CAIRN.INFO : Matières à réflexion

1 La pénétration dans les rouages de l'économie légale de profits issus d'activités illicites répond principalement à la nécessité de blanchir les actifs financiers des délinquants qui parviennent ainsi à un niveau recherché de légitimité économique et de reconnaissance sociale. L'ampleur, de même que l'impact global ou sectoriel, des quantités d'argent sale sur les appareils de production et de consommation nationaux soulèvent cependant plusieurs problèmes essentiels.

2Tout d'abord la rentabilité élevée des activités dites hors-la-loi constitue un des facteurs majeurs d'apparition et de diversification des sources d'illégalité financière au sein même des structures économiques officielles. Au niveau microéconomique des filières du trafic des stupéfiants par exemple, et ce malgré les variations conjoncturelles du prix des drogues naturelles en Europe et aux USA, les marges unitaires de profitabilité demeurent supérieures à celles de n'importe quelle marchandise licite (Grimal, 2000). Sur un plan macroéconomique, l'impossibilité pratique d'évaluer le montant global des revenus nets issus de l'économie criminelle conduit à exagérer les besoins réels en matière de blanchiment. Des chiffres sont certes diffusés auprès de l'opinion publique, mais leur fiabilité controversée résulte avant tout de la robustesse aléatoire des données collectées (objet clandestin) et de l'emploi récurrent de méthodologies pas toujours validées scientifiquement. C'est ainsi qu'on a pu remarquer que la surévaluation systématique des sommes susceptibles d'être potentiellement blanchies participait à la propagation du mythe de la "grande menace criminelle" dans certaines sociétés (Cartier-Bresson, Josselin, Manacorda, 2001).

3L'économie florissante des organisations mafieuses serait, en outre, difficilement dissociable du mouvement de libéralisation et de dérégulation des structures de la production et de la finance internationale qui affecte aujourd'hui la plupart des nations de la planète : déréglementation de secteurs entiers d'activité, déclin de l'interventionnisme d'État, réduction du domaine de compétence des politiques sociales, retour en force des mécanismes de régulation via le marché… ont puissamment contribué à estomper la frontière, déjà fort poreuse, entre la légalité et l'illégalité (Maillard, 2004). L'externalisation tendancielle du recyclage des fonds suspects - c'est-à-dire le processus composé des instruments et des techniques de blanchiment agissant à l'extérieur du domaine spécifique de création des richesses générées par la transgression des lois existantes - met également en relief le rôle des agents blanchisseurs dans l'économie légale, ce qui compense relativement le pouvoir actuel des milieux criminels stricto sensu. D'autres changements surviennent enfin, dépassant la permanente amélioration quantitative et qualitative des techniques de dissimulation que reflète, il est vrai de manière conceptuellement insuffisante, la traditionnelle division ternaire des étapes du blanchiment (placement, empilage, intégration) reprise à satiété par la littérature thématique. Grâce à une intégration croissante aux structures légales de financement et de production du capitalisme mondial, les stratégies contemporaines de recyclage démontrent une réelle efficacité qui s'explique en partie par la structuration des circuits financiers sous la forme de réseau clandestin (Broyer, 2000b). Des travaux sur le thème, il ressort plus particulièrement trois mutations majeures qui renvoient tant au déroulement concret des opérations de blanchiment (techniques et ressources) qu'à leur signification intrinsèque d'un point de vue économique (les finalités des formes de blanchir) :

  • L'existence d'espaces financiers (centres ou places offshore) aux garanties attractives de confidentialité pour les capitaux déposés à l'intérieur de ces territoires "accueillants" traduit un premier changement fondamental susceptible d'optimiser les différents modes opératoires de dissimulation et de légitimation des capitaux suspects (Godefroy, Lascoumes, 2004).
  • La deuxième transformation en cours est liée au remplacement partiel des anciens circuits de blanchiment par des réseaux internationaux de placement et d'investissement d'actifs illégitimes s'adaptant aux contraintes dérivées du processus de globalisation financière. Leur polyvalence fonctionnelle (absorption et traitement sans discrimination des rentes formées dans l'illégalité) constitue un avantage comparatif décisif par rapport aux autres types connus de criminalité économique et financière : entreprises à vocation criminelle, marchés spécifiques ou gris de la corruption, sociétés de financement frauduleuses, circuits de détournement de fonds publics (SCPC, 2000)…
  • Dernière évolution mais non des moindres : l'émergence d'intermédiaires spécialisés en insertion de l'argent sale (personnes morales ou individus) correspond aujourd'hui à une troisième mutation en concomitance avec la complexité croissante de la finance mondiale.

4Au niveau méthodologique, on privilégiera une grille d'analyse d'essence comparative centrée sur les critères généraux suivants : la comparaison des tendances actuelles du blanchiment avec celles issues des expériences du passé a pour objectif de faire ressortir, en premier lieu, les analogies et les différences les plus représentatives. Les évolutions du capitalisme actuel conduisent, en second lieu, à s'interroger sur le degré d'autonomie des processus de blanchiment au regard d'un environnement macroéconomique international instable et incertain. La synthèse des analyses concernant le recyclage des actifs illégaux permettra finalement d'atteindre une meilleure connaissance ainsi qu'une compréhension renouvelée des caractéristiques de l'économie du blanchiment en période de mondialisation.

1. L'ÉMERGENCE DES CENTRES FINANCIERS DANS L'ÉCONOMIE MONDIALE

5D'un point de vue historique, il a toujours existé des espaces permissifs (îles des pirates, comptoirs coloniaux, ports francs… ) où l'occultation des richesses obtenues de manière peu avouable reflétait la présence d'un modus vivendi séculaire : "...(Les pirates du 17ème siècle) emportaient leurs prises dans leurs repaires qui, ironie de l'histoire, étaient souvent situés sur les îles de la mer des Caraïbes, lesquelles sont à présent devenues des paradis réglementaires très recherchés par les blanchisseurs. Les butins se composaient souvent d'espèces, d'or et de pierres précieuses et ce, pour des montants très importants ; de ce fait, les richesses des pirates suscitaient les convoitises de certaines places financières… " (Broyer, 2000b, 14). Beaucoup plus récemment, après que la mafia américaine eût été expulsée de Cuba au moment de l'arrivée au pouvoir de Fidel Castro, Meyer-Lansky, gangster historique de la Cosa Nostra (Cohen, 2000 ; Robinson, 1995), fut également un des premiers à recourir aux Bahamas comme lieu privilégié de blanchiment.

6Un trait essentiel de l'histoire du blanchiment international semble donc être le fameux "mélange des genres" si abondamment illustré tout au long de la seconde moitié du 20ème siècle : l'expulsion de Cosa Nostra de Cuba, la spécialisation des Caraïbes dans l'évasion fiscale, la création du marché des eurodollars dès les années 1960, l'insertion des pétrodollars depuis 1973, les affaires secrètes de certains États (trafic d'armes, soutien financier de régimes amis, flux de la corruption, emprunts internationaux, etc.) n'ont fait que stimuler l'expansion d'une économie offshore d'autant plus florissante que largement tolérée par la finance internationale (Chavagneux, 1999). Malgré cette convergence historique, la situation présente diffère toutefois des situations passées : la multiplication des centres ou places offshorePos) [1], ainsi que le volume des capitaux y circulant n'ont cessé de croître depuis les années soixante. Les dépôts bancaires enregistrés à Guernesey, par exemple, doublent entre 1970 et 1975, tandis que ceux de Jersey sont multipliés par 100 entre 1970 et 1990. De moins de 500 millions de livres inscrits au passif des banques offshore au début de 1970, Jersey est rapidement passée à 45 milliards de livres en 1990 (Godefroy, Lascoumes, 2004). L'usage croissant de territoires extraterritoriaux correspond d'ailleurs au passage d'une spécialisation initiale presque exclusivement centrée sur l'évasion fiscale à une fonction plus diversifiée de protection des profits licites ou non des acteurs économiques publics et privés du monde entier. Il s'agit, par conséquent, d'une transformation fondamentale puisque les lieux offshore ont élargi de façon constante, pendant toute la seconde moitié du 20ème siècle, leur offre de services financiers [2], laquelle ne concernait au départ que les seuls revenus et patrimoines imposés par les fiscalités nationales. Ils sont ainsi capables de satisfaire les besoins de confidentialité et de rentabilité des capitaux d'une clientèle diversifiée dont la richesse peut aussi bien provenir de l'économie légitime (délits économiques et financiers) que d'activités criminelles : prostitution, drogues, banditismes, trafics d'armes et d'êtres humains, etc.

