CAIRN.INFO : Matières à réflexion

I. Cadre historique et données des « archives des sous-sols »  [3]

1La colonne monumentale située près de Boulogne-sur-Mer rappelle qu’entre 1803 et 1805, une armée destinée à l’invasion de l’Angleterre se trouvait rassemblée sur le littoral du Pas-de-Calais, autour des principaux ports. Créée par Bonaparte et commandée par Napoléon depuis Boulogne, cette armée dite des Côtes de l’Océan est transformée en Grande Armée à la fin du mois d’août 1805, au moment de son départ pour l’Allemagne où elle bat les armées coalisées, le 2 décembre, à Austerlitz. L’armée des Côtes de l’Océan est constituée par Bonaparte pour « aller chercher la paix à Londres » après l’échec du traité d’Amiens, ratifié un an plus tôt, en mars 1802. Dans le contexte de crise diplomatique qui avait précédé la déclaration de guerre, Bonaparte avait déclaré au comte de Markov, ambassadeur de Russie, le 11 floréal an 11/1er mai 1803 : « Puisque les Anglais veulent nous forcer à sauter le fossé, nous le sauterons. Ils pourront prendre quelques frégates, quelques colonies, mais je porterai la terreur dans Londres, et je leur prédis qu’ils pleureront la fin de la guerre avec des larmes de sang. » (Thibaudeau 1827 : 405). Cette armée d’invasion était répartie par corps dans différents camps dont les principaux étaient ceux de Saint-Omer, de Bruges, et de Montreuil, en remplacement de celui de Compiègne. La réserve des camps se trouvait quant à elle dans les villes de Calais, Amiens, Compiègne et Arras. Au 1er vendémiaire an 13/23 septembre 1804, soit plus d’un an après le début des préparatifs, ces camps rassemblaient près de 100 000 hommes d’infanterie (Fig. 1  [4]).

2Au 15 thermidor an 13, soit le 3 août 1805, trois semaines avant le départ de l’armée pour l’Allemagne, la flottille impériale comptait 2 155 bateaux de différentes espèces, répartis par divisions dans les différents ports. À la même date, cette flottille pouvait embarquer 168 000 hommes, toutes unités confondues, et 9 200 chevaux  [5].

3Les recherches archéologiques portent principalement sur le camp de Montreuil (Fig. 2). Il regroupait les trois divisions du corps de gauche commandé par le maréchal Ney. La première baraquait à Camiers, la deuxième à Étaples-sur-Mer, où se trouvait les bateaux de la flottille, et la troisième au hameau de Fromessent, à moins de 2 km en arrière d’Étaples-sur-Mer. Ces trois divisions totalisaient onze régiments d’infanterie. Bonaparte avait recommandé à Berthier, ministre de la Guerre, de placer les camps le plus près possible des points d’embarquement (Bonaparte 2007 : 298-307).

II. Les témoignages écrits

4À ce jour, nos recherches portent à quarante-sept le nombre de témoignages de militaires de l’armée des Côtes de l’Océan. Parmi ces témoignages, quinze concernent le seul camp de Montreuil, et parmi ceux-ci, fait remarquable, plusieurs se rapportent directement aux camps qui ont été fouillés. Nous donnons à la suite quelques extraits en guise d’introduction sur les camps et baraquements ; d’autres suivent dans les différentes parties du texte.

5Dans ses mémoires, l’officier François Vigo-Roussillon, rescapé de l’expédition d’Égypte, écrit à propos du camp du 32e de ligne dont il a supervisé la construction : « Notre camp qui s’appela le camp de Camiers ressemblait à un joli village régulièrement construit. » (Vigo-Roussillon 2013 : 132-138). Le mémorialiste Raymond Aimery de Montesquiou-Fezensac évoque le camp du 59e de ligne, régiment qu’il a rejoint en 1804 à l’âge de 20 ans, en des termes moins bucoliques : « […] j’ai connu tel bivouac bien supérieur à nos baraques. » (Montesquiou-Fezensac 1870 : 7-49). Ces baraques, le médecin Hiriart en donne une description dans un rapport daté de février 1804 : « Chaque baraque de soldat a une étendue de quatorze pieds en longueur (4,55 m) et de douze en largeur (3,90 m) ; elle s’élève de sept pieds au-dessus du niveau du sol (2,28 m), et se trouve creusée de trois dans son intérieur (0,98 m) ; elle est construite en branchages et en paille. La terre extraite de la fosse intérieure sert à former un talus de deux à trois pieds de hauteur, et de plus d’un pied d’épaisseur (0,325 m) à sa base autour de la baraque ; chacune loge de 14 à 16 soldats. On ne trouve de poêles ou de cheminées que dans celles des officiers. » (Hiriart 1804).

III. La fouille du camp du 69e régiment d’infanterie de ligne

6Des quatre camps localisés sur la commune d’Étaples-sur-Mer, deux ont été fouillés, dont un, celui du 69e, presque intégralement  [6]. Le 69régiment d’infanterie de ligne formait une brigade avec le 6e régiment d’infanterie légère. Chaque régiment disposait de son propre camp constitué de différents baraquements parfaitement alignés et organisés selon un plan précis (Fig. 3 à 5).

A. Les limites du camp

7Les deux camps, séparés par une route, occupaient une hauteur en arrière de la ville  [7]. Leurs baraquements mesuraient au total près de 720 m de long. Les camps d’Étaples-sur-Mer totalisaient une surface bien supérieure à celle de la ville, qui comptait, en 1789, 1 774 feux (feux fiscaux/familles)  [8]. Une archive du génie datée de 1811 donne la surface totale de trois des quatre camps d’Étaples-sur-Mer – dont le camp du 69e de ligne –, y compris les terres endommagées environnant ces camps : près de 139 ha  [9]. C’est considérable, mais les limites réelles des camps, telles qu’elles avaient été précisées en l’an 12, au moment de leur formation, sont inconnues, et pour l’heure, les surfaces sont impossibles à déterminer avec exactitude. Ces camps étaient ouverts, c’est-à-dire sans aménagements défensifs, ce qui ne signifie pas qu’ils étaient accessibles. Chacun avait son périmètre, mais les limites n’étaient pas nécessairement marquées et visibles. Ces limites devaient correspondre à des routes, à des chemins, à des zones d’habitat, à des grosses fermes isolées ou encore à des bois. Les camps, dans leur étendue, étaient contraints, et ils l’étaient de différentes façons. Les troupes ne constituaient pas une armée d’invasion, et bien qu’elles fussent sur le pied de guerre  [10], elles devaient composer avec les civils et leurs préoccupations, avec les agriculteurs privés de leurs terres. L’armée elle-même, impécunieuse, était contrainte par le coût des indemnités qu’elle devait verser à ces derniers, qui furent source de litiges. Jean-Louis Sabon, jeune musicien au 69e de ligne – il a 12 ans lorsqu’il arrive à Étaples-sur-Mer avec le régiment – décrit l’emplacement occupé par le camp : « Il s’étendait sur un grand espace de terrain fraîchement sillonné par la charrue, situé à un quart de lieue du bourg d’Étaples » (Sabon 1910 : 19). Jean-Louis Sabon aurait pu reconnaître aisément le site, certes environné de lotissements récents, mais qui, jusqu’à une date proche, avait peu évolué. Il est probable que le périmètre de la ZAC  [11], à l’origine des recherches, recouvre en partie celui du camp, c’est-à-dire un espace de parcelles agricoles délimité au nord et au sud par deux routes qui convergent vers l’ouest, et dont le tracé n’a pas varié en deux siècles.

8À l’intersection de ces deux routes se trouvait la ferme du « Puits d’Amour », qui servit de magasin et de tribunal militaire. À proximité, deux magasins à poudre avaient été construits près des anciennes fortifications modernes du château médiéval en ruine ; les fondations en briques de l’un des deux ont été en partie observées. Dans les fossés de ces fortifications, les chasseurs du 10e régiment avaient installé leurs écuries. Ces installations ne relevaient pas du camp du 69e de ligne, mais de celui de Montreuil, dans son ensemble ; elles le bornaient à l’ouest, ce qui correspond aux limites de la ZAC. En revanche, le camp devait se développer davantage en profondeur, vers l’est, comme l’atteste le toponyme « Le Champ de Bataille »  [12] ; le champ de bataille est réglementairement l’espace du camp réservé aux manœuvres. Ainsi, il est probable que le 69e régiment d’infanterie de ligne disposait à Étaples-sur-Mer d’un espace de 35 à 40 ha, ce qui est cohérent avec l’arpentage réalisé en 1811, qui porte à 139 ha les surfaces occupées par les camps des 6e, 39e et 69e régiments d’infanterie, le delta de 20 à 25 ha correspondant aux « terres endommagées environnant ces camps ».

