CAIRN.INFO : Matières à réflexion

1Mouvements (M.) : Commençons par une question faussement naïve : est-ce que militer contre le racisme et les discriminations rend indifférent à la classe ?

2Maboula Soumahoro : Évidemment que non, discuter de la race n’est pas une négation de la notion de classe, les deux s’articulent ensemble. On pourrait même aller plus loin et dire que la catégorisation raciale est aussi une catégorisation sociale. Peut-être que les personnes qui sont racialisées négativement constituent une classe sociale. L’impossibilité française de penser la race et le choix de privilégier la classe me semblent tellement absurde, dépassé et incroyablement simpliste. C’est quelque chose que je n’arrive toujours pas à comprendre, dans cette société française qui aujourd’hui se montre fébrile et si opposée à la question de la race alors que l’histoire française nous a montré que la République a pu fabriquer la race, comme d’autres pays du monde. Et à un moment il n’y avait pas cette ambiguïté : quand on parlait des « Nègres », du « péril jaune », des « Musulmans »… On parlait alors de la race, et à un moment cette catégorisation aurait disparu ? J’attends qu’on m’explique à quel moment cette catégorie a disparu. Comme si les populations qu’on avait fabriquées racialement à travers l’histoire avait été dé-fabriquées, dé-racialisées. L’histoire française entre en contradiction directe avec cette négation plutôt récente de la race. À quoi cela sert de ne plus savoir de qui on parle dès que l’on évoque les racisé.es aujourd’hui ?

3Saïd Bouamama : Je partage ce qui vient d’être dit et je rajouterai que non seulement parler des questions de race aujourd’hui n’est pas une négation des questions de classe, mais que comprendre la classe suppose de passer par la question raciale. Autrement dit, la classe n’est pas une réalité homogène, sa structuration interne est le résultat de l’histoire et des rapports de force, et par conséquent vouloir parler de la classe de manière absolue, abstraite, sans prendre en compte sa composition interne, et donc ne pas parler de race, comme ne pas parler de genre, c’est mobiliser une vision réductrice de la classe et ne pas comprendre les dynamiques des classes dominées, des mouvements sociaux, de la gauche, etc.

4Et je pense qu’on a affaire à une succession d’essentialisations : d’abord de la nation, puis de la classe. Une des manières de penser l’émergence de la gauche, tous courants confondus, c’est la rupture avec l’essentialisation de la nation. Face aux classes dominantes qui exploitent une vision homogénéisante de la Nation, voilà un courant d’idées qui dit que dans la nation il y a des classes. Mais en faisant rupture avec l’essentialisation de la nation, la gauche va reproduire l’essentialisation de la classe. Elle va être incapable de prendre en compte les contradictions et les structures internes à la classe. La fermeture est tellement forte que pour pouvoir introduire les questions de race, il y a besoin de tordre le bâton de l’autre côté et de mettre en avant la question de la race de manière absolue. Un peu comme ce que décrit Franz Fanon sur les trois moments de l’émancipation : on commence par intérioriser, puis après on survalorise, et puis après on re-dialectise. Je pense que s’il n’y avait pas eu ces mouvements de réaffirmation forte de la question raciale, elle ne serait pas apparue spontanément au sein des mouvements de gauche.

5Wissam Xelka : Cela me fait rire quand on me demande si parler de race ne risque pas d’invisibiliser les classes sociales, parce que quand on parle de race, on parle nécessairement de classe sociale en terme de classe raciale. Dans la tradition marxiste les classes sociales sont essentiellement définies à partir de la place dans le processus de production, et cela rejette la race du côté des questions sociétales. Or la race est une question sociale dans le plein sens du terme, elle est constitutive de la formation des classes sociales. Il y a la classe sociale des Blancs, il y a la classe sociale des non-Blancs, et même parmi les non-Blancs il y a divers types de classes sociales, entre les Noirs, les Arabes, avec divers types de conditions, de réalités, d’oppressions. Mais est-ce que parler de race amène à négliger la dimension économique, la place dans le processus de production ? Bien sûr que non car quand on parle de race on parle de discrimination raciale et de position dans la stratification sociale. La race a été un facteur important de l’apparition du capitalisme, et la prendre en compte peut s’inscrire dans une approche marxiste.

6Nacira Guénif : Il me semble que la fiction de la déconnexion entre race et classe, qui prévaut particulièrement dans l’exceptionnalité française, résulte de la réticence à considérer ceux et celles qui sont racialisé.es comme des égaux. La manière de leur ôter toute égalité, de les exploiter, de les surexploiter, c’est de les racialiser. La racialisation opère de manière tout à fait centrale dans la surexploitation économique dans un contexte à la fois capitaliste et colonial, avec ses variantes esclavagistes et indigénistes.

7L’État français ne se pense pas comme un État colonial, ni comme un État impérial. Il se pense comme un État social et il ne manque pas de le rappeler tant et plus. Pour parvenir à maintenir la mythologie de l’État-providence, de l’État généreux, il disqualifie et criminalise les discours qui connectent le rapport entre race et classe. Comment faire comprendre qu’en fait, on n’est pas passé de la question sociale à la question raciale, la question raciale a toujours été là et est éminemment opératoire dans la question sociale ? Le meilleur moyen de ne pas faire rentrer des segments entiers de l’humanité dans la question sociale, c’est de les racialiser. Parvenir à faire comprendre ça en sciences sociales permet d’expliquer qu’il n’y a pas un surgissement a posteriori de la question raciale qui viendrait perturber, troubler l’ordonnancement des choses lié aux rapports de classe… Non, en fait les rapports de classe sont toujours déjà inscrits dans une matrice raciale, qui va permettre justement d’ordonner les choses, de les hiérarchiser et de les rendre tenables pour des États-nations qui sont des États impérialistes, colonialistes, capitalistes.

8Sihame Assbague : Je rejoins tout ce qui a été dit. C’est marrant, c’est toujours dans ce sens-là qu’on pose la question. On veut constamment savoir si les antiracistes abordent bien comme il faut la question sociale – comme si par ailleurs, c’étaient des rapports sociaux complètement indépendants l’un de l’autre – mais on pose rarement la question inverse à des militants de la gauche blanche, par exemple. Ça en dit long sur les fondements mêmes de cette interrogation. Mais sinon, oui, bien sûr que c’est intimement lié. Quand on travaille sur la question des violences policières, notamment, ça apparaît très clairement. Les personnes qui sont visées sont majoritairement des non-Blancs et des classes populaires, très souvent des non-Blancs des classes populaires. Ça se recoupe. Qui peut y être indifférent ?

9M. : Vous dites que pour faire exploser le monde du silence, il faut « tordre le bâton dans l’autre sens », c’est-à-dire centrer le débat sur la question de la race, sans avoir à chaque fois à rappeler les enjeux des rapports de classe, les contradictions dans le monde du travail, la domination patriarcale, etc. Est-ce que vous vous reconnaissez dans cet agenda ?

10Maboula Soumahoro : Le féminisme lui-même a une face raciale. Quand on parle du féminisme, le non-dit, l’impensé, c’est que les femmes sont blanches. Même quand on n’en parle pas, la race existe. Parler des femmes c’est parler des femmes blanches. Et on sait qu’un des fondements de la blanchité, c’est l’invisibilité. La race n’existe pas seulement quand on parle de Noirs, d’Arabes, de Musulmans, de Roms, d’Asiatiques : dès qu’on parle de la norme, on est dans la blanchité, qui n’est jamais mentionnée, qui n’est jamais reconnue, qui n’est jamais problématisée.