1.1 Places offshore et finance criminelle : une histoire ambiguë

7La finalité primordiale des places offshore étant fondamentalement la préservation de l'identité des ayants droit économiques et des bénéficiaires réels, la question se pose de savoir si cette spécificité pourrait faire de ces territoires des lieux privilégiés susceptibles d'occulter les actifs financiers de la criminalité organisée : il est probable que l'expansion historique des Pos se soit accompagnée parallèlement d'un afflux régulier de capitaux suspects ayant un lien de moins en moins ténu avec la gestion exclusive de grandes fortunes en délicatesse avec les régimes fiscaux beaucoup plus sévères de leurs pays d'origine (Europe, États-Unis).

8Or une certaine porosité vis-à-vis des recettes de l'illégalité [3] ne signifie pas une causalité avérée, c'est-à-dire une dépendance étroite par rapport à des fonds de nature criminelle. L'extension des Pos a parfois pu être induite par une criante absence de perspectives locales quant aux possibilités réelles de développement économique alternatif. À l'instar de Nauru, île de l'Océan Pacifique, les vicissitudes historiques (colonialisme, exploitation outrancière du phosphate, proximité de l'Australie… ), ainsi qu'un territoire restreint (40 km2) peu peuplé, ne lui ont laissé de facto qu'une marge réduite de manœuvre pour se développer.

9D'où l'hypothèse selon laquelle la dimension occulte des Pos serait fonction du montant variable de l'aide internationale allouée qui s'efforcerait avant tout de pallier la carence préexistante de ressources nationales de tous ordres [4]. En d'autres termes : sans rentes exploitables, le financement du développement de pays dénués d'une dotation de facteurs avantageux sur le marché mondial devient trop problématique, la solution atypique ou dite "de rechange" consisterait alors à se spécialiser dans le recyclage de fonds douteux [5].

10Jusqu'à présent non vérifiée statistiquement (clandestinité de l'objet observé), cette hypothèse séduisante simplifie en revanche à l'extrême le débat sur les conditions de l'émergence des places offshore. Créer une activité d'intermédiation financière de rayonnement international présuppose tout d'abord la disponibilité d'une offre attractive de services comportant plusieurs avantages comparatifs qui les différencient de façon compétitive des autres places financières offshore et onshore [6]. Car l'organisation de l'opacité des transactions représente en fait un processus complexe, contradictoire, ne se réduisant nullement à une "simple" absorption massive de capitaux, délictueux ou non. Un exemple de contradiction interne ? Les transformations contemporaines de la finance mondiale (suppression du contrôle des changes, libre circulation des capitaux, déréglementation des affaires économiques et financières, banalisation des paiements électroniques… ) s'opposent depuis le début au contenu intrinsèque des instruments utilisés à l'intérieur de ces espaces extra-territoriaux : davantage que le seul secret bancaire, tous les dispositifs fiscaux, économiques et juridiques favorables à l'anonymat des demandeurs d'opacité [7] peuvent être également interprétés comme des voies privilégiées, des vecteurs transitoires assurant un accès libre à des marchés et à des institutions dont la légitimité s'avère être en dernière instance la qualité la plus recherchée.

11Envisager ensuite les Pos sous la forme d'isolats au fonctionnement quasi-autarcique est loin d'être pertinent, d'un point de vue analytique, dans la mesure où leur efficacité - qu'elles soient "exotiques" ou situées dans les nations développées -, résulte de toutes les façons d'une association étroite avec des agents économiques légitimes (publics ou privés). Qu'ils soient complices, complaisants voire même hypocrites, les pays les plus riches du monde en possèdent d'ailleurs plusieurs répondant aux critères formels d'une définition canonique : Autriche, France, Grande-Bretagne, Suisse, USA… Ces pays apprécient en vérité aussi bien l'existence que la proximité géographique de "territoires non-coopératifs" même s'ils sont prompts à condamner en apparence leurs agissements les plus répréhensibles. Le rôle ambigu de la France vis-à-vis de Monaco, État plusieurs fois incriminé comme un des espaces majeurs de blanchiment en Europe, illustre l'importance économique d'une real politik qui satisfait concrètement les intérêts respectifs des deux pays [8]. Enfin, l'exotisme anecdotique d'une Pos ne suffit pas pour l'inclure ou l'exclure de la liste établie à échéance régulière par les organismes nationaux et internationaux responsables de la lutte anti-blanchiment (Moulette, 2001). Selon les époques, la multiplication des opportunités conjoncturelles de captation de rentes (légales ou non) conditionne le jeu politique de création de normes nationales et internationales de contrôle des transactions financières ( cf. infra).

1.1.1 L'incidence de l'environnement extérieur sur le blanchiment

12Nous avons vu précédemment que les évolutions récentes de l'environnement économique international ont eu une part de responsabilité dans la montée en puissance des Pos. En ce qui concerne le blanchiment, le processus de mondialisation renforce en outre la convergence des modes opératoires créateurs d'opacité vers les espaces offshore. Par exemple, les différents montages financiers conçus pour recycler les recettes de la drogue (Grimal, 2000 ; Grosse, 2001) comportent la plupart du temps, en plus de l'internationalisation des stratégies de dissimulation, de la diversification technique des investissements financiers, de l'informatisation des procédés de protection, etc., un passage quasi-obligé, que ce soit au début ou même à la fin des circuits de l'argent à blanchir, par un ou plusieurs Pos[9]. La présence de sociétés commerciales (sous de multiples formes : coquilles, écran, International Business Company) et de banques sous-réglementées n'est d'ailleurs pas sans gêner l'action des organismes chargés de détecter les éventuelles anomalies liées aux opérations de transfert et de placement de l'économie offshore. Il s'avère difficile de cartographier ( follow the money) les itinéraires erratiques de capitaux que l'on présume douteux dès lors que leur libre circulation au niveau mondial constitue un des principes sous-jacents fondateurs de la globalisation contemporaine, sans insister outre mesure sur l'épineux problème de l'identification des propriétaires des actifs et des patrimoines (individus, entreprises financières ou non) lorsqu'ils s'abritent derrière le statut de non-résident en vigueur dans la plupart des Pos.