B. Le baraquement (Fig. 6 et 7)

9Si l’on s’en tient au seul baraquement, le camp du 69e de ligne présentait une surface de 4,6/5,3 ha. Dans les limites de la ZAC, l’étude a porté sur les 9/10e de cette zone  [13]. Au total, 191 baraques ont été identifiées et fouillées selon différents modes  [14] : 82 pour le 1er bataillon, incomplet, 100 pour le deuxième bataillon, complet, soit 81 baraques pour les soldats et sous-officiers, dix baraques-cuisines, et neuf baraques pour les officiers des compagnies, huit baraques pour l’état-major du régiment, les musiciens, les vivandier(e)s, etc., réparties de manière égale dans les deux bataillons et formant le cinquième rang, deux structures complexes identifiées comme des baraques et localisées dans les limites du baraquement du premier bataillon  [15] et enfin, la baraque du colonel, réduite à quelques bribes de fondation, située en arrière de toutes, vis-à-vis de l’intervalle qui séparait les deux bataillons.

10Nous pouvons estimer à 214 le nombre minimum de baraques que comptait le camp en août 1805, au moment où les soldats l’ont quitté. Cette estimation peut être portée à 224 en comptant un nombre égal de baraques pour les cinquième et sixième rangs (cf. . Il s’agit bien d’un nombre minimum, mais qui ne devrait pas excéder 230, si l’on admet des constructions irrégulières, c’est-à-dire hors des rangs, ou alignées mais connexes à des baraques régulières. Certaines pouvaient également se trouver relativement éloignées du baraquement principal, telles des postes de garde. Il est peu probable que l’érosion anthropique ait fait disparaître un grand nombre de baraques construites au niveau du sol, au point de ne laisser aucune trace archéologique identifiable des fondations. Finalement, à l’instar des sites anciens peu ou pas du tout documentés par les textes, nous ignorons ce qui manque ou ce qui a disparu. Nous ne pouvons que formuler des hypothèses, en croisant les sources, et en évitant les travers du raisonnement en présence/absence. Par exemple, quid de ces baraques additionnelles ordonnées par le maréchal Ney en brumaire an 13/octobre 1804, soit près d’un an après la construction du camp : « Il sera construit en arrière du front de chaque régiment trois baraques à l’usage suivant : les deux moins grandes, placées au centre et en arrière des 1er et 2nd bataillons serviront de salles d’armes et de danse, la troisième placée à la même hauteur que les précédentes dans l’intervalle des bataillons servira à réunir messieurs les officiers du corps pour entretenir l’instruction théorique sur les manœuvres, le ton de commandement, […] »  [16]. La grande majorité des baraques découvertes étaient à l’origine des constructions semi-enterrées. Elles présentaient donc un état de conservation remarquable, avec des sols d’occupation préservés.

IV. L’organisation du camp (Fig. 8)

11Un principe présidait à l’organisation des camps : l’ordre de bataille. Les soldats campaient ou baraquaient comme ils se battaient, en ligne sur plusieurs rangs, par régiments, bataillons et compagnies. Au début de l’Empire, l’ordre de bataille est celui fixé par le règlement de 1791 (Règlement concernant... 1792).

A. Bataillons et compagnies

12En 1803, un régiment d’infanterie de ligne comptait trois bataillons, deux de guerre et un de dépôt. Sur le plan, le premier bataillon se trouve au nord et le deuxième au sud, séparé du premier de 14 m. Le camp d’un bataillon du 69e de ligne mesurait 158 m de long, et le front de camp, 330 m (les deux bataillons plus l’intervalle). Un bataillon comptait neuf compagnies, dont une compagnie d’élite, celle des grenadiers. Les deux compagnies de grenadiers occupaient les baraques situées de part et d’autre de l’intervalle, contrairement au règlement de 1791 qui les place sur le champ de bataille aux extrémités opposées. Les huit compagnies de fusiliers, appelées « compagnies du centre », occupaient les baraquements suivants, à partir de celui des grenadiers. De fait, seul le baraquement du deuxième bataillon est complet (au sud et à gauche en regardant le camp depuis la baraque du colonel). Finalement, il manque au premier bataillon la totalité des baraques de la dernière compagnie, la 8e, la presque totalité des baraques de l’avant-dernière compagnie – une baraque pour les troupiers et la moitié d’une autre ont été fouillées, et celle des officiers a été relevée sans être identifiée au cours du diagnostic évoqué supra –, ainsi que la baraque des officiers de la 6e compagnie.

B. Le baraquement des hommes de troupe

13Grenadiers et fusiliers baraquaient comme ils se battaient, c’est-à-dire sur trois rangs. Chacune des neuf compagnies disposait de neuf baraques pour le logement, régulièrement espacées, et séparées par des rues de 6 m de large. Les compagnies étaient séparées par un intervalle constant de 3 m (Fig. 9).

14Au total, 146 baraques de soldats, réparties sur les trois premiers rangs, ont été fouillées. Le camp en comptait logiquement 162, soit 81 par bataillon (cf. ). Par compagnie, les sous-officiers se répartissaient dans une ou plusieurs de ces baraques, mais celles-ci sont difficiles à localiser. Dans le détail, aucune n’est vraiment identique à l’autre. Il y avait un modèle, des règles de castramétation, le règlement, l’alignement au cordeau, des intervalles précis à respecter, mais les soldats, et les officiers de la même manière, faisaient en fonction des moyens dont ils disposaient, de leur savoir-faire, de leur débrouillardise. Leur mode de fonctionnement était souvent opportuniste, notamment concernant les matériaux employés pour la construction.

15La majorité des baraques des soldats consistent en de simples fosses rectangulaires, sans aucune maçonnerie, ou très peu. Les accès, localisés grâce aux escaliers, sont aménagés dans les pignons ouest, y compris pour les premiers rangs particulièrement exposés aux intempéries  [17] (Fig. 10). Cependant, quelques-unes sont entièrement maçonnées, à la base tout au moins (Fig. 11)  [18]. Les trous des poteaux supportant la faîtière du toit sont attestés dans 95 des 146 baraques. Les toitures étaient à double pan, en chaume d’après archives et témoignages, mais également quelques rares sources iconographiques. Parfois, certaines présentent des aménagements maçonnés dans les angles, tels des niches, dans lesquels des céramiques ont été découvertes, brisées mais complètes. D’autres, parfois intactes, se trouvaient posées sur le sol. On trouve également fréquemment de petites alcôves creusées dans les parois, ou de simples fosses, petites et peu profondes, difficiles à caractériser.

16De quatorze à seize hommes se partageaient une baraque de 15 à 16 m2 de surface utile, pour les plus grandes. On peut se figurer sans difficulté leurs conditions de vie, marquées par l’insalubrité et la promiscuité, surtout l’hiver, sur une hauteur battue par les vents littoraux. Les problèmes sanitaires étaient considérables, et beaucoup d’hommes étaient malades. Les sols étaient couverts de paille, comme l’attestent les fétus conservés au contact des objets en alliage cuivreux. Raymond Aimery de Montesquiou-Fezensac décrit ainsi l’aménagement intérieur : « Les baraques étaient creusées à un mètre sous terre, ce qui les rendait fort humides. Le coucher se composait d’un grand lit de camp sur lequel on étendait de la paille ; par-dessus, une couverture de laine. Chaque homme se couchait sur cette couverture, enveloppé dans un sac de toile, le havresac servant d’oreiller ; on étendait ensuite sur eux une autre couverture de laine. C’était coucher ensemble, et pourtant séparément. » (Montesquiou-Fezensac 1870 : 45). La localisation des zones de couchage dans les baraques est difficile, voire même impossible dans la grande majorité des cas. Nous pouvons supposer leur emplacement dans certaines baraques qui présentent, à droite ou à gauche des poteaux faîtiers, un sol usé ou creusé, qui peut correspondre à la zone de piétinement – on n’ose évoquer une zone de vie dans des espaces aussi exigus – et marquer l’espace où le bat-flanc ne se trouve pas. Quand les portes sont identifiables, elles donnent sur la partie en cuvette, ce qui est cohérent. Dans ces baraques, les hommes dormaient donc soit à droite, soit à gauche, en occupant toute la longueur.

C. Le baraquement des cuisines

17Il y avait une cuisine par compagnie, placée en arrière et dans l’axe, à 17,50 m du troisième rang des baraques pour le logement. Les cuisines ont des formes différentes, caractéristiques, spécifiques à leur usage. Souvent plus petites que la plupart des autres baraques (env. 3 x 3 m), elles se distinguent par de très larges cheminées maçonnées, souvent à plusieurs foyers (Fig. 12).