11Nacira Guénif : Précisément, la blanchité fait partie intégrante de la race. Je pense que la volonté délibérée, politique, et presque existentielle de l’éclipse de la race consiste à ignorer qu’être blanc c’est faire partie de la race, et c’est à partir de la position de Blanc qu’est construit le rapport racial, qui est un rapport de hiérarchisation, d’oppression et de surexploitation. Pour ne plus avoir à s’excuser de parler de la race, il est nécessaire aujourd’hui de révéler, au sens photographique, que la blanchitude est une modalité par laquelle les Blancs persistent à ignorer qu’ils sont blancs – la blanchité étant un régime général. La blanchitude est la possibilité que s’offrent des individus ou des groupes de persister dans leur ignorance de leur blanchité et de leur statut de Blanc avec des privilèges. Je pense que c’est quelque chose qui est tout à fait spécifique à la France, cette capacité à faire que la blanchitude persiste de telle manière que la blanchité ne soit jamais révélée. Il y a un secret de famille qu’il faut garder, d’autant plus que c’est son propre statut de privilégié qui en dépend. Si on parle aujourd’hui d’antiracisme politique, c’est parce qu’il y a eu des logiques d’intimidation, de réduction au silence, de mise en cause, y compris scientifique, des tentatives de lever le secret du privilège blanc.

12Maboula Soumahoro : Achille Mbembé propose dans Politique de l’inimitié[1] le concept de « négrification du monde » – c’est une analyse à l’échelle mondiale et pas seulement ancrée en France hexagonale. Nous sommes dans ce moment ultra-politique qui nous renvoie à la fabrication originelle de la race, qui s’est ancrée dans les corps, l’apparence physique, les vêtements – dans le cas des Musulmans par exemple – mais ce que dit Achille Mbembé c’est que la racialisation peut évoluer et inclura à terme des personnes qui ne sont aujourd’hui pas défavorablement racialisées, c’est-à-dire qu’un jour, ça ne sera plus simplement une question d’Arabe, de Noir, de Rom… On pourra fabriquer une autre race. La négrification du monde, c’est-à-dire la précarisation du monde, se déclinera en termes raciaux qui auront évolué et qui, peut-être, ne se cantonneront plus seulement aux corps, à la visibilité et à l’interprétation que l’on donne aujourd’hui aux corps sur la base de cette histoire cruciale qu’est l’histoire impériale et colonialiste de l’Occident.

13Saïd Bouamama : Ça pose une question théorique et historique qui est vraiment trop peu abordée : la remise en cause de ce que j’appellerais la vision étapiste du capitalisme. Il y aurait à l’origine un capitalisme européen qui s’analyserait uniquement avec le concept de classe, sans rien d’autre. Non ! Aimé Césaire dit « Ce qu’il y a de spécifique dans le capitalisme, c’est qu’il ne peut fonctionner qu’en s’étendant ». C’est ce que Marx appelle la reproduction élargie. Donc d’emblée, il y a constitution de la norme dominante au niveau mondial par l’esclavage, par Christophe Colomb en premier. Classe et race sont imbriquées dans la formation du capitalisme. La norme blanche se constitue dans l’acte de naissance du capitalisme, comme le républicanisme d’ailleurs, c’est imbibé. Et là il y a deux impasses. La première est de réduire la race à la classe, c’est une erreur. On peut être surdiplômé et avoir de l’argent, quand on s’appelle Mohammed on n’est pas à l’abri d’un contrôle de police. La seconde impasse est d’oublier qu’il y a une stratification colorée du monde du travail. Les restructurations économiques qui ont été planifiées dans les années 1960 et 1970 ont anticipé qu’il y aurait des licenciements massifs et comme le monde du travail était très organisé syndicalement à l’époque, le recours à une autre main d’œuvre plus facile à déplacer parce qu’elle sera moins défendue, moins ancrée, est apparue comme un bonne option. Les mines du Nord-Pas-de-Calais en sont un bon exemple. On savait qu’il restait dix ans d’exploitation des mines : comment faire pour continuer à les exploiter sans que ça se termine en émeutes et grandes grèves ? On a fait monter en grade les mineurs blancs, et on a fait venir des mineurs marocains. Il y a bien là la race comme mode de gestion du rapport de classe. S’il ne faut pas réduire la race à la classe, la race est bien un mode de gestion du rapport de classe.

14Nacira Guénif : Je vais parler à partir de l’écosystème dans lequel j’opère, l’Université ; pour commencer par dire qu’il est souvent irrespirable, et qu’il faut parvenir à ménager des espaces dans lesquels on va pouvoir parler de la race sans être constamment en train de se justifier. Un des grands avantages de l’Université c’est que l’espace de l’enseignement, du cours, du séminaire, est un espace où on peut avancer ses thèses, où on peut les déployer, où on peut les mettre en discussion sans être constamment sous l’emprise d’une sorte de grand commandeur qui viendrait nous rappeler à la norme. Ce sont des espaces libérateurs de ce point de vue là et je trouve qu’ils ne sont pas suffisamment investis, par exemple quand on regarde les intitulés de cours, je suis la première moi-même à ne pas mettre dans mes intitulés de cours le mot race. Quand j’ai commencé il y a quinze ans à faire un cours sur l’ethnicité, tout le monde trouvait déjà que c’était limite. Quel que soit leur titre, je parle dans mes cours de race sans utiliser des formules de politesse pour m’en excuser. Non, c’est direct. Je pense que l’élément générationnel y est pour beaucoup, il faudra sans doute à un moment le mettre en évidence. Il y a très clairement une rupture générationnelle, pour le meilleur, pas dans le sens de la confrontation mais précisément dans le sens d’une transmission qui est potentialisée par les jeunes générations. Aujourd’hui personne parmi les étudiantes ou les étudiants ne s’offusquerait du fait qu’on parle de la race. Ça veut dire que ça fait partie de leur monde. Et le problème est bien là : tous ceux et toutes celles pour lesquel.les elle continue à faire problème s’offusquent du fait que ça puisse se dire sans qu’il y ait des espèces de montées de panique… Non, en fait il n’y a plus de panique et ça a fini par se savoir. Il y a là quelque chose qui fait reculer le silence, parce que ça fait partie des conversations, ça fait partie des cours, ça fait partie de ce que les étudiant.es non seulement veulent apprendre, mais veulent aussi élaborer par eux-mêmes et par elles-mêmes. Et il me semble que le fait qu’on puisse l’enseigner de manière, comme on dit en anglais, unapologetic, provoque les réactions de panique identitaire qui prétendent que l’Université est gagnée par les théories décoloniales. Tout le monde est loin d’enseigner ça, mais ceux et celles qui le font ne s’excusent pas de le faire.

15Maboula Soumahoro : Moi j’ai un rapport particulier et différent à l’Université. Je viens d’une génération où il était impossible de parler de la race en France, et c’est justement pour ça que je suis partie aux États-Unis, où j’ai passé dix ans. Maintenant je suis de retour en France et j’enseigne au sein d’un département d’études anglophones où il est acceptable de parler de la race. Cela pose aussi la question de savoir qui est en poste au sein de l’Université ? Qui a accès aux postes permettant d’enseigner ce genre de cours ? Qui a un doctorat valorisé qui garantit un poste qui fera qu’on peut devenir maître de conférence et qui fera qu’on pourra devenir peut-être à terme professeur des universités et ainsi diriger des doctorats ? Autrement dit est-ce qu’on peut être Arabe et parler de la race dans l’Université française ? Est-ce qu’on peut être Noir et parler de la race dans l’Université française ?