13Au-delà des conventions internationales prônant officiellement la nécessaire collaboration des autorités administratives et judiciaires de chaque pays, la lutte contre le blanchiment demeure encore circonscrite à la seule compétence de l'État, laquelle se heurte à la transnationalisation des opérations de capital et de trésorerie des opérateurs. Ce mouvement incessant hors des frontières de la domiciliation physique des activités économiques et financières a pour conséquence la dépénalisation des ressources obtenues au départ sur la base d'infractions et de crimes commis dans le cadre des législations nationales. Enfin l'intégration du capital blanchi à l'intérieur du système économique mondial se banaliserait, au risque de devenir un jour de plus en plus fonctionnelle, voire même indispensable au maintien d'une relative stabilité financière et sociale (Broyer, 2000b). À l’avenir, la division internationale du travail de blanchiment existant entre les places offshore et onshore n'aura peut-être plus de raison d'être dès lors que l'intensité de la globalisation mènera à son terme la déréglementation généralisée de l'économie [10].

1.1.2 Les facteurs explicatifs de la prééminence des places financières offshore

14Les raisons historiques ( cf. supra) de leur usage sont liées tout d'abord à des rentes non officielles dont le volume sous forme de monnaie fiduciaire et scripturale pose un sérieux problème d'absorption dès qu'il s'agit de les dissimuler à l'intérieur de structures économiques légales. Bien que différent par nature de l'afflux des revenus pétroliers, le blanchiment des capitaux peut être assimilé à une augmentation des masses financières clandestines en circulation, laquelle expliquerait en partie l'attractivité des territoires habiles à déjouer la curiosité des autorités policières et judiciaires. L'élargissement de l'offre d'opacité des Pos repose, en réalité, tant sur l'innovation que sur la diversification permanentes des services déjà disponibles - bourses diverses, fonds de pension, marchés de dérivés… - viennent ainsi s'agréger régulièrement à la liste déjà longue des techniques et des procédures facilitant l'occultation de pratiques délictueuses induites par la mondialisation (Naylor, 2002).

15D'autres explications d'ordre économique peuvent être ensuite avancées qui soulignent plus particulièrement certains avantages, en termes de concurrence internationale, de disposer d'outils et de véhicules juridiques bon marché lors de l'élaboration de montages financiers hétérodoxes : les Pos supporteraient des coûts de transaction moindres que ceux des territoires onshore, dans la mesure où ceux-ci fixent un prix supérieur aux services proposés tout en garantissant un seuil minimal de confidentialité. Les barrières à l'entrée des Pos sont, en effet, faibles, voire inexistantes, pour une double raison (Duhamel, 2002) : les droits d'enregistrement se révèlent moins onéreux si on les compare aux tarifs pratiqués par les intermédiaires financiers (banques, bureaux de change, cabinets de conseil) opérant dans les zones économiques légales [11]. La corruption ne serait peut-être pas aussi diffuse qu'ailleurs lorsque les barèmes affichés et les conditions d'entrée sont en principe les mêmes pour tous.

16Grâce à la liberté d'action laissée aux opérateurs publics et privés accueillis, les Pos exercent, en outre, une forme de concurrence déloyale, quand bien même indirecte, par rapport à des espaces économiquement contrôlés au travers d'une régulation administrative et judiciaire ne permettant qu'un accès restreint aux mêmes avantages et aménités de fonctionnement. La sous-réglementation structurelle des activités économiques locales multiplie ainsi les options offertes aux différents clients du monde en quête d'opacité patrimoniale.

17À plus long terme, l'accentuation d'une telle tendance n'est pas exempte d'un sérieux risque : elle aurait pour inconvénient majeur de susciter l'émergence d'une concurrence financière exacerbée par une surenchère de services illusoires (Besson, 2002).

2. L'ORGANISATION MONDIALE DU BLANCHIMENT SOUS LA FORME DE RÉSEAU [12]

18La littérature assez abondante existant sur les réseaux de blanchiment favorise une meilleure connaissance de leurs stratégies. Les plus élaborées mettent en exergue une triple finalité : un fonctionnement optimum s'efforcera ainsi d'atteindre d'abord l'opacité, puis la crédibilité et enfin la respectabilité des ressources à blanchir. La nécessité de recourir à une organisation clandestine n'est pas indépendante des grands changements marquant la période actuelle.

19- Le réseau illégal au travers de ses différents modes opératoires et participants actifs s'adapte aux contraintes liées à la dynamique de la globalisation financière. - Sur le plan spatial, grâce à l'internationalisation constante de l'économie légale, les frontières du travail de dissimulation et de légitimation de l'argent dépassent maintenant la structure physique des territoires nationaux.

20- Une prise de décisions cohérentes avec les objectifs à atteindre implique un accès rapide et sûr aux informations stratégiques : le blanchiment réticulaire peut alors être défini comme une structure organisée de rétention de l'information réduite stricto sensu à son utilité opérationnelle (Castelli, 2003). À ces facteurs globaux, d'autres plus spécifiques peuvent être ajoutés qui favorisent l'emploi récurrent du réseau (de taille variable) pour recycler des capitaux douteux.

2.1 Le réseau comme réponse à la complexité croissante des opérations de blanchiment

21En tant que forme organisationnelle, un réseau international de blanchiment illustre la complexité croissante des montages monétaires et financiers mis en œuvre par les acteurs économiques opérant tant dans l'économie légitime qu'illégale (Maillard, 2004). La mondialisation des produits financiers illicites se reflète indirectement dans l'augmentation constante de la taille et de l'échelle d'intervention du réseau : dès les années 1960, les montants des recettes de l'évasion fiscale, de la prohibition d'alcools, des malversations mafieuses (casinos) ont été complétés par les gains élevés issus de filières aussi rentables que celle du trafic des drogues (Grimal, 2000). Cette inflation de liquidités sales a eu une double conséquence sur le déroulement du blanchiment : en premier lieu, les quantités élevées à blanchir ont effectivement rendu plus difficile et onéreuse la pénétration des structures économiques légales. Cette progression des masses d'argent suspect s'est accompagnée, en second lieu, d'un accroissement concomitant du volume des données nécessaires à la réalisation technico-financière des opérations de recyclage. À cette masse d'informations à gérer doit être associée la question essentielle de leur qualité intrinsèque, laquelle varie au fur et à mesure des obstacles rencontrés au cours des tentatives d'intégration financière. La complexité croissante des messages, ainsi que les codes destinés aux transferts de fonds requièrent, en effet, une spécialisation professionnelle des différents intervenants, souvent des personnes physiques ou morales de l'économie légale (experts blanchisseurs, entreprises industrielles, de services informatiques, sociétés commerciales, institutions financières diverses… ) [13]. En outre, la dépendance étroite vis-à-vis d'une multitude d'acteurs accentue les difficultés internes de communication d'un grand réseau de blanchiment. La maîtrise, de même que l'interprétation exhaustive de nombreuses informations utiles, justifie le recrutement de spécialistes du secteur légal (public, privé) aux compétences très prisées. À la différence de la qualification professionnelle "rustique" des premiers blanchisseurs nouant des relations incestueuses avec le milieu du crime, le profil standard du recruté privilégie plutôt un itinéraire professionnel réalisé dans sa totalité au sein des affaires légales, éloignées de tout environnement délictuel compromettant (Naylor, 2002). Le moindre contact avec une quelconque forme de criminalité constituerait alors un stigmate social rédhibitoire qui fermerait définitivement l'entrée dans le monde du "tout informationnel" indispensable au développement des transactions financières licites et illicites.