D. Le baraquement de l’état-major, des musiciens et des vivandières

18Les baraques de la cinquième ligne sont destinées en théorie aux adjudants-majors, aux chirurgiens-majors, aux adjudants sous-officiers et aux gens d’état-major  [19]. Mais il semble que la réalité soit plus complexe. De grandes baraques de cette ligne pouvaient avoir un usage collectif, récréatif : café  [20], salle de danse, salle d’escrime, etc., qui sont des espaces mentionnés dans différentes sources (Fig. 13). De même, les baraques complémentaires ordonnées par Ney en octobre 1804 (cf. ) pourraient correspondre à d’autres de ce rang, ce qui expliquerait leur absence en arrière des lignes. Se pose aussi la question de la localisation des baraques des vivandières. En vendémiaire an 12/octobre 1803, Ney avait indiqué dans un ordre du jour : « Il ne pourra s’établir au camp avec les troupes, et sur la quatrième ligne des baraques, que le nombre de femmes, vivandières ou blanchisseuses, que le règlement prescrit pour chaque bataillon. » Or, la quatrième ligne mentionnée par Ney est celle des cuisines. Cependant, le même mois, le futur maréchal, dans un ordre du jour sur les « dispositions de campement », place ces personnels sur la cinquième ligne : « Les chirurgiens-majors, adjudants-sous-officiers, tambour-major et musiciens, blanchisseurs et vivandiers, baraqueront sur la même ligne que les adjudants-majors. » Dans son témoignage, l’enfant-musicien Jean-Louis Sabon écrit : « Les musiciens avaient pour eux trois baraques ; dans la première était l’état-major, composé de huit hommes ; chacune des deux autres contenaient dix musiciens […] » (Sabon 1910 : 19).

19De fait, les baraques du cinquième rang présentent des plans et des dimensions variables, qui leur sont propres. Une baraque (no 58) en particulier se détache du deuxième bataillon par son grand nombre de trous de poteau et de piquet observés sur le fond de la structure, témoins d’aménagements complexes (Fig. 14). La vocation de salle commune est suggérée par la découverte d’un grand nombre de petits objets recueillis sur le sol, et notamment plusieurs dizaines de monnaies éparses. Le pendant de cette baraque pour le premier bataillon présente un profil similaire, notamment un nombre élevé de monnaies. Profonde d’un demi-mètre, son pignon ouest mesure près de 5,40 m de long, et son côté nord, 5,60 m. Une autre baraque du même rang et du même bataillon est radicalement différente : la no 102. À peine excavée, voire pas du tout, elle était construite sur des fondations de craie. Ces dernières permettent de restituer une construction de plus de 7,85 m de long et 5,15 m de large. Elle comprenait deux pièces séparées par un mur. Dans la première se trouvait une cheminée, adossée au mur de séparation. La vocation de cette baraque est indéterminée.

E. Le baraquement des officiers de compagnie et leurs jardins

20Une compagnie était commandée par un capitaine, un lieutenant et un sous-lieutenant  [21]. Ces trois officiers occupaient une baraque spacieuse et équipée d’une cheminée, privilège du grade. Les baraques des officiers formaient un sixième rang, distant de 48,50 m du troisième rang des baraques des hommes de troupe  [22]. En arrière des baraques des officiers se trouvaient les potagers, suggérés par les enclos fossoyés quadrangulaires, puis, en théorie, les baraques des chefs de bataillon, qui n’ont pas été observées, probablement en raison de profonds remaniements des parties du terrain concerné.

21Les baraques d’officiers étaient toutes équipées d’une cheminée maçonnée, ce qui corrobore le témoignage du médecin Hiriart (cf. ). La cheminée, comme équipement de confort, est le critère de distinction hiérarchique principal (Fig. 15). Les baraques des hommes de troupe et des sous-officiers (jusqu’à sous-lieutenant), soit celles des trois premiers rangs, ne disposaient pas de cet équipement  [23]. La fouille montre des constructions soignées, et certaines sont comparables à de véritables maisonnettes construites en dur, avec des maçonneries de moellons en craie, des enduits de chaux, des ouvertures vitrées, et des sols aménagés (Fig. 16). Dans d’autres, les parties maçonnées sont rares, voire absentes. Un petit nombre de baraques d’officiers présente deux pièces distinctes : la première a la cheminée et s’ouvre vers le front de camp, tandis que la seconde, en arrière de la précédente, peut correspondre à la chambre ou à un cellier. Quelques-unes avaient une petite cave, sous forme d’une fosse régulière aux parois nues (Fig. 17). Le commandant Vivien du 55e de ligne, affecté à Boulogne, témoigne des baraques des officiers : « Les baraques des officiers n’étaient pas assujetties à plan régulier ; il en était dont la distribution intérieure et l’ameublement ne le cédaient en rien au bon goût et l’élégance des maisons de ville. » (Vivien 1907 : 119). De fait, les dimensions des baraques réservées aux officiers des compagnies sont variables.

F. La baraque du colonel

22La baraque du colonel, complètement arasée, se trouvait au centre du régiment, à 122 m du premier rang. Cette construction n’était pas semi-excavée, et seule des restes de fondation subsistent. Ces dernières restituent une construction rectangulaire d’environ 6 m sur 12 m.

G. Un système de baraquements vicieux

23Plusieurs baraques ont donc été reconstruites sur un modèle différent, non plus en creux, mais au niveau du sol. Les baraques semi-enterrées étaient fragiles et malsaines, de nombreux témoignages de soldats ou des rapports d’officiers l’attestent (cf. ). Le commandant Vivien donne un témoignage précis sur le sujet et sur la reconstruction des baraques selon un modèle différent : « L’emplacement avait été bien choisi, mais le système de baraquements était vicieux et la santé des soldats en souffrit. Au lieu de tout élever au-dessus du sol pour se garantir de l’humidité, on ouvrit des trous de 18 pieds en long sur 14 en large, et deux pieds de profondeur ; et c’est dans ces fosses malsaines recouvertes d’un toit de paille, que l’armée dut passer l’hiver. Les régiments firent, eux-mêmes, justice du plus mauvais des baraquements qu’on ait pu concevoir, et le printemps suivant, les soldats boursillèrent entre eux pour subvenir en partie aux frais de construction de nouvelles habitations qu’ils élevèrent ; leur industrie fit le reste. » (Vivien 1907 : 118).

24Le creusement des baraques répondait à la nécessité de se protéger des intempéries, du froid notamment. Mais il s’agissait également d’économiser sur les matériaux de construction, en évitant de construire en élévation. L’impact du camp de Boulogne sur les ressources fut considérable, sur le bois notamment. Une étude anthracologique du camp du 69e de ligne montre clairement l’épuisement de cette ressource au terme de deux années de présence des troupes (Salavert, Hello, Lemaire 2016).

25L’usage de baraques excavées est une caractéristique du camp de Boulogne. Ces baraques, ainsi que leur ordonnancement, ont marqué les esprits, et les mémorialistes leur ont accordées une place particulière dans leurs souvenirs ou récits. Mais la baraque en creux ne naît ni ne meurt avec ce camp. Dans le nord de la France, son usage militaire est attesté par l’archéologie dès le xviie s., comme sur le site du siège d’Aire-sur-la-Lys de 1640 (Lorin 2006 ; Hannois 2012 : 50-51), et il perdure au minimum jusqu’à la fin xixe s., comme en Crimée, durant la guerre du même nom. Par ailleurs, des recherches récentes attestent son usage durant la Grande Guerre, comme sur le site alsacien de Schweighouse-Thann, où un fond de cabane d’artilleurs allemands a été fouillé (Schnitzler, Landolt 2013 : 305), et à la fin de la Seconde Guerre mondiale avec le camp de prisonniers allemands de La Glaçerie (Manche), où des cabanes semi-enterrées de 10 m2 disposées en rangées ont été étudiées (Carpentier, Marcigny 2014 : 66). Les tentes aussi pouvaient faire l’objet d’une excavation partielle. À Étaples, un siècle après le camp de Boulogne, les soldats britanniques enterraient d’un demi-mètre ou plus leurs Bell Tents. Pour les périodes anciennes, en contexte civil/domestique, le recours à la fosse couverte est bien attesté par l’archéologie, mais son usage d’habitation est contesté. Ces structures sont mises en rapport avec des activités spécialisées, tel l’artisanat textile du premier Moyen Âge auquel sont associés des « fonds de cabane ». La vocation d’habitat de ces structures excavées médiévales, et même antérieures, doit être à nouveau questionnée.

