CAIRN.INFO : Matières à réflexion

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2Dans le fonds Lamartine acquis par dation par la Bibliothèque nationale de France en 2004 [1], de nombreux documents encore méconnus concernent l'activité de Lamartine comme historien. Parmi ces dossiers, la documentation utilisée pour l'écriture de l'Histoire des Girondins et l'Histoire de la Restauration mérite que l'on s'y attarde : de nombreux documents inédits y sont présents, à la fois en copie et en originaux, l'écrivain ne s'étant guère embarrassé de scrupules pour faire main basse sur des dossiers présents aux Archives royales ou impériales. On retrouve ainsi dans ses dossiers une pièce particulièrement célèbre pour l’histoire des Cent-Jours : le brouillon de la liste de proscription du 24 juillet 1815, comportant cinquante-cinq noms, tous notés de la main de Fouché qui en barra quelques-uns au dernier moment, tel Flahaut, fils naturel de Talleyrand, mais aussi ceux des préfets Plancy, Lagarde, Dupont-Delporte, de l'éphémère préfet de police Courtin, de l'ancien ministre Montalivet ainsi que des généraux Sébastiani et Sorbier. Le document provient peut-être d'un fond d'archives publiques, ou a pu être donné ou vendu à Lamartine, par exemple par le fils de Fouché, qui conservait les archives de son père [2].

3Parmi les dossiers de travail de l'écrivain figure également une série de rapports de police rédigés à Paris à l’automne 1815, ainsi qu’un ensemble de Rapports de l'administration autrichienne sur les réfugiés français, synthétisant le travail de surveillance des anciens dignitaires de l'Empire, de leurs faits et gestes, de leurs correspondances et de leurs allées et venues par la police autrichienne [3]. Ces documents, qui doublaient les rapports de surveillance rédigés par les agents diplomatiques français, étaient rédigés à Vienne, à destination sans doute de Metternich qui suivait particulièrement les faits et gestes des exilés français, ou peut-être du ministre de la police autrichien, le comte Anton Seldnitski. Ils étaient ensuite traduits en français, sans doute dans les bureaux de l'ambassade de France à Vienne, puis transmis aux bureaux du duc de Richelieu [4] et de Decazes [5] à Paris. Leur provenance exacte n'est pas connue, mais ils ont pu être prélevés par Lamartine dans un des dossiers de surveillance des Bonaparte et de leurs partisans conservés dans l'actuelle sous-série F7 des Archives nationales [6], ou encore dans les dossiers des Archives du ministère des Affaires étrangères [7] ou peut-être même dans les papiers privés de Richelieu ou de Decazes. Les deux hommes ont en effet tous deux eu l'occasion de lire ces rapports et les ont évoqués à au moins une reprise dans leur correspondance [8].

4Par ailleurs, ces documents récupérés par Lamartine sont bien des originaux, comme le montre l'utilisation d'un papier vergé autrichien, la présence d’annotations qui sont bien de la main du duc de Richelieu. En outre, la présentation générale de ces rapports correspond aux normes en usage dans l'administration royale à la même époque : ils sont rédigés sur des liasses de papier broché orné d'un ruban en soie bleue, et le texte n'occupe qu'une moitié de la page afin de permettre des annotations. Le dossier est malheureusement incomplet, comme le montre la numérotation originale des rapports. Néanmoins, les archives de la police autrichienne ayant été détruites dans un incendie en 1928 [9], il s'agirait, en l'état, d’un des rares témoignages de la collaboration entre les autorités françaises et autrichiennes pour la surveillance de la famille Bonaparte et de leurs proches dans les années qui suivirent la chute de l'Empire [10]. Cette surveillance, qui toucha aussi bien les frères et sœurs de Napoléon Ier que les anciens ministres de l'Empereur en exil ou des cas de régicides « relaps » comme Fouché ou l'ex-conventionnel Antoine-Claire Thibaudeau (1765-1854) [11], offre un aperçu unique sur les faits et gestes, les aspirations et les conditions de vie des principaux membres de cette « diaspora napoléonienne » répartie sur tout l’espace allemand, principalement sur le territoire contrôlé par l'Autriche, de l'Italie du Nord à la Hongrie, avec quelques points de concentration comme Trieste (Jérôme, Élisa), Prague (Fouché, Thibaudeau), Constance (Hortense), mais aussi Goritz (Maret), Munich (Eugène). C'est sans oublier Rome où résidaient quelques-uns des surveillés plus célèbres comme Pauline, Madame mère ou le cardinal Fesch, en un écho d’une page célèbre de Stendhal : « Les Bonaparte, avec d'autre débris des dynasties souveraines, avaient cherché un asile dans les bras du père commun [le pape Pie VII] ; mais les jours de l'île d'Elbe n'étaient pas oubliés ; les réfugiés devaient être poursuivis jusque dans l'intimité de leur retraite, espionnés, persécutés en détail. La nouvelle inquisition fut habilement organisée, ses familiers étaient partout [12]. » Ces rapports offrent une synthèse éclairante sur cette surveillance maniaque, jusqu'à présent surtout connue par les Mémoires d'exil[13] et la correspondance de Thibaudeau [14], sans oublier l'étude plus ancienne d'Eduard von Wertheimer [15]. Ils montrent la prudence des exilés français et l’inventivité de leurs méthodes pour échanger secrètement avec leurs parents ou leurs proches, en usant de pseudonymes, en passant par des prête-noms ou en ayant recours à des tiers pour acheminer leurs lettres, souvent écrites sur des feuilles inhabituellement petites, closes avec des cachets inidentifiables, et enfin souvent chiffrées pour plus de sûreté. Ces documents viennent enfin nuancer les observations « classiques » sur la magnanimité et le bon accueil réservé aux anciens dignitaires de l'Empire par les autorités autrichiennes, qui semblent avoir au contraire tenté de gagner la confiance des exilés pour mieux les épier, tâchant de leur soutirer non seulement des informations sur les complots qu'ils pouvaient échafauder, mais aussi des analyses sur la politique française, que les exilés observaient de loin, avec beaucoup d'amertume mais avec un regard de connaisseurs [16].

Vienne, le 26 décembre 1816

5D'après les instructions qui nous [ont] été transmises, la surveillance active qu'il nous est recommandé d'exercer avec soin sur les exilés français ayant pour but principal de chercher à découvrir leurs relations en France, à se procurer des preuves sur l'influence plus ou moins directe qu'ils peuvent y avoir conservée et à connaître enfin la manière dont ils jugent la marche du gouvernement français ainsi que les espérances qu'ils nourrissent encore, nous nous sommes fait un devoir de faire parvenir à nos gouverneurs de province des directions conformes au but que l'on se propose, et nous nous trouvons à même aujourd'hui de soumettre les résultats de leurs observations.

6De tous les rapports qui nous parviennent journellement sur cet objet important, ceux de Prague offrent, sans doute, le plus d'intérêt, tant par les données positives qu'ils contiennent que par le jour qu'ils répandent sur les opinions et même sur les pensées les plus secrètes des exilés qui y sont établis. La police locale ne néglige aucun soin pour étendre sous ce rapport les moyens de surveillance [17], et elle est enfin parvenue à se procurer même le chiffre dont se sert Fouché pour une partie de sa correspondance [18]. Il nous est annoncé depuis plusieurs jours ; nous nous ferons un devoir de le soumettre dès que nous l'aurons reçu. En attendant, nous croyons devoir joindre ici un rapport confidentiel de la police de Prague sur M. Fouché, qui sert à prouver que cet ex-ministre y est bien connu, et que malgré tous les soins qu'il met à couvrir des voiles du mystère ses actions les plus indifférentes, malgré la réserve extrême dans la conversation, malgré même l'isolement dans lequel il vit, on est parvenu cependant à rassembler des renseignements exacts sur les opinions politiques et sur les espérances chimériques qu'il paraît conserver encore.

7T[h]ibaudeau [19], moins accessible à la vanité, plus circonspect que Fouché, doué d'un caractère beaucoup plus fort, serait infiniment plus dangereux s'il se décidait à prendre une part quelconque aux affaires de la France, parce qu'il en prendrait sûrement cette détermination que dans le cas où il pourrait compter raisonnablement sur le succès de son parti. Républicain par principe, il sera toujours l'ennemi du gouvernement actuel, tandis que Fouché ferait demain sa paix avec lui. Thibaud[e]au a été invité par un de ses correspondants à se rapprocher de la France ; nous doutons qu'il soit disposé à se rendre à cette invitation, mais c'est néanmoins une circonstance qui paraît mériter quelque attention. Quant à Durbach [20], il paraît plus occupé de retirer de la France une partie de sa fortune que de se rapprocher de ce pays et de vouloir y jouer un rôle. Le changement de domicile de la famille de Maret [21] a momentanément interrompu la surveillance qu'on exerçait sur elle à Gratz après un séjour de 3 semaines à Trieste, séjour qu'elle aurait vivement désiré pouvoir y prolonger plus longtemps. Elle s'est enfin rendue à Gorice [22] où elle a formé son établissement pour l'hiver ainsi qu['on] s'en convaincra par les rapports ci-joints de Trieste et de Gorice. La conduite de M. Maret et de sa famille dans ces deux villes a été jusqu'ici très réservée et sa correspondance n'a pas non plus fourni un grand intérêt. Toutes les mesures sont prises pour qu'il soit surveillé exactement à Gorice, où du reste il paraît être content de son établissement et de la douceur du climat.

8La surveillance de Madame de St.-Leu à Constance présente beaucoup de difficultés [23], et elle en offrira bien plus encore si, comme on l'offense, elle quitte cette ville pour venir s'établir en Bavière. D'après le peu de renseignements que nous avons pu recueillir sur elle et qui se trouvent dans les rapports ci-joints, il paraît certain que la dernière visite qu'elle a reçue du prince Eugène son frère avait pour but de convenir ensemble du parti qu'elle prendrait si elle était effectivement forcée à quitter Constance [24]. On est fondé à croire qu'il lui a porté l'assurance que dans ce cas elle obtiendrait la permission de s'établir en Bavière où elle a le projet, dit-on, de faire des acquisitions. Au moment du retour de M. le prince Eugène à Munich, le bruit s'y est répandu assez généralement que Madame de St.-Leu viendrait s'y établir. On a parlé aussi d'Augsbourg et de Wurtzbourg qui pourraient lui être assignés pour son établissement. Quel que soit, au reste, le lieu auquel elle donne la préférence en Bavière, il lui fournira toujours plus de facilités que Constance pour [s']y soustraire à la surveillance les relations qu'on accepte d'entretenir en France. Elle y trouvera d'ailleurs, outre M. le prince Eugène et ses alentours, M. de Lavalette [25], M. Drouet d'Erlon [26], et même le maréchal Soult [27], qui y est, dit-on, attendu incessamment. En général, cette réunion de Français aussi marquants en Bavière ne paraît pas indifférente dans un moment surtout où les regards et les vœux des exilés français semblent se réunir sur M. le prince Eugène.

9La colonie de Haimbourg [28] continue à mener la vie la plus tranquille et la plus uniforme. Les individus qui la composent ne sortent du château que pour se promener dans ses environs : on remarque seulement, depuis quelques jours, qu'il ne règne plus une aussi parfaite harmonie entre les deux familles du prince de Montfort et de Madame de Lipona ; et on en infère qu'elles pourraient bien songer à se séparer [29].

10Nous joignons enfin, ici, quelques données particulières dont la connaissance peut n'être pas inutile [30].

[rapport non daté, probablement de la fin de l'été 1816]

11Madame de St.-Leu est de retour à Constance depuis le 5 août [31] ; sa conduite à Gais a été réservée [32], et, à l'exception de deux individus suspects que l'on pourrait soupçonner d'être des émissaires, il n'y est venu personne pendant son séjour sur qui l'attention aurait pu se fixer. Ces deux individus sont le nommé Haechler, marchand de vin à Kreutzlingen qui est noté depuis 1795 comme un homme très suspect ; et un Français nommé Bernard se disant musicien de Paris. Le premier a été introduit chez la duchesse par Bassinet, son maître d'hôtel avec lequel il est lié ; le second n'a passé que 12 heures à Gais, et après un très long entretien avec Madame de St.-Leu, il en est reparti en se dirigeant sur Lucerne [33]. Il paraît d'après les dernières nouvelles que le voyage du prince Eugène, qui était attendu à Constance avec la princesse son épouse, est différé. On attribue ce retard aux obstacles qu'ont rencontrés les projets de Madame la grande-duchesse de Bade qui devait se rendre à Constance à la même époque, mais on assure que Mme la maréchale Marmont, en quittant les eaux de Bade, y a été passée quelques jours avec Madame de Saint-Leu. Cette dame continue à éviter avec une forte affectation de recevoir les Français exilés qui sont établis à Constance ; on s'est procuré deux listes de leurs noms, qui ne sont pas uniformes. Comme elles sont au reste faciles à vérifier, on croit devoir soumettre l'une et l'autre [34], en observée [sic pour en observant] que Méhée la Touche [35] qui n'y est pas nommé, parce qu'il n'a pas pu obtenir la permission de se fixer à Constance, habite les environs de cette ville [36].

12Outre les moyens secrets de correspondance qu'emploie Madame de St.-Leu, on a la certitude qu'elle reçoit beaucoup de lettres par le canal et sous l'adresse des maisons de commerce Macadre de Constance et Schérer de St.-Gall, quoique cette dernière maison soit généralement connue pour la pureté de ses principes. Madame de St.-Leu se sert de plusieurs cachets différents dont on espère se procurer les empreintes. En attendant nous sommes parvenus à obtenir une copie de la lettre qu'elle a écrite de Gais à l'abbé Le Clerc à Paris et qui avait été expédiée par un messager, ainsi que nous l'avons annoncé dans notre précédent rapport. Cette lettre contient une espèce de chiffre ; nous ignorons de quelle manière il a été découvert par la police locale qui avait intercepté la lettre ; mais comme il peut être utile de le connaître, nous croyons devoir soumettre une copie de ladite lettre au bas de laquelle se trouve la clef du chiffre [37]. D'après le titre, il paraîtrait que cette lettre n'est pas de Madame de St.-Leu mais de quelqu'un de sa suite, à moins qu'elle ne soit mal écrite à intention [38].

13D'après les nouvelles de Karlsruhe on paraissait croire que cette cour [39] serait invitée par la France à éloigner Madame de St.-Leu ainsi que le plus grand nombre de Français qui sont établis dans le grand-duché. Parmi ceux-ci, on désigne M. de Montbreton [40], jadis chargé d'affaires du ci-devant roi de Westphalie et M. Bouvier-Dumolard [41], comme les plus dangereux. On mande également de ce pays que Mme de Marmont, pendant le séjour qu'elle y a fait, entretenait une correspondance très active avec la France et recevait beaucoup de lettres sous un nom supposé [42]. On prétend enfin que de nombreux émissaires passent journellement d'une rive du Rhin à l'autre. Des lettres de Francfort qui méritent confiance portent que Lavalette y a eu une entrevue avec la ci-devant reine d'Espagne [43].

14Depuis quelque temps, il arrive aussi à Munich plusieurs officiers qui, ayant servi jadis sous Bonaparte, viennent chercher appui et protection auprès de M. le prince Eugène. Parmi eux on nomme le prince russe Gedrowitch [44] qui a servi dans un régiment de lanciers français et qui a été blessé à la bataille de Waterloo ; le major Stoffel, Suisse [45] ; Romarino, jeune Gênois [46] qui est arrivé à Munich muni de lettres de recommandation de Maret pour M. Tascher, adjudant du prince Eugène [47]. On dit que ce Romarino est parti pour Turin. M. le duc de Dalberg [48] doit avoir écrit au prince Eugène que les personnes qui lui étaient attachées pouvaient être parfaitement tranquilles, que M. de Lagard, destiné au poste de Munich, serait entièrement passif à leur égard [49]. On mande de Munich que Lavalette et le général Drouet sont établis en Bavière sous des noms supposés et y ont acquis des biens-fonds. Drouet a pris le nom de Schmidt [50], Mme de Lavalette est venue dit-on rejoindre son mari [51].

15M. et Mme Maret ne paraissent occupés depuis quelques semaines que du projet et du désir de quitter Gratz où ils se déplaisent, n'ayant pas obtenu la permission d'aller en Toscane. Ils sollicitent celle de s'établir à Berlin, et parlent aussi de passer en Amérique, mais on croit savoir qu'ils n'y songent pas sérieusement, et qu'ils ne répandent ce bruit que pour couvrir leur véritable projet, celui de se rapprocher des frontières de France et nommément des Pays-Bas. Si l'on en juge cependant par une lettre que Maret écrivait dernièrement à M. Thibaudeau, on pourrait croire qu'il ne pense pas à venir en Belgique, comme on le suppose [52]. C'est ainsi qu'il s'exprime : « Il y aurait un inconvénient grave pour moi, qui ai laissé toute une fortune en France à habiter dans un pays où il y a tant de réfugiés dont M. de Cazes fera au premier jour des conspirateurs dangereux, pour se donner le plaisir de confisquer ou de séquestrer leurs biens, et de faire le mal au-dehors comme au-dedans ».

16Parmi les lettres que reçoit M. Maret, on distingue toujours celles de certain correspondant anonyme qui lui parviennent sous l'adresse de M. Beaudet [53]. Dans la dernière, on a remarqué le passage suivant : « le pain est à 17 sous depuis hier, le peuple crie un peu et se recommanderait volontiers à d'autres saints, mais le proviseur qui, s'il le voulait, serait peut-être le plus près de la place qui a tant de concurrence, ne dit mot et laisse ses amis dans la persuasion de son éloignement pour les choses de ce monde. Il est bien timide ou bien maladroit ».

17Le général Dejean, qui est établi à Marbourg, continue à y tenir la conduite la plus sage et la plus réservée ; il n'y a aucun motif de le suspecter de menées secrètes [54].

18L'arrivée de Fouché à Prague et l'intention qu'il annonce de s'y fixer ont particulièrement excité l'attention des autres exilés français. M. Maret a demandé avec empressement des éclaircissements à cet égard à M. Thibaudeau qui lui a répondu que Fouché a quitté la Saxe pour éviter des embarras au roi [55]. Il ajoute que l'annonce des Mémoires de Fouché était une ruse de libraire [56]. Cependant, d'après les assertions et la correspondance du secrétaire de Fouché, la notice qu'on imprime dans ce moment sur la vie et la carrière politique de cet ex-ministre n'est point publiée sans son aveu. Ce secrétaire qui se nomme Desmarteau et qui est en même temps instituteur des enfants de M. Fouché est un homme très instruit qui paraît jouir de toute sa confiance [57].

19Fouché commence à se montrer souvent au public ; il ne néglige rien pour se concilier la bienveillance, surtout des gens en place, et il est très impatient de connaître l'effet que produiront sa lettre au duc de Wellington et la notice sur sa carrière politique qu'on vient d'imprimer [58].

20Parmi les étrangers que son séjour à Prague y a attirés, on remarque particulièrement M. de Luxbourg [59], ministre de Bavière à la cour de Dresde, et Mme de Custine [60], qui l'un et l'autre sont venus à Prague uniquement pour y passer quelques jours avec Fouché. M. de Luxbourg s'était lié à Dresde très intimement avec cet ex-ministre. Pendant les 2 fois 24 heures qu'il a passées à Prague, il a été constamment avec lui, et en partant il a promis de revenir dans un mois pour y faire un plus long séjour. Fouché écrivait à Mme de Custine peu de jours avant la visite qu'elle lui a faite : « Si la sagesse des hommes ne nous réunit pas, ce sera leur folie. Nous sommes sûrs de ne pas être séparés longtemps ».

21On suppose que Fouché est en correspondance avec Mme Bacchiochi [61], avec le prince Eugène, par l'entremise du comte de Luxbourg, avec Mme de Saint-Leu, avec Mme Murat et avec Cambacérès, mais on n'en a pas la certitude, et d'après toutes les données qu'on a pu rassembler, le soupçon ne paraît fondé jusqu'à présent que pour le prince Eugène et Mme de Saint-Leu. On y sera très attentif, quoique la surveillance d'un homme tel que Fouché présente de grandes difficultés. Une circonstance assez remarquable, c'est que toutes les lettres mises jusqu'à présent à la poste par les gens de Fouché se sont trouvé avoir déjà été ouvertes. Il paraît donc qu'il exerce dans sa maison une espèce de police secrète pour éviter d'être compromis.

22Sa société journalière est composée de la famille Thibaudeau et de M. de Durbach. Celui-ci a le projet d'acheter des terres en Bohème. Quant à Thibaudeau qui y avait pensé, il paraît aujourd'hui qu'il songe à se rapprocher des Pays-Bas.