2.2 Une fonction informationnelle et technologique indispensable

22Au sein d'un réseau international, la technologie utilisée a pour fonction première d'optimiser tant la dissimulation que la valorisation du capital suspect à l’échelle du monde. Ce type de blanchiment organisé comprend non seulement des équipements matériels et une variété d'établissements (bancaires ou non) mais intègre aussi les dernières innovations de l'ingénierie financière (Broyer, 2000a). Au départ, les transferts de fonds illégaux ont comme vecteurs d'opérations de puissants réseaux télématiques reliés à des places offshore : "l'utilisation des réseaux informatiques pour le blanchiment de l'argent sale est dans la norme des choses ; d'une part, le blanchiment a nécessairement un caractère international, les lieux de production de la drogue étant très éloignés des régions de consommation ; d'autre part, la multiplication des sites et la mise en place de cloisonnements et de barrières protégeant le secret des mouvements de fonds sont relativement faibles ; enfin, la présence de nombreux opérateurs interposés - fournisseurs d'accès, etc., et les possibilités de déguiser les transferts en paiements commerciaux dans le cadre de supermarchés fictifs, rendent difficile de remonter les filières" (Pansier, Jez, 2000,58). Enfin les innovations juridiques permettant d'estomper la provenance et la destination des capitaux douteux ainsi que l'identité de leurs propriétaires réels existent sous la forme de procédures et de dispositifs divers visant à faciliter la formation et le fonctionnement en toute apparente légalité des réseaux de blanchiment. Car le droit mis à la disposition de l'opacité organisée participe lui aussi au travers de multiples paravents (coquilles, écrans, comptes spéciaux, représentations juridiques variées - trustees (fiducies), cabinets d'affaires -, domiciliation fiscale fictive… ) à la puissante protection des donneurs d'ordre et de leurs mandants. Ces astucieux bricolages juridiques ont pour vocation principale que les investigations policières et judiciaires n'aboutissent que rarement en freinant à dessein la coopération internationale entre les autorités concernées (Cutajar, 2000).

2.3 Les transformations endogènes du réseau

23Le fonctionnement des réseaux a subi en définitive plusieurs mutations entraînant un élargissement des tâches et des objectifs liés au blanchiment. Ces métamorphoses internes résultent dans une large mesure du dynamisme de l'environnement économique et social ; on en mentionnera ici quelques unes :

  • le mimétisme dans les techniques employées tant pour valoriser les capitaux légaux que blanchir ceux de provenance illicite ;
  • la présence croissante d'agents de l'économie légitime (blanchisseurs individuels et institutionnels) qui décident de projets d'investissement et de placement à finalité délictueuse ;
  • la flexibilité opérationnelle des réseaux de blanchiment consiste dans leur capacité à s'adapter en permanence à des durées et à des espaces variés ;
  • l'efficacité moindre de la répression sur l'organisation réticulaire dépend du recours à de multiples procédures juridiques et à la sophistication chronique des montages financiers forgeant l'anonymat des acteurs. Car s'il est vrai que des opérations rudimentaires de blanchiment subsistent encore, elles ne concernent que rarement des montants substantiels. Seules des quantités régulières et massives de sommes à blanchir se dirigent de préférence vers les grands réseaux où leurs revenus et patrimoines sont effectivement mieux protégés.

24Le fait que la plus grande partie des capitaux douteux en quête de blanchiment provienne d'activités licites tend en outre à changer la nature fondamentale des réseaux de blanchiment. La recherche de respectabilité n'est plus l'apanage des seuls criminels facilement repérés et stigmatisés par toutes les couches de la société. Des acteurs évoluant à la lisière de la légalité et de l'illégalité sont aussi demandeurs d'une légitimation de leurs patrimoines financiers, parfois acquis en dehors des modèles standards de la rationalité économique. Une telle évolution différencie historiquement les comportements par rapport à l'argent des criminels d'hier avec ceux d'aujourd'hui : auparavant la seule richesse, d'origine même suspecte, affichée de manière ostensible suffisait à intégrer la société civile sans que celle-ci ne s'interrogeât longuement sur les moyens ou les méthodes ayant permis cette belle réussite matérielle (Cohen, 2000). Il est clair, par conséquent, que la capacité des réseaux à attirer des ressources financières de provenance diverse, de même que la flexibilité des stratégies développées, dessinent une tendance marquée à la polyvalence opérationnelle. Des configurations partielles co-existent avec un modèle global de blanchiment qui offrirait en même temps des dimensions de durée, de distance géographique et d'ascension sociale à une demande d'opacité internationalement fragmentée. Quelle que soit la nature composite du capital à blanchir, l'idéal de polyvalence du réseau serait alors celui réunissant dans l'absolu l'ensemble des procédés (élémentaires, élaborés, sophistiqués).

3. LE RÔLE DES BLANCHISSEURS DANS LA MONDIALISATION.

25Le travail en temps réel conjugué au souci de ne pas être identifiés par les autorités de contrôle nationales et internationales a contraint les réseaux de blanchiment à recruter des intermédiaires spécialisés dans les domaines du droit et de la finance. L'exigence préalable d'un profil professionnel d'excellence n'est sans doute pas étrangère à la volonté d'éviter tout risque potentiel de découverte des circuits organisés d'investissement et de placement des revenus et des patrimoines douteux. Comme catégorie singulière d'acteurs issus souvent de l'économie légale, leur basculement (définitif ou temporaire) dans la délinquance obéit cependant à un ensemble de motivations personnelles et d'aspirations économiques et sociales [14]. Le recrutement d'experts en montages astucieux a pour but d'exploiter au maximum les faiblesses latentes des dispositifs juridiques et policiers en favorisant l'émergence de comportements opportunistes chez les acteurs concernés de près ou de loin par la gestion financière des affaires (Besson , 2002).

3.1 Une professionnalisation croissante des intervenants

26L'analyse de plusieurs cas de blanchiment confirme d'ailleurs les tendances rapidement décrites ci-dessus. D'un point de vue économico-juridique, cela conduit à proposer une typologie des blanchisseurs "ouvreurs de porte" où l'hétérogénéité professionnelle (Mette Skipper, 2001 ; Godefroy, Lascoumes, 2004) tend à prédominer :

  • des individus exerçant une fonction générique de gérants-investisseurs liés peu ou prou au milieu du droit et de la comptabilité des affaires : avocats, conseillers fiscaux, consultants financiers, notaires, comptables, etc. ;
  • des institutions financières et monétaires (établissements bancaires ou non bancaires : bureau de changes, sociétés fiduciaires, compagnies d'assurances, etc.) qui opèrent via des réseaux répartis sur l'ensemble des places financières de la planète ;
  • des sociétés commerciales privées hébergeant des activités fictives ou réelles : sociétés écrans, sociétés fantômes, sociétés coquilles… ;
  • des structures juridiques de gestion de l'offre d'opacité utilisables par tous : trusts (fiducies), sociétés en commandite, cabinets d'affaires offshore… ;
  • des entreprises privées et publiques (construction, infrastructures de services et de transport, sociétés d'armement… ) dans le recyclage des fonds provenant ou non de la criminalité organisée.