V. Focus sur deux catégories d’objets archéologiques : les boutons d’uniforme et les pipes en terre cuite

A. Les boutons d’uniforme

26Du rasoir du « frater »  [24] à la boucle en or du grenadier, des dominos en os aux peignes à poux des musiciens, des milliers d’objets issus des fouilles permettent d’aborder, en connivence avec les textes, la vie de ces hommes en attente du combat (Fig. 18 à 20). Mais que représentent réellement ces objets perdus ou rebutés, si nombreux qu’ils interpellent l’archéologue habitué à de petits lots ? Prenons l’exemple des boutons qui se prêtent à une analyse statistique fine.

27La fouille du camp du 69e de ligne a permis la découverte de 925 boutons de différents types, la plupart provenant des fonds de baraque. Parmi les 862 boutons découverts en stratigraphie, 309 sont timbrés du no 69 et peuvent être précisément comparés à la composition théorique de l’uniforme (Fig. 21). Que donne leur répartition détaillée ? Des 309 boutons, 13 sont d’époque révolutionnaire, en rapport avec la création des demi-brigades, à la suite du premier amalgame de 1793. Les 296 autres boutons sont du modèle 1803, qui comporte le numéro du régiment entouré d’un motif godronné simple (Fallou 1915). Onze d’entre eux sont des boutons dorés portés par les officiers, soit un peu moins de 4 %, ce qui correspond au pourcentage des officiers par rapport aux soldats. Des 285 boutons restants, 255 sont de petit module (1,5 cm) et 30 de grand module (2,1 cm). Un soldat au camp portait sur lui jusqu’à 55 boutons timbrés, 12 « gros » et 43 « petits »  [25]. Archéologiquement, les gros boutons sont donc sous-représentés par rapport aux petits : 1 pour 8,5 au lieu de 1 pour 3,5. Plusieurs facteurs peuvent l’expliquer : les gros boutons perdus se repèrent plus facilement, par exemple, ou encore, les parties de l’uniforme concernées sont moins sollicitées que celles où se trouvent les petits boutons.

28Mais ce qu’il faut retenir préférentiellement de cette analyse, c’est la représentativité extrêmement faible de ces boutons. En septembre 1804, les baraques étaient occupées par 1 725 hommes, dont un peu plus de 1 600 sous-officiers et hommes du rang  [26]. Sachant que les 9/10e du baraquement ont été fouillés, les 286 boutons timbrés du modèle 1803 découverts représentent moins de 0,4 % du total des boutons du même modèle qui ont « circulé » dans le camp deux années durant. Plus concrètement, avec ces boutons dont la collecte fut la plus exhaustive possible, notamment par l’utilisation systématique de détecteurs de métaux, les contrôles successifs du labour avant décapage, des baraques avant leur fouille, des déblais de la fouille, nous ne pourrions doter qu’entre cinq et sept soldats. Nous obtenons des résultats tout à fait similaires avec l’analyse des boutons de guêtre ou même en considérant l’ensemble des boutons, toutes catégories confondues (Fig. 22).

B. Les pipes en terre cuite

29La fouille du camp du 69e de ligne a permis la collecte de 787 restes en rapport avec l’usage de la pipe. Plus des deux tiers des 191 baraques ont livré un ou plusieurs restes, soit un total de 692. Les autres restes proviennent de 18 structures en creux, pour un total de 83, ou n’ont pas de contexte précis. Deux baraques livrent 68 et 70 restes, trois baraques plus de 20 et moins de 40 restes, 9 entre 10 et 20 restes, et 73 baraques 1 ou 2 restes. Ceux-ci se décomposent en fragments de pipe en terre cuite et en accessoires pour ces pipes, en métal ou en os (Fig. 23).

30Au total, 708 fragments de pipes en terre blanche à talon ont été découverts ; 617 proviennent de 126 baraques différentes, dont 439 de 104 baraques des trois premiers rangs (logement des soldats), 79 de 16 structures connexes, et 12 sont « hors stratigraphie » (Fig. 24). Les fragments se répartissent en 83 fourneaux, dont 32 complets, et 625 sections de tuyau, dont 47 becs et 52 jonctions tuyau-fourneau.

31Des 83 restes de fourneau, 75 proviennent de 49 baraques différentes ; 38 baraques pour le logement de la troupe livrent 56 des 75 restes. Le maximum est de cinq restes pour une baraque, et 31 baraques livrent un seul reste de fourneau. Trois autres structures livrent huit restes.

32Des fragments de pipes sont donc présents dans deux baraques sur trois, mais plus de la moitié d’entre elles ne livrent qu’un ou deux fragments, et une fois sur deux ces fragments proviennent des remblais, désignés par « contexte stratigraphique 2 ». Ces fragments, 708 au total, représentent un nombre minimum de 47 pipes si l’on considère les becs, 50 les fourneaux, et 103 les fragments de tuyaux nettement individualisables ; l’écart entre ce NMI et le NR tient bien évidemment à l’extrême fragilité de ces objets, des longs tuyaux en particulier  [27]. On voit d’emblée à quel point ces valeurs sont faibles, qui posent la question de l’ampleur réelle du tabagisme chez la troupe. Certes, le matériel archéologique ne représente jamais qu’un très faible pourcentage des objets en usage en un lieu, à un moment donné – et nous en avons fait la démonstration avec les boutons d’uniforme et les pierres à fusil de ce camp  [28], mais en considérant ces restes tels des mégots de cigarettes  [29], en considérant un entretien régulier des baraques, qui élimine ces restes régulièrement au cours des deux années d’occupation, et sachant que l’effectif du corps est de 1 800 hommes, les chiffres donnent le sentiment d’un tabagisme fumé limité ou modéré.

33Une centaine de pipes pour 1 800 hommes, c’est peu, mais cette valeur est-elle significative d’un petit nombre de fumeurs ? Une archive va dans ce sens. Dans un rapport daté du 28 vendémiaire an XIII (20 octobre 1804), Jean-François Coste, premier médecin des armées, écrit : « Enfin, pour compléter ce qui concerne les troupes au camp, on pense que l’usage de la pipe doit être non seulement autorisé, mais directement provoqué en le facilitant au soldat par des distributions de tabac à mâcher ou à fumer. »  [30] Cette préconisation, qui vise à rétablir ou à maintenir la santé morale et physique des soldats du camp, montre qu’au sein de la troupe la consommation du tabac n’est pas généralisée, la distribution gratuite ou à prix réduit n’étant plus assurée par l’institution. Les proportions sont cependant impossibles à définir, faute de données écrites exactes. Il n’existe pas pour les armées du Premier Empire d’étude comparable à celle d’Émile Decroix qui, dans la décennie 1870, avait déterminé que dans les régiments, 12 à 15 hommes sur 100 ne fumaient pas, environ 60 étaient de petits fumeurs qui pouvaient se passer facilement de tabac, et 20 à 25 étaient de grands fumeurs, « chez lesquels le besoin de fumer étaient plus impérieux que celui de manger » (Decroix 1878). Cette étude est donnée en exemple et non en comparaison, car l’époque n’est plus la même, qui voit la consommation de tabac en France triplée entre 1815 et 1872, les ventes de la régie passant entre ces deux dates de 10 000 à 28 000 tonnes  [31].

34L’époque n’est plus la même, certes, mais il y a des invariants, comme l’impécuniosité du soldat. Decroix écrit : « […] et l’on peut, en général, se procurer facilement du tabac, l’officier surtout ; mais le simple soldat, avec son modeste prêt de 5 à 10 centimes par jour, est sans cesse dans la gêne pour s’en procurer, alors même qu’il y consacrerait ce revenu tout entier. Il est vrai que le gouvernement lui alloue tous les dix jours un hectogramme de tabac, au prix de 15 centimes. Mais cela est tout à fait insuffisant pour les grands fumeurs […] ». Ce qui vaut vers 1870, vaut également pour les soldats du début de l’Empire, en pire peut-être. En théorie, sur une solde journalière de 30 centimes  [32], seuls 5 centimes sont réellement versés au fusilier, à raison de 25 centimes tous les cinq jours  [33]. En théorie, car le soldat n’a aucune prise sur ce modeste pécule. Ces « deniers de poche » sont susceptibles de retenues telles qu’il est rare qu’il perçoive réellement quelque chose. Le Manuel d’infanterie de 1813 est très clair quant à l’utilisation des deniers de poche : « Ils peuvent supporter les amendes pour punitions ; ils acquittent le prix des dégradations de prison, de casernement, et d’hôpitaux, dégâts et dommages en route. Ils peuvent supporter le prix des objets de menu entretien et petite monture, dont il faut que le soldat soit fourni, et celui des réparations pour dégradations d’habillement, équipement et armement, du fait de sa négligence […] » (Bardin 1813). Si le versement ne connaît aucun retard, le soldat irréprochable et chanceux perçoit donc quelques centimes, sous forme, dans les camps, de monnaies dépréciées (Cardon, Lemaire 2014). Autour des camps, les prix augmentent considérablement, dans un contexte général de hausse, notamment du fait des mauvaises monnaies reçues pas les soldats. Les archives et témoignages de militaires et civils sont nombreux qui dénoncent ce renchérissement des denrées. Pour exemple, une livre de pain vaut sept sous, soit 35 centimes, en 1805 à Boulogne (Castel 1889). La livre de viande est presque deux fois plus chère. Heureux le soldat qui peut s’offrir une bière par semaine, donnée à 3 sous à Boulogne en février 1804  [34]. Que dire dès lors du tabac à fumer dont le prix, fixé à 10 sous la livre en 1793  [35], a doublé ou triplé en 10 ans (Rondonneau 1809) ? Vauban estimait qu’une livre de tabac contenait 100 pipes ; ainsi, le jeune conscrit du 69e de ligne pouvait s’offrir d’une à trois pipes par jour, à l’exclusion de tout autre achat.