23On a été plusieurs fois dans le cas de fixer l'attention sur l'amiral suédois Gyldenskiold, pendant le séjour assez long qu'il a fait aux différents bains de la Bohème. Il est connu pour être un agent secret de police du prince royal [62], et les liaisons qu'il a formées avec M. de Luxbourg et M. de Salmon [63] prouvent suffisamment quelles doivent être ses opinions politiques. Il est parti pour Paris se dirigeant par Munich et la Suisse ; on mande qu'il a été accompagné en Bavière par M. de Luxbourg et on en infère qu'il pourrait avoir été chargé d'une commission du prince royal pour le prince Eugène. Ce fait devrait être facile à éclaircir. M. de Gyldenskiold ne se sert pas de la voie de la poste pour ses correspondances, il doit avoir d'autres moyens à sa disposition. M. d'Akerhjelm [64], colonel au service de Suède qui paraît l'avoir remplacé comme observateur aux bains de Bohème, y a reçu une lettre de M. de Signeul, consul de Suède en France, dont nous croyons devoir soumettre un extrait. Cette lettre est digne d'attention [65].

24Le général Morand [66], qui dans ce moment est à Cracovie, ne reçoit et n'expédie aucune lettre par la poste. Cependant on ne doute pas qu'il n'entretienne des relations suivies avec la France. Il met une telle importance à ses papiers qu'il les tient enfermés dans une cassette ferrée, munie d'une serrure à secret et vissée au plancher de son cabinet de travail, dont il porte toujours l'entrée sur lui, et dont l'entrée est interdite, même à sa femme. Celle-ci a reçu dernièrement une lettre de Bruxelles à laquelle se trouvait joint un post-scriptum adressé au général Morand, dont nous croyons devoir soumettre une copie, parce qu'il peut fournir des lumières sur sa correspondance [67].

25On assure que Carnot doit venir à Berlin, où le gouvernement prussien veut le consulter sur des objets militaires.

26Jérôme Bonaparte et sa femme arrivés en Autriche sous le nom de prince et princesse de Montfort sont encore à Haimbourg chez Mme Murat d'où ils doivent se rendre à Gratz où la cour leur a permis de s'établir. Jusqu'à présent la surveillance exercée sur eux et sur tous ce[ux] qui habite[nt] le château de Haimbourg n'a produit encore aucun résultat digne d'être porté à la connaissance du ministère.

[rapport non daté, probablement de l'automne 1816]

27Conformément à vos ordres, j'ai l'honneur de vous soumettre les résultats qu'ont offerts mes dernières observations sur les exilés français exilés à Prague.

28M. Fouché continue à y vivre de la manière la plus retirée. Le colonel-baron de Wimmer dans la maison duquel il demeure, et le banquier Lacual qui soigne ses affaires particulières sont à peu près les seuls indigènes avec lesquels il ait eu des relations suivies. Sa société habituelle se borne exclusivement à la famille Thibaudeau et à M. Durbach. Ce dernier paraît mieux jouir de sa confiance que M. Thibaudeau [68].

29Le duc d'Otrante se lève régulièrement à 6 heures du matin et s'occupe alors à écrire jusqu'au moment où toute la famille se réunit pour le déjeuner. Il paraît que sa correspondance est étendue. Le sr. Demarteau en soigne une partie. Le duc travaille, en ce moment, à un grand ouvrage qui portera pour titre Le secret de la Révolution dévoilé.

30Cet ouvrage qui sera essentiellement lié à ses Mémoires doit paraître à Londres chez le libraire Colburn, appartenant au parti de l'opposition [69], et sera mis en vente, autant que faire se pourra, dans toutes les librairies marquantes de l'Europe et dans celles des États-Unis d'Amérique. Un article de la Gazette universelle renfermant un extrait de l'ouvrage de M. de Chateaubriand a vivement piqué M. Fouché. Il dit à cette occasion qu'on devrait considérer les principes que vient de manifester M. de Chateaubriand comme la profession de foi de tout le parti ultra-royaliste, et qu'on ne pouvait méconnaître la tendance de cette faction à anéantir jusqu'au bien même qui était résulté de la Révolution. Il se prononce constamment dans le sens d'un royalisme constitutionnel, ne ménage Bonaparte en aucune occurrence, et vante les efforts des Alliés contre celui-ci avec la même chaleur avec laquelle il censure les vues ambitieuses et les projets de tyrannie que décèlent, d'après lui, toutes les menées du parti ultra-royaliste. La composition de la nouvelle chambre des députés et l'action réciproque que doivent y exercer les éléments hétérogènes dont, d'après M.M. Fouché, Thibaudeau et Durbach, est composée cette chambre, constituent naturellement un des principaux objets des entretiens de ces messieurs et leur fournissent un vaste champ à des discussions, à des pronostics et à des censures [70]. Ils se déchaînent surtout contre les émigrés rentrés, et prétendent que les Chateaubriand et consorts verraient plutôt périr la France tout entière que de céder en rien sur leurs prétentions et de renoncer à leurs projets de réaction. M. Durbach assure que les deux députés de Metz qu'on vient d'élire sont encore plus ultra-royalistes que ceux qu'ils remplacent, et comme, dit-il, les présidents des collèges électoraux ont presque partout été nommés représentants à la chambre, il est clair que la cause des constitutionnels périclite, et que ceux-ci ont tout à redouter.

31Durbach, qui est le plus franc, ou, si l'on veut, le moins dissimulé de ces trois messieurs, avoue sans feinte qu'il ne pourra jamais être ami de Fouché. Il ne lui pardonne point de l'avoir placé sur la liste de proscription. D'après lui, le duc n'a aucunement renoncé à l'espoir de retourner en France. Il irait même jusqu'à se persuader que le roi pourrait se trouver dans la nécessité absolue de le rappeler. Durbach lui-même est au contraire fermement décidé à ne plus revoir sa patrie, quelle que puisse être la tournure que pourraient prendre les affaires dans l'avenir. Il doit se rendre incessamment en Autriche pour y voir une terre dont il a le projet de faire l'acquisition.

32Thibaudeau semble s'être prescrit une conduite entièrement passive : « je suis en paix avec tout le monde, dit-il, parce que je sais me taire. Il y a plus d'art à savoir se taire à propos qu'il n'y en a à faire de belles phrases. Voyons ce que Fouché a gagné à ses écrits ? Il prêche des gens qui ne veulent pas entendre, c'est la voix dans le désert, il n'a fait qu'augmenter le nombre de ses ennemis en France, et dans le ministère d'Angleterre. Fouché est comme une cloche, répète surtout M. Thibaudeau, plus on l'agite, plus il fait de bruit ; plus les ultra-royalistes crieront contre lui, plus il écrira. J'écrirais aussi, dit-il, si je croyais l'époque favorable à des discussions politiques, mais le moment n'est pas encore arrivé. Ce sont les événements qui décideront si je dois me remettre en scène ; en attendant, je suis enchanté qu'on veuille m'oublier ».

[rapport non daté, probablement de l'automne 1816]

33Pendant 12 ou 15 jours environ, la surveillance la plus exacte, exercée sur les exilés français qui ont obtenu un asile dans les États autrichiens, n'avait offert aucun résultat digne d'attention ; ils attendaient dans le silence l'ouverture des Chambres lorsque l'ordonnance du 5 septembre leur a rendu leur ancienne activité [71]. Le besoin de se communiquer leurs craintes et leurs espérances sur les suites de cette mesure, l'incertitude dans laquelle ils étaient plus ou moins tous sur le jugement qu'ils devaient en porter, l'agitation enfin, qui leur est naturelle, devaient nécessairement les engager à mettre moins de circonspection dans leurs rapports entre eux, et c'est à cette circonstance que nous devons principalement les dernières découvertes que nous avons faites.

34On a déjà eu l'occasion de faire observer plusieurs fois combien Fouché était jaloux de se concilier l'opinion publique, c'est surtout dans l'espoir de faire sur elle une forte impression qu'il s'est décidé à faire imprimer sa lettre au duc de Wellington et ses notices. Un fait assez singulier vient à l'appui de cette observation, et fournit une preuve de plus du soin particulier que met Fouché à ménager tous les partis, et à caresser même jusqu'à ses adversaires les plus prononcés. On sait depuis longtemps que Fouché a distribué avec profusion les 2 ouvrages dont il est fait mention plus haut ; mais on avait ignoré jusqu'ici qu'il en avait même adressé des exemplaires à plusieurs personnes comprises dans la liste de proscription qu'il a signée dans la dernière époque de son ministère, et que dans ces exemplaires il a rajouté des notes justificatives de sa main. Il suffira de citer quelques-unes de ces notes pour en faire connaître la tendance et pour caractériser les intentions de l'auteur.

35Page 126 de la notice, un astérisque après le mot de « modération », à la troisième ligne, renvoie à l'addition suivante écrite en marge : « on a blâmé le duc d'Otrante d'avoir signé l'ordonnance du 24 juillet, mais avait-il un autre moyen de garantir la tête de ceux dont les noms sont inscrits sur cette ordonnance. Ne se souvient-on plus des cris de haine et de vengeance qui éclataient avec une égale fureur parmi les Français et les étrangers ? Note confidentielle de l'auteur ».

36Dans la lettre au duc de Wellington page 19, après ces mots : « si je me fusse mis à l'écart, on me reprocherait tous les maux que j'ai prévenus en restant au ministère », Fouché ajoute de sa main le passage suivant : « je ne puis m'ouvrir entièrement aujourd'hui sur ce point. On en devinera les motifs. Je les développerai dans mes Mémoires. On jugera alors si j'ai commis une faute politique en signant l'ordonnance du 24 juillet ».

37Toujours fidèle au même principe de ne rien négliger pour se concilier l'opinion publique, Fouché fait insérer dans les journaux allemands des réfutations des diverses inculpations qui, lors de la publication de ses derniers ouvrages, ont été reproduites contre lui dans les feuilles publiques. Il se sert à cet effet particulièrement du sr. Hasse, professeur à Dresde [72], auquel le sr. Demarteau transmet sans cesse ce qu'il appelle des rectifications des faits sur lesquels sont basées les accusations élevées contre Fouché. C'est surtout dans la nécessité profondément sentie de se laver des reproches auxquels donne lieu le rôle qu'on l'accuse d'avoir joué pendant la Révolution que Fouché trouve un motif particulier de hâter la publication de ses Mémoires, à la rédaction desquels il travaille avec assiduité. J'arrive à la fin de mes Mémoires, écrit-il à M. de Montléard à Dresde [73] ; mes ennemis ne pourront se plaindre que d'une seule chose, d'y avoir été complètement oubliés. Dans une lettre à Mme de Custine, il dit : On me reprochera pas du moins d'avoir été injuste envers aucun parti dans mes Mémoires ; il est impossible d'être plus impartial, à moins de s'anéantir. Cependant je ferai des mécontents ; je suis modeste, en parlant de moi, je voudrais pouvoir ne l'être point. J'ai le projet de dédier au roi mes Mémoires ; c'est assez vous dire quand quel esprit ils sont rédigés[74].

38Rien ne prouve davantage ce prix extraordinaire qu'attache Fouché à ce qui se dit de lui dans le public, que la joie extrême qu'il a éprouvée d'un rapprochement qu'une gazette s'est permis de faire entre Sully et lui [75]. Si les louanges et les injures des journaux, écrit-il à M. Gaillard[76], n'étaient pas des objets de calcul, je me féliciterais aujourd'hui de me voir par eux comparé à Sully. Je voudrais dans ce moment avoir sa fortune et pouvoir faire hommage de mes bois à Louis XVIII.

39Ce passage, dans lequel Fouché paraît se complaire, se trouve dans presque toutes les lettres qu'il a écrites depuis quelque temps [77].

40La dissolution de la chambre des députés a tout autant surpris Fouché que Thibaudeau et les autres exilés français. Cette circonstance prouve au moins que malgré ses moyens étendus d'être instruit de ce qui se passe en France, cette mesure du ministère lui était inconnue. Tout en y applaudissant hautement dans la conversation, Fouché affecte cependant l'inquiétude que le ministère actuel et le parti des constitutionnels ne finissent par succomber sous les coups de leurs adversaires, par l'ascendant des princes de la famille royale. Thibaudeau et lui sont extrêmement impatients de recevoir quelques données positives sur la manière dont on a amené cet événement sur lequel ils sont d'autant plus embarrassés de porter un jugement qu'ils ne connaissent pas les ressorts qui ont été mis en mouvement pour obtenir un aussi grand résultat. Thibaudeau s'est exprimé de la manière suivante dans une de ses lettres à Mme de Vaine : « cela est comme un coup de foudre. On avait de bonnes raisons pour ne pas s'y attendre ; êtes-vous devenus plus raisonnables ? Avez-vous eu peur ? Voilà ce qu'on se demande et ce que l'avenir expliquera. Pour moi, je me suis déjà fait la réponse, mais peut-être je m'y trompe et vous n'avez que faire de ma prédiction ».

41D'après les propos de ces messieurs, il paraît au reste évident que l'un et l'autre se flattent que cet événement pourrait influer d'une manière favorable sur leur situation, et faire naître des chances pour leur retour dans leur patrie.

42On a remarqué que Fouché a concentré depuis peu, sur la place de Prague, des sommes très considérables qu'il avait tenues jusqu'à présent à la disposition de plusieurs maisons de banque en Europe. Il a tiré sur une seule maison de Dresde une somme de 53 000 écus d'Empire ; a-t-il l'intention de faire des acquisitions en Bohème ? Ou se livre-t-il à des espérances et à des projets qui lui imposent la nécessité de tenir des sommes considérables à sa disposition ? Son caractère, les vues qu'on doit lui supposer, d'après sa conduite et les espérances qu'il paraît nourrir encore, ne sont point en faveur de la première de ces suppositions.

43Depuis que la nouvelle de la dissolution de la Chambre est connue à Prague, Fouché et son secrétaire paraissent beaucoup plus actifs qu'ils ne l'avaient été jusqu'ici ; ils ont reçu beaucoup de lettres par le colonel Colburn et sir James Jones, deux Anglais qui, de Dresde, se rendent par la Bohème en Italie. Fouché, à son départ, leur en a confié plusieurs aussi. Il en reçoit également très habituellement sous le couvert de la demoiselle Riboud, qui répond par lui et en son nom [78]. Pour faire connaître ce genre de correspondance, nous croyons devoir joindre ici la copie d'une de ces lettres [79] qui se fait connaître autant par le mauvais esprit qui l'a dictée que par l'imprudence avec laquelle est écrite. Je vous prie, dit Mlle Riboud, dans une de ses réponses, d'adresser vos lettres à M. de Feitzberg, poste restante à Prague, et de donner cette adresse le plus tôt possible et vous-même à Mme de la Viéville, à Mme de La Gonide[80] et à ma famille.

44On retrouve aussi souvent dans la correspondance de Fouché le nom de Camille [81], mais rien n'indique que ce soit la même personne qui est en correspondance avec M. Maret.

45Si Fouché et Thibaudeau ont évité avec affectation de s'expliquer et de porter un jugement sur l'ordonnance du 5 septembre et sur les élections qui en ont été la suite, Durbach, beaucoup moins circonspect, s'en est ouvert sans la moindre réserve dans sa société. Il dit hautement qu'il n'attend plus rien de la mesure prise par le roi relativement à la Chambre. D'après lui, les députés, nouvellement nommés, sont presque tous ultra-royalistes dans le sens le plus étendu du mot. Quel est donc le résultat que l'on peut espérer pour la tranquillité de la France du renouvellement de la Chambre ?, demande Durbach ; ou le roi était de bonne foi, poursuit-il, en se décidant à cette mesure, ou le tout n'était qu'un jeu pour en imposer à la Nation. Dans la première supposition, il a mal calculé ses moyens et son influence sur l'opinion publique. Il s'est aliéné les ultra-royalistes sans gagner les constitutionnels qui se défieront toujours de ses intentions cachées, et il se trouve ainsi seul entre deux partis plus acharnés que jamais l'un contre l'autre. Si au contraire le tout n'était qu'une ruse pour gagner les constitutionnels, alors, dit-il, il faut avouer que ce serait une intrigue qui ne pourrait manquer d'être bientôt découverte, et qui serait au-dessous de la dignité du roi. Il perdrait par-là la confiance de la nation, la considération personnelle dont il jouissait encore s'évanouirait et les princes ainsi que M. de Chateaubriand continueraient la suivre leurs anciens errements jusqu'à ce qu'une triste et tardive expérience leur prouvât combien ils ont méconnu l'esprit de leur siècle et celui de la nation française.

46Il nous a été impossible de connaître l'impression qu'a faite sur la colonie de Haimbourg l'ordonnance du roi. Les deux familles de Mme de Lipona et de M. le prince de Montfort qui se trouvent réunies pour le moment sous le même toit vivent dans leur intérieur, où aucun étranger ne pénètre. D'après ce que nous savons de ce qui s'y passe, tous les individus qui appartiennent à ces deux familles sont très circonspects dans leurs actions et dans leur correspondance. En général, on ne peut refuser à cette colonie qui est sévèrement observée la justice que, jusqu'ici, elle s'est conduite avec une grande réserve.

47À Gratz, la nouvelle de l'ordonnance du 5 septembre paraît avoir fait sur Maret une impression plutôt favorable, en lui rendant l'espoir que l'esprit de modération qui a dicté cette mesure pourrait amener des circonstances qui faciliteraient son retour en France. On a remarqué que, depuis le moment où il a [eu] connaissance, sa correspondance a été beaucoup plus active. Elle est toujours dans un aussi mauvais sens, et on peut s'étonner avec raison du peu de soin que prennent les amis de Maret pour voiler leurs véritables opinions. La copie ci-jointe [82] d'une lettre anonyme, en date du 9 septembre, qu'il a reçue il y a 12 ou 15 jours, vient à l'appui de cette assertion. Elle est remarquable sous plusieurs rapports, & pourrait fournir des indications précieuses. Comme il y était encore question de dessins coloriés et à l'encre, nous avons cru devoir porter à cette circonstance une attention particulière & ce succès a enfin répondu à nos soins. Une lettre anonyme du 24 septembre, sans indication de lieu, que Maret reçut peu de jours après, contenait un dessin que nous avons fait copier avec la plus grande exactitude pour pouvoir soustraire l'original en y substituant la copie. Ce dessin, qui représente un aigle napoléoniste, surmonté d'une étoile à six pointes, et qui se fait remarquer par la netteté de l'ouvrage, est envoyé à Mme Maret pour le jour de sa fête (elle s'appelle Marie), qui est en même temps celle que célébrait Napoléon [83]. Cette circonstance seule serait faite pour faire soupçonner que ce dessin est un signe de ralliement, ou qu'il renferme peut-être un chiffre convenu. Toutes les épreuves que nous avons faites pour nous convaincre ont été infructueuses. Il ne nous reste qu'à le soumettre en original avec la copie de la lettre dans laquelle il était inséré [84].

48Maret en reçut par le même courrier une troisième dont nous croyons devoir joindre ici la copie [85], parce qu'elle paraît être du même auteur que les deux précédentes & qu'en les confrontant avec soin, elles doivent conduire à découvrir le paysage satirique et en général tous les individus qui sont en correspondance avec M. et Mme Maret. Lorsque l'on sait d'une manière positive, par la lettre anonyme en date du 24 septembre, que Camille était à cette époque à Suresnes chez Mme de Vaud… il doit être facile de savoir qui est cette Camille et de découvrir ensuite par elle les autres correspondants de Maret [86]. On remarquera que toutes ces lettres arrivent à Gratz sous l'adresse de M. Beaudet, mais que presque toutes ont été mises à la poste à Vienne par un commis de la maison de Fries, laquelle les reçoit sous son souvent sans pouvoir indiquer par qui elles lui sont transmises. Les lettres qui parviennent à Maret sous l'adresse de M. Brocard sont en général peu intéressantes, ainsi qu'on peut en juger par celle qu'on a l'honneur de soumettre ici en original [87], mais elles contiennent souvent de petits billets pour Mme Maret, qui seraient propres à jeter des feux sur la correspondance de cette famille. Un de ces billets originaux, avec l'adresse pour Marie, se trouve ci-joint à la lettre incluse ci-dessus ; il y est également question de cette même Camille. Ainsi c'est un indice de plus pour pénétrer ce voile mystérieux dont s'enveloppent ces différents correspondants et c'est cette circonstance qui nous a déterminés à soustraire la lettre. On a donné cours aux trois autres. Les deux écritures qui nous ont été transmises de Paris ont été soigneusement comparées avec celles de toutes les personnes qui écrivent à M. et Mme Maret, et nous nous sommes convaincus qu'elles n'ont aucun rapport entre elles, ce qui prouve que les soupçons qu'on a en France ne sont point fondés, ou que, s'ils le sont, on emploie une main inconnue.

49Maret, très contrarié de n'avoir pas pu obtenir la permission de s'établir en Italie, ni même à Trieste, paraîtrait disposé à rester à Gratz, mais sa femme a le plus vif désir de quitter cette ville où elle se déplaît horriblement, et elle préférerait de passer l'hiver à Goritz. On est encore dans l'incertitude sur le parti qu'ils prendront.