27Ainsi, les opérateurs collectifs et individuels du blanchiment appartiennent rarement à l'univers des criminels en vue et recherchés par les forces judiciaires et policières. Ce sont donc des agents extérieurs à la sphère initiale de production des valeurs ajoutées illicites, leur connaissance fine de l'économie légale les rend particulièrement efficaces au cours des deux dernières étapes d'empilement et d'insertion des capitaux suspects. Cette efficacité des blanchisseurs découle de la conjonction d'une expérience antérieure de manipulations financières acquise dans le cadre de la légalité stricto sensu et de sa transposition ultérieure vers l'illégalité : c'est à ce moment que leurs connaissances juridiques, financières et informatiques, relationnelles… sont mobilisées dans le but de sécuriser les objectifs d'investissement fixés par les mandataires. Ils n'ont nul besoin, par conséquent, d'une période d'apprentissage pour s'adapter aux contraintes de la mondialisation tant ils sont partie prenante de ce mouvement général et peuvent d'ailleurs facilement contourner les instruments, les normes qui interdisent en théorie tout blanchiment [15]. Ces acteurs sont, en outre, appréciés parce qu'ils parviennent non seulement à protéger des actifs litigieux mais surtout à préserver l'anonymat des propriétaires réels [16]. Leur travail revêt en somme une importance capitale puisqu'il réduit substantiellement la probabilité de découverte des réseaux et des personnes impliquées [17]. La légalité apparente des montages complexes liés au recyclage des capitaux implique une double conséquence : elle rend tout d'abord laborieux et incertains les résultats mêmes de la lutte contre le blanchiment en convertissant, selon l'efficacité conjoncturelle de la répression, les paravents juridiques dressés en des sortes de "fusibles" prêts à disjoncter à tout instant (Cattaneo, 2001). Le recours à l'élite des affaires [18] renchérit, ensuite, le coût du blanchiment sans que cette contrainte économique changeante ne freine l'embauche de nouveaux professionnels attirés par les gains potentiels élevés d'une activité en réalité peu risquée, surtout lorsqu'il est hors de question de déclarer aux services fiscaux les revenus perçus pour des prestations au titre de versements de commissions occultes, de coûts de corruption, de frais divers…

3.2 Les risques du blanchisseur

28Mises à part quelques saisies plus spectaculaires que probantes d'un point de vue quantitatif, le démantèlement des réseaux actifs demeure un cas de figure assez hypothétique qu'illustrent concrètement les faibles sommes blanchies confisquées jusqu'à présent  [19+20]. La prise de risques est en effet atténuée par les multiples écrans sans teint qui autorisent les blanchisseurs institutionnels ou individuels à voir sans être vus : ils sont presque toujours en avance par rapport à des forces répressives manquant des outils juridiques et des moyens matériels suffisants pour mener avec succès leur investigation financière (Cattaneo, 2001). D'autant plus qu'il est difficile d'étayer par des preuves irréfutables un dossier de blanchiment lorsque les circuits s'étendent au niveau international avec une multiplicité de participants cumulant des ressources financières et de d'influence politique. Cette difficulté à nouer des liens pérennes permettant d'abord d'appliquer puis d'étendre une coopération judiciaire et policière audelà des frontières juridiques de chaque État explique pour beaucoup une certaine impunité des acteurs du blanchiment. En d'autres termes : ce n'est pas tant le risque de découverte des réseaux par la répression qui pose véritablement problème mais plutôt le fait que la logique d'action d'un ou de plusieurs de ses membres puisse représenter un danger pour la poursuite du travail de légitimation d'actifs de source illégale. Le laxisme de la réglementation financière des Pos de même que leur carence de contraintes institutionnelles et économiques en matière d'utilisation des capitaux confiés pourraient inciter des individus téméraires à commettre d'autres infractions comptables et financières, mais cette fois à leur profit exclusif. Cette défection est alors assimilable à un comportement opportuniste cherchant à exploiter une rente illégale de situation qui, dans ce cas spécifique, résulte d'une prestation immatérielle bâtie sur un savoir-faire et une délégation fiduciaire en placement de fonds délictueux.

29L'impossibilité de recourir à un tiers (tribunaux) en cas de conduite déloyale des blanchisseurs laisse le champ libre à la violence, soit pour tenter de récupérer l'argent soustrait, soit pour sanctionner celui qui aurait osé trahir les donneurs d'ordre. Lorsque la confiance n'est plus le modus vivendi dominant, la neutralisation préventive de l'opportunisme de participants déviants devient une tâche complexe, de plus en plus coûteuse au fil du temps : maintenir un niveau de confiance optimal au cours des différentes opérations de blanchiment signifie accroître sans cesse les prélèvements effectués sur le volume des profits illicites au travers de paiements supplémentaires aux blanchisseurs (Castelli, 2003). Toute "erreur de gestion" s'avère également lourde de conséquences en termes de visibilité des réseaux clandestins. Des pertes économiques et financières élevées risquent, en effet, d'attirer l'attention en multipliant les possibilités de découverte des circuits financiers par les autorités répressives. Afin d'éviter que de telles dérives ne compromettent l'opacité organisée des transactions sur des liquidités douteuses, une solution couramment adoptée consiste à renforcer le consensus préexistant autour de la respectabilité des montages entrepris à partir d'actifs illégaux (Thoumi, 1997). Pour légitimer l'argent sale, il suffit d'appliquer une norme prudentielle que l'on a intégrée dernièrement aux stratégies les plus élaborées de recyclage : ne plus investir ni placer directement des capitaux sans qu'ils aient été au préalable blanchis sur les places financières les plus prestigieuses des nations développées.

3.3 En guise de synthèse : trois cas de blanchiment

30À l'aide de trois exemples, nous voulons montrer que les mutations analysées ci-dessus font partie de la plupart des stratégies de blanchiment des acteurs licites ou non de l'économie :

a) Délinquance financière et blanchiment en Argentine : Le scandale du Banco Repùblica

31Une affaire emblématique du faisceau d'accointances particulières existant entre le milieu politique, des financiers libéraux et un établissement bancaire international concerne une accusation de blanchiment lancée contre la filiale Citibank NA en Argentine, associée au banquier R. Moneta, intime de l'ex-président C. Menem, opération qui aurait bénéficié de la complicité de la Banque centrale de la République d'Argentine (BCRA). En 1992, au moment même où débutait un plan ambitieux de privatisations, la Citibank avait créé une holding, Citicorp Equity Investments (CEI), qui, un peu plus tard, deviendrait la CEI Citicorp Holdings S.A. Au cours des deux quinquennats de C. Menem, CEI a investi massivement dans des secteurs aussi "stratégiques" que les téléphones, les moyens de communication (presse, audiovisuel), les cimenteries, le BTP, etc. Citibank possédait initialement près de 60 % des actions de CEI ; elle a ensuite cédé sa participation à R. Moneta [21], Président officiel du consortium jusqu'à sa fugue, en 1999, après la faillite spectaculaire des banques Mendoza et Repùblica, dont il était en outre l'administrateur. Les opérations triangulaires de capitaux douteux [22] entre le Banco Repùblica, la Federal Bank Ltd - une société offshore domiciliée à Nassau (Bahamas), et la Citibank de New York auraient approximativement atteint 6 milliards de dollars [23]. Les transactions du Banco Repùblica avec la Citibank de New York, près de 100 millions de dollars mensuels, furent d'ailleurs qualifiées comme éminemment suspectes par deux directeurs de la Banque centrale de la République d'Argentine. Leurs avis critiques furent néanmoins délibérément ignorés de leur hiérarchie.