35Le prix des pipes, même modique, conservait un coût élevé pour le soldat. Peu avant la Révolution, les pipes du type de celles des camps sont à 3 livres 10 sols la grosse  [36], prise à la manufacture, soit 2,40 centimes la pipe (Duhamel du Monceau 1771 : 3-4). D’autres modèles sont deux fois plus chers, telles les pipes à têtes gravées, ou deux fois moins cher, telles les pipes courtes à petite tête simple. Les pipes se fabriquent dans des moules et varient de prix suivant les difficultés du modelage. Les prix vont peu évoluer, et vers le milieu du xixe siècle, les pipes unies sont toujours à 2 ou 3 centimes l’unité (Guillaumin 1860 : 1112).

36Les pipes de terre sont donc des objets communs, mais leur coût, aussi bas soit-il, n’est pas négligeable, relativement à la part de la solde effectivement perçue par le soldat. Les pipes de Hollande étaient les plus belles, mais le soldat pouvait préférer des copies régionales et faire ainsi l’économie d’un centime, soit 1/5 du denier de poche.

VI. Conclusion

37Le camp de Boulogne est une singularité historique qui dépasse le cadre des guerres de la Révolution et de l’Empire. Il échappe à la dichotomie rupture/continuité et s’il crée un précédent, il est bien davantage. Avec lui, c’est plus qu’un changement d’échelle qui s’opère, c’est l’amorce d’un mouvement qui dépasse la dimension militaire et trouve un prolongement actuel, celui des masses, des grands nombres, des concentrations, des rassemblements spécifiques hors de la cité, dans des espaces limités, délimités, contraignants, contrôlés, excluant. Il inaugure une ère de la mise en camp et des grands conflits, des guerres de masse, des guerres totales. Une ère des aires clôturées, pour les conscrits, les appelés, les prisonniers, les déportés, les exilés. Des lieux hors des lieux communs, à la fois proches et distants, voisins et inaccessibles. Ils sont les lieux de la conscription, de la ségrégation, de la rééducation, de la répression, de l’extermination. Des hommes y sont concentrés, qui font un sacrifice qui n’est pas consenti, ou partiellement, parce que le système qui s’y exerce, par le groupe, la hiérarchie, la police, fait céder l’individu. Des lieux où l’on se soumet, des lieux desquels on se soustrait. C’est alors la révolte, l’insubordination, quelquefois l’évasion, la désertion ; le crime de désertion, désertion à l’intérieur ou à l’étranger. Le nombre des désertions à Étaples, au camp de Montreuil, est considérable. Ceux qui sont repris sont jugés par le conseil de guerre qui est réuni à la ferme dite du « Puits d’Amour ». C’est le nom que prend le camp du 6e léger. Même la toponymie favorise la légende, en se parant de romantisme. La réalité est que dans l’enceinte de cette ferme du Puits d’Amour sont condamnés des hommes à douze années de boulet et 1 500 francs d’amende, une fortune quand un troupier perçoit quelques centimes de solde  [37]. Et c’est la peine de mort pour le déserteur qui emporte une arme à feu. Beaucoup sont condamnés par contumace. Quelques-uns reviennent, rentrent au camp. Ils bénéficient alors d’un acquittement partiel ou total. Plus tard, le jeune empereur décrétera une amnistie pour les sous-officiers et soldats déserteurs et les déserteurs déjà condamnés aux travaux. La clémence est pragmatique. Que faire contre l’hémorragie et les difficultés à mettre la main sur les déserteurs. Savary écrit à Napoléon, le 7 germinal an XIII (28 mars 1804) : « Quelques corps, le 21e léger entre autres, se plaignent beaucoup de ce que l’on ne ramène pas un déserteur. Il m’a dit en avoir jusqu’à 300 du même département, le Puy-de-Dôme, qui tous étaient chez-eux et écrivaient à leurs camarades du régiment de venir les rejoindre. »  [38] Les gendarmes furent incités par des primes. Napoléon à Berthier le 6 décembre 1803 : « Je vous prie citoyen ministre de tenir à la disposition du général Moncey une somme de 50 000 francs pour payer aux gendarmes les 12 francs pour chaque déserteur qu’ils arrêteront. Une centaine de déserteurs au camp de Saint-Omer sont déjà arrêtés ; faites payer sur le champ aux gendarmes les gratifications qui leur reviennent. »

38Alors qu’ils étaient relativement ouverts aux « citoyens des campagnes », aux « bourgeois », aux « marchands forains et colporteurs », les camps d’Étaples se ferment et les soldats sont progressivement coupés de la société civile par des interdictions strictes de sortie. Puis c’est au tour des femmes de partir, celles qui se trouvent normalement, habituellement, « à la suite des régiments ». L’armée se « militarise ». Elle se constitue avec le peuple, mais s’en sépare par le camp, qui apparaît comme le lieu de la fabrication du soldat qui n’est plus le soldat-citoyen.

39Et le camp n’est pas une sinécure. Certains sont calamiteux, d’un point de vue sanitaire. Dans une lettre datée 2 germinal an XIII (23 mars 1805), le maréchal Davout donne pour le camp de Bruges qu’il commande 8 823 malades sur un effectif de 23 231 hommes : 14 408 hommes sont en état d’entrer en campagne. Sept cents sont morts au cours de l’automne-hiver. Six mois auparavant, un état de situation indiquait pour le même camp 5 078 hommes aux hôpitaux sur un effectif de 17 816 hommes présents sus les armes  [39]. Dans un rapport sur ce camp et les épidémies de fièvres, Coste, premier médecin des armées, évoque des baraques creusées dans un sol fangeux, des lits de camp peu ou pas isolés du sol, des hommes couverts d’une épaisse couche de crasse et de terre, des « nostalgiques » qui bénéficient de congés partiels, etc.  [40]. Savary, le 9 germinal an XIII  [41] : « Les soldats sont couchés malproprement. »

40Mais c’est la guerre, une « drôle de guerre », mais la guerre quand même. Ney ordonne aux généraux Dupont, Loison et Partouneaux de s’occuper sans relâche de l’instruction des recrues afin de « maintenir la juste réputation que l’infanterie française s’est acquise comme la première du monde ». Le camp de Montreuil rassemblait trois divisions, commandées par ces généraux. Ces divisions formaient un corps d’armée commandé par le maréchal Ney. Ney avait établi sa résidence au château de Recq, où se trouvait le théoricien Jomini, avec lequel il devisait sur la « grande tactique » le soir près du feu. Et derrière les camps, ils font la « petite guerre ». Le toponyme « Champ de bataille » est resté, qui désigne la partie du camp dévolue à l’entraînement, aux manœuvres.

41Si Napoléon a bluffé, les officiers se préparent réellement à faire débarquer leurs hommes sur le sol anglais. Ney fait savoir dans un ordre du jour : « Le troisième volume de la notice sur l’Angleterre est arrivé à l’état-major général, les officiers qui ont pris les deux premiers peuvent en faire la demande. »  [42]

42On le sait, Napoléon n’a pas envahi l’Angleterre. Les côtes de l’Océan furent bel et bien les rivages de sa conquête. L’invasion de l’Angleterre fut pourtant la grande affaire de son règne : l’historien Nicola Todorov en a fait récemment la démonstration (Todorov 2016). C’est que l’île, depuis qu’elle est anglaise, ne se laisse pas prendre facilement, et c’est heureux, la résistance de ces « ennemis héréditaires » a sauvé le monde du nazisme. Aussi parce qu’à Dunkirk, la résistance de l’armée française a permis au corps expéditionnaire britannique de réembarquer. Le littoral du Nord est encore aujourd’hui une triste limite défensive, avec des camps bien plus précaires que ceux des soldats impériaux.

