CAIRN.INFO : Matières à réflexion

1 Dans un contexte mondial de forte dérégulation des États, les standards volontaires privés de durabilité (visant à promouvoir de bonnes pratiques sociales et environnementales) tendent à prendre en charge la gestion durable des ressources naturelles. Traduits en écolabels sur les biens qui en sont issus, le développement de ces standards bénéficie de l’intérêt croissant des consommateurs dans la manière de produire et de distribuer les biens qu’ils consomment.

2 La prolifération de ces dispositifs de normalisation et de labellisation sur les marchés agricoles internationaux a attiré l’attention de nombreux chercheurs ces dernières années. En économie du développement, les recherches tentent d’évaluer l’impact de ces standards sur les exploitants agricoles qui les adoptent. Cependant, les résultats de ces évaluations sont ambigus et controversés en fonction des indicateurs et des méthodes utilisés. Récemment, ce sont les méthodes expérimentales randomisées, estimées comme plus robustes du point de vue des causalités, qui tendent à accaparer la littérature en économie du développement (Ruben et Fort, 2012 ; Banerjee et Duflo, 2011 ; Bolwig, Gibbon et Jones, 2009 ; Maertens et Swinnen, 2009). Néanmoins, ces travaux rapportent uniquement la significativité et le degré des impacts sur un certain nombre de dimensions économiques (revenus, production, investissements). Ces approches négligent les dynamiques sociales et l’environnement institutionnel dans lequel elles mesurent ces effets et peuvent difficilement interpréter l’instabilité de ces derniers. Elles ne peuvent pas non plus questionner la légitimité de ces dispositifs en fonction des diversités de contextes existants.

3 Dans cette contribution, nous soutenons qu’il est nécessaire d’appréhender les effets des standards de durabilité et leurs variabilités au travers du changement institutionnel généré par ces nouvelles gouvernances environnementales, et ce, en tenant compte de leur ancrage dans leurs dynamiques sociales (Elie et al., 2012). Sur la base d’une étude de cas, cet article se propose de discuter les effets et la justification de la diffusion du standard international Forest Stewardship Council (FSC) dans le cas des communautés forestières en Amazonie. Ce standard volontaire de durabilité, créé en 1993 par des industriels du bois et des organisations non gouvernementales (ONGs) est l’un des plus importants dispositifs de certification de gestion durable des forêts. Notre analyse se base sur les résultats issus d’une recherche empirique qualitative sur l’exploitation communautaire de bois certifié dans des zones de réserve forestière de l’État de l’Acre au Brésil en 2012. En considérant l’apparition de cette certification dans les dynamiques sociales et institutionnelles existantes, notre étude de cas permet à la fois d’identifier les effets générés par le standard dans les communautés concernées à plus ou moins long terme, et de discuter des arguments motivant la diffusion de ce standard dans ce contexte.

4 Dans la première partie, nous justifions le choix d’une approche contextuelle au regard des lacunes actuelles relevées dans la revue de littérature en économie du développement. Dans la deuxième, nous montrons la pertinence du cas retenu, et présentons la méthode suivie pour son étude. La troisième partie détaille les résultats de notre analyse en fonction des dimensions observées. Enfin, au vu des résultats, la conclusion discute de la pertinence de la diffusion de ce standard de durabilité dans le contexte étudié.

1. LES EFFETS DES STANDARDS DE DURABILITÉ : DE LA NÉCESSITÉ D’UNE ÉVALUATION INTEGRÉE

5 Après être revenu sur la littérature existante en économie du développement concernant les méthodes d’évaluation d’impact, nous proposons d’adopter une évaluation intégrée des impacts pour une meilleure compréhension des effets générés par les standards de durabilité.

1.1 Les outils et la culture de l’évaluation d’inspiration néoclassique

6 La diffusion des standards volontaires privés de durabilité sont inspirés du renouveau des logiques de gouvernementalité néolibérale (Djama, Fouilleux, et Vagneron, 2011). En effet, leur légitimité s’adosse à la croyance que les instruments de marché sont « naturellement » plus performants que l’intervention publique pour imposer des « bonnes pratiques » de développement durable aux producteurs et aux entreprises (Prévost, 2008). Aujourd’hui, ces normes et leurs procédures de contrôle et de sanction, en cas de non-respect, sont devenues des règles légitimes pour les nombreux acteurs concernés qui les adoptent, ainsi que pour les États dans lesquels elles s’appliquent. Leur multiplication peut être perçue comme un processus, de plus en plus manifeste et généralisé, de la « privatisation » des politiques de développement durable (Prévost, 2004). Dans la littérature en économie du développement, ce postulat est rarement remis en cause. Les nombreux auteurs étudiant les standards volontaires de durabilité s’intéressent avant tout aux impacts de l’adoption de ces standards, plutôt qu’aux fondements de leur légitimité.

7 Dans leur revue de littérature, Blackman et Rivera (2010) identifient des études empiriques évaluant ces impacts à l’échelle des exploitations. Sept études concernent le standard FSC. Elles s’intéressent toutes à la significativité d’indicateurs économiques et environnementaux suite à l’adoption du standard, tels que ceux liés au respect de la biodiversité (Van Kuijk, Putz et Zagt, 2009 ; de Lima, Keppe, Alves, Maule et Sparovek, 2008), à la régénération des arbres (Kukkonen, 2010), au contrôle strict de la qualité (Morris et Dunne, 2004), à l’amélioration de la gestion forestière (de Lima et al., 2008 ; Molnar et al., 2004), au différentiel de prix (Nebel et al., 2005 ; Molnar et al., 2004 ; Morris et Dunne, 2004) ou à l’amélioration de la commercialisation (Ebeling et Yasué, 2009 ; Molnar et al., 2004). Même si l’ensemble de ces études tend à conclure que l’impact de la certification est relativement faible, peu de discussions émergent quant à la pertinence ou à la légitimité de cet outil privé de régulation environnementale. Ces études se satisfont de discussions sur les facteurs nécessaires pour améliorer leur efficacité, ou encore, comme Blackman et Rivera (2010), sur la nécessité de mettre en place des méthodes de mesure plus robustes, encore trop peu utilisées.