16Saïd Bouamama : La rupture générationnelle dépasse l’Université. La grille de lecture spontanée des moins de trente ans, que ça soit à l’Université ou dans les quartiers populaires, prend en compte et la race et la classe. Tu les entends à 9h te parler des salauds de riches et à 9h15 te dire « En tant que Noir… ». On n’est plus dans l’intériorisation de « on a pas le droit de penser comme ça ».

17Wissam Xelka : Pour revenir à la question du fait d’assumer de ne pas parler de classe je voudrais évoquer notre position au PIR. Il y a deux écueils à éviter quand on pense l’articulation entre race et classe. D’un côté, tout restreindre à la classe, ne voir que la classe, comme le fait un peu Lutte Ouvrière par exemple. De l’autre, ne voir race, genre et classe que comme des choses hors-sol très séparées et qui parfois s’entrecroisent. Pour nous c’est aussi une stratégie : on refuse l’injonction de la gauche de ne parler que de classe. Ça ne veut pas dire pour autant qu’on ne parle pas de classe : quand Houria Bouteldja évoque l’alliance entre les beaufs et les barbares, c’est une alliance entre deux classes, une alliance entre le prolétariat indigène et le prolétariat blanc. Et en même temps, ce n’est pas parce qu’on n’est pas de la classe prolétaire qu’on ne va pas subir le racisme.

18M. : Comment réagissez-vous aux disqualifications de la parole antiraciste quand elle est présentée comme « identitaire », « émotionnelle » ou « communautariste » ?

19Maboula Soumahoro : On dit de moi que je suis militante parce que je suis noire. Je suis noire et je porte un certain discours, et la dimension politique de mon discours est d’autant plus visible qu’elle est adossée à la couleur de ma peau. On pourrait très bien avoir un autre corps et une autre couleur de peau, tenir le même discours, et là on parlerait d’une « pensée », d’une « analyse », de quelqu’un qui pense de manière « objective et analytique ». Mon expertise est niée, toutes ces années d’études, ces diplômes sont passés à la trappe parce que je deviens noire et donc militante.

20Nacira Guénif : La stratégie militante est de pulvériser les frontières qui sont héritées du savoir colonial, opérer une décolonisation des savoirs. En sciences sociales la race nous projette tout de suite vers le fait que la sociologie et l’anthropologie sont toujours coloniales d’une certaine manière. Nos maîtres à penser n’ont pas été décolonisés. La mauvaise foi du Blanc consiste à attaquer en traître ce que tu es en train de produire. Tu produis une dynamique de décolonisation des savoirs, tu pulvérises les frontières disciplinaires : tu n’obéis pas au rappel à l’ordre disciplinaire… Et on te dit qu’en fait, tu ne fais pas de la science. Et que tu es une sociologue marginale, ou minoritaire, voire pas sociologue du tout. La race est récusée pour des raisons éminemment émotionnelles par la majorité blanche, et c’est ça qu’elle renvoie à ceux qui la mobilise : « Vous êtes le prisonnier, le jouet de vos émotions ». Mais non ! En revanche la blanchitude, qui prétend s’ignorer elle-même, est profondément habitée par ses émotions.

21Sihame Assbague : Je crois qu’on apprend à s’en défaire au fil du temps et même à reprendre à son compte certains de ces qualificatifs dont l’objectif est effectivement une disqualification. Je me rappelle que quand j’ai commencé à militer, je me sentais obligée de me justifier, de répondre à ces attaques en restant dans le cadre fixé par nos détracteurs. Aujourd’hui, ce n’est plus le cas, limite ça me passe au-dessus. Ce qui est intéressant, en revanche, c’est d’essayer de décrypter à chaque fois le sens et la fonction de ces attaques. Par exemple, quand on dit d’une journaliste non-blanche qu’elle fait un « travail militant » ou mieux encore, « un travail d’indigéniste », qu’est-ce que ça signifie exactement ? Que sa race la précède, qu’elle ne peut traiter une information de manière honnête, factuelle, et objective, qu’elle prend forcément parti. Si, parce que je suis arabe et que je ne me satisfais pas de l’ordre établi, on considère que je ne peux traiter l’information que de manière biaisée, alors que doit-on dire et penser des journalistes blancs qui eux se satisfont de cet ordre social et qui même souvent le défendent sans en être forcément conscients ? Ils sont la norme acceptée et acceptable, donc ils ne subissent quasiment jamais de procès d’intention. En gros, si moi je ne suis pas neutre, comment qualifier Jean-Michel Apathie, Laurent Joffrin, Ruth Elkrief, Thomas Legrand et tous ceux qui ne trahissent pas forcément leur positionnement mais qui font du journalisme de préfecture ? Là, je parle de l’adjectif « militant » mais c’est finalement la même logique qu’il y a derrière les autres termes, de « communautariste » à « islamo-gauchiste ». Ce sont des labels qui servent à dessiner et assigner des profils considérés comme déviants. Finalement, ils servent simplement à renforcer la norme. Et c’est intéressant parce qu’ils s’inscrivent et résultent d’un long travail de sape et de construction médiatique et politique des profils visés comme problèmes. Je crois que le qualificatif qui résume le mieux ça est le fameux « proche des Indigènes de la République » qui, utilisé après n’importe quel nom propre, fonctionne comme un épouvantail. Il n’y a rien besoin d’ajouter quand on écrit ça, c’est disqualifiant d’office. Et ça, ce n’est possible que parce qu’il y a eu, et qu’il y a toujours d’ailleurs, des offensives organisées, et largement relayées, dans le but de marginaliser et d’isoler ce mouvement. Tout ça pour dire que ces désignations sont politiques et qu’elles ont un rôle précis dans le débat public. Elles servent aussi à dire qui est fréquentable et qui ne l’est pas, quelles idées sont acceptables et lesquelles ne le sont pas, etc.

22Saïd Bouamama : De mon côté, il y a à la fois « J’en ai rien à foutre », ça s’affirme de plus en plus. Mais en même temps, toutes ces disqualifications-là visent à faire intérioriser l’auto-censure. On a aussi un certain nombre de gens qui ont peur pour leur poste, et qui n’en pensent pas moins mais qui ne le diront pas, ou qui vont le dire autrement. Ça fait aussi partie de la stratégie de la disqualification : elle amène les gens à ne même pas attendre d’être réprimés, ils s’auto-répriment. Et je pense que ça fait partie des stratégies de domination aujourd’hui, et c’est pour ça que ça tient sur quelques personnes, avec toujours les mêmes mots : « Indigènes de la République », « islamo-gauchiste », « identitariste », ou « racialiste ». Je crois qu’il y a vraiment une stratégie d’intériorisation de l’auto-censure qui se met en place.

23Wissam Xelka : Je voudrais faire une petite parenthèse sur l’attribut d’indigénisme qu’on donne un peu à tout le monde. Je veux dire au nom du PIR que nous sommes très, très fiers d’être les plus grands pratiquants de l’entrisme en France, parce qu’on peut ne rien faire et on est partout selon les médias. On travaille bien de ce côté-là.