VII. Illustrations

Fig.01 : carte des camps de l’armée des Côtes de l’Océan.

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Fig.01 : carte des camps de l’armée des Côtes de l’Océan.

© Frédéric Lemaire (Inrap)

Fig.02 : carte de localisation des camps d’infanterie du camp de Montreuil.

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Fig.02 : carte de localisation des camps d’infanterie du camp de Montreuil.

Carte de localisation des camps d’infanterie du camp de Montreuil obtenue par la confirmation des sources. En fond rouge, les camps qui font l’objet depuis 2003 de recherches archéologiques préventives et programmées. Le camp de Montreuil comptait trois divisions.
La première se trouvait à Camiers, la deuxième à Étaples et la troisième près du hameau de Fromessent (communes d’Étaples et Tubersent)
© Frédéric Lemaire (Inrap)

Fig.03 : extrait d’une carte du camp de Montreuil datée de nivôse et pluvîose an XII (fin 1803, début 1804). La carte couvre la baie de la Canche et ses environs ; c’est d’ailleurs le nom qui figure dans le cartouche. Elle a été levée par le chef de bataillon du génie Bouvier, et les capitaines Warenghien et Desclos. La carte montre l’emplacement des trois régiments présents au camp de Montreuil à cette date. Le focus montre les camps du 6e léger (à droite) et du 69e de ligne (à gauche), ainsi que les trois moulins d’Étaples (cercles rouges) qui ont donné le nom de camp des Moulins.

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Fig.03 : extrait d’une carte du camp de Montreuil datée de nivôse et pluvîose an XII (fin 1803, début 1804). La carte couvre la baie de la Canche et ses environs ; c’est d’ailleurs le nom qui figure dans le cartouche. Elle a été levée par le chef de bataillon du génie Bouvier, et les capitaines Warenghien et Desclos. La carte montre l’emplacement des trois régiments présents au camp de Montreuil à cette date. Le focus montre les camps du 6e léger (à droite) et du 69e de ligne (à gauche), ainsi que les trois moulins d’Étaples (cercles rouges) qui ont donné le nom de camp des Moulins.

© IGN, CH218-N

Fig.04 : état de la recherche sur les camps.

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Fig.04 : état de la recherche sur les camps.

© Frédéric Lemaire (Inrap)

Fig.05 : modélisation 3D des camps d’Étaples.

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Fig.05 : modélisation 3D des camps d’Étaples.

© Éric Mariette (Inrap), Frédéric Lemaire (Inrap)

Fig.06 : plan général du camp napoléonien du 69e de ligne.

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Fig.06 : plan général du camp napoléonien du 69e de ligne.

© Frédéric Lemaire (Inrap)

Fig.07 : vue aérienne de la fouille du camp militaire napoléonien localisé sur le site du « Domaine du Chemin des Prés » à Étaples (sept.-déc.2010). Les baraques semi-enterrées dans lesquelles logeaient les fusiliers du 69e de ligne sont visibles sur la photo sous forme de rectangles parfaitement alignés sur plusieurs rangs.

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Fig.07 : vue aérienne de la fouille du camp militaire napoléonien localisé sur le site du « Domaine du Chemin des Prés » à Étaples (sept.-déc.2010). Les baraques semi-enterrées dans lesquelles logeaient les fusiliers du 69e de ligne sont visibles sur la photo sous forme de rectangles parfaitement alignés sur plusieurs rangs.

© Vincent Thellier

Fig.08 : « Nos pierres de Rosette » : plan de répartition des baraques par bataillons et compagnies, obtenu par la confrontation des sources, notamment du lapidaire archéologique.

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Fig.08 : « Nos pierres de Rosette » : plan de répartition des baraques par bataillons et compagnies, obtenu par la confrontation des sources, notamment du lapidaire archéologique.

© Frédéric Lemaire (Inrap)

Fig.09 : vue générale des trois premiers rangs de baraques du deuxième bataillon après leur fouille.

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Fig.09 : vue générale des trois premiers rangs de baraques du deuxième bataillon après leur fouille.

© Frédéric Lemaire (Inrap)

Fig.10 : plan et relevés architecturaux de la baraque 50.

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Fig.10 : plan et relevés architecturaux de la baraque 50.

© Frédéric Lemaire (Inrap)

Fig.11 : plan et relevés architecturaux de la baraque 122.

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Fig.11 : plan et relevés architecturaux de la baraque 122.

© Frédéric Lemaire (Inrap)

Fig.12 : plan de la baraque-cuisine 101.

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Fig.12 : plan de la baraque-cuisine 101.

© Frédéric Lemaire (Inrap)

Fig.13 : plan de la baraque 102.

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Fig.13 : plan de la baraque 102.

© Frédéric Lemaire (Inrap)

Fig.14 : plan de la baraque 58.

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Fig.14 : plan de la baraque 58.

© Frédéric Lemaire (Inrap)

Fig.15 : photo de la baraque 183 ; baraque des officiers de la 5e compagnie du 1er bataillon.

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Fig.15 : photo de la baraque 183 ; baraque des officiers de la 5e compagnie du 1er bataillon.

© Frédéric Lemaire (Inrap)

Fig.16 : plan de la baraque 184 ; baraque des officiers de la 4e compagnie du 1er bataillon.

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Fig.16 : plan de la baraque 184 ; baraque des officiers de la 4e compagnie du 1er bataillon.

© Frédéric Lemaire (Inrap)

Fig.17 : plan de la baraque 178 ; baraque des officiers de la 2e compagnie du 1er bataillon.

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Fig.17 : plan de la baraque 178 ; baraque des officiers de la 2e compagnie du 1er bataillon.

© Frédéric Lemaire (Inrap)

Fig.18 : sélection d’objets significatifs et emblématiques découverts dans les baraques du 69e de ligne.

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Fig.18 : sélection d’objets significatifs et emblématiques découverts dans les baraques du 69e de ligne.

© Stéphane Lancelot (Inrap)

Fig.19 : fragment de lame du sabre-briquet et pièces métalliques du fourreau. François Rémy, caporal des grenadiers du 4e bataillon du 69e régiment d’infanterie de ligne, et son sabre-briquet.

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Fig.19 : fragment de lame du sabre-briquet et pièces métalliques du fourreau. François Rémy, caporal des grenadiers du 4e bataillon du 69e régiment d’infanterie de ligne, et son sabre-briquet.

© S.E.H.R.I, Stéphane Lancelot (Inrap), Frédéric Lemaire (Inrap)

Fig.20 : l’épinglette du soldat. L’épinglette servait à désobstruer la « lumière » du canon du fusil, petit trou cylindrique qui communique le feu de l’amorce dans l’intérieur du canon (l’image du soldat est tiré du « Manuscrit du bourgeois de Hambourg », des frères Suhr, vers 1806-1815).

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Fig.20 : l’épinglette du soldat. L’épinglette servait à désobstruer la « lumière » du canon du fusil, petit trou cylindrique qui communique le feu de l’amorce dans l’intérieur du canon (l’image du soldat est tiré du « Manuscrit du bourgeois de Hambourg », des frères Suhr, vers 1806-1815).

© Stéphane Lancelot (Inrap), Frédéric Lemaire (Inrap)

Fig.21 : plan de répartition des boutons d’uniforme par types.

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Fig.21 : plan de répartition des boutons d’uniforme par types.

© Caroline Font (Inrap), Frédéric Lemaire (Inrap)

Fig.22 : photo d’un bouton de guêtre de fabrication anglaise.

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Fig.22 : photo d’un bouton de guêtre de fabrication anglaise.

© Stéphane Lancelot (Inrap)

Fig.23 : pipes, accessoires de pipe et objets associés à la consommation de tabac, découverts dans les baraques des soldats du 69e régiment d’infanterie de ligne. En haut à gauche, une illustration de Carle Vernet, datée de 1812 ; l’un des deux soldats utilise un briquet et une pierre à feu pour allumer sa pipe en terre blanche, munie d’un couvercle pare-braises.

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Fig.23 : pipes, accessoires de pipe et objets associés à la consommation de tabac, découverts dans les baraques des soldats du 69e régiment d’infanterie de ligne. En haut à gauche, une illustration de Carle Vernet, datée de 1812 ; l’un des deux soldats utilise un briquet et une pierre à feu pour allumer sa pipe en terre blanche, munie d’un couvercle pare-braises.