50D'après les nouvelles que nous recevons de Constance, Mme de St.-Leu sollicite vivement l'intervention des cours de Bavière et de Bade pour obtenir la permission de rester en Allemagne ou du moins de passer l'hiver à Munich si elle était forcée de quitter Constance. La bourgeoisie de cette dernière ville a fait en sa faveur des démarches auprès de la cour de Bade, en représentant qu'elle répandait beaucoup d'argent dans le pays et qu'elle y faisait infiniment de bien. À en juger par les arrangements qu’elle prend dans sa maison, où elle a fait venir dernièrement encore beaucoup de meubles, elle pourrait se flatter de passer au moins encore l'hiver à Constance.

51Le nommé Leclerc, qui fait, dans la Maison de Mme de St.-Leu, les fonctions de trésorier, et qui jouit de sa confiance particulière, est parti, dit-on, pour Paris, chargé de solliciter du ministère de S. M. Très Chrétienne en faveur de Mme de St.-Leu, un délai pour sortir des États du grand-duc de Bade.

52Lorsqu’à la même époque le sr. Bassinat, maître d'hôtel de la duchesse, et le sr. Cochelet, ont été envoyés à Francfort pour y vendre de l'argenterie et des bijoux, d'un autre côté, la demoiselle Cochelet a fait depuis peu deux voyages à Schaffhouse [88] et un certain monsieur Marmont a été envoyé par la duchesse à Zurich. On assure qu'elle-même s'est adressée à M. Zellweger, bailli de Frogue [89] et l'a prié de lui faire expédier des passeports pour Pontarlier et Brenetz [90]. Sur la réflexion que lui fit M. Zellweger qu'elle n'avait aucun besoin de passeport pour voyager en Suisse, elle doit lui avoir répondu qu'une fois à la frontière, elle serait peut-être tentée d'aller au-delà. M. Zellweger crut devoir lui conseiller alors de s'adresser à l'ambassadeur de France. La relation porte qu'elle ne put en obtenir des passeports, mais qu'elle sut s'en procurer par une autre voie dont elle n'a cependant pas été dans le cas de faire usage, parce que l'ordre de quitter les États de Bade, qu'elle avait reçu à cette époque, l'avait forcé à renoncer à ses projets de voyage en Suisse.

53Presque tous les Français qui avaient été éloignés de Constance par ordre du gouvernement y sont revenus depuis et ils paraissent aussi se flatter que l'ordonnance du 5 septembre accélérera leur retour en France.

54Parmi les Français qui ont reparu nouvellement à Constance et qui y ont vu plus ou moins souvent la duchesse de St.-Leu, on nomme Étienne Morlait [91], se disant fabriquant hollandais, Méhée-Latouche, Pierre Frère [92], venant de Munich et sollicitant des passeports pour Karlsruhe qu'il n'a point obtenus.

55Mme Joseph Bonaparte continue à vivre à Francfort d'une manière très retirée. Elle ne fréquente aucune société et ne voit personne. Il lui est arrivé dernièrement des Pays-Bas un exprès qu'elle y a réexpédié 12 heures après.

56Le général Morand vient de vendre la terre que sa femme possédait dans les environs de Cracovie. Le jugement porté contre lui en France a fait sur son esprit une si vive impression que depuis qu'il en a eu connaissance il ne sort plus de sa maison. Il craint d'être réclamé par la France. Il s'en est ouvert au comte Joseph Wodzicki [93], la seule personne avec laquelle il entretienne encore des relations, et il lui a dit qu'il croyait que la meilleure manière de pourvoir à sa sûreté personnelle était de fixer son domicile à Kiesce (palatinat de Lublin), par conséquent sous la domination russe.

57Le dernier rapport que nous avons reçu des frontières de la Pologne, sur cet ex-général français, contient des données assez intéressantes pour nous engager à en soumettre une copie [94].

[rapport non daté, probablement de l'automne 1816]

58Les exilés français, depuis l'ordonnance du 5 septembre, ne sont occupés que d'une seule pensée ; ils attendant avec une impatience mêlée de crainte l'ouverture des Chambres [95], tantôt ils se flattent qu'ils seront rappelés par elles, tantôt ils se livrent à l'espoir que l'exaspération de si différents partis amènera nécessairement des troubles et que de ces troubles naîtra un autre ordre de choses qui leur sera plus favorable ; tantôt enfin ils retombent dans le découragement et craignent de ne pas voir de fin à leur exil et à leurs maux. Si chacun d'eux professe des sentiments politiques différents, tous se réunissent pour former des vœux contre le gouvernement légitime ; mais plus on les observe et plus on a l'occasion de se convaincre que leur esprit d'opposition n'est point dirigé par une force centrale, et qu'il doit, par conséquent, être facile au gouvernement de le neutraliser. Quelques fragments de leur correspondance suffiront pour prouver la vérité de cette assertion.

59Fouché, qui prétend n'aspirer désormais qu'à une vie tranquille, est bien loin de tenir ce langage lorsqu'il écrit à ses affidés dont il cherche continuellement à nourrir la confiance. C'est le moment pour Gaillard (écrivit-il à M. le comte de Sceaux [96]) de voir son créancier Henry. Je sais bien que mon crédit n'aura pas beaucoup d'influence aujourd'hui sur Henry, mais il a de l'esprit, il voit de loin, il sait que les peines ne sont point éternelles, au moins dans ce monde. L'expérience lui a prouvé qu'il fallait se ménager l'estime de ses amis, qu'il n'y a rien de stable dans l'état de crise où nous vivons, je ne comprends pas comment Henry n'a pas déjà placé Broband [97], neveu de Fouché.

60Thibaudeau paraît moins confiant dans l'avenir, soit qu'il écrive avec plus de franchise que Fouché, soit que les dernières nouvelles qu'il a reçues de Félix Desportes [98] l'aient personnellement découragé. Celui-ci lui a dit entre autres : « on me mande comme certain que le roi voulant enlever à la Chambre l'honneur de la priorité, va faire paraître une ordonnance qui rappelle tous les bannis de quelque espèce qu'ils soient, excepté les membres de la famille de l'usurpateur et quatre ou cinq enragés dont le retour pourrait gangrener le troupeau. Ces enragés sont, dit-on, Boulay [99], de Fermon [100] et moi, peut-être aussi maître Fouché qui ne l'a guère mérité ».

61Si l'on en juge par une réponse de Thibaudeau à M. Tribert [101] à Bruxelles, les exilés aux Pays-Bas se flattent toujours qu'une combinaison politique pourrait apporter quelque changement heureux à leur sort : « J'entends bien les logogryphes, lui dit-il, tu espères le beau temps du côté d'où il ne pleut pas ordinairement, ce serait un miracle ; mais nous en avons tant vus qu'il ne faut plus douter de rien. Cependant ce que je sais de l'état de la France n'est pas trop tranquillisant ».

62Effectivement il en paraît vivement inquiet. C'est ainsi qu'il s'exprime à ce sujet dans une lettre à Madame Smitt [102]. « Ce que j'avais prévu est arrivé. Vous aurez à peu près la même Chambre, mais irritée de toute ce qu'on a fait contre elle. C'est tout simple, il ne pouvait pas en arriver autrement. C'était les mêmes électeurs, les mêmes agents partout. Des pommiers ne peuvent produire que des pommes. Je pourrais bien prédire encore, mais vous me prendriez pour un conspirateur ou pour un sorcier, et je ne suis ni l'un ni l'autre ». Quelquefois Fouché s'exprime aussi dans le même sens sur la situation de la France. Il écrivait dernièrement à Mme de Vaisnes [103] : « Je ne puis vous dire ma pensée toute entière sur la dissolution de la Chambre. Je connais la France, elle est indifférente aujourd'hui sur la forme de sa constitution, pourvu qu'elle se croie à sa stabilité. Mais existe-t-il une constitution là où on fait un crime d'État d'une violation de police ? Peut-il y avoir sécurité pour les biens lorsque la liberté et la vie même sont entre les mains de tribunaux passionnés et arbitraires ? Si vos députés qui sont toujours les mêmes ne sont pas devenus plus sages, si l'expérience de la dernière session ne leur a pas donné plus de lumières, s'ils ne travaillent pas à concilier les opinions, à réunir les intérêts autour du trône et à procurer à chacun une plus grande certitude de son avenir, ils achèveront de déchirer la patrie. Le petit triomphe qu'ils viennent de remporter sur leurs adversaires a réparé sans doute un accident de la fortune ; mais ils trouveront des difficultés plus grandes, des obstacles nouveaux qui naîtront continuellement de la nature des choses. Ils lutteront en vain contre la nécessité toute-puissante, les événements qui sont forts les entraîneront ».

63Il est assez remarquable que Fouché, après s'être occupé avec une assiduité rare de la rédaction de ses Mémoires, et après en avoir annoncé la publication prochaine, vienne de déclarer depuis peu qu'il ne voulait plus les livrer à l'impression : « Je ne puis encore publier mes mémoires », écrit-il à Mme de Vaisnes à Paris, « il faudrait maintenant me résoudre à des suppressions que je ne dois pas faire ». Constamment occupé d'attirer sur lui l'attention et de faire de l'effet dans le monde, il se félicite d'avoir été attaqué par M. de Chateaubriand dans son dernier ouvrage, parce que cela lui fournit une occasion naturelle de faire son apologie, en répondant aux accusations portées contre lui, et d'influencer l'opinion par l'étalage d'une noble modération contre des ennemis acharnés [104]. Thibaudeau qui en fait très peu de cas comme homme d'État, mandait dernièrement à un de ses amis : « Chateaubriand a rendu un véritable service à Fouché en le mettant à même de jeter dans le monde un nouveau panégyrique de sa conduite politique. Il lui faut absolument un ministère pour avoir de l'esprit et du tact. Que vous seriez étonné », poursuivit-il, « de voir ce personnage que vous croyez habituellement abîmé dans les plus profondes méditations, tuer le temps par des promenades journalières de 4 à 5 heures, musarder le reste de la journée et roupiller toute la soirée en attendant que l'heure du coucher lui permette d'aller prendre de nouvelles forces pour recommencer le lendemain. En tombant de son piédestal, l'idole s'est brisée et les morceaux n'ont plus une grande valeur, elle était déjà un peu vermoulue ». Fouché mène effectivement une vie très uniforme à Prague. Son temps est partagé entre quelques heures de travail dans son cabinet, quelques heures de promenade où il ne cherche à rencontrer personne, les leçons à ses enfants auxquelles il assister, et les heures du salon où habituellement il s'endort parmi les lettres qu'il a reçues, celles qui lui est parvenue sous l'enveloppe de la demoiselle Riboud [105] et dont on joint ici la copie paraît mériter quelque attention. Quoiqu'elle soit sans indication de lieu, il n'y a pas de doute qu'elle n'ait été écrite de Constance par une personne de l'intérieur de Madame la duchesse de Saint-Leu [106].

64Il est connu que Fouché se sert de ladite demoiselle Riboud comme secrétaire, et qu'alors elle signe les lettres qui lui sont dictées. On croit devoir joindre également ici la copie d'une de celles qu'elle a écrites à la fin d'octobre à la demoiselle Zélie [107] à Meaux. Elle renferme, sinon un chiffre, au moins certainement une manière secrète de correspondre en employant des noms dont on doit être convenu de part et d'autre pour ne pas nommer les véritables [108].

65Fouché continue à recevoir et à expédier beaucoup de lettres par la Saxe. C'est le sieur Bertziger, domicilié à Dresde, qui soigne sa correspondance et qui reçoit de lui pour ce service une pension de 48 écus de Saxe par mois. Il fait passer et il reçoit aussi des lettres par l'entremise du comte de Mozinski avec lequel il est en relations suivies [109].

66Les nouvelles que les exilés français reçoivent de leurs compagnons d'infortune qui ont cherché un asile aux États-Unis d'Amérique sont de nature à les dégoûter entièrement de ces contrées [110] ; mais ils tournent de nouveau leurs regards vers les Pays-Bas, d'où on leur mande que l'orage est passé.

67La famille Maret s'est enfin décidée à quitter Gratz pour aller s'établir à Gorice. Pendant que M. Maret s'occupera de former ce nouvel établissement, sa femme et ses enfants passeront une quinzaine de jours à Trieste. La circonstance de leur départ interrompt pour le moment nos moyens de surveillance. Nous avons cependant intercepté des lettres qui ne sont pas sans intérêt, et nous croyons devoir soumettre ici les copies. La première est du correspondant satirique [111], et elle se fait remarquer par les nouvelles désastreuses pour la France qu'il mande à Mme Maret comme des on-dit, mais auxquelles on ne voit que trop qu'il ajoute foi, puisqu'elles relèvent ses espérances [112].

68En lisant cette lettre avec attention, on ne peut se refuser à la réflexion douloureuse que les ultra-royalistes et les jacobins paraissent employer les mêmes moyens pour parvenir à leurs fins et que, dans la crise du moment, avec des sentiments et des principes si opposés, ils sont pour ainsi dire cause commune. La seconde lettre est de cette même Camille dont il a été longuement question dans le dernier rapport. Il contenait tant de données sur elle que nous devons supposer qu'elle sera découverte et que, par elle, on apprendra le nom du correspondant satirique [113].

69D'après la dernière nouvelle de Constance, Mme de Saint-Leu, si elle est forcée de quitter cette ville, compte établir son domicile à Lindau [114], sous la protection de la cour de Bavière. On se permet d'observer que son séjour dans cette dernière ville augmenterait infiniment les difficultés de la surveillance à exercer sur ses démarches et ses relations. Les grandes facilités qu'y présentent les localités pour des communications clandestines, le grand nombre de maisons de commerce qui se trouvent à Lindau, le mauvais esprit qui règne généralement parmi elles et les déférences que les autorités du lieu auraient nécessairement pour la sœur du gendre du roi expliquent suffisamment nos craintes à cet égard.

70Les mêmes rapports nous ont rendus attentifs au nommé Reichard, Alsacien de naissance, se disant négociant, qui parcourt depuis quelque temps la Souabe, la Bavière et la Suisse, et qui paraît être un affidé de Mme de Saint-Leu. Il vient souvent à Constance, il s'y arrête régulièrement plusieurs jours, et il est constamment en rapports suivis avec les gens de la duchesse [115].

71Le colonel-baron de Phut [116], qui remplit auprès de M. le prince de Montfort les fonctions de grand-maître de sa Maison et d'adjudant général a reçu dernièrement une lettre anonyme de Paris tout à fait insignifiante, mais dans laquelle on l'invite à adresser sa réponse sous l'enveloppe de Madame Fontaine, rue Mandar, no 7. C'est la propriétaire du logement que j'y occupe, dit le correspondant anonyme, je vous avais précédemment indiqué la rue neuve des Bons-Enfants, no 21, mais depuis deux jours j'ai déménagé.

Vienne, le 10 avril 1817

72Depuis nos derniers rapports, la conduite des exilés français a été réservée et exempte de reproches, mais elle a cependant donné lieu à quelques observations intéressantes. Les notions qui nous ont été transmises sur eux par les gouvernements de province et sur lesquelles nous nous proposons de revenir plus tard ne sont point assez complètes pour fournir des données positives sur leurs plans, leurs craintes, leurs espérances ; elles servent tout au plus à prouver une vérité qui nous est démontrée depuis longtemps, qu'ils sont et qu'ils ne cesseront jamais d'être les ennemis prononcés du gouvernement actuel en France ; après s'être flattés en vain que le ministère aurait le dessous dans la délibération des Chambres ; que l'emprunt ne se remplirait, que le budget serait rejeté et qu'il en résulterait une réaction favorable à leurs desseins criminels ; forcés de renoncer à cet espoir, ils s'attachent aujourd'hui à celui que ce même ministère [117] qui a su contenir avec force les ultra-royalistes, n'aura pas celle de résister à la prochaine au parti révolutionnaire qui compte sur les nouvelles élections pour se rendre maître des délibérations et renverser ou du moins ébranler l'autorité royale. Nous ne pouvons point juger jusqu'à quel point cet espoir peut être fondé et si le parti révolutionnaire est en mesure de le réaliser, mais en rapprochant ces notions incertaines de celles que nous avons reçues des Pays-Bas, de l'Allemagne, de la Suisse, de l'Italie, nous ne pouvons nous refuser à l'évidence que, du moins dans les derniers temps, les membres de la famille Bonaparte, la presque totalité des exilés français et tous les individus qui tiennent à ce parti comptaient sur des chances favorables qui devaient se développer au mois de mars, d'avril et de mai. Nos nouvelles de Rome de la fin de février portaient que Lucien Bonaparte parlait sans réserve dans le cercle de ses amis des scènes orageuses qui se passeraient au mois d'avril et de mai en Angleterre, et de l'espoir certain que lui et tous les membres de sa famille seraient libres alors de faire ce qu'ils voudraient. Des lettres postérieures nous informaient qu'on remarquait de l'agitation et une plus grande activité dans les membres de cette famille, dont plusieurs s'occupaient à réaliser des fonds considérables. Nous savons même à ne pouvoir en douter que ces différentes données, jointes à la demande faite par Lucien du passeport nécessaire pour se rendre aux États-Unis avec un de ses fils, ont engagé la police de Rome à redoubler les mesures de surveillance qu'elle exerce sur cette famille [118]. C'est à cette même époque que Savary, caché à Smyrne depuis longtemps et qui avait le projet de s'y embarquer pour se rendre directement en Amérique, en est parti secrètement avec un négociant anglais nommé Wilkinson [119], se faisant passer pour son laquais, et que ces deux individus ont fait voile ensemble pour Trieste où ils doivent être arrivés à l'heure qu'il est, et où les ordres ont été expédiés de faire conduire Savary au moment même de son arrivée dans une des villes de l'intérieur de la Monarchie ; c'est encore à cette même époque que Fouché formait le projet d'aller se réunir à Mme de Saint-Leu et qu'il s'adressait au ministère autrichien pour en obtenir l'agrément que l'on remarquait plus d'activité dans la correspondance de Mme de Saint-Leu avec Munich, la Suisse et la France, que Félix Desportes écrivait à Thibaudeau la lettre ci-jointe ; que les exilés en Suisse et aux Pays-Bas faisaient courir les bruits les plus absurdes sur la mort prochaine du roi, sur des troubles à Grenoble [120], dans le Midi et même dans les départements plus rapprochés de la capitale. Cette agitation tenait-elle à l'espoir que la famille Bonaparte et son parti fondait peut-être sur les troubles de l'Angleterre ou à toute autre cause ? C'est ce que nous sommes hors d'état de juger, mais en admettant cette supposition, qui n'est point invraisemblable, il est impossible que cette même agitation ne se soit pas communiquée aux malveillants en France et que, dans ces cas-là, elle ait pu échapper à la vigilance du ministère de la Police. Il est trop éclairé et trop actif pour ne pas s'être saisi de tous les fils de cette trame, si elle existe tandis que du point où nous sommes placés nous ne pouvons que lui indiquer ceux qui étant plus à portée de nous, nous ont conduits à des rapprochements sur lesquels il nous paraît nécessaire de fixer son attention.

73Pour compléter ces notions imparfaites autant qu'il est en autre pouvoir, nous avons l'honneur de soumettre ici les rapports que nous avons reçus de Prague, de Constance, de la Suisse et de Trieste. S'ils ne contiennent aucun fait marquant, ils sont propres cependant à jeter du jour sur les menées des exilés et c'est surtout pour la police de France qu'ils peuvent avoir de l'intérêt, parce qu'ils doivent lui faciliter les moyens de contrôler les notions directes qu'elle reçoit sur leurs intrigues et sur leurs correspondances en France.

« Exilés français à Prague », Prague, le 24 avril 1817

74Le tumulte et les scènes scandaleuses auxquelles la représentation de Germanicus a donné lieu à Paris, ainsi que le sort du prisonnier de Sainte-Hélène, ont formé depuis quelque temps exclusivement le sujet des entretiens des exilés français à Prague [121]. Ces messieurs affectent ne douter nullement de l'exactitude de tous les faits annoncés par M. de Montholon [122] et par Santini [123] sur la manière dont Bonaparte est traité, et ils soutiennent que ce traitement est indigne et inexcusable. Ils prétendent que l'intérêt bien entendu des souverains eux-mêmes et la dignité du Trône devraient faire sentir aux gouvernements la nécessité des procédés plus délicats et de plus de ménagements envers l'ex-empereur. M. Thibaudeau, toujours fidèle à ses principes républicains, ne fait point son éloge, mais il prétend que tous les monarques doivent de la reconnaissance à Bonaparte de ne les avoir pas encore plus maltraités qu'il ne l'a fait. Si Napoléon avait su respecter les droits des peuples, dit M. Thibaudeau, s'il avait été plus juste et moins arbitraire envers ceux-ci, il serait encore sur le trône. Ce sont les peuples et l'opinion publique, non les rois, qui ont abattu sa puissance ; je le lui ai dit avec franchise à son retour de l'île d'Elbe, mais pour récompense il m'appela alors un jacobin poudré.