32De ce scandale politico-financier, plusieurs enseignements peuvent être tirés : d'une part, les normes de fonctionnement des succursales à l'extérieur des grandes banques américaines ne s'appliquent pas, en apparence, avec la même rigueur qu'aux États-Unis (Oppenheimer, 2001). Cela est dû principalement aux intérêts considérables liés au drainage de capitaux importants vers des institutions travaillant au Nord (commissions tirées de la gestion des patrimoines privés, capitalisation assurée des banques, relance de la distribution des crédits, argent frais disponible, etc.). L'implication de réseaux de clientèle politico-économique et financière dans les opérations de blanchiment réalisées mérite d'être d'autre part soulignée. Au-delà des complicités institutionnelles, c'est l'absence de réelle volonté politique des États à mettre en œuvre les législations anti-blanchiment existantes - freins possibles aux comportements délictueux des élites du Sud, qui représente encore l'obstacle majeur susceptible de dépasser l'ambiguïté actuelle : tout le monde en apparence y gagne sauf ceux qui n'ont pas accès aux influences politiques, aux relations d'affaires et à un indispensable entregent social. En Argentine, comme dans d'autres pays, l'inaction de la banque centrale a contribué successivement à l'éclosion de multiples sociétés écrans dans les places offshore, chargées de recevoir la manne financière occulte, puis au déséquilibre permanent des comptes d'exploitation des établissements financiers en augmentant de manière excessive les risques d'illiquidité interne. Si la supervision au plus haut niveau, de même que l'encadrement juridique ont failli plusieurs fois, c'est peut-être parce que la surveillance des transactions financières a été confiée aux acteurs mêmes de la finance, dont l'intégrité n'a pu être entièrement préservée, garantie face à la tentation incoercible d'énormes gains obtenus en contournant la Loi. Il eût été préférable de confier ces tâches de contrôle à des experts indépendants, eux-mêmes dûment mandatés par des citoyens au-dessus de tout soupçon.

b) Les comptes secrets de la banque Riggs : le Pinochetgate

33Le Sénat américain a révélé, en juillet 2004, l'existence de 12 millions de dollars conservés par l'ancien dictateur chilien (le général Pinochet) et sa femme sur des comptes secrets à la banque américaine Riggs Bank, entre 1994 et 2002. Sous de faux noms ( Red Fox pour le général Pinochet) ou de ses proches, la célèbre institution de l'élite politico-diplomatique de Washington a ouvert et géré ses comptes tout en réalisant aussi des transferts entre les États-Unis, l'Espagne, le Royaume-Uni et le Chili. La Riggs Bank a même autorisé la création de deux sociétés écrans aux Bahamas en 1998. Les sommes déposées sont incompatibles avec les revenus d'un simple fonctionnaire que le général a été sa vie durant : officier, chef de l'armée de terre, chef de l'État puis sénateur à vie. A. Pinochet s'est-il enrichi au détriment de l'État ? A-t-il profité de la vague de privatisations réalisées sous la dictature ? A-t-il reçu des commissions lors de l'achat et la vente d'armes ? A-t-il bénéficié de donations ? D'ores et déjà quelques éléments explicatifs isolés ont été dévoilés par le rapport sénatorial. Tout d'abord, les États-Unis et d'autres pays ont payé à Augusto Pinochet près de 12,3 millions de dollars pendant les 23 années de son gouvernement. Ces versements ont été répertoriés sous la forme de "commissions pour services et voyages à l'extérieur". Dès 1976, les États-Unis lui ont ainsi remis 3 millions de dollars, tandis que la Chine 2,5 millions, le Paraguay 1,5 million, l'Espagne 1 million, la Grande Bretagne et la Chine ensemble encore 2,5 millions, et finalement au total la Grande Bretagne, la Malaisie et le Brésil apportèrent trois millions de dollars supplémentaires. D'autres sources d'argent illicite sont ensuite recherchées, mais il est clair que le délit de fraude fiscale ( 3,6 millions de dollars) devient un facteur essentiel dans l'explication de la formation de la fortune (estimée à 16 dont 12 millions de dollars à l'extérieur) du général... et de sa famille, puisque les cinq enfants du général Pinochet sont aussi actionnaires des sociétés écrans localisées aux Bahamas. Il manque à établir encore l'inventaire des placements effectués par le général ainsi que par les 38 membres de sa famille et les 29 sociétés qu'ils détiennent ou ont détenu depuis 1976. L'autre piste explorée serait, en outre, celle du trafic d'armes par le biais d'une vieille accusation de perception de commissions dans le cadre du projet "Fusée rayo", jamais mené à terme, malgré le coût exorbitant des études préalables de faisabilité qui devait se développer entre l'armée de terre et une entreprise britannique.

34Quelques éléments de réflexion autour de ce scandale fort médiatisé en raison de la triste célébrité historique de son protagoniste méritent d'être avancés : en premier lieu, il faut remarquer qu'une fois encore une banque de renom ( Riggs Bank) travaillant dans la capitale des États-Unis a contourné des dispositifs anti-blanchiment nationaux contenus dans les lois votées depuis plus de vingt années à Washington. Par exemple, la procédure "connaissez votre client" ( know your customiser) a été délibérément vidée de sa substance en affublant les ayants droit des comptes de noms aussi fantaisistes que Red Fox. Les dirigeants du département de gestion des patrimoines privés connaissaient cependant les identités réelles et les ont gardées comme clientèle privilégiée. Ils ont ainsi consolidé l'offre d'opacité de services financiers en ayant recours à places offshore pour créer des sociétés écrans. On peut supposer, en second lieu, que les sommes attribuées au général Pinochet et à sa famille sont loin de correspondre aux montants réels des transactions nouées au fil des années. Menacés d'infraction à la loi sur le blanchiment et pour mieux vendre leur établissement prochainement, les propriétaires, ainsi que cinq de leurs employés, ont préféré conclure un accord avec la justice américaine en acceptant de payer une amende de 16 millions de dollars. De la même façon, pour éviter un procès sur les comptes secrets du général Pinochet, la banque Riggs a décidé de verser 9 millions de dollars aux victimes du dictateur chilien. En d'autres termes, en s'acquittant d'amendes, même fort élevées, les dirigeants de banques et autres entreprises américaines font perdre dans la pratique une grande part de la valeur dissuasive aux dispositifs anti-blanchiment existants.

c) Le blanchiment de l'argent de la drogue au Mexique

35Plusieurs affaires de blanchiment ont défrayé la chronique judiciaire en montrant qu’une partie des ressources financières tirées de la vente de cocaïne, d’héroïne, de marijuana et de drogues synthétiques sur le marché domestique des États-Unis était d’abord rapatriée, puis recyclée, au Mexique par des cartels nationaux et, dans une moindre mesure, des blanchisseurs colombiens. Le cas le plus connu étant celui du frère du président, M. Raul Salinas de Gortari, qui fut accusé de fournir un appui logistique au trafic de cocaïne, tout en blanchissant simultanément l’argent criminel afférent. Le schéma de recyclage des profits illicites emprunte au départ une forme classique de triangulation financière aboutissant en fin de parcours à un réseau complexe de protection du narcocapital et d'enrichissement personnel de la classe politique : des dépôts effectués sur la Citibank de Mexico donnent lieu à des virements de 80 à 90 millions de dollars en direction de la succursale newyorkaise qui transfère enfin les fonds douteux sur des comptes de sociétés écrans établies aux Caymans. Les matériels de transport ainsi que les infrastructures d’une agence gouvernementale - la CONASUPO, chargée officiellement de distribuer des secours alimentaires aux plus démunis, ont été utilisés pour expédier de la cocaïne vers les États-Unis et blanchir en même temps les narcodollars du cartel du Golfe. Des travaux ont, par ailleurs, souligné la responsabilité de la politique de privatisation des entreprises publiques, appliquée pendant le mandat présidentiel de Carlos Salinas de Gortari, dans l'accroissement des opportunités d’insertion de capital illégal dans des secteurs vitaux de l’économie mexicaine : BTP, sociétés de transports routiers, compagnies d’aviation civile, immobilier de loisirs… D’autres faits peuvent être ajoutés à la déjà longue liste des investigations policières ayant trait à l’utilisation finale des ressources financières du narcotrafic au Mexique : en 1996, après que les États-Unis aient pu saisir cinq avions appartenant au cartel de Juarez, ont été mises à jour les activités parallèles de Rafaël Aguilar Guajardo, un des chefs assassiné en 1993 sur une plage de Cancun. Ce dernier avait réussi à monter de nombreuses sociétés écrans dont les actifs dépassaient les 800 millions de dollars ; une des gérantes de ces entreprises légales, en apparence modeste retraitée, possédait des biens ostentatoires n’ayant qu’un lointain rapport avec des revenus fruits du travail de toute une vie : un cabaret élégant à Mexico, un avion Falcon-50, une résidence évaluée à 25 millions de dollars à Acapulco…

