour quant aux vertus et dangers des métaphores qui étaient utilisées très fréquemment dans les discussions relatives à la cybernétique et à la systémique. On peut aussi repérer en germe chez certains de ces auteurs une dérive technophile qui, comme le note B. Chamak dans son article, apparaîtra plus clairement à travers l’activité du Centre d’étude des systèmes et des technologies avancées (Cesta), qui sera créé, sous la houlette de J. Attali et J. de Rosnay, après l’arrivée au pouvoir de François Mitterrand en 1981.

25Avec le recul, l’observation des trajectoires suivies par certains des membres du Groupe des Dix témoigne plus encore de ces divergences de vue. Considérons, par exemple, celles de ses deux économistes. Fidèle à l’ouverture aux milieux associatifs et syndicaux qui caractérise la deuxième gauche, René Passet va être, en 1998, un des membres fondateurs de l’Association pour la taxation des transactions financières et pour l’action citoyenne (Attac) et, jusqu’en 2002, le président de son conseil scientifique. Dénonçant L’illusion néo-libérale (Passet, 2000), il a aussi été, à cette époque, un opposant farouche à la réforme Juppé sur les retraites et un ardent défenseur de la réduction du temps de travail. Il est alors du côté de ceux qui, comme Stéphane Hessel, appellent à relire Les jours heureux, le programme élaboré par le Conseil national de la résistance en 1944. D’un autre côté, Jacques Attali fut le Conseiller spécial de François Mitterrand de 1981 à 1991. Il présidera ensuite, entre 1991 et 1993, la Banque Européenne pour la Reconstruction et le Développement, un établissement créé pour favoriser la transition des pays de l’Est vers l’économie de marché. Entre 2007 et 2008, il sera chargé par Nicolas Sarkozy de présider la « Commission pour la libération de la croissance française ». Un de ses rapporteurs, alors inspecteur des finances, était Emmanuel Macron, dont J. Attali est parfois présenté comme un des parrains en politique. Bref, pour revenir à nos deux économistes, si un « autre monde est possible » pour l’un, le « nouveau monde » semble advenu pour l’autre…

26Les querelles d’héritage au sujet du Groupe des Dix sont un autre indice de divergence quant au sens à donner à cette aventure intellectuelle. Aujourd’hui, la filiation du Groupe des Dix est, en effet, revendiquée par différentes initiatives et organisations. Citons le Collegium international [21] éthique, scientifique et politique, une association, créée en 2002, qui entend relever les défis que constituent la menace écologique, les dérèglements économiques et financiers et la crise du sens et de la pensée. Michel Rocard, qui le présida, aux côtés de Milan Kucan et de Stéphane Hessel, fait, en effet, référence au Groupe des Dix [22] et à l’esprit qui y soufflait.

27Une des plus médiatisées de ces initiatives est celle du « Forum Changer d’ère », qui est organisé et animé depuis 2013 à la Cité des Sciences et de l’Industrie par Véronique Anger-de-Friberg. Cette organisation, qui fait écho à un ouvrage de Jacques Robin (1989), vise à « rendre hommage aux penseurs du Groupe des 10 » et à « passer le relais aux jeunes générations » [23]. À l’origine, Atlan, Attali, Dupuy, Morin, Passet, Rocard, de Rosnay, ainsi que Roger Sue et Patrick Viveret, en sont les parrains. On y parle certes de nouveaux espaces de savoir, d’économie collaborative, de partage d’informations, du retour nécessaire à l’humain…, mais tout cela dans le cadre d’un événement largement sponsorisé par les multinationales et les start-up. J. de Rosnay est un des maîtres de cérémonie de ce « Forum Changer d’ère », mais il semble loin le temps où, comme dans Le macroscope, il était question de services publics d’information… Dans l’entretien qu’ils nous ont accordé, Passet et Morin ne cachent pas le malaise qu’ils ont ressenti lors des premières éditions de ce forum où l’on semble célébrer la « start-up nation ».