24Pour revenir à la question : est-ce qu’on a des analyses communautaires, identitaires, est-ce qu’on assume ça ? Ceux qui nous demandent ça n’ont rien compris à nos analyses. Quand on dit « je suis Noir », on renvoie l’autre à sa blanchité. Il faut que les Blancs se posent la question, et que les mouvements de gauche se posent la question de la blanchité. Comment expliquent-ils que la classe ouvrière blanche ne vote pas pour des intérêts ouvriers ? Comment se fait-il que la classe ouvrière blanche, dans les années 1990, a voté pour Bush, et encore avant avait voté pour Reagan ? Nous, en parlant du racisme, on les met devant le fait que la classe ouvrière blanche n’a pas choisi selon ses intérêts de classe, mais qu’elle a elle-même choisi ses intérêts de race. La classe prolétaire blanche n’est pas bernée, elle défend sciemment son intérêt en s’alliant avec la bourgeoisie nationale blanche. Du point du vue mondial, la classe ouvrière blanche, en Europe comme en Amérique du nord, a pris le camp de la blanchité et profite du pillage des pays du Sud. Donc quand nous nous posons la question du racisme, on pose la question de la blanchité. C’est une question essentielle, que les classes ouvrières blanches doivent prendre en compte. Donc ce n’est pas une question identitaire, c’est une question de remise en cause du capitalisme lui-même. Le racisme est une question universelle. Tout ce que nous faisons est universel.

25C’est pour ça que même si le positionnement politique et l’engagement coûtent cher, la meilleure chose à faire aujourd’hui est d’assumer tous ces qualificatifs qu’on nous attribue et de procéder à un moment d’auto-définition sociétale : si moi je suis islamo-gauchiste – c’est vrai que je suis musulman et que je suis de gauche –, qu’est-ce que ça fait de vous ? Qu’est-ce qui te définit ?

26Maboula Soumahoro : La stratégie pourrait être de juste faire ou de se positionner en tant qu’identitaire. Je dis et j’écris, puisque c’est l’objet de mon ouvrage – « je suis noire, je m’accepte comme telle et je me définis et m’affirme comme telle, et pas noire comme l’histoire a voulu me définir mais noire au regard de l’histoire et de tout ce que ça a pu englober ». Mais cette position que certains jugeraient identitaire, je n’en ai absolument rien à faire. C’est aussi une invitation à faire tomber les masques : si moi je suis noire, vous, qui êtes-vous ? C’est ça la question. Moi je me définis et je prends les rênes de ma définition – parce qu’il y a quand même cette question de l’agentivité – et vous ? Il va bien falloir aussi que vous vous définissiez. Moi j’accepte une certaine vision du monde, je suis dans une certaine mesure prisonnière de cette vision du monde, j’essaie de m’en affranchir mais justement, comme peut-être avec la Négritude, en m’appropriant et en retournant le stigmate. Mais en tout cas moi je tombe le masque. Et si je tombe le masque, j’invite les autres à en faire de même.

27Quand on parle de la mouvance féministe noire-américaine des années 1970, en tant que féministes anti-capitalistes, ouvertes aux différentes orientations sexuelles… Elles disent bien dans leur manifeste que le jour où elles seront libres, le monde entier sera libre, tellement elles se trouvent aux confins et à l’intersection de toutes ces différentes catégorisations. Si une femme noire est libre, les pauvres, quels qu’ils soient, quelles que soient leurs couleurs, seront libres, les homosexuel.les et les hétérosexuel.les seront libres. Cette position de marginalisation est ce qui conduit à l’appréhension universelle des problèmes. Alors que cette position de marginalisation est toujours décrite comme sectaire, comme communautariste, aux marges, comme le mot l’indique, mais c’est tout le contraire ! C’est justement quand on parle des marges, que ces marges, de fait, englobent le centre. Les périphéries tiennent compte du centre, elles ne peuvent pas faire autrement.

28Wissam Xelka : C’est ce que disait W.E.B. Du Bois : l’auto-émancipation des esclaves aurait dû intéresser les Blancs, parce que l’auto-émancipation des Noirs, c’était aussi la possibilité pour les prolétaires blancs d’avoir une autre perspective que celle de ne pas être des esclaves.

29M. : D’un point de vue analytique il est tout à fait entendable de dire que les Blancs forment des groupes d’intérêt raciaux, y compris dans la classe ouvrière. On comprend pourquoi les mouvements qui représentent les intérêts de la classe ouvrière blanche ont du mal à accepter la rupture du silence, ce qui les ferait assumer qu’ils s’expriment depuis leur groupe d’intérêt blanc. Mais du point de vue stratégique des alliances, les minorités racisées doivent entrer en conversation avec ces mouvements.

30Nacira Guénif : C’est là où c’est compliqué. La plupart du temps ils ne s’expriment pas à partir de leur groupe d’intérêt, ils laissent penser qu’ils sont dans l’abnégation la plus totale, qu’ils sont juste en train de se mettre à la disposition des racisés pour réussir à changer le monde. Sauf qu’ils demandent de faire alliance en disant « Et puis oubliez que je suis blanc ». Non, ça ne va pas être possible ça. C’est une espèce de marché de dupes. Il y a un double mouvement de la part des Blancs qui consiste à avoir l’œil sur les racisés, à les labelliser, à les réduire au silence, à les intimider, et en même temps à se permettre de traîner, de prendre son temps pour comprendre l’oppression raciale. Il y a des textes très intéressants sur l’action de traîner derrière, lagging behind, des Blancs qui disent toujours « ah bon ? ah mais je n’avais pas compris ça, heureusement que tu me l’expliques », sauf que tu n’as pas envie de passer ta vie à expliquer. Fais ton travail, fais tes devoirs, lis… Parce que tu payes de ta personne, tu payes de ton temps, tu t’épuises, tout ce qu’on dit aujourd’hui sur les milieux intellectuels et militants qui sont en fait exténués de devoir expliquer à leurs meilleurs copains et copines, qui sont leurs alliés supposés, mais qui en fait n’arrivent jamais complètement à comprendre de quoi il s’agit. Ils ne font pas le travail, donc pourquoi ça reposerait sur les racisé.es de devoir constamment expliquer ce qu’il en retourne ?

31Maboula Soumahoro : Et en plus, quand les dominants finissent par comprendre, c’est valorisé. Ils ont compris, ils ont le poste, ils enseignent. Il y a quelqu’un, un.e racisé.e, une sorte de fournisseur gratuit qui vient donner tout le savoir, et ensuite ils en bénéficient économiquement de manière très concrète.

32Nacira Guénif : Et donc ils accaparent, c’est vraiment de l’appropriation culturelle et intellectuelle, et épistémique, littéralement. Tu as été l’informatrice native, que tu sois prof ou pas, et il y en a d’autres qui viennent rafler la mise derrière. Ce marché de dupe est au cœur de cette mauvaise foi de la blanchitude des Blancs, qu’ils agissent ou pas.

33M. : Est-ce qu’il ne faudrait pas avoir une analyse différente selon les fractions de classe parmi les Blancs ? Cette critique semble particulièrement pertinente pour les classes moyennes de gauche, intellectuelles, mais peut-on s’adresser exactement de la même façon aux classes populaires blanches peu mobilisées et peu politisées ?