36Grâce à une enquête conjointe des autorités mexicaines et américaines, une autre filière du cartel de Juarez a été démantelée en septembre 1997. Les forces répressives ont ainsi confisqué près de 26 millions de dollars sur un compte de la Citibank appartenant à un directeur de bureau de changes chilien ; l’argent déposé aurait eu comme propriétaire réel, Amado Carrillo Fuentes, le chef du cartel décédé en 1997 sur une table d’opération au cours d’une intervention de chirurgie esthétique. Par le truchement de virements réalisés au profit (apparent) de la société de changes, les blanchisseurs ont ainsi pu transférer sans trop de difficultés l’argent "sale" vers les comptes de plusieurs membres de la famille du narcotrafiquant, lesquels employaient systématiquement des prête-noms pour sécuriser leurs placements. La délocalisation d’une partie des opérations de blanchiment au Chili a donc permis de dissimuler l’origine criminelle des sommes en jeu, tout en brouillant leur destination finale ; seule la mort du chef a brutalement interrompu temporairement l’entrée des narco-capitaux dans la sphère économique des activités licites.

CONCLUSION

37L'objectif final de toute opération de blanchiment réussie consiste à optimiser les conditions dans lesquelles les liquidités sales pénètrent dans les circuits de l'économie légale. Nous avons retenu ici trois mutations comme les plus importantes et intéressantes à analyser : les Pos, le réseau, les blanchisseurs. Celles-ci n'épuisent ni l'observation complexe d'une réalité aussi mouvante que la dynamique du blanchiment, ni l'étude exhaustive des processus présents ou à venir induits par la créativité des délinquants et de leurs associés. Bien que ces évolutions majeures soient responsables du faible taux de succès des mesures répressives, nous voudrions introduire cependant quelques réflexions que nous considèrerons comme autant des pistes de recherches pour des travaux futurs.

38Nous avons constaté, tout d'abord, que l'internationalisation des marchés n'a pas réussi à éliminer l'opacité de transactions financières liées à la signature des contrats publics et privés organisant l'économie légale. Ce déficit en matière de transparence de l'information stratégique repose essentiellement sur la présence de réseaux actifs de dissimulation des capitaux et des patrimoines de provenance suspecte, lesquels sont eux-mêmes domiciliés dans les multiples Pos de la planète. Bien qu'elles ne soient ni à l'origine de la prospérité de la finance criminelle, ni spécialisés uniquement dans ce seul domaine (évasion et fraude fiscales, gestion de patrimoine privé, sièges de multinationales, etc), le principe de la souveraineté des États s'applique cependant sans aucune restriction aux espaces offshore, comme pour le reste des autres nations. Leur usage récurrent dévoile ensuite la nature contradictoire de la protection juridique fournie, car il s'agit d'États protégeant des clients privés discrets dont l'influence économique risquerait peut-être, à plus ou moins long terme, de freiner les velléités de représentation politique et de développement indépendantes de l'apport financier souterrain. Ce statut de souveraineté empêche en fait de recourir à la force, quelle que soit d'ailleurs la pertinence conjoncturelle des critiques ou des déclarations coercitives de coopération, visant à rendre exécutoires les normes produites au niveau international (Palan, 1999). S'il existe, par conséquent, une responsabilité, même partielle, des Pos dans la formation des zones occultes (les fameux "trous noirs") de la finance internationale, elle n'exonère cependant en rien celle de comportements opportunistes d'agents économiques légitimes dont les montages illégaux en amont anticipent ceux qui surgiront plus tard, en aval, à l'intérieur de ces mêmes espaces, par le simple fait que les règles édictées par les autorités de régulation seront contournées par les délinquants ou même vidées de leur substance par des manœuvres procédurières (avocats, conseils juridiques). Le pire étant peut-être un décalage persistant entre un formalisme normatif assez artificiel et de réelles pratiques individuelles ou collectives qui prospèrent à la lisière de la légalité et de l'illégalité, il serait temps de reconnaître enfin que la gouvernance mondiale comporte aussi des actes dont la transparence et la loyauté ne constituent nullement leurs qualités intrinsèques. Un volume toujours difficile à déterminer "d'illégalités légitimes" (Maillard, 2004) devrait perdurer sans que l'économie mondiale en soit pour autant immunisée.