Conclusion

28L’intérêt de se pencher sur l’activité du Groupe des Dix tient à son caractère pionnier et à l’époque charnière à laquelle il se réunit régulièrement. Son œuvre demeure à travers des personnalités, dont certaines ont été de formidables défricheurs et pédagogues, et leurs ouvrages marquants. Ils ont nourri – et, pour certains, ils nourrissent encore – les débats relatifs à la nécessité, d’une part, de dépasser les frontières disciplinaires pour étudier les phénomènes complexes et, d’autre part, de nouer d’autres rapports entre science et société. Le bilan est assurément plus ténu en ce qui concerne ce dernier domaine. À sa création, on trouve une volonté forte d’articuler connaissances scientifiques et actions politiques pour élaborer et soutenir les projets de nouvelle société qui fleurissent à cette époque. Si cette volonté va s’estomper au sein du Groupe des Dix, sans jamais complètement disparaître, elle va se maintenir au sein de l’association Germes. Elle y a été aidée par le fait que le ministère de l’environnement est en partie à l’origine de cette dernière et que la réflexion qui y est développée porte sur le seul champ des politiques d’environnement, entendu toutefois en un sens extrêmement large. Au contraire, la réflexion sur les politiques publiques au sein du Groupe des Dix a été finalement assez peu présente. À l’exception de Buron, celui-ci comptait peu de hauts fonctionnaires et les personnalités politiques qui en faisaient partie n’étaient pas (encore) au pouvoir. Pour autant, Michel Rocard ne manquera pas de souligner que, lorsqu’il est devenu Premier ministre, il a dû son attention aux questions d’environnement [24] à sa participation au Groupe des Dix. À l’inverse, on trouve au sein du Groupe des Dix davantage d’hommes d’entreprise qu’au sein du Germes, ce qui mériterait une étude particulière.

29Nous aurons beau jeu, aujourd’hui, d’insister sur certaines visions qui apparaissent datées ou de considérer que nombre de propositions ou de postures se sont banalisées. Mais, à l’image des perspectives ouvertes en philosophie ou dans le domaine de la bioéconomie, il y a aussi des potentialités qui, aujourd’hui encore, n’ont pas été explorées complètement. L’histoire et l’évaluation que ce dossier a initiées restent encore largement à faire.