© Stéphane Lancelot (Inrap), Frédéric Lemaire (Inrap)

Fig.24 : répartition du mobilier archéologique par type et par baraque. A - Fourneaux, en NR ; B - Tuyaux, en NR et par type ; C - Fourneaux, en NR et par contexte stratigraphique ; D - Pipes (fourneaux et becs) et accessoires.

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Fig.24 : répartition du mobilier archéologique par type et par baraque. A - Fourneaux, en NR ; B - Tuyaux, en NR et par type ; C - Fourneaux, en NR et par contexte stratigraphique ; D - Pipes (fourneaux et becs) et accessoires.

© Caroline Font (Inrap), Frédéric Lemaire (Inrap)

Notes

  • [1]
    Archéologue, ingénieur de recherche à l’Inrap, membre de l’UMR 7041, Frédéric Lemaire totalise près de trente années d’expérience professionnelle. Entre 1992 et 2008, il dirige de très nombreux projets sur les villes et campagnes antiques du Nord de la France, qui ont donné lieu à plusieurs publications. Frédéric Lemaire est également spécialisé dans l’étude archéologique des grands conflits contemporains, à laquelle il consacre une nouvelle thèse. À partir de 2004, il entreprend des recherches à grande échelle sur le camp de la Grande Armée de Napoléon (1803-1805 ; littoral du Pas-de-Calais). Entre 2010 et 2012, il entreprend des recherches sur le site du champ de bataille de la Bérézina, localisé en Biélorussie.
  • [2]
    Nous tenons à remercier M. Marc Derasse pour l’organisation de cet évènement.
  • [3]
    Déclinée de la première, l’expression renvoie à l’idée que la recherche en archives, stockées en sous-sol de manière imagée, procède également d’une forme d’archéologie, et que le regard de l’archéologue sur le document découvert, ou redécouvert, diffère de celui de l’archiviste ou de l’historien.
  • [4]
    Les illustrations sont regroupées en fin d’article.
  • [5]
    Archive privée tamponnée « Archives historiques, ministère de la Guerre, dépôt de la Guerre ».
  • [6]
    La fouille complète du camp du 69e de ligne a été réalisée en 2010, sur une période de six mois, préalablement à l’aménagement d’une ZAC de plus de vingt hectares. La fouille ne portait pas uniquement sur le camp napoléonien. D’autres ensembles archéologiques plus anciens ont été fouillés, notamment quelques structures de l’âge du Bronze et une ferme de la fin de la période gauloise et du début de l’époque romaine. Des vestiges des deux derniers conflits mondiaux ont également été reconnus. Cent dix ans après le départ des troupes napoléoniennes d’Étaples-sur-Mer, préparées dans les camps à l’invasion de l’Angleterre, l’armée britannique y construisit un vaste camp – le plus vaste hors de ses frontières – pour son corps expéditionnaire. Ce camp constituait l’EAD : Étaples Administrative District. Mais au droit du site de la ZAC, les vestiges de cette « Atlantide » de la Grande Guerre, ground zero de pandémie de grippe espagnole, sont peu nombreux. La Seconde Guerre mondiale a laissé des traces plus profondes et structurées, telle une batterie allemande Flak, constituée d’abris bétonnés de fosses et de tranchées, qui ont touché la partie haute du camp napoléonien. Ces vestiges récents n’ont pas été fouillés, leur caractère archéologique est contesté.
  • [7]
    À 35/40 m d’altitude NGF.
  • [8]
    La présence d’un si grand nombre de militaires sur une période relativement longue de deux années, occasionna de très nombreux problèmes, même si très vite des mesures furent prises pour limiter le déplacement des soldats et marins.
  • [9]
    Service historique de la Défense, Xe 324.
  • [10]
    En raison des ajournements successifs de l’invasion, et de l’absence d’affrontements terrestres. Les deux belligérants s’épiaient et se préparaient, les Français à l’invasion par un débarquement, les Anglais à repousser les Français sur mer et sur terre.
  • [11]
    Il s’agit d’une ZAC à vocation d’habitat d’une surface de 21,5 ha.
  • [12]
    Il s’agit de la seule empreinte toponymique des camps connue à ce jour.
  • [13]
    L’extrémité nord du camp – et celle du 1er bataillon, ipso facto – est tronquée ; elle n’a pas été correctement identifiée dans les tranchées d’un diagnostic préalable à la création du lotissement intercalé entre la D113 et la rue Antoine de Saint-Exupéry (cf. Fig. 2). De fait, seul le baraquement du deuxième bataillon est complet (au sud et à gauche en regardant le camp depuis la baraque du colonel).
  • [14]
    De la fouille manuelle très documentée : mode A, à la fouille mécanisée rapide et à l’enregistrement limité : mode D. La mécanisation raisonnée de la fouille, rendue possible par la présence permanente de pelles hydrauliques, a permis l’étude complète du camp, et non des parties représentatives, impossibles à définir en l’état des connaissances.
  • [15]
    Les structures-baraques 135 et 186.
  • [16]
    Archives nationales, 137 AP 2. L’officier Vigo-Roussillon, dans la description qu’il donne du camp du 32e situé à Camiers : « Plus loin (derrière les baraques et les jardins des officiers) étaient les salles de réunion, de danse, d’escrime, les pensions des officiers et de sous-officiers, les cantines des restaurateurs, des cafés avec des billards. » (Vigo-Roussillon 2013 : 135).
  • [17]
    À ce sujet, le médecin Hiriart témoigne : « La règle militaire a voulu que les portes des baraques fussent ouvertes du côté de l’ouest ; mais c’est précisément de là que partent les ouragans et les torrents de pluie : cette considération ne devait-elle pas engager à les ouvrir d’un autre côté ? » (Hiriart 1804 : 272). De fait, le règlement militaire a prévalu sur les conseils du médecin.
  • [18]
    Brun-Lavainne, le musicien gagiste du 46e de ligne, témoigne : « Pour commencer notre construction nouvelle et lui donner de la solidité, nous résolûmes de bâtir le long des parois de notre fosse, qui conservait sa forme et ses dimensions, un mur en pierres prenant du fond et s’élevant d’un demi-mètre environ au-dessus du niveau du sol extérieur. » (Brun-Lavainne 1855 : 134).
  • [19]
    Plan envoyé par le général Soult, commandant du camp de Saint-Omer, à Bonaparte, joint à une lettre datée de Boulogne du 2 vendémiaire an 12/25 septembre 1803 (Archives nationales, AF IV 1599). Ce plan est complémentaire des instructions données par Soult cinq jours plus tôt (Ordre du jour du 3e jour complémentaire an 12/20 septembre 1803 : Service historique de la Défense B14). Le 3 brumaire an 12/26 octobre 1803, quelques jours avant l’arrivée du 69e de ligne à Étaples-sur-Mer, le général Ney reprend ces instructions pour le camp de Montreuil qu’il commande (Ordre du jour du 3 brumaire an 12 ; Archives nationales, 137 AP 3). Le 69e de ligne a été établi conformément à ces prescriptions, avec cependant quelques différences avec le modèle.
  • [20]
    Raymond Aimery de Montesquiou-Fezensac, du 59e de ligne et baraqué à Fromessent, mentionne un café, « grande baraque construite à l’extrémité du camp » (Montesquiou-Fezensac 1870 : 41).
  • [21]
    Le jeune sous-lieutenant Faré du 69e de ligne – il arrive tardivement à Étaples-sur-Mer, en février 1805 – témoigne dans une lettre à sa mère : « Nous sommes baraqués à moitié sous terre, et les trois officiers de la compagnie logent ensemble. » (Faré 1889 : 90).
  • [22]
    Nommé sous-lieutenant, Raymond Aimery de Montesquiou-Fezensac témoigne : « Je logeais dans ma nouvelle baraque avec trois officiers. Ces baraques, aussi malsaines que celles des soldats, étaient au moins plus spacieuses et plus commodes. » (Montesquiou-Fezensac 1870 : 42).
  • [23]
    Huit baraques de soldats présentent sur le fond une petite fosse, plus ou moins profonde, plus ou moins rubéfiée, associée à des sédiments charbonneux. Il peut s’agir de petits foyers ou d’empreintes de poêle.
  • [24]
    Le « frater » est le soldat chargé du rasage.
  • [25]
    Un gros bouton pour la ganse du chapeau bicorne de feutre noir, 33 boutons pour l’habit-veste, dont 11 du grand module (6 pour les fausses poches, 2 pour la taille, et 3 devant, à droite, à la base du revers) et 22 du petit module (14 sur les deux revers de l’habit, 6 pour les pattes de parement des manches, et 2 pour les pattes d’épaules des fusiliers ou pour les épaulettes des grenadiers), puis 10 ou 13 petits boutons pour la veste (sous l’habit-veste), enfin, 8 petits boutons pour les deux jambes de la culotte.
  • [26]
    Service historique de la Défense, C2 598.
  • [27]
    « Les pipes de terre blanche ont l’avantage d’être légères, propres à résister longtemps à l’action du feu, et d’être d’un prix modique ; cependant, elles sont fragiles. » (Duhamel du Monceau 1771 : 2).
  • [28]
    Les 287 boutons timbrés du modèle 1803 découverts représentent moins de 0,4 % du total des boutons portés par les soldats ; 287 boutons font cinq à sept uniformes. Quant aux pierres à fusil, les 338 exemplaires représentent environ 6 % du nombre en circulation, à raison de trois par soldat (une sur le fusil et deux dans la giberne).
  • [29]
    On ne ramasse pas un fragment de tuyau de pipe, on ne le recycle pas.
  • [30]
    Archives nationales, AF IV 1602.
  • [31]
    Direction générale des manufactures de l'État, Compte d'exploitation en matières et deniers de l'exploitation du monopole des tabacs ; une seule année, 1815, avant 1830.
  • [32]
    Tableau de la solde an XII : Archives nationales, AF IV 1159.
  • [33]
    Soit moins d’un euro, selon toute vraisemblance.
  • [34]
    Correspondance du général Marchand : Archives nationales, 275 AP 2, dossier 2.
  • [35]
    Article 2 de la loi du maximum général votée par la Convention nationale le 29 septembre 1793.
  • [36]
    Cent quarante-quatre unités.
  • [37]
    Archives nationales, 137 AP3 11.
  • [38]
    Archives nationales, AF IV 1601.
  • [39]
    Archives nationales, AF IV 1602.
  • [40]
    Archives nationales, AF IV 1602.
  • [41]
    Archives nationales, AFIV 1601.
  • [42]
    Archives nationales, 137 AP 3.
Français

