Le mot « secret » souffre d’abord d’inflation médiatique : le secret des médecines douces, des cadres qui réussissent, des amours d’un people, du prochain feuilleton de TF1, cela signifie en réalité : scoop, nouveau et excitant, une « nouvelle » peut-être connue de milliers de gens, mais pas encore publiée à des millions d’exemplaires. À l’inverse, le Secret avec majuscule devient facilement système d’explication global. C’est le cas pour toutes les formes d’hermétisme : elles supposent partout des correspondances occultes. Pour elles, Secret est l’autre nom du Monde et toute apparence recèle un sens.
Les variantes séculières de la théorie du complot ne font pas autrement : une conspiration des puissants (gouvernements, groupes occultes) dissimule sous une « vérité officielle » et force manipulations médiatiques un plan en cours de réalisation. Plan que révèle l’interprétation suspicieuse des fausses apparences. Voir la littérature de type Da Vinci code ou les théories pour qui le 11 Septembre est un leurre du complexe militaro-industriel. Aucun avion ne s’étant écrasé sur le Pentagone et rien n’étant ce qu’il semble, la vérité est forcément ailleurs. Une obsession comparable du décryptage nourrit la conviction de ceux qui pensent comme Guy Debord que « le secret domine le monde, et d’abord comme secret de la domination » (il serait donc ce que dissimule le spectacle, le mécanisme ignoré de l’aliénation de l’idéologie et de l’obéissance).
Même si nous le distinguons bien de l’inconnu, de l’ineffable ou du mystère et de tout ce qui excède nos possibilités cognitives, même si nous nous méfions de la paranoïa qu’il encourage ou du délire d’interprétation qu’il favorise, le secret nous provoque par son omniprésence…