Notes

  • [1]
    Voir dans ce numéro les autres contributions au dossier « Le Groupe des Dix, des précurseurs de l’interdisciplinarité ».
  • [2]
    « Les fructueuses discussions du Groupe des Dix, animé par Jacques Robin, m’ont permis d’élaborer ma pensée et de la confronter à celle des autres », écrit J. de Rosnay (1975, p. 16). « Je n’aurais probablement pas osé entreprendre cette tâche, écrit R. Passet (1979, p. 16) dans l’introduction à L’économique et le vivant, si je ne m’étais trouvé depuis dix ans, grâce au « Groupe des Dix », créé et animé par le Docteur Jacques Robin, à l’école de quelques-uns des meilleurs spécialistes des différentes disciplines qu’il me fallait aborder ».
  • [3]
    « […] pas de journal pour les années suivantes, pourtant importantes : ma participation au “Groupe des Dix” de Jacques Robin, où je commence des découvertes intellectuelles que je poursuivrai en Californie », constate E. Morin (2012, p. 8) dans la préface à la réédition de ces « journaux ».
  • [4]
    C’est le cas, notamment, de R. Passet, auquel J. Theys rend hommage à plusieurs reprises dans le long entretien qu’il a accordé en 2012 et 2013 à R. Barré et al. (2015, p. 18 et 20).
  • [5]
    « Les facteurs et les rapports de production, écrit Robin (1975, p. 92), constituent sans aucun doute un élément déterminant dans le mode d’évolution des sociétés […] Mais [ils] ne constituent pas à eux seuls le moteur de l’histoire […] Dès que l’on élargit les périodes de temps de référence et que l’on accepte de tenir compte des autres facteurs de l’évolution des sociétés, on s’aperçoit que les interactions avec le milieu naturel, les faits psychiques liés aux conduites des individus, les faits culturels et sociologiques jouent un rôle décisif dans l’évolution de la société. »
  • [6]
    Ce terme de « dépropriation » s’inscrit dans une réflexion relative à l’autogestion. « La dépropriation socialiste, écrit P. Rosanvallon (1976, p. 120), consiste à répartir les différents droits de décision entre les collectivités concernées à l’intérieur même de l’entreprise et dans la société : le pouvoir de décider de l’organisation du travail dans l’atelier n’est pas exercé par le même groupe que le pouvoir de décider de la reconversion des activités de l’entreprise, par exemple. »
  • [7]
    A la fin de L’âge de l’autogestion, P. Rosanvallon (1976, p. 183) cite les ouvrages de N. Wiener, L. von Bertalanffy, H. Laborit, J. Attali et E. Morin. Faisant retour sur cette période, Rosanvallon (2018, p. 65) cite à nouveau les ouvrages de Laborit, Atlan et Morin, qui « invitaient à considérer qu’une organisation efficace requérait à tous les niveaux l’implication de ses opérateurs dans la production et la réception d’informations sur le fonctionnement d’un atelier, ou d’un ensemble plus large de façon générale ».
  • [8]
    H. Laborit y enseigna une matière intitulée « Biologie et urbanisme », une expérience pédagogique dont témoigne son ouvrage L’homme et la ville paru en 1971. On lira aussi à ce propos le texte publié par C. Harpet (2015) dans NSS.
  • [9]
    Dans l’introduction de son ouvrage Ordres et désordres.Enquête sur un nouveau paradigme, J.-P. Dupuy (1982, pp. 17-18) évoque l’activité du Groupe des Dix. Alors qu’il est désireux de rencontrer H. Atlan, dont lui a parlé H. von Foerster, il y est invité par J. Attali, son collègue du Corps des Mines, à venir y présenter ses travaux : « Je me souviens, écrit Dupuy, avoir présenté maladroitement, devant un auditoire sceptique, ce qui était alors mon obsession, la « conjecture de von Foerster ». Un seul des participants comprit la portée de la chose. Comme par hasard, c’était Henri Atlan. »
  • [10]
    Dans Les grandes représentations du monde du monde et de l’économie à travers l’histoire, Passet (2010, pp. 854-855) salue l’érudition et l’ouverture interdisciplinaire, dont fait montre Hayek, tout en critiquant fermement son ultralibéralisme et son réductionnisme économique.
  • [11]
     Nécrologie de Jacques Robin par E. Morin dans Le Monde, 19-20 août 2007.
  • [12]
    B. Chamak (1997, pp. 102-103) cite ainsi une lettre de Jacques Sauvan, en date du 25 août 1974, dans laquelle il écrit : « Quoique cela ne se soit jamais manifesté d’une façon explicite, presque depuis le début il y a opposition irréductible entre tenants d’un déterminisme qui se veut « prédétermination » et ceux d’un déterminisme qui s’ouvre à l’autonomie, l’indépendance et la liberté. Je suis de ces derniers ; les premiers sont Jacques Monod, Laborit puis Atlan et quelques technocrates. Malgré quelques mises en garde écrites, c’est leur point de vue qui a triomphé. »