75Quant au tapage que la représentation de Germanicus a occasionné, ces messieurs n'y voient point un événement ordinaire, ils trouvent dans ce qui s'est passé en cette occasion, un indice frappant d'une fermentation sourde mais violence qui agite les esprits en France, une preuve convaincante qu'il ne faudrait qu'une étincelle pour provoquer une explosion dans le royaume. Ce qui arrivé était facile à prévoir, dit M. Fouché, la conduite du ministère est donc inconcevable. Cependant, ajoute-t-il, M. le comte de Cazes aurait pu tirer un grand parti des cabales et de l'agitation auxquelles il devait prévoir que la représentation de Germanicus donnerait lieu. Chaque enfant à Paris savait qui était l'auteur de la pièce. On pouvait être assuré que bonne ou mauvaise, elle serait applaudie à outrance au moins par un certain parti. M. de Cazes aurait dû faire venir dans le plus profond secret M. Arnault à Paris et au moment qu'on aurait demandé l'auteur, Arnault aurait paru sur le théâtre en annonçant que le roi lui avait accordé le retour dans la patrie. Tout Paris aurait alors retenti du cri de « Vive le roi, vivent les Bourbons ! » L'enthousiasme eût gagné, et toute la France aurait élevé aux nues la clémence de Louis XVIII. C'est ainsi, ajouta avec complaisance M. Fouché, qu'il faut savoir travailler l'esprit public[124].

76M. Thibaudeau prétend savoir que M. de Cazes avait non seulement prévu ce qui est arrivé à cette occasion, mais s'était même prescrit de ne point empêcher le tapage, y trouvant un nouveau moyen de compromettre le maréchal duc de Feltre avec lequel il est en opposition [125], et qu'il désire depuis longtemps voir sortir du ministère. Au reste, dit M. Thibaudeau, l'intérêt que le public a témoigné prendre au malheureux sort d'Arnault est d'autant plus naturel que personne ne sait trop pourquoi un homme qui a si peu marqué en politique se trouve sur la liste des proscrits. Son plus grand crime sans doute est, dit-il, d'être allié à Regnault de St.-Jean d'Angély ; on ne peut lui reprocher d'ailleurs que quelques phrases hardies prononcées dans la Chambre des députés et aux armées pendant qu'il y fut commissaire[126].

77En terminant ce rapport, on ne peut se défendre d'appeler de nouveau l'attention sur cette tendance constante que manifestent les exilés de donner de l'importance et de s'attacher avec complaisance aux faits les plus insignifiants. Dès que ces faits semblent fournir une preuve de quelque fermentation en France, ou peuvent permettre d'augurer de loin quelque commotion. Que cette tendance d'esprit soit le résultat du désir de ces Messieurs de voir naître des chances favorables à leur retour en France ou qu'elle soit l'effet naturel de leur haine contre les Bourbons, elle est d'autant plus remarquable qu'elle leur ferme parfois les yeux sur l'évidence même et les porte à former des combinaisons et à se bercer d'espérances auxquelles on doit être étonné de voir des gens d'esprit se livrer. En effet, il est surprenant de les voir trouver des présages de Révolution et de troubles dans chaque désordre partiel, et dans chaque cri isolé de quelques factieux, tandis que Félix Desportes, un des plus avides accapareur de mauvaises nouvelles, est lui-même obligé de convenir dans une lettre à M. Thibaudeau que la plus grande partie de la France est parfaitement tranquille.

Copie d'une lettre de Mme Maret à Mme Arrighi [127], Gorice, le 5 mai 1817

78Je n'avais pas répondu à votre lettre, Mme la duchesse, parce que j'avais l'espérance de vous voir bientôt ; mais au moment que nous comptions exécuter ce projet, nous avons appris que c'était une affaire à négocier avec le gouverneur [128]. Mais comme en lui écrivant à ce sujet, mon mari lui a parlé d'autre chose, S. E. a répondu à celle-ci, en passant l'autre sous silence. Il faut donc entrer dans de nouvelles explications ; le gouverneur est peut-être embarrassé par cette arrivée dont nous avons eu la première nouvelle et qui excite toute notre curiosité, je dois dire plus, tout notre intérêt, puisqu'il s'agit d'un Français, à ce qu'on dit, et un Français quel qu'il soit à droit à ma commisération. Il est impossible que vous ne sachiez pas bientôt quel est cet anonyme et je vous prie en grâce de me dire ce que vous savez. On prétend que ce personnage est le duc de Rovigo, mais il n'y aurait pas de quoi faire tant de bruit, et puis n'a-t-on pas vu dans les journaux qu'il est parti de Smyrne pour aller aux États-Unis, qu'il est arrivé à Philadelphie, où l'on a dit qu'il formait une maison de commerce [129] ; enfin qu'il a publié dans la même ville un écrit au sujet de la mort du duc d'Enghien. Aurait-il quitté ce pays libre pour venir en Autriche où il sait qu'il y eut autrefois des moutons que l'Empereur a encore sur le cœur [?] On prétend aussi que c'est Lallemand [130], ce qui me fait croire davantage que ce n'est ni l'un ni l'autre, puisque Mme Lallemand m'écrivait au mois d'octobre que son mari était à New York [131]. Qui est-ce donc, c'est vous, Mme la duchesse, qui me le direz.

79Vous croyez que je sais ce qui est arrivé à Pozzo di Borgo, j'ai vu seulement dans les journaux qu'il a fait une chute, dites-moi le reste [132].

80On a répandu le bruit de la chute du roi d'Espagne. Il faut qu'il y ait eu quelque chose, s'il est vrai comme on le mande de France, qu'on ait fait partir les Suisses pour Bayonne. Ce ne serait pas pour le remettre sur le trône, mais pour lui servir d'escorte [133].

81On dit toujours que le légitime est à la mort, et cependant vous verrez dans les journaux que le duc de Richelieu l'a vu un jour en plein midi se promener lui-même dans sa chambre [134].

82Vous a-t-on raconté une petite scène de comédie qui n'est [pas] longue. Après le rappel de Talleyrand à la cour, le duc de Richelieu l'a conduit auprès du roi : « – le roi : M. de Talleyrand, auriez-vous eu la pensée de vous éloigner d'un roi qui vous aime ? » ; « – Talleyrand : aurais-je pu l'avoir, Sire, après toutes vos bontés pour moi ? ». Cette petite comédie s'appelle la réconciliation normande [135].

83M. et Mme Pons ont été très sensibles à votre souvenir. Mme Pons est toujours boiteuse, sa fille cadette est dans un très mauvais état de santé. M. Pons a demandé des passeports pour les renvoyer en France, on les lui a refusés [136]. Ce rivage est une Tauride, il faut y mourir et ce n'est pas de la main d'une belle prêtresse [137]. Ceci ramène une pensée sur les anonymes du lazaret [138].

84Les affaires de France paraissent toujours dans le même état. Je ne reçois plus aucune nouvelle directe de ce pays-là. Les circonstances de l'arrivée du duc d'Orléans donnent à penser. Le Royal Souverain est le coche ordinaire des têtes royales. Tous ses bagages pour un établissement à demeure, si longtemps différé, ses honneurs dont on occupe le public avec tant d'emphase et d'une manière officielle, le soin affecté de dire que le prince a paru à la cour en uniforme d'officier général, tout cela livre carrière à des conjectures que d'autres apparences contrarient [139].

85J'ai reçu les charmantes miniatures ; puisque je ne peux pas aller dire tout ce que je sens, veuillez être mon interprète et dire combien j'éprouve de regrets d'être privé d'offrir cette semaine mes hommages à la princesse [140].

86Adieu, Mme la duchesse, mon mari et moi faisons mille compliments à M. le duc. Recevez de l'un les respects, et de l'autre les assurances d'une tendre amitié.

« Notice sur les exilés français à Prague le 7 mai [1817] »

87Il se manifeste depuis quelques temps beaucoup de froideur dans les rapports entre M. Thibaudeau et M. Fouché, depuis que le premier a en connaissance les démarches que le duc d'Otrante fait pour obtenir la permission de rentrer en France, Thibaudeau semble se défier du duc qui, de son côté, soupçonne Thibaudeau d'avoir fourni des matériaux à quelques articles virulents insérés contre lui dans différents journaux [141]. Fouché croit nommément que M. Thibaudeau n'est point étranger à un article sur la capitulation de Paris inséré dans le Vrai libéral [142], et où le duc d'Otrante est très particulièrement maltraité. Il paraît d'ailleurs que l'un et l'autre sont décidés, s'il est possible, à quitter la Bohème. Ils se plaignent plus que jamais de la rigueur du climat de ce pays, et il semble que tous deux veulent se servir du prétexte de leur santé pour obtenir l'autorisation de s'établir ailleurs. Il a déjà été observé que M. Fouché tournait ses vues vers la Bavière où il compte se réunir à Mme de Saint-Leu et au prince Eugène, tandis que M. Thibaudeau paraît tous les jours plus décidé à s'établir en Belgique, soit dans les provinces rhénanes de l'Allemagne.

88Il a déjà été annoncé antérieurement que M. Thibaudeau paraissait avoir l'intention de demander la permission de se rendre aux eaux de Wisbaden [143] et on sait depuis longtemps qu'il avait pris des renseignements exacts sur l'état des exilés dans les Pays-Bas. Une lettre qu'il vient de recevoir de Félix Desportes prouve qu'il s'était également adressé à lui pour savoir s'il pourrait s'établir à Francfort, quoique, dans le fond, il se plaît en Bohème, il veut à ce qu'il paraît se rapprocher de la France autant que possible, et il est évident que la société de M. Fouché commence à lui peser. L'un et l'autre de ces messieurs viennent de remettre les baux de leurs logements.

Vienne, le 22 mai 1817

89Parmi les exilés qui ont obtenu un asile en Autriche, Maret, Fouché et Thibaudeau étant sans contredit les plus marquants, c'est particulièrement sur eux que porte la surveillance de la police. Les autres professent à la vérité les mêmes principes et les mêmes opinions, mais ce sont plus ou moins des gens insignifiants et qui ne joueront jamais un rôle ni en France, ni au-dehors.

90Maret et surtout sa femme sont très mécontents de leur séjour à Gorice, et ils se plaignent amèrement de l'opiniâtreté avec laquelle le gouvernement s'oppose à leur désir d'aller voyager en Italie ; ils viennent de solliciter la permission de venir passer quelques jours à Trieste, d'aller de là voir les antiquités romaines à Pola [144] et de se rendre ensuite par Joria aux bains de Gastein [145]. Cette permission leur a été accordée, à condition cependant qu'ils suspendaient leur voyage à Trieste jusqu'après le départ de Savary, qui doit être incessamment transféré à Gratz. D'après les lettres que Maret reçoit de ses correspondants aux Pays-Bas, on assure que s'il veut venir s'y établir le gouvernement lui en accordera la permission.

91Fouché et Thibaudeau ont passé les dernières semaines dans une agitation visible, ils étaient l'un et l'autre sérieusement occupés du projet de quitter la Bohème ; le premier pour se rapprocher de Madame de Saint-Leu, et même pour se réunir à elle ; le second pour aller rejoindre Félix Desportes à Wiesbaden. Il paraît cependant qu'ils hésitent l'un et l'autre à prendre ce parti, et qu'ils craignent que le gouvernement autrichien ne s'y oppose. Effectivement on ne leur accordera des passeports pour quitter les États de l'Empereur que sur la demande du gouvernement français. Pour donner une idée exacte des différents sentiments de crainte et d'espérance qui les ont agités, nous avons l'honneur de soumettre ici des copies de plusieurs rapports très détaillés de la police de Prague auxquels se trouvent joints des extraits des correspondances de ces deux exilés. On se convaincra en les lisant qu'il existe entre eux et ceux qui sont établis aux Pays-Bas et sur le Rhin des relations diverses et actives, que tous nourrissent l'espoir de voir éclater de nouveaux troubles en France et que parmi eux, il s'en trouve plusieurs qui travaillent très activement à en exciter. Si cette vérité paraît démontrée malgré l'éloignement où nous sommes du théâtre de leurs intrigues, nous ne pouvons pas douter qu'elle ne soit encore bien plus évidente pour le gouvernement français qui prendra sans doute contre ce danger les mesures de sûreté que dicte la prudence.

92Madame de Saint-Leu est venue passer quinze jours à Munich pendant qu'on prépare la maison qu'elle a achetée à Augsbourg [146]. Elle paraît n'avoir pas renoncé à faire un séjour cet été en Suisse, et elle s'occupe toujours d'y acquérir des propriétés. Nous joignons ici quelques notices sur cette colonie et sur ses moyens de correspondance par Bâle et Karlsruhe. En général, on a remarqué que plusieurs Français tenant au parti révolutionnaire se sont dirigés depuis quelque temps du midi de l'Allemagne par la Suisse vers la Savoie.

93Mme Murat a quitté Stainbourg pour aller s'établir avec toute sa Maison au château de Frohsdorf [147] sur les frontières de la Basse-Autriche et de la Styrie, dont elle vient de faire l'acquisition. Ce changement de domicile s'est effectué tranquillement et cette colonie continue à se conduire avec réserve.

94La famille des Montfort a témoigné autant de chagrin que d'humeur de ne pas pouvoir habiter le château d'Erlau près de Vienne, que le prince avait acheté [en] sous-main et secrètement et où il était venu s'établir subitement, sans avoir eu même l'attention de s'assurer de l'agrément de la cour et du gouvernement. Forcé de renoncer à cet établissement, le prince de Montfort s'est occupé sur-le-champ d'en trouver une autre à sa convenance, plus éloigné de la capitale, et il a acheté du baron de Braun pour une somme énorme la terre de Schönau, située à quatre miles d'Allemagne de Vienne sur la grande route d'Italie. Comme elle est précisément hors du rayon qui est interdit aux membres de la famille Bonaparte ainsi qu'aux exilés français, il serait difficile de s'opposer à cette acquisition [148]. On regrette cependant que Schönau soit encore si près de la capitale, quoique sa situation offre des facilités pour la surveillance. Aussi continuera-t-telle à y être sévèrement exercée.

95Instruits par les journaux de l'arrestation du Sr Briqueville [149], nous croyons devoir joindre ici quelques notices que nous avons reçues sur un individu de ce nom, désigné comme membre d'une société mystique qui doit exister à Paris. Il serait possible que ce fût le même individu qui se trouve détenu dans ce moment.

Vienne, le 31 mai 1817

96La sévérité avec laquelle les exilés français établis en Autriche y sont surveillés, et leur éloignement des frontières de France, doivent rassurer sur le danger des projets coupables qu'ils pourraient se permettre de former, parce qu'ils seraient connus et déjoués avant de pouvoir être exécutés ; mais il est toujours d'un véritable intérêt pour le maintien de la tranquillité en Europe d'être exactement informé de leurs relations au-dehors, de la manière dont ils jugent les événements, de l'influence qu'ils ont sur leurs opinions, et de connaître enfin sur quoi se fondent leurs espérances pour l'avenir. Sous ce rapport, les nouvelles données qui vous ont été transmises de Prague, de Trieste et de Milan peuvent être utiles, et c'est ce qui nous a engagés à les rassembler pour les soumettre au ministère.

97L'extrait du rapport de la police de Prague, en date du 12 mai, mérite à cet égard quelque attention. Il jette du jour sur les sentiments de Fouché et de Thibaudeau, et il donne la mesure de la confiance qu'on peut accorder à ces deux révolutionnaires qui professent au reste des opinions politiques diamétralement opposées.

98Le hasard qui a fait tomber entre les mains de la police de Trieste quelques lettres de M. et de Mme Maret, nous a fourni une nouvelle preuve de la constance de sentiment que cette famille conserve à celle de Buonaparte. Cette correspondance prouve également que M. Maret, s'il n'était point observé d'aussi près et s'il ne craignait de se compromettre, serait tout aussi actif pour la mauvaise cause que ses compagnons d'infortune. Elle prouve enfin qu'il est en relations directes avec M. Méjean [150] et avec les alentours de Mme la duchesse de Saint-Leu.

99Le rapport de Milan contient le résultat de l'interrogatoire de Santini, arrêté à Gênes par ordre du gouvernement, parce que ses passeports n'étaient pas en règle. Conformément aux ordres reçus, on ne lui permettra dans aucun cas de se rendre à Parme et à Rome, et il sera éloigné de l'Italie. S. M. Madame l'archiduchesse Marie-Louise, informée que Santini avait parlé en Allemagne de son projet de pénétrer dans ses États, avait fait inviter Messieurs les gouverneurs de la Lombardie et des provinces vénitiennes à s'y opposer en lui refusant des passeports [151].

[Vienne], 10 septembre [1817] [152]

100Le prince de Metternich m'a dit qu'il ne voyait rien dans ce qu'il était dans le cas d'observer qui lui parût d'une importance majeure, mais que cependant lorsqu'il rencontrait de certains rapprochements qui se représentaient plus souvent dans les rapports qu'il recevait, il croyait de son devoir de s'en occuper davantage, et que c'était d'après cette manière d'observer tous les partis d'opposition qui semblent agir contre le gouvernement du roi qu'il cherchait à se faire une idée du degré d'importance qu'il doit attacher aux différents éléments qui, isolés, sont peu de chose, mais qui, par leur réunion, forment une masse constamment ennemie de l'ordre actuel.

101Ces différents éléments sont unanimes dans leur but et veulent, avant tout, le renversement de ce qui existe, mais s’ils sont uniformes dans leurs vœux, ils se divisent dans leurs moyens. Les uns pensent à se servir du prince d'Orange, les autres du prince Eugène, beaucoup du duc d'Orléans, d'autres du prince de Parme ou des frères de Bonaparte. Quelques-uns rêvent encore [de] la République, mais aucun ne pense au dernier Empereur, qu'ils croient trop loin et trop bien gardé. Tous veulent autre chose que les Bourbons et surtout retrouver cet état de troubles qui peut leur présenter de nouveau les chances qu'ils ont perdues. Ainsi la réunion de tous ces partis s'agite dans un sens commun qui est l'opposition à l'ordre actuel, mais ils marchent sans ensemble, sans but déterminé, et sans accord dans les moyens qu'ils veulent employer. C'est ce qui fait penser à M. de Metternich qu'il ne faut pas les perdre de vue, mais qu'au fond il n'en est aucun qui puisse nous placer dans un danger réel. M. de Metternich m'a dit qu'en se formant une opinion de ceux dont il est le plus souvent parlé dans les différents rapports qu'il reçoit, il juge que les partis les plus actifs dans ce moment sont ceux qui s'appuient du prince d'Orange et d'Eugène de Beauharnais. L'idée du prince d'Orange s'étend même jusqu'en Italie, et partout on voit renaître et reproduire les avantages que la valeur de ce jeune prince et l'indépendance de son caractère semblent promettre au gouvernement à la tête duquel il se trouverait.

102D'autres rapports commencent à donner beaucoup plus d'importance à l'influence du prince Eugène. Quant aux autres, ils s'agitent sans système et sans effet.

103Le prince de Metternich a analysé successivement avec moi tout ce qui peut donner de la consistance aux différents noms dont se servent ces agitateurs. Un des partis les plus actifs se dirige vers le prince d'Orange. M. de Metternich regarde à la vérité les rêves de ce parti comme également chimériques et absurdes, mais il les croit alimentés et soutenus par les Belges dont ils flattent l'amour-propre, et par une grande partie de l'armée et des courtisans russes. Il excepte bien certainement l'empereur Alexandre qu'il croit bien éloigné de vouloir donner la moindre consistance à un semblable projet ; mais à l'armée et même à la cour, beaucoup de gens croient voir une grande combinaison politique dans l'appui que l'on accorderait à ce jeune prince également bien vu en Belgique et en Russie, détestant les Anglais et disposé à établir et à soutenir le grand système de balance politique dont la France et la Russie seraient les inébranlables appuis.

104Après le prince d'Orange, M. de Metternich a examiné la position du prince Eugène, et il persiste à le considérer comme le plus masqué, le plus prudent, et en même temps le plus dangereux de ceux qui se sont opposés au gouvernement actuel. M. de Metternich a observé que depuis quelque temps il a pris une certaine importance et qu'il se sent assez fort pour ne plus cacher ses rapports et réunir presque ostensiblement à Munich ou dans les environs M. de Lavalette et le général Erlon.

105Il a même eu assez d'influence sur le roi pour que celui-ci ait dit dernièrement au comte de Mier [153] qui passait à Munich que si le grand-duc de Bade tourmentait Mme Hortense ou la forçait à s'éloigner de chez lui, il la recevrait certainement dans ses États et lui donnerait un asile. Pour me donner une nouvelle preuve de l'influence que ce parti a obtenue sur l'esprit du roi et qu'il regarde comme un résultat du plus ou moins de consistance qu'il doit avoir, M. de Metternich m'a encore dit que le roi, en parlant au même comte de Mier de l'idée que l'on avait eu d'envoyer de chez lui, comme ministre, le comte de Bombelles [154], qui est actuellement à Dresde. Il lui avait demandé de tâcher d'insinuer au prince de Metternich que l'on désirait qu'il fît un autre choix, et il lui avait dit en lui montrant le prince Eugène : « Vous voyez bien, Bombelles est un émigré français et en le mettant ici, cela établirait des causes de frottement avec ceux-ci qui me seraient désagréables. Il paraît donc évident que le roi de Bavière est déjà assez circonvenu par ces personnages pour se faire une loi de ne les offenser en rien, et de regarder comme opposés à son propre système les moyens qui pourraient contrarier leur influence ».