34Nacira Guénif : Il me semble que c’est beaucoup plus direct, beaucoup plus cash comme on dit, avec les classes populaires blanches, parce qu’il y a une expérience commune de l’oppression, parce que tu finis par parler un peu de la même chose. Il me semble que c’est dans les milieux prétendument éclairés que c’est le plus compliqué, parce que les mécanismes de défense sont très élaborés.

35Maboula Soumahoro : Les classes blanches les plus précaires, justement, vont devenir les moins blanches, elles sont négrifiées. Ce sont celles qui bénéficient le moins de la blanchité. On sait très bien que la race est une fiction et que c’est irrationnel, mais il y en a qui n’ont pas les moyens d’être blanc, et qui peuvent se raccrocher à cette blanchité et voter contre leurs intérêts socio-économiques, mais dans la vie de tous les jours ce ne sont pas des Blancs, tu ne peux pas être blanc si tu n’as pas de capacité de nuisance, même si tu voudrais.

36Saïd Bouamama : On voit bien qu’il y a une partie des classes populaires blanches qui ne sont en réalité plus gérées et regardées comme des Blancs. Peut-être qu’il y a là une des dimensions qui à terme (je dis à terme parce que le mouvement de paupérisation et de précarisation qui s’accélère avec l’ultra-libéralisme) fait qu’avec cette partie des Blancs qui sont dé-blanchis, il y a une base d’accord possible. Mais nous n’en sommes pas encore là, parce que l’héritage est lointain, quand même.

37M. : La question des Gilets jaune est à ce titre un bon cas d’école. D’un côté, le mouvement a pu apparaître comme raciste au départ, d’autant que par ailleurs les minorités racisées ne semblent pas s’y être investies significativement. Et en même temps, certains mouvements ont appelé à converger avec lui et se sont engagés dans la mobilisation.

38Saïd Bouamama : J’analyse le mouvement des Gilets jaunes comme l’entrée en scène politique d’une partie de la classe ouvrière qui n’est plus organisée dans l’entreprise. Et une partie de ces classes populaires se visibilise au travers des Gilets jaunes, d’où la place des ronds-points, qui est un lieu de sociabilité. Si on prend comme critère le degré de précarisation, on devrait faire remonter la généalogie des Gilets jaunes à il y a quinze ans. Mais comme les organisations du mouvement ouvrier n’ont pas fait ce lien, et bien effectivement dans les quartiers populaires il y a d’abord eu une réaction de méfiance. Mais attention ce n’était pas une méfiance en disant « ils ont tort », c’était une méfiance en disant « on ne peut pas y être ». Ce n’est pas la même chose.

39Nacira Guénif : On ne peut pas y aller, ni sur les ronds-points, ni dans les manifs à Paris. On ne peut pas aller sur les Champs-Élysées, soyons clairs.

40Maboula Soumahoro : C’est sûr que s’il y avait eu une bande de non-Blancs sur les Champs-Elysées à attaquer l’Arc de triomphe, je pense que le nombre de victimes à déplorer aurait été beaucoup plus élevé… Je me suis dit, quand même : « Ce privilège ! Ce privilège ! »

41Wissam Xelka : Et le traitement médiatique a montré les différences de légitimité. Le fait que les Gilets jaunes soient vus comme français les rend plus légitimes à contester dans la rue et à dégrader des lieux symboliques.

42Maboula Soumahoro : Même s’il y a eu beaucoup d’attaques quand il y a eu l’assaut de l’Arc de triomphe, qui a été présenté comme très choquant… Mais, bien sûr que c’était des Blancs sur l’Arc de triomphe, c’est sûr ! Sinon il y aurait eu des morts, on aurait tiré à vue !

43Nacira Guénif : C’était le seul casting possible. Ce sont des Blancs mais en même temps ils se dé-blanchissent tout seuls, ils se dégradent dans leur position privilégiée de blanc. Mais il reste quelque chose de blanc chez eux, et c’est pour ça que la violence policière ne peut pas aller jusqu’au bout… Effectivement, il n’y a eu qu’une seule mort. Et c’était une Arabe.

44M. : Est-ce que le niveau de répression sans précédent subi par le mouvement des Gilets jaunes permet une convergence avec l’antiracisme politique, qui lutte depuis des années contre les violences et l’impunité policières. Il y a eu un certain nombre d’initiatives communes, comme « Ripostons à l’autoritarisme ».

45Wissam Xelka : Cela m’interpelle que ce soit uniquement quand les Blancs se révoltent qu’ils sollicitent les Indigènes : « Ah c’est bon, on s’est révoltés, venez nous rejoindre ! » « Ça y est on a compris cette fois, venez ». Mais en fait la convergence, ça ne marche pas comme ça. Là il y a une prise de conscience, c’est très bien, mais ça se joue sur le temps long. Il faut aussi qu’à l’inverse les Blancs viennent quand les Indigènes se mobilisent.

46Saïd Bouamama : Une anecdote au sujet de la convergence avec les Gilets jaunes. Mon association, le FUIQP, organisait ses journées nationales les 8 et 9 juin 2019 et une délégation de Gilets jaunes demande à nous rencontrer. Une rencontre nationale des Gilets jaunes avait lieu à Lille ce week-end-là. On leur dit que le programme est complet, mais on les invite au repas et ils nous rejoignent le soir. Et franchement, quand ils sont entrés et ont vu sur le mur les photos des dizaines de jeunes de quartier, morts, tués par la police, c’était physique, on les a vus : ils sont restés bouche bée devant. Ils ont fait une motion le soir d’après, disant, « c’est un aspect de la réalité que nous n’avions pas vu ». « On pensait qu’on était victimes de violence alors qu’on n’est qu’éborgnés. » Il y avait un aspect de la réalité qui leur sautait à la figure, et du coup ils ont fait une motion disant « il faut absolument que nous, on se remette en cause, qu’on aille travailler avec eux. »

47Sihame Assbague : C’est intéressant et effectivement, il y a sans doute un peu plus d’intérêt pour la question des violences policières qu’avant, y compris du coup, pour celles qui visent les non-Blancs et les habitants des quartiers populaires. En fait, la répression contre les Gilets jaunes a été tellement brutale, et tellement nouvelle aussi, pour ceux qui finalement bénéficiaient de l’État policier mais n’en faisaient jamais les frais, que la confiance envers l’institution policière a subi quelques cassures. C’est marrant même de voir que l’IGPN, que dans notre camp, l’on décrie depuis des années est aujourd’hui fustigée par de nombreux Français. Cela étant dit, ces évolutions restent marginales et surtout, on sent bien que leur centre de gravité reste jaune, pour ne pas dire blanc. On lit et entend beaucoup, par exemple, « c’est incroyable ce qu’il se passe en ce moment… Macron a complètement débridé les forces de l’ordre, les policiers se croient tout permis ». C’est typiquement le genre de commentaire qu’on peut recevoir aujourd’hui, même quand on poste la vidéo d’un homme noir ou arabe en train de se faire tabasser par des policiers dans le 93. Comme si ces scènes-là n’existaient pas avant l’arrivée au pouvoir de Macron et comme si on pouvait mettre sur le même plan les violences hebdomadaires contre les Gilets jaunes et les violences quotidiennes contre les indigènes. Ce n’est évidemment pas un concours de gravité loin de là, mais une recontextualisation. Et cette manière de présenter les choses, de les lier à un pouvoir en place, de les analyser au prisme des violences contre les Gilets jaunes est problématique parce que forcément, forcément, elle passe à côté des ressorts, des mécanismes, et des persistances de cette brutalité. Une brutalité qui n’a jamais cessé, qui continue de s’exprimer quotidiennement, mais qui dérange beaucoup moins parce qu’au fond, elle semble légitime.

