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Annie Ernaux se défie du genre romanesque parce que, comme le dit Bruno Blanckeman, pour elle « la fiction trahirait […] la vérité des êtres évoqués et des rapports de société analysés ». Dès 1983, l’auteure de La Place abandonne le roman « pour non pas “le récitˮ comme genre, mais […] plutôt le « non-roman » ou plutôt la « non-fiction novelˮ comme disent les Anglo-Saxons ». Ce « non-roman » – marqué par l’expérimentation toujours renouvelée de dispositifs formels, énonciatifs et structurels – correspond globalement à l’ambition de parvenir à une écriture de soi « sans affect exprimé, limitée aux faits et aux signes » tout autant qu’à « une forme où le sensible (récit, images personnelles) est mêlé à l’inventaire, au tableau historique ».
Le romanesque, cependant, loin de se limiter à son sens strictement générique, est aussi une ressource thématique – et psychique – fondamentale. Les aventures que l’on qualifie de « romanesques » – qu’il s’agisse de situations réelles, d’œuvres littéraires ou de films – sont non seulement extraordinaires et captivantes, mais capables, par les images, les émotions, les jeux qu’elles nourrissent et qui les font vivre, d’ouvrir ce que Winnicott appelle un « espace potentiel ». Dans cette « troisième aire » – entre « la réalité psychique intérieure ou personnelle et le monde effectif où vit l’individu » – grandit un imaginaire qui, en remodelant l’héritage culturel, apaise la tension provenant, pour tout être humain, des contacts avec la « vie extérieure »…
Auteurs
- Mis en ligne sur Cairn.info le 01/07/2022
- https://doi.org/10.3917/litt.206.0007
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