8 En effet, la littérature récente en économie du développement est exclusivement axée sur la significativité des impacts. Dans ce but, elle privilégie les méthodes utilisant des outils contrefactuels crédibles, comme les techniques d’expérimentation aléatoire (Banerjee et Duflo, 2011), les méthodes quasi expérimentales utilisant des variables instrumentales ou les méthodes d’appariement (Ruben et Fort, 2012 ; Bolwig et al., 2009 ; Maertens et Swinnen, 2009), afin de tester empiriquement la validité ou l’efficacité des instruments de développement. Cependant, dans ces travaux, les hypothèses testées sur les liens de causalité et les interprétations des motivations sous-jacentes aux choix des agents s’inspirent bien souvent des seules approches néoclassiques (Elie et al., 2012).

1.2 Vers une évaluation plus intégrée

9 Il semble limité d’appréhender les effets des standards de durabilité au travers de la seule observabilité d’indicateurs d’impact car l’évaluation est alors bornée aux indicateurs d’évaluation (qui sont bien souvent des indicateurs intermédiaires), à la temporalité (période de l’évaluation) et à l’espace circonscrit aux effets attendus à mesurer (Labrousse, 2010). Dès lors qu’il existe une forte variabilité des effets dans le temps et dans l’espace, ces résultats restent pauvres et insuffisants (Elie et al., 2012).

10 La compréhension des effets observés – souvent ambigus en fonction des études de cas (Blackman et Rivera, 2010) – nécessite d’intégrer comme « points de départ épistémologiques l’existence d’une diversité à appréhender en tant que telle et l’ancrage de la gouvernance environnementale dans des dynamiques sociales » (Elie et al., 2012). Ainsi, sans rejeter l’utilité de méthodes statistiques pour mesurer les impacts des instruments de régulation, il semble important que la littérature en économie du développement intègre des discussions sur les motivations sous-jacentes aux choix des agents « traités » dans les dynamiques sociales existantes et sur la gouvernance environnementale privée plus largement – les interactions de ces instruments avec d’autres règles institutionnelles, par exemple.

11 Pour compléter l’analyse des effets des standards volontaires de durabilité, nous choisissons donc de nous intéresser aux résultats issus de disciplines voisines – puisque l’économie du développement telle que développée actuellement ne s’y est pas encore attachée – notamment de la sociologie et des sciences politiques. Dans cette littérature, les auteurs soulignent un déplacement progressif du rôle des standards depuis plusieurs années, passant de la valorisation de pratiques dites « engagées » (“movement-oriented”), dans les premiers temps de leur développement, à leur rôle moteur dans la création d’activité marchande (“market-oriented”) lors de leur diffusion (Gómez Tovar, Martin, Gómez Cruz et Mutersbaugh, 2005 ; Raynolds, 2004). Il semble que ceci ait été rendu possible par des transformations au sein des structures portant ces instruments, pour lesquelles les solutions de marché deviennent les plus à même d’améliorer les pratiques et d’internaliser les externalités environnementales négatives (Djama et al., 2011). Ces changements de rationalité néolibérale dans la diffusion des standards de durabilité – au travers des régimes de surveillance et de contrôle, et de la rationalité marchande des dispositifs – peuvent donc influer structurellement sur les effets observés empiriquement. Dans notre travail de recherche [5], nous tiendrons donc compte des logiques et rationalités sous-jacentes aux pratiques existantes et au choix d’adopter la certification.

12 L’objectif est donc, in fine, de discuter la pertinence de la certification FSC pour les communautés forestières par une évaluation intégrée des effets observés empiriquement aux niveaux des exploitations (comme le fait jusqu’à présent l’économie du développement), en tenant compte des logiques et des rationalités sous-jacentes et en identifiant les dynamiques sociales et les règles institutionnelles présidant à cet instrument de régulation qui influent sur ces effets.

2. MOTIVATION DU CHOIX EMPIRIQUE ET MÉTHODOLOGIE DE LA RECHERCHE

13 Dans cette partie, nous présentons l’étude de cas et les modalités de la réalisation des enquêtes de terrain.

2.1 Choix de l’étude de cas

14 L’étude de cas porte sur l’exploitation communautaire de bois certifié Forest Stewardship Council dans les zones de réserve forestière de l’État de l’Acre, au Brésil. La certification de gestion durable des forêts du standard FSC est apparue en 1993, à l’initiative d’industriels du bois, d’ONGs, et de groupes de consommateurs et de producteurs, alertés par la société civile sur la déforestation massive des forêts tropicales et sur l’urgence de mettre en place des mécanismes efficaces capables de protéger les forêts. Le standard comprend 10 principes concernant les droits d’usage et de propriété, les relations avec les communautés locales, le droit des travailleurs, les impacts environnementaux, le plan de gestion, le suivi-évaluation, la protection des forêts ayant une haute valeur de conservation et sur les plantations. Les critères et indicateurs du standard FSC Brésil pour l’exploitation des forêts naturelles ont été validés en 2002.

15 La certification et l’obtention du label requièrent l’audit annuel d’un organisme certificateur indépendant (certification par une tierce partie). La certification est payante mais ne garantit pas pour autant un premium sur le prix ; le différentiel de prix est généralement induit par la demande sur le marché pour récompenser les producteurs respectant de bonnes pratiques socio-environnementales.