48Maboula Soumahoro : Oui, c’est ça : « Maintenant ça NOUS touche, eux c’était légitime, c’était normal, mais maintenant c’est nous, et nous on ne le mérite pas ».

49Sihame Assbague : Oui, ça c’est très clair. Je me souviens que l’année dernière, le week-end du 14 juillet 2018, en France, six hommes plutôt jeunes ont été sévèrement blessés au visage. Six ! Dans six villes différentes. Sur ces six personnes, cinq sont non-blancs et trois ou quatre, je ne sais plus, ont perdu l’usage d’un œil. Personne n’en a parlé. Pourtant, les affaires auraient pu être liées pour parler des dangers du flash-ball. Mais non. Comme on le disait, il y a des violences qui n’intéressent tout simplement pas. Ou à la marge. En revanche, quand des manifestants blancs sont éborgnés par des policiers, là ça devient un sujet politique, syndical et médiatique. Généralement, dès qu’on dit ça, on nous rétorque : « Non mais ne vous inquiétez pas, tranquille, là c’est LE moment justement de demander l’interdiction du LBD, tous ensemble. » Pragmatisme oblige, tu réponds : « ok allons-y, partons sur ça ». Mais le problème c’est qu’en réalité, ce qui est demandé, c’est l’interdiction du LBD… dans le cadre des manifestations. Rien d’autre. C’est ça qu’on a entendu en boucle ces derniers mois. Je me souviens de tribunes, de revendications, d’une proposition de loi même, qui circonscrivaient cette demande aux mouvements sociaux. Et dans les quartiers alors, c’est comment ? Et dans les anciennes colonies départementalisées, quand il n’y a pas de manif à l’horizon, c’est comment ? Pourquoi ne pas avoir réclamé l’interdiction du LBD partout, tout le temps ? Et alors quand tu poses cette question, on te lâche le fameux « attendez, c’est stratégique, on va commencer avec les manifestations et on étendra… ». On est en 2019, alors le « attendez »…

50Saïd Bouamama : Vous nous l’avez déjà fait…

51Sihame Assbague : Oui, il y a eu depuis des dizaines de morts, des centaines même.

52Maboula Soumahoro : Ça fait des siècles, qu’on attend.

53Sihame Assbague : C’est pour ça qu’on ne peut compter d’abord que sur nous-mêmes pour investir ces questions et les imposer au champ politique.

54M. : Au regard de tous ces éléments, la convergence avec les Gilets jaunes ou plus encore avec la gauche semble compliquée

55Saïd Bouamama : Ce n’est pas une question nouvelle, ça date quasiment des débuts de l’immigration issue de colonies. Elle traverse les relations du PCF avec l’Union Intercoloniale, puis de l’extrême-gauche avec le MTA [2] dans les années 1970, jusqu’à la Marche pour l’égalité et Convergence 84. Il y a toujours eu des divergences dans les revendications. La question des revendications qui ont trait à l’assignation de race demeure centrale. Si ça n’est pas pris en compte, il n’y a aucune convergence possible. Tant qu’un syndicat, une organisation de gauche ou d’extrême gauche, dit que les discriminations, c’est une question secondaire, on ne peut pas travailler avec elles. La question de la couleur aujourd’hui, ce n’est pas seulement celle du vieil héritage, c’est 1) le maintien des rapports néo-coloniaux avec le tiers monde et 2) reconnaître l’ampleur des discriminations raciales en situation de concurrence pour les biens rares, dans un contexte de crise, de précarisation etc. Autrement dit, ceux qui sont déjà en bas de l’échelle sociale, et en particulier les Noirs et les Arabes, le seront encore plus demain. Est-ce que la convergence est possible sans reprise des revendications liées à cette question particulière ? Je pense que ça c’est vraiment la condition minimale. Et pour les violences policières c’est la même chose. Ce sont juste deux ou trois questions incontournables. S’il n’y a pas « violence policière », s’il n’y a pas « discrimination », s’il n’y a pas « islamophobie »… quelle convergence va-t-on construire si ces enjeux-là ne sont pas repris ?

56Wissam Xelka : Nous au PIR on est pragmatiques avec les alliances, au sens de Lénine : on fait avec les masses, telles qu’elles sont. On ne s’attend pas à ce que les Blancs deviennent tout à coup antiracistes, qu’ils aient tout compris. On n’attend pas une déconstruction avant de faire des choses avec eux, on est contraints de faire avec eux et aussi de les pousser, de les faire avancer.

57Les prolétaires blancs n’ont pas de capital économique et pas de capital culturel, souvent la seule chose qu’ils peuvent mettre en avant par rapport aux autres, c’est le fait d’être blancs, d’être français. Donc on comprend cet attachement. Ça ne veut pas dire qu’on l’excuse, mais on essaie de le comprendre pour pouvoir l’attaquer de la meilleure façon possible. On comprend pourquoi les ouvriers blancs sont autant attachés à l’identité nationale, mais on essaie de leur montrer qu’il faut qu’ils le remettent en cause. Nous ne sommes pas réformistes : on s’attaque directement à l’État-nation qui est un des pivots du capitalisme. La gauche blanche demeure très fragile sur ce sujet. Il faut par ailleurs mettre en exergue qu’une alliance ce n’est pas un mariage : on n’est pas obligés d’être d’accord sur tout. Ce sont même les contradictions et les conflits entre nous qui vont faire avancer les choses.

58Saïd Bouamama : Il y a une dimension stratégique qui me semble aussi importante, à savoir celle de la convergence interne. S’il y a, parmi les Blancs, le clivage entre les désaffiliés et les autres, il y a chez les non-Blancs, ceux qui sont investis dans l’antiracisme politique, associatif, nous tous, et une autre fraction qui a choisi l’action syndicale comme mode de socialisation politique et de lutte. Il faut regarder les grèves des travailleur.es coloré.es dans les hôtels. Ça ne converge pas spontanément avec nous. Je pense qu’une des limites actuelles de l’antiracisme politique, c’est la coupure – bien que le terme soit trop fort – avec cette fraction des non-Blancs que sont les travailleurs précaires, les femmes de ménage, etc. Des dizaines de grèves dans les hôtels sont aujourd’hui portées par des Noirs et des Arabes. La convergence doit également être construite entre les non-blancs.

59Maboula Soumahoro : Le cas des femmes de ménage pose aussi la question de la citoyenneté. Il y a une question générationnelle et une question de papiers. Sont-elles étrangères ? Françaises ? Récemment citoyennes ? Selon le statut, les intérêts et la vision de la société seront, de fait, complètement différents. J’avais l’impression de voir des mamans chez ces grévistes, et je sais que ma mère et moi n’avons pas le même statut en termes de citoyenneté, et cela change beaucoup de choses.

60Saïd Bouamama : Ça change beaucoup mais ça fait partie de la question raciale. La question raciale est plurielle, y compris chez nous, le mode de gestion du capitalisme aujourd’hui crée des expériences et des subjectivités différentes.