Notes

  • (*)
    Économiste à l'Institut de Recherche pour le Développement. Centre de recherche de l’Ile de France-LSSD. ccastelli@ bondy. ird. fr.
  • [1]
    Une définition centrée sur l'importance du secret bancaire précise : "… C'est parce qu'un centre offshore pratique le secret bancaire que les fonds d'origine criminelle peuvent y être transférés en toute sûreté ; c'est en fonction du type de secret bancaire pratiqué que le blanchisseur va opérer son choix entre les différents centres offshore… " (Cartier-Bresson, Josselin, Manacorda, 2001,107).
  • [2]
    Comme le souligne la littérature spécialisée, l'éventail des produits fournis par l'économie offshore est suffisamment ouvert pour satisfaire une clientèle composite. L'offre est en résumé structurée autour de trois catégories de prestations immatérielles : le secret financier, l'exonération fiscale, l'extra-territorialité juridique (UNDCP, 1998).
  • [3]
    Selon une étude (Chavagneux, 2001, p. 7), entre 360 et 500 milliards de dollars ( 330 à 460 milliards d'euros) de fonds suspects passeraient ou même résideraient annuellement dans les nombreux paradis financiers du globe. Il y a dix ans encore le chiffre fourni n'était "que" de 85 milliards de dollars ( 78 milliards d'euros). Au-delà de la quantification problématique de flux clandestins, ce qui importe en réalité c'est l'augmentation constante du montant de l'argent sale circulant ou déposé dans les paradis offshore. L'évolution tendancielle prévaut ici sur la mesure imparfaite d'un phénomène intrinsèquement insaisissable.
  • [4]
    Évoquant le cas des paradis financiers "exotiques", Christian Chavagneux ( 1999,34) imputerait leur actuelle spécialisation à l'échec patent de l'aide financière internationale : "beaucoup de territoires sous la domination des grands pays industrialisés, notamment dans les Caraïbes et en Amérique latine, n'ont pas reçu l'aide au développement promise. Plutôt que d'en rester à la production de sucre ou de bananes, qui leur offrait une voie plus qu'aléatoire pour sortir de la pauvreté, beaucoup ont préféré s'engager (dans)… une stratégie d'insertion dans l'économie mondiale qui repose sur la création de zones à faible régulation, destinées à attirer les capitaux internationaux : fortunes privées, holdings financiers d'entreprises multinationales mais aussi argent sale… ".
  • [5]
    C'est au cours de la décennie 1970 que les banques internationales des pays industrialisés passèrent de la gestion discrète des affaires des clients fortunés (évasion fiscale des particuliers et des multinationales) au règlement financier de la dette extérieure des États (du Sud en général) jusqu'à l'occultation des profits formés dans l'illégalité économique. Pour une approche historique, voir Henry ( 1996).
  • [6]
    À la décharge toutefois des places offshore, il faut en vérité rappeler que cette offre de services financiers avantageux ne perdure que parce qu'il existe une demande préalable d'opacité émise de manière récurrente par une multiplicité d'agents individuels et collectifs guidés par la préservation de leurs patrimoines licites ou non.
  • [7]
    Philippe Broyer ( 2000b, 216-231) montre d'une manière explicite comment l'anonymat des commanditaires des grandes opérations de blanchiment est de plus en plus assuré par la création de " trustees" et autres sociétés écrans dans les principaux centres offshore.
  • [8]
    Un rapport de la commission de l'Assemblée Nationale ( 2000) relatif au blanchiment a mis en exergue le fait que la souveraineté formelle des États ayant une fonction offshore hypertrophiée conditionne largement l'immunité dont ils jouissent en général.
  • [9]
    Dans le cas du trafic de stupéfiants, la mondialisation a banalisé les stratégies économiques de recyclage de l'argent illicite, qu'elles soient de nature externe ou interne : choix de produits dérivés sur les marchés financiers internationaux, pénétration des activités domestiques légales, corruption plus ou moins diffuse, professionnalisation accrue des réseaux (qualification élevée des blanchisseurs)…
  • [10]
    Actuellement il subsiste encore une différence de taille entre les finalités opérationnelles des places financières onshore et offshore : celles-ci dissimulent en amont la provenance ainsi que la destination des sommes confiées, tandis que les autres centres "respectables" (Londres, Luxembourg, Monaco, Suisse… ) absorbent en aval, c'est-à-dire en bout de chaîne des circuits, des ressources déjà blanchies.
  • [11]
    À l'heure actuelle les commissions prélevées par les banques pour blanchir des fonds illicites se situeraient autour de 20 à 25 % des montants en jeu.
  • [12]
    Selon Philippe Broyer ( 2000b, 16), un réseau de blanchiment pourrait se résumer à deux caractéristiques structurelles : "… [Les réseaux financiers clandestins] sont à la fois financiers et informationnels ; ils sont constitués de capitaux (quelle qu'en soit la forme) qui circulent entre deux ou plusieurs sites ; d'autre part, ils servent de supports à la transmission d'informations entre les différents acteurs impliqués dans la réalisation d'une opération de blanchiment… ".
  • [13]
    L'influence de la globalisation financière se reflète au travers de la dématérialisation d'un grand nombre d'activités économiques réelles. Ce phénomène s'étend tant aux structures productives qu'aux systèmes de financement, impliquant en contrepartie une autorégulation croissante des affaires par des individus et des marchés. Cette situation rend plus difficile le travail d'instances indépendantes de surveillance et de supervision, qu'elles soient d'ailleurs l'émanation directe de la collectivité ou du milieu professionnel.
  • [14]
    Selon Nicolas Queloz ( 1999,29), un des principaux mobiles incitant ce type de délinquants à agir serait "… Une volonté (… ) d'accumulation des profits, d'expansion, voire de domination économique (capitalisme sauvage ou " killer capitalism" poussé à l'extrême… ".
  • [15]
    "… (Ces acteurs) ont par leur formation, une capacité non négligeable de tirer profit de leur expérience, de leur connaissance des mécanismes des marchés tant nationaux qu'internationaux, des législations fiscales, des particularités du droit communautaire ainsi que celles du droit pénal international… " (Delepière J.-Cl., 1999,42).
  • [16]
    Les trafiquants de drogues eux-mêmes n'ont pas hésité à confier une partie de leurs recettes à des blanchisseurs étrangers, voire à utiliser les circuits et les spécialistes de groupes mafieux concurrents. Avant les affrontements violents de la fin des années 1980, les cartels de Cali et de Medellín ont eu ainsi recours à des réseaux identiques de recyclage opérant à titre principal sur les territoires américain et mexicain. La qualification professionnelle appréciée des hommes, de même que l'extrême complexité des techniques nécessaires au fonctionnement optimal des réseaux de blanchiment justifient largement le sens de cette alliance provisoire assez surprenante (Boyer J.-F., 2001 ; Grosse R. E., 2001).
  • [17]
    Le comportement d'un individu peut être illustré par un modèle frustre de maximisation de bénéfices nets attendus du blanchiment, nb : nb = ( 1-pr )*1- c - pr *pu ; où ( 1-pr ) est la probabilité de ne pas être capturé ; c la somme des coûts de réalisation du délit ; pu le coût de la sanction attendue ; pr la probabilité d'être découvert. Suivant la prégnance plus ou moins forte des valeurs éthiques ( m ) au sein de la société observée, un comportement sera délictueux ou non délictueux si : nb ?m ou nb<mCf. Rocha R. G., 2000).
  • [18]
    Avec l'émergence de la crise de la dette dans les pays du Sud, au cours de la décennie 1980, une grande expérience a été capitalisée par les banques américaines ( Chase Manhattan Bank, Morgan Bank, American Bank, Citibank… ) tant en matière d'évasion de capitaux des élites que de placements hautement spéculatifs sur les différents marchés financiers. Sans parler du recyclage de l'argent sale à l'intérieur même des pays (industrialisés ou non). Pour des exemples récents de compromission des élites mondiales en Amérique latine, voir Oppenheimer ( 2001).
  • [19]
    De manière générale, le relatif échec quantitatif des stratégies de lutte contre le blanchiment repose en une large mesure sur l'interaction de plusieurs variables institutionnelles et sociales : la vitesse de diffusion du progrès technologique, la légitimité de la corruption dans la société impliquée, l'expérience des enquêteurs en matière de délinquance financière, la modestie des moyens matériels mis à la disposition des investigations, la versatilité de la jurisprudence pour incriminer l'existence d'un délit de blanchiment, etc.
  • [21]
    Devenu alors propriétaire majoritaire d'une holding qui contrôlait des entreprises aux actifs totalisant près de 5 milliards de dollars.
  • [22]
    Argent illégal provenant probablement des recettes du trafic de drogues et d'armes, des commissions illégales du processus de privatisations, de la corruption endémique de la classe politique argentine (tentative d'une troisième réélection de C. Menem)…
  • [23]
    On ne saura jamais les sommes réellement blanchies par le Banco Repùblica-Citibank via CEI interposé. L'estimation fournie ci-dessus doit être donc mise en parallèle avec la valeur de quelques indicateurs monétaires et financiers de l'économie argentine : dette extérieure : 122 milliards de dollars ; déficit fiscal : 6,5 milliards de dollars ; aide financière internationale : 39,7 milliards de dollars ( Le Monde 23/03/2001 ).
Français

Dans cet article, sont examinées trois mutations fondamentales du blanchiment contemporain elles-mêmes révélatrices des multiples enjeux sous-jacents au processus d'intégration des fonds suspects dans l'économie légale : la prolifération de places financières offshore, la constitution de réseaux financiers clandestins et la présence d'exécutants très qualifiés représentent les principales tendances des stratégies déployées par les organisations criminelles pour légitimer et recycler leurs actifs illégaux. Toute l'économie légale d'incitation publique ou privée est dès lors concernée par la diffusion de telles transformations qui permettent la continuité et la sécurité des opérations de blanchiment.

Mots clés

  • blanchiment
  • profits illicites
  • place financière offshore
  • réseau de blanchiment
  • criminalité économique
  • blanchisseurs

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Bernard Castelli (*)
  • (*)
    Économiste à l'Institut de Recherche pour le Développement. Centre de recherche de l’Ile de France-LSSD. ccastelli@ bondy. ird. fr.
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