16 En Amazonie brésilienne, particulièrement exposée aux problèmes de déforestation jusqu’en 2005 (superficie de déforestation moyenne annuelle de 2 et 2,5 millions d'hectares avant 2005), les projets de certification de l'exploitation durable des forêts se sont développés dès le milieu des années 1990. En 2012, la surface totale certifiée représentait au Brésil 7 381 598 hectares, dont plus de 40 % situés en Amazonie (Forest Stewardship Council, 2013). Les certificats sont essentiellement détenus par des grandes entreprises privées, sous l'impulsion du World Wildlife Fund (WWF) qui a introduit au Brésil la certification FSC (Drigo, Piketty et Abramovay, 2009). Cependant, on compte également un certain nombre de projets de certification communautaire liés à des initiatives d’organismes gouvernementaux ou à des ONGs, et qui bénéficient des soutiens publics. L’État de l’Acre, situé au sud-ouest de l’Amazonie, connaît plusieurs expériences de ce type depuis 2005 (Drigo, Piketty et Abramovay, 2009). Ceci a motivé le choix de notre zone d’étude.

2.2 Méthode

17 La zone d’étude recouvre un ensemble de communautés reconnues au travers de différents statuts juridiques de propriétés forestières que sont les PAE (Projetos de Assentamento Agroextrativistas) et les RESEX (Reservas Extrativistas) (figure 1).

18 Le choix des communautés et le nombre d’enquêtes réalisées par communauté ont été raisonnés en fonction de leur participation, ou non, à la certification FSC et de la date de l’adoption du standard. Trois guides d’entretiens différents ont été élaborés pour les producteurs déjà certifiés, les producteurs en voie de certification et les producteurs non certifiés, soit parce qu’ils l’ont abandonnée, soit parce qu’ils n’y ont jamais adhéré. La base du contenu de ces guides d’entretien porte sur : (i) l’identification de l’exploitant et de son exploitation, (ii) la représentation ou la participation à la vie communautaire, (iii) les changements et les résultats économiques de l’exploitation, (iv) les modalités de commercialisation, (v) les changements sociaux, (vi) la perception de la certification.

19 Dans chaque communauté, les personnes enquêtées ont été choisies de manière raisonnée, comprenant au minimum le président de l’association communautaire, dans les communautés certifiées, le coordinateur local gérant le plan de gestion forestière (afin de capter les contraintes techniques de l’activité), ainsi qu’un ou plusieurs exploitants choisis au hasard dans l’association. Dans notre échantillon, nous avons également choisis 7 producteurs individuels qui réalisent l’exploitation de bois mais sont sortis de l’association certifiée FSC ou dont l’exploitation n’a jamais été certifiée, et 7 producteurs (20 %) qui n’ont pas d’activité d’exploitation du bois. La communauté de ces derniers n’a pas encore pris de décision quant à l’éventualité de mettre en place cette activité. Concernant les autres activités, cette communauté ressemble fortement aux autres communautés de l’échantillon.

Figure 1

Document de la coopérative de vente de bois Cooperfloresta figurant la localisation des plans de gestion forestière communautaire de l’État de l’Acre

figure im1

Document de la coopérative de vente de bois Cooperfloresta figurant la localisation des plans de gestion forestière communautaire de l’État de l’Acre

Cooperfloresta (2011).

20 Au total, 37 entretiens semi-directifs en face à face avec des exploitants ont été réalisés entre août 2012 et janvier 2013 (tableau 1).

21 Les différences intracommunautaires de taille d’exploitation sont homogènes entre associations : la moyenne de taille d’exploitation enquêtée est de 347 hectares, avec des tailles variant entre 90 à 800 hectares de forêts par famille. Les surfaces de forêt comprises dans le plan de gestion durable forestière (unité de plans de gestion forestière, UPGF) est de 170 hectares en moyenne pour chaque famille concernée (variant de 50 à 400 hectares), dont 12,5 ha exploités dans le plan opérationnel annuel (POA) (variant de 10 à 30 hectares) [6].

Tableau 1

Nombre de personnes enquêtées, en fonction du niveau de certification des communautés choisies

Nom des PAE ou
RESEX
Communautés Certficiation FSC Nombre d’enquêtés
PAE Chico Mendes AMPPAE-CM Certifiée en 2002. 6
PAE Porto Dias ASPD Certifiée en 2002 3
PAE Equador ASPPAAE-SE Certifiée en 2005 3
PAE Chico Mendes Fé em Deus En voie de certification 5
RESEX Chico Mendes AMOPREX En voie de certification 6
PAE Porto Dias Unidos pela Paz (antes ASPD) Abandon de la certification 3
PAE Porto Dias Unidos pela Paz Exploitation de bois sans certification 4
RESEX Chico Mendes AMOPREBE Pas d’exploitation du bois 7
TOTAL 37
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Nombre de personnes enquêtées, en fonction du niveau de certification des communautés choisies

22 Les entretiens ont été complétés par une analyse documentaire (publications d’ONGs travaillant localement (Imaflora, WWF, …), ainsi que des documents issus de Cooperfloreta, coopérative fondée en 2007 qui gère l’ensemble des plans de gestion forestière communautaire de l’Acre).

3. RÉSULTATS D’UNE ÉVALUATION INTÉGRÉE SUR LES EFFETS DU DISPOSITIF DE CERTIFICATION FSC

23 Dans cette partie, nous présentons les résultats issus de l’évaluation intégrée proposée pour mieux appréhender les effets de la certification forestière communautaire. Nous apportons des éléments sur les dynamiques sociales et institutionnelles préexistantes et les logiques sous-jacentes à l’adoption du standard, puis nous énonçons les effets socio-économiques de cette adoption.

3.1 Des dynamiques locales de protection de la forêt visant à endiguer l’expansion de l’élevage

24 Depuis les premières migrations à la fin du XIXe siècle, l’activité économique de cette zone était traditionnellement tournée autour de l’extraction du caoutchouc et de la collecte de la noix du Brésil. Aujourd’hui, la noix du Brésil génère toujours une activité et des revenus non négligeables pour les populations locales. En revanche, le caoutchouc subsiste de manière relativement marginale. La surproduction de latex des pays asiatiques, au début des années 1970, a provoqué la chute du prix international du caoutchouc et a affecté fortement la région. À cette même époque, de nombreux exploitants agricoles (fazendeiros) du Sud du Brésil sont venus acheter des terres et développer des systèmes d’élevage bovin. Ces nouveaux arrivants ont alors convertis les forêts en pâturage (Toni, 2003). Ces migrations ont été soutenues par le régime militaire dictatorial en place (1964-1985), au travers d’avantages fiscaux et de subventions. Le développement de cette activité lucrative a fini par impulser l’activité d’élevage également chez les nouvelles générations des communautés locales (Drigo et al., 2009 ; Toni, 2003).