61Sihame Assbague : C’est vrai qu’il peut y avoir une distance entre certains travailleurs précaires non-blancs organisés et l’antiracisme politique, et c’est un problème. Mais parfois, cela s’explique aussi par les frontières construites par les organisations syndicales en présence. En gros, on va conseiller à tel ou tel mouvement de grévistes de ne pas s’approcher de telle ou telle organisation pour éviter les disqualifications par capillarité et les procès en sorcellerie.

62Nacira Guénif : Il faut souligner cette espèce d’interposition, souvent blanche, de rappel à l’ordre : « vous allez perdre si vous allez de ce côté-là ». Si bien que par esprit de responsabilité, les antiracistes politiques ne vont pas insister. Il faut que ces luttes-là soient gagnées donc tant pis. Je pense à un autre exemple qui est celui des sans-papiers, secteur qui est trusté par les Blancs. Tu n’as pas intérêt, en tant que racisée, à te porter marraine de sans-papiers. On te fait comprendre que tu vas plomber la personne avec ta tête, avec ton nom… Tu ne vas quand même pas proposer de parrainer quelqu’un, il faut que ce soit un Blanc. Il y a des gens qui n’ont pas intérêt à se rapprocher de ces causes-là parce qu’elles vont les rendre toxiques, c’est ça l’idée : « non mais vous, c’est pas la peine de venir ».

63M. : La troisième catégorie de non-Blancs qui ne fonctionne pas dans la bipolarité qu’on vient d’identifier, ce sont les non-Blancs investis en politique, dans les organisations mainstream, et qui ont un discours très universaliste en opposition plus ou moins radicale avec l’antiracisme politique.

64Nacira Guénif : On pourrait reprendre une catégorie qui participe de la logique coloniale : ce sont des supplétifs.

65Saïd Bouamama : La question est encore plus grave que cela, parce qu’il y a les supplétifs, mais il y a aussi toute l’illusion universaliste, qui est intériorisée par une partie des gens en réussite, c’est-à-dire que le processus d’accueil dans ce système consiste à te renvoyer du narcissisme, « toi tu es sorti de ton quartier, etc. ». Un certain nombre de racisé.es sincères – mais qui après tombent de haut – vont tenir un discours contre leur communauté, contre leur quartier etc. Il y a les supplétifs, c’est un choix de carrière, et puis il y a ceux qui y croient vraiment – c’est ce que les étasuniens appellent le tokenism. On a besoin du 1 % de réussite, à qui on fait croire qu’ils sont à leur place parce qu’ils sont bons, parce qu’ils sont plus intelligents que les autres, et ça fait des dégâts. D’autant plus que reconnaître les limites de l’universalisme abstrait, ou reconnaître qu’on peut être victime de discrimination, n’est pas simple, c’est une violence énorme, les personnes qui vivent une discrimination commencent par le nier.

66Nacira Guénif : Parce qu’effectivement, qui va vouloir payer ce prix ? Qui veut passer par ce moment où tu comprends que c’est passé par toi, ça ne t’a pas seulement traversé, ça t’a affecté profondément, et que c’est l’histoire de toute une vie ? Et c’est une très bonne nouvelle pour l’universalisme abstrait qu’il y ait plein de gens qui ne soient pas prêts à payer ce prix-là.

67Wissam Xelka : Il y a des ouvriers qui votent à droite, il y a des femmes antiféministes… S’interroger sur le fait qu’il y ait des non-Blancs qui vont dans l’intérêt de la blanchité, revient à penser que parce qu’on est non-Blancs, on serait immunisé contre les délires racistes. Nous aussi on est pénétrés, quoi qu’on dise, quoi qu’on fasse, par le racisme. On ne vit pas hors-sol, on ne vit pas sur une autre planète, on vit dans une société raciste donc nous aussi on a incorporé ces schémas racistes et nous aussi on peut croire sincèrement aux discours intégrationnistes. Et je voudrais dire aussi que ces Noirs et ces Arabes qui font le choix de l’intégration, pour nous ce ne sont pas des ennemis directs, ce ne sont pas ceux qu’on va attaquer. On comprend que pour eux cela représentait, dans une logique personnelle, une porte de sortie à la galère que vivent les non-Blancs. Le cas de Rachida Dati est très intéressant parce qu’il reste tout de même des réflexes d’Indigène en elle, elle a critiqué Hortefeux par exemple. C’est intéressant de voir comment ces personnes restent en elles-mêmes victimes de racisme. Certains vont parler de « traîtres » mais nous ce ne sont pas du tout les termes qu’on va utiliser.

68Saïd Bouamama : C’est pour ça que le concept de supplétif est vraiment intéressant. Parce que dans l’idéologie coloniale le supplétif ça n’est pas seulement celui qui obéit, c’est celui qui est reconnu comme différent des siens, qui a progressé, mais qui n’a pas encore atteint le stade du Blanc : « tu en es sorti mais tu n’es pas encore arrivé ».

69M. : Au regard de toutes ces fragmentations, vous semble-t-il qu’il soit possible pour l’antiracisme politique de parler à tout monde ? Est-ce possible de s’adresser aux supplétifs, aux femmes de ménage, aux classes populaires blanches, à la gauche blanche ? Faut-il hiérarchiser son énergie militante, et son discours, en direction de telle ou telle fraction ? Est-ce que sont des questions qui se posent aujourd’hui d’un point de vue stratégique au sein de l’anti-racisme politique ?

70Wissam Xelka : Je ne pense pas qu’un parti puisse parler, rien que dans le champ de l’antiracisme politique, à tous les non-Blancs. C’est pour ça qu’au PIR, on prend en compte nos contradictions et nos limites : on est un parti essentiellement arabe. On n’imagine pas un seul parti qui représenterait tous les non-Blancs. C’est important qu’il existe la BAN [Brigade anti-Négrophobie], qu’il y ait la Lallab, qu’il y ait Mwasi… qui représentent la diversité. C’était un peu le fantasme des marxistes, le parti unique. Mais même en dehors de l’antiracisme, dans le champ politique en général, il faut arrêter d’imaginer qu’il y aura un seul parti unique. Au contraire la convergence se fera entre différents partis qui défendent différents intérêts, avec différents mouvements. Ça paraît un peu plus éclaté mais ça peut permettre, à travers cet éclatement, de représenter toute la diversité qu’on peut retrouver parmi les classes subalternes.

71Saïd Bouamama : Il n’y a pas réponse absolue à ta question. Bien sûr qu’il faut hiérarchiser, tu ne peux pas prétendre représenter tout le monde, surtout vu l’état de nos forces. Nous au Front Uni, depuis deux ans on privilégie le maximum de rencontres et d’échanges avec les racisé.es dans les syndicats. On se dit que si les personnes racisées dans les syndicats arrivent à imposer la question des discriminations raciales, ça a plus de chance de faire évoluer les structures syndicales. On a fait deux rencontres où c’était extrêmement intéressant d’entendre des syndiqué.es racisé.es nous dire pourquoi ils regardaient avec sympathie l’antiracisme politique mais pourquoi ils n’y venaient pas.