  • [13]
    « Dans le Groupe des Dix, déclare H. Atlan, c’était totalement inoffensif parce qu’il n’y avait pas de publication. C’était totalement informel, donc nous pouvions dire absolument ce que nous voulions. C’est cela d’ailleurs qui était intéressant : on pouvait se rétracter… », (Chamak, 1997, p. 177).
  • [14]
    Son point de départ était le structuralisme des mathématiciens du groupe Bourbaki, basé sur des isomorphismes entre des ensembles non nécessairement signifiants, plutôt que le structuralisme de Saussure, orienté par la nature même du langage humain vers la question du sens.
  • [15]
    Voir son Journal de Californie (Morin, 1970). En 1972, Morin publie un article dans Le Nouvel Observateur, intitulé : « L’an 1 de l’ère écologique ». Il a repris ce titre pour un ouvrage publié plus tard (Morin, 2007).
  • [16]
    Voir la notice nécrologique rédigée par J. Grinevald (2003) dans la revue Silence.
  • [17]
    « Les membres du Club de Rome ont paru surpris de l’importance que nous accordions à la nécessité de ne pas nous contenter d’une vision technocratique des problèmes mondiaux [….] Nous nous intéressions aux problèmes du sens, de la démocratie et aux questions relatives au vivant […] Ils parlaient [de politique], mais il s’agissait d’une politique dans le système économique en place. Ils proposaient des réformes, mais à l’intérieur de l’organisation politique existante. Nous ne pouvions faire que quelques pas ensemble car, pour les responsables du Club de Rome, l’économie de marché était incontournable, et l’accroissement quantitatif des richesses devait être l’objectif final de toute société et de l’humanité. » (in B. Chamak, 1997, p. 54).
  • [18]
    Voir, par exemple, l’hommage rendu par Passet (2010, p. 473), tout en critiquant le fait que, selon lui, dans ses raisonnements, Georgescu-Roegen ne donne pas assez de place à l’information. A l’inverse, il est probable que Georgescu-Roegen devait considérer les thèses de Passet trop marquées par l’importance qu’il y donnait à l’énergie et pas assez à la matière.
  • [19]
    Voir, à ce propos, le courrier adressé par J. Attali à J. Grinevald (Grinevald, 1995, p. 25), en janvier 1979.
  • [20]
    Pour une évaluation de l’interdisciplinarité, somme toute très relative, pratiquée dans cet ouvrage, on se reportera à E. Bertrand (2017).
  • [21]
  • [22]
    http://www.collegium-international.org/fr/le-collegium-international-par-michel-rocard.html. À l’origine, Atlan, Dupuy, Morin, Robin et Passet en faisaient aussi partie.
  • [23]
    http://www.forumchangerdere.fr/ La 7e édition s’est tenue en 2019. Voir l’ouvrage « Sur les traces du Groupe des Dix. Du Groupe des Dix au Forum Changer d’ère » publié par V. Anger-de-Friberg, en 2013, qui s’appuie en partie sur l’ouvrage de B. Chamak (1997).
  • [24]
    Voir aussi à ce propos, au moment de son décès, la tribune signée par D. Bourg dans Le Monde, le 5 juillet 2016, qui lui rendait hommage.
  • Andler D., 2016 . La silhouette de l’humain. Quelle place pour le naturalisme dans le monde d’aujourd’hui ?, Paris, Gallimard .
  • Anger-de-Friberg V., 2013 . Sur les traces du Groupe des Dix. Du Groupe des Dix au Forum Changer d’ère, Paris, Forum Changer d’Ère, http://forumchangerdere.fr/wordpress/wp-content/uploads/2013/05/Sur-les-traces-du-G10-FCE-050613.pdf.
  • Atlan H., 1979 . Le cristal et la fumée. Essai sur l’organisation du vivant, Paris, Le Seuil .
  • Attali J., Guillaume M., 1974 . L’anti-économique, Paris, PUF .
  • Attali J., 1975 . La parole et l’outil, Paris, PUF .
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  • Bouraoui A., 2009 . Hayek, l’« ordre spontané » et la complexité. Revue économique, 60, 6, 1335-58, https://doi.org/10.3917/reco.606.1335.
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  • De Caro M., Macarthur D., 2004 . Naturalism in question, Harvard, Harvard University Press .
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Franck-Dominique Vivien
Économie, Université de Reims Champagne-Ardenne, Laboratoire Regards, EA 6292, Reims, France
fd.vivien@univ-reims.fr
Henry Dicks
Philosophie, Université Jean-Moulin-Lyon-3, EA4187, Institut de recherches philosophiques de Lyon, Lyon, France
fd.vivien@univ-reims.fr
Mis en ligne sur Cairn.info le 09/10/2019
https://doi.org/10.1051/nss/2019036
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