106M. de Metternich a ensuite parlé du fils de Marie-Louise, en me disant que pour lui, nous devions avoir moins d'inquiétude que pour tout autre ; que si on avait voulu faire quelque chose de lui, on s'en serait occupé dans des occasions qui présentaient à la fois facilité et sûreté d'exécution, mais qu'actuellement toute idée de ce genre ne serait qu'une absurdité. Il m'a dit que toutes les fois que ceux qui avaient rêvé de reproduire [?] cet enfant étaient venus en conséquence frapper à cette porte, ils avaient été si bien reçus qu'ils ne devaient plus penser à y revenir et que l'on ne s'en occupait plus [155].

107M. de Metternich voit aussi dans le duc d'Orléans un prétexte dont les agitateurs s'emparent et cherchent à se servir, mais en même temps, il m'a assuré que toutes les observations dont on lui rend compte lui donnaient la certitude qu'il n'y répondait d'aucune manière.

108Après avoir ainsi passé en revue ces différents personnages et examiné le degré d'importance qu'ils pouvaient réellement avoir, M. de Metternich s'est résumé en me répétant qu'il ne croyait pas qu'il y eût le moindre danger dans aucune de ces factions, il m'a renouvelé l'assurance de le trouver toujours prêt à nous servir pour déjouer toutes ces agitations qu'il croit plus fatigantes qu'inquiétantes. Le grand mal qui en résulte, à ce qu'il trouve, est qu'elles continuent à prolonger l'état d'incertitude sur la stabilité du gouvernement actuel et qu'elles raniment les espérances de ceux qui ne peuvent trouver dans l'ordre du gouvernement légitime le dédommagement de ce qu'ils ont perdu sous celui qui vient d'être renversé. Il se flatte, m'a-t-il dit, qu'en réunissant nos moyens à ceux que l'on emploie ici avec activité, on parviendra à déjouer des projets qu'aucune puissance ne peut avouer et encore moins servir, et m'a renouvelé l'assurance de ne rien laisser ignorer de ce qui pourrait nous mettre en mesure de nous défendre contre ces criminelles tentatives.

Autriche, MM. Fouché, Maret, Thibaudeau

109Les exilés français, depuis l'ordonnance du 5 septembre, ne sont occupés que d'une seule pensée : ils attendent avec une impatience mêlée de crainte l'ouverture des Chambres. Tantôt ils se flattent qu'ils seront rappelés par elles, tantôt ils se livrent à l'espoir que l'exaspération des différents partis amènera nécessairement des troubles et que de ces troubles naîtra un autre ordre de choses qui leur sera plus favorable ; tantôt enfin ils retombent dans le découragement et craignent de ne pas voir de fin à leur exil et à leurs maux. Si chacun d'eux professe des sentiments politiques différents, tous les réunissent pour former des vœux contre le gouvernement légitime ; mais plus on les observe, et plus on a l'occasion de se convaincre que leur esprit d'opposition n'est point dirigé par une force centrale, et qu'il doit par conséquent être facile au gouvernement de le neutraliser. Quelques fragments de leur correspondance suffiront pour prouver la vérité de cette assertion.

110Fouché, qui prétend désormais n'aspirer qu'à une vie tranquille, est bien loin de tenir ce langage lorsqu'il écrit à ses affidés dont il cherche continuellement à nourrir la confiance : « c'est le moment pour Gaillard (écrit-il à M. le comte de Sceaux), de voir son créancier Henry. Je sais bien que mon crédit n'aura pas beaucoup d'influence sur Henry, mais il a de l'esprit, il voit de loin, il sait que les peines ne sont point éternelles, au moins dans ce monde. L'expérience lui a prouvé qu'il fallait se ménager l'estime de ses amis, qu'il n'y a rien de stable dans l'état de crise où nous vivons. Je ne comprends pas comment Henry n'a pas déjà placé Broband », neveu de Fouché.

111Thibaudeau paraît moins confiant dans l'avenir, soit qu'il écrive avec plus de franchise que Fouché, soit que les dernières nouvelles qu'il a reçues de Félix Desportes l'aient personnellement découragé. Celui-ci lui dit entre autres : « on me mande comme certain que le roi voulant enlever à la Chambre l'honneur de la priorité, va faire paraître une ordonnance qui rappelle tous les bannis de quelqu’espèce qu'ils soient, excepté les membres de la famille de l'Usurpateur et 4 ou 5 enragés dont le retour pourrait gangrener le troupeau. Ces enragés sont, dit-on, vous, Boulay, de Fermont et moi, peut-être aussi maître Fouché qui ne l'a guère mérité ».

112Si l'on en juge par une réponse de Thibaudeau à M. Tribert à Bruxelles, les exilés aux Pays-Bas se flattent toujours qu'une combinaison politique pourrait apporter quelques changements heureux à leur sort. « J'entends bien des logogryphes, lui dit-il, tu espères le beau temps d'où il ne vient pas ordinairement ; ce serait donc un miracle ; mais nous avons tant vu qu'il ne faut plus douter de rien. Cependant ce que je sais de l'état de la France n'est pas trop tranquillisant ».

113Effectivement il en paraît vivement inquiet, c'est ainsi qu'il s'exprime à ce sujet dans une lettre à Mme Smitt : « ce que j'avais prévu est arrivé. Vous aurez à peu près la même Chambre, mais irritée de tout ce qu'on a fait contre elle. C'est tout simple, il ne pouvait pas en arriver autrement. C'étaient les mêmes électeurs, les mêmes agents partout. Des pommiers ne peuvent produire que des pommes. Je pourrais bien prédire encore, mais vous me prendriez pour un conspirateur ou pour un sorcier, et je ne suis ni l'un ni l'autre ». Quelquefois Fouché s'exprime aussi dans le même sens sur la situation de la France, il écrivait dernièrement à Mme de Vaimes : « Je ne puis vous dire ma pensée toute entière sur la dissolution de la Chambre. Je connais la France. Elle est indifférente aujourd'hui sur la forme de sa constitution, pourvu qu'elle croie à sa stabilité. Mais existe-t-il une constitution là où on fait un crime d'État d'une violation de police ? Peut-il y avoir sécurité pour les biens lorsque la liberté et la vie même sont entre les mains de tribunaux passionnés et arbitraires ? Si vos députés qui sont toujours les mêmes ne sont pas devenus plus sages, si l'expérience de la dernière session ne leur a pas donné plus de lumières, s'ils ne travaillent pas à concilier les opinions, à réunir les intérêts autour du trône et à procurer à chacun une plus grande certitude de son avenir, ils achèveront de déchirer la patrie. Le petit triomphe qu'ils viennent de remporter sur leurs adversaires a réparé sans doute un accident de la fortune ; mais ils trouveront des difficultés plus grandes, des obstacles nouveaux qui naîtront continuellement de la nature des choses. Ils lutteront en vain contre la nécessité toute-puissante ; les événements, qui sont forts, les entraîneront ».

114Il est assez remarquable que Fouché, après s'être occupé avec une assiduité rare de la rédaction de ses Mémoires et après en avoir annoncé la publication prochaine, vienne de déclarer depuis peu qu'il ne voulait plus les livrer à l'impression : « Je ne puis encore publier mes Mémoires, écrit-il à M. de Vaisnes à Paris, il faudrait maintenant me résoudre à des suppressions que je ne dois pas faire ». Constamment occupé d'attirer sur lui l'attention et de faire de l'effet dans le monde, il se félicite d'avoir été attaqué par M. de Chateaubriand dans son dernier ouvrage, parce que cela lui fournit une occasion naturelle de faire son apologie, en répondant aux accusations portées contre lui, et d'influencer l'opinion par l'étalage d'une noble modération contre des ennemis acharnés. Thibaudeau qui en fait très peu de cas comme homme d'État, mandait dernièrement à un de ses amis : « Chateaubriand a rendu un véritable service à Fouché en le mettant à même de jeter dans le monde un nouveau panégyrique de sa conduite politique. Il lui faut absolument un ministère pour avoir de l'esprit et du tact. Que vous seriez étonné, poursuit-il, de voir ce personnage que vous croyez habituellement abîmé dans les plus profondes méditations, tuer le temps par des promenades journalières de 4 à 5 heures, musarder le reste de la journée et roupiller toute la soirée en attendant que l'heure de coucher lui permette de prendre de nouvelles forces pour recommencer le lendemain. En tombant de son piédestal, l'idole s'est brisée et les morceaux n'ont plus une grande valeur ; elle était déjà un peu vermoulue ». Fouché mène effectivement une vie très uniforme à Prague. Son temps est partagé entre quelques heures de travail dans son cabinet, quelques heures de promenades où il ne cherche à rencontrer personne, les leçons de ses enfants auxquelles il assiste et les heures de salon où ordinairement il s'endort.

115Fouché continue à recevoir et à expédier beaucoup de lettres par la Saxe. C'est le Sr. Rutziger, domicilié à Dresde, qui soigne sa correspondance et qui reçoit de lui, pour ce service, une pension de 48 écus de Saxe par mois. Il fait passer et il reçoit aussi des lettres par l'entremise du comte de Mozinski, avec lequel il est en relation suivie.

116Les nouvelles que les exilés français reçoivent de leurs compagnons d'infortune, qui ont cherché un asile aux États-Unis d'Amérique, sont de nature à les dégoûter entièrement de ces contrées ; mais ils tournent de nouveau leurs regards vers les Pays-Bas d'où on leur manque de l'orage est passé.

117La famille de Maret s'est enfin décidée à quitter Gratz pour aller s'établir à Gorice. Pendant que M. Maret s'empressera de former ce nouvel établissement, sa femme et ses enfants passeront une quinzaine de jours à Trieste. La circonstance de leur départ interrompt pour le moment nos moyens de surveillance.

118D'après les dernières nouvelles de Constance, Mme de Saint-Leu, si elle est forcée de quitter cette ville, compte établir son domicile à Lindau, sous la protection de la cour de Bavière. On se permet d'observer que son séjour dans cette dernière ville augmenterait infiniment les difficultés de la surveillance à exercer sur ses démarches et ses relations. Les grandes facilités qu'y présentent les localités pour des communications clandestines, le grand nombre de maisons de commerce qui se trouvent à Lindau, le mauvais esprit qui règne généralement parmi elles, et les déférences que les autorités du lieu auraient nécessairement pour la sœur du gendre du roi expliquent suffisamment nos craintes à cet égard.

119Les mêmes rapports nous ont rendus attentifs au nommé Reichard, alsacien de naissance, se disant négociant, qui parcourt depuis quelque temps la Souabe, la Bavière et la Suisse, et qui paraît être un affidé de Mme de Saint-Leu. Il vient souvent à Constance, il s'y arrête régulièrement plusieurs jours et il est constamment en rapport suivi avec les gens de la duchesse.

120Le colonel-baron de Phül, qui remplit auprès de M. le prince de Montfort les fonctions de grand-maître de sa Maison et d'adjudant général, a reçu dernièrement une lettre de Paris tout à fait insignifiante, mais dans laquelle on l'invite à adresser sa réponse sous l'enveloppe de Mme Fontaine, rue Mandar, no 7 : C'est la propriétaire du logement que j'occupe, dit le correspondant anonyme, je vous avais précédemment indiqué la rue neuve des Bons-Enfants, no 21, mais depuis deux jours j'ai déménagé[156].

121Dans les derniers temps Fouché a paru s'occuper exclusivement de la vente de ses terres en France et ses lettres, du moins celles parvenues à notre connaissance, n'étaient d'aucun intérêt parce qu'elles ne traitaient que de cet objet ; il avait été pendant quelque temps en froid avec Thibaudeau mais il paraît que les deux familles se sont rapprochées puisque celui-ci a été consulté par Fouché sur la rédaction des actes qu'il a passé avec les maisons de Fries et de Lamel pour la vente de ses propriétés en France [157]. Il continue cependant à s'expliquer de la manière la plus défavorable sur son compte, dans ses correspondances avec ses amis. Quant à Thibaudeau, ses opinions sont connues et c'est un homme trop prononcé pour en changer.

122D'après les derniers rapports que nous avons reçus de Gorice, la famille de Maret est contente du climat, mais elle est loin de l'être de la société qui lui offre peu de ressources ; aussi M. Maret paraît-il décidé à faire de nouvelles démarches pour obtenir la permission de se fixer dans un lieu plus agréable. Nous avons lieu de croire, par sa correspondance que le Sr. François Werbrouck [158], son ami établi à Anvers, sollicita pour lui la permission de venir se fixer aux Pays-Bas, et qu'il y a déjà eu des démarches de faites à cet égard auprès de M. Fayet [159], et même auprès du roi. Si l'on en croit la manière dont M. Maret s'explique sur les affaires de France, il regarde la cause de Bonaparte et de sa famille comme entièrement perdue. Ce changement subit dans ses opinions pourrait faire douter de sa sincérité, car depuis son arrivée en Autriche, il s'était constamment prononcé pour l'homme de Sainte-Hélène. Aujourd'hui c'est vers M. le duc d'Orléans qu'il tourne ses regards et il prétend qu'à l'exception des ultra-royalistes, tous les partis sont disposés à se réunir autour de ce prince.

123Il existe toujours une correspondance très suivie entre Constance et Munich, et entre Constance et la Suisse. Quoique ces différents points soient placés hors de notre sphère d'activité, nous ne craignons pas d'avancer que ce sont ceux qui exigent la correspondance la plus active et la plus suivie.

124

Annexe : correspondance de Fouché, saisie et recopiée par la police autrichienne [160]

1251 : « Extrait d'une lettre de M. le duc d'Otrante, datée de Linz, 9 avril 1819 [161] ».

126Mon fils a écrit à M. Buisson [162] le 17 et le 27 mars. Il l'a prévenu que j'ai écrit au gouvernement autrichien et au gouvernement français relativement à notre déplacement que nécessite l'éducation de mes enfants. Nous sommes dans un beau et riche pays, dans une jolie ville, mais sans ressource de société et d'instruction. Songez sérieusement à cette affaire. Il [n']y a dans la Monarchie autrichienne que la ville de Vienne où il y ait des lumières, et vous savez que c'est la résidence du petit Napoléon. Trouveriez-vous des inconvénients à nous placer en Bavière, en Belgique ou en Angleterre ? Vous êtes bien sûr que je n'enverrai aucun secours aux partis qui vous agitent. Si j'avais quelque crédit en ce monde, je l'emploierais au profit des Constitutionnels, parce que ce n'est qu'avec eux que je trouverais honneur et sécurité.

127En me rapprochant de la France, j'aurais l'avantage de voir quelquefois mes amis. Je pourrais plus facilement soigner mes affaires. Vous viendriez nous voir, vous nous enverriez Camille [163]. À propos, savez-vous que j'ai vu à Vienne un jeune homme qui conviendrait bien à sa sœur ? Sa noblesse est encore plus ancienne que la vôtre, il descend, en ligne directe, du grand panetier de Pharaon [164].

128Je ne serais pas fâché qu'on s'occupât de faire paraître l'histoire que vous m'annoncez. De mon côté, j'ai achevé celle de mes deux derniers ministères ; c'est-à-dire, des Deux Cents jours. Vous y verrez l'exacte vérité, et quelques idées qui ne sont pas communes. Je ne me presserai pas de faire imprimer, il faut laisser passer les enfants perdus. Mes ennemis n'auront point à se plaindre, j'en use avec eux comme vous en usez en qualité de juge avec les fripons ; vous les condamnez sans leur dire des injures.

129Quand nous nous reverrons, je vous montrerai une lettre curieuse d'un de vos pères de l'Église. Vous comparerez ce qu'il écrivait au duc d'Otrante à ce qu'il dit aujourd'hui de M. Fouché. Si vous avez la fantaisie de la lui remettre sous les yeux, il ne manquera pas de vous dire qu'il s'est rétracté comme Saint-Augustin.

130P. S. : Vous trouverez ci-joint la réponse à un homme qui vient de faire imprimer des Mémoires pour servir à la vie d'un homme célèbre. M. Buisson m'a envoyé un article de ces mémoires qui me concerne [165]. Remettez-lui la réponse ; je l'approuve entièrement. Je ne sais si cet historien est décoré de la Légion d'honneur, mais je suis sûr qu'il mérite un bonnet d'âne.

131Comme je connais mieux que personne les faits qui se sont passés depuis 30 ans, je me charge d'envoyer les titres de tous les chevaliers de cet ordre au Grand-maître qui m'est particulièrement connu. Si je vous disais son nom, vous le prendriez pour des armes parlantes.

1322 : [Pièce jointe à la première lettre] À M. M. **** (sans date) [166]

133Parmi les calomnies que les ennemis du duc d'Otrante ont répandues depuis sa disgrâce, on ne s'était pas encore avisé de trouver dans son administration passée un défaut de sagacité, ni de le taxer d'avoir servi les passions de Napoléon. Je ne sais dans quelle source vous avez puisé l'article que vous avez inséré dans votre second volume des Mémoires pour servir à la vie d'un homme célèbre, sous le titre de « M. Fouché destitué du ministère », mais je vous déclare que cet article est controuvé, qu'il ne contient pas un mot de vrai. Sachez que l'homme d'État qui parvient à créer, dans des temps difficiles, un ministère de la Police, n'a jamais été la dupe d'aucune contre-police. Sachez encore qu'un des titres incontestables qu'il a acquis à l'estime de ses concitoyens, c'est d'avoir toujours fait entendre la vérité à son souverain durant le long exercice de ses fonctions, et que, loin de la sacrifier pour lui plaire, il l'a mise au grand jour à toutes les époques, quelquefois au risque de sa vie. C'est cette vérité importune pour l'oreille d'un despote, c'est son désir ardent de servir son pays, qui fut la cause de ses disgrâces.

134Je vais vous faire connaître maintenant les particularités qui amenèrent la destitution dont vous parlez dans votre article.

135Les horribles souffrances que les prisonniers Français éprouvaient en Angleterre engagèrent plusieurs fois Napoléon à traiter d'un échange. Mais le gouvernement anglais ne voulut jamais rien entendre. Il crut pouvoir mieux parvenir à son but en chargeant son frère Louis, alors roi de Hollande, de cette négociation, mais il ne put rien obtenir non plus. Le lord Wellesley [167] lui dit formellement qu'il n'y avait qu'un seul homme en France avec lequel il traiterait, et il nomma le duc d'Otrante. Le roi de Hollande fit connaître ce propos au duc qui s'empressa d'envoyer le sieur Ouvrard en Angleterre avec les instructions pour ce [illisible]. Cet agent, d'un esprit supérieur et d'un caractère entreprenant, voulut donner de l'extension à sa mission en mettant à profit la confiance et l'estime que le lord Wellesley montrait pour le duc d'Otrante. Il se hasarda à faire des propositions de paix. Elles furent favorablement accueillies [168].

136Ainsi donc, deux importantes négociations se poursuivaient en même temps, par la seule influence du duc d'Otrante : l'échange des prisonniers et le traité de paix.

137À cette époque, Napoléon, qui visitait la côte, arriva à Anvers. Le prince Louis s'y rendit ; il s'entretint avec son frère de l'heureux événement qui allait ramener tant de Français malheureux dans leur patrie, et ajouta imprudemment qu'il devait beaucoup de reconnaissance à son ministre pour avoir entamé, en même temps, des négociations de paix. Cette nouvelle causa un dépit extrême à l'Empereur. Il ne put se contenir à l'idée que le duc ferait plus qu'il n'avait pu faire lui-même. Il ne vit dans ses démarches qu'un empiètement de pouvoir avec le désir ardent d'acquérir de la popularité en brisant les fers des prisonniers français, et en procurant à la France une paix qui était désirée avec ardeur. Sa rage était à son comble, il dit plusieurs fois qu'il le ferait fusiller. Le prince Louis, alarmé de l'imprudence qu'il venait de commettre involontairement, se hâta d'en prévenir le duc d'Otrante par le canal de M. Malouet, alors préfet maritime à Anvers et ami intime du duc.