72Nacira Guénif : L’important n’est pas de constituer une force homogène, mais que ce soit réticulaire, que ça pénètre loin par capillarité. Plus ça va, plus il y a cette intelligibilité qui commence à devenir sensible, c’est-à-dire qu’elle permet de bien comprendre le réel. Après les ralliements… Moi je ne raisonne même pas en termes de convergence, la convergence c’est la fusion. Je suis pour des alliances multiformes, qui vont, qui viennent, je n’ai pas besoin que tout le monde soit d’accord avec moi. Donc que les syndiqués comprennent ou se disent « je ne peux pas afficher la lecture décoloniale de façon trop explicite, mais c’est une grille de lecture que j’ai parfaitement admise et qui m’est précieuse » c’est déjà beaucoup. Les masques tombent, c’est important, mais pour autant, on n’a pas tous le même visage. Et ça c’est essentiel sinon on va se faire absorber.

73Wissam Xelka : Avant de converger avec les autres il faudrait déjà qu’on converge avec nous-mêmes. Et il y a un certain paradoxe de la part de la gauche blanche à nous demander de converger avec eux, de faire des alliances, tout en refusant en même temps notre autonomie, le fait qu’on existe. S’ils veulent vraiment une alliance il ne faut pas qu’ils mettent des bâtons dans les roues de notre projet d’autonomie. Pour converger avec l’antiracisme politique, il faut que l’antiracisme politique existe et soit légitime dans le champ politique.

74Saïd Bouamama : C’est d’autant plus important qu’il y ait une dimension de préservation… des éléments de base de santé. On a avancé sur la question des discriminations, on arrive à en parler, mais je pense qu’on est encore loin de saisir ce que ça signifie en termes de dégâts sur les personnes. La constitution d’espaces propres est essentielle : ce sont des espaces de survies, des espaces de renforcement, ce sont des espaces qui permettent de tenir, et ce sont aussi des espaces de solidarité. Et le discours sur le communautarisme vient empêcher l’existence d’espaces de ce type-là. Le dernier espace qui reste pour se préserver des discriminations, on te dit « il faut arrêter ».

75Nacira Guénif : Autant on sait qui parle de communautarisme et pourquoi, autant parmi celles et ceux avec qui l’alliance est nécessaire, vitale, le fait qu’il y ait des malentendus, qu’il y ait des moments de dispersion qui puissent s’installer, ça mine beaucoup plus. Ça crée un état d’épuisement. Moi le communautarisme ne me mine pas. Il y a de l’agitation, voire cela traduit une fin de règne : vous n’avez plus rien d’autre à faire que de nous ériger en vos ennemis principaux, d’accord très bien, faites-le.

76Sihame Assbague : Je ne suis membre d’aucune organisation donc c’est un peu différent pour moi, mais j’aurais tendance à dire que vu nos moyens, vouloir parler à tout le monde, en même temps, ça revient à parler à personne. Donc forcément, il faut prioriser, faire des choix, en fonction de ce que tu veux faire, produire, obtenir. Mais il n’y a rien d’exclusif, tu peux avoir des espaces dans lesquels tu t’adresses à des groupes sociaux spécifiques, comme avec le camp d’été décolonial qu’on a organisé il y a trois ans, et des initiatives avec lesquelles tu vas embarquer un peu plus de monde. Je crois qu’en tant que journaliste et militant.e, on navigue entre les deux.

77Maboula Soumahoro : Comme Sihame je ne fais partie d’aucune organisation, donc j’aurais tendance à ne pas hiérarchiser les priorités. Il faut embrasser cette complexité, on ne peut pas se cacher derrière différentes priorités qui vont forcément léser un groupe ou un autre. La prise en compte de cette complexité c’est le niveau de respect minimal. C’est complexe, la question des violences policières, la question des inégalités économiques et sociales, de santé, d’accès à l’éducation, de la santé mentale, dont on ne parle pas parce que ce système produit du mal-être mental, il y a des conséquences psychiques, on aime bien parler des fins de mois difficiles, mais c’est concret, des gens deviennent fous. Je suis prof donc je crois à l’enseignement et à la diffusion par les savoirs, je crois à la culture, je crois aussi à la parole publique donc c’est ce que j’ai tendance à faire pour que le plus grand nombre… dans les écoles, dans les prisons, dans les médias. Il n’y a pas longtemps j’ai été invité par des masterantes, qui ont organisé la première journée d’étude intitulée Black studies à l’EHESS, parce qu’elles voulaient des black studies en France et elles se sont organisées. Elles ont fait appel à quelques profs dont elles connaissaient le travail et j’ai eu l’honneur de conclure cette journée.

78Ça prend du temps parce qu’il y a dix-neuf ans, je me suis présentée pour une thèse à l’EHESS et on m’a refusé, et justement c’était pour des black studies. Je me dis que peut-être dans vingt ans ces jeunes seront devenues prof.es, peut-être qu’on aura nos black studies et plein de trucs intéressants dans l’Université, qu’on aura décolonisé les savoirs et détruit tous ces murs entre disciplines. Mais tout compte fait, pour moi pas de priorité. On a parlé de la race, de la classe, de l’orientation sexuelle, du genre, du validisme… On ne peut pas simplifier parce qu’on perdra du temps. Si on dit « c’est la race », qu’est-ce qu’on fait du genre ? Il faut d’abord qu’on maîtrise la race et après on va faire les imbrications intersectionnelles ? On le sait ça déjà ! On le sait, alors allons-y !

79Nacira Guénif : Ce qui me semble le plus important, c’est de faire siennes les causes qui à un moment donné ne parviennent pas à se faire entendre. Quelles qu’elles soient, quelles que soient les combinaisons, quelle que soit la texture. L’important c’est que je ne prétende pas qu’elles n’ont pas d’importance sous prétexte que je serais mieux placée que quiconque pour désigner ce qui a de l’importance et ce qui n’en a pas.

Notes

  • [1]
    A. Mbembé, Politique de l’inimitié, Paris, La Découverte, 2016
  • [2]
    Mouvement des Travailleurs Arabes
Français

Il est fréquent de penser les dominations sous une forme hiérarchisée, les inégalités de classe étant supposées prédéterminer les autres. Cette tradition intellectuelle et politique a dû évoluer sous la critique du féminisme qui a réussi à pluraliser les modes de domination en ajoutant le genre à la classe. Mais la place de la race reste encore disputée, l’autonomie de la domination raciale étant toujours illégitime en France. Classe et race sont le plus souvent pensées en concurrence, comme s’il s’agissait de choisir un principe de hiérarchisation principal et un autre secondaire. Mouvements a réuni dans une table ronde des chercheur.ses et activistes dans le champ de l’antiracisme pour débattre de la place qu’occupe la classe dans leur approche des inégalités.

Table ronde avec 
Sihame Assbague
Journaliste et militante.
Wissam Xelka
Journaliste à Paroles d’Honneur et militant au Parti des indigènes de la République.
Saïd Bouamama
Sociologue et militant du Front Uni des Immigrations et des Quartiers Populaires (FUIQP).
Nacira Guénif
Professeure à l’université Paris 8, féministe antiraciste décoloniale, collectifs MAFED, Rosa Parks, membre du comité de rédaction de Mouvements.
Maboula Soumahoro
Maîtresse de conférences en anglais à l’université de Tours, présidente de l’association Black History Month, auteure de Le Triangle et l’Hexagone, réflexions sur une identité noire (La Découverte, 2020).
Organisée pour Mouvements par 
Patrick Simon
Membres du comité de rédaction de Mouvements.
Julien Talpin
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Mis en ligne sur Cairn.info le 26/11/2019
https://doi.org/10.3917/mouv.100.0169
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