25 Face à la forte déforestation liée à l’élevage et aux autres activités agricoles, et en réponse au retentissement international du mouvement contre l’accaparement des terres dans la forêt amazonienne – mené, entre autres, par Chico Mendes dans les années 1980 –, l’État brésilien finit par créer, dans les années 1990, des statuts juridiques (PAE, ou RESEX) pour la protection des communautés agro-extractivistes [7] sur les terres que ces dernières occupent traditionnellement (Brown et Rosendo, 2000 ; Keck, 1995). Selon ces nouveaux statuts, les terres continuent d’appartenir au gouvernement fédéral et le droit d’utilisation passe par un contrat d’usage réel avec l’association locale qui détient le plan communautaire d’utilisation de la forêt. Ces contrats de concession allouent une surface de forêt par famille de 300 hectares en moyenne (calculée de manière à ce qu’elle recouvre environ 3 pistes d’extraction du caoutchouc). Concernant l’usage de ces terres, la législation publique définissant les plans d’utilisation dans les PAE et RESEX est relativement stricte, limitant la déforestation à 10 % de cette surface pour les activités agricoles (à raison d’un hectare par an).

26 Ces concessions agro-extractivistes traditionnellement tournées vers la noix du Brésil et le latex n’apparaissaient pas viables économiquement sans le recours à l’exploitation du bois d’œuvre (Benatti, McGrath et Oliveira, 2003), jusqu’alors absent de ces communautés. Les faibles revenus ont justifié la promotion d’une nouvelle activité d’exploitation forestière sur les 90 % de réserve légale, par l’appui des ONGs présentes localement (WWF-Brazil, CTA) [8]. Les nouvelles unités de plans de gestion forestière définies entre le gouvernement, les ONGs et les communautés comprenaient 100 hectares par familles (même si elles auraient pu intégrer en fait la totalité de la réserve forestière), avec un plan opérationnel annuel d’extraction de 10 hectares. En fonction de la règlementation alors en vigueur sur le temps de renouvellement de la forêt fixé à 10 ans, les familles étaient en mesure de maintenir chaque année une activité d’extraction de bois [9]. Pour stimuler l’adoption communautaire de cette nouvelle activité, les ONGs locales et les leaders des communautés ont encouragé la mise en place du standard international FSC dès 2001. Nos enquêtes montrent effectivement que dans 83 % des cas, les producteurs ont commencé à extraire et à vendre du bois seulement au moment de l’adoption de la certification. Le standard qui s’applique alors est le même que celui des entreprises. Ce n’est qu’à partir de 2007 qu’un certificat pour les communautés a commencé à être élaboré, et, dans le même temps, qu’une coopérative visant à assister les plans de gestion forestière communautaire a été créée, Cooperfloresta. Pour les exploitants qui n’ont pas adopté la certification, l’activité d’extraction du bois est sous-traitée à des entreprises locales pour lesquelles les exploitants vendent leur bois sur pied pour un prix à l’hectare (indépendamment du nombre de mètres cubes extraits).

27 La certification de l’exploitation durable des ressources forestières tend finalement à se surimposer aux règles publiques de gestion durable, lesquelles existent depuis de nombreuses années au Brésil, mais sont jugées inefficaces (Piketty, Souza et Drigo, 2008). En 2012, quatre projets de gestion communautaire sont certifiés dans l’État de l’Acre (dont les associations enquêtées AMPPAE-CM, ASPPAAE-SE et ASPD) en grande partie financés par les fonds publics du gouvernement local et deux autres sont en cours (également enquêtées, Fé em Deus et AMOPREX) [10].

28 Au regard de cette évolution des dynamiques économiques, sociales et institutionnelles de la zone étudiée, il ressort que la mise en place des plans de gestion et d’exploitation de la forêt au niveau des communautés a été pensé, dans un premier temps, dans l’objectif de contenir l’expansion des activités d’élevage dans la forêt amazonienne. Ensuite, le standard FSC a été un catalyseur pour réellement initier l’activité d’exploitation forestière et de vente de bois d’œuvre. Avant la certification, cette activité non traditionnelle dans la zone étudiée faisait difficilement recette auprès des familles des communautés agro-extractivistes. Le standard FSC a donc généré des perspectives de valorisation supplémentaire pour l’activité de commercialisation du bois. Ce résultat concorde avec le constat identifié dans la littérature sur le déplacement du rôle des standards vers une rationalité plutôt marchande et créatrice de revenus (Gómez Tovar et al., 2005 ; Raynolds, 2004). Cette dynamique bénéficie également d’une croyance apparemment profonde localement : l’alternative la plus efficace pour lutter contre l’expansion du front agricole et l’exploitation forestière illégale serait la gestion forestière certifiée (Amaral, Neto et Diogo, 2005). Seule une alternative générant des revenus économiques égaux ou supérieurs aux autres activités réussirait à contenir la déforestation.

3.2 Faibles effets de la certification forestière sur les changements de logique d’exploitation

29 Lors de nos enquêtes, nous nous sommes intéressés aux motivations sous-jacentes des producteurs à adopter le standard et au changement de logique d’exploitation induit par la certification pour des exploitants traditionnellement agro-extractivistes. Nous avons exploré l’hypothèse de l’essor de la rationalité néolibérale portée par la certification au travers notamment des régimes de surveillance et de contrôle mais également de la rationalité marchande et des risques commerciaux qu’elle peut générer dans des marchés incertains. Ces changements de rationalité dans la mise en place des standards de durabilité peuvent influencer structurellement les effets observés empiriquement que nous décrirons par la suite, les formes de relations liant les activités économiques et l’environnement naturel, ainsi que le processus de diffusion de la certification privée.