138Au retour de Napoléon à Paris, son ministre de la Police supporta toute sa colère avec force et dignité. Cette colère eût été bientôt apaisée si elle n'eût été excitée par d'autres raisons. Napoléon pardonnait encore moins au duc d'Otrante d'avoir dit qu'il n'était pas un homme nécessaire, et surtout de l'avoir prouvé en faisant lever en son absence et sans son ordre la Garde nationale qui a repoussé les Anglais à Walcheren. Une autre cause, bien légère en apparence, donnait beaucoup d'irritation à Napoléon : c'était d'avoir osé prendre sur lui d'adoucir l'exil de Mme la duchesse de Chevreuse [169], en lui permettant de venir voir son mari à Dampierre, près de Paris. Pour qui connaît le cœur humain et le caractère de Napoléon, cette dernière cause ne paraîtra pas étrangère à la disgrâce du duc d'Otrante.

139Voilà, monsieur, l'exacte vérité, etc.

Notes

  • [1]
    Marie-Renée Morin et Marie-Laure Prévost, « La dation Lamartine au département des Manuscrits », dans Revue de la Bibliothèque nationale de France, no 22, 2006, p. 84-85. L’inventaire, régulièrement mis à jour, est en ligne sur https://archivesetmanuscrits.bnf.fr/ark:/12148/cc100464m
  • [2]
    Bibliothèque nationale de France, Manuscrits, NAF 28326 (57), documentation de Lamartine pour son Histoire de la Restauration, minute originale de la liste de proscription par Fouché. Ce document a notamment été étudié dans Emmanuel de Waresquiel, Fouché : dossiers secrets, Paris, Tallandier, 2017.
  • [3]
    Les ministres alliés réunis à Paris à l'été 1815 avaient décidé le 14 août, sous l'influence de Metternich, que les proscrits chassés de France ne pourraient séjourner qu'en Autriche, en Prusse ou en Russie, sous surveillance de la police, avec interdiction de se mêler des affaires politiques (Archives du ministère des Affaires étrangères, Mémoires et documents 2138, fol. 35, procès-verbal de la réunion des négociateurs alliés, 14 août 1815).
  • [4]
    Armand-Emmanuel du Plessis, duc de Richelieu (1766-1822), président du conseil de Louis XVIII du 26 septembre 1815 au 29 décembre 1818, puis du 20 février 1820 au 14 décembre 1821. Voir à son sujet Emmanuel de Waresquiel, Le Duc de Richelieu, Paris, Perrin, 1990.
  • [5]
    Élie Decazes (1780-1860), ministre de la Police du 26 septembre 1815 au 29 décembre 1818 dans le gouvernement Richelieu, puis ministre de l’Intérieur dans le gouvernement Dessolles du 29 décembre 1818 au 20 février 1820), et enfin président du conseil du 19 novembre 1819 au 20 février 1820. Voir à son sujet François de Coustin, Élie Decazes, le dernier favori, Paris, Perrin, 2020.
  • [6]
    Mentionnons notamment un dossier sur la surveillance de Lucien Bonaparte, la police française étendant plus facilement ses réseaux en Italie que dans l'Empire autrichien (Archives nationales, F7 6808).
  • [7]
    Les papiers relatifs à la surveillance des Bonaparte sont conservés aux archives du ministère des Affaires étrangères à La Courneuve ainsi qu'aux archives diplomatiques de Nantes, pour les correspondances émises par les ambassades.
  • [8]
    BnF, Mss NAF 20280, fol. 66, lettre de Richelieu à Decazes, s. d. [1816] : « Je vous envoie des notions que la police de Vienne a par ordre du prince de Metternich communiqué au comte de Caraman. Je joins la copie de la dépêche que ce dernier m'a adressé où vous puiserez des renseignements importants sur un certain Le Clerc qu'il me paraît essentiel de surveiller ».
  • [9]
    L'ouvrage classique du commandant Weil à partir des archives autrichiennes donne quelques renseignements sur cette surveillance, mais il s'arrête au 31 décembre 1815. Les lettres qu'il publie montrent cependant que des correspondances interceptées et recopiées provenant de toute la zone d'influence de l'Autriche étaient centralisées à Vienne, avant d'être synthétisées dans des rapports tels que ceux conservés dans le fonds Lamartine (Maurice-Henri Weil, Les Dessous du Congrès de Vienne, Paris, Payot, 1917, 2 vol.).
  • [10]
    On doit cependant mentionner les copies de la correspondance interceptée par certains exilés français (Vienne, Österreichisches Staatarchiv, Allgemeines Verwaltungsarchif, Inneres Polizei, Polizeihofstellen Karten, alphabetisch A-Z (1814-1848).
  • [11]
    Votée le 12 janvier 1816 par la « Chambre introuvable », la « loi d'amnistie », qui portait mal son nom, frappa les conventionnels régicides « relaps » qui avaient fait fi du pardon royal de 1814 pour soutenir l'empereur en 1815. Ils furent 171 à prendre la route de l'exil. On lira Pierre Bliard, Les Conventionnels régicides d'après des documents officiels et inédits, Paris, Perrin, 1913, p. 400 ; Emmanuel Fureix, « Regards sur le(s) régicide(s), 1814-1830 », dans Siècles, no 23, 2006, p. 35 et 40.
  • [12]
    Stendhal, Voyages en Italie, « Supplément VII », Paris, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 1973, p. 1258.
  • [13]
    Antoine-Claire Thibaudeau, Mémoires d’exil : lettres fictives de l’étranger, Paris, SPM, 2008. Ces lettres, bien que fictives, reprennent des passages de sa correspondance réelle, retravaillés par la suite dans le cadre d’un projet de livre inabouti.
  • [14]
    On songe notamment à la correspondance entre Thibaudeau et Carnot conservée en AN, F7 6683, avec quelques rapports de la police de Prague datés de 1816 et 1817. L'ensemble est commenté dans Sergio Luzzatto, Mémoire de la Terreur. Vieux Montagnards et jeunes républicains au XIXe siècle, Lyon, Presses universitaires de Lyon, 1991, p. 118-135.
  • [15]
    Eduard von Wertheimer, Die Verbantenn der ersten Keiserreichs, Leipzig, Duncker und Humbolt, 1897.
  • [16]
    Les documents ont été transcrits selon les principes suivants : respect de l’orthographe originale pour les noms de lieux ou de personne, avec identification en note ; ajout entre crochets des mots manquants dans les phrases aberrantes ; mise en italiques des passages soulignés sur le document original. Les mentions de pièces jointes, aujourd’hui disparues, ont été précisées en note
  • [17]
    Sur la surveillance de Fouché, on lira notamment Joseph Sedlnitzky, « Fouché and the Austrian state police after the congress of Vienne », dans Construction et circulation des savoirs policiers en Europe centrale et septentrionale (XVIIe-XIXe siècles), journée d'études organisée par l'Institut de recherches historiques du Septentrion, Lille, 4-6 décembre 2008. En ligne sur : http://irhis.recherche.univ-lille3.fr/dossierPDF/CIRSAP-Textes/Chvojka.pdf.
  • [18]
    Le chiffre aurait été mis au point par Fouché dès son séjour à Dresde en 1816, avec l'aide de son secrétaire Demarteau. Le duc d'Otrante s'était installé à Prague le 29 juillet. Les brouillons d'une partie de sa correspondance d'exil sont conservés aux Archives nationales, sous la cote 187 AP 7 (Emmanuel de Waresquiel, Fouché : les silences de la pieuvre, Paris, Tallandier, Fayard, 2014, p. 638).
  • [19]
    La surveillance exercée à Prague sur Thibaudeau par le gouverneur de la ville, le comte Kolovrat, a été qualifiée de « tolérable au total ». On renvoie aux manuscrits et aux correspondances provenant de Thibaudeau conservés par la Société des antiquaires de l'Ouest (en dépôt aux archives départementales de la Vienne) et commentés dans Gaston Dez, « Le conventionnel Thibaudeau, l'exil, le Poitou », dans Bulletin de la Société des antiquaires de l'Ouest, no 1946/2, p. 25. Cet article mentionne plusieurs correspondances de Thibaudeau avec Kolovrat ainsi qu'avec Metternich, demandant à aller prendre les eaux à Wiesbaden en mai et juin 1817.
  • [20]
    François Durbach (1763-1827), député de la Moselle au Corps législatif à partir de 1803, réélu sous les Cent-Jours, exilé par l'ordonnance du 24 juillet 1815. Il vécut en Belgique puis en Bohème jusqu'en 1819. Sa fortune était estimée à 1 million de francs-or en biens-fonds, ce qui en faisait l'homme le plus riche de la Moselle. Loin d'avoir cherché à transférer des fonds à l'étranger, il semble au contraire avoir surveillé ses affaires à distance et même fondé une distillerie dans sa ville natale de Longueville (Denis Metzger, « Charles-Félix Durbach (1823-1893), pionnier du chemin de fer et diplomate malgré lui », dans Les Cahiers Lorrains, no 3, 2004, p. 262).
  • [21]
    Hugues-Bernard Maret (1763-1839), journaliste au début de la Révolution, un des fondateurs du club des Feuillants, nommé ambassadeur à Naples en 1793, fait prisonnier à Novate et détenu par les Autrichiens jusqu'en 1795, devint secrétaire d'État après le 18-Brumaire, puis ministre-secrétaire d'État sous l'Empire. Fait duc de Bassano en 1809, il fut nommé ministre des Relations extérieures en avril 1811. Il redevint ministre-secrétaire d'État en novembre 1813 puis sous les Cent-Jours, fut compris dans l'ordonnance du 24 juillet et s'exila en Autriche jusqu'en 1820, d'abord à Gratz, puis Trieste et enfin Goritz. Il aurait tout fait pour se faire oublier et aurait profité de la relative bienveillance des autorités autrichiennes, selon son unique biographe (Alfred-Auguste Ernouf, Maret, duc de Bassano, Paris, E. Perrin, 1884, p. 664-674).
  • [22]
    Aujourd’hui Goritz, à la frontière italo-slovène, appartenant à l’époque à l’empire d’Autriche.
  • [23]
    La correspondance d'Hortense, qui avait été faite duchesse de Saint-Leu par Louis XVIII en 1814, était écrite sur de petites feuilles de papier faciles à dissimuler et transitait par Élisa Bonaparte. « Le cabinet noir existait alors dans toute sa rigueur ; toutes les lettres étaient lues, copiées, commentées, et pouvaient donner matière à des accusations graves fondées sur les interprétations les plus frivoles » (Jean-Alexandre Buchon, Correspondance inédite de Mme Campan avec la reine Hortense, Paris, Alphonse Levavasseur, 1835, vol. 2, p. 179, lettre CCXII à Hortense, 20 décembre 1816).
  • [24]
    Hortense, qui avait quitté Paris le 17 juillet 1815 pour s'établir à Aix, avait été priée de partir par les autorités savoyardes le 28 novembre avec son fils Louis-Napoléon. Grâce à sa cousine Stéphanie de Beauharnais, grande-duchesse de Bade, elle s'était installée à Constance, en Bade. Elle avait cependant eu le droit de rendre visite à son frère Eugène, qui vivait auprès de son beau-père le roi de Bavière. Ils s'étaient rencontrés à Wurmsee en juin 1816 (Frédéric Masson, Napoléon et sa famille, Paris, Ollendorff, 1919, vol. 13, p. 109 et 424). Comme à son habitude, Masson mentionne des extraits de lettres de Metternich à Decazes sur la surveillance d'Hortense, dont il ne donne pas la source.
  • [25]
    Antoine-Marie Chamans de Lavalette (1769-1830), directeur général des Postes sous l'Empire, célèbre pour son évasion rocambolesque en décembre 1815 qui lui avait permis de fuir à l'étranger. Il s'était réfugié en Bavière, où il entretenait des relations avec Eugène et Hortense (Mémoires et souvenirs du comte Lavalette, aide de camp du général Bonaparte, conseiller d'État et directeur général des postes de l'Empire, Paris, H. Fournier jeune, 1831, vol. 2, p. 338).
  • [26]
    Jean-Baptiste Drouet d'Erlon (1765-1844), qui commandait le 1er corps de l'armée du Nord pendant la campagne de 1815, faisait partie des personnalités comprises dans l'ordonnance du 24 juillet 1815. Réfugié en Prusse, condamné à mort par contumace en 1816, il s'établit ensuite près de Munich jusqu'en 1825, date de son retour en France (Jean-Baptiste Drouet d'Erlon, Le Maréchal Drouet, comte d'Erlon. Vie militaire écrite par lui-même, dédiée à la ville de Reims, Paris, Gustave Barba, 1844, p. 108).
  • [27]
    Soult s'installa à Barmen, en Prusse rhénane, dans l'ancien grand-duché de Berg, où il resta jusqu'en 1819 (Nicole Gotteri, Le Maréchal Soult, Paris, Bernard Giovanengeli, 2000, p. 608-624).
  • [28]
    En réalité Hainburg, en Basse-Autriche, où Caroline s'était installée en septembre 1815 après avoir quitté Naples en mai et avoir été quelque temps placée en résidence surveillée à Trieste (M.-H. Weil, Les Dessous du Congrès de Vienne…, vol. 2, p. 710, rapport à Hager, 27 septembre 1815).
  • [29]
    Jérôme, qui portait le titre de « prince de Montfort », accompagné de sa famille avait rejoint Caroline à Hainbourg en juillet 1816. L'ancien roi de Westphalie comptait réclamer à sa sœur le remboursement d'un prêt de 500 000 francs, allant jusqu'à la menacer de lui intenter un procès (F. Masson, Napoléon et sa famille…, vol. 13, p. 379 ; Jacques-Olivier Boudon, Le Roi Jérôme, frère prodigue de Napoléon, Paris, Fayard, 2008, p. 455).
  • [30]
    S'il existait une pièce jointe, celle-ci a été perdue.
  • [31]
    On peut citer deux lettres de Metternich à Hortense, écrite à Milan les 16 février et 11 mars 1816, qui l'autorisaient à s'installer à Constance, sous la surveillance de la cour de Bade (AN, 400AP 32, dossier 2).
  • [32]
    Hortense était partie en cure à l'été 1816 dans la station thermale de Gais, en Suisse, où elle avait été activement surveillée par des agents de l'Autriche (Charles Gailly de Taurines, La Reine Hortense en exil, Paris, Hachette, 1914, p. 170).
  • [33]
    Il n'a pas été retrouvé trace de ces personnages.
  • [34]
    En marge, il est noté : « no 1 ».
  • [35]
    Jean-Claude Méhée de La Touche (1762-1826), ancien agent double tour à tour au service des Anglais et de Bonaparte, figurait dans l'ordonnance de proscription du 24 juillet 1815. Il s'installa à Bruxelles en 1817 et y fonda le journal Le Vrai Libéral, avant son retour à Paris en 1819.
  • [36]
    Le passage de Méhée de La Touche à Constance est mentionné dans la presse française de l'époque, qui explique des réfugiés français expulsés du Piémont se rassemblaient en Suisse ou à Constance, cherchant à s'y installer avant d'être éconduits par les autorités locales (L'Ambigu, variétés littéraires ou politiques, 20 juillet 1816, p. 155).
  • [37]
    En marge, il est noté « no 2 ». Juste en dessous, le rapport est annoté au crayon par le duc de Richelieu : « Cette lettre est déjà entre les mains de M. le comte De Cazes ».
  • [38]
    Ce dénommé Le Clerc, non identifié, est aussi évoqué dans la lettre de Richelieu à Decazes précédemment citée (BnF, Mss NAF 20280, fol. 66, s. d.).
  • [39]
    Sous-entendu : la cour du grand-duché de Bade.
  • [40]
    Il s'agit de Jacques Marquet de Montbreton de Norvins (1769-1854), ancien secrétaire du général Leclerc qu'il avait accompagné à Saint-Domingue, devenu plus tard secrétaire général du ministère de la Guerre de Westphalie puis chambellan de la reine Catherine. Après avoir été directeur de la police à Rome de 1810 à 1814, il se rallia à Napoléon pendant les Cent-Jours, fut exilé à Strasbourg et placé sous surveillance. Il se consacra ensuite aux Belles-Lettres, devenant notamment un des premiers historiens de l'Empire et biographes de Napoléon. La présence de Norvins dans le grand-duché de Bade n'est avérée par aucune autre source (voir l'introduction de Léon Lanzac de Laborie dans Jacques-Marquet de Montbreton de Norvins, Souvenirs d'un historien de Napoléon, Paris, E. Plon, Nourrit et Cie, 1896, vol. 1, p. XIII-XIV). Les rapports de surveillance de Norvins (AN F7 4350 et F7 9188) sont analysés dans Paul Leuillot, L'Alsace au début du XIXe siècle, Paris, SEVPEN, 1959, vol. 1, p. 120-121 et 172.
  • [41]
    Louis Bouvier-Dumolart (1780-1855), sous-préfet de Sarrebourg, auditeur au conseil d'État en 1805, intendant de la Carinthie en 1806, préfet du Finistère en 1810 puis du Tarn-et-Garonne en 1813, député de la Meurthe pendant les Cent-Jours, exilé ensuite jusqu'en octobre 1818 en Italie et en Allemagne (Adolphe Robert et Gaston Cougny, Dictionnaire des parlementaires français, Paris, Edgar Bourloton, 1889, vol. 1, p. 460).
  • [42]
    On peut noter que les soupçons de la police autrichienne se portaient également sur l'épouse de Marmont, pourtant fidèle aux Bourbons pendant les Cent-Jours. Anne-Marie-Hortense Perregaux (1779-1857), fille d'un célèbre banquier, était séparée de son mari et vivait dans son château de Viry-Châtillon (Jean Lhomer, Le Banquier Perregaux et sa fille la duchesse de Raguse, Paris, P. Cornuau, 1926, p. 138 et suiv.). Son voyage avait probablement été effectué à l'occasion d'une cure.
  • [43]
    Julie Bonaparte, née Clary (1771-1845), épouse de Joseph, s'était installée à Francfort en 1816 et y resta jusqu'en 1820, surveillée par les agents diplomatiques français (Patricia Tyson Stroud, The man who had been king : the american exile of Napoleon's brother Joseph, Philadelphie, University of Pennsylvania Press, 2005, p. 232, note 33 ; Thierry Lentz, Joseph Bonaparte, Paris, Perrin, 2016, p. 490 ; voir aussi F. Masson, Napoléon et sa famille…, vol. 13, p. 467-468).
  • [44]
    Personnage non identifié.
  • [45]
    On retrouve un « colonel suisse de l'état-major, Stoffel », dans Antoine-Claire Thibaudeau, Le Consulat et l'Empire ou l'histoire de Napoléon Bonaparte de 1799 à 1815, Paris, Jules Renouard, 1835, vol. 9, p. 378. Il s'agit probablement de Christoph Anton Stoffel (1780-1842), qui avait fait la campagne de France à l'état-major de Berthier et combattu à Waterloo (Pierre Couvreur et Marcel Watelet, Waterloo, lieu de mémoire européenne, Bruxelles, Bruylant, 2000, p. 31).
  • [46]
    En réalité Girolamo Ramorino (1792-1849), né à Gênes, fils du directeur de la police de Livourne. Son père aurait été chargé par Élisa d'une mission auprès de Napoléon, qui lui aurait ensuite permis d'obtenir de Maret une place pour son fils au collège de La Flèche, avant de faire les campagnes de 1813, 1814 et 1815, terminant comme colonel à l'état-major de Napoléon, avant de se mêler aux conspirations carbonaristes dans les années 1820. Il se prétendait fils illégitime de Lannes, mais la chose semble impossible, le futur maréchal n'ayant pas visité l'Italie avant 1796 (Biographie universelle et portative des contemporains, supplément, Paris, F.-G. Levrault, 1834, vol. 5, p. 651 ; Jean-Yves Frétigné, Giuseppe Mazzini, père de l'unité italienne, Paris, Fayard, 2006, p. 139).
  • [47]
    Pierre-Claude-Louis-Robert Tascher de La Pagerie (1787-1861), ancien élève de l'École de Fontainebleau, colonel et aide de camp du prince Eugène en 1812, devenu après 1815 major-général dans l'armée bavaroise et chambellan du roi de Bavière, resté très proche de son cousin Eugène (Louis-Gabriel Michaud, Biographie universelle ancienne et moderne, Paris, Delagrave et Cie, 1873, vol. 41, p. 46).
  • [48]
    Tascher avait épousé le prince de la Leyen, petite-nièce de Karl Theodor Anton Maria von Dalberg (1744-1817), prince-primat de l'Église d'Allemagne et grand-duc de Francfort sous l'Empire, évêque de Ratisbonne après 1815. La remarque contenue dans le document montre qu'il continuait de protéger son neveu par alliance, y compris auprès des autorités françaises.
  • [49]
    Augustin-Marie-Balthasar-Charles Pelletier de Lagarde (1780-1834), émigré, général dans l'armée russe puis ministre plénipotentiaire en Bavière en 1816 (Alphonse de Lamartine et Aymon de Virieu, Correspondance, Paris, Presses universitaires de France 1987, p. 158).