Des recherches à grande échelle sont conduites depuis plusieurs années à Étaples-sur-Mer et Camiers, dans le Pas-de-Calais, sur les camps qui ont vu naître la première Grande Armée de Napoléon, constituée avec les troupes d’invasion de l’Angleterre. Ces recherches originales, préventives puis programmées, s’inscrivent dans le cadre d’une archéologie des conflits récents en plein développement. C’est une archéologie globale, qui convoque et confronte toutes les sources documentaires existantes, sans exclusion. En effet, aussi riches et diverses soient-elles, les sources écrites ou testimoniales – archives militaires, correspondances, témoignages, etc. – n’en demeurent pas moins partielles et partiales. Les « archives du sol » – manière de signifier la place pleine et entière du document archéologique dans l’écriture, la lecture ou la relecture de l’histoire – ne sont pas moins lacunaires, mais combinées de manières raisonnées avec les sources traditionnelles de l’historien, elles permettent de nouvelles approches à caractère anthropologique. C’est, en effet, l’étude de la condition du soldat anonyme qui est privilégiée, et non la grande histoire militaire  [2].

Bibliographie

  • Bardin 1813 : BARDIN (E.-A.) — Manuel d’infanterie : ou résumé de tous les règlements, décrets, usages… 4e éd. rev. et augm. Paris : Magimel, 1813. 572 p. : ill.
  • Brun-Lavainne 1855 : BRUN-LAVAINNE (É.). — Mes Souvenirs. Lille : Imprimerie de Lefebvre-Ducrocq, 1855. 251 p. Extrait de la Revue du Nord de la France.
  • Cardon, Lemaire 2014 : CARDON (T.), LEMAIRE (F.). — Les Sous des soldats de Napoléon au camp de Boulogne (1803-1805). Étude des monnaies issues des fouilles des camps napoléoniens d’Étaples et de Camiers (Pas-de-Calais, France). vol. 4, 2014. Bruxelles : Cercle d’études numismatiques, 2015, p. 67-176.
  • Carpentier, Marcigny 2014 : CARPENTIER (V.), MARCIGNY (C.). — Les Camps de prisonniers allemands : un nouveau champ de recherche pour l’archéologie française. Archéopages, n° 39, oct. 2013-janv. 2014. Paris : Inrap, 2014, p. 64-69.
  • Castel 1889 : CASTEL (C.-B.). — Quelques lettres d’un soldat de la Grande Armée : Charles-Baptiste Castel de la commune de Bernay : 1803-1806. Bernay : Imprimerie E. Veuclin, 1889.
  • Decroix 1878 : DECROIX (M.). — Paris : Société contre l’abus du tabac, 1878. 15 p.
  • Duhamel du Monceau 1771 : DUHAMEL DU MONCEAU (H.-L.). — L’art de faire les pipes à fumer le tabac. Paris : Impr. de L.-F. Delatour, 1771. 34 p. : ill., 11 pl.
  • FARÉ (C.). — Lettres d’un jeune officier à sa mère : 1803-1804 : avec une préface et des notes par H. Faré. Paris : Charles Delagrave, 1889. 363 p.
  • FALLOU (L.). — Le Bouton uniforme français : de l’Ancien Régime à la fin juillet 1914. Colombes : La Giberne, 1915. 327 p. : ill. Réimpr. Saint-Germain-les-Arpajon : Éditions Le Fouilleur, 2005.
  • Guillaumin 1860 : GUILLAUMIN (G.-U.). — Dictionnaire universel, théorique et pratique, du commerce et de la navigation…, vol. 2-2, N-Z. Paris : Librairie de Guillaumin et Cie, 1860. 1828 p.
  • HANNOIS (P.). — Une Archéologie des conflits. Archéologia, n°498, avril 2012. Dijon : Éditions Faton, 2012, p. 50-51.
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  • Napoléon Bonaparte, Fondation Napoléon 2007 : NAPOLÉON BONAPARTE, FONDATION NAPOLÉON éd. — t. IV. Paris : Fayard, 2007. 1184 p. : ill.
  • Rondonneau 1809 : RONDONNEAU (L.). — Manuel des cultivateurs, fabricants et débitants de tabac : contenant les lois et décrets sur les tabacs nationaux et étrangers... Paris : Chez Garnery et Rondonneau, 1809. 170 p.
  • Sabon 1910 : SABON (J.-L.). — Mémoires de Jean-Louis Sabon : chef de musique dans la Grande Armée : 1803-1808. In : SABON (J.-L.), RIEU (J.-L.), RILLIET (F.-J.-L.). — Soldats suisses au service étranger. Genève : A. Jullien, 1910, p. 1-92 (Soldats suisses au service étranger ; III).
  • Salavert, Hello, Lemaire 2016 : Salavert (A.), Hello (G.), Lemaire (F.). — Firewood of the Napoleonic Wars: The first application of archaeological charcoal analysis to a military camp in the north of France (1803–1805). Antiquity, 90(353). Cambridge : Cambridge University Press, 2016, p. 1334-1347.
  • Schnitzler, Landolt 2013 : SCHNITZLER (B.), LANDOLT (M. dir.). — À l’est, du nouveau ! Archéologie de la Grande Guerre en Alsace et en Lorraine. Catalogue de l’exposition du musée archéologique de Strasbourg (25 octobre 2013 – 31 décembre 2014). Strasbourg, 2013.
  • THIBAUDEAU (A.-C.). — Paris : Baudouin Frères, 1827. 464 p. (Collection des mémoires relatifs à la Révolution française).
  • TODOROV (N.). — La Grande Armée à la conquête de l’Angleterre : Le plan secret de Napoléon. Paris : Éditions Vendémiaire, 206. 295 p.
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  • Vivien 1907 : VIVIEN (J.-S.). — Souvenirs de ma vie militaire : 1792-1822. Paris : Hachette, 1907. 351 p.
Frédéric Lemaire [1]
  • [1]
    Archéologue, ingénieur de recherche à l’Inrap, membre de l’UMR 7041, Frédéric Lemaire totalise près de trente années d’expérience professionnelle. Entre 1992 et 2008, il dirige de très nombreux projets sur les villes et campagnes antiques du Nord de la France, qui ont donné lieu à plusieurs publications. Frédéric Lemaire est également spécialisé dans l’étude archéologique des grands conflits contemporains, à laquelle il consacre une nouvelle thèse. À partir de 2004, il entreprend des recherches à grande échelle sur le camp de la Grande Armée de Napoléon (1803-1805 ; littoral du Pas-de-Calais). Entre 2010 et 2012, il entreprend des recherches sur le site du champ de bataille de la Bérézina, localisé en Biélorussie.
Mis en ligne sur Cairn.info le 27/08/2019
https://doi.org/10.3917/napo.032.0005
Pour citer cet article
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