30 D’après les résultats de nos enquêtes, lorsque nous comparons les producteurs ayant, ou non, une activité d’exploitation du bois certifié, tous continuent de satisfaire la plupart de leurs besoins alimentaires : dans les deux groupes, 80 % des personnes enquêtées affirment que leur production propre couvre leur autoconsommation familiale, 20 % disent que cette dernière n’est pas suffisante pour leur famille et qu’ils doivent encore acheter du riz, des haricots et de la farine. La nouvelle activité ne semble pas générer une disparition des activités de subsistance des ménages ni une ultraspécialisation vers une activité commerciale à haute valeur ajoutée, comme observé dans certaines études de cas (Lemeilleur et Carimentrand, 2014 ; Carimentrand et Ballet, 2008).

31 Les contrats écrits pour la certification et la vente de bois ne semblent pas non plus générer de nouvelles rationalités chez les exploitants. La collecte traditionnelle de noix du Brésil a longtemps été écoulée au travers de contrats via une autre coopérative, Cooperacre. Le fonctionnement contractuel avec la coopérative Cooperfloresta est donc bien accepté. De plus, l’introduction de la certification et le régime de surveillance qu’elle induit (enregistrement des pratiques, contrôle et rapport de traçabilité) ne semblent pas être appréhendés par les exploitants comme un facteur de difficultés ou de contraintes particulières, selon leurs déclarations. Ils sont accompagnés pour cela par les techniciens de la coopérative. Quelques-uns contestent, toutefois, la pertinence de certains critères du standard – comme la protection d’espèces endémiques, perçue comme une interdiction de chasser, ou l’interdiction de bruler les déchets alors que ceux-ci sont difficilement collectés – ; néanmoins, la difficulté à vérifier l’application de ces critères par les auditeurs de la certification s’avère limiter la contrainte vécue. Enfin, les enquêtes réalisées révèlent que le premier effet attendu par les producteurs de la certification est de trouver des marchés et de garantir leurs débouchés (80 % des déclarations). L’adoption de la certification FSC par les exploitants est donc avant tout dans la poursuite d’une rationalité marchande. Cependant, cette attente est quelque peu déçue pour les exploitants certifiés qui trouvent l’activité de moins en moins rentable. Le nombre de participants a d’ailleurs diminué au cours des années (Drigo et al., 2009). Nos enquêtes auprès des 3 producteurs qui ont abandonné la certification dans la communauté de Porto Dias révèlent que c’est avant tout l’absence de différentiel de prix entre la vente de bois certifié et non certifié [11] et des conflits sur la répartition collective des bénéfices qui ont été moteur de leur sortie de la certification.

32 La plus grande valorisation des ressources forestières via la certification étant difficilement atteinte, elle remet en question sa faculté à réduire les risques de déforestation.

3.3 Des effets socio-économiques encourageants, mais limités dans le temps

33 Dans ces communautés, avant l’arrivée de l’exploitation de bois au début des années 2000, 87 % des producteurs enquêtés consacraient leur activité économique à la cueillette de noix du Brésil et 65 % récoltaient également le latex. Aujourd’hui, les exploitants enquêtés certifiés FSC, indiquent avoir encore des activités de collecte importante : 91 % des producteurs certifiés ou en cours de certification, soit 23 familles, vendent leur collecte de noix du Brésil [12] (93 % pour les non certifiés, soit 14 familles) et 13 % collectent de l’açai [13] (contre 43 % des non certifiés). La rentabilité de cette collecte de petits fruits a eu tendance à augmenter ces dernières années avec la hausse de la demande. En revanche, la récolte de latex s’est fortement réduite : elle concerne 35 % des producteurs certifiés et 7 % pour des certifiés. Ceux qui poursuivent cette activité sont généralement situés aux abords de l’usine de fabrication de préservatifs qui achète encore du latex. Notons que 44 % des producteurs certifiés possèdent également un élevage bovin pour la vente de viande [14] et parfois de lait (50 % chez les producteurs non certifiés). Les exploitants déclarent également maintenir une activité agricole pour l’autoconsommation (riz, haricot, manioc, voire maïs pour les petits élevages domestiques), et 65 % des producteurs certifiés vendent ponctuellement les produits de cette activité agricole sur le marché (contre 36 % des producteurs non certifiés).

34 Hormis pour l’agriculture de subsistance qui génère plus souvent chez les producteurs certifiés une entrée d’argent ponctuelle, les résultats paraissent finalement montrer des similitudes : ceux qui ont abandonné la collecte de latex semblent l’avoir remplacé par la collecte d’açai, et dans les deux groupes près de la moitié des familles pratiquent l’élevage bovin.

35 Parmi les exploitants de bois certifiés, 59 % des enquêtés déclarent que leur revenu annuel dépend encore principalement de la noix du Brésil ; pour 25 %, leur revenu dépend désormais autant du bois que de la noix et pour 16 % leur revenu dépend autant de l’élevage que de la noix. Parmi les producteurs qui exploitent le bois sans certification (7 familles), la moitié déclare que leur revenu annuel dépend uniquement du bois (3 familles) ou du bois et de la noix (1 famille). Cette différence surprenante d’importance du bois dans les revenus pour certifiés ou non certifiés s’explique par le fait que les producteurs non certifiés exploitent 15 à 30 hectares par an contre 10 hectares pour les membres des associations certifiées. Enfin, pour le groupe qui n’exploite pas le bois, l’élevage représente, pour 42 % d’entre eux, leur revenu principal (même si les tailles d’élevage ne sont pas supérieures aux autres producteurs) et la noix du Brésil est le principal revenu pour 57 % de ces exploitants.