  • [50]
    Il s'agit effectivement le pseudonyme utilisé avec l'accord du roi de Bavière par Drouet d'Erlon au moment de son installation à Bayreuth, où il ouvrit une brasserie (J.-B. Drouet d'Erlon, Le Maréchal Drouet…, p. 108-111).
  • [51]
    Marquée par son séjour en prison après avoir aidé à l'évasion de son mari, atteinte de maladie mentale, elle resta en réalité à Paris jusqu'en 1822 (A.-M. Chamans de Lavalette, Mémoires et souvenirs…, vol. 2, p. 338).
  • [52]
    Sur les bonnes relations entre Maret et Thibaudeau en exil, on lira notamment Thérèse Rouchette, Le Dernier des régicides : Antoine-Claire Thibaudeau, 1765-1854, La Roche-sur-Yon, Centre vendéen de recherches historiques, 2000, p. 359.
  • [53]
    Baudet, valet de chambre des enfants de Maret, servait effectivement de « boîte aux lettres » pour sa correspondance échangée avec la France, échangeant notamment avec Denon ou son ancien secrétaire Monnier (Ernest Daudet, La Police politique : chronique des temps de la Restauration, 1815-1820, Paris, Plon, Nourrit et Cie, 1912, p. 248).
  • [54]
    Jean-François-Aimé Dejean (1749-1824), général de division en 1795, ministre directeur de l'administration de la Guerre de 1802 à 1808, puis premier inspecteur du Génie et sénateur (Nicole Gotteri, Grands dignitaires, ministres et grands officiers du Premier Empire, Paris, Nouvelles éditions latines, 1990, p. 109-110). Il s'installa à Marbourg (grand-duché de Hesse) en 1815, mais son exil hors de France ne dura que jusqu'en 1817, date de sa réintégration dans l'administration du ministère de la Guerre comme directeur général des subsistances. Une lettre de Metternich à Dejean, du 28 octobre 1816, autorisant son fils à se rendre à Vienne, récemment vendue aux enchères, montre que la surveillance à son égard était moins drastique que pour d'autres exilés français (catalogue de vente L'Empire à Fontainebleau, maison Osenat, 12 avril 2017).
  • [55]
    En juin 1816, Fouché avait vainement sollicité l'autorisation de s'installer en Italie à Vienne, avant de se résoudre à gagner Prague (AN, 187AP 4, lettre de Metternich à Fouché, 29 juin 1816).
  • [56]
    Fouché aurait songé à écrire ses Mémoires dès les premiers mois de son exil (voir l'introduction de Louis Madelin dans Joseph Fouché, Mémoires, Paris, Flammarion, 1945, p. 14).
  • [57]
    On retrouve le nom de Desmarteau, censé être le secrétaire de Fouché et le précepteur de ses enfants dans la presse de l'époque, dans des articles annonçant justement la parution imminente de ses Mémoires (The Annual Register or a view of the history, politics and litterature for the year 1816, Londres, Baldwin, Cradock and Joy, 1817, p. 113).
  • [58]
    Allusion à la parution récente d'une brochure commanditée par Fouché, Correspondance du duc d'Otrante avec le duc de Wellington, Londres, H. Colburn, Leipzig et Amsterdam, F. A. Brockhaus et C. G. Sülpke, 1816). L'ancien ministre s'y plaignait de son exil et réclamait le soutien du vainqueur de Waterloo, en menaçant à mi-mot de révéler des détails accablants sur la politique européenne, notamment pendant les Cent-Jours (voir l'introduction de L. Madelin dans J. Fouché, Mémoires…, p. 14).
  • [59]
    Le diplomate Charles-Auguste-Émile-Louis de Luxbourg (1782-1849) avait épousé en 1814 Éléonore Denuelle de La Plaigne (1787-1868), une ancienne maîtresse de Napoléon et mère du comte Léon, fils naturel de l'empereur, né en décembre 1806. Elle s'était installée à Mannheim auprès de Stéphanie de Beauharnais (André Gavoty, Les Drames inconnus de la cour de Napoléon, Paris, Fayard, 1964, p. 166-167).
  • [60]
    Delphine de Custine (1770-1826), proche de Germaine de Staël, de Chateaubriand, mais également de Fouché qu'elle connaissait depuis le Directoire et qui l'avait protégée malgré ses convictions royalistes. Elle fit une cure à Carlsbad et de Toeplitz à l'été 1816 et a pu passer par Prague, bien que le fait ne soit pas mentionné par ses biographes (Gaston Maugras, Pierre Croze-Lemercier, Delphine de Sabran, marquise de Custine, Paris, Plon, Nourrit et Cie, 1912, p. 517).
  • [61]
    Il s'agit d'Élisa Bonaparte (1777-1820), internée à Brünn de mars à août 1815, puis autorisée à s'installer à Trieste sous le pseudonyme de comtesse de Compignano. La seule lettre d'exil de Fouché à Élisa conservée est datée de Linz, 16 septembre 1819 (AN, 400AP 21, dos. 2).
  • [62]
    Il s'agit de Bernadotte, prince royal de Suède.
  • [63]
    Personnage non identifié.
  • [64]
    Le colonel baron Arkerhielm, aide de camp de Bernadotte.
  • [65]
    En marge, il est noté « no 3 »
  • [66]
    Charles-Antoine-Louis-Alexis Morand (1771-1835), qui avait joué un rôle important à Waterloo, s'était caché en Pologne après les Cent-Jours. Condamné à mort par contumace en août 1816, il revint se constituer prisonnier à Strasbourg en 1819, passant devant un conseil de guerre qui l'acquitta (P. Leuillot, L'Alsace au début du XIXe siècle…, vol. 1, p. 226).
  • [67]
    En marge, il est noté « no 4 »
  • [68]
    Sur le refroidissement graduel des relations entre Fouché et Thibaudeau entre 1816 et 1818, voir notamment T. Rouchette, Le Dernier des régicides…, p. 364-366.
  • [69]
    Autrement dit de l’opposition au premier ministre « tory » lord Liverpool (1770-1828), en fonction de 1812 à 1827, dont les opposants « whigs », moins hostiles à la Révolution et de plus en plus actifs à partir de 1816, se déclaraient entre autres favorables à l’adoucissement des conditions de détention de Napoléon (John Bew, Castlereagh : a life, Oxford, Oxford University Press, 2012, p. 414).
  • [70]
    Ce paragraphe fait allusion à la « Chambre introuvable » élue en août 1815 et dissoute le 5 septembre suivant par Louis XVIII. Plutôt que la « Gazette universelle », il s'agit plutôt du Moniteur universel, tandis que l'ouvrage de Chateaubriand qui est mentionné est la brochure De la monarchie selon la Charte.
  • [71]
    Allusion à la dissolution de la Chambre introuvable, et aux espoirs que la nouvelle suscita chez les exilés français désireux d'être autorisés à regagner leur pays.
  • [72]
    Friedrich Hasse, Notices sur le duc d'Otrante. Extraite et traduite de l'ouvrage allemand sous le titre Zeitgenossen, c'est-à-dire « nos contemporains célèbres », no 3, Leipzig, Amsterdam et Londres, F. A. Brockhaus, C. G. Sülpke et H. Colburn, 1816. Sur la parution de cette brochure, voir E. de Waresquiel, Fouché…, p. 647.
  • [73]
    Le comte Jules-Maximilien-Thibaut de Montléart (1787-1865), qui avait épousé en 1810 Marie-Christine de Saxe (1770-1851), veuve du prince de Carignan. Il avait brièvement servi dans la Grande armée avant d'être nommé auditeur au conseil d'État en 1812 (Jacques Godechot, Histoire de l'Italie moderne, 1770-1870, Paris, Hachette, 1971, p. 327).
  • [74]
    L'ancien ministre fit paraître deux brochures à cette époque : Joseph Fouché, Mémoires de la vie publique de M. Fouché, duc d'Otrante, contenant sa correspondance avec Napoléon, Murat, le comte d'Artois, le duc de Wellington, le prince Blücher, Sa Majesté Louis XVIII, le comte Blacas, etc., Paris, Plancher, 1819 et Le Duc d'Otrante, mémoire écrit à L****, en janvier 1820, Paris, chez l'éditeur, 1820. Le texte considéré comme son autobiographie « authentique » ne parut qu'après sa mort (Joseph Fouché, Mémoires de Joseph Fouché, duc d'Otrante, Paris, Lerouge, 1824, 2 vol.). Le texte en avait été retravaillé par le teinturier Alphonse de Beauchamp, qui avait travaillé au ministère de la Police sous l'Empire et connaissait donc fort bien le duc d'Otrante (Jean Tulard, Les Historiens de Napoléon, 1821-1969, Paris, SPM, 2016, p. 28).
  • [75]
    « Fouché, qui se rend, dit-on, à Prague, travaille aux mémoires de son ministère ; Sully a fait aussi les siens, et il les intitula avec raison Economies royales. Ceux de Fouché auront sans doute, en supposant que l'historien soit véridique, un grand intérêt ; mais quel titre porteront-ils ? » (Mercure de France, Paris, Eymery, 1816, vol. 68, p. 190).
  • [76]
    Maurice-André Gaillard (1757-1844), ancien oratorien, ancien président du tribunal de Seine-et-Marne, conseiller à la cour de Cassation, était un ami et confident de Fouché qui lui avait confié une partie de ses archives à son départ de France. Il a laissé des Mémoires manuscrits où figurent des lettres de Fouché et des anecdotes à son sujet (BnF, Mss, NAF 11718-11726, Mémoires de Maurice-André Gaillard, 1757-1844. On lira Pierre Despatys, La Révolution, la Terreur, le Directoire, 1791-1799, d’après les Mémoires de Gaillard, ancien président du Directoire exécutif de Seine-et-Marne, conseiller en cassation, Paris, Plon-Nourrit et Cie, 1909).
  • [77]
    On retrouve par exemple la comparaison avec Sully dans une lettre de Fouché à son chargé d'affaires en France, Hippolyte Lecomte, datée du 30 novembre 1816 (E. von Wertheimer, Die Verbantenn der ersten Keiserreichs…, p. 203).
  • [78]
    On retrouve en effet une « mademoiselle Riboud, dame de confiance de Fouché », qui recevait ou expédiait des lettres pour le duc d'Otrante (L'Intermédiaire des chercheurs et des curieux, juillet-décembre 1908, vol. 58, p. 64).
  • [79]
    En marge, il est noté : « 1 ».
  • [80]
    On retrouve mentionné un Legonidec, ancien avocat rennois installé à Saint-Domingue avant la Révolution, repéré par Fouché et finalement nommé procureur-général à Rome, puis conseiller à la cour de Cassation sous la Restauration (Biographie nouvelle des contemporains ou dictionnaire historique et raisonné de tous les hommes qui, depuis la Révolution française, ont acquis de la célébrité par leurs actions, leurs écrits, leurs erreurs ou leurs crimes, Paris, Librairie Émile Babeuf, 1823, vol. 11, p. 268).
  • [81]
    Il s’agit probablement du fils de Maurice-André Gaillard et son épouse Marie-Anne-Geneviève-Victoire Estancelin Camille Gaillard, né en 1795, nommé substitut au tribunal de Corbeil en 1818 (Étienne Broglin, Dictionnaire biographique sur les pensionnaires de l'académie royale de Juilly, 1651-1828, vol. 3, p. 956, en ligne sur http://www.centrerolandmousnier.fr/wp-content/uploads/2015/09/III-Catalogue-des-%C3%A9l%C3%A8ves-de-Juilly-1796-1828.pdf).
  • [82]
    En marge, il est noté : « 2 ».
  • [83]
    Le 15 août, jour de l'Assomption et anniversaire de Napoléon. On peut penser qu'un tel dessin mystérieux était le fait d'un illuminé.
  • [84]
    En marge, il est noté : « 3 ».
  • [85]
    En marge, il est noté : « 4 ».
  • [86]
    Il ne s’agit probablement pas de Camille Gaillard, mentionné plus haut parmi les correspondants de Fouché, mais bien d’un pseudonyme.
  • [87]
    En marge, il est noté : « 5 ».
  • [88]
    Louise Cochelet (1783-1835), ancienne élève de Mme Campan, amie d'Élisa et de Caroline, lectrice de la reine Hortense, qui a notamment écrit des Mémoires publiés en 1835, qui aurait effectivement visité Schaffhouse et les chutes du Rhin en 1816 (Roland Jousselin, Une lectrice de la reine Hortense, Paris, Christian, 2008, p. 115).
  • [89]
    Le scripteur a noté « Froque » par suite d'une erreur de copie, mais il s'agit bien de Trogen, dans le canton Appenzell, dont le bailli était à l'époque un certain « Zellweger » (Raoul-Rochette, Lettres sur la Suisse, écrites en 1819, 1820 et 1821, Paris, Nepveu, 1828, vol. 2, p. 231).
  • [90]
    Probablement Les Brenets, canton de Neuchâtel, à 38 kilomètres de Pontarlier.
  • [91]
    Personnage non identifié.
  • [92]
    Personnage non identifié.
  • [93]
    Ancien général dans l'armée polonaise puis dans celle du duché de Varsovie, que l'on retrouve mentionné dans la Biographie universelle, ancienne et moderne, Paris, C. Desplaces, 1843, vol. 45, p. 3, et dans Szymon Askenazy, Napoléon et la Pologne, Paris, Lamertin, 1925, vol. 1, p. 204.
  • [94]
    En marge, il est noté : « 6 ».
  • [95]
    L'ouverture de la session parlementaire avait été fixée au 4 novembre 1816 (Laurent Nagy, La Royauté à l'épreuve du passé de la Révolution (1816-1820). L'expérience d'une monarchie représentative dans une France révolutionnaire, Paris, L'Harmattan, 2014, p. 26).
  • [96]
    En réalité l'homme d'affaires Hippolyte Lecomte, ancien oratorien chargé de la gestion de la fortune de Fouché, qui avait racheté l'ancien château de Colbert et qui signait ses lettres « Lecomte, de Sceaux » (E. de Waresquiel, Fouché…, p. 221. Voir aussi Nicolas Clément, Jean-François-Hippolyte Lecomte : une ascension discrète, 1757-1819, Sceaux, Musée de l'Île de France, 1997, p. 17).
  • [97]
    Louis Broband, fils de la sœur de Fouché, ancien directeur des contributions directes de Nantes remercié après les Cent-Jours, que Fouché aida financièrement et à qui il tenta de faire retrouver une place dans l'administration depuis son exil (Dominique Caillé, « Joseph Fouché, duc d'Otrante, d'après une correspondance privée inédite », dans Revue de Bretagne, de Vendée & d'Anjou, vol. 9, janvier 1893, p. 13, lettre de Fouché à Brillaud de Laujardière, Prague, 24 mai 1817).
  • [98]
    Nicolas-Félix Desportes (1763-1849), ancien préfet du Haut-Rhin sous l'Empire, élu représentant du Haut-Rhin pendant les Cent-Jours, exilé par l'ordonnance du 24 juillet 1815, installé à Francfort à partir d'octobre 1816 (A. Robert et G. Cougny, Dictionnaire des parlementaires français…, vol. 3, p. 365).
  • [99]
    Antoine-Jacques-Claude Boulay de la Meurthe (1761-1840), ancien président de la section de législation du Conseil d'État, exilé à Halberstadt, en Prusse (Anonyme, Boulay de la Meurthe, Paris, Lahure, 1868, p. 364).
  • [100]
    Jacques Defermon (1752-1831), ancien président de la section des finances du conseil d'État, ministre d'État en 1808, exilé à Bruxelles (Edna Hindie Lemay, Dictionnaire des constituants, Paris, Universitas, 1991, vol. 1, p. 265-267).
  • [101]
    Probablement des cousins de l'épouse de Thibaudeau (T. Rouchette, Le Dernier des régicides…, p. 440).
  • [102]
    Personnage non identifié.
  • [103]
    Belle-mère de Thibaudeau.
  • [104]
    Allusion au livre de François-René de Chateaubriand, De la Monarchie selon la Charte, Paris, Imprimerie de Le Normant, 1816, p. 71, où le XXIXe chapitre, « Quel homme ne peut jamais être ministre sous la monarchie constitutionnelle », ciblait spécifiquement Fouché.
  • [105]
    Probablement une autre domestique de Fouché utilisée comme boîte aux lettres.
  • [106]
    En marge, il est noté : « no 1 ».
  • [107]
    Zélie Sonthonas, amie d'Ernestine de Castellane, seconde épouse de Fouché (Antoine-Émile Moulin, Le Grand amour de Fouché : Ernestine de Castellane, Paris, Perrin, 1937, p. 95)
  • [108]
    En marge, il est noté : « no 2 ».
  • [109]
    Personnages non identifiés.
  • [110]
    Sur les installations d'ex-officiers de l'Empire aux États-Unis, voir Inès Murat, Napoléon et le rêve américain, Paris, Fayard, 1976.
  • [111]
    Aucun élément ne permet de lever le voile sur ce pseudonyme, qui n'est pas sans rappeler celui de « l'ami de Paris », utilisé par des correspondants du comte d'Antraigues, espion royaliste sous la Révolution (Jacques Godechot, La Contre-révolution, doctrine et action, 1789-1804, Paris, Presses universitaires de France, 1984, p. 394).
  • [112]
    En marge, il est noté : « no 3 ».
  • [113]
    En marge, il est noté : « 4 ».
  • [114]
    Ville au bord du lac de Constance, côté bavarois, non loin du château d'Arenenberg qui se trouve quant à lui du côté suisse.
  • [115]
    Personnage non identifié.
  • [116]
    Le colonel Ludwig von Pfühl, au service de Jérôme dans les premiers temps de son exil, qui finit par se brouiller rapidement avec lui. Le grand maître était en réalité Abbatucci (J.-O. Boudon, Le Roi Jérôme…, p. 454).
  • [117]
    Il s’agit du ministère du duc de Richelieu.
  • [118]
    Lucien espérait peut-être que la chute du gouvernement Liverpool à la suite des révoltes d'ouvriers du textile, à moins qu'il ne se soit intéressé aux débats initiés à la chambre des Lords sur le bien-fondé de la captivité de Napoléon à Sainte-Hélène (Charles-Éloi Vial, Napoléon à Sainte-Hélène : l'encre de l'exil, Paris, Perrin, Bibliothèque nationale de France, 2018, p. 181). La rumeur d'un départ de Lucien aux États-Unis, en réalité répandue par un secrétaire de l'ambassade de France à Rome trop zélé, avait attiré l'attention des polices française et autrichienne (F. Masson, Napoléon et sa famille…, vol. 13, p. 320).
  • [119]
    Savary avait accompagné Napoléon jusqu'à bord du Bellerophon mais n'avait pas été autorisé à se rendre à Sainte-Hélène. Détenu à Malte par les Anglais jusqu'à la fin juillet 1816, le duc de Rovigo s'installa ensuite à Smyrne, où il apprit sa condamnation à mort par la chambre des pairs. Expulsé de l'empire ottoman à la demande de l'ambassadeur de France, Savary se rendit ensuite à Trieste, fut interné plus d'un an à Gratz, puis renvoyé à Smyrne jusqu'en 1819, date où il décida de s'embarquer pour Londres, puis de revenir en France pour obtenir un second jugement. Durant son exil à Smyrne, l'ancien ministre de la Police avait effectivement eu le temps de fonder une société de commerce avec l'Anglais William Wilkinson (AN, 421AP 2, correspondance et comptes entre Wilkinson et Savary, 1817-1825 ; Thierry Lentz, Savary, séide de Napoléon, Paris, Fayard, 2001, p. 412-415).
  • [120]
    Les milieux libéraux grenoblois, en lien avec la Charbonnerie italienne, faisaient effectivement l'objet d'une surveillance policière importante. Il n'y eut cependant pas d'émeute importante avant mars 1821 (Marie-Cécile Thoral, « Les acteurs administratifs de la résolution des conflits sociopolitiques. Le cas de Grenoble, du Consulat à la Monarchie de Juillet », dans Entre violence et conciliation. La résolution des conflits sociopolitiques en Europe au XIXe siècle, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2008, p. 139-149).
  • [121]
    Il s'agit de la pièce Germanicus d'Antoine-Vincent Arnault, qui évoquait en filigrane Napoléon, mais glissait aussi quelques mots sur la « pitié à l'égard des proscrits ». Arnault, rallié à l'empereur pendant les Cent-Jours, avait été exilé, radié de l'Académie française, et ne fut autorisé à rentrer en France qu'en 1819 (Raymond Trousson, Antoine-Vincent Arnault (1766-1834) : un homme de lettres entre classicisme et romantisme, Paris, Champion, 2004, p. 220).
  • [122]
    Possible allusion au Manuscrit venu de Sainte-Hélène d'une manière inconnue, aujourd'hui attribué à Lullin de Châteauvieux, ou encore à la brochure Pièces relatives au traitement éprouvé par Napoléon Bonaparte dans l'île de Sainte-Hélène, savoir : Appel de M. Santine, huissier du cabinet de Napoléon, à la Nation anglaise ; Lettre du général-comte Montholon, au général anglais sir Hudson Lowe, gouverneur de cette île, et le rapport détaillé de la discussion qui a eu lieu dans la Chambre des pairs d'Angleterre le 18 mars 1817 sur la motion de lord Holland, Bruxelles, T. Parkins, 1817). Ce texte est à la même époque évoqué par A.-C. Thibaudeau, Mémoires d’exil…, p. 89, lettre 39, 24 mai 1817.
