Penché sur son guidon, Tati, le facteur de Jour de Fête traverse nos mémoires et symbolise nos nostalgies d’une France perdue, rurale et bon enfant. Un monde qui nous paraît tout « naturel » et dont beaucoup se demandent s’il est condamné à l’ère du e-Mail. Une seconde de réflexion nous rappelle que pour que notre facteur rural puisse porter les nouvelles du cousin Alphonse, il a fallu bien d’autres machines que la bicyclette : des machines à gouverner, à éduquer, à ordonner le territoire, l’État-Nation, ses administrations, ses routes départementales et son éducation obligatoire, ainsi que des dispositifs techniques comme le bitume, la chaîne, le papier bon marché...
À ce miracle culturel, s’en ajoute un autre : pour qu’Alphonse donne de ses nouvelles, il faut, outre la possibilité et la capacité, le désir, voire l’habitude. Est-il si évident, ce besoin de faire part aux cousins de son taux de cholestérol ou du succès du petit Jules qui tentait le brevet, ou de sa flamme pour Coralie ? Oui, si l’on suppose une nature humaine éternelle, toujours taraudée par le besoin de s’exprimer. Oui, si l’on définit la lettre privée à la façon de ce manuel épistolaire de 1689 qui tranche ainsi : « Qu’est-ce qu’une lettre ? Un écrit envoyé à une personne absente pour lui faire savoir ce que nous lui dirions si nous étions en état de lui parler ». Or, il se pourrait bien que les choses soient plus complexes et les rapports du Moi et de la lettre plus ambigus.
Le Moi ? Le lecteur nous autorisera à ne pas le définir exhaustivement…