36 Les résultats de nos enquêtes tendent à montrer que cette nouvelle activité de vente de bois d’œuvre (certifiée ou non) permet de générer une nouvelle source de revenu non négligeable [15], et ce, avec très peu de temps de travail [16], concentré surtout en août, au moment de l’extraction du bois. Cette nouvelle activité est également compatible avec les autres activités traditionnelles (récolte des noix du Brésil de janvier à mars, récolte du riz et préparation pour la rotation de haricots en avril, récolte des haricots et préparation pour la rotation avec le riz en septembre, activités de collecte d’açai ou d’élevage réparties sur l’année). Les revenus du bois réduisent l’importance des revenus de l’élevage pour ces familles.

37 Cependant, étant donné les règles de gestion durable de la forêt qui impliquent depuis 2006 de respecter un cycle de reforestation des parcelles de 25 ans, la plupart des exploitants enquêtés (70 %) n’ont pas enregistré de surface forestière suffisante dans leur UPGF à l’heure actuelle pour maintenir cette activité dans le temps [17]. Le problème est qu’au moment de la définition des plans d’aménagement des communautés ces unités de gestion avaient été fixées à 100 hectares environ. Aujourd’hui il serait nécessaire de réviser ces unités pour enregistrer l’ensemble des réserves légales concédées aux familles (qui atteignent 347 hectares en moyenne). Des avancées pourraient être obtenues grâce à l’intervention de l’ONG dépositaire du standard qui souhaite effectivement que l’ensemble des concessions soient certifiées. Dans nos enquêtes, les exploitants ont du mal à s’exprimer sur la manière dont ils peuvent parer à la disparition de cette activité. En revanche, lorsqu’on les interroge sur les projets à venir, ces derniers déclarent envisager des investissements dans l’élevage piscicole (35 %), la plantation d’hévéa (21,5 %), l’élevage bovin (16 %) ou l’agriculture (13,5 %). L’exploitation de bois ne semble donc pas être considérée comme durable dans le temps par de nombreux exploitants. Ceci est d’autant plus vrai pour ceux qui exploitent sans certification des surfaces annuelles bien supérieures et qui épuisent ainsi d’autant plus rapidement leur surface de gestion très limitée. Il existe un effet de fuite avec un réinvestissement des bénéfices obtenus par la vente de bois, certifié ou non, dans la création d’activités plus rémunératrices et pérennes.

38 De plus, les revenus générés actuellement par cette activité ne sont pas à même de compenser le coût de la certification. Les projets de gestion forestière communautaire sont souvent dépendants de financements externes (Piketty et al. 2015). En 2005, c’était déjà le cas de projets de certification communautaire (Piketty, Souza et Drigo, 2008). Sept ans après, en 2012, la situation ne semble pas avoir été modifiée et plus de 50 % des coûts de la certification sont encore couverts par les aides du gouvernement et du fonds social de l’organisme de certification, Imaflora. Ce manque de viabilité est en grande partie lié à la difficulté d’accès au marché pour les produits certifiés. Nos enquêtes montrent qu’il n’y a pas nécessairement de différentiel de prix, qui sont relativement similaires avec ceux des produits non certifiés. Ceci s’expliquerait, notamment, du fait que la majeure partie du bois issue de la gestion communautaire en Amazonie est encore destinée au marché domestique, alors que le bois certifié des grandes entreprises privées est exporté sur le marché international. Néanmoins, un élément encourageant est la mise en fonctionnement de la Cooperfloresta. Cette coopérative bénéficie d’un pouvoir de négociation pour développer un certain nombre de marchés à l’exportation, garantir la vente de l’ensemble du bois et, surtout, faire respecter les contrats par les acheteurs : 100 % des producteurs non certifiés vendant sans la coopérative déclarent en effet avoir de sérieux problèmes dans le respect des contrats ; à l’inverse, les producteurs certifiés ne relèvent que quelques problèmes liés à la date de paiement dans le cas de la vente via Cooperfloresta.

39 Enfin, d’après nos enquêtes, le développement accru de l’activité forestière semble avoir permis une amélioration des infrastructures afin d’extraire le bois des parcelles certifiées. L’augmentation des pistes a été aussi l’occasion d’améliorer l’accès à l’éducation (mentionné par 90 % des enquêtés) et aux infrastructures de santé (mentionné par 58 % des enquêtés). Ces infrastructures de transport ont apporté un avantage indifférencié à l’ensemble des communautés, certifiées ou non.

40 L’activité d’exploitation de bois semble donc apporter quelques effets bénéfiques, même relatifs et plus ou moins durables, aux communautés locales. Les résultats suggèrent que cette activité a peut-être permis de contenir le développement de l’activité d’élevage pour les exploitants qui exercent encore cette activité. Reste à savoir dans quelle mesure cet impact se maintiendra dans le temps si les plans d’aménagement des communautés ne sont pas révisés.

3.4 La dimension environnementale des effets de la certification forestière difficilement mesurée

41 Concernant la dimension environnementale, notre travail ne comporte pas d’indicateurs de mesure d’impact sur l’environnement proprement dit. Mais par le biais des connaissances acquises dans le cadre de la certification (en moyenne, les producteurs certifiés assistent chacun à 5 jours de formation par an, contre une absence de formation pour les autres), les exploitants enquêtés revendiquent une meilleure connaissance de la forêt et des manières de la protéger : ils citent la prise de conscience de la menace des incendies, la nécessaire gestion des déchets, la protection de certaines espèces d’arbres comme le châtaigner et l’hévéa naturel, le respect de la biodiversité animale et végétale, la mise en place d’aires de protection permanente près des zones sensibles.