  • [123]
    Le Corse Giovanni Natale Santini (1790-1862), huissier de Napoléon à Sainte-Hélène, rentré en Europe début 1817. Il s'agit d'une probable allusion à sa brochure publiée après son arrivée en Angleterre pour protester contre le sort réservé à Napoléon, An appeal to the British Nation on the treatment experienced by Napoleon Buonaparte in the island of St. Helena, Londres, Ridgways, 1817.
  • [124]
    Thibaudeau fait exactement les mêmes remarques dans sa propre correspondance (A.-C. Thibaudeau, Mémoires d’exil…, p. 84, lettre 38, 11 avril 1817).
  • [125]
    Henri-Jacques-Guillaume Clarke, duc de Feltre (1765-1818), ministre de la Guerre sous l'Empire, rallié à Louis XVIII, retrouva son poste le 11 mars 1815 et l'occupa pendant l'exil de Gand, avant de le retrouver après une brève interruption de juillet à septembre 1815. Proche des ultras, il était contesté depuis la dissolution de la Chambre introuvable. En mauvaise santé, il démissionna en septembre 1817 (René Reiss, Clarke, maréchal et pair de France, Paris, COPUR, 1999, p. 421).
  • [126]
    Arnault avait effectivement été député pendant les Cent-Jours, mais il n'avait jamais été commissaire à l'armée, mais il avait en revanche été chargé de rédiger une adresse à l'armée campée sous les murs de Paris après Waterloo et fit partie de la délégation chargée de la porter au quartier-général installé à La Villette. Il y aurait perdu son sang-froid en s'étonnant d'y croiser le baron de Vitrolles, ministre-secrétaire d'État de Louis XVIII, arrêté en avril 1815 et remis en liberté par Fouché après l'abdication de Napoléon (Biographie nouvelle des contemporains…, vol. 9, p. 388).
  • [127]
    Exilé après 1815, Jean-Thomas Arrighi de Casanova (1778-1853), lointain cousin de Napoléon qui l'avait fait duc de Padoue et nommé général de division. Il avait épousé Anne-Rose-Zoé de Montesquiou-Fezensac (1792-1817), dont la mère était dame du palais de Marie-Louise sous l'Empire. Le couple avait d'abord séjourné à Goritz avec les Maret jusqu'en 1816, puis à Trieste, où ils retrouvèrent Élisa (Albert du Casse, Le Général Arrighi de Casanova, duc de Padoue, Paris, Perrotin, 1866, vol. 2, p. 277).
  • [128]
    Il s'agit du gouverneur de Trieste, à qui les membres de la famille impériale devaient demander l'autorisation avant de recevoir des visites de proches. Il se chargeait également de la surveillance de leur correspondance et de leurs faits et gestes (René Dollot, « Les Napoléonides à Trieste (1814-1832) », dans Revue d'histoire diplomatique, 1946, p. 160-197).
  • [129]
    Comme on l’a dit plus haut, il s’agissait effectivement de Savary.
  • [130]
    François-Antoine Lallemand (1774-1839), qui avait commandé les chasseurs à cheval de la Garde à Waterloo, avait suivi Napoléon jusque sur le Bellerophon mais n'avait pas été autorisé à le suivre à Sainte-Hélène. Il avait été détenu à Malte en même temps que Savary, l'avait suivi jusqu'à Smyrne, puis s'était exilé aux États-Unis où il était arrivé dès mai 1817, prenant part à l'éphémère expérience de colonie bonapartiste du Champ d'asile (Rafe Blaufarb, Bonapartists in the Borderlands : French exiles and refugees on the Gulf coast 1815-1835, Tuscaloosa, University of Alabama Press, 2005, p. 86).
  • [131]
    Confusion avec Henri-Dominique Lallemand (1777-1825), frère de François-Antoine, qui avait commandé l'artillerie de la Garde à Waterloo, était revenu ensuite sous les murs de Paris et avait suivi l'armée de la Loire, avant de s'embarquer pour les États-Unis (ibid, p. 8).
  • [132]
    Charles-André Pozzo di Borgo (1764-1842), lointain cousin de Napoléon passé au service du tsar, ambassadeur de Russie en France de 1814 à 1835. Il aurait effectivement fait une chute en 1817 : « M. le comte Pozzo di Borgo, ministre de Russie, s'est blessé à la tête en voulant se jeter hors de sa voiture dans un moment où les chevaux avaient pris le mors au dent » (L'Ami de la religion et du roi, 8 mars 1817, p. 119).
  • [133]
    Allusion à la révolte libérale fomentée par plusieurs officiers désapprouvant le retour à l'absolutisme imposé par Ferdinand VII à son retour sur le trône en 1814 (Jacques Pinglé, Histoire des Espagnols, Paris, Éditions universitaires, 1975, p. 312).
  • [134]
    Allusion aux rumeurs concernant la mauvaise santé de Louis XVIII, qui était au contraire en excellente forme à la même époque (Philip Mansel, Louis XVIII, Paris, Perrin, 2013, p. 396). La question de la santé du roi préoccupait également Thibaudeau à la même époque (A.-C. Thibaudeau, Mémoires d’exil…, p. 64, lettre 35, 16 janvier 1817).
  • [135]
    La source de l'anecdote n'a pas été retrouvée, mais plusieurs comédies célèbres du XVIIIe siècle, toujours rééditées, portaient ce titre (Charles Du Fresny, La Réconciliation normande, comédie en 5 actes et en vers de Dufresny, représentée pour la première fois le 7 mars 1719, Paris, Petitot, 1817).
  • [136]
    André Pons de l'Hérault (1772-1853), ancien administrateur des mines de l'île d'Elbe, célèbre pour avoir côtoyé Napoléon qui l'avait nommé préfet du Rhône pendant les Cent-Jours. Expulsé de Toscane puis de Piémont, il s'était réfugié à Goritz où il s'était lié à Maret. Il essayait effectivement d'obtenir un passeport pour rentrer en France depuis juin 1817, et obtint une autorisation du duc de Richelieu, sa demande ayant transité par l'ambassade de France à Vienne. Voir l'introduction de Léon-Gabriel Pélissier dans André Pons de l'Hérault, Mémoires de Pons de l'Hérault aux puissances alliées, Paris, Alphonse Picard et fils, 1899, p. XXXIX.
  • [137]
    Allusion à la tragédie Iphigénie en Tauride, de Goethe, (1779), où la princesse Iphigénie, condamnée à être sacrifiée, est sauvée par Diane qui la remplace par une biche, puis exilée en Tauride, presqu’île sauvage habitée par les Scythes, peuple cruel immolant les étrangers
  • [138]
    Possible allusion aux exilés français, considérés comme des pestiférés placés en quarantaine.
  • [139]
    Les Orléans, rentrés en France en 1814, s'étaient réinstallés en Angleterre pendant les Cent-Jours. Louis XVIII avait dû insister pour que Louis-Philippe et sa famille reviennent définitivement au Palais Royal (P. Mansel, Louis XVIII…, p. 383). Le Royal-Sovereign était un yacht royal utilisé pour les hôtes de marque, qui avait déjà servi à ramener Louis XVIII en France en 1814 (John Marshall, Royal Naval Biography, or Memoirs of the services of all the flag-officers, superannuated rear-admirals, retired captains, post-captains and commanders, whose names appeares on the Admiralty list of sea-officers at the commencement of the year 1823, Londres, Longman, Rees, Orme, Brown, Grenn and Longman, 1833, vol. 4, part. I, p. 418). Le sujet est aussi évoqué dans A.-C. Thibaudeau, Mémoires d’exil…, p. 83, lettre 38, 11 avril 1817).
  • [140]
    Il s'agit d'Élisa Bonaparte.
  • [141]
    Le refroidissement des relations entre Thibaudeau et Fouché daterait effectivement de 1817, avant une rupture définitive en janvier 1818, due à la relation scandaleuse entre le fils Thibaudeau et la duchesse d’Otrante, seconde épouse de Fouché, beaucoup plus jeune que lui (voir l'introduction de L. Madelin dans J. Fouché, Mémoires…, p. 466 et Antoine-Émile Moulin, « Les tribulations de Fouché à Prague, 1816-1818 », dans La Revue de France, no 21, 1er novembre 1835, p. 60 ; E. de Waresquiel, Fouché…, p. 644, et enfin le récit plus mesuré dans A.-C. Thibaudeau, Mémoires d’exil…, p. 125, lettre 47, 10 janvier 1818).
  • [142]
    Journal publié à Bruxelles, où écrivaient des transfuges du Nain jaune, tous opposés à Fouché (voir E. de Waresquiel, Fouché…, p. 746, n. 40). On retrouve une lettre d’exil de Fouché au prince Eugène se plaignant des menées du Vrai libéral à son encontre dans le catalogue de vente Histoire, grandes figures historiques, Paris, Aguttes, 4 avril 2019, p. 86, lot 1039.
  • [143]
    Ce voyage aux eaux de Wiesbaden lui fut refusé par Metternich quelques jours plus tard, la frontière française étant jugée trop proche (lettre de Metternich à Thibaudeau, 18 mai 1817, citée par Gaston Dez, « Le conventionnel Thibaudeau, l'exil, le Poitou », dans Bulletin de la Société des antiquaires de l'Ouest, no 1946/2, p. 25).
  • [144]
    En réalité Pula, alors sous domination autrichienne mais aujourd'hui en Croatie, effectivement connue pour ses ruines romaines.
  • [145]
    Station thermale des Alpes autrichiennes.
  • [146]
    Hortense a séjourné à Augsbourg du 11 au 17 mai 1817, selon les rapports de l'ambassadeur de France en Bavière cités dans Hortense de Beauharnais, Mémoires de la reine Hortense, Paris, Plon, 1927, vol. 3, p. 141, note 1.
  • [147]
    Le scripteur écrit « Troschdorf ».
  • [148]
    Lassé de Trieste et après un séjour chez Caroline à Haimbourg, Jérôme aurait en effet reçu l'interdiction de s'installer à Erlau où il avait trouvé un château à vendre, malgré les démarches entreprises par son épouse pour faire intervenir son père (Félix Wouters, Les Bonaparte depuis 1815 jusqu'à ce jour, Bruxelles, Wouters frère, 1847, p. 424). Le roi de Wurtemberg serait finalement intervenu pour que Jérôme puisse faire l'acquisition château de Schönau, plus loin de Vienne et des villégiatures des Habsbourg (F. Masson, Napoléon et sa famille…, vol. 12, p. 389).
  • [149]
    Armand de Bricqueville (1785-1844), colonel du 20e de dragons à Waterloo, blessé à Rocquencourt le 1er juillet 1815, proche des milieux bonapartistes au début de la deuxième Restauration, avait été arrêté en mars 1817 pour avoir correspondu avec des « réfugiés français » en Belgique (Journal général de la France, 31 mars 1817, p. 2).
  • [150]
    Étienne Pierre, comte Mejean (1766-1846), ancien journaliste sous la Révolution, proche de Maret, secrétaire général de la préfecture de la Seine sous le Consulat puis secrétaire du prince Eugène à Milan, qu'il avait suivi à Munich en exil (René Blemus, Eugène de Beauharnais (1781-1824) : l'honneur à tout vent, Paris, France-Empire, 1993, p. 164).
  • [151]
    L'ancien domestique de Napoléon se plaint effectivement d'avoir été arrêté par les autorités autrichiennes à son arrivée en Italie, incarcéré trois mois à Mantoue, amené à Vienne puis placé en résidence surveillée à Brünn, en Moravie, où les autorités locales le réduisirent habilement au silence en faisant courir le bruit qu'il était un imposteur (Giovanni Natale Santini, De Sainte-Hélène aux Invalides : souvenirs de Santini, Paris, Ledoyen, 1853, p. 123-128).
  • [152]
    Ce rapport, contrairement aux autres, est rédigé à la première personne et prend la forme non pas d'une synthèse de rumeurs et de courriers interceptés, mais d'un compte rendu d'une conversation avec Metternich. Qui était le rédacteur de ce texte ? S'agit-il d'un diplomate français, qui aurait transmis son rapport au milieu de ceux des Autrichiens, ou encore d'un collaborateur du puissant ministre ? La question, en l'état, reste entière, même si des recherches ultérieures dans les archives françaises et autrichiennes permettront peut-être de découvrir un jour la réponse.
  • [153]
    Le comte Félix von Mier (1788-1857), diplomate autrichien, alors ambassadeur au Hanovre (Tobias C. Bringmann, Handbuch der Diplomatie, 1815-1863 : Auswärtige Missionschefs in Deutschland und Deutsche Missionschefs im Ausland von Metternich bis Adenauer, Berlin, Walter de Gruyter, 2001, p. 293).
  • [154]
    Il s’agit de l’émigré Louis-Philippe de Bombelles (1780-1843), devenu chambellan de l’empereur d’Autriche, qui fut successivement son ambassadeur à Copenhague, Dresde puis Florence (Arthur G. Haas, Metternich : Reorganisation and Nationality, 1813-1818, Wiesbaden, F. Steiner, 1963, p. 183).
  • [155]
    Metternich avait craint une tentative d’enlèvement de l’ex-roi de Rome en 1815. En juillet 1817, lors d'une promenade dans les environs de Vienne, Caroline Murat avait tenté d'aborder le petit duc de Reichstadt, mais son précepteur Dietrichstein avait dissuadé la reine déchue de lui adresser la parole, en lui répliquant qu'il ne parlait plus que l'allemand. L'affaire avait effaré l'ambassadeur de France ainsi que les autorités autrichiennes, qui craignaient une tentative d'enlèvement de l'héritier de Napoléon (AMAE, Fonds Autriche 398, rapport du chevalier Artaud, chargé d'affaires, au duc de Richelieu, Vienne, 6 août 1817).
  • [156]
    Jusqu'ici, le document no 18 était une copie du document no 5. La fin du rapport diffère, sans que l'on puisse trancher avec certitude : s'agit-il du même texte « recyclé » par des agents en manque d'observations à transmettre à leur hiérarchie, ou d'une erreur du copiste qui aurait recopié deux fois le même document ?
  • [157]
    L'ancien hôtel de Fouché rue Cerutti, acheté en 1810, fut revendu à la société Fries et Cie et à un grand commerçant de Prague nommé Lamel pour 1 100 000 fr. en février 1817, puis revendu au banquier James de Rothschild l'année suivante (Émile Forgues, Le Dossier secret de Fouché (juillet-septembre 1815), Paris, Émile-Paul, 1908, p. 68, note 1 ; Bertrand Gille, Histoire de la maison Rothschild, Genève, Droz, 1965, p. 61). La vente est aussi mentionnée dans A.-C. Thibaudeau, Mémoires d’exil…, p. 67, lettre 35, 16 janvier 1817.
  • [158]
    François-Nicolas-Joseph Werbrouck, officier dans le 10e régiment de chasseurs à cheval, qui avait fait partie de l'état-major d'Oudinot, installé depuis la chute de l'Empire à Anvers. Maret était le parrain d'un de ses fils. Il était le cousin du maire d'Anvers sous l'Empire, Jean-Étienne Werbrouck, protagoniste d'une affaire de corruption célèbre sous l'Empire qui lui avait valu d'être jugé en 1813 puis acquitté à la surprise générale, la rumeur évoquant à l'époque la protection de Maret. Après un pourvoi en cassation, le procès fut interrompu par la chute de l'Empire. (« Généalogie de la famille de Werbrouck », dans Bulletin et annales de l'Académie d'archéologie de Belgique, 1847, vol. 4, p. 325 ; J.-C. Mattheessens et M. Mattheessens, « Un procès sous le Premier Empire : l'octroi d'Anvers, 1811-1813 », dans Revue du Nord, 1955, no 146, p. 135-142).
  • [159]
    Il s'agit peut-être d'André-Jean-Simon Nougarède de Fayet (1865-1845), député et maître des requêtes au conseil d'État sous l'Empire, pourtant mis à l'écart sous les Cent-Jours (Nouvelle biographie générale depuis les temps les plus reculés jusqu'à nos jours, avec les renseignements bibliographiques et l'indication des sources à consulter, Paris, Firmin-Didot frères, fils et Cie, 1866, vol. 37, p. 312).
  • [160]
    Cette correspondance, jointe à l'origine aux rapports de surveillance de la police autrichienne, avait été classée par erreur dans un dossier concernant un certain Fouché, fils du commandant de la Garde nationale de Varennes en 1791.
  • [161]
    Cette copie de lettre était adressée à Maurice Gaillard.
  • [162]
    Personnage non identifié.
  • [163]
    Maurice-André Gaillard et son épouse Marie-Anne-Geneviève-Victoire Estancelin avaient eu deux enfants, Camille Gaillard, né en 1795 et dont il a été question plus haut, et Lucie Calliste Gaillard.
  • [164]
    Évocation du livre de la Genèse, où le panetier de Pharaon, emprisonné avec le prophète Joseph, s'entend prédire par ce dernier une mort pénible, pendu à un arbre et dévoré par les oiseaux (La Sainte-Bible, Paris, T. Desoer, 1819, p. 28). L'allusion faite par Fouché semble obscure, et renvoie peut-être à une anecdote connue de Fouché et de Gaillard, tous deux anciens oratoriens.
  • [165]
    Ouvrage anonyme probablement dû à Jean-Baptiste-Joseph Régnault-Warin (1773-1844), écrivain et journaliste, tour à tour jacobin puis royaliste. Il avait été brièvement emprisonné par ordre de Fouché en 1800 pour avoir écrit un roman à succès, Le Cimetière de la Madeleine, qui regrettait ouvertement la mort de Louis XVI (Julia Douthwaithe, « Le Roi pitoyable et ses adversaires : la politique de l'émotion selon J.-J. Regnault-Warin, H.-M. Williams et les libellistes de Varennes », dans Revue d'histoire littéraire de la France, vol. 110, 2010/4, p. 917-934). On y retrouvait plusieurs soi-disant anecdotes racontées par Napoléon à Sainte-Hélène, dont un récit de la disgrâce de Fouché en 1810, où l'auteur affirmait à tort que Fouché avait entamé des négociations avec l'Angleterre à la demande de l'empereur (Jean-Baptiste-Joseph Régnault-Warin, Mémoires pour servir à la vie d'un homme célèbre, Paris, Plancher, 1818, vol. 2 p. 64-65).
  • [166]
    Ce démenti semble ne pas avoir été publié.
  • [167]
    Richard Wellesley (1760-1842), frère du duc de Wellington, secrétaire d'État au Foreign Office de décembre 1809 à mars 1812. Fouché évoque les négociations au sujet d'un échange de prisonniers dans ses Mémoires (J. Fouché, Mémoires…, p. 320).
  • [168]
    Sur les négociations ouvertes par le financier Ouvrard et le banquier Labouchère en 1810, avec le soutien de Fouché et le Louis Bonaparte, voir Thierry Lentz, Nouvelle histoire du Premier Empire, Paris, Fayard, 2004, vol. 2, p. 340.
  • [169]
    Fouché protégeait effectivement la duchesse de Chevreuse, nostalgique de l'Ancien Régime, qui avait accepté à contrecœur de devenir dame du palais en 1806, et qui fut exilée deux ans plus tard à quarante lieues de Paris pour avoir tenu des « propos frondeurs » (Georgette Ducrest, Mémoires sur l'impératrice Joséphine, ses contemporains, la cour de Navarre et de La Malmaison, Paris, Ladvocat, 1828, vol. 1, p. 59 ; E. de Waresquiel, Fouché…, p. 268).
Français

Historiographier un travail d’historien : Charles-Éloi Vial exhume des documents de travail ayant servi à Alphonse de Lamartine pour ses écrits dans le domaine historique. Les papiers de l’écrivain contiennent en effet des rapports de surveillance ayant trait aux faits et gestes des anciens familiers et affidés à Napoléon sur le territoire et à la cour d’Autriche. Ces documents originaux, traduits en français et transmis à Paris, récupérés par Lamartine par un biais non élucidé, sont une mine d’informations sur ce que deviennent les membres du clan Bonaparte, sens restreint et sens large, après la bataille de Waterloo, la fin de l’Empire et l’exil de Napoléon.
Espionner un espion : l’étude de ces écrits permet de mesurer le degré de méfiance que les membres de la famille et les proches de Napoléon inspirent à la couronne impériale autrichienne et ses alliés, malgré un accueil bienveillant en apparence. Charles-Éloi Vial éclaire les méthodes de surveillance drastique des exilés napoléonides en nous soumettant ces sources peu exploitées.

Charles-Éloi Vial
Charles-Éloi Vial est conservateur à la Bibliothèque nationale de France, au département des Manuscrits de la Bibliothèque nationale de France.
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Mis en ligne sur Cairn.info le 20/01/2022
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