42 Par ailleurs, si la certification ne constitue pas un frein à la déforestation pour l’ensemble d’un territoire, elle l’est pour toutes les parties d’ores et déjà certifiées depuis 2002, formant ainsi un rempart autour d’îlots de forêt bénéficiant d’une protection forte. Les gains relatifs (la garantie de vendre l’ensemble du bois coupé) ont certainement permis de renforcer l’application de la législation publique brésilienne (jusque-là très peu respectée) qui oblige les agriculteurs ou extractivistes amazoniens à garder 80 % de leur propriété en forêts, sur lesquels il est possible de mettre en place une unité de gestion durable des essences forestières. Par le biais de la certification, les normes privées semblent, au moins momentanément, contribuer à renforcer la règlementation publique, comme le souligne Djama et al. (2011).

43 Ces résultats positifs doivent être nuancés par les effets de fuite répertoriés lors de nos enquêtes et évoqués précédemment. Il s’agit de l’investissement des gains issus de la vente de produits certifiés dans des activités plus rentables telles que l’agriculture et l’élevage, pouvant se traduire, in fine, par une augmentation de la déforestation. Ces effets ont déjà été observés, lors d’un programme mis en place par l’État de l’Acre de soutien des prix des produits forestiers non ligneux, comme le caoutchouc ou la noix du Brésil – les revenus avaient été réinvestis dans l’élevage bovin (Piketty, Souza et Drigo, 2008 ; Toni, 2003). Sans contrôle de ce type d’effets, la réduction de la déforestation peut donc être remise en cause (Piketty, Souza et Drigo, 2008). Ces effets restent néanmoins difficiles à mesurer et n’ont pas fait, dans ce travail, l’objet d’une évaluation en particulier. Parmi les investissements futurs énoncés, c’est avant tout des projets d’activité piscicole et de replantation d’hévéa qui semblent dominer dans l’ensemble des réponses des participants, plutôt que l’élevage et l’agriculture cités dans moins de 20 % des cas.

CONCLUSION

44 Sur la base de cette étude de cas, nos résultats montrent que les communautés agro-extractivistes bénéficient d’effets pouvant être perçus comme plutôt positifs depuis la diffusion de la certification FSC (revenu, accessibilité aux services sociaux et de santé par les nouvelles pistes).

45 D’un point de vue pragmatique, ces observations empiriques sur des indicateurs simples d’évaluation socio-économique semblent donc justifier la pertinence de la mise en place de ce dispositif. Cependant, l’analyse du contexte socio-institutionnel dans lequel s’inscrit notre étude, amène à des conclusions plus complexes. Nous avons noté que pour un grand nombre de producteurs, cette activité n’apparaît que comme une activité transitoire, dans la mesure où les unités de gestion durable des essences forestières seront épuisées plus rapidement que ce qui avait été calculé initialement. Des effets de fuite des bénéfices générés réalloués vers d’autres activités sont déjà constatés, ces dernières pouvant être plus ou moins préjudiciables à l’environnement et à la réduction de la déforestation. Au total, de fortes incertitudes sur la variabilité des effets de ce dispositif à plus long terme sont mises en évidence ; de nouvelles questions émergent donc quant à la pertinence de la diffusion de la certification forestière.

46 Premièrement, si la diffusion de la certification a clairement été un catalyseur du développement de l’activité d’exploitation forestière dans les communautés de la zone d’étude, il semble qu’aujourd’hui le système de garantie soit devenu moins avantageux que la simple exploitation des unités de gestion durable des essences forestières sans certification (moins de contrainte sur les POA, taux d’extraction élevé permettant une négociation intéressante de prix à l’hectare). Dans la mesure où nos résultats montrent avant tout une rationalité marchande dans le choix du processus de certification, nous nous interrogeons sur la persistance des pratiques liées à la certification chez les producteurs dès lors que leur quota de surface d’exploitation de bois sera atteint (et dans la possibilité où il ne soit pas révisé) [18]. Or, en théorie, les producteurs, même s’ils n’extraient plus de bois de leur concession pendant une période, doivent maintenir leur certification au cours du temps, afin de pouvoir reprendre une activité de vente de bois, certifié FSC ensuite. On imagine difficilement comment des producteurs qui ne généreraient pas de revenu grâce à la vente de bois pourraient maintenir ce régime de surveillance et le coût qu’il engendre (audit, certificat, temps de travail d’inventaire et de formation, …).

47 Deuxièmement, nous nous interrogeons sur la privatisation de la gestion durable de la forêt et sur le coût de mise en place de la certification qu’elle génère, difficile à couvrir par les acteurs locaux. Ainsi, la dépendance des projets de certification à l’assistance des ONGs et des bailleurs de fonds externes est depuis longtemps soulignée comme un problème sérieux pour la durabilité des projets de certification de standards de durabilité, notamment dans le cas de gestion durable de la forêt (Thornber et Markopoulos, 2000). Cette dépendance relève de difficultés à la fois en termes de capital humain pour répondre à la bureaucratie exigeante de la certification (produire des plans de gestion, des cartes, des inventaires forestiers et des contrats commerciaux) et en termes des coûts de certification. De plus, l’intérêt des ONGs n’est pas toujours de transférer ces compétences qui sont à la base même du maintien économique de ces « entreprises d’aide au développement » (Colchester, 2004).

48 Pour conclure, les résultats de notre recherche nous ont permis de mettre en évidence des incertitudes sur la variabilité des effets de la certification FSC à long terme et les questions qu’elle engendre quant à sa pertinence dans ce contexte. Ceci n’a été possible que par la mise en relief des observations empiriques (indicateurs classiques d’évaluation) par une analyse plus complexe et intégrée des logiques d’exploitation et des dynamiques sociales et institutionnelles présidant le développement de la certification FSC dans le cadre des communautés forestières de l’Acre. Si une limite de ce travail porte sur l’absence d’évaluation des effets de la certification sur la dimension environnementale du développement durable qui est recherchée dans ces dispositifs de certification (c’est-à-dire sur une maîtrise effective de la dynamique de déforestation), quel que soit son résultat, nous montrons que ces effets ont peu de probabilité de se prolonger a long terme dans la mesure où les modalités de la mise en place de la certification ne permettent pas de la maintenir durablement, et que des effets de fuites contre-productifs sont d’ores et déjà observés.

Notes

  • [1]
    Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (CIRAD), UMR Marchés, organisations, institutions et stratégies d’acteurs (MOISA), Montpellier. sylvaine.lemeilleur@cirad.fr
  • [2]
    Université Fédérale de Acre, Rio Branco, Acre, Brésil. aquinoaraujo@hotmail.com
  • [3]
    Nexus Socioambiental Ltda, São Paulo, Brésil. isabel.drigo@gmail.com
  • [4]
    CIRAD, UR Gestion des ressources renouvelables et environnement (GREEN), Montpellier. marie-gabrielle.piketty@cirad.fr
  • [5]
    Ce travail de recherche a été réalisé dans le cadre de l’ANR PRIGOUE qui questionne la privatisation de la gouvernance globale de l'environnement.
  • [6]
    D’après des chiffres plus globaux sur l’ensemble de la zone étudiée, il semble que la taille moyenne de surface de gestion durable de la forêt déclarée par les familles enquêtées serait plutôt faible. Ceci peut s’expliquer pour deux raisons : soit ces surfaces ont été redécoupées de manière informelle à l’intérieur des familles (ceci n’étant pas autorisé légalement), soit notre échantillon aléatoire est trop petit pour avoir une bonne représentativité de l’ensemble des exploitants forestiers de la zone.
  • [7]
    C’est-à-dire, ayant des activités de prélèvement de produits animaux ou végétaux non cultivés et destinés à la commercialisation.
  • [8]
    Les projets de gestion communautaires de la forêt ont commencé en 1996 avec le soutien de WWF-Brazil et le Centro dos Trabalhadores da Amazonia (CTA), mais seuls 8 membres se sont enregistrés dans les projets et bénéficiaient des revenus de l’extraction de bois.
  • [9]
    Par la suite, cette définition des UPGF, qui n’a jamais été revue, a posé un problème. En effet, en 2006, la réglementation sur le renouvellement des parcelles forestières est passée de 10 à 25 ans. Les 100 hectares alloués par famille sont donc devenus plus qu’insuffisants pour maintenir cette activité annuellement.
  • [10]
    Cependant, depuis nos enquêtes, les audits de 2013 ont révélé de nombreuses non-conformités et deux des communautés ont perdu le certificat (AMPPAE-CM, ASPPAAE-SE). Les deux communautés en voie de certification ne l’ont pas non plus obtenu en 2013.
  • [11]
    Depuis 2010, les ménages certifiés enquêtés déclarent extraire en moyenne 6 m3 de bois par hectare sur environ 10 hectares, vendu en moyenne à 60 Reais/m3 (1 euro = 2,7 Reais en 2012/2013), générant un revenu moyen de 360 Reais/ha. Les producteurs non certifiés vendent leur bois sur pied et négocient un prix à l’hectare plutôt qu’au mètre cube à environ 400 Reais/ha, mais le taux d’extraction par les entreprises qui achètent et réalisent elles-mêmes les coupes est supérieur à 6 m3.
  • [12]
    Chaque ménage récolte 200 paniers en moyenne (1 panier = 20 litres) par an, vendus en moyenne à 23 Reais /panier.
  • [13]
    Petite baie comestible recherchée pour sa saveur et ses propriétés médicinales. Chaque ménage peut récolter de 150 à 500 kg de baies par an, vendues en moyenne à 1,2 Reais/kg.
  • [14]
    Les élevages comptent de 5 à 90 têtes (34 en moyenne) et les producteurs déclarent vendre autour de 6 têtes par an à 460 Reais/ tête en moyenne.
  • [15]
    De manière très approximative, nous avons calculé que la vente de bois générerait autour de 25 % à 30 % en moyenne du revenu financier agricole pour les familles étant dans le processus de certification, et près de 50 % pour ceux qui n’ont pas la certification et qui vendent aujourd’hui plus de volume par an.
  • [16]
    D’après nos enquêtes sur les itinéraires techniques, nous avons relevé 11 jours par an de travail pour les exploitants non certifiés et environ 25 jours pour les exploitants certifiés (dont 13 jours pour les réunions et les formations liées à la certification et 1 jour pour l’audit annuel).
  • [17]
    Actuellement, parmi les producteurs enquêtés exploitant le bois de leur forêt, la surface destinée à cette activité enregistrée dans leur UPGF est d’en moyenne 169 hectares (mais 100 hectares ou moins pour 60 % des exploitants). Cette situation implique de n’exploiter annuellement qu’environ 6,75 hectares en moyenne de forêt pour pouvoir maintenir cette activité durablement, compte tenu du temps de renouvellement légal de 25 ans (moins de 4 hectares annuels pour 60 % des plus petits exploitants).
  • [18]
    Cette question se pose d’autant plus à long terme dans la mesure où certaines surfaces semblent de facto divisées entre les enfants des exploitants (même si ceci n’est pas autorisé par les contrats de concession).
Français

Nous analysons les effets de la certification Forest Stewardship Council sur les communautés forestières au Brésil, en tenant compte des dynamiques sociales et institutionnelles préexistantes. Nos enquêtes montrent que l’adoption de la certification forestière par les petits exploitants peut apparaître plutôt rentable à court terme. Cependant, une mauvaise articulation entre cette régulation privée et les institutions publiques existantes rend ce dispositif difficilement soutenable à long terme.

Mots-clés

  • évaluation d’impact
  • approche institutionnelle
  • certification forestière
  • communautés
  • Amazonie
  • Brésil

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Sylvaine Lemeilleur [1]
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    Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (CIRAD), UMR Marchés, organisations, institutions et stratégies d’acteurs (MOISA), Montpellier. sylvaine.lemeilleur@cirad.fr
Evandro Araujo de Aquino [2]
Isabel Garcia Drigo [3]
Marie-Gabrielle Piketty [4]
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Mis en ligne sur Cairn.info le 01/04/2017
https://doi.org/10.3917/med.177.0101
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